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Jours tranquilles à Paris
31 mai 2020

Donald Trump fait le choix de la guerre froide avec Pékin

trump chaos

Par Gilles Paris, Washington, correspondant, avec Jean-Pierre Stroobants à Bruxelles

Le président américain va lancer le processus de révocation des exemptions accordées à Hongkong. Il a également annoncé vendredi que les Etats-Unis mettaient fin à leur relation avec l’OMS.

Entre la Chine et les Etats-Unis, l’heure est désormais à la guerre froide. Donald Trump l’a acté, vendredi 29 mai, en multipliant les gestes de défiance vis-à-vis de Pékin. Le président des Etats-Unis va ainsi lancer le processus de révocation des exemptions accordées à Hongkong du fait de la remise en cause de son statut spécial par les autorités chinoises.

« Cette décision aura un impact sur l’ensemble des accords que nous avons avec Hongkong », a assuré Donald Trump, qui a qualifié de « tragédie pour le peuple de Hongkong, pour la Chine, et pour le monde entier » les atteintes contre l’autonomie concédée en 1997 par les autorités chinoises, lors de la rétrocession du territoire à la Chine par la couronne britannique. Cette autonomie devait s’étendre pendant un demi-siècle. Pékin « n’a pas tenu sa parole », a assuré le président après le feu vert donné à une loi de sécurité nationale par le parlement chinois. « La Chine a remplacé sa formule promise d’un pays, deux systèmes, par un pays, un système », a-t-il ajouté.

Liens coupés avec l’OMS

Victime collatérale de ces tensions sans précédent entre les deux pays, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) n’a pu que mesurer l’ampleur des dégâts vendredi. Donald Trump a en effet mis à exécution ses menaces de couper les liens avec l’agence onusienne du fait de liens jugés trop étroits avec Pékin. « Nous avions détaillé les réformes qu’ils devaient faire et nous nous sommes adressés directement à eux, mais ils ont refusé d’agir », s’est justifié le président, qui avait adressé un ultimatum à l’organisation. Il a assuré que les sommes versées auparavant par le pays, qui est premier contributeur de l’OMS, seraient réaffectées à d’autres organisations, sans préciser lesquelles.

Le président des Etats-Unis s’est inspiré en outre des suggestions des tenants d’une ligne dure contre la Chine, à commencer par le sénateur républicain de l’Arkansas, Tom Cotton, pour sanctuariser « la recherche universitaire vitale » pour les Etats-Unis, en décidant de suspendre l’entrée de « certains ressortissants de la Chine que nous avons identifiés comme potentiels risques à la sécurité ». Tom Cotton estime que certains étudiants se livrent en fait à des activités d’espionnage. La moitié des 370 000 étudiants chinois présents aux Etats-Unis suivent des études scientifiques.

Enfin, Donald Trump a demandé à son administration d’examiner « les pratiques des entreprises chinoises cotées sur les marchés financiers des Etats-Unis afin de protéger les investisseurs américains ». « Les sociétés d’investissement ne devraient pas soumettre leurs clients aux risques cachés et inutiles présentés par des entreprises chinoises qui ne jouent pas selon les mêmes règles. Les Américains ont droit à un traitement équitable et transparent », a encore souligné le président.

Revirement brutal

La détermination de Donald Trump tranche avec la mansuétude dont il a longtemps fait preuve à l’égard de Pékin. En privilégiant la conclusion d’un accord commercial dans la perspective de l’élection présidentielle, le président des Etats-Unis a été conduit à relativiser l’enjeu de Hongkong en 2019. De même, il a longtemps porté crédit à son homologue, Xi Jinping, pour sa gestion du coronavirus avant d’effectuer un revirement brutal lorsque la maladie a commencé à ravager les Etats-Unis. Contrairement à son vice-président, Mike Pence, qui avait prononcé un discours particulièrement virulent en octobre 2018 contre la Chine, Donald Trump, pourtant prompt à dénoncer « le communisme » et « le socialisme », ne s’est jamais attaqué directement à la nature autoritaire du régime chinois.

Le président des Etats-Unis sait que ce durcissement américain va rencontrer un large écho, au Congrès comme au sein de l’opinion publique. La Chambre des représentants a ainsi voté le 27 mai une proposition de loi visant à sanctionner des responsables chinois accusés de « l’internement de masse » des musulmans ouïgours. Le texte a été adopté à une écrasante majorité de 413 voix pour et seulement une contre. Le Sénat avait déjà approuvé à l’unanimité le texte quelques jours plus tôt. Ce texte attend désormais un paraphe présidentiel qui envenimerait encore davantage des relations entre les deux premières puissances mondiales.

Les décisions annoncées par Donald Trump ne font cependant pas toutes l’unanimité. Celle de couper la contribution américaine à l’OMS est ainsi critiquée par les élus démocrates qui considèrent qu’elle va donner les coudées encore plus franches à Pékin. La présidente démocrate de la Chambre, Nancy Pelosi (Californie), a déploré « un acte de stupidité extraordinaire ». Sa légalité est également contestée s’agissant de fonds votés par le Congrès.

Image négative de la Chine

L’image de la Chine n’a cessé de se dégrader chez les Américains au cours des deux dernières années. Une enquête du Pew Research Center publié en avril a montré que 66 % des Américains en ont une image négative (contre 26 % d’avis contraires). Il s’agit du pire résultat depuis les débuts de ce baromètre, en 2005. En 2017, les avis défavorables ne l’emportaient que de très peu sur les positifs (47 % contre 44 %).

Cette mauvaise image est majoritaire chez les républicains (72 %) comme chez les démocrates (62 %). Elle s’impose dans toutes les classes d’âge, y compris chez les jeunes. Compte tenu de ce terreau propice, il est très probable que les deux principaux candidats à l’élection présidentielle de novembre rivalisent pour le titre de meilleur opposant à Pékin.

Fidèle à l’attitude adoptée depuis son arrivée à la Maison Blanche, Donald Trump a choisi de s’engager dans cette guerre froide avec Pékin sans chercher à se concerter avec ses alliés européens. Le haut représentant européen, Josep Borrell, a admis vendredi que la pression chinoise sur Hongkong pose problème. « Notre relation avec la Chine est fondée sur le respect et la confiance mutuels mais cette décision les remet en cause », a-t-il assuré.

Particulièrement prudent, l’ancien ministre espagnol a présenté la Chine comme « une alliée, une rivale, une compétitrice, une actrice systémique » et il n’est pas question à ce stade d’adopter des sanctions réclamées pour l’instant que par la Suède. Il a ajouté que ces tensions ne remettent pas en cause la tenue du prochain sommet entre l’Union européenne et la Chine prévu par visioconférence à la fin juin, et d’un autre, en septembre, à Leipzig.

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30 mai 2020

Donald Trump annonce que les Etats-Unis mettent fin à leur relation avec l’OMS

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Depuis le début de la pandémie, le président américain accuse l’organisation onusienne de se montrer trop indulgente avec la Chine.

