Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Jours tranquilles à Paris
27 septembre 2020

« Les Apparences » : jeu de pistes diabolique

apparences film

Il n’est pas nécessaire d’avoir été soi-même expatrié dans une capitale étrangère pour apprécier dans toutes ses nuances la société où évoluent les protagonistes des Apparences. Mais ça aide. Eve (Karin Viard) et Henri (Benjamin Biolay) sont deux parfaits exemplaires de cette coterie. Ils ont chacun une BMW. Elle s’occupe bénévolement de la bibliothèque française, il est chef d’orchestre. Elle cache des origines modestes, lui sa liaison avec Tina (Laetitia Dosch), l’institutrice de leur fils. Mais les apparences, sociales, conjugales, familiales sont sauves. Jouant à saute-mouton avec les genres, Marc Fitoussi (Copacabana, Pauline détective) engage d’abord son long-métrage sur les rails d’une étude de mœurs à la Chabrol, avant de le faire dévier vers le film noir à la Clouzot (Les Diaboliques) mâtiné de quelques scènes que n’aurait pas reniées Hitchcock.

Tout le monde ment dans cette histoire, et pas seulement le mari volage. Quel passé inavouable est venu enfouir Tina dans les parages du Prater ? A quoi Eve joue-t-elle avec Jonas (Lucas Englander), ce jeune homme dégingandé et impulsif que son bracelet électronique à la cheville désigne comme un prisonnier en liberté surveillée. De quel méfait s’est-il rendu coupable ? Pendant que le spectateur s’interroge, Fitoussi a déjà fait faire un nouveau détour à son scénario. Philippe Ridet

Film belge et français de Marc Fitoussi. Avec Karin Viard, Benjamin Biolay, Lucas Englander, Laetitia Dosch (1 h 50).

Publicité
26 septembre 2020

Coulisses et falbalas pour les adieux de Jean Paul Gaultier

gaul20

gaul21

gaul22

FRANCE 5

SAMEDI 26 - 22 H 25

DOCUMENTAIRE

La fin de son activité dans le domaine du prêt-à-porter, en 2014, avait été un premier électrochoc. C’était sans savoir que, six ans plus tard, Jean Paul Gaultier déciderait qu’il cessait aussi son travail de haute couture, lancé en 1997 : la marque perdurerait, mais menée par la Japonaise Chitose Abe.

L’événement était marqué par un dernier défilé fleuve, donné au Théâtre du Châtelet devant une marée de veuves et de veufs joyeux, en janvier 2020 : « Un défilé qui a rendu dingue le monde de la mode », dit Loïc Prigent, l’auteur du bien nommé documentaire Jean Paul Gaultier se défile !, proposé par France 5.

Mis en scène par la chorégraphe Blanca Li, le « show » devait présenter deux cent quarante tenues au long de deux cents passages organisés en seize tableaux, dont le premier, funèbre, s’inspirait de la scène des veuves au cimetière du film mythique Qui êtes-vous, Polly Maggoo ? (1966), de William Klein. Mais après le noir strict, place à une dégelée de couleurs et de formes bigarrées, certaines remixées à partir des signes iconiques de la maison (les seins coniques, les robes-cages, les corsets, les tissus « tatoués », etc.), popularisés par les nombreuses vedettes qu’elle a habillées – comme Madonna ou Mylène Farmer.

Diversité des corps

Pas d’apparition de la madone ; en revanche, Mylène Farmer était bien là, comme la chanteuse Catherine Ringer, familière de l’univers du créateur, et tant d’autres encore, sur scène et dans la salle : Rossy de Palma, Amanda Lear, ses mannequins fétiches – les grands noms actuels du métier et les anciens, revenus pour l’occasion, dont un « avec 25 kilos de plus », plaisante sans méchanceté le turbulent sexagénaire.

Car l’univers du couturier a toujours accueilli la diversité des corps et l’indéfinition des genres : les garçons (comme Tanel, muse et collaborateur historique) portent des jupes et sont entourés par les non-binaires, les trans, les représentants de la scène voguing parisienne, les drag-queens du RuPaul’s Drag Race, les filles androgynes ou pulpeuses, etc. « Ça fait du bien de voir que tous les physiques sont possibles sur un podium parce que tous les physiques sont beaux », commente Prigent, très dans la consensualité de l’époque.

