Texte de Lorraine Rossignol
Il est des consécrations qui vous plombent. En présentant son œuvre faite pour le grand air et les sites emblématiques de la brutalité du monde, dans le confinement des salles d’expositions de la MEP, à Paris, le street artiste se brûle un peu les ailes...
« Je possède la plus grande galerie d’art au monde : les murs du monde entier », a toujours dit JR, dès ses débuts dans la photographie, il y a maintenant quinze ans de cela. Alors, pourquoi aller s’enfermer dans un musée ? Disposée d’étage en étage, dans le cadre étriqué du joli hôtel particulier XVIIIe qui abrite la Maison de la photographie (MEP), dans le quartier du Marais à Paris, son œuvre ressemble, sous le joli nom de « Momentum, la mécanique de l’épreuve », à un oiseau qui se blesserait les ailes à force de vouloir s’échapper d’un piège où il se serait fourvoyé.
Zorro de l’art contemporain
Cette œuvre monumentale — portraits d’anonymes, portraits de groupes, toujours sous forme de photomontages, toujours en noir et blanc — n’acquiert a priori sa force que par son déploiement dans l’espace, son inscription dans un lieu emblématique sur lequel se cristallisent souvent les pires tensions. Ainsi les murs, historiques, de Berlin, de Jérusalem ou de la frontière américano-mexicaine, mais aussi ceux, quelconques et pas moins douloureux, des favelas de Rio ou des quartiers de Clichy-Montfermeil, dans le 93, d’où partirent les émeutes de 2005… Entre ceux, clos, d’une salle d’exposition, son travail paraît tout rabougri, comme réduit à quelques mots-clés faciles, bien trouvés...
Un autoportrait de JR.
“Tout le monde sait que JR porte un chapeau et des lunettes noires, mais, pour le reste, son œuvre est finalement très mal connue”
Les séries défilent : « Chroniques de Clichy-Montfermeil», « Géants », « 28 millimètres », et même « Expo 2 Rue », qui, pour la première fois, révèle au public les tout premiers tirages réalisés par le devenu célèbre « french artivist » (comme il aime à se définir) de 35 ans : à l’adolescence, il avait commencé à photographier ses amis graffeurs, sur le vif, depuis les toits ou les souterrains du métro de Paris. Et l’on se le demande alors : pourquoi aujourd’hui ce genre de consécration ? A qui peut bien s’adresser un tel projet ? Au gratin parisien, venu en nombre à la MEP en ce jour de vernissage, plus décalé que jamais ? Sans aucun doute. Mais non à « ceux qui ne fréquentent pas les musées habituellement » et à la rencontre desquels JR a toujours eu, justement, l’ambition d’aller, en installant ses œuvres partout où bon lui semblait, du moment que ce n’étaient pas des cimaises : jusque sur les wagons d’un train de marchandises traversant le Kenya ou sur les conteneurs empilés d’un cargo du Havre en route pour la Malaisie (série « Women are Heroes », l’une de ses œuvres les plus puissamment poétiques)...
« Tout le monde sait que JR porte un chapeau et des lunettes noires, mais, pour le reste, son œuvre est finalement très mal connue ici, répond la galeriste et éditrice Clémentine de la Féronnière, qui publie le catalogue de l’exposition. Le travail de JR est en tout cas beaucoup plus réputé aux Etats-Unis » — où l’artiste a son studio à New York et s’est vu décerner, en 2011, le fameux TED Prize, qui, chaque année, récompense une démarche ou un projet créatif innovant.