Le président des Etats-Unis, Donald Trump, a annoncé, vendredi 29 mai, qu’il mettait fin à la relation entre son pays et l’Organisation mondiale de la santé (OMS), agence des Nations unies (ONU) pour la santé publique.

« Parce qu’ils ont échoué à faire les réformes nécessaires et requises, nous allons mettre fin aujourd’hui à notre relation avec l’Organisation mondiale de la santé et rediriger ces fonds vers d’autres besoins de santé publique urgents et mondiaux qui le méritent », a déclaré M. Trump devant la presse.

Apparu dans la roseraie de la Maison Blanche, Donald Trump a annoncé que l’OMS n’avait pas procédé aux réformes qu’il avait demandées au début du mois et que, par ailleurs, l’instance avait fait l’objet de pression de la part des autorités chinoises pour qu’elle induise en erreur le monde entier lorsque le virus a été découvert par les autorités chinoises.

« Marionnette de la Chine »

« La Chine a un contrôle total sur l’Organisation mondiale de la santé, même si elle ne paie que 40 millions de dollars par an par rapport à ce que les Etats-Unis ont payé, ce qui représente environ 450 millions de dollars par an. Nous avons détaillé les réformes qu’elle doit faire et nous sommes engagés directement avec eux, mais ils ont refusé d’agir », a exposé Donald Trump.

Accusant l’OMS d’être une « marionnette de la Chine », où l’épidémie a débuté à la fin de 2019, le président des Etats-Unis, Donald Trump, lui avait donné, le 19 mai, un mois pour obtenir des résultats significatifs.

Depuis plusieurs semaines, le locataire de la Maison Blanche répète que le lourd bilan du Covid-19 – plus de 362 000 morts à travers le monde dont 102 201 aux Etats-Unis – aurait pu être évité si la Chine avait agi de manière responsable dès l’apparition du virus dans la ville de Wuhan.

Il a aussi menacé de rompre toute relation avec la Chine et a assuré qu’il ne souhaitait plus, pour l’heure, parler à son homologue, Xi Jinping. Pékin assure de son côté avoir transmis le plus vite possible toutes les informations à l’OMS.

30 mai 2020

Minneapolis : «Si on ne dit rien, alors l’injustice continue»

REPORTAGE

Par Isabelle Hanne, Envoyée spéciale à Minneapolis — Libération

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A Minneapolis jeudi, lors de la troisième nuit de manifestations. (Photo Julio Cortez. AP)

Depuis la mort, lundi, de George Floyd, un homme noir asphyxié par un policier blanc, la ville du Minnesota est le théâtre de manifestations et d’émeutes. Derek Chauvin, le principal responsable, a été arrêté vendredi et inculpé d'homicide involontaire.

Des jeunes qui font la queue dehors pour piller des commerces. Des bâtiments saccagés, incendiés, un air parfois saturé de fumée et de cendres, des voitures calcinées. La nuit est traversée par des nuages blancs de gaz lacrymogène. En arrière-fond, les sirènes de pompiers et de police, bande-son des heurts à Minneapolis, dont l’intensité augmente chaque jour, en même temps que la colère des manifestants contre la police. La mort de George Floyd est venue réveiller des blessures jamais cicatrisées. Lundi, cet Afro-Américain de 46 ans est mort juste après son arrestation brutale par la police, qui le soupçonnait d’avoir voulu écouler un faux billet de 20 dollars. Lors de l’intervention, il a été menotté et plaqué au sol par un agent blanc qui a maintenu son genou sur son cou pendant de longues minutes. «Je ne peux pas respirer», l’entend-on dire sur une vidéo de la scène, filmée par un passant et devenue virale. Puis il arrête de parler, et s’immobilise complètement.

Les quatre policiers impliqués dans l’interpellation ont été renvoyés, et une enquête est en cours. Vendredi, Derek Chauvin, celui qui est responsable de la mort de George Floyd, a été arrêté, puis inculpé de meurtre au 3e degré et d'homicide involontaire. Dans l'Etat du Minnesota, le chef d'accusation de «meurtre au 3e degré», passible de 25 ans de prison, désigne le fait de causer la mort «sans intention» de la donner «en perpétrant un acte éminemment dangereux». En dix-neuf ans de service, le policier de 44 ans a fait l’objet de dix-huit plaintes, dont deux seulement s’étaient soldées par une lettre de réprimande. Jusqu’à son arrestation, les appels au calme et à la patience des autorités n’avaient fait qu’attiser l’exaspération des manifestants. Acmé de la violence et du symbole, dans la nuit de jeudi à vendredi, un groupe a forcé des barrières, brisé les vitres et incendié un commissariat de Minneapolis, évacué peu avant.

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Les portes d’un supermarché forcées

Anticipant les heurts, de nombreux commerces de la plus grande ville du Minnesota s’étaient barricadés. Outre des renforts policiers, 500 hommes de la Garde nationale ont été envoyés à Minneapolis. «Ces malfrats déshonorent la mémoire de George Floyd, et je ne laisserai pas faire cela», a tweeté le président américain, Donald Trump, dans la nuit, critiquant un «manque total de leadership» du maire démocrate de la ville, Jacob Frey. Et menaçant : «Quand les pillages démarrent, les tirs commencent.»

Les portes d’un supermarché, dans le nord-est de la ville, ont été forcées jeudi. Ballet de voitures et coffres qui claquent, sur le large parking du centre commercial. Les bris de verre crissent sous les roues des chariots, remplis par des jeunes qui pillent le commerce sans se presser. «Ce soir, tout est gratuit : servez-vous !» lance Mambo, un étudiant de Minneapolis, en observant la scène. La police reste discrète. Seuls le bourdonnement des hélicoptères et l’odeur âcre des grenades lacrymogènes tirées depuis les toits pour disperser les pillards indiquent sa présence. «Contre la violence policière, les manifestations pacifiques ne suffisent pas, reprend Mambo. L’argent qu’ils vont devoir dépenser pour réparer tout ça, c’est ça qui va leur faire du mal. C’est ça qui va attirer leur attention : l’argent perdu. Ça aide de voir que tout le monde est là, Noirs comme Blancs.» Sur un mur, un tag réalisé à la va-vite assène que «la marchandise peut être remplacée, pas les vies des Noirs».

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Dans le même quartier, entre le commissariat et le supermarché pillé, de hautes flammes orange dévorent un commerce de prêt sur gage. «C’est vraiment triste d’en arriver là, simplement parce qu’on n’a pas été entendus, regrette Rachel en regardant l’incendie. Et tout ça continue, parce qu’on nous dit qu’il y a besoin de faire une enquête !» La jeune femme, une Afro-Américaine qui a grandi et étudie à Minneapolis, a le visage fermé et les yeux sévères. «Le monde entier a vu qu’un homme a été tué par la police. N’importe qui d’autre serait déjà en prison. Mais lui, non, parce que c’est un policier blanc.»

