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Jours tranquilles à Paris
3 juillet 2019

Ursula von der Leyen : une fidèle d’Angela Merkel à la tête de la Commission européenne

Par Thomas Wieder, Berlin, correspondant

Si le Parlement européen donne son feu vert, elle serait la première femme à occuper ce poste qui n’a été jusque-là qu’une seule fois dans les mains d’un Allemand.

Pendant des années, Ursula von der Leyen fut considérée comme une prétendante sérieuse à la succession d’Angela Merkel. Mais ces derniers temps, cette hypothèse n’était plus évoquée en Allemagne, où ses difficultés au ministère de la défense lui ont coûté très cher politiquement.

Du moins à Berlin, et c’est là le paradoxe : si elles lui ont peut-être définitivement barré l’accès à la chancellerie, ses six années à la tête de ce ministère ont en revanche donné le temps à Ursula von der Leyen de tisser les réseaux diplomatiques qui lui ont permis d’être nommée, mardi 2 juillet, présidente de la Commission européenne. Et si le Parlement européen donne son feu vert, elle serait la première femme à occuper ce poste qui n’a été jusque-là qu’une seule fois dans les mains d’un Allemand, Walter Hallstein, de 1958 à 1967.

Pour Ursula von der Leyen, cette nomination inattendue met un terme à quatorze années passées au sein du gouvernement allemand, où elle a été chargée successivement de la famille (2005-2009), du travail (2009-2013) et de la défense (depuis 2013). Une longévité sans équivalent : de tous les ministres d’Angela Merkel, cette femme énergique, aujourd’hui âgée de 60 ans, est la seule qui ait siégé dans tous les gouvernements dirigés par la chancelière depuis l’arrivée au pouvoir de cette dernière en 2005.

Membre de l’Union chrétienne-démocrate (CDU), Ursula von der Leyen a souvent été en porte-à-faux avec son parti, notamment sur les sujets de société où cette mère de sept enfants à l’allure sévère s’est plus d’une fois retrouvée plus proche de la gauche que de sa propre famille politique.

« Etats-Unis d’Europe »

Ce fut le cas en 2007, lorsqu’elle fit voter une loi sur le congé parental et décida de multiplier le nombre de places en crèches, au grand dam de l’aile conservatrice de la CDU. En 2011 également, quand elle fut l’une des rares, dans sa formation politique, à réclamer l’instauration d’un salaire minimum et qu’elle voulut imposer des quotas de femmes au sein de la direction des grandes entreprises, contre l’avis de la chancelière et du patronat. Ou encore en 2017, quand elle fit partie des 75 députés de la CDU (sur 300) qui votèrent en faveur de la loi sur le mariage pour tous.

A la défense, le ministère qu’elle aura dirigé le plus longtemps, son bilan est contrasté. Malgré la ténacité dont elle a fait preuve pour obtenir de fortes hausses budgétaires (+ 40 % en six ans), l’armée allemande reste dramatiquement sous-équipée et dans un état de vétusté très préoccupant, ainsi que l’a rappelé, en janvier, le rapport annuel sur la situation de la Bundeswehr, où l’on pouvait notamment lire que la moitié des avions de chasse étaient en état de marche et qu’aucun des six sous-marins n’était opérationnel.

Il n’empêche. Si les efforts de modernisation n’ont pas été à la hauteur des promesses, par ses prises de position, Ursula von der Leyen aura contribué à faire évoluer le rapport de l’Allemagne à ses « responsabilités » diplomatiques et militaires à l’occasion de différents discours. Comme celui qu’elle prononça le 31 janvier 2014 dans le cadre de la Conférence de Munich pour la sécurité, où elle déclara que « l’indifférence n’est pas une option pour l’Allemagne ». Un appel à un plus grand « engagement » de son pays devant s’articuler, selon elle, avec la mise en place d’une « armée européenne », elle qui s’est dite plusieurs fois convaincue que « peut-être pas ses enfants mais ses petits-enfants verraient un jour les Etats-Unis d’Europe ».

Ministre la plus impopulaire du gouvernement allemand

C’est cependant pour sa gestion de certaines crises que Mme von der Leyen a été le plus durement mise en cause. Critiquée pour avoir tardé à réagir après les révélations de plusieurs cas de harcèlement dans des casernes, la ministre a aussi été fragilisée par la vive polémique qu’elle a déclenchée, en 2017, en dénonçant un problème général de « comportement » et de « commandement » dans la Bundeswehr après l’arrestation d’un lieutenant d’extrême droite soupçonné de préparer des attentats. Ses propos ont profondément altéré ses relations avec les militaires, qui lui ont reproché de se défausser sur eux.

A cela s’ajoutent les recrutements de consultants externes sans appel d’offres par le ministère de la défense, à l’origine de plusieurs dizaines de millions d’euros de contrats. Une affaire qui fait l’objet d’une commission d’enquête parlementaire et a contribué à faire chuter la cote sondagière de Mme von der Leyen, ministre la plus impopulaire du gouvernement, selon la dernière vague du baromètre du Spiegel parue début mai.

Francophone et francophile, Ursula von der Leyen, qui parle aussi parfaitement l’anglais pour avoir vécu en Californie où son mari enseigna la médecine à l’université de Stanford dans les années 1990, ne sera pas en terrain étranger à Bruxelles. C’est en effet dans cette ville qu’elle est née, en 1958, puis a passé les treize premières années de sa vie. Une période pendant laquelle son père, Ernst Albrecht, futur ministre-président (CDU) de Basse-Saxe (1976-1990), fut notamment chef de cabinet à la Commission européenne.

