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Jours tranquilles à Paris
26 août 2019

Boris Johnson prudent après les promesses d’un « très grand accord commercial » de Donald Trump

Par Cécile Ducourtieux, Londres, correspondante

Un accord avec Washington, qui n’a rien d’évident, risque d’avoir un coût politique, voire géopolitique, élevé.

Même stature imposante, même chevelure blonde, même aisance face aux caméras, l’humour en plus côté britannique… Donald Trump et Boris Johnson ont affiché leur proximité, dimanche 25 août au G7 de Biarritz, pour leur premier tête à tête depuis la désignation de M. Johnson au 10 Downing Street. L’enjeu était considérable pour ce dernier, qui répète quotidiennement que le divorce d’avec l’Union européenne (UE) aura bien lieu le 31 octobre, et qui a fait d’un renforcement de la « special relationship » avec les Etats-Unis le cœur de son argumentaire de « Brexiter ».

Pourtant, celui que Donald Trump, appelle sans rire le « British Trump » – « c’est un fantastique premier ministre », a t-il aussi ajouté à Biarritz (Pyrénées-Atlantiques) – a paru inhabituellement prudent. M. Trump lui a promis un « très grand accord commercial (…) plus grand qu’il n’y en a jamais eu » avec le Royaume-Uni, et ce, « sous un an ». Le Britannique a répondu que ce « fantastic deal » n’irait pas sans « quelques obstacles ».

Un peu plus tôt dans la journée, il avait souligné, auprès des médias britanniques, à quel point les Etats-Unis étaient encore fermés aux produits nationaux. « Je ne sais pas si les gens réalisent à quel point ils peuvent parfois être protectionnistes. Des discussions difficiles nous attendent car pour l’instant, je ne crois pas que nous vendions une seule pièce de mouton ou de bœuf aux Etats-Unis. »

Un accord qui n’a rien d’évident

M. Johnson ne l’ignore pas, ni les experts, les médias britanniques, et en partie son opposition travailliste, déjà en alerte : un accord avec Washington, n’a rien d’évident. Si tant est qu’il aboutisse, il risque en outre d’avoir un coût conséquent : politique, voire géopolitique.

D’un strict point de vue commercial, les intérêts des deux pays ne sont pas forcément alignés. Washington cherche surtout à vendre davantage de produits agricoles américains sur les marchés européens (et donc britannique), très protégés, alors que Londres espère un accès aux marchés publics américains, ultrafermés. « Un petit groupe de conservateurs britanniques pousse pour un accord avec les Etats-Unis. Mais leur posture est avant tout idéologique », souligne David Henig, directeur du European Centre for International Political Economy (ECIPE) à Londres. « Il n’y a que des gains économiques faibles à espérer d’un tel accord. Si M. Trump acceptait de lever le “Buy American act” [préférence pour les produits américains], au profit de Londres, cela changerait la donne. Mais c’est très improbable », ajoute l’expert.

Par ailleurs, comme l’a rappelé David Warren, ex-ambassadeur britannique au Japon, sur le plateau de Sky News dimanche, « il est bon qu’existe une bonne alchimie entre MM. Johnson et Trump [...] » mais « ce dernier ne peut conclure un accord seul, le Congrès américain a son mot à dire ». Or « il n’y a aucune chance qu’il approuve un accord avec le Royaume-Uni si le Brexit remet en cause le traité de paix en Irlande du Nord », avait prévenu la démocrate Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des représentants, mi-août. La menace est très claire pour M. Johnson, qui réclame aux Européens un abandon du « backstop », l’assurance contre le retour d’une frontière en Irlande, condition pour Bruxelles de la sauvegarde des accords de paix nord-irlandais.

L’UE, partenaire commercial loin devant les Etats-Unis

Enfin, un éventuel accord transatlantique ne compensera pas la facture probablement salée d’un no deal avec les Européens. Les Etats-Unis sont certes un partenaire conséquent du Royaume-Uni qui y exportait pour 100 milliards de livres de biens en 2016 (soit 110 milliards d’euros), selon l’office national des statistiques britanniques, mais pas le premier : c’est de loin l’UE, destinataire de presque la moitié des exportations nationales.

Dans la foulée du passage à Londres mi-août du conseiller à la sécurité de M. Trump, John Bolton, les médias britanniques ont aussi souligné le risque que M. Trump ne formule des exigences difficiles, pour le prix d’un accord. Le bannissement des produits du géant chinois des télécoms Huawei, par exemple ; l’abandon de la « taxe digitale » britannique, équivalent de la taxe digitale à la française, que le président américain considère comme une mesure « anti-américaine » ; voire un alignement sur la politique iranienne et russe de Washington. Emmanuel Macron a même osé évoquer, lors de sa rencontre avec M. Johnson le 22 août, un risque de « vassalisation » du Royaume-Uni vis-à-vis de Washington. Une expression dure très mal accueillie par les « Brexiters ».

Prudent, M. Johnson a cité, dimanche, lors d’un point presse commun avec le président du Conseil européen Donald Tusk, « l’Iran, la Russie, le libre-échange, Hongkong », comme autant d’exemples de la « proximité » de son pays avec l’UE. Et écarté l’ouverture du système de santé britannique, le NHS, véritable totem national, aux firmes américaines. « Nous avons une complète unanimité sur ce point [avec M. Trump] », a assuré le Britannique depuis Biarritz. Il lui faudra beaucoup de souplesse dans les mois qui viennent pour continuer à cultiver sa relation avec M. Trump, sans tourner complètement le dos à ses partenaires européens, ni affaiblir les intérêts nationaux de son pays.

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23 août 2019

ANALYSE - Boris Johnson tourne à vide vers le «hard Brexit»

boris80

Lors de la rencontre avec le Premier ministre, Boris Johnson, jeudi à Paris, le président Macron est resté ferme concernant les négociations sur le Brexit. Photo Albert Facelly 

Le Premier ministre britannique, reçu jeudi à Paris par Macron, enchaîne les fins de non-recevoir plus ou moins polies de la part des dirigeants politiques européens. Malgré les négociations, chacun semble se préparer à la perspective du «no deal».

  Boris Johnson tourne à vide vers le «hard Brexit»

Les chances d’un «hard Brexit», une sortie de l’Union européenne sans accord, «sont de l’ordre d’un pour un million», prophétisait le 29 juin un Boris Johnson alors encore candidat à la direction du Parti conservateur. Le «no deal» semble pourtant de plus en plus proche. «Tous les éléments objectifs sont là, note Aurélien Antoine, professeur de droit public à l’université Jean-Monnet de Saint-Etienne et directeur de l’Observatoire du Brexit. Les reports de la date de sortie, l’arrivée au pouvoir de Boris Johnson, le recrutement de douaniers en France, le rappel des fonctionnaires britanniques de Bruxelles : d’un côté comme de l’autre, on s’y est préparé.»

A deux jours du G7 auquel il doit participer, le Premier ministre britannique a rencontré jeudi le président français à Paris. La veille, il s’était entretenu avec Angela Merkel, laquelle avait laissé entrevoir une possible négociation d’un nouvel accord «dans les trente prochains jours». Face à Emmanuel Macron, le nouveau locataire du 10, Downing Street a une nouvelle fois tenté d’imposer sa vision du Royaume-Uni et du Brexit, martelée à outrance sur Twitter : «Nous allons quitter l’UE le 31 octobre et faire de ce pays le meilleur au monde pour y vivre», assénait-il encore mercredi sur le réseau social.

«Marge de manœuvre»

«Je veux un accord. Je pense que nous pouvons avoir un accord et un bon accord», a répété Boris Johnson jeudi en s’adressant à Emmanuel Macron. Lequel, malgré un ton plus conciliant, est resté droit dans ses bottes. S’il affirme croire à la possibilité «de trouver quelque chose d’intelligent», le président français s’était la veille montré très clair : «La renégociation dans les termes proposés par les Britanniques n’est pas une option qui existe. Et cela a toujours été affirmé très clairement par [le négociateur de l’UE, Michel Barnier].» Dans les faits, Johnson ne dispose «d’aucune marge de manœuvre par rapport à la ligne qu’il s’est fixée», dit Aurélien Antoine. A dix semaines de la date butoir, chacun est campé sur ses positions, loin des grands «compromis» qu’espérait Boris Johnson.

Les discussions entre Bruxelles et Londres semblent actuellement dans l’impasse, tant les deux conceptions du Brexit s’opposent. La principale pierre d’achoppement demeure le backstop : ce filet de sécurité défendu par la Commission européenne prévoit que le Royaume-Uni tout entier reste dans un «territoire douanier unique» avec l’UE. Objectif : éviter le retour d’une frontière physique entre l’Eire et l’Irlande du Nord, afin de préserver les accords de paix de 1998. Le mécanisme est prévu dans l’accord conclu en novembre 2018 avec l’UE par la prédécesseure de Johnson, Theresa May. Or ce fameux accord a déjà essuyé trois rejets par le Parlement britannique.

