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Jours tranquilles à Paris
26 septembre 2019

BREXIT Boris Johnson aux députés : aurez-vous le courage de me virer ?

boris44

Par Sonia Delesalle-Stolper, correspondante à Londres  

Rentré en avance de New York pour faire face au Parlement qui a rouvert mercredi contre sa volonté, le Premier ministre a offert aux élus de déclencher contre lui un vote de défiance. Le travailliste Jeremy Corbyn est contre.

Boris Johnson aux députés : aurez-vous le courage de me virer ?

Il lui reste peu de temps. Le 20 novembre, s’il est toujours Premier ministre, Boris Johnson ne pourra plus battre le record de son prédécesseur George Canning. Ce conservateur, orateur brillant et très charismatique, n’avait dirigé le gouvernement que pendant 118 petits jours. Il s’était éteint en août 1827, alors qu’il était encore en fonctions. Jusqu’à ce jour, il reste le Premier ministre britannique resté le moins longtemps à son poste. Mais Boris Johnson pourrait gagner enfin un de ses paris et lui ravir ce record, tant les dernières semaines, et surtout les derniers jours, lui ont été néfastes.

Lorsque les hélicoptères des télévisions filment en direct, rue par rue, le convoi du Premier ministre à peine débarqué de son vol en provenance de New York, le signal est limpide : l’heure est grave. Boris Johnson a quitté l’Assemblée générale des Nations unies une journée plus tôt que prévu pour une raison très simple : la justice de son pays avait sifflé la rentrée des classes. En déclarant, dans une décision historique, la suspension du Parlement «illégale, nulle et non avenue», la Cour suprême ne lui avait pas laissé le choix. Il devait se présenter au plus vite devant les députés de retour à la Chambre des communes, dès mercredi. Non sans avoir auparavant passé un coup de fil contrit - on imagine - à la reine, Elizabeth II. Le contenu de la conversation restera privé, mais la Cour suprême a, en substance, estimé que les envoyés de Boris Johnson avaient présenté à la souveraine de fausses raisons pour lui faire signer la suspension du Parlement. Des excuses s’imposaient sans doute auprès de Sa Majesté.

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26 septembre 2019

Brexit : Boris Johnson retourne au Parlement dans une ambiance explosive

boris281

Par Cécile Ducourtieux, Londres, correspondante

Hurlements, échanges au vitriol et députés menacés : le climat politique à Londres est toujours plus délétère, après le camouflet infligé par la Cour suprême au premier ministre, mardi.

A quoi ressemble un Parlement britannique, rouvert en urgence à la suite d’une décision historique de la Cour suprême ayant déclaré « illégale » sa suspension par le premier ministre ? A un vrai champ de bataille.

Mercredi 25 septembre, le spectacle était donc au rendez-vous, à la Chambre des communes, pour le premier face à face entre un Boris Johnson humilié par la plus haute juridiction du pays, et une opposition surexcitée par une victoire judiciaire sans précédent.

Il y a eu des hurlements, quantité d’échanges au vitriol, d’incessantes interruptions de séance et des « oooordeeer » en pagaille. Mais sur le fond, sur la question de savoir comment sortir de l’impasse du Brexit, le débat n’a pas avancé d’un pouce. Boris Johnson a refusé de s’excuser pour sa prorogation illégale, a continué à promettre un divorce avec l’Union européenne (UE) pour le 31 octobre, malgré l’explosion en vol de sa stratégie d’un Brexit « do or die » début septembre. Jeremy Corbyn, le chef de l’opposition, a réclamé de nouveau sa tête, mais refusé une fois de plus des élections générales immédiates.

Rentré précipitamment de New York, où il avait dû écourter sa présence à l’Assemblée générale annuelle des Nations Unies, c’est un Boris Johnson combatif, agressif même, qui est rentré dans l’arène du Parlement, mercredi soir. Mais toujours aussi évasif, sur ses intentions, voire sur son engagement à respecter les règles. La décision, prise à l’unanimité des onze juges de la Cour suprême la veille ? Le gouvernement « la respectera » assure le premier ministre ; mais il continue à dire qu’il n’est « pas d’accord » avec elle et même qu’elle « a eu tort » de se prononcer « sur une question politique ».

Le peuple contre le Parlement

S’en tiendra t-il à la loi « anti-no deal » votée par le Parlement début septembre, l’obligeant à réclamer fin octobre un décalage de trois mois du Brexit en l’absence de nouvel accord avec Bruxelles ? « Oui », mais « je réaliserai le Brexit le 31 octobre ».

Comment résoudra-t-il cette contradiction ? En décrochant un « deal », évidemment. Où en sont ses discussions avec les Européens ? On négocie « à fond » jure M. Johnson, alors que tout indique à Bruxelles que les négociations piétinent.

Prenant constamment à témoin « les gens qui nous regardent » (les débats sont retransmis en direct sur le site Web des Communes), Boris Johnson a joué de nouveau sa partition, maintenant bien rodée, du peuple contre le Parlement. Ce Parlement est « paralysé », « la vérité, c’est qu’il ne veut pas le Brexit », l’opposition « sabote » ses négociations avec Bruxelles, mais lui, et son gouvernement « ne vont pas trahir les gens », qui réclament juste que le référendum de juin 2016 soit respecté.

En début d’après midi, Geoffrey Cox, envoyé en éclaireur aux Communes, avait lâché des coups encore plus violents. Ce Parlement « est une honte », « il ne devrait plus siéger, il n’en a moralement pas le droit », avait accusé l’attorney general. Il faut dire que la veille au soir, la chaîne Sky News révélait que, consulté par Boris Johnson, M. Cox avait considéré fin août que la prorogation du Parlement était « en ligne avec la Constitution »… Les députés de l’opposition ? « Ils ont eu déjà deux fois l’occasion de voter la dissolution du Parlement, mais ils ne l’ont pas fait. Ce sont des lâches », ajoutait M. Cox, hors de lui.

Impasse

Boris Johnson a déjà échoué deux fois, début septembre (juste avant le début de la prorogation du Parlement), à décrocher une majorité des deux tiers de la Chambre pour aller vers des élections générales, dont il semble penser qu’elles sont le seul moyen, pour lui et pour son parti, de sortir de l’impasse. Mais mercredi, là encore, les paramètres du débat n’ont pas varié d’un pouce.

« Si, je veux des élections générales », a répondu Jérémy Corbin, le leader des travaillistes, pris à partie par M. Johnson, qui l’accusait d’avoir « peur de les perdre ». « Evidemment que je les souhaite. Mais c’est bien simple : ramenez-nous [de Bruxelles] un décalage de la date du Brexit, et on ira aux élections ! », a ajouté le patron du Labour. Dans son sillage, les députés travaillistes et SNP (indépendantistes écossais), ont réclamé le départ de M. Johnson, ou du moins, des « excuses publiques » pour cette prorogation déclarée illégale.

Le moment le plus pénible de cette soirée, qui n’en a pas manqué, fut sans doute celui où, à l’élue Labour Paula Sherriff, qui lui demandait de modérer ses propos, expliquant qu’elle recevait des menaces de mort, Boris Johnson a répondu « n’avoir jamais entendu de telles sornettes ». Mme Sherriff était une amie de Jo Cox, députée travailliste assassinée par un forcené d’extrême droite une semaine avant le référendum de 2016.

Profonde crise nationale

Elle avait les larmes aux yeux, mercredi soir, tout comme Anna Soubry, ex-députée conservatrice passée chez les indépendants, qui a raconté les menaces dont étaient victimes son compagnon et sa mère. Ou Jo Swinson, la chef des Libéraux démocrates, qui a avoué, juste après le départ de M. Johnson de la Chambre, avoir dû appeler la police un peu plus tôt dans la journée, à la suite de menaces proférées contre son enfant.

Grave, John Bercow, le président de la Chambre, a conclu cette séance encore plus frustrante et délétère que d’habitude en donnant raison à ces élues : « Je suis conscient que les femmes et les députés issus de minorités sont tout particulièrement ciblés par les menaces. » Traîtres, menteurs, capitulation… Dans cette période de profonde crise nationale, « chacun d’entre nous doit user de mots avec responsabilité, et montrer le plus de respect possible pour l’autre camp », a ajouté le speaker, dans un climat enfin apaisé. Mais pour combien de temps ?