A Minneapolis, avant George Floyd, il y a eu Philando Castile, un automobiliste noir abattu lors d’un banal contrôle de police en 2016, sous les yeux de sa compagne et d’une fillette. Le policier a été acquitté. A New York, il y a eu Eric Garner, autre Afro-Américain décédé en 2014 après avoir été asphyxié lors de son arrestation par des policiers blancs. Lui aussi avait dit à l’époque «Je ne peux pas respirer», une phrase devenue le cri de ralliement du mouvement BlackLivesMatter («la vie des Noirs compte»). La liste est longue. «On a manifesté pacifiquement pendant toutes ces années, et ça ne nous a menés nulle part, reprend Rachel. Qu’est-ce qu’on devrait faire ? Rester silencieux et attendre calmement qu’une autre vie soit détruite ?»

Les Afro-Américains représentent 20 % de la population de Minneapolis, mais ils sont plus susceptibles d’êtres contrôlés, arrêtés, et victimes de violences des forces de l’ordre que le reste de la population : de 2009 à 2019, 60 % des personnes tuées par la police étaient noires.

Quand il a appris la mort de Floyd, Kaleb s’est simplement dit «Encore un ?» raconte-t-il en marchant dans le cortège d’une manifestation qui s’est tenue sans heurts, dans le centre de Minneapolis, jeudi. Pour le jeune homme, très actif dans sa communauté, «il faut inculper ces gens, les mettre en prison. Mais le plus important, c’est quelle est la suite de tout ça ? Comment transformer ce mouvement pour obtenir un vrai changement ?»

Il juge les pillages et les destructions «absolument désastreux, même si tous les manifestants ne sont pas des casseurs, loin de là». «Mais c’est le symptôme d’un problème plus large, il ne s’agit pas seulement de la mort d’un homme, insiste Kaleb. Cette tragédie est venue s’ajouter à la détresse créée par le Covid : beaucoup de gens ont perdu leur emploi [710 000 nouveaux chômeurs dans le Minnesota depuis mi-mars et la mise en place des mesures de confinement, ndlr]. Je crois qu’on a atteint un point de bascule.» Dans l’ensemble des Etats-Unis, les Afro-Américains ont été touchés de manière disproportionnée par la pandémie.

«Pourquoi notre quartier brûle-t-il ?»

L’intersection où George Floyd a été interpellé, dans le quartier de Powderhorn, est devenue un lieu de rassemblement. Fresques murales, fleurs et photos lui rendent déjà hommage. Plusieurs leaders religieux de la ville s’y sont rendus jeudi pour tenter de calmer les esprits : «Ne gâchez pas ce moment ! Le monde nous regarde, vous avez du pouvoir ; maintenant, tout dépendra de ce que vous en ferez», prêche à la foule le pasteur Albert. «La colère, c’est ce que vous obtenez quand vous opprimez des gens pendant si longtemps, et que rien n’est fait pour la canaliser, explique-t-il après sa prise de parole. Si tout est si explosif en ce moment, c’est parce que c’est loin d’être la première fois que ça arrive. La police perpétue ces violences contre les Noirs. Nous avons tous vu cette vidéo, on a tous été forcés de regarder cette exécution. Si on ne dit rien, alors l’injustice continue. Et on en a assez.» Le pasteur évoque les disparités abyssales entre Blancs et Noirs à Minneapolis, dans le niveau de revenus, l’accès à l’éducation, ou encore le logement. «Pourquoi ce quartier, notre quartier, brûle-t-il ?» interroge-t-il, pointant le «redlining», cette pratique de discrimination consistant à refuser des services à des populations situées dans des zones géographiques déterminées (des prêts bancaires par exemple), à laquelle «les habitants du quartier font face depuis des décennies».

Douglas Ewart, un artiste septuagénaire d’origine jamaïcaine qui vit à deux pas de là, estime qu’avec le Covid-19, «les gens ne sont ni à l’école ni au travail : ça fait beaucoup plus de monde pour manifester. Cette tragédie, c’est la tempête parfaite pour qu’on puisse, enfin, changer de paradigme.» Douglas veut croire que les choses «peuvent s’améliorer». «Regardez, aujourd’hui, il y a beaucoup de jeunes Blancs qui comprennent la situation et manifestent. Ce sont eux qui permettront d’arriver à un changement réel.» Parmi les évolutions jugées positives par les manifestants, Minneapolis est doté d’un chef de la police afro-américain, Medaria Arradondo, le premier Noir à occuper un tel poste dans la ville. Le maire, le démocrate Jacob Frey, n’hésite pas à parler du «racisme systémique» qui fracture la société américaine.

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«Il y a beaucoup de douleur et de colère dans notre ville», a-t-il déclaré vendredi matin, tout en jugeant les pillages et les destructions «inacceptables». La Garde nationale a été déployée devant les commerces, banques, pharmacies ou magasins d’alimentation susceptibles d’être pillés. Mais Frey a défendu la position de la ville, et la réponse policière depuis le début des émeutes, qui évite globalement la confrontation avec les manifestants et n’a procédé qu’à une poignée d’arrestations (dont une équipe de journalistes de la chaîne CNN, relâchée plus tard). «Nous faisons absolument tout ce qui est en notre pouvoir pour maintenir la paix», a-t-il justifié.

En plus du caractère extrêmement volatil de la situation dans la ville, les heurts sont contagieux, dans un pays à vif après des années de violences policières contre les Afro-Américains, restées largement impunies. Des heurts ont également eu lieu dans la ville voisine de Saint-Paul, capitale de l’Etat, où près de 200 commerces ont été saccagés ou pillés. Des manifestations tendues se sont tenues à New York, mais aussi à Phoenix (Arizona), Los Angeles (Californie), Columbus (Ohio) ou Denver (Colorado). Près du commissariat et des commerces incendiés et pillés, à Minneapolis, un tag en lettres capitales : «Et maintenant, vous nous entendez ?»

30 mai 2020

Minneapolis

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Décès de George Floyd : les manifestations continuent aux États-Unis. L’arrestation et l’inculpation pour “homicide involontaire” du policier dont le comportement violent avait entraîné la mort d’un Américain noir, à Minneapolis en début de semaine, n’ont pas empêché les manifestations, parfois violentes, de se poursuivre aux États-Unis vendredi soir, selon CNN. Des centaines de personnes se sont rassemblées à travers le pays, devant la Maison-Blanche à Washington mais aussi à New York, Dallas, Houston, ville d’origine de la victime, ou encore Las Vegas, Des Moines, Memphis et Portland. À Atlanta, des véhicules de patrouille de la police ont été brûlés. Un couvre-feu est en vigueur depuis vendredi à Minneapolis, mais il a été bravé par plusieurs manifestants.

