Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Jours tranquilles à Paris
22 septembre 2020

L’acteur franco-britannique Michael Lonsdale est mort

lonsdale99

Le comédien, qui a brillé aussi bien au théâtre qu’au cinéma, notamment chez Buñuel, Duras, Welles, Costa-Gavras ou Beauvois, est mort lundi à l’âge de 89 ans.

Par Mathieu Macheret - Le Monde

Comédien excentrique et sophistiqué dont le maintien britannique lui permettait tous les dérapages possibles, Michael Lonsdale, mort le 21 septembre à Paris, à l’âge de 89 ans, a offert au cinéma français de ces cinquante dernières années l’une de ses présences les plus fascinantes et insaisissables. On se souvient de sa haute silhouette légèrement voûtée, plantée comme un point d’interrogation, de son visage aux bajoues plongeantes, mais surtout, peut-être, de sa voix sinueuse et grésillante, infiniment souple et capable de voler en éclats tonitruants.

Cette labilité corporelle et émotionnelle est précisément ce qui l’autorisait à passer d’un rôle à l’autre en restant exactement lui-même, comme tous les grands acteurs. Habitué à ces seconds rôles marquants qui volent la vedette aux premiers par leur force drolatique dans les films de Luis Buñuel, Jean-Pierre Mocky, Marguerite Duras, François Truffaut ou Orson Welles, il fut surtout un homme de théâtre chevronné et assidu, ayant joué sous la direction de Claude Régy, Peter Brook ou Jean-Marie Serreau.

Il est né le 24 mai 1931, dans le 16e arrondissement de Paris, d’une passion intempestive de sa mère, une Française d’ascendance bourgeoise, pour un officier de l’armée britannique, ami de son mari. L’enfant, qui tirera son bilinguisme de sa double nationalité, grandit sur l’île de Jersey, où ses parents tiennent un hôtel, puis quelques années à Londres, avant d’arriver, en 1939, au Maroc, où son père prend un emploi de représentant en engrais chimiques.

Ce dernier, soupçonné de traîtrise, est fait prisonnier par les autorités vichystes, après la destruction de la flotte française par les Britanniques lors de l’attaque de Mers el-Kébir, en Algérie, du 3 au 6 juillet 1940. Il ne sera libéré que deux ans plus tard, en novembre 1942, à la suite du débarquement des Alliés en Afrique du Nord : revenu à la maison, il n’est plus que l’ombre de lui-même. L’acteur confiera s’être inspiré de son apathie pour incarner le personnage du vice-consul, dans India Song, de Marguerite Duras.

Choc avec Strindberg

C’est dans le sillage de cette libération que, à Casablanca, le jeune Michael Lonsdale découvre le cinéma, grâce aux films américains projetés dans les casernes pour les GI’s. Il voit les films de Howard Hawks, John Ford, George Cukor, qui lui font éprouver pour la première fois le désir de devenir comédien.

En 1947, il revient en France seul avec sa mère, désormais séparée de son second mari. Ils s’installent d’abord à Meudon, dans une maison où l’adolescent s’initie à la musique et à la littérature, à travers les ouvrages de Sacha Guitry, Mark Twain et Gustave Flaubert. Ils reçoivent régulièrement la visite d’un oncle, l’écrivain Marcel Arland, pilier de la NRF et Prix Goncourt (1929), qui présente son jeune neveu à tout le petit milieu de la littérature. Lui et sa mère emménagent définitivement à Paris, dans un grand appartement que leur laisse son grand-père.

Lire notre entretien publié en 2006 : Michaël Lonsdale et le métier d'acteur

Le jeune Lonsdale tourne alors autour des écoles de théâtre, mais n’ose en franchir le seuil. C’est en voyant La Sonate des spectres, d’August Strindberg, mis en scène par Roger Blin, qu’il reçoit un choc et décide de se lancer. Au début des années 1950, il intègre le cours de Tania Balachova, au Studio des Champs-Elysées, « professeure de génie » dont il dira qu’elle était « capable de révéler à ses élèves une dimension d’eux-mêmes totalement insoupçonnée », mais aussi qu’elle « travaillait les comédiens comme un matador, jusqu’à ce qu’ils succombent. »

Double orientation

Il reçoit une seconde révélation en 1955, celle du théâtre de Bertold Brecht, devant Le Cercle de craie caucasien joué au Théâtre des Nations par le Berliner Ensemble. Il passe alors une audition auprès de Raymond Rouleau, metteur en scène de boulevard, en même temps qu’il rejoint la troupe de Laurent Terzieff, portée vers des aventures théâtrales novatrices. Il joue Chers zoiseaux, de Jean Anouilh, avec le premier, et L’Echange, de Paul Claudel, avec le second.

On reconnaît ici la double orientation qui présidera à toute la carrière de Michael Lonsdale : complice irréductible des avant-gardes et des auteurs contemporains, il semble s’être fait connaître du grand public par ricochets – notamment pour son apparition dans Hibernatus (1969), au côté de Louis de Funès, et son rôle de méchant nazi, Sir Hugo Drax, dans le volet Moonraker (1979) de la saga James Bond.

Au théâtre, il devient le compagnon de route du metteur en scène Claude Régy, maître du silence et de la suspension, sous la direction duquel il jouera 18 pièces, interprétant les textes de Marguerite Duras, Peter Handke ou Luigi Pirandello.

Avec un autre dramaturge, Jean-Marie Serreau, il travaille au défrichage scénique des textes d’Eugène Ionesco et de Samuel Beckett, encore fraîchement accueillis en ce mitan des années 1960. Sa rencontre avec Beckett est déterminante : en 1966, l’écrivain supervise en personne une mise en scène de Comédie, où Lonsdale se retrouve aux côtés de Delphine Seyrig et Eléonore Hirt. Il restera fidèle à Beckett tout au long de sa carrière, portant lui-même sur scène certaines de ses pièces, telles que Dis Joe, L’Impromptu d’Ohio, Berceuse et Catastrophe.