25 septembre 2019

Brexit : la Cour suprême inflige un camouflet judiciaire majeur à Boris Johnson

boris44

Par Cécile Ducourtieux, Londres, correspondante

Les juges ont annulé la suspension du Parlement décrétée par le premier ministre conservateur, plongeant le royaume dans une nouvelle tourmente politique.

Historique. Le mot n’est pas trop fort. La Cour suprême britannique a pris une décision historique, mardi 24 septembre, qui va trouver sa place dans les annales politiques du Royaume-Uni. En déclarant illégale, à l’unanimité de ses onze juges, la décision du premier ministre, Boris Johnson, de suspendre cinq semaines (entre le 9 septembre et le 14 octobre) le Parlement britannique, et en ajoutant que cette suspension n’avait pas eu d’effet et que le Parlement pouvait siéger à nouveau immédiatement, la plus haute juridiction du pays a infligé un énorme camouflet à Boris Johnson.

Mardi, 10 h 30. Ponctuels, les onze juges de la Cour suprême ont pris place derrière leur bureau en demi-cercle. Malgré la pluie, les caméras de télévision s’agglutinent déjà sur le parvis du bâtiment néogothique qui sert de siège à l’institution, à un jet de pierre du Parlement de Westminster. La présidente, Lady Hale, 74 ans, est d’abord inaudible : les micros ne fonctionnent pas, le site Web de la Cour est en panne. Cette jeune institution (elle siège depuis 2009) n’a guère l’habitude d’une telle attention médiatique.

Recommandation « illégale »

Vite, le son revient. Très calme, Lady Hale rappelle d’abord le calendrier des faits : 28 août, Boris Johnson décide la « prorogation » du Parlement et recommande cette suspension à la reine, qui l’approuve. Il est d’usage que le souverain ne s’oppose pas aux décisions du gouvernement. Dans la foulée, les premières plaintes sont déposées : devant la Haute Cour écossaise, par un groupe d’une soixantaine d’élus, et devant son équivalent pour l’Angleterre et le Pays de Galles, par l’activiste anti-Brexit Gina Miller.

Pédagogue, la présidente Hale déroule ensuite son raisonnement. Oui, la Cour a jugé qu’elle pouvait prendre position sur le caractère légal ou non de la recommandation de Boris Johnson à la reine. Début septembre, la Haute Cour anglaise avait pourtant estimé que sa décision de suspendre le Parlement était par « essence politique » et que les juges n’avaient pas à s’en mêler.

Lady Hale ajoute surtout que cette recommandation « était illégale » car « elle a eu pour effet d’entraver la capacité du Parlement à exercer ses fonctions démocratiques, et ce, sans justification rationnelle ». Fin août, M. Johnson avait expliqué avoir besoin de temps pour concocter un programme de réformes, qu’il comptait présenter aux élus le 14 octobre. Mais il n’avait fourni à la Cour aucune déclaration sous serment confirmant ses intentions.

Les plaignants, qui contestaient la suspension, et surtout sa longueur, accusaient le premier ministre d’avoir voulu bâillonner les élus à un moment crucial, à quelques semaines seulement du Brexit, prévu théoriquement le 31 octobre. Lady Hale et ses dix collègues leur ont donné raison sur toute la ligne. « L’effet sur les fondements de notre démocratie » de cette suspension, empêchant les élus d’exercer leur devoir de surveillance de l’exécutif, « ont été extrêmes », a asséné la présidente.

« LE VERDICT D’AUJOURD’HUI CONFIRME QUE NOUS SOMMES UN PAYS SOUMIS À LA LOI ET QUE PERSONNE N’EST AU-DESSUS DE LA LOI »

A l’issue, la semaine dernière, de trois jours de plaidoiries éprouvantes pour les avocats du premier ministre, ses nombreux détracteurs espéraient bien que les juges le mettraient en difficulté. Mais ils n’attendaient pas une décision aussi maximaliste de la Cour, qui plus est, prise à l’unanimité.

« Le verdict d’aujourd’hui confirme que nous sommes un pays soumis à la loi et que personne n’est au-dessus de la loi, y compris le premier ministre. Le Parlement n’a pas été suspendu ! », s’est félicitée Mme Miller au sortir de la Cour. Mardi, cette femme d’affaires déterminée enregistrait ainsi une deuxième victoire : c’était elle, déjà, qui avait décroché une décision décisive de l’institution, fin 2016, contraignant le gouvernement de Theresa May à donner aux députés le dernier mot sur le déclenchement du Brexit.

La conférence annuelle du Labour écourtée

A Brighton, les chroniqueurs politiques des grands médias britanniques, venus dans la station balnéaire couvrir le congrès des travaillistes, n’en reviennent pas non plus.

Dans la salle pleine à craquer de délégués, Jeremy Corbyn prend le micro des mains de sa shadow secrétaire à l’industrie, que plus personne n’écoute. Tout sourire, il appelle Boris Johnson à la démission immédiate. « Il ne peut pas s’asseoir sur la démocratie ! Il va devenir le premier ministre au mandat le plus court de l’histoire », se réjouit le leader du Labour, trop heureux que l’attention des journalistes se détourne de son parti miné par les divisions autour du Brexit. « Johnson out ! Johnson out ! », scandent les délégués à ses pieds.

M. Corbyn leur fait savoir dans la foulée qu’il abrège son séjour à Brighton. Direction Westminster. Car John Bercow, le « speaker » de la Chambre des communes vient de faire savoir qu’il reconvoque les élus dès le mercredi, en fin de matinée. Lui aussi vit une nouvelle heure de gloire, mardi. Depuis des mois, il défend les droits des élus à faire entendre leur voix sur la question du Brexit, et avait qualifié, début septembre, la prorogation « d’outrage constitutionnel ». Comme l’a dit Lady Hale mardi, le Parlement n’a tout simplement « pas été prorogé ». Illégale, la décision de M. Johnson est aussi considérée comme nulle. « Une feuille blanche », a même précisé la présidente de la Cour.

En déplacement à New York, pour l’Assemblée générale des Nations unies, Boris Johnson a été réveillé très tôt par la mauvaise nouvelle. Jouant la sérénité, il avait répondu la veille à des journalistes qui l’interrogeaient sur sa réaction en cas de décision de la Cour en sa défaveur : « Il m’en faut beaucoup pour être nerveux en ce moment. » « Mon gouvernement respectera la loi et les juges », ajoutait-il, précisant qu’il ne comptait pas démissionner.

Mardi, Boris Johnson ne s’est cependant pas contenté d’encaisser la décision des juges : « Je ne suis absolument pas d’accord avec leur conclusion », a t-il protesté, tout en rappelant qu’il la « respecterait ». Réaliser le Brexit le 31 octobre « reste sa priorité » et « clairement les plaignants dans ce cas sont déterminés à stopper le Brexit », a ajouté un premier ministre jouant à nouveau la partition de la volonté du peuple contre celle des élus.

L’autorité du premier ministre gravement entamée

C’est la ligne défendue par son premier conseiller, Dominic Cummings, un des artisans de la victoire du camp du « Leave » en 2016, devenu la tête de turc des « Remainers ». Réputé sans scrupule, il pense que tout ce qui affaiblit son premier ministre dans sa volonté de réaliser le divorce avec l’Europe renforce la colère des « Leavers » à l’endroit des élus et des juges.

« Dominic Cummings doit partir », réclamait le président du parti du Brexit, Nigel Farage, mardi matin. « Drôle de moment : voilà que je suis d’accord avec Nigel », ajoutait dans un tweet le conservateur modéré David Gauke.

Mardi soir, des sources à Downing Street faisaient cependant savoir que M. Johnson abrégeait son séjour new-yorkais, pour apparaître à Westminster mercredi.

Car il y a le feu : l’autorité du chef du gouvernement paraît désormais gravement entamée. « Plus personne ne peut croire ce premier ministre », a asséné M. Corbyn, mardi après-midi, concluant, avec vingt-quatre heures d’avance, la conférence annuelle de son parti.