«L’Union européenne a longuement négocié avec le Royaume-Uni pour obtenir un accord de retrait, a martelé jeudi Emmanuel Macron aux côtés du Premier ministre britannique. Les éléments clés de celui-ci, comme le backstop, sont des garanties indispensables à la préservation de la stabilité en Irlande et l’intégrité du marché unique.»

«Fausse offre»

Farouchement opposé au backstop, Johnson a affirmé qu’il y avait «des solutions techniques aisément disponibles» pour résoudre l’épineuse question irlandaise, sans en démontrer la faisabilité. «Depuis qu’il est arrivé au pouvoir en juillet, Boris Johnson prétend être prêt à négocier, explique Pauline Schnapper, coauteure d’Où va le Royaume-Uni ? Le Brexit et après et professeure de civilisation britannique à l’université Sorbonne-Nouvelle. Mais en pratique, ce n’est qu’une fausse offre de négociation. Il souhaite que l’idée du backstop soit abandonnée, ce qui est inconcevable pour les Européens : il n’y a tout simplement pas de solution pour le remplacer. C’est un véritable dialogue de sourds.»

Dans une missive publique adressée mardi au président du Conseil européen, Donald Tusk, le Premier ministre britannique jugeait le backstop «antidémocratique». Défenseur depuis toujours d’un Brexit à tout prix, Boris Johnson y voit une potentielle perte de souveraineté du Royaume-Uni qui obligerait le pays, une fois le divorce prononcé, à se plier aux règles commerciales européennes. «Ceux qui sont contre le backstop sans proposer d’alternative réaliste soutiennent en réalité le rétablissement d’une frontière. Même s’ils ne l’admettent pas», lui a rétorqué Tusk.

Les deux hommes doivent d’ailleurs évoquer le sujet dimanche à Biarritz, à l’issue du G7. Un sommet où Boris Johnson est aussi vivement attendu par le président américain, avec qui il doit négocier un futur accord de libre-échange. Et ce à l’aune d’un hard Brexit qui se profile et dont Donald Trump est un fervent partisan, mais qui plongerait le Royaume-Uni dans une situation économique difficile pendant des mois, voire des années. Valentin Cebron

boris22

11 août 2019

Dominic Cummings, le conseiller de Boris Johnson qui électrise le Brexit

Par Jean-Baptiste Chastand

Issu de la plus pure tradition des conseillers en communication anglo-saxons, l’homme de 47 ans a obtenu, en quelques semaines, un niveau de pouvoir inédit.

Il se balade en permanence avec un sac en toile siglé « Vote Leave », la campagne pour le Brexit qu’il a menée avec succès en 2016. En quelques jours, Dominic Cummings, 47 ans, est devenu le personnage central du débat politique dans un Royaume-Uni divisé qui se demande ce que Boris Johnson est en train de préparer pour réaliser le Brexit d’ici au 31 octobre, « quoi qu’il arrive », comme il l’a promis le jour de sa nomination, le 24 juillet. Officiellement simple conseiller à Downing Street, ce proche du Parti conservateur fait figure de véritable stratège de M. Johnson pour organiser un Brexit le plus brutal possible.

Plusieurs articles présentent cet europhobe historique – il avait déjà milité contre l’adoption de l’euro au tournant des années 2000 – comme le véritable directeur de cabinet du premier ministre. Lors d’une réunion matinale, cet homme volontiers arrogant et cassant aurait par exemple directement menacé les équipes du gouvernement de représailles en cas de fuites dans la presse.

Diplômé d’Oxford, fan de Bismarck, ce graphomane qui n’avait plus vraiment d’influence depuis 2016 rédigeait des posts de blog touffus avant de rejoindre Boris Johnson. Dans le dernier, publié en juin, il se demandait comment « s’échapper du cauchemar [de la gestion du Brexit par Theresa May] et faire passer le gouvernement de l’absence d’espoir à la haute performance ».

« Spin doctor »

Issu de la plus pure tradition des spin doctors (conseillers en communication) anglo-saxons, celui-ci a obtenu, en quelques semaines, un niveau de pouvoir inédit.

« Nous avons déjà eu des chefs de gouvernement qui étaient très proches de leurs conseillers, mais jamais de personnes qui semblent autant contrôler le travail des ministres. Il se comporte comme un vice-premier ministre. C’est comme si le Royaume-Uni était gouverné par quelqu’un qui n’a pas été élu », s’inquiète Tim Bale, professeur de science politique à l’université Queen Mary, à Londres.

Cet ultrabrexiter serait surtout en train de manœuvrer pour sauver le Brexit d’élections anticipées, désormais de plus en plus probables. Depuis une élection partielle organisée le 1er août, la majorité des conservateurs à Westminster ne tient en effet plus qu’à un siège. Il suffit désormais qu’à la rentrée parlementaire, prévue début septembre, quelques députés conservateurs pro-Union européenne (UE) s’allient aux travaillistes et aux indépendantistes écossais pour faire tomber Boris Johnson.

S’il renverse Boris Johnson, le Parlement aura ensuite quatorze jours pour élire un autre premier ministre, ce qui n’aura rien d’évident compte tenu des tendances politiques disparates de l’opposition. En cas d’échec, M. Johnson serait ensuite tenu de convoquer de nouvelles élections.

Dans un pays dépourvu de Constitution à proprement parler, le conseiller star a conçu un plan pour forcer le Brexit : le premier ministre pourrait faire en sorte de n’organiser de scrutin anticipé qu’après le 31 octobre, histoire de faire sortir le Royaume-Uni de l’UE – avec ou sans accord –, et ensuite faire campagne sur le thème « Johnson, l’homme qui a réalisé le Brexit ». Le chef du gouvernement et son spin doctor semblent considérer que c’est la seule façon de faire revenir vers les conservateurs les électeurs déçus qui se sont reportés vers le Parti du Brexit de Nigel Farage.

Perspective d’un « no deal »

Le ministre de la santé Matthew Hancock a confirmé qu’il estimait que Westminster n’était désormais plus en mesure de bloquer le « no deal »…

A la limite de la légalité, ce projet ferait fi d’une institution au cœur de la démocratie britannique. Il a été, à ce titre, vivement contesté par les partisans du maintien dans l’UE.

Dominic Grieve, député conservateur pro-UE, a fustigé le plan Cummings, qualifié « de mélange de son arrogance et d’ignorance », en menaçant de s’entendre avec l’opposition pour former un gouvernement alternatif. Des députés prévoiraient déjà de voter des motions pour siéger en continu et tout faire pour éviter ce passage en force.

« Forcer un Brexit sans accord à l’encontre du Parlement et refuser aux électeurs de choisir dans une élection, serait un abus de pouvoir inconstitutionnel et antidémocratique sans précédent », a défendu Jeremy Corbyn, le patron du Labour, vendredi 9 août. Un des proches du leader travailliste a même assuré qu’il était prêt à aller jusqu’à demander à la reine Elizabeth II de forcer Boris Jonhson à quitter Downing Street.

Fuyant les médias, Dominic Cummings a été brièvement filmé par les caméras de la chaîne Sky News à la sortie de son domicile, jeudi matin ; il portait son immuable sac en toile.

« Le premier ministre pense que les responsables politiques doivent se soumettre » au résultat du référendum de 2016 sur le Brexit, a expliqué le conseiller, remettant en cause la capacité des parlementaires britanniques à trancher le destin du pays.

M. Cummings avait déjà refusé de venir témoigner de ses activités pendant la campagne sur le référendum devant la Commission d’enquête sur les « fakes news », signe de son manque de foi dans la démocratie parlementaire.

« Je ne pense pas que je suis arrogant, a-t-il répondu à Dominic Grieve avant de s’engouffrer dans sa voiture. Nous verrons sur quoi il a raison. » Une manière de ne pas démentir ses plans qui consisteraient à déclencher, selon Will Hutton, professeur à Oxford, proche de la gauche, « la pire crise constitutionnelle depuis trois cent cinquante ans ».

2 août 2019

Face au risque du « no deal », la livre sterling proche du plus bas niveau de son histoire

Par Eric Albert, Londres, correspondance

La banque d’Angleterre abaisse sa prévision de croissance mais prévoit un rebond en cas d’accord sur le Brexit.

« Le pound est désormais un nanogramme. » La blague, jeu de mot entre le nom de la livre sterling en anglais et l’unité de mesure de poids, tourne sur les réseaux sociaux. Elle résume la glissade continue de la monnaie anglaise depuis l’arrivée de Boris Johnson à la tête du Royaume-Uni. Le premier ministre britannique affirme haut et fort qu’il se prépare à une sortie de l’Union européenne (UE) sans accord (« no deal »), même si son objectif officiel reste de trouver un compromis.