29 mai 2020

Les Etats-Unis sous le choc des violences policières

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Par Gilles Paris, Washington, correspondant Le Monde

De nouvelles manifestations ont tourné à l’émeute à Minneapolis après la mort lundi de George Floyd, Afro-Américain, aux mains de la police.

Les images sont tragiquement familières. La mort d’un Afro-Américain aux mains de la police ; les manifestations de colère qui tournent à l’émeute ; la mobilisation de la Garde nationale. L’enchaînement des événements a pour théâtre cette fois-ci Minneapolis, dans le Minnesota. Tout part de l’interpellation musclée d’un Noir de 46 ans, le 25 mai. La scène, filmée par un témoin, est difficilement soutenable. George Floyd est jeté au sol et un policier s’agenouille sur son cou. « Je ne peux pas respirer », répète-t-il. Ni ses suppliques ni celles des personnes qui assistent à la scène ne sont entendues. Puis le corps de George Floyd s’immobilise. Lorsque les secours interviennent, le policier, Derek Chauvin, est toujours juché sur lui.

La réaction de la municipalité a été rapide : les quatre policiers ont été licenciés sur le champ. Le policier incriminé avait fait l’objet de dix-huit plaintes liées à son comportement. L’absence de conséquences judiciaires immédiates a cependant alimenté la frustration de manifestants pendant deux nuits consécutives. Ces troubles ont poussé le gouverneur démocrate de l’Etat, Tim Walz, à demander jeudi le déploiement de la Garde nationale. « La mort de Gorge Floyd doit apporter de la justice et des réformes de fond, pas plus de morts et de destruction », a-t-il imploré. Les manifestations de protestation ont essaimé dans le pays à Los Angeles comme à Chicago, Denver ou Memphis.

Cette routine sanglante est vérifiée par les chiffres. Le nombre de personnes tuées par la police aux Etats-Unis en 2019 s’est élevé à 1 004, selon la comptabilité du Washington Post qui ne recense que les morts par armes à feu. Un chiffre supérieur à celui enregistré en 2018 (992) et qui concerne de manière disproportionnée les Afro-Américains. Le décès tragique de George Floyd fait d’ailleurs écho à celui d’un jeune Afro-Américain, Ahmaud Arbery, pourchassé par un ancien policier et son fils alors qu’il faisait son jogging.

Le jeune homme avait été tué en février mais l’auteur du coup de feu mortel avait plaidé la légitime défense et argué d’une loi de l’Etat adoptée en 1863, en pleine Guerre civile, qui autorise un citoyen à en arrêter un autre s’il est témoin d’un délit. Ahmaud Arbery avait pénétré dans une maison en construction avant d’être pris en chasse par les deux hommes, puis intercepté. Un troisième avait filmé la scène, également difficilement soutenable. La publication de la vidéo, début mai, a forcé les autorités locales à réagir, après avoir initialement étouffé l’affaire. Les trois hommes sont aujourd’hui emprisonnés.

Donald Trump est sorti du silence

La mort de George Floyd a poussé Donald Trump à sortir du silence qu’il a longtemps observé à propos des violences policières. Il a dénoncé jeudi « un spectacle très choquant ».

« J’ai demandé au ministre de la justice, au FBI de se pencher vraiment sur cette affaire et voir ce qui s’est passé (…). Ce que j’ai vu n’était pas bon, pas bon, très mauvais », a assuré le président des Etats-Unis. Donald Trump va cependant avoir du mal à convaincre. « C’est la première fois que je l’entends évoquer un cas » de ce genre, a réagi le révérend Al Sharpton, militant des droits civiques et du président depuis des décennies. « Donc, il ne peut pas s’indigner si les gens sentent qu’il s’agit de mots vides », a-t-il ajouté.

Donald Trump n’a jamais commenté la mort d’Eric Garner, un Noir décédé en 2014 à New York après avoir été asphyxié lors de son arrestation par des policiers blancs. La phrase « Je ne peux pas respirer », qu’il avait prononcée avant son décès, était devenu un cri de ralliement du mouvement Black Lives Matter.

Il n’a pas varié en arrivant à la Maison Blanche. Il s’est refusé à commenter des drames très médiatisés impliquant la police, y compris la mort de Stephon Clark, un Noir abattu par la police de Sacramento en 2018. Le jeune homme avait été tué alors qu’il se trouvait dans le jardin de sa grand-mère. Il avait été confondu avec une personne suspectée d’avoir brisé des vitres de voiture. Il avait en main un téléphone portable que les policiers dépêchés sur place avaient pris pour une arme. Se considérant en état de légitime défense, ces derniers avaient tiré à vingt reprises sur lui. « C’est quelque chose qui est une affaire locale et c’est quelque chose qui, selon nous, devrait être laissé aux autorités locales », avait déclaré à l’époque la porte-parole de la Maison Blanche, Sarah Sanders.

Au contraire, le président des Etats-Unis rend régulièrement hommage aux forces de police qu’il assure de son soutien. En 2017, il a mené une campagne virulente contre l’ancien maître à jouer de l’équipe de football américain de San Francisco, Colin Kaepernick. Ce dernier avait lancé un mouvement de protestation contre ces violences en posant un genou à terre pendant l’exécution de l’hymne national, au prix d’une carrière sportive écourtée. Mercredi, la star du basket LeBron James a publié sur Instagram, côte à côte, une photo de la scène mortelle de Minneapolis et une autre de Colin Kaepernick avec la légende suivante : « Voilà pourquoi, est-ce que vous comprenez maintenant !!??!!?? Ou bien est-ce que ça ne reste pas clair pour vous ? ».

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29 mai 2020

Technologie - Donald Trump attaque les réseaux sociaux

trump versus reseaux sociaux

COURRIER INTERNATIONAL (PARIS)

Deux jours après que Twitter a signalé deux de ses tweets, le président américain a signé un décret censé limiter la protection dont bénéficient les réseaux sociaux. Mais le texte risque de faire face à de nombreux obstacles juridiques avant d’entrer en vigueur.

Assis dans le Bureau ovale, le ministre de la Justice à ses côtés, Donald Trump a signé jeudi un décret centré sur les réseaux sociaux. “Nous sommes ici aujourd’hui pour défendre la liberté d’expression face à un grand danger”, a-t-il annoncé aux journalistes. Selon lui, des entreprises comme Facebook ou Twitter “peuvent en toute impunité censurer, restreindre, monter, modeler, cacher et altérer toute forme de communication entre des citoyens”.

CNBC remarque que son initiative est “largement perçue par ses critiques comme des représailles contre Twitter”, pendant que TechCrunch parle de “guerre” et CNN d’“escalade spectaculaire”. Mardi, le site de microblogging a ajouté la mention “vérifiez les faits” à deux de ses tweets suggérant que le vote par correspondance générait de la fraude et des élections truquées. Il s’agissait d’une première pour Twitter, très vite accusé par M. Trump de “réduire au silence” les voix des conservateurs.