Boris Johnson a perdu sa majorité début septembre. Sa stratégie d’un Brexit « Do or Die » a été bloquée une première fois par le Parlement juste avant qu’il soit prorogé (une loi l’oblige désormais à réclamer à Bruxelles un décalage de trois mois du Brexit, à janvier 2020, ce qu’il refuse). Quant aux négociations avec Bruxelles pour aboutir à un accord de divorce, elles n’ont pas avancé d’un pouce.

L’opposition va t-elle tenter un vote de défiance ? Elle hésite. N’est-ce pas ce que souhaite désormais M. Johnson pour tenter de sortir de l’impasse dans laquelle il s’est mis tout seul en à peine deux mois à Downing Street ?

Depuis New York, il a réclamé à nouveau une élection générale. Pas sûr que les travaillistes lui fassent ce plaisir, du moins pas dans l’immédiat. Ils sont apparus profondément divisés à Brighton, incapables d’adopter collectivement une franche ligne « Remain ». La priorité, d’ici à fin octobre, « est de bloquer un no deal », a insisté M. Corbyn.

La démocratie parlementaire considérablement sécurisée

Dans cette période tourmentée depuis le référendum de 2016, les onze juges de la Cour suprême ont marqué l’histoire en sécurisant considérablement la démocratie parlementaire britannique et en définissant très clairement la balance des pouvoirs entre le Parlement et le gouvernement.

Dans un pays où la Constitution n’est pas codifiée, ils ont joué en quelque sorte le rôle de juges d’une Cour constitutionnelle. « La souveraineté » et la « responsabilité » du Parlement britannique sont « deux principes fondamentaux de la Constitution britannique », a rappelé Lady Hale.

« Le Parlement produit des lois auxquelles chacun doit se tenir. (…) Le fait que le premier ministre, son gouvernement et son cabinet soient collectivement responsables et redevables devant le Parlement est au cœur de la démocratie de Westminster. »

Et le Brexit dans tout ça ? La décision de la Cour rend encore plus improbable l’hypothèse d’un « no deal » à la fin octobre. Comment, après un tel revers judiciaire, M. Johnson pourrait-il défier la loi parlementaire l’obligeant à réclamer un délai, en l’absence d’accord avec Bruxelles le 18 octobre ?

Pour autant, le Parlement s’est jusqu’à présent montré incapable de faire émerger une majorité pour sortir de l’impasse du Brexit : un nouveau référendum, un nouvel accord avec les Européens, voire une révocation pure et simple du processus du divorce…

17 septembre 2019

Brexit : la stratégie de Boris Johnson paraît toujours aussi illisible

Par Virginie Malingre, Bruxelles, bureau européen, Cécile Ducourtieux, Londres, correspondante

La rencontre entre le premier ministre britannique et le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, lundi, ne semble pas avoir permis de débloquer la situation.

Ils ne s’étaient pas encore rencontrés depuis que Boris Johnson a remplacé Theresa May au 10 Downing Street. Finalement, alors que Londres et Bruxelles doivent trouver un accord avant le 31 octobre s’ils veulent éviter une sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE) sans accord (ou un énième report du divorce), le premier ministre britannique a demandé à rencontrer Jean-Claude Juncker, le président de la Commission.

Lundi 16 septembre, les deux hommes ont partagé leur déjeuner – œuf bio mollet suivi d’un lieu jaune – dans un restaurant à Luxembourg. Michel Barnier, le négociateur en chef du Brexit pour les Vingt-Sept, ainsi que Stephen Barclay, le secrétaire britannique, étaient également autour de la table.

On ne sait pas si les deux dirigeants ont appris à s’apprécier – l’entourage de M. Juncker a qualifié d’« amicale » la rencontre, quand celui de M. Johnson l’a dite « constructive » – mais, à écouter leurs déclarations à son issue, il ne semble pas que ce rendez-vous a permis de débloquer la situation.

« Oui, nous sommes prêts d’un accord », a lancé le premier ministre britannique, invitant l’Europe à « bouger ». Il n’y a « pas de proposition sur la table », a pour sa part commenté laconiquement la Commission, donnant donc une interprétation radicalement différente de l’avancée du dossier.

Intensifier les négociations

Les deux parties ont en tout cas convenu d’intensifier les négociations à 45 jours de l’échéance du 31 octobre. Celles-ci devraient désormais se tenir à un rythme quotidien – et non plus deux jours par semaine – et pas seulement à un niveau technique, mais sous l’égide de MM. Barnier et Barclay.

La Commission exige que Londres présente des solutions alternatives à l’accord qui a été négocié et que le Parlement britannique a rejeté à trois reprises. En cause, le « backstop », qui doit permettre d’éviter le retour d’une frontière physique entre l’Irlande du Nord, qui fait partie de la couronne, et la République d’Irlande, membre de l’UE, et donc de respecter les Accords du vendredi saint, tout en gardant le Royaume-Uni dans un « territoire douanier unique ». Inacceptable pour M. Johnson, qui veut que son pays soit à même de négocier des accords commerciaux bilatéraux avec qui bon lui semble.

Le premier ministre luxembourgeois, Xavier Bettel, qui a rencontré son homologue britannique dans l’après-midi, s’est montré bien plus virulent que M. Juncker. « L’heure tourne, arrêtez de parler, agissez », a-t-il lancé, lors d’une conférence de presse qu’il a finalement animée tout seul. M. Johnson avait en effet préféré ne pas y assister, en raison du tapage causé par une manifestation proeuropéenne à deux pas des deux dirigeants. « Ne faites pas de l’UE le méchant de l’histoire, a poursuivi M. Bettel, haussant le ton à l’égard du chef de gouvernement tory : On ne peut pas prendre l’avenir en otage pour des motifs politiciens. »

A six semaines du Brexit, la stratégie de M. Johnson parait toujours aussi illisible. Ces dix derniers jours, des sources à Downing Street ont pourtant laissé entendre qu’il serait prêt à envisager un « backstop » limité à l’Irlande du Nord. Auquel cas, seule Belfast, et non l’ensemble du Royaume, resterait dans le marché unique. Un schéma que Bruxelles avait initialement proposé à Theresa May et qu’elle avait exclu, sur pression de son petit partenaire de coalition, le parti unioniste nord-irlandais DUP, craignant qu’il n’ouvre la porte à une réunification des deux Irlandes. Pour l’heure, Londres a fait un premier pas vers cette solution, en envisageant de continuer à appliquer les normes européennes en matière sanitaire et phytosanitaire en Irlande du nord.

Aucune proposition concrète

Lundi, à Luxembourg, en tout cas, M. Johnson n’a fait aucune proposition concrète. Dès lors, la même question demeure, depuis sa prise de fonction : souhaite-t-il vraiment renégocier l’accord de Theresa May avec Bruxelles ? Ou continue-t-il à bluffer, en espérant que ses futurs ex-partenaires renonceront à toute forme de « backstop » à la veille d’un Brexit sans accord, de peur d’un « no deal » dont les dégâts seraient ravageurs ?

M. Johnson, qui se compare au super-héros Hulk dans sa bataille pour libérer son pays des entraves européennes, a une nouvelle fois fait savoir, lundi, qu’il entendait quitter l’UE au 31 octobre. Et qu’il ne réclamerait pas de troisième report du Brexit alors que la loi britannique l’y contraint : Westminster a, en effet, voté un texte qui l’oblige à formuler cette demande à Bruxelles à partir du 19 octobre, c’est-à-dire après le sommet européen des 17 et 18 octobre, s’il n’est pas parvenu à renégocier un accord d’ici là.

« J’obéirai à la loi », a-t-il assuré à Laura Kuenssberg, la cheffe du service politique de la BBC, qui avait fait le déplacement à Luxembourg. « Comment ? En la contournant ? », lui a demandé la journaliste. « Ce sont vos propres mots », a esquivé le premier ministre, qui s’est dit « juste un petit peu plus optimiste », à l’issue de son déjeuner luxembourgeois, « que ce matin »…

« Johnson est obligé de dire qu’il veut trouver un accord, puisque Westminster a voté une loi l’obligeant à demander un report », explique un haut fonctionnaire européen. « Soit on fait partie d’une stratégie électorale de Johnson, soit il veut vraiment un accord. On ne le saura pas avant le sommet », poursuit-il.