Autre rencontre déterminante, celle de Marguerite Duras qui assiste aux répétitions de L’Amante anglaise, mise en scène par Claude Régy en 1968. Duras se souviendra du comédien et l’invitera à jouer dans trois de ses films : Détruire, dit-elle (1969), son tout premier long-métrage, où l’acteur joue Stein, personnage récurrent de son œuvre, Jaune le soleil (1971) et, surtout, l’inoubliable India Song (1975).

Michael Lonsdale y incarne un vice-consul languissant, dont la silhouette fantomatique se traîne dolemment à travers les salons et courts de tennis d’une propriété abandonnée. Sur la bande-son, audacieusement désynchronisée de l’image, il pousse de terribles hurlements d’amour et de désespoir (précédemment enregistrés lors d’une représentation radiophonique du texte en 1974).

Dérision magistrale

Son premier grand rôle au cinéma avait eu lieu quelques années auparavant, dans Snobs (1961), de Jean-Pierre Mocky, où il jouait déjà avec une dérision magistrale de cette affectation guindée qui lui semblait si naturelle. Mais le film fut interdit pendant deux ans pour outrage à l’armée et à l’Eglise. La suite de la carrière cinématographique de Michael Lonsdale est majoritairement faite de seconds rôles et d’apparitions ponctuelles, à chaque fois si puissamment drolatiques ou étranges, qu’ils en viennent souvent à voler la vedette.

« J’ai toujours eu horreur du copinage entre les comédiens, de ce rire franc et massif qui peut réunir les uns et les autres sur un tournage », déclarait Michael Lonsdale

Dans Le Procès (1962), d’Orson Welles, d’après Kafka, il pousse une harangue inquiétante, dans un anglais parfait, sous la défroque d’un prêtre. Dans Baisers volés (1968), de François Truffaut, il interprète un marchand de chaussures comme un petit commerçant étriqué et hautain. Dans Le Fantôme de la liberté (1974), de Luis Buñuel, il incarne un chapelier sadomaso, qui se fait fouetter les fesses devant une assemblée outragée.

Il faut évidemment ajouter à tout cela sa participation à des expériences de cinéma hors du commun, comme les douze heures du ciné feuilleton Out 1 (1970) de Jacques Rivette, où il se livre à de longues séances d’improvisation théâtrale en roue libre, ou encore au magnifique cycle des « Quatre Saisons », de Marcel Hanoun, où il incarne le double du cinéaste à l’écran.

Le jeu de Michael Lonsdale se caractérise à chaque fois par une forme de distance envers le personnage, dans laquelle peuvent aussi bien se loger l’ironie que la réflexivité. L’acteur est capable de passer de l’onctuosité la plus suintante à une forme de dureté brute, voire à d’impressionnants coups de colère. Il sera également voyeur des toilettes publiques chez Jean Eustache (Une sale histoire, 1977), érotomane patenté chez Alain Robbe-Grillet (Glissements progressifs du plaisir, 1973) et collaborateur vichyste chez Costa-Gavras (Section spéciale, 1975).

L’un des rares films où il occupe le premier rôle est une merveille méconnue tournée pour la télévision : Bartleby (1976) de Maurice Ronet, d’après Herman Melville, où il joue un notaire troublé par l’un de ses employés qui se refuse à tout. Dans les dernières années de sa carrière, on l’avait retrouvé en sublime patriarche prostré, dans Gebo et l’ombre (2012), du Portugais Manoel de Oliveira, ou en double de fiction du cinéaste Eric Rohmer, dans Maestro (2014), de Léa Fazer.

La foi chrétienne

Une part plus secrète de sa filmographie concerne les rôles ecclésiastiques qu’il a ponctuellement interprétés au fil des années, fondés sur son aisance à incarner l’obséquiosité, le dédain, la dissimulation ou plus simplement l’aménité.

Michael Lonsdale a joué un abbé bibliophile dans Le Nom de la rose (1986), de Jean-Jacques Annaud, d’après Umberto Eco, le cardinal Barberini, dans Galileo (1974), de Joseph Losey, et surtout le frère Luc Dochier, dans Des hommes et des dieux (2010), de Xavier Beauvois, sur l’assassinat des moines de Tibéhirine. Un rôle qui lui vaudra la reconnaissance ainsi que le César du meilleur acteur de second rôle. Il raconte toutefois avoir refusé de jouer un évêque de Rome dans Amen. (2002), de Costa-Gavras, pour son parti pris « anti-papiste ».

Derrière ces choix et ces refus pouvait se lire en filigrane l’adhésion de Michael Lonsdale à une foi chrétienne dont il ne s’est jamais caché, et qui ne l’a surtout jamais empêché d’accepter des rôles transgressifs ou anticléricaux. Il confiait à ce sujet : « Certaines personnes, dans le métier, se sont détournées de moi parce que le seul mot de “religion” leur donne des boutons… La peur d’être rejeté, de ne plus travailler, en a muselé plus d’un, et loin de moi l’idée de les juger ! »

Cette foi assumée fut peut-être moins une marque d’anachronisme que d’anticonformisme suprême, de la part d’un artiste qui est toujours resté « à part » et ne s’est jamais vraiment fondu dans le milieu artistique. Situation d’isolement qu’il évoquait lui-même en ces termes : « Ah, cette grande famille des acteurs… Je m’y sens parfois si décalé, n’ayant pas du tout l’esprit blagueur, pas le moindre goût pour la grosse farce, au point de me sentir parfois très mal à l’aise. J’ai toujours eu horreur du copinage entre les comédiens, de ce rire franc et massif qui peut réunir les uns et les autres sur un tournage. »

Michael Lonsdale restera pour toujours ce comédien extraterrestre, cet acteur venu d’ailleurs qui semblait incarner une certaine condition humaine tout en posant un regard extérieur sur elle, comme s’il ne lui appartenait pas vraiment. Et sans doute faut-il voir là le véritable secret de son génie.