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2 juillet 2019

Christine Lagarde

lagarde

2 juillet 2019

L'ÉDITO de Henri Vernet Allô l’Europe ? Ici la terre…

macron europe

L’Europe, quel numéro de téléphone ? Au bout de longs jours - et de longues nuits - de discussions, tractations, marchandages, fâcheries, bouderies voire claquements de portes, on ne sait toujours pas qui il faut appeler à Bruxelles en cas de problème urgent à régler - comme, au hasard, l’arrestation par un Etat membre de la capitaine (de nationalité d’un autre Etat membre) d’un bateau humanitaire… Faisant la preuve par l’absurde que le système actuel de décision, ou trop souvent de non-décision, n’est tout simplement plus tenable, les 28 dirigeants européens - 27, la Britannique Theresa May, doublement « out » pour cause de démission et de Brexit, préférant suivre le match de cricket Inde-Angleterre à la télé pendant que ses collègues s’empaillaient - étalent leur incapacité à se mettre d’accord pour désigner l’équipe de pointe (à commencer par la présidence de la Commission) à placer à la barre du bateau ivre UE. Un échec qui « donne une image pas sérieuse de l’Europe », euphémise Emmanuel Macron. Lequel a sa part dans ce lamentable enlisement, pour avoir inutilement braqué la sourcilleuse Angela Merkel, sans qui rien ne peut avancer. En attendant, les adversaires de l’Europe peuvent se frotter les mains : « allô l’Europe ? Ici la terre », se marrent les Trump, Poutine, Xi Jinping et consorts…

1 juillet 2019

Le sommet sur les postes clés de l’UE dans l’impasse, une nouvelle réunion envisagée

Réunis à Bruxelles, les Vingt-Huit tentent de s’accorder sur les nominations aux plus hauts postes européens, après un premier échec il y a une dizaine de jours.

Les dirigeants européens tentaient, dans la nuit de dimanche 30 juin à lundi 1er juillet, de sortir leurs négociations de l’impasse, provoquée par leurs dissensions pour désigner le nouveau chef de la Commission, clé pour les nominations aux autres postes de pouvoir de l’Union européenne (UE).

Si bien que lundi au petit matin, l’hypothèse d’un nouveau sommet était évoquée par de nombreuses délégations, après un premier échec il y a une dizaine de jours.

Les pourparlers, qui avaient commencé avec trois heures de retard ont été suspendu vers 23 h 30 pour permettre au président du Conseil européen, le Polonais Donald Tusk, de mener des consultations bilatérales avec chacun des dirigeants des Vingt-Huit, a annoncé son porte-parole. Celles-ci étaient toujours en cours à 3 h 30 lundi.

Le sommet il est vrai a déraillé avant même d’avoir commencé, lorsque les dirigeants membres du Parti populaire Européen (PPE-conservateurs) ont rejeté l’accord accepté par Angela Merkel alors qu’elle se trouvait au G20 d’Osaka, au Japon.

Merkel contestée

Pour la première fois, la chancelière allemande a été ouvertement contestée pendant un sommet du PPE et accusée d’avoir accepté un accord contraire à celui initialement étudié par sa famille politique. Premier parti au Conseil et au Parlement européen, le PPE a vu son candidat, l’Allemand Manfred Weber, recalé lors du précédent sommet le 20 juin.

La formation conservatrice aurait accepté de soutenir la nomination du candidat de la famille sociale-démocrate, le Néerlandais Frans Timmermans, à condition d’obtenir les présidences du Parlement européen et du Conseil, selon deux sources qui ont participé aux négociations, citées par l’Agence France-Presse (AFP).

Les sociaux-démocrates, deuxième force politique au Conseil et au Parlement, soutiennent la revendication du PPE, ont précisé ces deux sources. Mais les Libéraux ont refusé les termes de cet accord et ils ont obtenu d’Angela Merkel la présidence du Conseil lors des discussions en marge du sommet du G20, vendredi et samedi, à Osaka, déclenchant la colère du PPE.

« L’accord a été détruit » à Osaka, a déploré un responsable du PPE, sous couvert de l’anonymat. « Il est mort. Il n’y aura pas d’accord ce soir », a-t-il affirmé à l’AFP. « Aucun des dirigeants du PPE n’a accepté » ce qui a été négocié à Osaka, a confirmé le premier ministre irlandais Leo Varadkar, membre du PPE.

La droite tient la clé de ces nominations. Aucune solution ne peut être avalisée sans le soutien de cette famille politique, car aucune majorité n’est possible sans les votes de son groupe au Parlement européen.

La crise entre Angela Merkel et le PPE n’avait pas été anticipée, il y a eu un manque de communication, a indiqué à l’AFP une source française qui a prédit une nuit blanche. Les dirigeants du PPE ont toutefois laissé Donald Tusk tenter de sauver le sommet avec la recherche d’un consensus sur la base du premier accord entre le PPE et les sociaux-démocrates. La plupart des dirigeants « peuvent vivre » avec l’accord Timmermans-Weber et les discussions portent sur les autres postes, a indiqué à l’AFP un négociateur aux premières heures de la journée de lundi.

« C’est compliqué pour la présidence du Conseil », a-t-il ajouté. Selon une source européenne, les noms évoqués pour ce poste sont ceux de deux Libéraux, la Danoise Margrethe Vestager (actuelle commissaire européenne à la concurrence) et le premier ministre belge Charles Michel. Dans ce cas, la France pourrait demander la présidence de la Banque centrale européenne (BCE), selon cette même source.

Une nouvelle réunion envisagée

Quoi qu’il en soit, un nouveau sommet pourrait être nécessaire pour boucler un accord. Le président français Emmanuel Macron et Angela Merkel voudraient bien trouver un accord dès cette nuit « quitte à prendre du temps ; il est même envisagé de déborder jusqu’à lundi matin s’il le faut », a toutefois nuancé la source européenne.

Le Parlement européen doit impérativement élire son nouveau président lors de sa session inaugurale mercredi 3 juillet. « Le choix du président est totalement indépendant (...) Nous l’élirons le 3 juillet quel que soit le résultat » du sommet, a affirmé, dimanche, le président sortant, l’Italien Antonio Tajani, membre du PPE.