Le site Business Insider souligne que le décret “cite explicitement” l’incident. “Twitter décide désormais de manière sélective de placer un avertissement sur certains tweets reflétant clairement un biais politique”, dit le texte.

Pour The Verge, Donald Trump “engage une sale dispute avec Internet tout entier”. Le site spécialiste des nouvelles technologies évoque “une proposition extraordinairement ambitieuse, probablement la plus grande tentative de régulation des plateformes”. Cette proposition consiste à réinterpréter la section 230 du Communications Decency Act, “parfois appelée la loi la plus importante d’Internet”, précise The Verge.

Cette loi de 1996, poursuit le site, protège Twitter, Google, Facebook et d’autres de poursuites judiciaires relatives aux contenus publiés sur leurs plateformes et leur laisse une marge de manœuvre significative quant à la modération de ces mêmes plateformes.

L’administration Trump ne peut pas changer la législation toute seule, insiste toutefois USA Today. Une intervention du Congrès est nécessaire si l’on en croit de nombreux experts. Le décret a donc de grandes chances d’être attaqué en justice. “Mais qu’est-ce qui ne l’est pas ?” a commenté le pensionnaire de la Maison-Blanche.

Il est la cible d’une tribune acide dans le Washington Post. Le texte, signé par deux professeurs de droit, note par exemple que “comme d’habitude, Trump se trompe sur la loi, mais cette fois il se trompe encore plus que d’habitude”. Le président américain estime que Twitter trahit la liberté d’expression inscrite dans la Constitution. Or le premier amendement “s’applique au gouvernement, pas aux acteurs privés”, rappelle la tribune.

“L’ironie, c’est que Donald Trump est un grand bénéficiaire de la section 230”, mentionne l’Union américaine pour les libertés civiles, citée par CNBC. “Si les plateformes n’étaient pas protégées par la loi, elles ne prendraient pas le risque d’héberger le compte de Donald Trump et d’être tenues pour responsables de ses mensonges, diffamations et menaces.”

Le président américain va continuer à tweeter

Une tribune du site de NBC News invite à s’inquiéter. “Le président – n’importe quel président – ne devrait pas se servir de sa fonction et du gouvernement américain pour cibler les entreprises du secteur privé qu’il considère comme des ennemis politiques, dénonce le texte. La croisade dangereuse de Trump […] doit être décrite telle qu’elle est : tyrannique.”

Mais, d’après les experts interviewés par ABC News, cette réécriture de la section 230, un texte par ailleurs critiqué depuis des années autant par les démocrates que les républicains mais pour des raisons différentes, n’aura sans doute pas d’effet en fin de compte.

Tout cela ne serait donc que du “théâtre politique”, comme le confie la professeure de droit Kate Klonick à la radio NPR. Une analyse partagée par CNN. Donald Trump cherche juste à entretenir l’idée qu’“il existe une alliance de forces puissantes contre lui dans les médias et qu’il est la seule voix à laquelle ses partisans peuvent se fier”.

“Trump veut se bagarrer avec un grand nom de la technologie plutôt que mettre en place une politique”, confirme The Verge, voyant dans la séquence actuelle un moyen de faire oublier la crise sanitaire liée au coronavirus et montrer qu’il est “prêt à transformer les six prochains mois en campagne d’intimidation”. Le site se demande quel type de réponse offriront les plateformes concernées.

Et justement, Twitter n’a pas plié, avance le New York Times. Le quotidien signale que, mercredi soir, le réseau social a ajouté, comme pour Donald Trump, la mention “vérifiez les faits” à des messages d’un porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, ainsi qu’une alerte sur des tweets propageant de fausses informations à propos du policier impliqué dans la mort d’un Afro-Américain à Minneapolis.

Mark Zuckerberg a, quant à lui, déclaré sur Fox News que “choisir de censurer une plateforme par crainte de la censure” ne lui paraissait pas “le meilleur réflexe”. Il a ajouté qu’à ses yeux Facebook et ses concurrents n’avaient pas à devenir “des arbitres de la vérité”. L’expression n’a pas plu à Jack Dorsey, le patron de Twitter.

Si l’initiative de Donald Trump a suscité de multiples critiques, elle a aussi été saluée par le sénateur républicain du Missouri Josh Hawley, rapporte Business Insider. L’ajout d’une mention à un tweet impliquerait une décision éditoriale et, à ce titre, Twitter ne serait plus un forum de discussion mais un média. Dès lors, la protection fournie par la section 230 ne se justifie plus, dit-il.

Pour régler le problème, le sénateur démocrate Chuck Schumer a proposé une solution simple au leader du monde libre : “Rendez-nous service et cessez de tweeter.” Mais Donald Trump n’envisage pas de quitter la plateforme, indique le New York Post. “Si nous avions une presse juste dans ce pays, je le ferais dans la seconde”, a-t-il assuré aux journalistes dans le Bureau ovale.

28 mai 2020

Twitter signale des tweets « trompeurs » de Trump

Twitter a signalé pour la première fois, mardi, des messages de Donald Trump comme « trompeurs ». Le réseau social, souvent accusé de laxisme dans son traitement des propos tenus par des dirigeants, a ajouté une mention « vérifiez les faits » à deux tweets du milliardaire qui affirmait que le vote par correspondance était « frauduleux ». Donald Trump a riposté en menaçant, mercredi, de « réglementer » ou de « fermer » des plateformes de réseaux sociaux.

trump et twitter

25 mai 2020

Coronavirus : Le « New York Times » consacre sa une aux morts de l’épidémie

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Les Etats-Unis se préparent à passer la barre très symbolique des 100.000 morts de l’épidémie

Pour marquer le passage imminent de la barre terrible des 100.000 morts du coronavirus aux Etats-Unis, le quotidien américain The New York Times consacre ce dimanche sa une à la mémoire d’un millier d’entre elles et évoque pour chacune ce qu’a été sa vie. « Ces 1.000 personnes ici ne représentent qu’à peine un pour cent du total. Aucune d’elles n’était un simple numéro », écrit le journal en présentant brièvement sa une, entièrement couverte d’un texte imprimé serré.

Les Etats-Unis sont le pays le plus touché par la pandémie de coronavirus, tant en nombre de morts que de cas, avec 97.048 décès pour 1.621.658 cas selon les dernières données disponibles samedi soir. Samedi, le pays a recensé 1.127 nouveaux décès en 24 heures. Le franchissement de la barre des 100.000 morts ne semble qu’une question de jours.

Des noms plutôt qu’un nombre

« Je voulais quelque chose que les gens puissent relire dans 100 ans pour comprendre le poids de ce que nous traversons », a expliqué Marc Lacey, le rédacteur en chef national du journal. Le franchissement attendu de la barre des 100.000 morts intervient sur fond de vifs débats à propos du confinement, plusieurs Etats ayant entrepris d’alléger les mesures restrictives décidées contre l’expansion de la maladie.