=========================

Michael Lonsdale en dates

24 mai 1931 Naissance à Paris

1966 Interprète de la pièce « Comédie » de Samuel Beckett

1968 Interprète de la pièce « L’Amante anglaise » de Marguerite Duras

1975 Acteur dans le film « India Song » de Marguerite Duras

1979 « Moonraker » de Lewis Gilbert

1986 « Le Nom de la rose » de Jean-Jacques Annaud

2010 « Des hommes et des dieux » de Xavier Beauvois

2012 « Gebo et l’ombre » de Manoel de Oliveira

21 septembre 2020 Mort à Paris

==========================

Publicité
22 septembre 2020

MICHAEL LONSDALE, GÉNIE DU MAL

lonsdale102

Par Luc Chessel - Libération

«Degas était chez lui.» La dernière visite du cinéma à Michael Lonsdale s’ouvre sur ces mots. Dans Degas et moi (2019) d’Arnaud des Pallières, l’acteur prêtait son grand corps documentaire, et les aigus tremblés d’une voix si reconnaissable, à la vieillesse du célèbre peintre, dont le film finit par décrire la brûlante conviction antisémite. Ce dernier rôle lui rendait visite dans son propre appartement parisien, qui avait été aussi le décor, quelques décennies plus tôt, d’une mémorable scène de Baisers volés (1968) de François Truffaut, où son personnage de Georges Tabard ne cachait pas ses sympathies hitlériennes. La bonté à la fois radieuse et fragile qui émanait de la haute silhouette de Michael Lonsdale a donné leur profonde ambiguïté à tous ses rôles sur sept décennies, toutes ces figures dans la lenteur et le silence desquels passaient de secrètes et terribles ombres : ombres de l’histoire (aussi dans Monsieur Klein de Joseph Losey, la Question humaine de Nicolas Klotz, Détruire, dit-elle et Jaune le soleil de Marguerite Duras), de la folie (celle du vice-consul d’India Song chez Duras encore, celle, plus codifiée, chez James Bond, du méchant de Moonraker), du contrôle (l’inégalable metteur en scène de théâtre du Out 1 de Jacques Rivette), ou du cinéma lui-même (en narrateur-voyeur d’Une sale histoire de Jean Eustache). Il aura ainsi travaillé le mal par tous les moyens de la bonté la plus manifeste, qui sont peut-être les moyens, méditatifs, de la presque immobilité et du presque silence. A lui seul, ou à quelques autres, semblaient s’appliquer vraiment les mantras du metteur en scène Claude Régy, disparu l’année dernière, et avec qui il a régulièrement travaillé, des années 60 à 80, à des spectacles disparus et dont on ne peut plus que rêver : «Les acteurs qui parlent sans silence ne font que du bruit, on n’entend pas la source. Il faut essayer de trouver une manière de faire le bruit de la parole qui en même temps fait entendre le silence.»

lonsdale22

lonsdale30

lonsdale31Voir mes billets précédents sur Michael Lonsdale : http://jourstranquilles.canalblog.com/tag/michael%20lonsdale

22 septembre 2020

Lonsdale est mort, sale histoire

lonsdale21

Par Anne Diatkine — Libération

L’acteur au phrasé suave est mort lundi, à 89 ans. Arrivé par hasard dans le métier, l’inclassable était multicasquettes, passant de Duras à James Bond, de Claude Régy à Spielberg.

Il disait qu’il avait été un enfant qui jouait tout le temps et ne supportait pas qu’on le ramène à des réalités prosaïques comme se nourrir. Et qu’il était devenu comédien pour continuer à jouer sans qu’on lui demande des comptes. Il disait aussi que longtemps, il avait été muet, prisonnier d’une timidité maladive, avec une voix qui ne sortait pas malgré sa puissance. Et cependant, pour beaucoup, Michael Lonsdale était avant tout une voix, reconnaissable entre toutes, parfois aiguë, souvent inquiétante, rapide, semblant dissociée de ce corps massif aux mouvements si lents, légèrement encombré.

Comme tous les grands timides, Michael Lonsdale impressionnait. Etait-ce la crainte que ce géant doux et aimable, drôle et sans aucune prétention, cache une violence incontrôlable ? Probablement, tant il était, sur les écrans et les planches, l’acteur qui le premier savait découvrir et faire voir l’envers du décor, les gouffres de ceux qu’il incarnait, les gouffres banals de monsieur Tout-le-Monde, alors même que le masculin était rarement, au cinéma et dans la société, synonyme de vulnérabilité avouée. On dit Michael Lonsdale et on l’entend prononcer dans un cabinet de détective cette réplique géniale : «Personne ne m’aime, faites une enquête», dans Baisers volés de François Truffaut, où il joue M. Tabard, le marchand de chaussures jaloux, marié à Delphine Seyrig. On répète Michael Lonsdale, et c’est son cri de désespoir dans India Song, cette fois-ci, qui résonne. Orson Welles, Buñuel, Losey, Resnais, on en oublie tant ils sont nombreux, mais aussi l’avant-garde de l’avant-garde, les cinéastes les plus expérimentaux, tels Rivette, Eustache et surtout Marguerite Duras : sa filmographie est exceptionnelle et on ne peut que constater que presque tous les grands cinéastes du XXe siècle ont eu un jour envie ou besoin de filmer Michael Lonsdale, lui qui ne savait pas ce que le mot vedette signifiait. Mais il suffisait qu’on lui fasse remarquer qu’il ne tournait jamais dans des films «commerciaux» pour qu’immédiatement il embarque dans un James Bond ou chez Spielberg. Cet homme était imprévisible et il aimait l’imprévu.

La honte au bout du monde

Michael Lonsdale avait été un enfant caché, l’enfant du secret et de l’amour fou. Un soir de match de foot, le premier mari de sa mère avait proposé à un inconnu de continuer à soutenir l’équipe en buvant un verre à la maison. Le coup de foudre est immédiat, sa mère quitte quelques semaines plus tard son mari pour l’inconnu, un militaire de l’armée des Indes. La jeune femme n’ose pas annoncer la naissance du petit Michael, le 24 mai 1931, à sa famille. Qui lorsqu’elle est mise au courant lui demande de cacher sa «honte», le plus loin possible, en Australie. « La honte», qu’il fallait envoyer au bout du monde, «c’était donc moi», a raconté Michael Lonsdale dans un A voix nue, sur France Culture. Finalement, le couple et le bébé émigrent à Jersey, où ils sont propriétaire d’un grand hôtel - la famille maternelle est riche - puis à Londres. En 1939, quand il a 8 ans, à la veille de la déclaration de guerre, la famille embarque pour le Maroc «théoriquement pour six mois» qui dureront dix ans. Michael Lonsdale expérimente son premier rôle - Atchoum - et à Rabat, découvre le cinéma - Citizen Kane et la Splendeur des Amberson - quand les Américains débarquent en 1942.