La désignation du président de la Commission européenne peut en revanche être retardée. L’actuel chef de l’exécutif bruxellois, le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker, est en fonction jusqu’au 31 octobre. La personnalité désignée devra obtenir l’aval de vingt et un des vingt-huit membres du Conseil et une majorité d’au moins 376 voix au Parlement.

Quatre pays d’Europe de l’Est, membres du « groupe de Visegrad » (Hongrie, Pologne, République tchèque et Slovaquie), sont ouvertement hostiles à M. Timmermans ; ce dernier avait lancé des procédures pour violation de l’Etat de droit contre Budapest et Varsovie.

30 juin 2019

Macron propose trois noms pour la présidence de la Commission européenne © Sputnik .

Les trois noms ont été proposés par le chef d'État français pour la présidence de la Commission européenne lors de son déplacement à Bruxelles. D’après Emmanuel Macron, ces trois candidatures répondent au critère de compétence pour ce poste.

Emmanuel Macron a évoqué trois noms de politiciens qui, selon lui, correspondent au mieux au poste de président de la Commission européenne.

 «Je peux donner trois noms: Michel Barnier, Margrethe Vestager, Frans Timmermans», a affirmé le Président cité par les médias.

Le Président français estime que le négociateur en chef de l'UE sur le Brexit, Michel Barnier, la commissaire européenne à la Concurrence, Margrethe Vestager, et le premier vice-président de la Commission, Frans Timmermans, sont les plus aptes pour le poste de président de la Commission européenne.

Il a tenu à souligner que «les nominations devraient être basées sur l’agenda clair et les priorités communes de l’Union européenne».

«Je suis optimiste, je pense que nous pouvons trouver un accord constructif. Je considère qu'il faut un esprit de compromis et d'ambition pour l'Europe», a-t-il avancé.

En outre, le chef d’État français a souligné qu’il préférerait aux postes clés du Conseil de l’Europe «deux hommes et deux femmes».

Le 30 juin à partir de 18 heures, les chefs d’État et de gouvernement de l’UE se réunissent à Bruxelles pour tenter de désigner les prochains présidents de la Commission, du Conseil et de la Banque centrale européenne (BCE), ainsi que le futur haut représentant de l’UE pour les Affaires étrangères.

«Je m’en fous des Européens», lance Trump

Auparavant, lors du dîner du jeudi 20 juin à Bruxelles, les 28 chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne ne sont pas parvenus à un accord concernant les nominations aux grands postes européens. Emmanuel Macron, opposé à la nomination de Manfred Weber, ne s’est pas dit surpris lorsque les chefs des groupes socialistes et centristes du Parlement européen ont annoncé qu’ils ne soutiendraient pas la candidature de l’Allemand en cas de vote.

Cité par Le Monde, l’entourage du Président français a expliqué que «le profil de M.Weber ne correspond pas à l’expérience nécessaire qu’on doit avoir pour la présidence de la Commission

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28 juin 2019

Portrait - Boris Johnson, un gaffeur aux portes du pouvoir

boris

Par Philippe Bernard, Londres, correspondant

Malgré ses frasques et ses provocations, l’ancien maire de Londres est bien parti pour succéder, fin juillet, à Theresa May au poste de premier ministre du Royaume-Uni.

Quatre jours après l’ouverture des Jeux olympiques (JO) de Londres, en 2012, Boris Johnson, alors maire de la ville, avait trouvé un moyen de braquer les projecteurs sur sa personne. Casqué et harnaché, agitant deux drapeaux britanniques, il s’était élancé du haut d’une tyrolienne installée à Victoria Park, non loin du stade des JO.

Faute d’élan, il s’était arrêté à mi-course, demeurant suspendu pendant un moment au-dessus des promeneurs, avant d’être secouru. « Je suis resté en l’air un moment avec ce harnais qui comprimait mes parties basses, avait-il commenté. Mais j’ai adoré, je recommande. » Les images du maire guignol gesticulant sous les yeux d’une foule hilare sont restées dans la légende.

Pour Boris Johnson, faire rire et faire de la politique n’ont jamais constitué deux activités séparées. « Comment voudriez-vous que les gens élisent un neuneu qui reste coincé sur une tyrolienne ? », avait-il alors souligné pour faire taire des rumeurs sur son ambition de gouverner le pays.

« De la bonhomie à la fureur noire »

Sept ans plus tard, le « neuneu » est aux portes de Downing Street, plébiscité par des conservateurs qui, de guerre lasse, ont fini par s’en remettre à lui pour sortir le pays de l’impasse du Brexit.

Il a domestiqué sa tignasse blonde autrefois désordonnée, évite les jeux de mots, suit des éléments de langage et se montre étonnamment sérieux et totalement vague. Les députés tory, tétanisés par le succès électoral du Parti du Brexit (extrême droite) qui prospère sur un sentiment de trahison répandu parmi les partisans de la sortie de l’Union européenne (UE), ont fait taire leurs réticences pour l’adouber. Tout porte à croire que la majorité des adhérents du parti conservateur, appelés à le départager de son challenger, Jeremy Hunt, le choisiront comme l’ultime recours pour sauver les tories et leur nouvelle religion : le Brexit.

« Quelle révélation pourrait encore faire dérailler sa marche vers Downing Street, alors qu’il s’est maintes fois rendu coupable de mensonge, de tricherie, de déloyauté, de paresse, d’indiscrétion, d’incompétence, de mépris cynique pour les autres, sans jamais en subir les conséquences ? », se demandait la journaliste Sonia Purnell, une ancienne subordonnée de Boris Johnson pendant ses années de journaliste au Telegraph, juste avant qu’une scène de ménage avec sa compagne, Carrie Symonds, révélée par des voisins, vendredi 21 juin, ne vienne jeter le trouble dans le pays sur la réalité du « nouveau Boris ».