La livre sterling, déjà fortement dévaluée depuis le référendum de juin 2016, a réagi en se retrouvant proche des plus bas niveaux de son histoire. « Nous sommes à 2 % du plus bas historique face à un panier de devises et il n’en faudra pas beaucoup pour nous y emmener », explique Jordan Rochester, stratégiste à Nomura, une banque japonaise.

Face à l’euro, la livre est à 1,09, en baisse de 7 % sur trois mois, quand la victoire de M. Johnson a commencé à se préciser. Depuis janvier 2016 et le début de la campagne du référendum, le recul est de 15 %. La chute est la même face au dollar.

Jeudi 1er août, à trois mois de la date prévue pour le Brexit, le 31 octobre, la Banque d’Angleterre a revu à la baisse sa prévision de croissance, à + 1,3 % pour 2019 et 2020. Elle estime qu’il y a une chance sur trois que le produit intérieur brut (PIB) britannique soit négatif au premier trimestre de 2020. Et encore cette projection est-elle basée sur la possibilité d’un accord avec l’UE.

Pas de panique

En cas de « no deal », Mark Carney, le gouverneur de la Banque d’Angleterre, esquisse un scénario beaucoup plus brutal : « La livre baisserait probablement (…) et la volatilité augmenterait. Les préparatifs du gouvernement et des entreprises pour réduire les conséquences négatives sont essentiels (…) mais ils n’éliminent pas l’ajustement économique que provoquerait cette nouvelle relation commerciale. L’inflation augmenterait probablement et la croissance ralentirait. »

En 2018, la Banque d’Angleterre avait estimé qu’un « no deal » provoquerait une perte de PIB située entre quatre et huit points, selon les scénarios. Dans ce cas, Jordan Rochester prévoit que la livre sterling serait proche de la parité avec l’euro.

Le ton de la conférence de presse de la Banque d’Angleterre, jeudi, n’était pourtant pas alarmiste. Celle-ci n’a d’ailleurs pas suivi la Réserve fédérale américaine (Fed, banque centrale), qui a baissé ses taux d’un quart de point mercredi. Elle a choisi de conserver son taux directeur à 0,75 %.

Officiellement, l’institution monétaire britannique continue à prévoir un accord sur le Brexit, puisqu’il s’agit de la politique officielle du gouvernement. Un compromis avec l’UE permettrait même un rebond de la croissance. « Une partie des investissements perdus [depuis le référendum de 2016] ne sera pas rattrapée, mais il y a effectivement des réserves en attente », estime M. Carney.

L’investissement des entreprises ralentit

Le paradoxe du Brexit, qui n’a toujours pas eu lieu trois ans après le référendum, est que ses effets, bien que réels, sont pour l’instant limités. Le chômage est au plus bas au Royaume-Uni depuis 44 ans, à 3,8 % de la population active et la consommation des ménages se maintient à un niveau moyen.

L’attente du Brexit provoque en revanche d’étranges yoyos. Au premier trimestre, craignant un « no deal » le 29 mars, date initiale du Brexit, les entreprises avaient accumulé les stocks, dopant artificiellement la croissance à + 0,5 %. Au deuxième trimestre, elles les ont écoulés, affaiblissant artificiellement la croissance, qui était sans doute de zéro, selon l’estimation de la Banque d’Angleterre.

Pour l’instant, le véritable effet économique du divorce s’est fait sentir à deux niveaux. D’abord, la violente chute de la livre sterling après le référendum a automatiquement renchéri les prix à l’importation. Dans un pays qui importe 30 % de ce qu’il consomme, cela a provoqué une poussée d’inflation à 3 % fin 2017. Les dépenses des ménages en ont souffert. Depuis, la monnaie s’est stabilisée, jusqu’à la glissade de ces derniers mois, et l’inflation est revenue à 2 %.

Le deuxième effet, dont l’impact est plus lent mais plus profond, vient de l’investissement des entreprises, qui a nettement ralenti. Difficile de se lancer dans la construction d’une nouvelle usine ou dans l’acquisition d’une autre société sans savoir quelle sera la relation future du Royaume-Uni avec son principal partenaire économique.

Deux problèmes en cas de « no deal »

L’incertitude pèse tant que Gary Cohn, ancien conseiller économique de Donald Trump, a affirmé à la BBC qu’il vaut mieux un « no deal » plutôt que de repousser encore l’échéance du Brexit au-delà du 31 octobre. « Les pays ont tendance à mieux résister que ce qu’on pense », explique-t-il en relativisant les conséquences d’une sortie sans accord.

M. Carney rejette cette analyse : « Il a tort. Un “no deal” serait la concrétisation d’un scénario économique négatif. » Le gouverneur de la Banque d’Angleterre souligne qu’une sortie sans accord pose deux problèmes.

A long terme, le Royaume-Uni se retrouverait par défaut à commercer selon les règles de base de l’Organisation mondiale du commerce. Concrètement, cela imposerait des droits de douanes avec l’ensemble de l’UE, mais aussi avec tous les pays qui ont signé des traités de libre-échange avec l’UE, ce qui représente 60 % du commerce britannique. A court terme, le soudain changement de statut au matin du 1er novembre provoquerait un choc.

« Il vaut toujours mieux avoir une transition en place, quel que soit le scénario choisi. Ce pays a l’une des économies les plus flexibles au monde et est soutenu par un des secteurs financiers les plus robustes, mais c’est très difficile de tout changer du jour au lendemain », explique Mark Carney.

Eric Albert (Londres correspondance)

Boris Johnson subit son premier revers électoral. Le nouveau premier ministre britannique Boris Johnson a subi son premier revers dans les urnes, une défaite de son parti à une élection partielle ayant ramené sa faible majorité parlementaire à seulement une voix, compliquant sa stratégie pour le Brexit. Le Parti conservateur au pouvoir, dont M. Johnson a récemment pris la tête, a perdu le siège de la circonscription de Brecon et Radnorshire, au Pays de Galles (Ouest), au profit d’une candidate pro-européenne, selon les résultats officiels annoncés vendredi. Cette défaite fragilise le gouvernement qui vient d’annoncer le doublement de son budget annuel consacré aux préparatifs d’un Brexit sans accord, en leur allouant 2,1 milliards de livres supplémentaires (2,3 milliards d’euros). Cet argent servira à « accélérer les préparations à la frontière, soutenir les préparatifs des entreprises et assurer l’approvisionnement des médicaments essentiels » ainsi qu’à lancer une nouvelle campagne de communication sur le Brexit, a précisé le ministère des finances.

25 juillet 2019

Boris Johnson compose un gouvernement de combat pour un Brexit en 99 jours

boris

Par Philippe Bernard, Londres, correspondant

Le nouveau premier ministre britannique s’est entouré d’eurosceptiques pour diriger, et promet de quitter l’UE le 31 octobre, avec ou sans accord.

Le ton, combatif voire martial, était à la mesure de la situation, incertaine voire alarmante. Boris Johnson, après avoir été confirmé par la reine Elizabeth II dont il est le quatorzième premier ministre, a répété solennellement, devant le 10, Downing Street, sa principale promesse de campagne : « Nous sortirons de l’Union européenne [UE] le 31 octobre [la date butoir fixée par l’UE]. Il n’y a pas de “mais” ni de “si” qui tienne » (« no ifs, no buts »). » Une version à peine édulcorée de son leitmotiv : le Brexit « coûte que coûte ».

Appelant au rebond patriotique, magnifiant le drapeau britannique, il a renvoyé dans leurs buts tous ceux qui dénoncent le flou, la dangerosité et l’irréalisme de ses engagements. « Les sceptiques, les rabat-joie, les moroses se trompent à nouveau. Les gens qui parient contre la Grande-Bretagne vont perdre leur chemise. J’ai parfaitement confiance : dans 99 jours, nous en serons venus à bout [du Brexit]. »

boris22

Au pied du mur

Trois ans après avoir déserté, juste après la victoire de la campagne pro-Brexit dont il avait été le général en chef, voilà Boris Johnson au pied du mur.

Cette fois, les ultras du divorce avec l’UE sont au pouvoir, comme le confirme la spectaculaire purge dont ont été victimes les ministres jugés trop tièdes. M. Johnson, qui n’a cessé de savonner la planche de Theresa May tout en dénonçant comme « défaitistes » ses collègues modérés, n’aura plus personne à qui faire porter le chapeau.

En début d’après-midi, la première ministre sortante avait été chaleureusement applaudie par les députés, après son dernier duel verbal avec le chef de l’opposition. Obséquieusement, ses pires adversaires au sein de son propre parti comme le très à droite Jacob Rees-Mogg ont rendu hommage sans vergogne à son sens du service.