Le président américain Donald Trump, candidat à sa réélection en novembre, fait pression pour une relance économique, appelant des gouverneurs démocrates à « libérer » leur Etat au mépris des avertissements de ses conseillers scientifiques.

24 mai 2020

Coronavirus : Le « New York Times » consacre sa une aux morts de l’épidémie

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JOURNAL - Les Etats-Unis se préparent à passer la barre très symbolique des 100.000 morts de l’épidémie

Pour marquer le passage imminent de la barre terrible des 100.000 morts​ du coronavirus aux Etats-Unis, le quotidien américain The New York Times consacre ce dimanche sa une à la mémoire d’un millier d’entre elles et évoque pour chacune ce qu’a été sa vie. « Ces 1.000 personnes ici ne représentent qu’à peine un pour cent du total. Aucune d’elles n’était un simple numéro », écrit le journal en présentant brièvement sa une, entièrement couverte d’un texte imprimé serré.

Les Etats-Unis sont le pays le plus touché par la pandémie de coronavirus, tant en nombre de morts que de cas, avec 97.048 décès pour 1.621.658 cas selon les dernières données disponibles samedi soir. Samedi, le pays a recensé 1.127 nouveaux décès en 24 heures. Le franchissement de la barre des 100.000 morts ne semble qu’une question de jours.

Des noms plutôt qu’un nombre

« Je voulais quelque chose que les gens puissent relire dans 100 ans pour comprendre le poids de ce que nous traversons », a expliqué Marc Lacey, le rédacteur en chef national du journal. Le franchissement attendu de la barre des 100.000 morts intervient sur fond de vifs débats à propos du confinement, plusieurs Etats ayant entrepris d’alléger les mesures restrictives décidées contre l’expansion de la maladie.

Le président américain Donald Trump, candidat à sa réélection en novembre, fait pression pour une relance économique, appelant des gouverneurs démocrates à « libérer » leur Etat au mépris des avertissements de ses conseillers scientifiques.

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24 mai 2020

Etats-Unis « Soft power », fin de partie ?

Le modèle américain d’influence mondiale, qui vacillait en raison du changement de cap incarné par la présidence de Donald Trump, pourrait ne pas résister aux défis internationaux générés par la pandémie de Covid-19

GENÈVE, WASHINGTON - correspondants

Le 11 mai, Donald Trump prend la parole dans la roseraie de la Maison Blanche. « L’Amérique dirige le monde », proclament deux grands panneaux qui encadrent le président des Etats-Unis. Il n’est question que de tests de dépistage du Covid-19, mais le message est clair. Pour l’occupant du bureau Ovale, les Etats-Unis gardent leur rang, le premier.

Lenteur de la réaction de l’Etat fédéral, tergiversations du président, briefings confus… La pandémie a pourtant porté un coup sévère à l’image que les Etats-Unis aiment projeter d’eux-mêmes : celle d’une nation puissante, compétente et efficace. Donald Trump l’a écornée davantage par une série de décisions unilatérales et agressives, de la fermeture brutale des frontières américaines aux ressortissants de l’Union européenne à la suspension de la contribution financière de Washington à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), en pleine crise sanitaire mondiale, au prétexte d’un alignement de l’agence onusienne sur Pékin. Les Etats-Unis se sont d’ailleurs retrouvés totalement isolés lors de l’Assemblée mondiale de la santé, le 18 mai, où un compromis pour améliorer la coopération internationale face à la propagation du Covid-19 a été forgé par l’Union européenne et la Chine.

A cette coopération nécessaire en temps de pandémie, le président des Etats-Unis a préféré la confrontation et la compétition pour la découverte d’un vaccin. Washington a ainsi refusé de se joindre à une coalition internationale lancée par ses alliés européens, choisissant de sécuriser auprès du laboratoire français Sanofi un accès prioritaire à ses produits. Et Berlin a dû opposer en mars une fin de non-recevoir à la tentative américaine d’obtenir l’exclusivité des travaux du laboratoire CureVac, en pointe sur le Covid-19.

« Missionnaire »

Théorisé par le politologue Joseph Nye, professeur à Harvard, le soft power, cette capacité d’attraction et de persuasion qui ne repose ni sur la contrainte militaire ni sur la contrainte économique, a constitué un atout pour Washington depuis la fin de la seconde guerre mondiale. A cette époque, jugeant rétrospectivement désastreux, y compris pour ses intérêts, son retrait des affaires du monde après 1918, Washington décide de mettre en place un ordre international libéral (au sens anglo-saxon), étayé par un ensemble d’institutions multilatérales. « L’exceptionnalisme exemplaire » cultivé à l’intérieur de leurs frontières par les Etats-Unis devient alors « missionnaire », selon l’historienne des relations internationales Maya Kandel, chercheuse associée à l’université Paris-III.

La mise à l’épreuve de ce modèle américain par la pandémie coïncide avec un changement de cap incarné par la présidence de Donald Trump. Hostile à toute idée d’« exceptionnalisme », il affirme depuis toujours que les alliés de Washington abusent de son « hégémonie bienveillante » à leur seul profit et aux dépens des intérêts des Etats-Unis.

La vision stratégique américaine publiée en décembre 2017 a développé cette conviction en posant comme priorité la nécessité de « repenser les politiques des deux dernières décennies, fondées sur l’hypothèse que l’ouverture vers des rivaux » des Etats-Unis « et leur intégration dans les institutions internationales et le commerce mondial » les transformeraient en « partenaires de confiance ». « La plupart du temps, cette prémisse s’est révélée fausse », ajoutait le document, visant la stratégie d’engagement à l’égard de la Chine.

En annonçant l’ère de « l’Amérique d’abord », le président souhaite que son pays cesse d’être « la nation indispensable » telle qu’elle avait été définie, en 1998, par l’ancienne secrétaire d’Etat démocrate Madeleine Albright : « Nous voyons plus loin dans l’avenir que d’autres pays, et nous voyons le danger pour nous tous. » Lorsqu’il a présenté le premier projet de budget de l’ère Trump, résumé à un accroissement des moyens militaires aux dépens de ceux alloués à la diplomatie, le directeur du budget, Mick Mulvaney, avait d’ailleurs annoncé en 2017 un budget de « hard power ».

Dans les institutions internationales, le soft power des Etats-Unis s’exprime essentiellement par sa contribution financière. Washington accorde ainsi environ 10 milliards de dollars (9,12 milliards d’euros) à l’ONU chaque année, soit 20 % du budget de l’organisation (et soit l’équivalent du budget annuel des gardes-côtes américains). Mais le temps est désormais aux coupes franches aux Nations unies, en sus de celles visant le département d’Etat et l’Agence américaine pour le développement international (USAID), qui se heurtent cependant à un consensus bipartisan au Congrès. « Le déclin américain prend la forme d’un démantèlement en règle d’un ordre international et d’organisations internationales que les Etats-Unis avaient contribué à créer après la seconde guerre mondiale », estime un observateur onusien.