« Il peut passer de la bonhomie à la fureur noire en quelques secondes, pour peu que l’on remette en cause le sentiment que tout lui est dû ou que l’on blesse son amour-propre », a ajouté Sonia Purnell dans le Times au lendemain de la rixe.

Réunir un royaume coupé en deux

Si Boris Johnson n’était qu’un personnage de roman, il pourrait personnifier la quintessence d’une certaine catégorie d’Anglais : bien né et sûr de son fait, dilettante jusqu’au cynisme, spirituel jusqu’à la clownerie. Son assurance n’a d’égale que sa capacité à gaffer et à se ridiculiser. D’où les consignes de ses communicants : éviter au maximum les débats et les interviews en direct. « Fini de rire, Boris », semble être la consigne.

De fait, l’heure n’est pas aux galéjades. Lui qui se prétend l’héritier des plus remarquables premiers ministres britanniques – Benjamin Disraeli (1804-1881) et Winston Churchill (1874-1965) – se prépare à succéder à Theresa May, fin juillet. Lui qui se fait fort de réunir un royaume coupé en deux sur l’Europe est un « candidat Marmite », du nom de cette pâte à tartiner salée terriblement anglaise dont le slogan est « Vous l’aimez ou vous la détestez ». Les trois quarts des électeurs conservateurs se situent dans la première catégorie, les trois quarts des travaillistes dans la seconde.

« Boris », alias « BoJo », est une marque à lui tout seul, connue pour son excentricité et ses positions pour le moins élastiques. Pourtant, derrière les pitreries pointent deux constantes dans sa pensée : la détestation de l’UE et l’ultralibéralisme.

Il aurait pu suivre les traces de son père, Stanley, un des premiers hauts fonctionnaires britanniques envoyés par Londres à Bruxelles en 1973, juste après l’adhésion à la Communauté économique européenne (CEE), ancêtre de l’UE. Si l’on cherche une explication psychologique dans la hargne du fils d’eurocrate contre l’UE, on peut la trouver dans ses mauvais souvenirs d’une enfance bruxelloise où ses parents se déchirent, et où sa mère, une artiste, tombe en dépression. Toujours est-il que lorsque, après ses études à Eton et à Oxford, il retourne à Bruxelles en 1989, à l’âge de 24 ans, envoyé comme correspondant par le quotidien conservateur Daily Telegraph pour couvrir la CEE, il connaît le terrain.

« Le beurre et l’argent du beurre »

Très vite, le jeune journaliste prend le contre-pied des comptes rendus insipides de ses confrères sur la vie des institutions européennes. Mêlant son goût de la provocation et sa relation distante avec la vérité, il enchante ses lecteurs en dénonçant avec drôlerie des turpitudes de la CEE souvent inventées. Bruxelles, écrit-il, veut normaliser les cercueils et les préservatifs, interdire aux enfants de moins de huit ans de gonfler des ballons et empêcher de recycler des sachets de thé.

Il cultive son image d’Anglais snob avec sa voiture de sport rouge cabossée, ses vêtements troués et sa manière d’écorcher volontairement son français parfait.

Pareil aplomb a de quoi désarmer les autorités de Bruxelles. Mais à Londres, il devient la coqueluche des conservateurs de Margaret Thatcher. Boris Johnson a contribué à faire de l’euroscepticisme « une cause attrayante (…) pour la droite », alors qu’il était jusque-là associé à la gauche, analyse Sonia Purnell. « Tout ce que j’écrivais depuis Bruxelles produisait un effet explosif étonnant sur le parti, a confié l’intéressé à la BBC en 2005. Je crois que cela m’a donné cet étrange sentiment de pouvoir. »

De retour à Londres en 1994, il s’installe à Islington, quartier bobo du nord de la ville, et devient une figure populaire dans tout le pays grâce à ses apparitions télévisées dans une émission de divertissement.

Après plusieurs échecs, il finit par obtenir de son parti une circonscription « sûre » de l’Oxfordshire, où il se fait élire député en 2001. Sommé de quitter la rédaction en chef de l’hebdomadaire conservateur The Spectator pour éviter les conflits d’intérêts, il rétorque : « Je veux le beurre et l’argent du beurre. » La formule lui servira plus tard de ligne de conduite pour le Brexit : il veut les avantages de l’UE sans les contraintes de l’adhésion, au risque d’exaspérer les Vingt-Sept.

Des chips contre Bruxelles

De ses années bruxelloises, « Bojo » a conservé la méthode de dénigrement de l’UE admirablement analysée par Fintan O’Toole, chroniqueur de l’Irish Times, dans son livre Heroic Failure. Brexit and the Politics of Pain (« Echec héroïque. Le Brexit et la politique de la douleur », Head of Zeus, 2018, non traduit).

Considérant la spécificité des goûts alimentaires – en particulier les aliments industriels consommés dans les classes populaires – comme le symbole ultime de « l’anglicité » et du libre choix, il a présenté les réglementations européennes comme une machine de guerre antianglaise. Reprise par les tabloïds, sa dénonciation d’un texte européen – imaginaire – visant à interdire les « chips britanniques saveur cocktail de crevettes », le nec plus ultra à l’époque chez les Anglais défavorisés, a mis dans le mille, enrôlant le petit peuple dans sa croisade ultralibérale.

« J’ai passé mes meilleurs moments [à Bruxelles] dans un état de semi-incohérence, composant des hymnes écumants de haine contre la dernière euro-infamie », confesse-t-il en 2002.

Son leitmotiv : l’Europe, dominée par les vaincus de la seconde guerre mondiale, cherche à humilier la vieille démocratie britannique. Ces références incessantes à la guerre de 1939-1945 tournent d’ailleurs à l’obsession : pour servir sa rhétorique pro-Brexit, il compare l’UE au IIIe Reich d’Hitler, et François Hollande à un kapo. Pour lui, l’Europe est une pieuvre étouffant la fière Angleterre impériale. Il favorise l’alliance de deux nationalismes par-delà les intérêts de classe : celui de la grande bourgeoisie anglaise en deuil de l’empire et celui des pauvres du nord du pays, convaincus que le Brexit leur redonnera du travail. Le 23 juin 2016, jour du vote du Brexit ? C’est « le jour de l’indépendance britannique », trompette-t-il avant de déserter, laissant le fardeau à Theresa May.