Boris Johnson a été à peine moins hypocrite. Sans prononcer une seule fois le nom de Theresa May, il s’est posé en nouveau garant d’un retour de la confiance dans la démocratie, ébranlée par « trois ans d’indécision » sur le Brexit. « Après trois années de doute injustifié, a-t-il insisté, il est temps de changer de disque. » De façon explicite, il s’est adressé directement au peuple : « La responsabilité commence ici. Mon travail consiste à vous servir, vous le peuple. (…) Le peuple est notre patron. »

« Un nouvel accord, un meilleur accord »

Alors que l’UE refuse de revoir l’accord négocié avec Theresa May, mais rejeté à trois reprises par le Parlement britannique, Boris Johnson a promis d’obtenir « un nouvel accord, un meilleur accord qui permettra de tirer parti au maximum des opportunités du Brexit ».

Mais le nouveau premier ministre est loin d’avoir renoncé à son chantage au « no deal », cette sortie sans cadre, catastrophique pour l’économie, dont la menace va, selon lui, faire plier les Vingt-Sept. Toutefois un ton en dessous de ses déclarations précédentes, il a évoqué ce « no deal » comme une « possibilité éloignée », ce qui semble pourtant contradictoire avec son échéance des « 99 jours ».

Mais il continue de combattre comme « antidémocratique », le « backstop », cette assurance d’un non-retour de la frontière entre les deux Irlandes exigée par les Européens, et acceptée par Theresa May mais rejetée par les députés britanniques. D’ailleurs, si les Vingt-Sept devaient s’obstiner dans leur refus de renégocier l’accord, Londres retiendra les 39 milliards de livres (44 milliards d’euros) de sa dette envers l’UE. Un « lubrifiant » supplémentaire, a-t-il affirmé, au risque d’exaspérer les « partenaires du reste de l’Europe » qui verraient très mal les Britanniques renier leurs engagements.

Sans jamais invoquer la « Grande-Bretagne mondiale » qu’il a longtemps appelée de ses vœux ni évoquer sa proximité avec le président américain Donald Trump, sujet à controverse, M. Johnson a annoncé une série de mesures rapides destinées à attirer les investisseurs étrangers. Un probable dumping fiscal que redoutent les continentaux. Dans une allusion à peine voilée au dédain connu de M. Johnson pour le détail des dossiers, le président du Conseil européen Donald Tusk l’a félicité en affirmant « avoir hâte de le rencontrer pour discuter – en détail – de notre coopération ».

Au-delà du Brexit, le nouveau premier ministre a promis de régler en un tournemain tous les problèmes que Theresa May s’était engagée, en vain, de régler. « Mon travail est de rendre vos rues sûres, de faire en sorte que vous n’attendiez plus trois semaines pour consulter un généraliste et que vous n’ayez pas besoin de vendre votre maison pour financer les soins de vos anciens », a assuré Boris Johnson, sans expliquer comment ces mesures seraient financées. Au moins n’était-il plus question de consacrer aux hôpitaux la contribution britannique à l’UE, comme l’affirmait l’inscription mensongère sur son bus rouge de campagne.

boris24

Vaste épuration du gouvernement

Ce déluge de promesses s’est accompagné d’une sévère épuration du gouvernement comparée dans la presse à une « nuit des longs couteaux » permettant d’écarter les ministres dont la foi dans le Brexit est jugée insuffisante.

Jeremy Hunt, ministre des affaires étrangères et adversaire de Boris Johnson dans la course à Downing Street, en a fait les frais, tout comme dix autres membres du cabinet de Theresa May. Que plusieurs d’entre eux aient soutenu la candidature de M. Johnson n’y a rien changé. Six autres, dont le ministre des finances Philip Hammond, farouchement opposé au « no deal », et Rory Stewart, modéré lui aussi et ex-challenger de « BoJo », n’avaient pas attendu d’être remerciés et avaient annoncé leur démission avant son entrée en fonction.

A leur place, le nouveau chef du gouvernement a fait entrer des « ultra-brexiters » patentés, issus de la droite du parti comme Dominic Raab – ancien ministre du Brexit nommé chef du Foreign office –, Priti Patel, ministre du travail, ou Theresa Villiers à l’environnement.

Sajid Javid, qui a voté pour rester dans l’UE en 2016 avant de devenir pro-Brexit, est l’un des rares convertis à être admis dans un poste élevé du gouvernement Johnson. Il devient chancelier de l’Echiquier, bras droit de fait du premier ministre. Jacob Rees-Mogg, chef de file des « ultra-brexiters » a été choisi pour diriger les tories au Parlement. Quant à Michael Gove, l’ancien compère de Boris Johnson, qui l’avait trahi après le référendum, il n’a pas été oublié et devient secrétaire général du gouvernement.

Proeuropéennes modérées, Nicky Morgan et Amber Rudd ont été acceptées en dépit d’anciens propos hostiles à M. Johnson, mais après de solides et parfois pathétiques déclarations d’allégeance. La nomination la plus spectaculaire est celle de Dominic Cummings, apprenti sorcier de l’utilisation des réseaux sociaux en politique et stratège contesté de la campagne pro-Brexit de 2016, comme conseiller.

Cette vaste épuration va probablement atténuer les conflits internes qui avaient paralysé le gouvernement de Theresa May. Mais elle tend à rejeter de nombreuses personnalités qui n’auront désormais plus guère de scrupules à critiquer un exécutif dont ils ont été exclus et qui pourront se consacrer à lutter aux Communes contre le « no deal ». Une trentaine de députés tories seraient déjà prêts pour cette bagarre.

Ne disposant que d’une infime majorité au Parlement – deux voix et probablement une seule après une législative partielle prévue le 1er août –, Boris Johnson a peu d’options : s’il ne parvient pas à négocier un nouvel accord avec l’UE, il pourrait tenter de faire passer en force un « no deal ». Il se heurtera alors probablement aux députés. Pour sortir de la nasse, il n’aurait guère d’autre solution que de recourir, peut-être dès cet automne, à des élections législatives anticipées.

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23 juillet 2019

Tony Blair estime que pour sortir du « cauchemar » du Brexit, Boris Johnson n’a qu’une solution, un second référendum

Par Philippe Bernard, Londres, correspondant

L’ancien premier ministre travailliste a reçu, lundi, des correspondants de la presse étrangère à la veille de la désignation du chef du Parti conservateur par ses adhérents.

La voix de l’opposition travailliste est si faible dans le débat sur le Brexit que les prises de position de l’ancien premier ministre Labour Tony Blair comptent, même si sa parole est dévalorisée dans son pays depuis ses mensonges sur la guerre en Irak.

A la veille de la probable désignation de Boris Johnson, mardi 23 juillet, comme chef du parti conservateur et à l’avant-veille de son entrée attendue, mercredi 24, à Downing Street, Tony Blair a répondu à Londres aux questions d’un groupe de correspondants de la presse étrangère dont Le Monde.

Farouche opposant à la sortie de l’Union européenne (UE) contrairement à l’actuel chef du Labour Jeremy Corbyn, M. Blair considère que seul un nouveau référendum permettrait de sortir de l’impasse actuelle qu’il qualifie de « cauchemar ».

Alors que M. Johnson promet de sortir de l’UE le 31 octobre « coûte que coûte » et brandit la menace d’un Brexit sans accord (« no deal ») si les Vingt-Sept refusent de renégocier le texte accepté par Theresa May mais rejeté par le Parlement, Tony Blair estime que le futur premier ministre se heurtera à un mur mais ne pourra mettre à exécution sa menace.

Un choc économique majeur

« Il devrait passer en force au Parlement et ce serait un trop grand risque politique pour lui », estime l’ancien premier ministre, car un « no deal », en rétablissant les droits de douane, causerait un choc économique majeur. Il « mettrait aussi en danger l’unité du Royaume-Uni en déstabilisant l’opinion en Ecosse et en Irlande du Nord ».

A entendre M. Blair, Boris Johnson n’aura que deux issues : soit renoncer à sa menace, soit venir devant les électeurs en organisant soit des législatives anticipées – une éventualité considérée sérieusement dans l’entourage de M. Johnson –, soit un référendum.

Cette dernière solution a la nette préférence de M. Blair car il pense que le Brexit « qui perturbe totalement la vie politique britannique » est un sujet en soi. Sans le dire explicitement, il estime en outre que le Labour de Jeremy Corbyn n’est pas en mesure de remporter des législatives. Comment se fait-il que les travaillistes perdent des voix à chaque élection alors qu’ils font face au « gouvernement le plus défaillant que ce pays a connu », interroge-t-il. « Si nous avions un parti capable de les battre aux prochaines élections, les conservateurs n’oseraient même pas envisager un “no deal” ». Selon lui, « un référendum est la seule issue possible pour le pays et, ironiquement, pour Boris Johnson ».