En témoigne la suspension de la contribution américaine à l’OMS, la plus importante dont bénéficie l’organisation. Sur les 553 millions de dollars alloués pour la période 2020-2021, deux tiers sont allés à des programmes de vaccination, de lutte contre le VIH et d’éradication de la poliomyélite. « Sur ces programmes, les conséquences [de cette suspension] peuvent être désastreuses. Le risque, c’est de revenir trente ans en arrière pour certaines maladies », se désole la docteure Sylvie Briand, directrice du département des maladies infectieuses pour l’OMS. « Cela va considérablement éroder l’influence américaine dans le monde, dans la santé mondiale et les affaires internationales, au milieu d’une épidémie d’une ampleur sans précédent, s’alarme encore Lawrence O. Gostin, professeur en droit de la santé mondiale à l’université de Georgetown, à Washington. Nous perdrons notre voix, et notre influence, même avec nos alliés. »

Depuis 2017, la liste des retraits et désengagements financiers et moraux s’allonge : l’accord de Paris sur le climat, l’accord sur le nucléaire iranien, le conseil des droits de l’homme, le pacte mondial sur les migrations, l’Unesco, mais aussi l’UNRWA (agence d’aide aux réfugiés palestiniens), l’Onusida, l’OMS, et d’autres ont subi l’ire présidentielle. « M. Trump n’a pas compris que le système multilatéral pouvait avoir une vertu transactionnelle. Cette attitude a un coût pour les Etats-Unis : celui d’affaiblir sa capacité à peser sur le cours des événements internationaux », note un observateur européen.

La longue liste des revers américains

Lors de l’Assemblée mondiale de la santé, qui s’est tenue les 18 et 19 mai, Washington avait deux priorités : obtenir un soutien international pour lancer une enquête immédiate sur l’origine du Covid-19 et réintroduire Taïwan à l’OMS avec un statut d’observateur. Ses deux projets ont échoué. La liste des revers américains ne cesse de s’étendre. En décembre 2017, Washington, qui venait d’annoncer le transfert de son ambassade à Jérusalem, n’a pas réussi, malgré de très fortes pressions diplomatiques, à empêcher le vote à l’Assemblée générale de l’ONU d’une résolution condamnant sa décision de reconnaître unilatéralement Jérusalem comme capitale d’Israël. En 2018, le candidat américain pour la direction de l’Organisation internationale pour les migrations (IOM), Ken Isaacs, une figure conservatrice et sulfureuse, était écarté au profit d’un Portugais. En 2019, celui que Washington soutenait pour diriger le Fonds pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) perdait au profit du candidat chinois.

Lorsque nous lui demandons, dans le bureau Ovale, à l’occasion d’une conférence de presse improvisée, le 29 avril, si Pékin ne se montre pas désormais meilleur que Washington dans ce jeu d’influence, Donald Trump se défausse sur ses prédécesseurs. « Je suppose qu’au fil des ans nous avons eu des gens qui ne se sont jamais vraiment concentrés sur ce jeu », assure-t-il alors, avant de relativiser les succès chinois (qui seraient de l’ordre « des relations publiques ») puis de revenir sur les manquements supposés de Pékin : « La Chine ne doit pas être félicitée pour ce qui s’est passé » avec le Covid-19. Donald Trump persiste aussi à propos de la suspension de la contribution américaine à l’OMS : « Vous savez, nous pouvons donner cet argent à de nombreux groupes incroyables. Il n’a pas à aller à l’OMS. Nous pouvons le donner à des groupes qui en valent la peine, et en avoir beaucoup plus pour notre argent. »

« Offensive en règle »

Pour l’historienne Maya Kandel, l’actuelle remise en cause du soft power américain plonge ses racines dans les années 1990 et l’évolution du Parti républicain, bien avant l’irruption de Donald Trump vers des positions souverainistes. « Lorsque le Grand Old Party devient majoritaire au Congrès, en 1994, il lance à cette époque une offensive en règle contre la diplomatie et le pouvoir d’influence, perçus comme un signe de faiblesse », explique-t-elle.

La fronde contre le multilatéralisme n’est certes pas nouvelle. Dans les années 1980, le président républicain Ronald Reagan avait déjà décidé de se retirer de l’Unesco, considérée en pleine guerre froide comme noyautée par les Soviétiques. En 2011, Barack Obama, qui garde l’image d’un président plus favorable au multilatéralisme, avait puni l’agence culturelle pour sa décision d’admettre la Palestine comme membre à part entière en suspendant sa contribution. L’Unesco avait perdu 20 % de son budget.

Selon l’ex-ambassadeur de France Gérard Araud, qui a pratiqué les Etats-Unis à l’ONU avant de conclure sa carrière à Washington, les Etats-Unis ont toujours redouté de devenir un « Gulliver entravé » par les institutions qu’ils ont eux-mêmes créées. Ainsi s’explique le refus de rejoindre la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, ou la Cour pénale internationale. « L’administration Obama payait sa quote-part à l’ONU, mais elle n’avait pas épongé les dettes précédentes », note le diplomate français.

Le résultat de ces efforts américains est paradoxal. Le théoricien du soft power Joseph Nye l’a d’ailleurs souligné dans une tribune publiée dans le New York Times en février, avant même que la pandémie frappe durement l’Amérique. « Le président Trump se vante d’avoir rendu sa grandeur à l’Amérique (“Make America Great Again”). Mais les faits prouvent le contraire »,écrivait-il. Il n’a pas « mis la Chine à genoux, il l’a renforcée » parce que cette dernière s’est engouffrée dans « le vide » laissé par Washington, a encore estimé en mai Pete Buttigieg, ex-candidat à l’investiture démocrate, dans une tribune publiée par le Washington Post.

« Les assauts de Trump contre les organisations internationales ont des conséquences assez minimes en termes de soft power », relativise David Sylvan, professeur de relations internationales au sein de l’Institut universitaire de hautes études internationales et du développement à Genève. « La vie est sans doute plus compliquée pour elles, mais elle continue. Si on regarde les opérations de maintien de la paix, elles sont toutes encore en place, même si elles fonctionnent avec des budgets contraints », poursuit-il. L’effacement de Washington a laissé la place à de nouveaux acteurs : l’OMS peut compter sur la générosité de la Fondation Bill et Melinda Gates, deuxième contributeur de l’organisation. A l’Unesco, dont les Etats-Unis se sont officiellement retirés en 2018, laissant un arriéré de 600 millions de dollars, des villes et des Etats américains continuent à s’engager à travers des séries de partenariats.