Au seuil de Downing Street, ce démagogue ultralibéral se pose en Donald Trump britannique au petit pied. Après avoir dénigré le milliardaire président, il avoue d’ailleurs son « admiration croissante » à son égard. « Il y a de la méthode dans sa folie, confie-t-il lors d’un dîner privé en juin 2018. Imaginez Trump gérant le Brexit. Il y aurait toutes sortes de crises, de chaos. Mais au moins, on arriverait à quelque chose. »

Diplomate peu diplomate

Pour se faire élire, en 2008, à la mairie de Londres, l’une des villes les plus cosmopolites de la planète, « BoJo » a joué la carte de l’ouverture au monde et du libéralisme sociétal : défense du mariage gay et du vélo. Mais sous ses deux mandats, cette ville en manque cruel de logements abordables s’est couverte de gratte-ciel, dont les appartements de luxe achetés par des investisseurs russes ou arabes sont souvent vides.

Né à New York, longtemps citoyen américain, Boris Johnson se fait fort de rappeler que son arrière-grand-père était un Turc musulman à chaque fois qu’il est pris en flagrant délit de xénophobie. En 2008, il décrit les « négrillons agitant des drapeaux » avec des « sourires de pastèques » sur le passage de la reine Elizabeth. Et lorsque, en 2016, Barack Obama met en garde contre le Brexit, il dénonce « l’aversion héréditaire à l’égard de l’empire britannique d’un président à moitié Kényan ».

Ses années à la tête du Foreign Office (2016-2018) ont été largement vues comme lamentables. Chargé de consolider les relations internationales après le Brexit, il stupéfie par son dilettantisme, sa condescendance et ses gaffes. Comme ce jour où, dans un sanctuaire bouddhiste birman, il murmure un poème de Kipling datant de la colonisation. Avec ses « amis » européens, ce n’est guère mieux : il traite les Italiens de « vendeurs de prosecco ». « Les Français, pourquoi cherchent-ils à nous baiser ? », l’entend-on interroger, à propos du Brexit, dans un documentaire de la BBC.

Le désarroi des conservateurs est tel qu’ils le considèrent tout de même comme le seul d’entre eux dont le bagou peut surpasser celui de Nigel Farage, le leader du Parti du Brexit. Après Theresa May, maladroite mais digne, cet animal politique constitue le dernier espoir de la droite britannique.

Chacun connaît son narcissisme et ses mensonges, mais il rassure les électeurs europhobes en promettant que le Brexit aura eu lieu avant le 31 octobre – sans expliquer, et pour cause, comment il pourrait y parvenir. Mais avec son insatiable besoin d’être aimé et son aplomb phénoménal, tout est possible, même un mouvement de girouette si sa demande de renégociation se heurte à un « niet » des Vingt-Sept. Un brexiter pour stopper le Brexit ? Boris Johnson sait qu’il a rendez-vous avec l’histoire, et c’est le rêve de sa vie.

boris2

20 juin 2019

Groucho à Downing Street

Au moins, on ne va pas s’ennuyer. Aux dernières nouvelles, Boris Johnson, le clownesque porte-parole du Brexit, a les meilleures chances d’être désigné leader du Parti conservateur. Aussi coloré et changeant que Theresa May était grise et obstinée, «BoJo» sera, dans cette hypothèse, le prochain Premier ministre du Royaume-Uni, enfin assis dans le fauteuil de son idole Winston Churchill, qu’il guigne pour ainsi dire depuis qu’il est né. Groucho Marx succéderait ainsi à Margaret Dumont, la pompeuse et un peu niaise souffre-douleur du burlesque quatuor.

Virtuose du retournement de veste, Johnson se présente comme le désormais champion du «hard Brexit», qui verrait le Royaume-Uni sortir de l’Union européenne sans accord. En 2016, deux jours avant de se prononcer contre l’Union, «BoJo» avait rédigé un vibrant plaidoyer pour le «remain». Il a été pris dix fois en flagrant délit de contradiction ou de mensonge. Journaliste trublion, il s’était distingué par ses sorties canulardesques contre la Commission de Bruxelles. Au moment du référendum de sortie, il avait mené une campagne antieuropéenne fondée pour l’essentiel sur des «fake news».

L’électorat ne lui en tient guère rigueur. Johnson a assis sa popularité comme maire de Londres, poste qu’il a occupé avec talent et inventivité. Son excentricité – qualité très prisée dans l’establishment britannique – a fait le reste. «Boris» fait rire et parle cash. En ces temps populistes, ce sont des armes redoutables, renforcées par un talent oratoire indiscutable.

Sa possible victoire sera néanmoins placée sous le signe d’un double et amer paradoxe. Johnson est un nationaliste ultralibéral. S’il fait ce qu’il annonce, le Royaume-Uni sortira de l’Union au forceps. Or cette position est minoritaire. L’opinion britannique se divise en fait en trois. Plus de 40% des électeurs (une majorité, même, selon les sondages) souhaitent rester dans l’Europe. Les autres forment deux camps : «hard» et «soft» Brexit. Boris Johnson se prépare donc à imposer à son peuple une solution dont il ne veut pas. Tel est le souverainisme en actes de l’autre côté de la Manche : il s’apprête à contredire brutalement la souveraineté populaire. Tout ce qu’on reproche habituellement aux pro-européens.