Pourquoi un second référendum donnerait-il un résultat différent de celui obtenu le 23 juin 2016 ? Et que n’a-t-il fait ardemment campagne contre le Brexit lors du premier ? Les Britanniques veulent tourner la page du Brexit et « sortir de ce cauchemar », assure-t-il.

L’Europe face à trois géants

Pendant sa campagne, M. Johnson a cherché à faire croire aux électeurs qu’un « no deal » réaliserait cet objectif. « En réalité, argue M. Blair, il déboucherait sur des années de négociations en vue d’un accord commercial qui sera dur à négocier car nous serons sortis de l’UE. » « Les Britanniques vont comprendre que le cauchemar continuerait après un “no deal”, veut-il croire. Leur état d’esprit changera lorsqu’ils se rendront compte que le seul moyen d’en sortir, est en fait de rester dans l’UE. » Au passage, l’ancien premier ministre rappelle qu’il n’était pas question de « no deal » pendant la campagne du référendum de 2016 et que « Boris Johnson ne détient pas de mandat dans ce sens ».

Tony Blair refuse de rentrer dans le débat en cours sur la capacité à gouverner de M. Johnson, souvent décrit comme un bouffon, ni sur celui concernant ses affinités avec Donald Trump dont le populisme « plutôt futé dans un certain sens », est selon lui « très différent ». Le président américain « utilise les mots » mais sa politique correspond à celle du parti républicain. En revanche, « le populisme du Brexit se traduit par une politique qui va bouleverser la vie des gens ».

Tony Blair en est persuadé : les partisans du maintien dans l’UE « ont de grandes chances de gagner » un second référendum. « Nous ferions une campagne beaucoup plus efficace [qu’en 2016] afin de détruire le mythe central des pro-Brexit, selon lequel il faut sortir de l’UE pour reprendre le contrôle de nos lois. En réalité, tous les problèmes auxquels Boris Johnson promet de s’attaquer – le logement, l’aide sociale, la délinquance, la santé dépendent tous de lois britanniques. »

M. Blair ne manque jamais de rappeler sa conviction selon laquelle les Européens ont énormément à perdre du Brexit. « Au milieu de ce siècle, nous aurons un monde dominé par trois puissances : les Etats-Unis, la Chine et l’Inde. Face à ces géants, la nécessité de l’Europe s’impose, dit-il. Mais sans le Royaume-Uni, la capacité de cette Europe à défendre ses valeurs et ses intérêts serait affaiblie. »

M. Blair lance un avertissement

L’ancien chef du New Labour « comprend l’irritation des Européens [devant le Brexit] », mais il les enjoint à « ne pas oublier les conséquences sérieuses » d’un divorce avec Londres.

« Les Britanniques ne sont pas les seuls à exprimer des réticences vis-à-vis de l’UE. Si nous changeons d’avis et restons dans l’UE, celle-ci devra aussi repenser ses positions », insiste-t-il avant de lancer une sorte d’avertissement : « J’ai foi dans mon pays : nous finirons par nous en sortir d’une façon ou d’une autre. Mais l’avenir du Royaume-Uni hors de l’UE consisterait à se positionner en concurrent. Je ne pense pas que cela soit sage, ni pour vous ni pour nous. Mais c’est ce vers quoi assurément nous irions. »

21 juillet 2019

Reportage « Non à Boris, oui à l’Europe », ont scandé des milliers de manifestants anti-Brexit à Londres

Par Philippe Bernard, Londres, correspondant

Des opposants au départ du Royaume-Uni de l’Union européenne ont défilé dans la capitale britannique, quelques jours avant la probable désignation de Boris Johnson comme premier ministre.

« Non à Boris, oui à l’Europe. » Voilà Boris Johnson prévenu. Trois jours avant sa probable désignation comme premier ministre, les Britanniques proeuropéens lui ont signifié, samedi 20 juillet dans les rues de Londres, qu’ils n’ont pas baissé la garde. Ce ne fut pas le déferlement spectaculaire, compact et déterminé du 23 mars – un million de manifestants –, mais une sérieuse piqûre de rappel administrée par le noyau dur des anti-Brexit : des gens plutôt militants, plutôt intellectuels, plutôt âgés. Entre Hyde Park et Westminster, ces quelques milliers d’irréductibles Britanniques européens ont conspué dans un même souffle le Brexit et celui qui promet de le mettre en œuvre « coûte que coûte » d’ici au 31 octobre.

« Ce n’est pas mon premier ministre, ce n’est pas Brexit », se défendait un porteur de pancarte. Une autre donnait le choix entre un drapeau de l’UE – « IN Europe » – et un portrait de M. Johnson – « INsane » (« dingue »). « Quand on choisit un clown comme premier ministre, on a un cirque », résumait Mark, 48 ans, professeur d’Italien à l’université du Kent. « Il ne durera pas. Le Parlement lui fera obstacle. On ne s’en sortira que par un second référendum », voulaient croire Vicky et Rebecca, deux enseignantes de français. « C’est triste à dire, mais j’espère qu’il va se planter », renchérissait Steve, informaticien.

« Boris » mis à part, ce fut un nouveau déferlement de drapeaux bleus étoilés, comme Londres est la seule capitale à en avoir donné plusieurs fois le spectacle ces dernières années. « L’Europe, c’est chez moi », proclame une marcheuse. « Stoppons le Brexit, sinon, nous allons devenir les vassaux de Trump », avertit une autre. « 46 ans de paix et de prospérité. Brexiters, cessez de jouer avec notre avenir ! », implore un troisième manifestant. Dans une rue adjacente, un accordéoniste joue sans fin l’Hymne à la joie, entraînant des danseuses portant l’autocollant « Bollocks to Brexit » (littéralement « Brexit, mes couilles »), slogan devenu l’ultime signe de ralliement des proeuropéens, scandé d’un bout à l’autre du défilé.

La spectaculaire absence du parti travailliste et de tout mot d’ordre général a, une fois encore, permis aux manifestants de laisser libre cours à leur créativité et à leur humour anglais à travers d’innombrables pancartes « fabriquées à la maison ». « J’en ai assez de fabriquer des pancartes et je n’aime pas la foule. Stop au Brexit », avouait l’une. « Brexit, un petit vote pour l’homme, un grand bond en arrière pour l’humanité », estimait une autre en référence à la phrase de Neil Amstrong prononcée voici tout juste cinquante ans. D’autres slogans appelaient à l’organisation d’un second référendum : « Avant de nous mener au bord de la falaise, demandez-nous si nous voulons y aller ». Seule personnalité politique repérée : Ed Davey, l’un des deux candidats pour le poste de leader des LibDems (proeuropéens) qui doit être attribué lundi.

Andy, un professeur de 63 ans adhérent intermittent du labour, affirmait être présent pour exprimer son « désespoir de voir disparaître dans un sale nationalisme tout l’esprit d’ouverture construit depuis 1945 ». Il avouait faire aussi « repentance » pour son vote de 2016 en faveur du Brexit. « A l’époque, j’avais voulu exprimer une petite protestation sans imaginer que le Brexit pouvait gagner. Je me suis fait allumer par toute ma famille. J’espère que l’UE restera ferme et résistera à Boris Johnson et que cela provoquera des élections ». Ce que Mark, le professeur d’italien déjà cité, résumait solennellement sur un ton proche de la supplique : « J’espère que les Européens vont nous sauver de nous-mêmes ».

8 juillet 2019

Carola Rackete, la capitaine du Sea Watch qui défie Matteo Salvini

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La jeune capitaine allemande qui a forcé le blocus italien pour faire accoster des migrants n’a rien d’une «pirate». Cette globe-trotteuse touche-à-tout défend ses valeurs.

 À seulement 31 ans, Carola Rackete a placé l’Europe face à ses responsabilités et ses ambiguïtés sur le thème des migrants.

Par Timothée Boutry et Séverine Cazes

Sa bravoure et son courage ont exaspéré les uns — le ministre de l'intérieur italien d'extrême droite Matteo Salvini en tête — et suscité l'admiration des autres — la collecte de fonds lancée pour payer ses frais de justice et la poursuite des activités de son ONG a recueilli plus de 1,4 million d'euros (M€) en moins d'une semaine. En décidant, en conscience, de forcer le blocus imposé par l'Italie et de faire accoster son navire avec à son bord 40 migrants en détresse dans le port de Lampedusa dans la nuit du 28 au 29 juin dernier, Carola Rackete, la capitaine du Sea Watch 3, a secoué tout un continent.

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À seulement 31 ans, cette jeune allemande, à l'existence déjà largement remplie, a placé l'Europe face à ses responsabilités et ses ambiguïtés. Les images de son arrestation, dans une ambiance irréelle entre les applaudissements et les insultes, resteront. Le sujet est tellement inflammable que Carola Rackete est instantanément devenue une icône, adulée ou détestée.