Mais le Breton ne perd pas son ton persifleur, avec ces phrases mitraillettes qui n’appartiennent qu’à lui. A propos d’Amanda Lear : « On voit sa culotte : ce n’est pas un incident de garde-robe, c’est un style de vie. » Plus tard, ce sera une Marianne à la tenue pas trop républicaine – selon les canons tout juste promus par le ministre de l’éducation nationale…

On pourra compléter le visionnage de ce documentaire joliment foutraque, à l’image de l’artiste portraituré par une vidéo de la chaîne YouTube du documentariste : Loïc Prigent y détaille, robes sous la main, les techniques, tours de passe-passe, envers et revers, textures, cambrures et chamarrures de Jean Paul Gaultier, toujours sympathique, accueillant et rieur.

Mais, derrière cette aimable et ludique façade, les grands du métier ont toujours su reconnaître l’assurance de la technique, mise au service d’un vestiaire « aux placards sans fond ». De sorte qu’il est permis de dire que Gaultier restera comme l’un des génies les plus singuliers, au style pourtant pluriel, de la mode contemporaine.

Jean Paul Gaultier se défile !, documentaire de Loïc Prigent (Fr., 2020, 52 min).

26 septembre 2020

Roman Polanski n'ira pas à l'assemblée générale des César

polanski33

"Roman Polanski n’a jamais assisté aux réunions de l’assemblée générale des César et n’a pas l’intention de le faire à l’avenir."

Roman Polanski assure qu'il n'a pas l'intention d'assister à l'assemblée générale des César

CÉSAR - Roman Polanski, visé par des accusations de viol, a annoncé ce vendredi 25 septembre qu’il n’assisterait pas mardi à l’assemblée générale des César, une institution en pleine crise dont il est resté membre au grand dam des féministes.

“Bien qu’animé par un profond respect envers le travail de l’Académie des César et ses 182 membres, Roman Polanski n’a jamais assisté aux réunions de l’assemblée générale et n’a pas l’intention de le faire à l’avenir”, a transmis à l’AFP l’entourage du réalisateur de 87 ans dans un communiqué.

26 septembre 2020

«Les Apparences», enjeux de dupes

Les-Apparences-de-Marc-Fitoussi-la-critique

Par Julien Gester 

Faute de faire décoller sa part de farce ou de thriller, le film de Marc Fitoussi sur une histoire d’adultère dans un couple d’expatriés à Vienne reste assez monocorde.

Il en va des apparences comme des clichés, on peut sans mal s’en satisfaire dès lors que s’y laisse deviner quelque chose d’une réalité plus secrète ou profonde logée derrière. Un peu de chair, de boue, de venin ou de vertige, une matière humaine médusante ou ordinaire, mais un rien plus frappante que ce que les dehors convenus ou convenables laissent paraître. Quelles essences plus habitées que les surfaces qui les couvent recèlent les Apparences matoises de Marc Fitoussi ? Auteur jusque-là de comédies soucieuses d’élégance et de délicatesses, toujours très finement écrites, castées, et parfois mises en scène à l’avenant (tel l’exquis la Ritournelle, avec Isabelle Huppert en fermière bovarienne), le cinéaste s’essaie à un registre autrement acide de satire des faux-semblants et arrangements dont s’orne par convenance la conjugalité bourgeoise.

Mesquinerie

En l’espèce, le couple que forment et affichent faraudement Eve (Karin Viard) et Henri (Benjamin Biolay), au centre d’une communauté d’expatriés à Vienne, portant tous plus haut les uns que les autres, de salons de manucure en mondanités, une mesquinerie aisée et cancanière en foulard de soie. Eve, qui ne méconnaît rien des rouages de sa classe d’adoption pour s’y être hissée avec gourmandise depuis une extraction plus modeste qui lui répugne - mais à laquelle ne manque jamais de la renvoyer sa mère -, trouve son brillant chef d’orchestre de mari un peu plus évaporé et grognon qu’à l’accoutumée à l’approche de son prochain concert triomphal. Et ainsi va-t-elle en concevoir, sans se le formuler tout à fait, l’intuition que celui-ci la trompe, puisque c’est là, n’est-ce pas, la fatalité du cliché qui régente les existences alentour, et qu’il n’est pas de cliché sans fond de vérité, comme il n’est pas d’adultère moderne sans mots coquins traînant éhontément dans un tiroir, à deux clics de souris, voire sur la table de nuit.