A Genève, qui abrite des agences onusiennes techniques telles que l’OMPI, chargée de la propriété intellectuelle, ou l’ITU, qui gère les télécommunications à l’heure de la bataille mondiale pour la 5G, on note un timide réinvestissement. Le poste d’ambassadeur de la mission des Etats-Unis auprès de l’ONU à Genève a enfin été pourvu, à la fin 2019, après presque trois années de vacance. L’enjeu est, en partie, de reprendre la main sur la gouvernance et l’intelligence artificielle, objets d’un investissement massif de la Chine.

« alliances contre nature »

« Le véritable problème au sein des organisations internationales, c’est la disparition du socle idéologique sur lequel la communauté internationale pouvait s’appuyer », analyse le professeur de relations internationales David Sylvan. Un diplomate en poste dans une agence onusienne remarque « des alliances contre nature », avec des Américains de plus en plus enclins à voter aux côtés de pays autoritaires comme la Russie, l’Arabie saoudite, la Turquie, l’Inde… A l’Unesco, la voix de l’Amérique n’est plus entendue sur des sujets-clés tels que les droits de l’homme, l’éducation, la liberté de la presse, ou les négociations en cours sur l’éthique de l’intelligence artificielle.

Le 23 avril 2019, à New York, les Etats-Unis n’ont pas hésité à torpiller une résolution portant sur les victimes de violence sexuelles, remettant ainsi en question vingt-cinq ans de combat en faveur des droits des femmes. « Il serait excessif de dire que l’Amérique a changé de camp », avait réagi Francois Delattre, alors représentant permanent de la France à l’ONU, mais « elle n’est plus le moteur qu’elle était ».

De fait, par son style non conventionnel et ses outrances, Donald Trump installe un autre modèle, bien éloigné de celui que vantaient ses prédécesseurs. Celui-ci repose sur l’éloge de la force, sur la défiance envers les contre-pouvoirs, à commencer par celui de la presse, et sur le mépris de la science, au vif plaisir des pouvoirs autoritaires qui s’inspirent de ses formules. En reconnaissant unilatéralement la souveraineté israélienne sur le plateau syrien du Golan, en mars 2019, le président des Etats-Unis a piétiné sans ménagement le droit international. Il pourrait récidiver en cas d’annexion par Israël de parties de la Cisjordanie.

Cette mue aiguise des interrogations profondes. « Depuis la guerre en Irak en 2003 et la crise financière de 2008, le sentiment assez général est que les Etats-Unis ne représentent plus le meilleur modèle », souligne un diplomate européen. Un sentiment relayé par l’indice du Soft Power 30, basé à Portland, qui mesure la capacité d’attraction des pays. En trois ans, entre 2016 et 2019, les Etats-Unis ont chuté de deux places, passant de la troisième à la cinquième, derrière la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne et la Suède.

Le soft power américain paraît donc en déclin. Si l’on compile les chiffres les plus récents, la perte de vitesse de la première puissance mondiale sur le plan de l’attractivité est notable. Les étudiants étrangers, d’après les chiffres du département d’Etat et de l’Institut international de l’éducation (IIE), étaient un peu plus de 1 million dans les universités américaines en 2018-2019, pour la quatrième année d’affilée. Cependant, leur nombre croît seulement de 0,05 % par rapport à l’année précédente et masque la baisse du nombre des premières inscriptions des étudiants étrangers les trois années précédentes. En parallèle, la réforme fiscale engagée par M. Trump en 2017 et la guerre commerciale avec la Chine ont freiné les investissements directs étrangers, qui ont diminué de 9 % en 2017, de 4 % en 2018 et qui stagnent en 2019 selon les chiffres de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement.

Les touristes aussi sont moins nombreux : s’ils étaient près de 80 millions en 2018, on constate une stagnation sur 2014-2019. Serait-ce la fin du rêve américain ? « Donald Trump n’a qu’une boussole, celle de sa politique intérieure, et il se fiche de ce qu’en pensent les autres, juge un observateur européen. L’image de l’Amérique est pourtant de plus en plus abîmée ; les Etats-unis n’apparaissent plus comme un partenaire moral et stratégique fiable. » Cette dégradation se traduit dans les chiffres du Pew Research Center, publiés en janvier : seuls 31 % des 33 pays interrogés ont « confiance » en Donald Trump (la cote d’Obama atteignait 74 %) ; 53 % ont une opinion favorable des Etats-Unis, au lieu de 64 % en 2016.

« Le soft power américain, cela reste Hollywood, la musique, les universités de l’Ivy League et les ingénieurs du monde entier qui veulent travailler dans la Silicon Valley », tempère le chercheur David Sylvan, qui ne voit dans la personnalité disruptive du président qu’un épiphénomène. Donald Trump n’a pas mobilisé les Nations unies contre le Covid-19 comme l’avait fait Barack Obama avec le virus Ebola en 2014, ce qui n’empêche pas l’ensemble de la planète de suivre la progression de la pandémie à partir des statistiques de l’université Johns Hopkins, à Baltimore (Maryland).

Génération de sceptiques

Cependant, le soft power« suppose une croyance en la supériorité du modèle américain. Or c’est bien cette croyance qui est battue en brèche, non seulement dans le monde depuis quelques décennies, mais désormais, et surtout, chez les Américains eux-mêmes, dans leur majorité et pour la première fois de leur histoire », estime Maya Kandel. Une autre étude du Pew Research Center a montré qu’en 2019 seuls 15 % des Américains âgés de 18 à 29 ans considéraient leur pays comme « au-dessus des autres » (contre 34 % des plus de 65 ans). Ils étaient par ailleurs 36 % à considérer que d’autres pays étaient « meilleurs » que le leur (un sentiment partagé par seulement 9 % de leurs aînés). Les avis des jeunes s’identifiant comme démocrates étaient encore plus sévères.

Cette génération de sceptiques est contemporaine des « guerres sans fin » en Afghanistan et au Proche-Orient, de la crise financière de 2008 et du phénomène américain des tueries de masse, notamment en milieu scolaire. Le choc sanitaire provoqué par le Covid-19 ne pouvait que mettre en évidence, dans l’opinion, les manques criants de son système de santé, quand bien même celui-ci n’a pas été submergé par la pandémie.

D’autres fissures apparaissent. Le scandale du contournement des procédures de sélection par des familles de célébrités dans de prestigieuses universités en 2019 a touché cette colonne vertébrale de l’influence américaine dans le monde. La politique malthusienne des visas que revendique l’administration Trump menace en outre l’« afflux de cerveaux » (« brain gain »), pourtant longtemps moteur du dynamisme américain dans cette nation de migrants.

Le concept de soft power, que le Parti démocrate promet de restaurer, avait été élaboré en 1990 comme une réplique à la thèse d’un déclin américain, avancée en 1987 par l’universitaire Paul Kennedy dans Naissance et déclin des grandes puissances (Payot, 1989), un livre qui avait fait grand bruit. Le recul de l’influence américaine ne peut que relancer le thème de l’affaiblissement de la première puissance mondiale. Une hantise qui taraude les Etats-Unis depuis des décennies.

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