Lundi soir, la presse britannique, qui semble avoir renoncé elle aussi à comprendre les intentions cachées de M. Johnson, insistait surtout sur « l’humiliation » qu’il aurait subie au Luxembourg, le premier ministre du Grand-Duché, Xavier Bettel, ayant choisi de répondre à la presse sans lui. Il a été pris « en embuscade », vitupérait le Daily Telegraph, très en faveur du chef du gouvernement, qui fut l’un de ses ex-chroniqueurs.

7 septembre 2019

Récit - Brexit : récit d’une folle semaine entre Boris Johnson et le Parlement

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Par Enora Ollivier

Le premier ministre britannique avait commencé la semaine en position de force. Mais plusieurs épisodes l’ont affaibli et ont contrecarré son projet de « Brexit dur » le 31 octobre.

Boris Jonhson n’a cessé de le répéter : le Brexit aura lieu, quoi qu’il advienne, le 31 octobre. A l’issue de cette semaine riche en coups de théâtre et péripéties politiques, peut-il être toujours aussi affirmatif ? En quelques jours, après l’annonce très controversée de la suspension du Parlement pendant plusieurs semaines, le premier ministre, en poste depuis six petites semaines, a perdu sa majorité absolue et semé le doute dans son camp.

Lundi 2 septembre – L’avertissement de « BoJo »

Veille de rentrée parlementaire au Royaume-Uni. Devant le 10 Downing Street, Boris Jonhson fait une allocution de quatre minutes, sans que sa voix ne puisse couvrir intégralement le brouhaha : non loin de là, des manifestants clament « Stop the coup ! » pour dénoncer la décision du premier ministre de suspendre les débats au Parlement pendant cinq semaines avant le Brexit, fixé au 31 octobre.

Boris Johnson affiche sa fermeté face la colère qui bout également dans son camp. Il encourage les députés conservateurs qui menacent de voter « avec Jeremy Corbyn », le chef du Parti travailliste, à renoncer à leur projet et à ne pas demander « un autre report inutile » de la date de départ de l’Union européenne (UE). Le premier ministre assure qu’il négocie avec les Européens pour trouver un accord de sortie avant le 31 octobre – ce dont doutent très sérieusement l’opposition et les rebelles tories. Mais il insiste : « Je ne demanderai à Bruxelles de report dans aucune circonstance. Nous partirons le 31 octobre, il n’y a pas de “si” ou de “mais”. »

Mardi 3 septembre – La défaite et la purge

En pleine séance, lors de la prise de parole de Boris Johnson, le député conservateur Phillip Lee va s’asseoir sur les bancs des libéraux-démocrates. L’élu fait défection en direct, Boris Johnson perd sa majorité absolue, qui ne tenait littéralement qu’à un fil, lors de sa rentrée au Parlement : l’image, frappante, donne le ton de ce qui va être une semaine pour le moins éprouvante.

La Chambre des communes est en ébullition. Le député travailliste Hilary Benn dépose un projet de loi dont le but est d’empêcher une sortie de l’UE le 31 octobre sans accord. Le texte demande un report du Brexit au 31 janvier 2020 si, comme cela est probable, aucun accord n’est trouvé d’ici au 19 octobre (soit au lendemain du sommet européen décisif des 17 et 18 octobre).

Pour être étudié et soumis au vote, les opposants à un « no deal » doivent prendre le contrôle de l’ordre législatif. C’est chose faite dans la soirée quand une motion est adoptée par 328 voix contre 301. Une claque pour Boris Johnson, qui voit 21 conservateurs rebelles lui tourner le dos. Parmi eux : le petit-fils de Winston Churchill, neuf anciens ministres, dont l’ex-chancelier de l’échiquier (finances) et le « Father of the House », Kenneth Clarke, député depuis bientôt cinquante ans… Qu’importe, le premier ministre met ses menaces à exécution et ces 21 frondeurs sont aussitôt exclus de leur parti.

Après ce revers, Boris Jonhson n’a d’autre choix que de proposer des élections législatives anticipées. Mais une telle option requiert les deux tiers des voix des députés…

Au cœur de cette journée historique, une autre image, chargée de symboles, fait le tour des médias : la position du « leadeur » de la Chambre des communes, Jacob Rees-Mogg, allongé nonchalamment sur le banc du premier rang. L’opposition voit dans l’attitude de cet homme, « brexiter » convaincu, un symbole de la morgue et du mépris des institutions du gouvernement.

Mercredi 4 septembre – Nouvelle mise à l’épreuve

Retour dans la nasse pour « BoJo ». La loi visant à empêcher une sortie sans accord le 31 octobre est adoptée confortablement (327 voix contre 298), grâce à l’alliance de circonstance des travaillistes, des libéraux, des indépendantistes écossais et des désormais ex-tories « rebelles ». Le texte est transmis à la Chambre des lords, qui devrait l’adopter d’ici à lundi, avant la suspension du Parlement décidée par le premier ministre.

Boris Johnson encaisse un deuxième coup dur dans la journée : le rejet de la motion ouvrant la voix à des élections anticipées le 15 octobre. L’opposition juge la date dangereuse, à deux semaines du jour prévu du Brexit. Dans la Chambre des communes, Jeremy Corbyn pointe un « piège » et le « cynisme » du gouvernement.

Sur les bancs, l’ancienne première ministre, Theresa May, qui a démissionné après avoir échoué à faire voter par le Parlement l’accord de sortie négocié avec Bruxelles, ne se prive pas d’apparaître souriante au côté de Kenneth Clarke, l’ancien ministre et député élu depuis 1970, exclu la veille des tories pour rébellion. La purge de la veille pèse dans le camp conservateur…

Jeudi 5 septembre – Lâché par son frère Jo, Boris persévère

Pas de débats à la Chambre des communes en cette journée, ce qui n’empêche pas son lot de rebondissements. A la mi-journée, Jo Johnson, le frère de Boris Johnson, annonce qu’il quitte ses fonctions de ministre et de député. Opposé à un « no deal », favorable à un second référendum, il se dit « déchiré entre la loyauté à l’égard de [sa] famille et l’intérêt national ».

Dans le même temps, le premier ministre annonce pour lundi soir un nouveau vote sur la tenue de législatives anticipées, se mettant à nouveau au défi de réunir deux tiers des voix des députés.

« Je préférerais être mort au fond d’un fossé » plutôt que de demander un nouveau report du Brexit, déclare plus tard Boris Johnson, maintenant contre vents et marées sa position de fermeté.

Vendredi 6 septembre – Le « no deal » écarté, l’opposition toujours opposée à des élections en octobre

La loi empêchant un « no deal » est adoptée par la Chambre des lords. Le texte, qui doit être approuvé par la reine Elisabeth II lundi – une formalité – entrera en vigueur le même jour.

L’opposition, favorable sur le principe à des élections, a fait de l’assurance que le Brexit se fasse dans le cadre d’un accord avec l’UE un préalable. Pour autant, les partis concernés annoncent qu’ils rejetteront à nouveau la proposition de M. Johnson d’organiser des élections le 15 octobre, souhaitant que le gouvernement demande un report de la sortie de l’UE à Bruxelles.

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6 septembre 2019

Brexit : la stratégie de Boris Johnson au Parlement tourne au chaos

Par Cécile Ducourtieux, Londres, correspondante

Les députés ont voté contre l’avis du premier ministre, mercredi, un texte demandant le report de la sortie de l’UE au 31 janvier 2020. Ils ont également rejeté sa proposition d’élections le 15 octobre.

Boris Johnson, déjà la sortie de route ? Mercredi 4 septembre, six semaines à peine après son arrivée à Downing Street, le premier ministre britannique a perdu la maîtrise de sa stratégie sur le Brexit, celle de son calendrier et même celle de son propre camp, en pleine crise interne.

La veille déjà, Boris Johnson avait encaissé coup sur coup la défection d’une vingtaine de tories de premier plan, perdu sa majorité et cédé le contrôle de l’agenda législatif à la Chambre des communes. « Il y aura des bosses sur la route », avait-il prévenu fin août, à propos d’un éventuel « no deal » ou d’une négociation commerciale avec les Etats-Unis. Avait-il prévu d’être aussi secoué, et aussi vite 

La surprise n’est pas totale, mais la claque quand même sonore. Mercredi, vers 17 heures, les députés britanniques infligent à M. Johnson son deuxième camouflet législatif en deux jours, votant à une majorité jugée confortable (28 voix) une loi l’obligeant à aller quémander un report de la date du Brexit au 31 janvier 2020. Le but ? Eviter une sortie sans accord le 31 octobre, brutale et très dommageable pour l’économie britannique.