Le film brode d’abord avec malice une sorte de jeu de faux dupes où héroïne et spectateurs peuvent se griser de démêler les poncifs qu’ils projettent à l’écran de ceux que le récit rejoue, tandis qu’Eve tournicote autour de l’évidence cruelle jusqu’à s’y cogner - jolie scène où elle bute sur un meuble tandis qu’elle espionne l’homme qu’elle aime, radieux de la délaisser un instant et guère ému de la voir se blesser, même lorsque son cri de douleur le rappelle à elle. Puis Eve met le nez dans la liaison de son mari avec l’institutrice de leur bel enfant adopté au bout du monde (Lætitia Dosch, qui offre sa silhouette la plus subtilement duplice à un film tout de figurines trop monocordes), et s’ingénie à la saboter à la faveur d’un invraisemblable hacking de boîte mail.

Rictus

L’affaire s’avérant d’une scabrosité effroyablement quelconque, le scénario de Fitoussi y parachute un érotomane sous bracelet électronique qui poursuit Eve de ses assiduités, faisant soudain de la protagoniste une femme non seulement trompée mais traquée. Hélas, que le danger survienne ainsi de pareille greffe exogène, plutôt que de germer du couple ou de son biotope, trahit combien l’intrigue, à trop s’écrire par demi-tons et semi-teintes, oscillant entre thriller et farce sans s’engager où que ce soit, demeure sur le seuil de chacun de ses enjeux pour s’en tenir à un vague rictus et une valse d’artifices. Malgré une très belle scène d’adieux, à la tonalité réconciliatrice trop tardive, manque au film un peu de l’aménité avec laquelle la Ritournelle pouvait disposer même de ses personnages les plus imbuvables, aux protagonistes de ces Apparences cette part toute chabrolienne de banalité du tragique qui nous les rendrait moins univoquement antipathiques, et à l’ensemble cet horizon de décomposition où les objets, les lieux et les signes de la vie chère ne seraient plus seulement un décor de signes mais des miroirs, des pièges, ou les deux.

Les Apparences de Marc Fitoussi avec Karin Viard, Benjamin Biolay… 1 h 50.

25 septembre 2020

Crop-top : le faux pas de Natacha Polony

natacha-polony-ne-reviendra-pas-a-la-rentree-sur-paris-premiere_5896233

Photo ci-dessus : Natacha Polony

Par Sabrina Champenois 

Directrice de la rédaction de Marianne, Natacha Polony est une parachutiste de la polémique, qui saute sur toutes comme sur Kolwezi. Elle n’allait pas rater le crop-top, ce haut court devenu depuis le 14 septembre le totem d’un mouvement de collégiennes et lycéennes contre la doxa vestimentaire imposée (de manière aussi aléatoire que floue, cf. le déroutant «tenue républicaine» du ministre Blanquer) par l’Education nationale. Depuis le début de la semaine, elle tempête, comme un mantra : avec le crop-top, «on tombe dans le piège de l’industrie de la mode», «ces tenues-là sont faites pour sexualiser les filles».

Alors bon, on peut reprocher beaucoup à l’industrie de la mode (citons entre autres son impact écologique, sa contribution à la surconsommation, les conditions de travail de certains ouvriers, la précarité généralisée) et elle participe sans conteste à l’image de la femme. Mais, précisément, le crop-top n’est pas le fer de lance en cours de l’industrie de la mode. Il prend même à rebours une tendance qui s’affirme ces dernières années : celle d’un vestiaire de plus en plus genderfluid, portable par les deux genres. Sachant que c’est du côté masculin qu’il a le plus évolué dans la décennie passée, avec notamment des recours toujours plus fréquents aux codes traditionnellement féminins, comme les transparences ou les imprimés. Un adoucissement quand, côté féminin, le fameux empowerment se drapait dans un raffinement plutôt classique et le confort tout-terrain - mais sophistiqué, dans les coupes comme les matières. Ce que n’est pas le crop-top.

Au vrai, le crop-top, pièce plutôt basique, est revenu par surprise, alors qu’il avait viré ringard, vulgaire, tellement années 90, quand il caracolait dans le sillage des Britney Spears, Madonna, Spice Girls. Et ce retour en grâce a été impulsé par «en bas», par la rue, les réseaux sociaux, Instagram, TikTok. L’industrie de la mode a emboîté le pas, a répondu à la demande et l’a stimulée, en particulier les enseignes de la fast fashion, majoritairement achalandées en ados et jeunes adultes. Elle a suivi, en clair. Et si, ce faisant, les filles ont été sexualisées, se sexualisent, c’est délibérément.