Quand la famille revient à Paris, vivre aux Invalides, c’est le choc. Il ne connaît rien à l’orthographe, ne parle pas très bien le français, n’a jamais été au théâtre. S’essaie à la peinture vers 17 ans. Auditionne par hasard au théâtre des Mathurins dans une pièce mise en scène par Raymond Rouleau. Ne parvient pas à se faire entendre. Il n’empêche, il est pris, et c’est après cette première expérience qu’il entre au cours de Tania Balachova, qui l’oblige à extérioriser la violence qu’il porte en lui et lui apprend à prêter attention aux tons, aux sons, plus qu’aux paroles. En tout cas, il découvre son élément. A l’époque, on lui donne un conseil qu’il suit à la lettre : «Ne faites pas le difficile, apprenez votre métier en jouant.» D’emblée, ce sont les auteurs contemporains qui lui ouvrent leurs portes : Romain Weingarten, François Billetdoux, Eugène Ionesco. Une expérience décisive entre toutes néanmoins : en 1964, Comédie de Beckett où il est enterré dans des jarres, avec Eléonore Hirt et Delphine Seyrig, la femme aimée, et où il s’agit de parler comme des mitraillettes, dans une mise en scène de Jean-Marie Serreau.

«Un monde postverbal»

La fidélité frappe chez Michael Lonsdale, qui toujours entame un long compagnonnage lorsqu’il découvre un auteur, un metteur en scène. Ainsi en va-t-il avec Claude Régy, avec qui il travaille une douzaine de fois et qui est le premier à lui offrir un grand rôle au théâtre, dans la mythique Chevauchée sur le lac de Constance de Peter Handke avec une distribution fracassante - Jeanne Moreau, Delphine Seyrig, Gérard Depardieu (jeune et inconnu), Bernard Fresson. «On ne comprenait rien, et ça n’avait aucune espèce d’importance. Peter Handke lui-même disait qu’il avait eu besoin de l’écrire mais qu’il ne savait pas ce qu’elle signifiait.»

Et puis il y a l’amitié Duras. «Ce qu’on faisait avec Duras, ce n’était pas vraiment du cinéma, c’était une telle ambiance de confiance totale. Elle arrivait et disait : "Je ne sais pas très bien où mettre la caméra." "Eh bien mets-la là", je lui disais, "elle sera très bien." C’était en dehors de tout métier habituel.» Ainsi expliquait-il que pour India Song, film en voix off, un dialogue était au départ prévu et appris par les acteurs. Mais que finalement la musique avait pris le dessus, de manière inopinée, le premier jour du tournage. Ensemble, a-t-il relaté à Libération, ils riaient comme des fous.

Michael Lonsdale avait refusé plusieurs fois d’entrer à la Comédie-Française, car il se sentait incapable d’assumer un répertoire. Dès le début des années 70, il disait combien il était content que le théâtre vienne du corps, ne privilégie plus le texte, permette d’explorer «un monde postverbal, et même d’aboyer» s’il le faut. Il rêvait d’un langage au-delà des langues. Et bien sûr, cette recherche pourrait être reliée à son mysticisme, lui qui s’était converti au catholicisme dès l’âge de 22 ans. Il faudrait rappeler que le cinéma l’a redécouvert - mais l’avait-il vraiment perdu ? - avec Des hommes et des dieux de Xavier Beauvois en 2010, où il jouait frère Luc. Et dès lors, ce sont de kilos de scénarios où on lui soumettait des rôles de prêtre qui lui tombèrent dessus. Impossible de dessiner ne serait-ce qu’une esquisse de la carrière de Michael Lonsdale, qui s’échappe, qui s’est échappé. Cette fois-ci pour toujours, ce lundi 21 septembre.

22 septembre 2020

MICHAEL LONSDALE, SLOW LIFE

lonsdale20

Par Camille Nevers - Libération

Le comédien et metteur en scène, génialement singulier et singulièrement génial chez Duras comme James Bond, chez Eustache comme Spielberg, chez Truffaut ou Régy, est mort lundi à 89 ans. Tentative de déchiffrer l'allure de l'homme, l'axe de son jeu, traversés par l'étrange autorité de la lenteur.

Michael Lonsdale.

Une porte doit être ouverte ou fermée. Michael Lonsdale devait être debout ou assis. Dans un proverbe irlandais, il est dit que «l’Anglais pense assis, et le Français debout»… Michael Lonsdale, donc, était l’un et l’autre, à tour de rôle. On a appris lundi après-midi la mort du comédien et metteur en scène (au théâtre), à 89 ans.

Qui l’imaginerait monter à cheval, faire de l’alpinisme, danser une valse, s’adonner à d’exténuants exercices physiques ? Personne. On ne le revoit pas courant, marchant trop vite, ni d’un bon pas pressé, et s’il danse, conduisant de blondes créatures, Delphine Seyrig ou Sylvia Kristel, c’est au rythme d’un slow. Slow, c’est le mot : Michael Lonsdale ou la lenteur ; d’une lenteur bien tempérée qui vise au dépouillement, à une impassibilité apparemment calme et étrangement «posée». Etrangement, parce que Lonsdale est dans ses gestes et sa réticence à s’emballer un comédien posé, ce qui assure prestance et autorité aux personnages qu’il incarne, mais il est aussi comme «posé là», ce qui met en péril la blanche assurance, menace l’aisance précise où perce toujours une pointe d’inquiétude hébétée : être «posé là», c’est courir un gros risque – le risque de faire partie des meubles et que nul ne songe bientôt plus à noter sa présence, à lui accorder un regard.