Une « loi défaitiste »

Aux Communes, Boris Johnson a beau rouler des yeux, dénoncer une « loi défaitiste », jurer qu’il travaille toujours à un accord avec Bruxelles, l’Alliance du « non au no deal », cet attelage improbable constitué des travaillistes, des libéraux, des indépendantistes écossais, et des « rebelles » conservateurs, tient bon. C’en est presque fini du Brexit « do or die » (maintenant ou jamais) promis par le premier ministre pour Hallowen.

La deuxième défaite de la journée est encore plus cinglante pour le locataire du 10 Downing Street. M. Johnson avait prévenu : si les députés devaient l’obliger à demander un report du Brexit à Bruxelles, il réclamerait immédiatement des élections générales, le 15 octobre, via une dissolution du Parlement. Mais cette dernière ne peut advenir qu’avec les deux tiers des voix aux Communes. Or, en fin de soirée mercredi, le compte n’y est pas du tout… M. Johnson avait besoin de 434 voix, il n’en obtient que 298.

Les votes travaillistes, indispensables, manquent largement à l’appel. Pris à partie par un Boris Johnson électrique, Jeremy Corbyn explique avoir voulu éviter un « piège ». « C’est un mouvement cynique de la part d’un premier ministre cynique », ajoute le leader travailliste, dans une Chambre des communes survoltée, les yeux braqués sur son premier adversaire politique. « Notre priorité est d’éviter un “no deal”, de terminer d’adopter ce texte de loi [anti-“no deal”] », assure encore M. Corbyn.

La date du 15 octobre jugée trop risquée

« Il est devenu le premier leader de l’opposition dans l’histoire démocratique de notre parti à refuser des élections générales. Je ne peux m’empêcher de penser que la seule raison pour laquelle il refuse, c’est qu’il pense qu’il va perdre », éructe Boris Johnson. Le chef des travaillistes rêve pourtant d’élections générales depuis deux ans. Tout comme les lib-dems, les Verts, et le SNP, le parti nationaliste écossais. Mais tous refusent cette date du 15 octobre, jugée trop risquée. Si M. Johnson était réélu, ce jour-là, avec une majorité confortable, rien ne l’empêcherait de passer la loi anti-« no deal » imposée par les députés aux oubliettes et de laisser le pays sortir brutalement de l’UE le 31 octobre, sans accord avec Bruxelles… Dans les rangs de l’opposition, personne ne fait plus confiance à M. Johnson.

Plus grave pour lui : ce mercredi, la défiance à son égard a encore monté d’un cran dans ses propres rangs. L’expulsion, la veille au soir des vingt et un élus tories « rebelles » ne passe vraiment pas chez les conservateurs. « Au nom de tout ce qui est sacré, n’y a t-il donc pas de place au sein des conservateurs pour Nicholas Soames, un officier et un gentleman ? » : c’est Ruth Davidson qui ouvre le bal, mercredi matin, en faisant référence au petit-fils de Winston Churchill, recalé des bancs conservateurs par M. Johnson la veille, après trente-six ans de mandature, pour avoir voté contre le gouvernement. La jeune femme, ex-chef de file des conservateurs écossais, a passé la main fin août, mais reste une voix très écoutée dans le parti.

Les « rebelles » tirent aussi à vue, et bruyamment sur le premier ministre. « Je suis un conservateur passionné, mais voir les principes du parti mis à la poubelle me consterne », assène le très sérieux Dominic Grieve, ex-attorney general (haut magistrat conseiller juridique du gouvernement), qui s’est échappé de la Chambre des communes, et participe à un rassemblement de militants anti-Brexit, devant les grilles du Parlement. Les manifestants approuvent en hurlant : « Oh Dominic Grieve ! Oh Jeremy Corbyn ! »

Grosse boulette

Aux Communes, Kenneth Clarke a lui aussi droit, à plusieurs reprises dans l’après-midi, aux hommages appuyés de l’opposition. Comment le « father of Parliament » a t-il pu être « sorti » des rangs conservateurs, alors qu’il siège depuis… 1970 dans la très vénérable Chambre ? M. Johnson est « maintenant premier ministre, il a une très grande responsabilité, je lui demande d’arrêter de traiter tout cela comme un jeu », lui assène M. Clarke, deux rangs derrière lui à la Chambre, en plein débat.

M. Johnson a t-il commis une grosse boulette en procédant à une telle « purge », à la veille de probables élections générales où toutes les voix tories compteront, y compris celles des modérés ? A t-il trop écouté Dominic Cummings, son principal conseiller, architecte de sa stratégie « do or die », et considéré comme un idéologue du Brexit ? « La grande Margaret Thatcher avait dit une fois que les conseillers conseillent et les dirigeants dirigent », souligne aux Communes Margot James, une des élues « rebelles » mise à l’index. Le Telegraph, bien renseigné sur M. Cummings, rapporte mercredi soir que les relations se sont brusquement tendues entre le premier ministre et l’ex-directeur de la campagne « Leave » en 2016.

Le doute gagnerait-il à Downing Street ? Il y a une semaine tout juste, le premier ministre semblait en position de force : il venait d’annoncer la suspension du Parlement pendant cinq longues semaines, à partir du 9 septembre, afin de mieux neutraliser des élus réfractaires au « no deal ». Désormais, il est à la tête d’un gouvernement sans majorité, avec un Parlement qui dit non à presque tout : les élus ont voté trois fois contre l’accord de Theresa May, ils ne veulent pas d’un « no deal », ni d’élections générales à la date avancée par M. Johnson.

Comment le premier ministre peut-il s’extraire d’un tel piège ? Il aurait intérêt désormais à laisser le texte anti-« no deal » suivre son cours et être définitivement adopté par la Chambre des lords, afin d’espérer récupérer les voix travaillistes pour sa motion de dissolution du Parlement. Puis de faire campagne en jouant au dirigeant bridé par un Parlement favorable à l’UE et sourd au vote populaire de 2016, qui a saboté sa stratégie de négociation avec Bruxelles… « Il n’a pas encore perdu, la politique britannique est devenue extrêmement volatile et les travaillistes sont très divisés », estime Anand Menon, professeur de politique européenne au King’s College.

Ironie de l’histoire : s’il joue cette option, Boris Johnson se trouve pris de court par sa propre décision de suspendre le Parlement à partir du 9 septembre au soir : il faut que d’ici là, la loi anti « no deal » et sa motion visant à provoquer les élections aient eu le temps d’être traitées. A moins que l’opposition aille au vote de défiance, qu’elle a de bonnes chances de gagner, en tout début de semaine prochaine… Qui comprend encore quelque chose à la bataille du Brexit, hors de la bulle de Westminster ?

4 septembre 2019

La lettre politique de Laurent Joffrin

BoJo le clown

Voilà au moins un Premier ministre qui ne recule pas devant l’action. Remarquable parcours que celui de ce leader à l’efficacité redoutable. En quelques jours, Boris-la-Tempête a fait souffler sur la vie politique britannique le même vent qui semble en permanence agiter sa chevelure. Il a fait éclater son parti, perdu sa majorité à la Chambre des communes, jeté le Parlement dans l’insurrection et divisé son pays comme jamais depuis Cromwell. Tout cela au nom d’une renégociation avec l’Union européenne aussi tangible que le monstre du Loch Ness. Comme le dit son principal conseiller, Dominic Cummings, architecte de cette stratégie de la terre brûlée, cité par le Daily Telegraph (pro-Brexit), ces discussions avec les Européens ne sont «qu’une mascarade». Il est vrai qu’elles portent sur une frontière irlandaise dont Johnson, avec une clarté limpide, dit qu’elle existera sans exister tout en exist ant. Pour arranger les choses, il ne cesse de comparer sa situation à celle de Winston Churchill en 1940, ce qui revient à confondre l’Union européenne avec le régime nazi, assimilation qui ne risque pas d’amadouer les négociateurs européens. Du coup ses adversaires ont complété son surnom : Johnson a été rebaptisé «BoJo le clown».