Attention, disent en sous-main Polony et consorts, vous ne savez pas ce que vous faites, vous êtes instrumentalisées, des victimes, des proies, des petites choses. Ce que leur répondent les participantes au mouvement du 14 septembre : ce crop-top, ce court morceau de tissu, a un sens. On veut pouvoir montrer notre ventre partout, y compris au sein de l’institution (l’Education nationale donc), on refuse de subir le corsetage d’une société toujours au bord de s’affoler quand s’affirme la féminité. Il y a eu #MeToo, la libération de la parole, et nos corps devraient la fermer, faire profil bas ? Pas question ! On est fortes, on a confiance en nous, en somme. Aux garçons de s’adapter et non l’inverse. Notons au passage que leurs pairs masculins se disent pour la plupart du temps d’accord avec cet état d’esprit, agacés d’être, eux, classés d’office comme des êtres dépassés par leurs instincts. Comme quoi, ce mouvement générationnel pourrait lui aussi être genderfluid.

Qu’il nous plaise ou non, le crop-top rappelle une chose, brillamment : la mode et la rue fonctionnent en miroir, en un système de vases communicants, chacune inspire l’autre, et prend tour à tour la main. Cette fois, c’est la rue. L’industrie de la mode n’a rien d’angélique mais, sur ce coup-là, la diaboliser est un fashion faux pas.

Publicité
24 septembre 2020

« Antoinette dans les Cévennes » : Laure Calamy en duo comique avec un âne

antoinette20

antoinette cevennes

antoinette21

antoinette22

La réalisatrice Caroline Vignal signe un récit d’émancipation hilarant, dissimulé sous un vaudeville en milieu rural.

Par Clarisse Fabre – Le Monde

L’AVIS DU « MONDE » – À NE PAS MANQUER

C’est le grand bol d’air de la rentrée, la surprise d’une comédie populaire et décalée, à l’humour dérangeant, dont les rebondissements emmènent le spectateur bien au-delà du vaudeville annoncé. Antoinette dans les Cévennes, de Caroline Vignal, nous conte l’épopée comique et pathétique d’une femme qui part à la recherche de son amoureux dans les Cévennes, parcourant le chemin des randonneurs aux côtés d’un âne qui n’en fait qu’à sa tête.

L’homme en question est marié : Vladimir, interprété par Benjamin Lavernhe, de la Comédie-Française, tout en demi-teinte, a une liaison avec Antoinette (Laure Calamy), la maîtresse d’école de sa fille, pleine de fantaisie et prête à tout pour déclarer sa flamme. Le film s’ouvre sur la fête de fin d’année, pour laquelle l’enseignante a concocté une surprise. Sur scène, dans sa robe lamée argent, la voici qui entonne avec ses élèves un tube de Véronique Sanson, Amoureuse (1972) – « Une nuit je m’endors avec lui/Mais je sais qu’on nous l’interdit… » – les yeux plantés dans ceux de son amant, lequel ne sait plus où se mettre. Les autres parents sont sidérés, partagés entre le sourire amusé et le malaise…

Puis c’est la douche froide pour Antoinette, qui guettait le début des grandes vacances pour passer du temps avec son homme : au dernier moment, celui-ci lui annonce qu’il doit partir dans les Cévennes avec femme (Olivia Côte) et enfant. N’écoutant que son cœur, Antoinette prend un billet de train. Elle se lance sur les traces de Vladimir, à corps perdu, sur le GR70 qui relie Le Monastier-sur-Gazeille (Haute-Loire) à Saint-Jean-du-Gard, comme le fit en 1878 l’auteur écossais Robert Louis Stevenson, lui aussi à cette époque en plein chagrin d’amour – il en tira l’ouvrage devenu culte, Voyage avec un âne dans les Cévennes, publié en 1879. Avec son âne prénommé Patrick, Antoinette va former un « couple » explosif et hilarant. La réalisatrice et scénariste Caroline Vignal, qui signe avec Antoinette… son deuxième long-métrage, ne pouvait rêver meilleure actrice que Laure Calamy pour incarner une clown au charme irrésistible.

Le film tire sur les ressorts comiques jusqu’au point de rupture, envoyant son héroïne en zone périlleuse avant de la récupérer sur le terrain plus connu du burlesque, où Laure Calamy n’a plus à prouver qu’elle excelle. A 45 ans, la comédienne tient enfin son premier grand rôle au cinéma, la subtilité du récit lui permettant de travailler le registre tragi-comique à la manière de Michel Serrault dans La Cage aux folles (1978) – un acteur que Laure Calamy aime citer.