Deuxième paradoxe : les classes populaires pro-Brexit souhaitent une protection vis-à-vis de l’étranger. Elles réprouvent l’immigration, mais aussi l’ouverture des frontières aux produits importés, qui menacent les emplois traditionnels. Boris Johnson pense exactement l’inverse. Pour lui, le Royaume-Uni sorti de l’Union doit regarder vers le grand large, devenir une sorte de Singapour majuscule, à coups de baisses d’impôts et d’accords libre-échangistes. Soit une politique exactement inverse de celle qu’attendent les travailleurs brexiters du Yorkshire ou du Kent. Tel Gribouille, on vote contre l’ouverture européenne pour se précipiter dans l’ouverture mondiale. C’est l’habituel résultat du populisme : duper le peuple.

LAURENT JOFFRIN

26 mai 2019

Portrait - Theresa May : une lente descente dans l’enfer du Brexit

Par Philippe Bernard, Londres, correspondant

La première ministre britannique aura multiplié les erreurs dans la négociation de la sortie de l’UE, au point d’en retarder l’échéance, tout en braquant ses soutiens parlementaires.

« Nous vivons une époque formidable ! » Trois jours avant d’être contrainte à la démission, vendredi 24 mai, Theresa May feignait encore de croire à l’« avenir magnifique qui attend le Royaume-Uni » après le Brexit. Tentant une ultime fois de convaincre l’opinion britannique des vertus de son plan « nouveau et audacieux » pour sortir de l’Union européenne (UE), elle implorait les députés de cesser d’y faire obstruction.

Jusqu’au bout, la fille de pasteur anglican parvenue au 10 Downing Street un peu par hasard dans la panique qui a suivi le non à l’UE du 23 juin 2016, aura déconcerté tous les observateurs par sa faculté à nier la réalité.

Trois votes négatifs à Westminster ne lui ont pas suffi pour comprendre qu’il fallait tenter autre chose, expliquer aux Britanniques pourquoi la sortie de l’UE n’était pas la promenade de santé promise par certains de ses ministres. Contre l’évidence, ces derniers jours, elle a cru qu’elle pouvait arracher un vote de dernière minute sur le Brexit et empêcher ainsi la tenue des élections européennes.

En pure perte. Ce scrutin, organisé jeudi 23 mai au Royaume-Uni mais dont les résultats ne seront connus que dimanche soir, devrait se traduire par une humiliation suprême pour celle dont la vie entière semble vouée au parti conservateur : le plus faible score des tories depuis leur fondation, en 1834.

Longtemps, le fort caractère de l’ancienne ministre de l’intérieur de 62 ans, son opiniâtreté, sa bravoure dans l’adversité, sa faculté à relever la tête après chaque camouflet, ont fait illusion et forcé l’admiration. Que cette femme de tête discrètement pro-européenne ait accepté de relever le défi du Brexit après que les matamores qui l’avaient ardemment défendu – Boris Johnson et Michael Gove – eurent déserté, renforçait l’image de « Theresa-Mère Courage ».

theresa55

Impossibilité de la tâche

Mais, en trois années de pouvoir, la dirigeante s’est révélée être non seulement aveugle face à la réalité, mais bornée, incapable d’écouter, dénuée de la moindre conviction à propos de l’UE et agissant sans cesse à contretemps. Comme si la ténacité masquait l’étroitesse de vue, comme si le sens du devoir cachait de la vanité, et la résilience un entêtement solitaire.

Le résultat est là, désastreux, d’abord pour le Royaume-Uni, mais aussi pour tout le continent : la fracture ouverte par le référendum sur le Brexit s’est infectée, libérant de forts relents nationalistes et xénophobes. L’incapacité à mettre en œuvre le divorce avec l’UE nourrit le dégoût de la politique, le mépris des politiciens et le retour de l’extrême droite.

L’incertitude sur le maintien d’un espace sans frontières avec les vingt-sept Etats de l’UE pèse sur les investissements et le moral des ménages, et menace l’emploi. Le système politique, lui, est sous tension tant s’est aggravée la contradiction entre la souveraineté populaire – le référendum – et la séculaire démocratie parlementaire britannique.

Quant à l’antique tradition bipartisane, liée à l’élection des députés à un seul tour de scrutin, elle est en passe d’imploser car le Brexit a sapé la confiance tant dans les tories que dans le Labour. Les premiers, traditionnellement ouverts, se sont transformés, sous l’influence de Theresa May, en partie du Brexit aussi, voire du nationalisme anglais, mais ils se sont révélés incapables de mettre en œuvre la rupture avec l’UE. Le Parti travailliste, lui, déboussole et aliène ses partisans en ne choisissant aucun camp dans le débat le plus décisif que le pays a connu depuis 1945.

Aurait-il pu en être autrement ? La réponse renvoie à l’impossibilité de la tâche : négocier un « bon Brexit » alors que la sortie de l’UE ne peut pas être, au moins à court terme, « gagnante » pour le Royaume-Uni. Elle conduit aussi à rappeler l’incessante guerre interne qu’a livrée à la première ministre un certain Boris Johnson. Aujourd’hui favori pour lui succéder, l’ancien ministre des affaires étrangères a qualifié le plan Brexit de Theresa May de « grosse crotte ». Présentée par elle comme « fort et stable », son gouvernement n’a pas cessé, il est vrai, d’être une pétaudière.

« Faible et brouillonne »

Impossible d’évacuer la part prise par la personnalité de Theresa May dans le tour dramatique pris par les événements. Ivan Rogers a démissionné de son poste de représentant de Londres auprès de l’UE en dénonçant sa « pensée confuse », sa difficulté à entendre les vérités qui dérangent et à écouter le point de vue des continentaux.