D’accord, la France ne reconnaît que mal, comme s’il n’était pas assez bien pour elle, ce « jeune photographe d’origine populaire », mais cette définition n’est peut-être pas la bonne, n’en déplaise à la MEP et à son choix de présenter désormais, sous vitrine — telle une sainte relique — le vieux Samsung qu’il trouva dans le RER, alors qu’il était encore lycéen, et avec lequel tout a commencé. A bien y regarder, JR n’est pas vraiment photographe. Plutôt un street artiste utilisant la photo comme médium. Une sorte de Robin-des-marges ou de Zorro de l’art contemporain, n’avançant masqué que pour mieux défendre de nobles causes, et dénoncer l’infinité des violences, préjugés et inégalités qui sévissent partout dans le monde. L’exposition de la MEP, avec ses lambris et moquettes de velours gris souris, a toute la pompe d’une reconnaissance tardive et officielle. Un enterrement de première classe ? JR, bien malin, n’était pas au vernissage, refusant d’emblée toute interview. Comme s’il craignait, lui, l’oiseau rare, de se prendre à son propre piège.
« Momentum ». Jusqu’au 10 février 2019, à la Maison de la photographie, www.mep-fr.org
JR également dans le métro parisien
Tous les jours, jusqu'au 10 févr. 2019
Description :Partenaire de la MEP, la RATP accompagne l’exposition JR en présentant un projet inédit dans 11 stations et gares de son réseau. Conçu pour être évolutif, ce parcours est présenté jusqu’au 10 février 2019.
Le dispositif monumental de 26 « regards » d’anonymes, exposés dès le 6 novembre, est visible dans les stations Bir-Hakeim, Châtelet, Gare de Lyon, Hôtel de Ville, La Chapelle, Luxembourg, Madeleine, Nanterre-Université, Pyramides, Saint-Denis Porte de Paris et Saint-Michel.
En choisissant d’installer ses « regards » imposants dans un lieu de passage comme les transports en commun, JR souhaite interpeller les voyageurs sur l’identité de ceux qui les observent et l’interaction qu’ils peuvent avoir avec eux. Intitulée « Voyager avec d’autres », l’œuvre se comprend comme une invitation à réfléchir et repenser la nature des rencontres que nous faisons quotidiennement avec l’Autre, dans le métro ou le RER, chargés de nos rêves, de nos attentes, mais aussi parfois des craintes que nous portons en nous.
Pour prolonger cette rencontre, l’artiste a prévu de faire évoluer plusieurs fois son œuvre au fil des semaines : JR redescendra alors dans les espaces de la RATP pour capter les réactions et mettre en abîme l’histoire qui se jouera entre les voyageurs et ceux qui les regardent. Comme un jeu de miroir, ces premiers deviendront à leur tour les modèles à observer.
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TROIS QUESTIONS À JR
En quoi est-ce particulier pour vous d’exposer votre œuvre dans un espace comme le métro ?
C’est un retour aux sources. J’ai commencé à prendre des photos avec un appareil photo trouvé dans le métro, puis j’ai suivi des artistes qui travaillaient dans ce monde souterrain. Revenir dans le métro, exposer sur les quais, c’est l’occasion de présenter mon travail à des gens qui n’ont rien demandé, qui ne se sont pas déplacés dans une galerie ou un musée, mais qui se rendent simplement au travail ou vont voir des amis. C’est conforme à ma vision de l’art qui doit aller à la rencontre des gens.
Avez-vous pensé différemment cette œuvre destinée au métro ?
J’essaye de penser différemment toutes les œuvres en fonction du contexte et du lieu. Le métro est un des rares espaces de brassage où toutes les catégories sociales se retrouvent, où les enfants et les personnes âgées se côtoient, où les banlieusards et les Parisiens se croisent. J’ai voulu interpeller les voyageurs avec un regard, et en même temps les rendre acteurs de mon projet en les représentant dans mes images.
Que représente pour vous, qui avez vécu en banlieue parisienne, cette collaboration avec la RATP ?
Quand on a vécu en banlieue, le train et le métro sont les seuls moyens de transports. Il y a des stations qui évoquent des souvenirs, des trajets que vous avez effectués des centaines de fois, et qui vous font penser que vous êtes ici un peu chez vous. Je ne travaille pas avec les entreprises privées ou les marques. Mais je suis heureux de collaborer avec des entreprises qui ont pour mission de servir le public, et davantage encore quand il s’agit de mon public.
SERVICE DE PRESSE GROUPE RATP
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