Il ne lui reste qu’une porte de sortie : provoquer des élections générales. Mais il faut pour cela les deux tiers des voix du Parlement. Pour l’instant, il est à moins de la moitié. S’il échoue dans cette dernière entreprise, il ne lui restera plus qu’à démissionner, ce qui en fera le Premier ministre le plus éphémère de l’histoire britannique.

Comme toujours dans la grammaire populiste, cette course folle est menée au nom de la souveraineté du peuple. Nouvelle escroquerie intellectuelle : personne aujourd’hui ne peut dire si l’hypothèse du hard Brexit est majoritaire au sein d’une opinion profondément divisée. Les Britanniques, certes, ont voté pour le Brexit. Mais ont-ils choisi une rupture dans la douleur, ou bien pour une sortie négociée ? Mystère. Le retour devant les électeurs semble logique : si Johnson remporte les élections générales (ce n’est pas impossible, tant est grande la lassitude de l’opinion devant le pandémonium du Brexit), il aura alors tout loisir d’imposer sa politique. Mais en attendant, il est contraint, non par le «complot des élites», mais par la loi britannique. Pour dissoudre le Parlement, il doit recueillir son accord. C’est tout le problème des populistes : ils se réclament de la démocratie. Or ce système suppose une combinaison entre souveraine té populaire et état de droit. Le règne de la majorité, essentiel, est limité par les lois. Au-delà, nous entrons dans la tyrannie, serait-elle populaire. Tel est le drame de BoJo : comme César, il voudrait contraindre les élus. Mais il confond le Rubicon et la Tamise.

LAURENT JOFFRIN

4 septembre 2019

Brexit : Boris Johnson a perdu un vote crucial au Parlement

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Par Raphaëlle Bacqué, Cécile Ducourtieux, Londres, correspondante

Les opposants au « no deal » comptent bien faire adopter, mercredi, une législation obligeant le premier ministre à aller quémander un report du divorce avec l’UE.

Encore une folle journée en direct de Brexitland. Elle s’est particulièrement mal déroulée pour Boris Johnson, mardi 3 septembre. Et la soirée fut pire encore. En l’espace de quelques heures, pour sa première confrontation avec le Parlement revenu de vacances, le premier ministre britannique a perdu ce qu’il lui restait de majorité à la Chambre des communes. Echoué à éviter une véritable rébellion dans son propre camp conservateur, et perdu une sacrée manche face aux opposés au « no deal », qui ont réussi à prendre le contrôle de l’ordre du jour législatif. Ces élus comptent bien faire adopter mercredi 4 septembre une législation l’obligeant à aller quémander un report du divorce avec l’Union européenne (UE).

« Oooooorder ! » Boris Johnson vient de prendre la parole à la Chambre, il est 15 h 30, et John Bercow, le président, qui n’a rien perdu de sa puissance vocale pendant la pause estivale, aboie déjà. Les députés sont chauffés à blanc. La décision du premier ministre, fin août, de fermer le Parlement pour cinq longues semaines juste avant le Brexit ne passe toujours pas. Tout comme les menaces tous azimuts, proférées par son entourage, de ne pas respecter une initiative parlementaire visant à bloquer un « no deal », ou de priver d’investiture les tories qui voteraient cette loi : elles ont au contraire galvanisé les conservateurs « rebelles ».

« Je négocie un accord avec Bruxelles [le premier ministre dit vouloir une suppression du “backstop” irlandais], il n’y aura pas de décalage supplémentaire et inutile du Brexit », articule le premier ministre, la voix couverte par les « noooo » de l’opposition. « Jamais jusqu’à présent, les Communes n’ont forcé un premier ministre à accepter ainsi une loi [anti- « no deal »]. Cela va permettre à l’UE de garder le Royaume-Uni en son sein, et à ses propres conditions ! C’est une loi défaitiste », ajoute nerveusement M. Johnson, dans un clin d’œil très appuyé au fameux « We shall never surrender », de Winston Churchill, son grand homme.

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Une « mascarade »

Le gouvernement travaille d’arrache-pied à un nouvel accord avec Bruxelles, jure encore le dirigeant, toujours sous les huées des députés, ceux de l’opposition, qui lui font face mais aussi les « backbenchers » (de l’« arrière-banc »), dans son dos, ces élus de son propre camp, qui n’hésitent plus à le défier en public. Ils sont nombreux à penser que le gouvernement n’a en réalité qu’une seule stratégie : le « no deal ». Prouvez-nous que vous négociez, lui lance Philip Hammond, l’ex-chancelier de l’échiquier de Theresa May, un poids lourd du parti, « et publiez les propositions que vous comptez faire à Bruxelles ! ».

Les révélations du Telegraph, la veille au soir, ont eu le temps d’infuser dans les labyrinthiques couloirs de Westminster. Le quotidien, pourtant très proche de la « ligne Boris », rapporte qu’au cours d’une réunion de cabinet, Dominic Cummings, principal conseiller de M. Johnson, a assuré que les négociations avec l’UE n’étaient qu’une « mascarade »…

La rue est également très animée. Dès la fin de la matinée, des manifestants brandissant le plus souvent des drapeaux européens se sont rassemblés devant les caméras de télévision installées face à Westminster bardé d’échafaudages. Cette fois, ils ont ajouté à leurs anathèmes habituels contre le Brexit – « Bollocks to Brexit ! » est l’un de leurs slogans les plus enjoués − des attaques contre le premier ministre et sa volonté de suspendre le Parlement. « Stop the coup ! » scandent-ils devant les effigies de Boris Johnson, affublé d’un nez rouge et rebaptisé « Bojo the clown ».

Quelques dizaines de partisans de la sortie de l’Union européenne sont pourtant venus rappeler le résultat du référendum. « We voted leave » (« Nous avons voté pour sortir [de l’UE] »), « In democracy, a majority is a majority » (« En démocratie, la majorité est la majorité »). On s’interpelle d’un bord à l’autre, mais en évitant toutefois une confrontation physique, tant les camps sont irréconciliables depuis que le référendum a coupé en deux le pays, il y a trois ans.

Spéculations sur l’imminence d’une élection générale

Mais le spectacle le plus surprenant reste à l’intérieur des Communes. En pleine allocution de M. Johnson, Philip Lee, un député conservateur, membre du parti depuis 1992, fait défection en direct. Le premier ministre perd instantanément la seule voix de majorité qui lui reste. L’élu fait son entrée dans la salle, semble hésiter, et choisit de prendre place, à droite, dans les rangs des Lib-dem. « Il a traversé la salle », jubile Joe Swinson, la toute nouvelle leader des Libéraux-démocrates, qui compte bien profiter de la guerre civile chez les tories. Dans sa lettre de démission, rendue publique en fin d’après-midi, M. Lee a des mots très durs : « Le Brexit a transformé ce qui fut un grand parti en quelque chose qui ressemble davantage désormais à une faction […] infectée par le populisme et le nationalisme anglais. »

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Les spéculations sur l’imminence d’une élection générale, remontent en flèche. Si l’opposition tentait un vote de défiance dans les jours qui viennent, elle aurait désormais de bonnes chances de le gagner. A deux pas de la salle des débats, les porte-parole du gouvernement, aux abois, briefent les journalistes. Dans un coin, Dominic Cummings observe la scène. En chemise ouverte sur jean gris, franchement pas l’uniforme de rigueur à Westminster. L’ex-directeur de la campagne Leave, en 2016, est devenu la cible des manifestants, qui l’accusent d’être derrière le « coup », la suspension du Parlement (elle devrait être effective du 9 septembre au 14 octobre).

Dehors, les manifestants ont appris en direct, sur leurs téléphones, la défection du député conservateur Philip Lee. « Traîtres ! On s’en souviendra lorsqu’il faudra voter ! », réagissent aussitôt les manifestants pro-Brexit avec des cris de rage, furieux de ce nouveau soubresaut parlementaire qui contrevient à leurs yeux à l’expression de la souveraineté populaire. Les pro-européens, eux, ne savent pas trop s’il faut se réjouir, déjà maintes fois douchés dans leurs espoirs. Alors ils entonnent pour la énième fois de la journée, l’hymne européen emprunté à la neuvième symphonie de Beethoven, en chœur, et sans se lasser.