Parcours intérieur

L’arrivée au gîte dans les Cévennes donne le ton. A la grande table où les marcheurs partagent leurs repas et font connaissance sans chichis, Antoinette se retrouve assez vite « obligée » de déballer sa vie. Que vient-elle faire ici, est-elle seule, rejoint-elle un ami ?, cherche à savoir la douce et curieuse Claire, incarnée par Marie Rivière – l’héroïne du Rayon vert (1986), d’Eric Rohmer, film fétiche de Caroline Vignal. Savoureux, le petit jeu de questions-réponses installe Antoinette comme un personnage à part. La Parisienne rigolote et sexy devient l’attraction : les uns la regardent avec sévérité ou commisération, d’autres l’envient et admirent son courage. Car elle est bien la seule à s’aventurer avec un âne, et d’ailleurs elle ne sait pas ce qui l’attend.

La réalisatrice elle-même a fait le « chemin de Stevenson », s’inspirant de ses rencontres pour nourrir le scénario

Cette attention à la psychologie n’est pas un détail pour la cinéaste, qui s’intéresse davantage au parcours intérieur de son personnage qu’à sa passion dévorante – la réalisatrice elle-même a fait le « chemin de Stevenson », s’inspirant de ses rencontres pour nourrir le scénario. Démarrant son périple avec Patrick, cherchant Vladimir comme une aiguille dans une botte de foin, Antoinette met ses nerfs à rude épreuve et se trouve démunie face à cet animal qui lui résiste. C’est une mine de gags, à jet continu, jusqu’à ce qu’Antoinette apprivoise l’âne. Pour qu’il consente à avancer, elle doit lui parler, tout le temps, sans s’arrêter.

L’âne Patrick devient l’alter ego d’Antoinette (Laure Calamy), elle finit par lui parler.

Deux ânes ont été utilisés pour le tournage, l’un nerveux pour les scènes de pétage de plomb, l’autre plus doux, faisant office de confident, voire de « psych-âne-alyste ». Il faut voir Laure Calamy raconter à Patrick ses déboires amoureux, ses désirs, ou laisser exploser devant lui sa colère. A force de déambuler dans ses pensées, Antoinette finit par se perdre et passe la nuit à la belle étoile. Deviendrait-elle une femme des forêts, autosuffisante ? Ou bien est-elle Blanche-Neige se réveillant entourée de gentils animaux, un lapin, une biche, etc. ?

Citadins en mal de nature

Le film amorce plusieurs pistes, et surtout évacue celle du prince charmant. Le sort des amants est scellé au milieu du film. Car ils finissent bien sûr par se croiser. Alors que se profile un suspense de théâtre de boulevard, le gîte rural en guise d’appartement bourgeois, Caroline Vignal bascule sur un autre registre, plus féroce, lors d’un plan-séquence décisif durant lequel Eléonore, la femme trompée, vient marcher au côté d’Antoinette. Sans rien dévoiler, disons simplement qu’Eléonore trouve les mots pour éloigner cette maîtresse encombrante de son mari. Le tout avec le sourire et la bonne humeur, sans jamais paraître pour une victime – Olivia Côte est magistrale.

Avec ses montagnes un peu trop colorisées, « Antoinette dans les Cévennes » est une peinture grinçante de la néo-ruralité, nouvel eldorado avec son côté attrape-touristes

Dès lors, dans sa deuxième partie, le film s’installe plus profondément dans le territoire, dans sa beauté farouche et sauvage, confrontant son héroïne à des personnages dits secondaires et néanmoins déterminants : le couple de patrons de l’auberge qui jamais ne jugera Antoinette, une femme médecin à cheval qui viendra à son secours, une grappe de motards qui fera une escale dans sa vie… Avec ses montagnes un peu trop colorisées, Antoinette dans les Cévennes est aussi une peinture grinçante de la néo-ruralité, nouvel eldorado avec son côté attrape-touristes, ses tarifs pour citadins en mal de nature, dont certains sont capables de traiter un âne comme une voiture de location. On l’utilise pour une semaine et, quand on a fini avec lui – et qu’on l’a copieusement engueulé, voire gratifié de quelques coups de bâton –, on le laisse attaché à sa corde, dans l’attente de son prochain client.

Antoinette est différente, elle est un trésor d’humanité. Patrick devient son alter ego, elle finit par lui parler avec autant de douceur que le personnage de Marie (Anne Wiazemsky) s’adressant à un autre âne illustre de l’histoire du cinéma, Balthazar, dans Au hasard Balthazar (1966), de Robert Bresson. Quand arrive la fin du parcours, le moment où elle récupère sa valise à roulettes pour reprendre le train, Antoinette fait une pirouette, un non-choix, laissant ouverte l’issue du film, que l’on peut imaginer conventionnelle ou joyeusement sauvage.