Le numéro d’équilibriste consiste dès lors à balancer discrètement, mine de rien, entre le jeu mondain le plus hiératique (tenir un cigare dans une main, dans l’autre un verre de whisky, par exemple) et l’insignifiance défaite de ses personnages. Entre l’extrême solennité et l’extrême solitude. Tout se passe indistinctement, mais assez lentement, le temps d’un geste précautionneux dont on se demande toujours si c’est politesse cauteleuse ou timidité maladive de sa part, machiavélisme ou couardise, flegme ou flemme, le temps d’une phrase prononcée d’abord gravement, sentencieuse et affirmative, qui s’achève en interrogative par une simple inflexion finale plus aiguë, ou le temps d’un déplacement du corps assez ralenti pour qu’on en distingue l’élégance et la gaucherie simultanées, d’une station à une autre.

Aller-retour vertical et ralenti

C’est ainsi qu’on imagine à peine Lonsdale en mouvement, et qu’on le revoit d’abord toujours, ou debout, ou assis. Surtout assis. Ou à l’extrême limite : à genoux. Mais tout son être, pour ainsi dire toute son existence à l’écran, semble tenir dans ce déploiement minimal, dans cet aller-retour vertical et ralenti : se lever, s’asseoir, se redresser, regagner son siège, se mettre debout, s’incliner à nouveau… et puis s’affaler – car si la chaise ou le fauteuil vient soudain à manquer, il ne reste au comédien qu’une alternative : tenir debout, le plus droit et le plus longtemps possible, ce qui n’est pas tâche facile car tenir son rang est fatigant, ou bien se laisser choir, ce qui est une vraie tragédie, car on l’aura compris, chez Lonsdale la loi de la gravité devient une loi morale. A la manière d’un Montaigne lorsqu’il écrit, «au plus élevé trône du monde, nous ne sommes assis que sur notre cul». Sur les tapis exotiques d’India Song, sur le sable au soleil couchant d’Out 1, dans le cagibi sous l’escalier de la Mariée était en noir ou sur la moquette épaisse d’Un linceul n’a pas de poche, lorsque l’acteur s’écroule, ce que l’on voit, c’est l’homme qui chute. C’est lamentable, et déchirant, comme le cri du vice-consul.

En ce sens, qu’Eustache ait fait appel à lui pour narrer une Sale histoire est sidérant : cela demande un effort de pensée – et l’histoire pourtant sordide émerge alors parée de reflets proprement fantastiques – que d’imaginer un instant Lonsdale, son corps immense, mou et massif, s’allonger volontairement sur le sol des toilettes publiques et se contorsionner pour regarder par le trou de la porte le sexe de femmes anonymes… Sa plus grande prouesse physique, performance à effets spéciaux plus inouïs que ceux de Moonraker ou de Billy Ze Kick, il la doit au mirage eustachien de la parole, à sa puissance d’évocation obscène et hypnotique : qu’est-ce qui est le plus obscène, d’ailleurs, cette histoire d’attentat à la pudeur que Lonsdale nous raconte, ou l’image même, fantasmatique, de sa posture improbable, de cette station couchée à plat ventre d’un corps si peu fait pour cela, si peu enclin à telle outrance physique ?

La conscience détachée de n’être maître de rien

Que peut bien faire l’homme qui s’assoit, s’il ne veut pas qu’on l’oublie dans un coin, sinon prendre la parole, mais sans élever la voix ? Pour dire quoi ? «Je veux savoir pourquoi on m’aime pas» (Baisers volés), ou «Alex, tu me fais peur…» (Stavisky), par exemple. Le manque d’amour, une angoisse légère et distante. Michael Lonsdale ne ressemble véritablement à personne, mais s’il fallait citer un comédien dont la lenteur physique et la douceur traînante de la voix le rapprochent obscurément, sensiblement, ce ne serait pas un Français mais un Anglais : ce serait Herbert Marshall. D’ailleurs cette lenteur, cette patience infinie attendant son heure, cette haute stature un peu voûtée qui fait le gros dos comme un chat (quoique Lonsdale m’évoque d’abord ce plantigrade herbivore : le panda), proviennent chez tous deux d’une infirmité qu’on dissimule : Marshall a tenté de masquer toute sa vie sa jambe de bois, une jambe qu’il avait perdue dans un accident lors de la Grande Guerre ; Lonsdale, tout jeune, en pleine Seconde Guerre mondiale, eut les jambes brisées dans un accident de voiture et crut ne jamais pouvoir remarcher…

Toutefois ce n’est pas du tout une ressemblance physique, mais une pensée secrète qui à nos yeux les apparente : la conscience détachée de n’être maître de rien, et de personne – aussi passent-ils leur temps à seulement rester maîtres d’eux-mêmes ; tous deux ont ce demi-sourire flottant, intimidé et énigmatique, mi-candide mi-cynique, mi-matois mi-pantois, sourire «sous cape» dont on ne saura jamais exactement s’il est le signe d’une capitulation souveraine ou d’une victoire discrète : on soupçonne juste que pour eux cela revient au même.

Il y a chez Lonsdale et Marshall un fond malheureux, et d’un malheur sans honte, juste un peu risible, un fond de tristesse dont la féminité douce, vaguement rouée, n’est pas à tenter de masquer sous des dehors virils ou une violence rentrée, plutôt à livrer avec cette résignation feutrée des amoureux non payés de retour, ou des maris modestes.

Lonsdale est à lui-même, en parlant, sa propre voix off

Et Lonsdale a enfin de commun avec Herbert Marshall (et aussi Michel Bouquet) de n’articuler qu’à peine, le moins possible on dirait ; mais chaque mot mâchouillé, ânonné, se détache avec une grande netteté. Cette diction est pure distinction, cette façon du comédien de débiter calmement son texte, posément donc, et le plus poliment du monde, comme s’il n’y était pour rien. Avant même de la laisser pousser, Michael Lonsdale semblait déjà parler dans sa barbe. Cette voix qu’on reconnaît entre mille, ce n’est alors pas un hasard sans doute si, par Duras la première, elle fut si souvent utilisée en voix off, en voix radiophonique. Car même à l’écran et plein cadre, Lonsdale est à lui-même, en parlant, sa propre voix off. Sa manière recto tono est toujours à la limite de la ventriloquie, le mouvement quasi inarticulé de la bouche aux lèvres très minces, sans compter barbe et moustache, donne au timbre un effet naturel de play-back. Cette curieuse, infime dissociation du corps et de la voix ouvre peut-être une perspective pour finir : que Michael Lonsdale soit debout ou assis, sa parole, elle, ne paraît jamais tout à fait en phase, ou en place. Comme si l’envers de l’immobilité impassible et bonhomme de l’acteur était cette volatilité de la voix qui tient sous son empire son interlocuteur : la voix d’un hypnotiseur, et d’un conteur. A lui seul revenait de nous confier en chuchotant des histoires à dormir debout. Ou assis.