« Theresa May se devait d’affirmer sa détermination à mettre en œuvre le Brexit, mais elle devait aussi expliquer à l’opinion les choix difficiles à faire, a déclaré au Monde M. Rogers. Or, à chaque étape, elle s’est montrée incapable de les défendre, même lorsque cela aurait été possible. Le résultat est désastreux. »

Lorsqu’elle arrive au pouvoir, sans la moindre élection (elle a été nommée leader du Parti conservateur après le retrait des autres candidats), Theresa May bénéficie d’un état de grâce. A l’automne 2016, 54 % des Britanniques et 87 % des conservateurs la considèrent favorablement. Mais, alors que le résultat du référendum était serré (51,9 % pour le Brexit), et la question posée vague, elle adopte une ligne dure, comme si tous les Britanniques avaient choisi de rompre radicalement avec le continent.

Elle finira par abandonner la phrase creuse – « Brexit veut dire Brexit » qu’elle répète alors à l’envi. Mais elle lui substitue des formules tout aussi floues – « Brexit fluide et méthodique », « nouveau partenariat positif et constructif », « accord de libre-échange ambitieux et global », qu’elle ressert imperturbablement, quelle que soit la question qu’on lui pose.

Theresa May devient « Maybot », contraction entre son nom et le mot « robot ». « Ce sobriquet résume son style maladroit, indifférent, et sa profonde médiocrité, assène John Crace, chroniqueur au Guardian et inventeur de la formule. Loin d’être un chef de file fort, elle s’est révélée faible et brouillonne. »

Très vite, elle commet des erreurs qui seront fatales au fil des mois : au congrès du Parti conservateur d’octobre 2016 puis dans son discours de Lancaster House prononcé en janvier 2017 devant des ambassadeurs européens médusés, elle fixe des lignes rouges – sortie du marché unique et de l’union douanière – qui lui lieront les mains, avant qu’elle ne soit contrainte de les assouplir. Elle affirme aussi qu’« une sortie sans accord vaut mieux qu’un mauvais accord ». La menace sera brandie réellement deux ans plus tard, pour tenter de forcer la main des députés rétifs.

Vaine bataille parlementaire

Le 29 mars 2017, sans avoir d’objectif clair sur le type de relation souhaité dans l’avenir avec l’UE, elle active l’article 50 du traité de Lisbonne, celui encadrant la sortie d’un Etat membre. Son geste inconsidéré déclenche un compte à rebours de deux ans pour la conclusion du divorce et donne de fait la main à Bruxelles.

La féroce et vaine bataille parlementaire pour faire ratifier l’accord finalement signé avec l’UE en novembre 2018 a fait oublier qu’à l’origine Theresa May pensait gérer seule la mise en œuvre du Brexit. Il a fallu un recours en justice et un arrêt de la Cour suprême, en janvier 2017, pour que les députés s’en emparent. Lourde erreur d’appréciation pour une députée élue depuis plus de vingt ans dans un pays où le Parlement est le cœur battant de la vie politique.

Mais sa bourde magistrale restera la décision surprise d’organiser des élections anticipées en juin 2017. Comptant renforcer sa majorité, Theresa May la perd après une campagne où s’étalent son manque de charisme et ses formules creuses. La voilà otage du petit Parti démocratique unioniste (DUP) nord-irlandais dont les dix députés, intégristes du Brexit, servent d’appoint aux tories dans les votes.

Elle qui n’a absolument pas anticipé le fait que l’Irlande serait au cœur des négociations avec Bruxelles se fait imposer par Michel Barnier, chef des négociateurs de l’UE, un « phasage » des discussions qui va la coincer. Les futures relations commerciales, dossier central pour Londres, ne seront discutées que lorsque seront soldés trois chapitres fondamentaux pour l’UE : le règlement financier du Brexit, le statut des expatriés et la frontière irlandaise. Bruxelles s’inquiète de ses prétentions, de son refrain sur les « succès du Brexit » et est exaspéré par son incapacité à articuler des propositions.

Lors de sommets européens cruciaux, Theresa May apparaît faisant le pied de grue, esseulée, au milieu de ses homologues. La première ministre croit s’en sortir en acceptant une clause dite de « backstop » (« filet de sécurité »), qui garantit le non-retour de la frontière irlandaise mais rend furieux ses alliés du DUP. Mais son « plan de Chequers » du 6 juillet 2018, usine à gaz qui marque de nouvelles concessions, est un flop. Il est inacceptable pour l’UE car il remet en cause l’unité du marché unique. Le chef de la diplomatie, Boris Johnson, choisit ce moment pour démissionner. Par la suite, il torpillera Theresa May ouvertement de l’extérieur.

Trop peu, trop tard. La première ministre fait des concessions, mais sans les expliquer au public et à contretemps. Le 25 novembre 2018, elle signe à Bruxelles l’accord tant attendu sur le Brexit avec l’UE. Ce devrait être une consécration. C’est une catastrophe. Le parti conservateur ne la suit pas : les europhobes crient à la trahison tandis que les pro-européens préféreraient rester dans l’UE. « C’est mon deal ou le chaos », leur rétorque-t-elle en substance. La suite ressemble à un chemin de croix.

A trois reprises, elle tente de faire avaler sa potion aux députés récalcitrants. Rien n’y fait. Ni la menace d’un « no deal » catastrophique pour l’économie, ni l’approche de la date butoir du 29 mars 2019, deux ans après le début des négociations, ni l’humiliation d’avoir à organiser des élections européennes, ni même la promesse de son propre départ à la condition que le vote soit acquis.

« Tuyau percé »

Quand survient le fameux 29 mars, une date qu’elle n’a cessé de présenter comme gravée dans le marbre du Brexit, la messe est dite. Elle est contrainte de solliciter un report. Son autorité déjà faible s’étiole encore. Elle n’est plus que la « chef de file qui n’en a que le nom » (« leader in name only ») brocardée par John Crace à longueur de colonnes. Dans le Times, l’éditorialiste Matthew Parris a pu la qualifier de « tuyau percé » tandis que George Osborne, ancien ministre des finances remercié par Theresa May et devenu rédacteur en chef de l’Evening Standard, a osé la traiter de « cadavre ambulant ».