23 septembre 2020

«Lux Æterna», la manipulation des gênes

Par Sandra Onana 

Sur un plateau infernal, Gaspar Noé met en scène Béatrice Dalle et Charlotte Gainsbourg se racontant des anecdotes gaguesques au milieu du chaos.

Comme toujours avec Gaspar Noé, il faut aimer les trains fantômes, ou les safaris en enfer. Il y a du beau linge, rien d’étonnant : né sous des auspices particulièrement glam, Lux Æterna résulte d’une carte blanche de la maison Yves Saint Laurent. Béatrice Dalle et Charlotte Gainsbourg dans leurs propres rôles, c’est-à-dire moins humaines que femmes-fantasmes et divinités dark, se racontent des anecdotes de gêne survenues au cours d’anciens tournages. La première réalise son tout premier film, et a demandé à la seconde d’y jouer une sorcière qui brûle au bûcher. Ce soir s’ouvrent les répétitions plateau, dans ce qui s’apparente à l’antre de Dracula. A la place du champ- contrechamp, un split-screen fracture le cadre : coup de ciseau dans cette fausse chair documentaire et début de la machinerie schizophrène.

La suite est une circulation déboussolée dans le chaos du tournage, façon catabase, où les points de vue des caméras s’emmêlent comme des guêpes furax. En coulisse, les ego des producteurs et de la cinéaste se tirent la bourre, les mannequins malmenés sont sur des charbons ardents, ces rats de journalistes (hum) se tiennent en embuscade, l’actrice vedette est harcelée par le staff. Noé est visiblement ravi d’enfoncer ses griffes dans le biotope professionnel qu’il connaît le mieux. En application de l’implacable loi de Murphy, tout ce qui est susceptible de dégénérer dégénérera, de préférence à grands fracas stroboscopiques.

L’idée d’un sabbat de stars à cran s’offre moins comme une satire réelle de l’industrie et de son sexisme ambiant que comme un autel à la démesure baroque du cinéaste, doublé d’un banquet de citations cinéphiles, de Buñuel à Dreyer. Nos mirettes crient grâce, le chaudron déborde, et Noé refuse de baisser le feu. Epris qu’il est de l’image qui sue et va au clash, le cinéaste nous veut l’écume aux lèvres, au bord de la rupture d’anévrisme, option épilepsie : une forme de rictus autosatisfait plane sur l’entreprise.

Il y a de quoi être reconnaissant envers le format moyen métrage de cinquante minutes, amplement suffisant à ce que le film (tourné en impro sans la moindre ligne de scénario, aux petites heures du matin) aille jusqu’au bout de son gag écarlate et vitriolé. On en réchappe à la fois lessivé et guère plus convaincu que ce cinéma de sensations fortes doive nécessairement envisager son spectateur en cobaye.

Lux æterna de Gaspar Noé avec Béatrice Dalle, Charlotte Gainsbourg, Abbey Lee… 

23 septembre 2020

"Le bonheur des uns" vu hier soir

Léa, Marc, Karine et Francis sont deux couples d’amis de longue date. Le mari macho, la copine un peu grande-gueule, chacun occupe sa place dans le groupe. Mais, l’harmonie vole en éclat le jour où Léa, la plus discrète d’entre eux, leur apprend qu’elle écrit un roman, qui devient un best-seller. Loin de se réjouir, petites jalousies et grandes vacheries commencent à fuser. Humain, trop humain ! C'est face au succès que l'on reconnait ses vrais amis… Le bonheur des uns ferait-il donc le malheur des autres ?

