Laurence Haïm, de la Maison-Blanche à Emmanuel Macron
PORTRAIT - Après huit ans à la Maison-Blanche pour Canal+, Laurence Haïm écrit une nouvelle saison de sa vie comme porte-parole d'Emmanuel Macron.
"La dernière fois que vous avez pleuré, c'était quand?" En ce mois de juin 2015, Laurence Haïm, correspondante historique de Canal+ et d'iTélé aux Etats-Unis, tente une interview "à l'américaine" d'Emmanuel Macron, alors en visite de l'autre côté de l'Atlantique. Gros plan sur le jeune visage du ministre de l'Economie qui balaie la question sortez-vos-kleenex d'un plissement de fossettes. La nouvelle porte-parole du candidat Macron y répond volontiers : "La dernière fois que j'ai pleuré, c'est en quittant la maison où je passais mes week-ends, à Fire Island, près de New York." Celle que Barack Obama surnommait "The Frenchie" a pourtant dit adieu sans regret à ses roses et à ses colocataires américains du dimanche pour un CDD de quatre mois au sein de la start-up En marche! Comme Carrie Mathison, l'héroïne de sa série préférée, Homeland, Laurence Haïm est autant réputée pour ses humeurs en dents de requin (les squales la passionnent) que pour sa capacité à sauter à pieds joints dans une nouvelle vie plus trépidante.
"Aux Etats-Unis, elle a appris à être un outsider"
Après Laurence assistante de Christine Ockrent sur RTL, Laurence apprentie reporter télé auprès d'Hervé Chabalier à l'agence Capa, Laura (son surnom américain) correspondante de guerre missionnée par le célèbre journaliste de CBS Dan Rather, Laura embedded à la Maison-Blanche pour faire vivre en direct l'ère Obama, voici Laurence Haïm face aux micros pour Emmanuel Macron. "Lors de l'interview à New York, j'avais été frappée par son ambition. Il a une lumière dans les yeux." Attirée par cette flamme et forcée de chercher du travail après avoir été virée sans ménagement d'iTélé pour cause de soutien aux grévistes, elle s'invite le 23 décembre à 17 heures dans le bureau d'Emmanuel Macron. Celui-ci lui propose illico un job de porte-parole.
"C'est tout elle. Elle met le pied dans la porte. Aux Etats-Unis, elle a appris à être un outsider", admire Bernard Zekri. L'ancien directeur de la rédaction d'iTélé, aujourd'hui à Radio Nova, raconte volontiers les mille et une fois où celle qui n'était pas "la plus surdouée" de sa génération, mais certainement "la plus opiniâtre", l'a "bluffé". Faute de visa pour Bagdad au début de la guerre en mars 2003, elle campe sur une chaise dans l'ambassade d'Irak en Jordanie jusqu'à faire flancher un employé qui lui délivre le sésame. "Bagdad, sur le papier, elle n'avait rien à y faire, poursuit Zekri. Mais l'Histoire ne peut pas se dérouler sans qu'elle en soit le témoin."
«Laurence fait partie de ceux qui écrivent eux-mêmes leur propre histoire. D'ailleurs, on l'appelle Laurence H. Sa vie est comme une série»
Une fois passée la ligne de démarcation entre la presse et la communication, Laurence Haïm a essuyé les réactions sévères de plusieurs proches. "What the fuck?", l'a tancée une figure du petit écran quand ses copains américains la félicitaient de cette prise de risque. Pourtant journaliste dans l'âme, Bernard Zekri applaudit des deux mains : "Laurence fait partie de ceux qui écrivent eux-mêmes leur propre histoire. D'ailleurs, on l'appelle Laurence H. Sa vie est comme une série. Va-t-elle réussir à faire son trou chez Macron? A-t-elle choisi le bon canasson?"
Dans le premier épisode de cette nouvelle saison, début janvier, Laurence H. fait un saut à Washington. Femme sans enfants, aux amours non cohabitantes, elle liquide sa vie d'avant, à l'américaine, en quelques jours. Un exploit en pleine "guerre des déménageurs", qui a vu les 6.000 personnes de l'administration Obama faire leurs cartons à toute vitesse pour céder la place aux collaborateurs de Trump arrivant dans l'autre sens. Cette transhumance au couteau a fini de la persuader qu'il était grand temps de quitter une ville où, "comme disait Truman, pour avoir un ami il faut avoir un chien". Elle, avait pris un chat, Monday, avec lequel elle a emménagé dans un studio du 17e arrondissement de Paris.
Une quête d'absolu et d'excellence
Après plus de vingt ans aux Etats-Unis, Laurence Haïm ne reconnaît plus le pays de son enfance. "Je ne pensais pas qu'il était si écorché. En colère, gagné par l'anxiété." La potion libérale et pro-européenne concoctée par le leader d'En marche! constituera-t-elle un antidote à cette crise? Elle veut le croire comme elle croit à ces valeurs.
Ce vendredi 17 mars, à trois jours de la confrontation à cinq candidats, la porte-parole distillait de vraies-fausses confidences d'avant-match à BFMTV. "François Bayrou lui a recommandé de faire la sieste, Emmanuel Macron entend ce que François Bayrou lui a dit. Il arrivera reposé et prêt pour ce débat." Sourire complice à la caméra, enthousiasme communicatif. Oubliés les débuts hésitants dans C à Vous sur France 5, l'ex-caméléon de l'info apprivoise son nouveau terrain de jeu. D'interviews en séances de brainstorming, de déplacements de campagne officiels en escapades buissonnières aux côtés des "vraies gens", Laurence Haïm assure retrouver "la dynamique, le goût pour la réflexion et la bienveillance" de la première campagne d'Obama.
«Je ne sais pas mentir. C'est culturel : en Amérique, le mensonge est criminel»
Mardi 14 mars au QG d'En marche!, le député européen et ancien patron de Radio France, Jean-Marie Cavada, centriste converti au macronisme, la félicite en la croisant dans un couloir. "Ce n'est pas facile de franchir la barrière, je suis bien placé pour le savoir. Tu t'en sors bien. Les journalistes me disent que tu es toujours très agréable avec eux." Les consoeurs ou rédacteurs en chef qui ont connu ses colères homériques en concluront qu'elle a enfin appris, à 50 ans et après avoir perdu ses parents, à gérer ses frustrations. Ses amis – ils la décrivent généreuse et enjouée – pensent plutôt qu'elle a trouvé une place à sa mesure après de longs mois de doutes.
Mais sa nature franche et directe, confortée par vingt ans de journalisme sans complaisance à l'anglo-saxonne, s'accommodera-t-elle du langage encagé produit par les communicants? "J'essaie de retranscrire le message le plus honnêtement possible, insiste-t-elle. Je ne sais pas mentir. C'est culturel : en Amérique, le mensonge est criminel."
Il y a des années, son amie Alexandra Boulat lui avait lancé dans un clin d'œil : "Qu'est-ce qu'on va faire quand on sera grandes?" La photojournaliste est morte quelque temps plus tard, en 2007, avant d'avoir pu vieillir. Laurence Haïm a choisi de ne jamais renoncer à sa quête d'absolu et d'excellence. Ses proches, à qui elle avait prédit la première victoire d'Obama puis celle de Trump, l'imaginent déjà sous les ors de l'Elysée. Elle jure que si l'aventure d'En marche! s'arrête, elle pourrait aller vivre auprès des singes au Costa Rica. Après la politique, une autre jungle.
Anne-Laure Barret - Le Journal du Dimanche