Son attitude cette nuit-là, un mélange de calme et de froide détermination, n'a guère surpris ses proches. « Elle a fait beaucoup d'équitation. Et, déjà petite, elle savait maîtriser les chevaux les plus grands, nous confie son père Ekkehart Rackete, longuement joint par téléphone. Elle n'avait déjà pas froid aux yeux ! »

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« Notre-Dame de l'Europe »

Carola Rackete naît près de Kiel, dans le nord de l'Allemagne, sur les bords de la mer Baltique. Son père, ancien militaire à la retraite, et sa mère, comptable toujours en activité originaire de Bavière, s'installent ensuite à Hambühren, un bourg de 10 000 habitants entre Hanovre et Hambourg, où ils résident encore aujourd'hui. Le couple a déjà une première fille lorsque Carola voit le jour.

« C'était une petite fille vive, très bonne à l'école », indique son père qui, initialement, ne souhaitait pas longuement s'épancher au téléphone. Pour le convaincre, il faut lui raconter que, en France, sa fille cadette compte de nombreux soutiens et qu'une banderole a même été accrochée sur le pont de l'Archevêché, derrière Notre-Dame de Paris, avec cette inscription : « Capitaine Carola Rackete : Notre-Dame de l'Europe ». L'argument fait mouche.

Particulièrement intelligente, la jeune Carola est une enfant curieuse, passionnée de musique. « Elle a joué pendant des années de la trompette dans la chorale de l'église, relate Ekkehard Rackete. Elle a conservé une grande collection de disques de musique classique : Beethoven, Mozart, Bach, Haydn… Mais quand elle écoute la radio, je dis toujours que c'est de l'horrible bruit moderne. » Au moment de choisir ses études supérieures après son bac, elle ne résiste pas à l'appel de la mer et s'inscrit dans un cursus de science nautique à l'université de Jade, sur les rives de la Baltique.

Coiffure rasta et croisières de luxe

Diplômée en 2011, elle prend immédiatement le (grand) large vers le (grand) nord. Car, avant de frayer dans la Méditerranée pour venir en aide aux migrants, Carola Rackete a surtout vogué dans les eaux froides de l'Arctique et de l'Antarctique. À 23 ans, elle embarque à bord du Polarstern, un navire de recherche et brise-glace allemand exploité par l'Institut Alfred-Wegener pour la recherche polaire et marine.

Cette première expérience professionnelle, qui mêle à la fois navigation, recherche scientifique et souci pour la nature, est la parfaite synthèse ce qui constituera son engagement. En 2015, Carola Rackete va ainsi reprendre des études, dans le nord de l'Angleterre cette fois, où elle obtient un master en management environnemental en 2018. Son travail de recherche porte sur l'albatros hurleur en Géorgie-du-Sud, un territoire britannique au large de l'Antarctique !

Parallèlement à ses études, la jeune femme aux cheveux rasta, qui a décroché un certificat auprès de l'agence fédérale allemande d'hydrographie et de navigation, travaille ponctuellement sur des navires de luxe, pour des croisières dans les zones polaires. Mais jamais à temps plein. Car son parcours est jalonné d'expériences diverses, avec un tropisme écologiste de plus en plus marqué.

« Une enfant qui voulait toujours faire le bien »

Au printemps 2014, cette grande baroudeuse qui a parcouru la Chine et l'Amérique du Sud et parle cinq langues (dont le français), s'engage pour un service volontaire européen dans le parc des volcans du Kamtchatka, une péninsule de l'Extrême-Orient russe surtout connue des amateurs de Risk. Pendant huit mois, elle anime des ateliers de sensibilisation à la nature, entretient les chemins et les cabanes des gardiens et participe à un programme de recherche scientifique sur la botanique.

Comme une évidence, ses engagements la poussent à frapper à la porte de Greenpeace. Entre mars et juin 2015, elle intègre l'équipage de l'Arctic Sunrise, le navire océanographique de l'ONG. « À l'époque nous travaillions sur les impacts de la surpêche et des filets fantômes (NDLR : les filets de pêche abandonnés au fond des océans et qui constituent une menace pour la faune et la flore) », se souvient Erik Mekenkamp, un ingénieur nautique néerlandais qui a participé à cette mission avec elle.

« Je garde le souvenir d'une personne joyeuse et souriante, développe-t-il dans un témoignage adressé par mail. Carola voulait toujours faire le bien pour la planète et l'humanité. » Deux ans plus tard, au printemps 2017, elle collabore à nouveau avec Greenpeace. Il s'agit cette fois de faire des relevés pour étudier les méfaits des microplastiques au large de la côte ouest de l'Ecosse. Grant Oakes, qui faisait partie de la mission, ne tarit pas d'éloges sur son ancienne partenaire.

« Elle était très qualifiée et, à son âge, déjà dotée d'une solide expérience, se remémore ce permanent de Greenpeace. Elle est rapidement devenue un membre important et fiable de notre équipe. Alors qu'elle n'était que volontaire, elle a vite acquis des responsabilités grâce à la qualité de son travail qu'elle avait le souci de faire toujours bien et en sécurité. Vous savez, ce genre d'expérience, ça révèle les vrais talents… » Sur le plan personnel, il évoque une personne « attachante et, en dépit de ses compétences, très humble ».

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« Son activisme est parfaitement cohérent. »

À partir de mai 2016, Carola Rackete donne une tournure encore plus humaniste à son existence en proposant ses services à Sea Watch, une ONG allemande qui mène des opérations de sauvetage en Méditerranée en affrétant des bateaux qui patrouillent sur cette mer que tant de migrants rêvent de franchir au péril de leur vie.

« Ma vie est facile, j'ai pu fréquenter trois universités et j'ai été diplômée à 23 ans. J'ai la peau blanche, je suis née dans un pays riche et j'ai le bon passeport. Je vois comme une obligation morale d'aider ceux qui n'ont pas bénéficié des mêmes conditions que moi », justifiait-elle son engagement quatre jours avant son arrestation au journal italien La Repubblica.

« Il y a un lien évident entre son investissement pour la planète et celui pour les migrants, analyse Chris Grodotzki de Sea Watch. Les deux sujets s'imbriquent. Le changement climatique est un des facteurs qui poussent les gens à fuir leurs pays. Son activisme est parfaitement cohérent. »

Un endroit tenu secret

Depuis sa maison du nord de l'Allemagne, Ekkehard Rackete regarde avec bienveillance le parcours de cette fille dont il souligne l'indépendance d'esprit. « Notre famille n'est ni de droite, ni de gauche », explique-t-il. « D'ailleurs, nos deux filles sont très différentes. L'aînée, ingénieure industrielle dans l'automobile, est plutôt conservatrice politiquement tandis que Carola est plutôt écologiste. Mais je ne sais pas pour qui elle a voté aux Européennes alors que je le sais pour ma grande fille », plaisante ce père attentif.

Remise en liberté mardi dernier par une juge italienne qui a invalidé son arrestation pour « résistance avec violence envers un navire de guerre » — on lui reprochait d'avoir touché une vedette de la marine italienne en accostant au port — Carola Rackete, plutôt introvertie, se serait sans doute volontiers passée de cette soudaine notoriété. Après sa libération, elle a évoqué « une grande victoire pour la solidarité » avant de s'empresser de remercier son équipage.

Elle récupère, depuis, dans un endroit tenu secret. « En raison du grand nombre de menaces reçues », a précisé le porte-parole de Sea Watch. Il faut dire que, dans le sillage de Matteo Salvini que cette libération a laissé « sans voix », le fait d'armes de la capitaine a hystérisé toute une frange de la population italienne, et sans aucun doute européenne.

« Elle a agi comme le font les capitaines confrontés à des situations difficiles »

Ses proches sont pourtant unanimes : même si elle revendique son militantisme, la jeune femme est tout sauf une tête brûlée. « Elle est pragmatique et raisonnable, confirme Chris Grodotzki. On réalise très vite à quel point on peut lui faire confiance. Elle n'a absolument pas surréagi. » Du haut de sa chaire à l'université de Jade, le professeur Ralf Wandelt rend hommage à son ancienne étudiante en physique et navigation. « Elle a agi comme le font les capitaines confrontés à des situations difficiles, nous écrit-il. S'il y a un danger pour le bateau, les personnes à bord, leur santé ou même leurs vies, vous devez vous rendre au plus vite au port le plus adapté. »

Devant la justice, la capitaine a indiqué qu'elle avait n'avait fait qu'accomplir son devoir en débarquant les 40 migrants encore à bord du navire, 17 jours après leur sauvetage au large de la Libye. Ce jour-là, le 12 juin, la frêle embarcation avait été repérée par le Colibri, l'appareil de l'ONG française Pilotes volontaires qui survole la Méditerranée à la recherche de canots en détresse.