Mes précédents billets sur Michael Lonsdale :

http://jourstranquilles.canalblog.com/tag/michael%20lonsdale

21 septembre 2020

Entretien - Ivan Jablonka et Jean-Xavier de Lestrade : « L’idée était de montrer Laëtitia vivante »

Par Thomas Sotinel, Lorraine de Foucher - Le Monde

L’historien Ivan Jablonka, qui avait consacré un livre à Laëtitia Perrais, assassinée en 2011, et le cinéaste Jean-Xavier de Lestrade reviennent sur la genèse de la série adaptée de cette enquête et diffusée sur France 2, les 21 et 28 septembre.

A partir de Laëtitia ou la Fin des hommes (Seuil), l’ouvrage que l’historien et sociologue Ivan Jablonka a consacré à Laëtitia Perrais, assassinée à 18 ans par Tony Meilhon en 2011, le cinéaste Jean-Xavier de Lestrade, documentariste et auteur de fictions, a construit une série diffusée sur France 2. Tous deux évoquent la nécessité et la difficulté du passage de l’enquête à la fiction, sur un sujet dont l’urgence ne se dément pas.

Jean-Xavier de Lestrade, comment avez-vous rencontré cette histoire ?

Jean-Xavier de Lestrade. A la sortie du livre. Mon premier réflexe a été de me dire que cet ouvrage était tellement fort et à la bonne distance qu’il ne fallait surtout pas s’autoriser à en faire une adaptation. Aller voir une chaîne de télévision avec cette proposition, forcément on va nous pousser à aller sur un terrain spectaculaire, émotionnel, qui n’était justement pas celui que défendait le livre. J’avais très peur de l’effet que ça pourrait produire, aujourd’hui, sur les gens qui restent de cette histoire, sa sœur jumelle Jessica, la famille, tous les amis qui ont connu Laëtitia. Il y a une chose qu’on ne veut surtout pas faire, c’est ajouter de la douleur, une épreuve supplémentaire.

Des images ont commencé à surgir, je me disais, bien sûr, il ne faut pas le faire, mais si on tournait cette scène, on pourrait faire comme ça pour éviter de… Au bout de quelques semaines, je me suis dit qu’il fallait absolument y aller, parce que l’histoire raconte tellement de nous, de notre temps.

Aujourd’hui, je suis convaincu que cette série, qui n’est pas un divertissement, peut apporter une prise de conscience aux gens qui connaissent d’autres Laëtitia.

Quelles règles vous êtes-vous fixées entre le risque du spectaculaire et l’autocensure ?

J.-X. L. L’une des intentions était de prendre soin de ceux qui ont vécu cette tragédie. On leur doit la vérité. La seule chose qui était interdite, c’était de filmer la mort de Laëtitia. On laisse le spectateur faire son travail, on ne va pas lui imposer des images qui ne servent pas le propos. Surtout – et ça rejoint le travail d’Ivan – on a trop vu à quel point Laëtitia a été réduite à la manière dont elle a été assassinée. Sa vie, c’était sa mort. L’objectif était de la montrer vivante et de la restituer dans sa vie.

Pour un projet de France Télévisions, à une heure de grande écoute, on ne s’est pas interdit beaucoup de choses. C’est très difficile : le propos est de montrer une certaine violence, qu’elle ne soit pas gratuite, elle doit avoir un sens.

Vous parleriez d’une gestion de l’effroi ? Il en faut assez pour qu’il y ait un électrochoc, une prise de conscience, mais pas trop ?

J.-X. L. Il faut que ça dure un tout petit peu. Si je prends la séquence de Franck (le père de Laëtitia) qui viole sa femme, la scène dure. J’insistais beaucoup pour que l’on répète le moment où la comédienne qui incarne le personnage de Sylvie dise non. Cette histoire de consentement est centrale dans l’œuvre, dans la série.

Il fallait qu’il y ait trois refus, pour que le spectateur comprenne que ce n’est pas parce qu’ils sont mariés que ça va de soi. Il fallait qu’à chaque fois que les gens sont dans un état d’infériorité, on les voie se défendre. Même Laëtitia. A la séquence de son viol, on devait sentir qu’elle avait dit non. Pour Tony Meilhon, il l’a faite boire, il lui a filé un peu de coke, elle monte dans sa voiture, accepte d’aller chez lui, c’est un accord tacite pour des relations sexuelles. Eh bien non. Ce mécanisme qui montre comment deux êtres se retrouvent, comment la femme signifie son refus, comment on la force, on en fait un objet, montrer ça à un public de France Télévisions, ce n’est pas évident.

Ivan Jablonka, comment avez-vous vécu le casting en tant qu’écrivain, la transposition d’une existence réelle sur un autre plan ?

Ivan Jablonka. Le plus important pour moi, c’était le choix de la comédienne qui incarnerait Laëtitia. C’est le rôle-titre, mais c’est aussi important parce que Laëtitia, c’est la seule que je n’ai pas rencontrée, et pour cause. En ce sens, la fiction permettait une incarnation. Dans un documentaire, il n’y aurait pas eu de Laëtitia. En quelque sorte, c’était la première fois que j’allais rencontrer Laëtitia, même si tout ça est très illusoire.