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Jusqu’au dernier jour, la première ministre agit comme si elle était investie d’une mission sacrée. Son éternelle procrastination, son manque de pédagogie donnent l’impression qu’elle ne peut accomplir son dessein que par des subterfuges.

En avril, alors qu’elle a perdu toute autorité, elle se décide à ouvrir des pourparlers avec Jeremy Corbyn, le chef du Labour. Trop tard encore. Chacun s’y accorde : si elle avait accompli ce geste au début de son mandat, comme aurait dû l’y conduire le résultat du référendum, elle aurait conclu un accord et le pays serait sorti depuis des mois de l’UE. Même sentiment de gâchis lorsque, à bout de souffle, le 21 mai, elle promet un vote parlementaire sur un possible deuxième référendum qu’elle repoussait.

« Elle a réussi l’impossible : plus elle parle, plus ses partisans la lâchent. Elle est parvenue à rendre encore pire une situation déjà terrible », s’amuse Matt Chorley dans le Times. Comme si la femme de devoir était devenue femme de sacrifice. De fait, l’accord qu’elle a laborieusement négocié avec les Vingt-Sept est probablement mort. Elle a déclenché elle-même la plupart des dégâts qu’elle a commis.

L’histoire retiendra ses trois années de pouvoir comme le moment où les tories se sont enfermés dans la rhétorique antieuropéenne et où l’isolement du pays s’est approfondi. Il est peu probable que Theresa May entre au panthéon des grands premiers ministres britanniques.

24 mai 2019

Après l'annonce de la démission de Theresa May, Emmanuel Macron appelle à une "clarification rapide" sur le Brexit

Theresa May a annoncé qu'elle présenterait officiellement sa démission le 7 juin, mais restera en poste le temps qu'un successeur soit désigné.

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Theresa May franchit la porte du 10, Downing Street, résidence des Premiers ministres britanniques, après avoir annoncé sa démission, le 24 mai 2019.Theresa May franchit la porte du 10, Downing Street, résidence des Premiers ministres britanniques, après avoir annoncé sa démission, le 24 mai 2019. (TOBY MELVILLE / REUTERS)

CE QU'IL FAUT SAVOIR

Le Royaume-Uni va tourner la page Theresa May. La Première ministre a annoncé, vendredi 24 mai, qu'elle démissionnerait le 7 juin. Au bord des larmes, elle a exprimé son "profond regret" d'avoir échoué à faire advenir le Brexit, son projet d'accord avec l'Union européenne ayant été rejeté trois fois par les députés. La course à sa succession déterminera aussi la nouvelle position du Royaume-Uni sur la sortie de l'UE. Emmanuel Macron, qui a salué le "travail courageux" de Theresa May, a appelé à une "clarification rapide" sur le sujet, bien qu'il soit "trop tôt pour spéculer sur les conséquences de cette décision".

Des potentiels successeurs déjà sur les rangs. La campagne pour la désignation du nouveau Premier ministre débutera la semaine prochaine. Le très populaire Boris Johnson est le grand favori des bookmakers, mais les candidats potentiels sont nombreux : le Guardian en liste 13. Ce sont les parlementaires conservateurs qui voteront pour désigner deux candidats, qui seront ensuite soumis au vote des militants Tories. Le vainqueur, nouveau leader du parti, deviendra Premier ministre.

Une émotion visible. La voix de Theresa May s'est brisée à la fin de sa déclaration devant le 10, Downing Street, au moment d'exprimer sa "gratitude d'avoir eu l'opportunité de servir le pays que j'aime". Elle a exprimé "un profond regret de ne pas avoir été capable de mettre en oeuvre le Brexit".

Des appels à une nouvelle élection. Jeremy Corbyn, le leader de l'opposition travailliste, a demandé au futur Premier ministre d'organiser "immédiatement des élections", une revendication partagée par la Première ministre écossaise Nicola Sturgeon.

20 mai 2019

Michel Barnier veut « être utile » après les européennes

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Le négociateur du Brexit veut continuer de s’impliquer après les élections du 26 mai mais refuse de se positionner officiellement en successeur de Jean-Claude Juncker à la Commission.

Michel Barnier veut « être utile » dans la prochaine mandature européenne, confie le négociateur en chef du Brexit pour l’UE dans un entretien au Journal du Dimanche (JDD), sans aller jusqu’à confirmer l’ambition qu’on lui prête de présider la Commission européenne.

« Je prends ma part au débat d’idées et je veux être utile », répond le commissaire européen français au JDD qui lui demande s’il est en campagne pour succéder à Bruxelles au Luxembourgeois Jean-Claude Juncker.

En France, la majorité présidentielle plaide de plus en plus ostensiblement pour une candidature de M. Barnier à la présidence de la Commission. Et le fait que l’ancien ministre gaulliste ait affirmé qu’il voterait aux européennes du 26 mai pour la liste Les Républicains semble n’y rien changer.

« Une situation d’alerte grave »

M. Barnier milite d’ailleurs dans le JDD pour une coalition large en Europe : « Demain, pour répondre à la colère sociale et territoriale qui s’exprime, pas seulement avec les “gilets jaunes” en France, il faudra avoir du courage et de la force, celle d’une coalition de projets réunissant plusieurs groupes. Nous sommes dans une situation d’alerte grave. Il ne s’agira plus de s’opposer, mais d’agir. »

M. Barnier, invoquant l’urgence de protéger l’Europe face aux « autres grandes puissances qui ne nous attendent pas », livre un quasi-programme de mandature et place en tête de ses priorités le changement climatique.

Il faut selon lui « lancer un “New Green Deal” européen. Par ailleurs, maîtriser les migrations, construire une nouvelle économie, pour faire face à la guerre technologique. Des millions d’emplois en jeu ! Et aussi faire plus pour la défense européenne ».

« Beaucoup de ces chantiers rejoignent le projet européen d’Emmanuel Macron. Il faudra y travailler ensemble », ajoute-t-il.

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