La voie semble libre pour un vote positif

Dans la soirée, les rangs des « rebelles » conservateurs grossissent… Les médias britanniques font le décompte, élu par élu. Philip Hammond, Dominic Grieve, Greg Clark… Seize « rebelles », dix-sept en comptant M. Lee. Assez pour prendre le contrôle de l’agenda législatif à la Chambre.

A 23 heures, le couperet tombe : une confortable majorité (27 voix) a voté la motion pour prendre le contrôle de la Chambre, dont pas moins de 21 députés conservateurs, pour beaucoup anciens ministres. La voie semble libre pour un vote, également positif, mercredi, sur le texte imposant le report du Brexit au premier ministre.

Quelques instants plus tard, dans une séquence politique probablement inévitable, mais tout de même complètement inédite, M. Johnson confirme que si cette loi anti « no deal » passe, il proposera dans la foulée la dissolution du Parlement pour convoquer des élections générales. En parallèle, Downing Street fait savoir que les 21 « rebelles » vont devoir quitter les bancs conservateurs, y compris M. Hammond qui était encore chancelier de l’échiquier en juillet, et Sir Nicholas Soames, le petit-fils de Winston Churchill…

M. Johnson a besoin des deux tiers des voix aux Communes pour dissoudre le Parlement. Impossible sans celles des travaillistes. Jeremy Corbyn acceptera-t-il de relever le gant ? Oui, mais pas avant d’avoir obtenu que la loi anti « no deal » ne soit proprement ratifiée, a répondu le chef de parti mardi soir. Une manière évidemment d’affaiblir le premier ministre avant de se lancer à corps perdu en campagne…

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1 septembre 2019

Reportage - A Londres, des milliers de manifestants ont défilé contre un « abus de démocratie »

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Par Cécile Ducourtieux, Londres, correspondante

Ils ont dénoncé, samedi, la suspension du Parlement britannique par Boris Johnson, avec le sentiment de vivre un moment crucial pour l’avenir de leur pays.

« Cette fois, c’est différent, c’est notre démocratie qui est en jeu. » Pourquoi sont-ils descendus dans la rue par milliers, et ont-ils convergé une fois de plus devant Downing Street, ce samedi 31 août à midi ? Beaucoup de manifestants londoniens répondent la même chose : au-delà du Brexit et de la peur du « no deal », c’est la décision de Boris Johnson de suspendre le Parlement britannique pour cinq longues semaines, à une période cruciale dans l’histoire du pays, qui ne passe vraiment pas.

Helen Swaffield porte à bout de bras une pancarte avec un slogan tout simple « I love Parliament » crayonné au feutre rouge. La dame, une cinquantaine d’années, est avocate de profession. « Je suis remainer [partisane du maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne], mais je respecte le vote du référendum de 2016. Par contre, je ne respecte pas la prorogation [la décision de suspension de Westminster]. C’est un acte désespéré de notre premier ministre, il nous a fait des déclarations fausses pour couvrir ses réelles intentions. »

La Londonienne estime que Boris Johnson « agit en dictateur élu. Ce qu’il a décidé la semaine dernière, c’est sans précédent. Je suis attachée aux manifestations pacifiques, mais si cela ne marche vraiment pas, alors, oui, peut-être, il faudra bloquer les ponts et les routes. » Le mouvement « Momentum », proche du leader travailliste Jeremy Corbyn, a appelé l’avant-veille les Britanniques à la « désobéissance civique ». Samedi, quelques dizaines de ses militants ont bloqué brièvement le pont de Westminster. La police, discrète, a laissé faire. D’autres ont fait un sit-in à Trafalgar Square. En fin d’après-midi, la police confirmait cependant trois interpellations.

« Citoyens ordinaires »

Aleks, 56 ans, sans pancarte ni aucun sticker sur son tee-shirt orange, nous interrompt gentiment en désignant le panneau d’Helen : « Vous voyez, elle a été faite en carton d’emballage. Nous sommes des gens ordinaires. » Pas des militants. Aleks est lui aussi remainer, mais « c’est la première fois que je manifeste », nous assure-t-il. « Personne n’a voté pour Boris Johnson [propulsé à Downing Street après avoir été élu par les seuls tories à la tête du parti conservateur, le chef du parti qui commande une majorité au Parlement devenant, selon les institutions britanniques, premier ministre], mais la démocratie est en jeu, et ce qu’il a fait est un abus de démocratie. »

Une estrade a été montée, un peu plus loin sur Whitehall, la rue menant directement à Westminster, noire de monde. Laura Parker, une des coordinatrices de Momentum, y invite des « citoyens ordinaires », remainers, brexiters, à hurler leur colère au micro.

Dans la foule, trop loin pour entendre, Amy, 31 ans, brandit un « just No » sur sa pancarte. Elle est venue avec son compagnon et son petit garçon. La jeune femme ne pense pas que « les députés font forcément bien leur travail, mais ils doivent pouvoir faire entendre leur voix ». Elle essayera de revenir manifester la semaine prochaine. Une nouvelle mobilisation est prévue, devant Westminster, le 3 septembre, pour la rentrée parlementaire, après la trêve estivale. Les députés risquent de ne pas pouvoir siéger plus d’une toute petite semaine.

« Un moment crucial de notre histoire »

Clare, la trentaine, elle aussi « reviendra dans la rue la semaine prochaine, même si cela ne sert à rien », ajoute la jeune femme. Tom, la vingtaine, scande des « No one voted for Boris [personne n’a voté pour Boris] ! » avec son amie et le reste de la foule. « C’est la première fois que je participe à ces manifestations. Je suis OK pour que le Royaume-Uni quitte l’Union européenne, mais là, ce qui se joue est différent, nous sommes à un moment crucial de notre histoire. »

Maggie et son mari Nick sont originaires de l’Essex, au nord-est de Londres. Ce sont des remainers convaincus, eux aussi défilent pour leur démocratie parlementaire. « Je devais manifester pour pouvoir regarder mes enfants dans les yeux », dit Maggie. Nick, professeur de français, compte sur John Bercow, le président de la Chambre des communes, pour aider les députés à faire entendre leur voix dans le faible laps de temps qu’il leur reste avant le 31 octobre, et malgré la suspension décidée par l’occupant de Downing Street. « Je crois qu’il le peut. » M. Bercow a traité d’« outrage constitutionnel » la suspension du Parlement décidée par M. Johnson.

29 août 2019

Analyse - En suspendant le Parlement britannique, Boris Johnson aggrave la crise du Brexit

Par Cécile Ducourtieux, Londres, correspondante

La décision du premier ministre va drastiquement limiter la marge de manœuvre des parlementaires « comploteurs ».

College Green, le parc public qui fait face à Westminster, s’est très rapidement couvert de monde. Familles de vacanciers, députés, activistes, cadres tout juste sortis du bureau… Il est 17 h 30, mercredi 28 août, il fait encore beau à Londres, ils sont plusieurs milliers à s’être spontanément rassemblés dans ce lieu emblématique des manifestations anti-Brexit, face au Parlement britannique et ils scandent à pleine gorge : « Stop the coup ! Stop the coup ! Stop the coup ! [arrêtons le coup d’Etat !] ».

Le matin même, le premier ministre, Boris Johnson, a créé la surprise en annonçant la suspension du Parlement britannique pour cinq semaines, à partir de début septembre (entre le 9 et le 12) et jusqu’au 14 octobre, ne laissant plus aux députés qu’une petite semaine, début septembre, puis une quinzaine de jours, fin octobre, pour discuter d’un deal ou d’un « no deal » (Brexit sans accord) avant le couperet du 31 octobre.