Il y avait bien sûr d’autres rôles fondamentaux : les adultes qui entourent les jumelles, l’enquêteur, le juge d’instruction, l’assistante sociale, ces différents regards portés sur les jumelles, sur leurs vies, sur la mort de Laëtitia, sur les violences qu’elles ont subies, c’était aussi pour moi très important, ça montre indirectement le regard qui a été le mien, puisque j’ai été l’adulte dans un monde d’enfants.

Et il y a un dernier type de casting que j’attendais avec une forme d’appréhension : les hommes qui incarnent une masculinité pathologique dans cette histoire. Dans mon livre, ils sont de quatre types : le père biologique, le père d’accueil, le meurtrier et Nicolas Sarkozy. Ces quatre types de masculinité ont chacun contribué à fragiliser puis à détruire Laëtitia. Dans ce sens, mon livre est autant un livre sur un féminicide qu’un livre sur les masculinités dévoyées et pathologiques. C’était important de voir qui oserait les incarner.

Les féminicides, y compris celui de Laëtitia, sont des faits politiques…

I. J. Pour expliquer un meurtre aussi violent, un féminicide, il faut l’histoire longue. C’est pour ça que le terme de « fait divers » est complètement déplacé, presque obscène. Ce meurtre, c’est un fait d’histoire, un fait social total.

Il y a des gestes de Tony Meilhon sur Laëtitia, ou sur ce qui va devenir le corps de la victime, qui renvoient à des faits sociaux. C’est l’objet de mon livre que de déplier les replis historiques et sociologiques qui finissent par expliquer comment en moins de vingt ans, dans une société riche, démocratique et en temps de paix, une jeune femme a été ainsi détruite.

J’ai été aussi frappé de voir comment le malheur, c’est-à-dire la violence subie par les femmes, se répercute de génération en génération, de famille en famille, sans que rien d’autre ne vienne l’interrompre que la mort de la victime.

Il y a aussi une dimension tragique du féminicide dans sa dimension criminologique, et ça, je ne l’ai compris que quand j’ai rencontré le médecin légiste qui a autopsié Laëtitia. Il m’a dit, ce que je n’avais pas vraiment perçu, que Laëtitia avait été tuée de plusieurs manières. Ça fait partie du féminicide, cet acharnement sur le corps, parce qu’il ne s’agit pas de tuer mais aussi de détruire la femme qu’il y avait dans cet individu. Cette dimension pénible, parce que personne n’a envie de voir ces faits-là, révèle la dimension politique du féminicide.

Vous attendez-vous à ce que vos travaux fassent bouger les lignes ?

I. J. Quand on regarde les différents faisceaux qui ont détruit Laëtitia, il y a d’un côté le pouvoir, de l’autre la violence, tout ça dans une atmosphère de négligence généralisée.

La violence nue, sexuelle et physique, c’est celle de Tony Meilhon. Et pour moi, la pathologie masculine de Gilles Patron, le père d’accueil, c’est plutôt le pouvoir. C’est différent et pourtant, ça se termine aussi en violence sexuelle. J’aurais pu développer davantage dans mon livre l’attitude du conseil général en 2010. Les jumelles et leurs amies signalent des faits de violence sexuelle de la part du père d’accueil. Il y a cette scène terrible : l’assistante sociale reçoit les jumelles, elle leur demande explicitement si elles ont subi des attouchements ou des violences, et les sœurs qui ne sont pas ensemble au même moment répondent un petit « non ». En fait, c’est un grand « oui » sous un petit « non ».

En 2018, la famille s’était opposée à la mise en chantier de la série, qu’en est-il aujourd’hui ?

J.-X. L. Avec la famille, les relations ont démarré sur un énorme malentendu. Alors que je ne savais même pas s’il fallait faire cette série, on a envoyé quelqu’un pour faire des repérages à Nantes. C’est arrivé jusqu’à Jessica, qui appelé sa tante Delphine. Elles se sont dit que ce n’était pas possible de revivre la dépossession qu’elles avaient vécue pendant toute l’affaire. Il y a eu une pétition à l’initiative de la tante de Jessica et Laëtitia, et avec raison, je comprends leur émotion.

On a fait le travail qu’on devait faire, un peu tard, malheureusement. On a d’abord rencontré Jessica, c’était la chose essentielle. Je l’avais toujours dit à Ivan : je ne me lancerais pas dans cette entreprise sans son accord. Ce n’était pas l’enthousiasme, il ne peut pas y en avoir, mais il devait y avoir une compréhension de ce que nous voulions faire.

Rien ne m’insupporte plus qu’on assimile Laëtitia et Jessica à des victimes. Evidemment, elles ont été victimes, mais ce sont surtout des jeunes femmes qui ont montré un courage exceptionnel. Au final, si Laëtitia est tuée par Tony Meilhon, c’est parce que, quand il la raccompagne à son scooter à l’hôtel de Nantes, au lieu de filer en courbant le dos, elle lui dit : « Tu n’as pas le droit de faire ce que tu as fait ». Si la mort de Laëtitia a un sens, c’est dans le souvenir de cet acte de résistance et d’héroïsme.

I. J. C’est parce qu’elle se libère qu’elle va être mise à mort. Parce qu’elle est dans une démarche de libération, de disposer de son corps, de porter plainte, elle est martyrisée. C’est pour ça que les féminicides sont éminemment politiques, ils visent à punir une prise de liberté. Les premiers crimes sexuels, Jack l’Eventreur, ceux qu’on appelle aujourd’hui les « serial killers », ça commence au moment où les femmes entament leur longue marche vers l’autonomie et la liberté, précisément à la fin du XIXe siècle.

On dit souvent que les hommes ne peuvent pas être féministes, mais des alliés du féminisme. Quel est votre positionnement en tant qu’hommes par rapport à une histoire de femmes profondément atteintes par la domination masculine ?

J.-X. L. C’est forcément le type de question qui déboule ; je la comprends. Il y a trois jours, j’étais à une réunion avec Netflix pour lequel je produis une série documentaire qui traite de l’histoire d’un jeune Noir arrêté dans les années 1990 pour avoir tué un flic blanc à Boston. On m’a posé la même question : vous n’êtes pas Noir, est-ce que vous vous sentez légitime pour parler de ce sujet-là ? Aux Etats-Unis, ça se pose de manière encore plus violente qu’ici.