José Benavente était aux commandes et, après avoir respecté la procédure habituelle — alerter la Libye puis les centres de sauvetage italien et maltais —, il avait eu un contact direct avec la capitaine du Sea Watch 3, loin d'être une inconnue pour lui. Et pour cause, Carola Rackete avait effectué une mission d'observatrice pendant deux mois à l'automne dernier à bord du colibri. « C'est quelqu'un de posé et de calme, souligne lui aussi José Benavente. Je suis très satisfait qu'aucune charge n'ait été reconnue contre elle et que le droit maritime international ait prévalu. »

Contacté alors que sa fille était encore aux arrêts, Ekkehard Rackete ne semblait guère inquiet quant à son sort, persuadé que la pression internationale serait suffisamment forte pour lui éviter la prison. « J'ai le plus grand respect pour sa conduite, ajoutait-il. Elle a fait ce qui était juste et nécessaire, comme le veut le meilleur de la tradition militaire. Et de nos jours, ce n'est pas toujours la norme… »

7 juillet 2019

Boris Johnson, repoussoir pour les Ecossais

Le favori pour Downing Street, qui se dit prêt à un Brexit sans accord, hérisse les indépendantistes et relance la question du référendum.

Par Philippe Bernard  Publié hier à 10h31, mis à jour à 06h32

Probable, l’arrivée au pouvoir de Boris Johnson, fin juillet, pourrait avoir une conséquence inattendue : accélérer l’indépendance de l’Ecosse. Personnifiant le nationalisme anglais qui s’est exprimé lors du référendum sur le Brexit, l’ancien ministre des ­affaires étrangères fait figure de repoussoir chez les Ecossais.

Alors que 55 % d’entre eux avaient opté pour rester dans le Royaume-Uni lors du référendum sur l’indépendance de 2014, ils ne sont plus aujourd’hui que 51 % à faire ce choix. L’arrivée de M. Johnson au 10 Downing Street ferait basculer la région dans le camp de l’indépendance, affirme un sondage publié le 23 juin par le Times : 53 % des Ecossais voteraient alors pour sortir du Royaume-Uni.

L’« effet Boris » en Ecosse n’a rien d’étonnant pour peu qu’on examine la liste de ses piques et de ses provocations. « Les Ecossais sont une race de vermine (…) qui mine notre économie » et doit être « entièrement exterminée », proclamait un poème satirique qu’il a accepté de publier en 2004 dans le Spectator, hebdomadaire conservateur dont il était alors le rédacteur en chef. Plus récemment, il a affirmé que les subventions de l’Etat central à l’Ecosse seraient mieux utilisées à Londres. Accusant le gouvernement régional d’Edimbourg de prodigalité, il a lancé, en 2012 : « Ils creusent leur déficit et viennent ensuite quémander auprès de papa gâteau à Londres. Je propose qu’on leur dise de dégager », a-t-il lancé en 2012.

L’arrogance de Londres et de la haute bourgeoisie anglaise

Aux yeux des Ecossais, Boris ­Johnson personnifie non seulement l’arrogance de Londres, dont il a été maire, mais surtout la haute bourgeoisie anglaise, excentrique, sûre d’elle-même et méprisante. Depuis la victoire du Parti du Brexit (extrême droite) aux élections européennes, « Boris » s’est lancé dans une surenchère nationaliste avec le créateur de cette formation, Nigel Farage. Les deux leaders populistes se font les champions, non plus du séculaire patriotisme britannique dans lequel les Ecossais peuvent parfaitement se reconnaître, mais d’un nationalisme purement anglais. Or, en Ecosse, le parti de M. Farage n’a recueilli que 15 % des voix contre 32 % dans l’ensemble du pays.

Mais le principal clivage porte sur le Brexit. Contrairement aux Anglais, qui ont voté à 53,4 % pour le Brexit, les Ecossais ont été 62 % à choisir l’Union européenne. Ils n’ont pas oublié que M. Johnson a dirigé la campagne pro-Brexit au référendum de 2016. Ce dernier promet aujourd’hui de sortir « coûte que coûte » (« do or die ») de l’UE d’ici au 31 octobre, même sans accord avec les Vingt-Sept, alors qu’un tel « no deal » frapperait de plein fouet l’économie de l’Ecosse.

Nicola Sturgeon, la première ministre (indépendantiste) d’Ecosse répète qu’il n’est pas question pour sa « nation » d’être contrainte par les Anglais à sortir de l’UE ­contre son gré. Selon elle, l’élection de Boris Johnson à la tête des tories serait un événement « désastreux » pour le parti. « En Ecosse, on le considère comme l’un des principaux responsables du chaos que nous vivons à propos du Brexit, comme l’homme qui a trompé les gens pendant la campagne du référendum », a souligné Mme Sturgeon, en qualifiant un éventuel « no deal » de « perspective terrifiante pour la plupart des Ecossais ».

Le processus de nomination du nouveau chef du Parti conservateur – qui devient automatiquement premier ministre, car son parti contrôle la majorité du Parlement – par ses seuls 160 000 militants incite les deux prétendants (Boris Johnson et Jeremy Hunt) à se lancer dans une surenchère radicale sur le Brexit, qui passe mal en Ecosse et nourrit l’hostilité à l’égard de M. Johnson. De fait, le nouveau premier ministre britannique va être désigné par un parti qui n’a recueilli que 12 % des voix écossaises aux européennes.

Même au sein des conservateurs écossais, la personnalité et les positions de M. Johnson passent mal. Ils forment un sixième des troupes du parti et vont peser dans l’élection. Leur chef, Ruth Davidson, dont le dynamisme et la modération sur le Brexit a permis aux tories de refaire surface après avoir été menacés de disparition, n’a jamais caché son hostilité à l’égard de M. Johnson. Début mai, elle lui a même interdit de participer au congrès régional du parti.

« Opération enfoiré »

Les conservateurs écossais, convaincus que l’élection de M. Johnson à la tête des tories compromettrait leur avenir électoral, avaient lancé au printemps une « offensive secrète » destinée à « stopper Boris ». Nom de code : « Operation Arse » (« Opération enfoiré »). « Le nom a été choisi pour que chacun comprenne de qui nous parlons », avait expliqué à la presse un rebelle. L’opération a échoué et le langage s’est policé, mais l’hostilité sourd. « J’ai bien des choses à dire sur Boris Johnson. Mais aucune n’est vraiment un compliment, a récemment déclaré Jackson Carlaw, numéro deux des tories en Ecosse. C’est un homme intelligent qui utilise à dessein un langage relâché d’une façon que je trouve inacceptable. »

Boris Johnson a beau jurer sa foi en l’union des quatre « nations » qui composent le pays, en promettant d’ajouter la mention « ministre de l’union » à son futur titre de premier ministre, ses proclamations sonnent faux. Devenue quasi religieuse, la croyance dans le Brexit domine désormais toutes les autres, y compris celle en l’unité du royaume. A tel point qu’un sondage récent indique que 63 % des adhérents du Parti conservateur – dont l’appellation officielle est « Parti conservateur et unioniste » – préféreraient que l’Ecosse devienne indépendante plutôt que de renoncer au Brexit.

Ces circonstances délétères profiteront-elles aux nationalistes écossais ? Aidée par le Brexit, Nicola Sturgeon avance prudemment sur la voie de l’indépendance, cause à laquelle sa vie est consacrée. Pour calmer les militants du Parti national écossais (SNP) qu’elle dirige, et qui a recueilli 38 % des voix aux élections européennes, elle a fait publier, à la fin de mai, la trame d’un projet de loi permettant l’organisation d’un nouveau référendum sur l’indépendance. Mais pour cela, elle a besoin du feu vert de Londres, qu’un gouvernement conservateur ne lui donnera pas. La bascule de l’opinion écossaise n’est d’ailleurs pas évidente. Si le Brexit pousse vers l’indépendance la ­majorité pro-européenne des Ecossais, un tiers des électeurs du SNP a voté en faveur du Brexit.

En 2014, la majorité des Ecossais avait fini par choisir la « sécurité » que semblait offrir le maintien dans le Royaume-Uni. Le Brexit a changé la donne en coupant l’Ecosse de l’ancrage européen auquel ses habitants sont historiquement attachés. Pourtant, la combinaison du Brexit et de l’indépendance fait apparaître un risque nouveau : l’érection d’une véritable frontière avec l’Angleterre, qui ferait obstacle aux échanges. Or, les exportations écossaises vers l’Angleterre sont d’un montant bien supérieur (50 milliards de livres, soit 55 milliards d’euros) à celles destinées aux vingt-sept pays de l’UE (15 milliards de livres). Une Ecosse indépendante risque d’être prise en étau entre l’Angleterre et l’Europe, à l’heure où s’étiolent ses revenus pétroliers de la mer du Nord.

