Boris Johnson prudent après les promesses d’un « très grand accord commercial » de Donald Trump
Par Cécile Ducourtieux, Londres, correspondante
Un accord avec Washington, qui n’a rien d’évident, risque d’avoir un coût politique, voire géopolitique, élevé.
Même stature imposante, même chevelure blonde, même aisance face aux caméras, l’humour en plus côté britannique… Donald Trump et Boris Johnson ont affiché leur proximité, dimanche 25 août au G7 de Biarritz, pour leur premier tête à tête depuis la désignation de M. Johnson au 10 Downing Street. L’enjeu était considérable pour ce dernier, qui répète quotidiennement que le divorce d’avec l’Union européenne (UE) aura bien lieu le 31 octobre, et qui a fait d’un renforcement de la « special relationship » avec les Etats-Unis le cœur de son argumentaire de « Brexiter ».
Pourtant, celui que Donald Trump, appelle sans rire le « British Trump » – « c’est un fantastique premier ministre », a t-il aussi ajouté à Biarritz (Pyrénées-Atlantiques) – a paru inhabituellement prudent. M. Trump lui a promis un « très grand accord commercial (…) plus grand qu’il n’y en a jamais eu » avec le Royaume-Uni, et ce, « sous un an ». Le Britannique a répondu que ce « fantastic deal » n’irait pas sans « quelques obstacles ».
Un peu plus tôt dans la journée, il avait souligné, auprès des médias britanniques, à quel point les Etats-Unis étaient encore fermés aux produits nationaux. « Je ne sais pas si les gens réalisent à quel point ils peuvent parfois être protectionnistes. Des discussions difficiles nous attendent car pour l’instant, je ne crois pas que nous vendions une seule pièce de mouton ou de bœuf aux Etats-Unis. »
Un accord qui n’a rien d’évident
M. Johnson ne l’ignore pas, ni les experts, les médias britanniques, et en partie son opposition travailliste, déjà en alerte : un accord avec Washington, n’a rien d’évident. Si tant est qu’il aboutisse, il risque en outre d’avoir un coût conséquent : politique, voire géopolitique.
D’un strict point de vue commercial, les intérêts des deux pays ne sont pas forcément alignés. Washington cherche surtout à vendre davantage de produits agricoles américains sur les marchés européens (et donc britannique), très protégés, alors que Londres espère un accès aux marchés publics américains, ultrafermés. « Un petit groupe de conservateurs britanniques pousse pour un accord avec les Etats-Unis. Mais leur posture est avant tout idéologique », souligne David Henig, directeur du European Centre for International Political Economy (ECIPE) à Londres. « Il n’y a que des gains économiques faibles à espérer d’un tel accord. Si M. Trump acceptait de lever le “Buy American act” [préférence pour les produits américains], au profit de Londres, cela changerait la donne. Mais c’est très improbable », ajoute l’expert.
Par ailleurs, comme l’a rappelé David Warren, ex-ambassadeur britannique au Japon, sur le plateau de Sky News dimanche, « il est bon qu’existe une bonne alchimie entre MM. Johnson et Trump [...] » mais « ce dernier ne peut conclure un accord seul, le Congrès américain a son mot à dire ». Or « il n’y a aucune chance qu’il approuve un accord avec le Royaume-Uni si le Brexit remet en cause le traité de paix en Irlande du Nord », avait prévenu la démocrate Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des représentants, mi-août. La menace est très claire pour M. Johnson, qui réclame aux Européens un abandon du « backstop », l’assurance contre le retour d’une frontière en Irlande, condition pour Bruxelles de la sauvegarde des accords de paix nord-irlandais.
L’UE, partenaire commercial loin devant les Etats-Unis
Enfin, un éventuel accord transatlantique ne compensera pas la facture probablement salée d’un no deal avec les Européens. Les Etats-Unis sont certes un partenaire conséquent du Royaume-Uni qui y exportait pour 100 milliards de livres de biens en 2016 (soit 110 milliards d’euros), selon l’office national des statistiques britanniques, mais pas le premier : c’est de loin l’UE, destinataire de presque la moitié des exportations nationales.
Dans la foulée du passage à Londres mi-août du conseiller à la sécurité de M. Trump, John Bolton, les médias britanniques ont aussi souligné le risque que M. Trump ne formule des exigences difficiles, pour le prix d’un accord. Le bannissement des produits du géant chinois des télécoms Huawei, par exemple ; l’abandon de la « taxe digitale » britannique, équivalent de la taxe digitale à la française, que le président américain considère comme une mesure « anti-américaine » ; voire un alignement sur la politique iranienne et russe de Washington. Emmanuel Macron a même osé évoquer, lors de sa rencontre avec M. Johnson le 22 août, un risque de « vassalisation » du Royaume-Uni vis-à-vis de Washington. Une expression dure très mal accueillie par les « Brexiters ».
Prudent, M. Johnson a cité, dimanche, lors d’un point presse commun avec le président du Conseil européen Donald Tusk, « l’Iran, la Russie, le libre-échange, Hongkong », comme autant d’exemples de la « proximité » de son pays avec l’UE. Et écarté l’ouverture du système de santé britannique, le NHS, véritable totem national, aux firmes américaines. « Nous avons une complète unanimité sur ce point [avec M. Trump] », a assuré le Britannique depuis Biarritz. Il lui faudra beaucoup de souplesse dans les mois qui viennent pour continuer à cultiver sa relation avec M. Trump, sans tourner complètement le dos à ses partenaires européens, ni affaiblir les intérêts nationaux de son pays.