bohneur des uns

« Le bonheur des uns... » fait évidemment penser à ce fameux proverbe, et se révèle être surtout une comédie de David Cohen plus subtile et plus profonde que l’on ne pouvait imaginer... Si le thème de la jalousie, de l’envie, et de la célébrité à travers la réussite, sont bien sûr au centre de ce quatuor formé de deux couples amis, c’est encore plus l’évolution de ces quatre personnages qui va constituer le point d’orgue de cette histoire. C’est en effet Léa et sa prose (Bérénice Béjo), qui vont servir de déclencheur à cette histoire, celle de la bande que finalement tous considèrent comme une personne sans ambition, indécise et presque soumise ! Le phénomène de dépassement de soi, de rivalité à l’autre va alors se mettre en place avec des scènes et des répliques plutôt vachardes et culpabilisantes, car ces trois autres qui l’entourent, et l’observent, vont réagir et comment ! En tête de ce jeu de manipulation et de déstabilisation, arrive Karine (Florence Foresti), particulièrement terrible et cynique envers son amie d’enfance, portée trop vite selon elle tout en haut de l’affiche, suivie par l’époux de Léa, Marc (Vincent Cassel) qui dans un autre registre et pour d’autres raisons, sera très intéressant à observer lui aussi quant à sa perte de pouvoir et tout au moins d’emprise, sur cette femme qui se révèle tout à coup à ses yeux... Et pour le dernier de la troupe en tant que mari conciliant et aimant, toujours prêt à acquiescer ce que dit sa femme Karine, on trouve Francis (François Damiens), parfait dans l’homme au caractère tempéré qui arrondit les angles comme pas deux ! Alors bout à bout la mayonnaise prend plutôt pas mal, avec des moments fort bien vus et ciblés, où l’échange de regards en dit long sur le ressenti et l’état d’esprit de chacun... Il en résulte une très bonne réflexion sur l’être humain et son cheminement vers l’accomplissement puis la reconnaissance, et ainsi sur ce qui va le modifier tout en modifiant les autres autour de lui ! L’image que l’on donne de soi a ici toute son importance, et le fait de changer, de vouloir se construire ou s’assumer, amène dans cette comédie grinçante aux entournures, tout un lot de situations drôles, tendres puis tout à coup très cruelles, particulièrement justes et pertinentes, magnifiées par des acteurs au mieux de leur forme ! On pourra juste regretter peut-être le côté un peu forcé de Florence Foresti où le ton de l’humoriste prend quelquefois le dessus. Il n’en reste pas moins que d’observer ce que le succès soudain et la célébrité qui en découle, peuvent déclencher comme réactions parmi les proches, est ici très bien traité et analysé... Une comédie au vitriol et aux répercussions étonnantes, bien inspirée et bien aboutie vraiment !

22 septembre 2020

Entretien - Karin Viard : « J’aime beaucoup maltraiter les bourgeoises, comme actrice »

Par Clarisse Fabre - Le Monde

Diabolique dans « Les Apparences », de Marc Fitoussi, la comédienne incarne une femme trompée qui, pour sauver la façade, manigance un plan redoutable.

Karin Viard ne nous avait pas habitués à ce regard qui brûle d’une lueur inquiétante. Dans Les Apparences, de Marc Fitoussi, la comédienne a le sourire aux lèvres et des flammes logées au fond des yeux. Elle joue une femme trompée, mariée à un chef d’orchestre (Benjamin Biolay), à Vienne, en Autriche. En secret, elle échafaude un plan visant à « cramer » la jeune amante (Laetitia Dosch) et à sauver la façade de son couple devant les amis expatriés. L’actrice, née en 1966, est la pièce maîtresse de ce film noir, tirant les ficelles dans un mélange de puissance et d’égarement. Bientôt, on la verra incarner un autre type de bourgeoise, drôle et convertie au chamanisme dans L’Origine du monde, premier long-métrage de Laurent Lafitte (en salle le 4 novembre).

Comment cette première collaboration avec Marc Fitoussi s’est-elle nouée ?

Jusqu’à présent, j’avais refusé les rôles qu’il me proposait. Avec beaucoup d’humour et d’autodérision, il m’a envoyé le scénario de son dernier film, persuadé que je dirais non une fois de plus. Et là, j’ai accepté. J’avais le sentiment de n’avoir jamais joué ce rôle, j’ai senti que je pouvais mettre beaucoup de subtilité dans l’interprétation. Que fait-on de l’humiliation, de la peine, qui a tort, qui a raison dans ce genre de situation ? Marc Fitoussi a été ouvert à mes propositions, et je pense avoir un tout petit peu déplacé le curseur. Je lui ai suggéré que mon personnage vienne d’une origine assez modeste. Ça rend encore plus cruel le fait qu’elle puisse dégringoler socialement. Elle a tout à perdre, son homme et son rang. De même, je ne voulais pas simplement qu’elle « encaisse » et reste muette, mais qu’elle puisse exprimer à un moment son animalité. Pauvre Benjamin Biolay, il n’a pas oublié la scène ! Il a été délicieux. Quant à Marc Fitoussi, il est sorti de sa zone de confort dans ce film.