L’inquiétude de Gordon Brown

La dynamique indépendantiste en cours inquiète les acteurs politiques hostiles à la fois à l’indépendance écossaise et aux dérives nationalistes. « Je pense que l’unité [du Royaume-Uni] est davantage en danger qu’elle ne l’a jamais été depuis trois cents ans [l’union ­entre l’Angleterre et l’Ecosse a été scellée en 1707], a déclaré solennellement Gordon Brown, en juin. L’ancien premier ministre travailliste est inquiet pour l’unité du pays, mais aussi pour « les valeurs partagées (tolérance, respect de la diversité, ouverture sur l’extérieur) qui sous-tendent, avec ses hauts et ses bas, l’expérience la plus réussie du monde de coopération entre nations ».

En votant en faveur du Brexit, voici trois ans, bien des Britanniques ont agi par nationalisme. Mais peu d’entre eux sans doute avaient conscience qu’ils ouvraient ainsi la boîte de Pandore de la désintégration de leur pays.

4 juillet 2019

Synthèse - Postes clés de l’Union européenne : la France et l’Allemagne se taillent la part du lion

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Par Cécile Ducourtieux, Bruxelles, bureau européen, Jean-Pierre Stroobants, Bruxelles, bureau européen

Les vingt-huit chefs d’Etat et de gouvernement se sont mis d’accord pour nommer l’Allemande Ursula von der Leyen à la tête de la Commission ; la Française Christine Lagarde hérite de la Banque centrale européenne.

L’accouchement fut relativement long, et douloureux. Mais au terme de ce quatrième sommet en l’espace d’un mois, le résultat est plutôt rafraîchissant : pour la première fois de sa courte histoire, l’Union européenne (UE) devrait nommer deux femmes aux postes de pouvoir majeurs : la Commission et la Banque centrale (BCE).

Ursula von der Leyen, 60 ans, l’actuelle ministre allemande de la défense, devrait remplacer le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker à la tête de la Commission à la fin octobre.

Elle est née à Bruxelles dans une grande famille aristocratique, parle parfaitement le français et fut également ministre fédérale de la famille, puis des affaires sociales du gouvernement Merkel. Mère de sept enfants, fille du ministre-président de Basse-Saxe Ernst Albrecht, elle est considérée comme une conservatrice modérée.

C’est Emmanuel Macron, qui, lundi 1er juillet, a proposé son nom à la chancelière, pour tenter de sortir les négociations de l’ornière, ressuscitant une idée évoquée il y a un an, lors d’une discussion informelle entre les deux dirigeants. Pendant presque dix-neuf heures, les Vingt-Huit s’étaient écharpés sur l’idée de nommer le socialiste néerlandais Frans Timmermans à la Commission. En vain, une dizaine de pays, Italie et Pologne en tête, refusant ce schéma.

Un changement considérable pour l’UE

La France a aussi poussé, ces derniers jours, la candidature de Christine Lagarde pour la présidence de la BCE. Avec succès : l’actuelle directrice générale du Fonds monétaire international (FMI) devrait remplacer l’Italien Mario Draghi à la fin octobre.

Angela Merkel apprécie depuis longtemps l’ancienne ministre des finances de Nicolas Sarkozy qui, sur Twitter, s’est dite « très honorée » d’avoir été choisie et a annoncé qu’elle quittait « provisoirement » le FMI. Christine Lagarde « a toutes les compétences et qualités pour diriger la BCE » a affirmé M. Macron, balayant les critiques sur le profil de l’intéressée, qui n’a jamais dirigé une banque centrale.

Le fait de nommer deux femmes à des postes aussi stratégiques représente, au moins symboliquement, un changement considérable pour l’UE. « Nos sociétés sont paritaires, l’accès aux postes de responsabilité doit l’être également », s’est félicité le président français, Angela Merkel se réjouissant aussi de cette première.

Le premier ministre belge Charles Michel, 43 ans, s’en ira, lui, présider le Conseil en décembre. Il remplacera le Polonais Donald Tusk. Ce libéral impressionne peu par son charisme, mais il est apprécié « pour sa capacité à former des compromis », souligne un diplomate. Des qualités jugées cruciales à Paris, qui a peu apprécié la présidence de M. Tusk. « Je veux promouvoir l’unité, la diversité et la solidarité », a affirmé son successeur.

Enfin, c’est le socialiste espagnol Josep Borrell, 72 ans, qui remplacera l’Italienne Federica Mogherini au poste de Haut Représentant de l’UE. Il a présidé le Parlement de Strasbourg entre 2004 et 2007 et occupera un poste à la fois exposé et difficile, obligeant à composer avec des diplomaties nationales encore jalouses de leurs prérogatives.

Le principe du « spitzenkandidat » affaibli

Mme Merkel et M. Macron avaient-ils, il y a un mois, vraiment pensé toutes les étapes de ce laborieux processus ? Probablement pas. Le président français voulait surtout éviter la nomination de l’Allemand Manfred Weber, chef de file de la droite européenne, pas assez expérimenté pour le poste, selon lui. La chancelière était, de son côté, très embarrassée par cette candidature qu’elle soutenait tout en donnant l’impression de ne pas trop y croire.

Après trois sommets infructueux, ils sont plutôt bien retombés sur leurs pieds et M. Macron apparaît à beaucoup comme le gagnant de cette séquence quand même douloureuse pour l’image de l’UE. Il a réussi à affaiblir, sinon à détruire, le principe très allemand du « spitzenkandidat » que défendait le Parti populaire européen (PPE, conservateurs), accroché au principe de voir la tête de liste de la formation politique remportant les élections partir pour la Commission. Le président français a aussi réussi à déstabiliser le PPE, divisé entre ceux qui soutenaient M. Weber et ceux qui préféraient le laisser tomber en faveur d’un candidat plus solide.

Emmanuel Macron envoie surtout une compatriote à la BCE, huit ans après la fin du mandat de Jean-Claude Trichet à la tête de l’institution monétaire. Et il disposera d’une personne de confiance au Conseil, avec Charles Michel.

Le fait d’avoir proposé Ursula von der Leyen pourrait l’autoriser par ailleurs, au début du moins, à pousser davantage son agenda européen – un budget de la zone euro, une politique industrielle plus volontariste et plus protectionniste, etc. Enfin, le marché pour les portefeuilles de la Commission ayant commencé, la France espère aussi un « grand portefeuille économique, de conquête ».

Mardi soir, le chef de l’Etat français voyait en Ursula von der Leyen une « très bonne candidate ». Il dit compter sur elle et sur M. Michel pour mettre sur les rails une « conférence européenne », destinée, entre autres, à « revoir les modes de fonctionnement » de l’UE.

Angela Merkel place quant à elle une personne de confiance, loyale, à la tête de la Commission. Pour Berlin, cette nomination représente un autre symbole, fort : le pays assume, pour la première fois depuis 52 ans, le tout premier rang dans l’UE.

Un vaste meccano aux nombreux perdants

La « victoire » de la chancelière est moins nette que celle de M. Macron et elle a d’ailleurs dû s’abstenir lors du vote au Conseil sur le nom de Mme von der Leyen, obligée de ménager son partenaire de coalition à Berlin, le SPD (sociaux-démocrates), ulcéré de l’éviction de Frans Timmermans sous la pression du PPE.

Les perdants de ce grand meccano sont, eux, relativement nombreux. Margrethe Vestager, la libérale, a pu espérer un temps diriger la Commission, mais la Danoise devra se contenter d’une vice-présidence. Idem pour M. Timmermans et le Slovaque Maros Sefcovic, eux aussi destinés à rester des numéros deux. Quant au Belge Guy Verhofstadt, qui rêvait du perchoir du Parlement européen, il présidera seulement, si tout se passe bien, la « conférence sur l’Europe » voulue par Paris.

Michel Barnier a, lui aussi, sérieusement pensé qu’il remplacerait M. Juncker à la tête de la Commission mais il restera le « M. Brexit » de l’UE. Enfin, M. Weber, qui a fait campagne durant des mois, a même, faute de soutien, renoncé à la présidence de l’assemblée de Strasbourg, qui lui était promise en guise de lot de consolation…

L’« équipe d’Europe » que loue Emmanuel Macron n’est toutefois pas encore en place : Ursula von der Leyen doit décrocher le feu vert du Parlement et, mardi soir, nombre d’eurodéputés réagissaient très mal à la fin, de fait, du système des « spitzenkandidaten ». Les socialistes notamment regrettaient bruyamment la mise à l’écart de M. Timmermans, et les Verts, grands oubliés de la distribution des postes, dénonçaient des nominations opaques et des manœuvres « en coulisse ».

Le Parlement osera t-il cependant entrer en guerre contre les dirigeants de l’UE, au risque de plonger cette dernière dans une profonde crise au cœur de l’été ? « Peu probable », estimaient des diplomates bruxellois après cette séquence assez homérique.

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