"J'adore la vulgarité. Je suis très attiré par le mauvais goût, plus excitant que le prétendu bon goût, qui n'est que la normalisation du regard. Les mouvements sado-maso, par exemple, me paraissent toujours très intéressants. J'ai en permanence dans le coffre de ma voiture des chaînes et des menottes, non pas pour moi mais pour mes photos." Qui parlait ainsi ? Un spécialiste du porno SM ? Un pervers polymorphe ? Non : c'est le photographe Helmut Newton, auquel le Grand Palais consacre une magnifique rétrospective. On revoit ses plus fameux clichés, on en découvre d'autres. Des légions de nus hiératiques s'avancent comme une armée de la grâce. Dans sa préface au catalogue, Pascal Bruckner évoque "l'irruption du militarisme prussien dans l'univers de la mode". Une touche martiale, certes, mais aussi un panorama de réminiscences. À les revoir, les photos de Newton suggèrent un substrat : le monde des années 1920, les cabarets berlinois, Marlene Dietrich et Lotte Lenya, le futurisme russe. Il y a chez lui un souvenir de l'argentique en noir et blanc et des solarisations de Man Ray, avec des femmes comme autant d'icônes conceptuelles. Des Erich von Stroheim au féminin ?
Les années mode
Helmut Neustädter naît le 31 octobre 1920 à Berlin. Il a un demi-frère, Hans, né du premier mariage de sa mère. Par le biais de ce frère aîné, il rencontre vers 1927 Erna la Rouge, prostituée célèbre aux cheveux roux, aux cuissardes rouges et à la cravache, souvenir qu'il relatera souvent comme étant sa scène primitive. En 1932, l'adolescent achète son premier appareil photo, un Box Agfa. Séparé des enfants aryens par les lois nazies, le jeune Helmut suit les cours d'une école américaine en rêvant de devenir cameraman de cinéma. Sa mère le place en 1936 auprès de la célèbre photographe Yva, de son vrai nom Else Neuländer-Simon. Elle l'initie au nu, au portrait et à la photographie de mode. En décembre 1938, le péril se fait trop pressant : Helmut quitte l'Allemagne, gagne Singapour et se fait engager par le Singapore Straits Times. Sous le pseudonyme de Helmut Marquis, il vit dans le luxe à l'hôtel Raffles, bénéficiant de la protection d'une femme plus âgée, Josette Fabien, qui est aussi sa maîtresse. Réfugié en Australie, il s'engage en 1942 dans l'armée de cette nation. À la fin de la guerre, il devient australien et prend le pseudonyme de Newton, gagnant sa vie en réalisant des portraits et des photos de mariage. En 1948, il épouse à Melbourne l'actrice June Brunell. Elle sera pour toujours sa muse. Les années mode s'annoncent, non dénuées d'allers-retours et de révisions topographiques. En 1957, Newton signe un contrat d'un an avec l'édition anglaise de Vogue. Lassé de Londres, il quitte la ville au bout de onze mois pour s'installer à Paris, rue Boissy-d'Anglas. En 1959, contre le voeu de June, il regagne l'Australie et achète une maison à Melbourne, où il reprend son contrat avec le Vogue local. Mais l'Europe l'appelle. En 1961, retour à Paris et installation rue Aubriot. Là, c'est le Vogue français qui l'emploie, avant de le licencier parce qu'il a donné des clichés d'une collection Courrèges au magazine Queen. Il va alors travailler pour Elle, Marie Claire, Nova, à l'époque où il achète une petite maison à Ramatuelle. En 1966, Francine Crescent reprend contact avec Newton pour le Vogue français, où il tiendra désormais sa pleine place.
Catalogue de l'exposition : Helmut Newton, 1920-2004,
dirigé par Jérôme Neutres, 256 pages, 35 euros, RMN/Grand Palais.
Helmut Newton, une vie
1920 Naissance à Berlin.
1932 Premier appareil photo, un Box Agfa.
1938 Quitte Berlin pour Singapour.
1942 S'engage dans l'armée australienne.
1948 Epouse June Brunell, qui sera sa muse.
1957 A Londres pour l'édition anglaise de " Vogue ".
1961 Paris, collabore au " Vogue " français, puis à " Elle ".
1976 Parution du livre " Femmes secrètes ".
1990 Grand Prix national de la photographie.
2004 Mort à Los Angeles.
Helmut Newton au Grand Palais
jusqu'au 17 juin 2012 30 juillet 2012 (prolongation)