En tant que créateur ou artiste, c’est une question qui me semble tellement absurde. D’ailleurs, je m’aperçois que j’écris plus facilement des rôles féminins que masculins. Après, comment on se positionne en tant qu’homme ? Sur le plateau, pendant le tournage, on était dans une sorte de parité. Pour un sujet comme ça, c’est hyperimportant d’avoir suffisamment de femmes autour du combo.

I. J. Je considère que mon livre et la série de Jean-Xavier de Lestrade sont des réflexions non pas sur les hommes mais sur le masculin. Le dire, c’est tout simplement rappeler la différence entre le sexe et le genre, un principe de base en sciences sociales depuis au moins cinquante ans. Ce n’est pas un procès à faire contre les hommes, c’est une réflexion sur les hommes dans la société, les hommes dans la cité, vis-à-vis de leurs propres masculinités.

Comme le dit la sociologue Raewyn Connell depuis maintenant vingt ans, c’est précisément parce qu’il y a des masculinités au pluriel qu’on peut réfléchir sur les rôles qui nous sont donnés et qu’on peut aussi récuser quand on est né avec un pénis.

Pour ce qui est des procès en appropriation culturelle, qui font des ravages aux Etats-Unis et qui arrivent en France, je pense que ce sont des machines de guerre contre la création libre mais aussi contre les sciences sociales.

La création, c’est évident : c’est précisément essayer d’être un autre, comme l’a dit très bien Jean-Xavier, dans ses identités, dans sa sexualité, dans son travail.

Quant aux sciences sociales, par nature, elles pensent l’autre. J’ai travaillé sur les femmes qui abandonnent, je ne suis pas une femme et je n’ai pas abandonné mon enfant. L’ensemble des sciences sociales, ça consiste à faire l’expérience de l’altérité et, possiblement, d’embrasser des causes qui ne sont pas les nôtres. En tant que juif, j’aimerais bien qu’il y ait davantage de goys qui se soucient de l’antisémitisme. Quant aux historiens, ça fait bien longtemps que des non-juifs travaillent sur la Shoah ou l’antisémitisme, et tant mieux.

Publicité
21 septembre 2020

Isabelle Huppert

 

 

20 septembre 2020

A ne pas manquer « Antoinette dans les Cévennes » : un vaudeville à dos d’âne

antoinette20

antoinette21

antoinette22

C’est le grand bol d’air de la rentrée, la surprise d’une comédie populaire et décalée, à l’humour dérangeant, dont les rebondissements emmènent le spectateur bien au-delà du vaudeville annoncé.

Antoinette dans les Cévennes, de Caroline Vignal, nous conte l’épopée comique et pathétique d’une maîtresse d’école qui part à la recherche de son amant, le père d’une de ses élèves, homme marié qui passe ses vacances familiales dans les Cévennes au lieu de partir avec elle. N’écoutant que sa flamme, elle se lance sur les traces de Vladimir, à corps perdu, sur le GR70 qui relie Le Monastier-sur-Gazeille (Haute-Loire) à Saint-Jean-du-Gard (Gard), comme le fit en 1878 l’auteur écossais Robert Louis Stevenson, qui en tira l’ouvrage devenu culte, Voyage avec un âne dans les Cévennes (1879).

Le film tire sur les ressorts comiques jusqu’au point de rupture, envoyant son héroïne en zone périlleuse avant de la récupérer sur le terrain plus connu du burlesque, où Laure Calamy n’a plus à prouver qu’elle excelle. Clarisse Fabre

« Antoinette dans les Cévennes », film français de Caroline Vignal. Avec Laure Calamy, Benjamin Lavernhe, Olivia Côte, Marie Rivière (1 h 35).

Les Inrockuptibles

20 septembre 2020

Miley Cyrus

20 septembre 2020

Miley Cyrus

miley50

miley51

miley52

19 septembre 2020

Césars : la crise à l’Académie se poursuit, deux « membres historiques » démissionnent

roman

Le maintien d’office de Roman Polanski parmi dix-huit « membres historiques » de l’académie des Césars a relancé les polémiques au sein de cette institution dans la tourmente depuis six mois.

L’affaire Polanski, cinéaste accusé de viols et d’agressions sexuelles par plusieurs femmes, continue de remuer l’académie des Césars. Deux réalisateurs, « membres historiques » des Césars, ont remis leur démission de la nouvelle assemblée générale censée moderniser cette institution du cinéma français, qui peine depuis plus de six mois à sortir de la tourmente, a indiqué un porte-parole de l’Académie des Césars à l’Agence France-Presse, vendredi 18 septembre.

En principe, 182 représentants de la profession sont censés élire une nouvelle direction et poursuivre la réforme des Césars, minés par l’opacité et la cooptation, vers davantage de parité et de démocratie interne. Mais le maintien d’office, parmi dix-huit « membres historiques » qui font partie de ce groupe, du cinéaste oscarisé Roman Polanski a relancé les polémiques.

Rassemblement le 29 septembre

Jeudi, deux tiers des représentants de la nouvelle assemblée ont dénoncé, dans une tribune adressée à l’AFP, un « manque de transparence », mais exclu toute démission collective. « Faisant le choix de se retirer au vu du contexte », deux réalisateurs, également « membres historiques », ont eux, remis leur démission, a expliqué vendredi, sans plus de précision, un porte-parole de l’académie des Césars à l’AFP.

Le prochain rendez-vous important pour les Césars aura lieu le 29 septembre, avec l’élection, pour un mandat de deux ans renouvelable une fois, du nouveau conseil d’administration de l’association, avec un tandem femme-homme à sa présidence.

Les Césars espèrent ainsi tourner la page de la crise, qui avait culminé avec la démission collective des administrateurs en début d’année, puis deux semaines plus tard, avec une 45e cérémonie marquée par des manifestations féministes et le départ fracassant de l’actrice Adèle Haenel, quand Roman Polanski s’est vu attribuer, en son absence, le prix de la meilleure réalisation. Des féministes appellent à un nouveau rassemblement le 29 septembre.

Publicité
Publicité