Comment avez-vous travaillé l’expression du sentiment de jalousie ?

La jalousie, je pense qu’on connaît, non ? Ce n’est pas la peine de lire des essais ou des thèses… C’est un sentiment ultra-archaïque que l’on éprouve depuis l’enfance. Ce n’est pas plus réservé aux femmes qu’aux hommes. C’est un très bon moteur pour les histoires, et c’est un sentiment excessivement négatif, qui n’amène que du malheur. C’est simple à jouer.

Mais il y a des variantes, et vous n’êtes pas votre personnage…

Je ne me pose jamais la question de qui je suis par rapport à mon rôle, ou comment j’aurais fait à la place du personnage. C’est une question vaine, en tout cas pour moi. En revanche, je dois comprendre mon personnage et ce qu’elle fait. Elle découvre qu’elle est trompée mais elle ne montre rien. Moi, il est vrai, j’aurais réveillé l’autre au milieu de la nuit et je lui aurais demandé : « C’est quoi ce bordel ! »

Le film est terrible sur les femmes d’expatriés, lorsque celles-ci n’ont pas de carrière. L’une dit qu’elle est la « boussole » de son mari.

C’est vraiment la bourgeoisie dans toute sa splendeur : on se raconte des histoires auxquelles on croit, on gagne de l’argent, les enfants sont bien habillés, on fréquente des gens qui pensent exactement comme nous… Le film pose un regard assez caustique sur ces femmes. C’est vrai que j’adore jouer ça. J’aime beaucoup maltraiter les bourgeoises, comme actrice. C’est toujours très porteur, la bourgeoisie qui se casse la gueule.

Mais votre personnage n’est pas une victime, cette femme mène même la danse jusqu’à un certain point…

En reprenant le pouvoir, elle le donne à un autre. Dans la mise en scène de Marc Fitoussi, il y a l’idée d’une valse, une espèce de danse inexorable qui ne s’arrête jamais, nous emmène de plus en plus vite… Le film lorgne du côté de Chabrol, c’est aussi une critique sociale et un thriller, car parfois je fais peur.

Vous avez tourné en août un autre film, « Fantasmes », avec Stéphane et David Foenkinos. Comment le tournage après le confinement s’est-il passé ?

On a travaillé avec des contraintes fortes, bien sûr. Toute l’équipe était masquée, même nous, sauf lorsqu’on jouait. Avec Jean-Paul Rouve, on forme un couple qui assume le fantasme d’être regardé quand il fait l’amour. C’était extrêmement drôle.

Ces conditions de tournage ne sont-elles pas perturbantes ?

C’est comme ça. Il faut faire sienne la contrainte et s’en affranchir. Ce confinement m’a confirmé le désir intact que j’ai d’exercer ce métier, si nécessaire à ma vie, à mon équilibre.

Etes-vous inquiète pour l’avenir du cinéma ?

Je ne suis pas la mieux placée pour en parler, je suis actrice, mais je vois qu’il y a de la peur, que le cinéma change. Que les séries, les plates-formes prennent beaucoup de place. Il faut pouvoir à tous les niveaux s’adapter. Regretter « comme c’était avant » ne sert absolument à rien. Il y a un mouvement dans le cinéma qui paraît inéluctable, il faut aller avec ce changement. Je pense que les films ne bénéficieront plus du même argent, les acteurs aussi vont être moins payés, parce qu’on ne prendra pas les mêmes risques.

Avez-vous déjà pensé à réaliser un film ?

Non, car j’envisage toujours les films du point de vue de l’acteur. Quand je lis un scénario, je ne le vois pas en tant que mise en scène, mais en termes d’enjeux intimes, d’interprétation, de lignes de force. En même temps, on ne sait pas de quoi demain sera fait, alors pourquoi pas ? Si le cinéma change, s’il ne m’offre plus les rôles que j’aime tant, peut-être que j’aurai envie de les écrire moi-même.

Quel rôle aimeriez-vous interpréter ?

J’aimerais jouer un enfant. Vous voyez, ce n’est pas réaliste ! Mais du point de vue de l’interprétation pure, jouer un enfant à mon âge m’intéresserait. J’adore la vérité qui s’exprime chez eux, la jalousie, le dépit, la joie, le chagrin, la solitude. J’aimerais aussi rencontrer la nouvelle génération de cinéastes, je ne vais pas citer de noms, mais je sens une force vive arriver.

22 septembre 2020

C'est qui Michael Lonsdale ?

Publicité
Publicité