Limiter la marge de manœuvre des « comploteurs »

Le but du premier ministre, qui répète tous les jours qu’il veut réaliser le divorce avec l’Union européenne (UE) dans les temps, paraît évident. Sa décision, qui a été approuvée par la reine dans l’après-midi, mercredi (la souveraine n’avait pas d’autre choix) va drastiquement limiter la marge de manœuvre des parlementaires « comploteurs », qui souhaitaient mettre à profit le mois de septembre pour faire dérailler un éventuel « no deal ». Ils ne pourront pas débattre du Brexit avant le 21 octobre, 10 jours avant l’échéance, ont calculé les médias britanniques…

Mardi 27 août, une centaine de députés dont des travaillistes, des Libdem, des Verts, des indépendantistes écossais et quelques transfuges de chez les conservateurs, avaient justement réussi à mettre leurs divisions de côté pour signer une « déclaration de Church House » afin de faire dérailler une sortie sans accord de l’UE.

« Il ne s’agit pas du tout d’empêcher les parlementaires de stopper un no deal », s’est défendu M. Johnson, mercredi. « Ils auront amplement le temps », en octobre, de débattre « de l’UE, du Brexit, et de tous les autres sujets d’actualité. » L’argument n’a pas franchement porté dans un pays qui a littéralement vu naître la démocratie parlementaire, et où la Chambre des Communes est couramment désignée comme la « mother of Parliaments » (« la mère des Parlements »).

Sa décision a au contraire suscité une très grosse émotion, logiquement, chez les députés, à un moment pourtant crucial de l’histoire nationale. Mais aussi chez tous les opposants au divorce avec l’UE et au « no deal », qui ont crié au déni de démocratie. Comment le Brexit, censé rendre leur souveraineté aux législateurs britanniques et les libérer du « joug » de la cour européenne de justice, a-t-il pu être dévoyé à ce point ?

Sans compter que ce premier ministre, fermant d’autorité le Parlement, n’a été élu par la population, mais désigné par moins de 180 000 adhérents conservateurs ? A en croire un sondage à chaud, mené par l’institut YouGov, mercredi, 47 % des personnes interrogées considéraient comme « inacceptable » une suspension du Parlement en pleine crise du Brexit, contre seulement 27 % estimant le contraire. La pétition « Do not prorogue Parliament », mise en ligne en fin d’après midi mercredi, avait dépassé le million de signatures en soirée.

« Il faut qu’on occupe le Parlement ! »

« Je suis folle de rage ! Ce Parlement est le nôtre, pas celui de Boris ! », hurle Eloise Todd, une trentenaire, dans un micro qui circule sur la pelouse de College Green. « Il compte sur le fait qu’on ne va pas bouger, qu’on va rester silencieux ! Mais on va se battre, jusqu’au bout, pour révoquer cette suspension ! », ajoute la militante anti-Brexit, habituée du lieu. Même colère chez Michael, un jeune cadre, qui explique « avoir passé la journée au bureau à trépigner » et « avait besoin de sortir, de manifester ce soir ». Car « ce qui est en jeu, c’est bien plus que le Brexit, c’est notre démocratie ! Il faut qu’on occupe le Parlement ! ». Debby, une cinquantenaire en short lui succède : « Boris dit vouloir défendre la démocratie en fermant le Parlement, vous y croyez, vous ? Noooon !!! »

Traditionnellement neutre, mais concerné au premier chef, John Bercow, le président de la Chambre des communes, a dénoncé « un outrage constitutionnel », car « il est parfaitement évident que l’objet de cette prorogation [suspension] est d’empêcher le Parlement de débattre du Brexit et de faire son devoir ». La décision de M. Johnson est « profondément antidémocratique », a pointé pour sa part Philip Hammond, l’ex-chancelier de l’Echiquier, conservateur comme le premier ministre, et notoirement opposé au « no deal ». Même réaction outrée de Lord Michael Heseltine, ex-député et figure respectée chez les conservateurs : « Un gouvernement qui a peur du Parlement a peur de la démocratie. J’espère que tous les députés, conscients de cette humiliation, vont utiliser tous les moyens légaux et les armes constitutionnelles pour bloquer [cette décision]. »

La suspension du Parlement est-elle légale ? Au-delà de l’émotion, la question était aussi sur toutes les lèvres mercredi. Dans un pays sans constitution codifiée, où les institutions se reposent sur la tradition pour fonctionner, la réponse n’a rien d’évident. « Cette [prorogation] suspension du Parlement n’est pas anticonstitutionnelle », estime Georgina Wright, experte du think tank Institute for government. « Il est dans les usages qu’un nouveau premier ministre convoque un nouveau Parlement en mettant fin à une cession parlementaire en cours. Mais en général, la prorogation ne dure pas aussi longtemps », ajoute l’experte. D’habitude, pas plus d’une semaine : il faut remonter à 1945, dans l’histoire récente du Royaume-Uni, pour trouver une suspension d’une telle durée.

Caractère « extraordinaire » de la décision

Très respectée, la constitutionnaliste Meg Russell a quand même pointé, au micro de la BBC, le caractère « extraordinaire » de la décision du premier ministre et marqué très nettement sa réprobation. « Le Royaume-Uni a toujours eu une constitution politique, non écrite. Mais cette constitution politique repose sur le fait que ses principaux acteurs respectent les traditions. A ignorer les précédents, spécialement en temps de crise, on peut dire que le premier ministre agit de manière inconstitutionnelle », a-t-elle expliqué.

Quelles seront, dans les jours qui viennent, les conséquences du « coup » de Boris Johnson ? Va t-il rajouter à la confusion nationale, la crise démocratique et politique se doublant désormais d’une profonde crise institutionnelle ? Et quid du rôle de la reine, traditionnellement au-dessus des partis, qui a bien pris garde jusqu’à présent de se laisser entraîner dans le tourbillon du Brexit ? Va-t-elle devoir prendre position ? Mercredi, Joe Swinson, la présidente des Libdem, et Jeremy Corbyn, le leader des travaillistes, ont réclamé une audience royale « urgente », pour empêcher la manœuvre du premier ministre.

La suspension annoncée va probablement galvaniser les opposants à un « no deal » et les opposants au Brexit, désormais conscients de l’extrême urgence à agir. Une première réplique, judiciaire, se dessinait dès mercredi soir. Quelques dizaines de députés remainers et des avocats, dont la militante anti-Brexit Gina Miller, comptaient, selon les médias britanniques, saisir la Haute Cour de justice britannique sur la décision de M. Johnson, espérant un barrage pur et simple.

Au Parlement, qui siégera à nouveau le 3 septembre après la pause estivale, une course contre la montre va également s’engager. Mardi, les députés d’opposition ne voulant pas d’un « no deal » s’étaient entendus sur une stratégie législative, une « prise de contrôle » de l’agenda parlementaire. Le but : amender une proposition de loi et obliger le gouvernement à réclamer à Bruxelles un décalage de la date du Brexit. La manœuvre avait déjà été tentée au printemps, avec succès, mais elle avait nécessité de longues semaines de tractations. Elle paraît désormais irréaliste, au vu du temps imparti.

Les commentateurs pariaient plutôt, ces dernières heures, sur l’organisation d’un vote de confiance contre M. Johnson. Les anti- « no-deal » avaient repoussé ce scénario à plus tard ces derniers jours, de peur, s’ils parvenaient à leurs fins, d’installer malgré eux Jeremy Corbyn au 10 Downing Street. S’ils s’en saisissent de nouveau, il s’agira de convaincre les députés conservateurs « remainers » (anti-Brexit), de s’y associer. Ce qui n’a rien d’évident : leur loyauté serait mise à rude épreuve dans un parti ou cette valeur est cardinale. Mais sans ces effectifs tory, les opposants à un « no deal » n’atteindront pas la majorité requise. « Il va devenir de plus en plus difficile pour des gens comme moi de conserver notre confiance dans ce gouvernement », a déclaré l’ancien procureur général Dominic Grieve, une des figures des conservateurs anti-Brexit.

Avec sa décision controversée, le premier ministre, souvent caricaturé comme un bouffon en Europe, a en tout cas démontré une étonnante détermination. Et un total cynisme. « Si les députés parviennent à faire aboutir un vote de confiance, la semaine prochaine, nous ne démissionnerons pas », assurait une source gouvernementale anonyme citée par le Financial Times, mercredi… « Nous dissoudrons le Parlement et appellerons à des élections générales entre le 1er et le 5 novembre. » Qui de Boris Johnson ou des parlementaires, des brexiters ou des opposants à un « no deal », gagnera la bataille ? Elle s’annonce en tout cas historique, et saignante.

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