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Jours tranquilles à Paris
9 octobre 2017

In memorem : Jacques Brel

 

 

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6 octobre 2017

Nécrologie : La romancière et actrice Anne Wiazemsky est morte

Par Raphaëlle Leyris, Mathieu Macheret - Le Monde

Agée de 70 ans, elle était la petite-fille de François Mauriac et fut la muse et épouse de Jean-Luc Godard.

Elle n’avait aucune nostalgie de sa jeunesse, mais le dernier visage d’Anne Wiazemsky aura été celui de ses 20 ans. Dans Le Redoutable, le rôle de celle qui, en 1968, était la muse et l’épouse de Jean-Luc Godard est tenu par la comédienne Stacy Martin – le film est à l’écran depuis le 13 septembre. L’adaptation par Michel Hazanavicius de ses livres Une année studieuse et Un an après (Gallimard – comme toute son œuvre –, 2012 et 2015) avait amusé l’ancienne comédienne devenue écrivaine et réalisatrice.

anne

Mais en se concentrant sur « JLG », le film ne disait rien d’une part essentiel de ses romans, qui racontaient comment l’amour avait émancipé la jeune femme de son milieu, et comment elle avait ensuite réussi à s’émanciper de cet amour, frondeuse sacrément déterminée derrière sa pâleur rousse, ses yeux ronds et son abord timide – phrases courtes et heurtées. Anne Wiazemsky est morte le 5 octobre des suites d’un cancer. Elle avait 70 ans.

Son œuvre raconte largement son histoire, celle des siens. A commencer par ses parents, qui se sont rencontrés à Berlin en 1945 (Mon enfant de Berlin, 2009) : sa mère, Claire Mauriac, fille de l’écrivain François Mauriac, s’était engagée dans la Croix-Rouge et travaillait au service des personnes déplacées, dont l’un des officiers était Yvan Wiazemsky, d’ascendance russe et princière, immigré après la révolution de 1917.

Anne Wiazemsky naît dans la ville allemande le 14 mai 1947. Elle et son frère Pierre (le futur dessinateur Wiaz, de deux ans son cadet) passent une jeunesse nomade, notamment à Genève et Caracas, dans les pas de leur père diplomate. Ils reviennent en France peu avant la mort de ce dernier, en 1962. La veuve s’installe avec ses enfants chez François Mauriac. Une immense affection lie la jeune fille à son grand-père, entretenue par des discussions sur « la littérature, le bien, le mal », racontera-t-elle, mais pas « la religion », sujet de discorde depuis qu’Anne a perdu la foi.

Sept films avec Godard

Eduquée chez les sœurs de Sainte-Marie de Passy à Paris, elle rencontre le cinéma en 1965, quand Florence Delay, qui a joué Jeanne d’Arc pour Robert Bresson, lui présente le réalisateur. Il lui confie le rôle d’une petite paysanne dans Au hasard Balthazar (1966), attiré par son inexpérience et son jeu d’une « blancheur » intense. C’est pendant le tournage qu’elle rencontre Jean-Luc Godard, tête brûlée de la Nouvelle Vague qui n’oubliera pas de sitôt son visage juvénile et sa présence butée.

Anne Wiazemsky devient, après Anna Karina, la nouvelle muse de Godard, qu’elle épouse en juillet 1967, accompagnant le virage militant de son cinéma dans le sillage de mai 1968. Parmi les sept films qu’ils tourneront ensemble en 1967, puis entre 1968 et 1972 au sein du groupe Dziga Vertov, elle sera tour à tour étudiante maoïste (La Chinoise, où elle brandit face caméra le petit livre rouge), icône révolutionnaire (Sympathy for the Devil, 1969) ou ouvrière en grève (Tout va bien, 1972).

Après ces débuts sous l’égide d’ogres radicalement novateurs, Anne Wiazemsky ne quitte plus la galaxie d’un cinéma moderne, exigeant, intellectuel, à forte teneur politique. Elle est sollicitée par les auteurs italiens les plus subversifs du moment, rencontrant la révolte de Pier Paolo Pasolini (Théorème, 1968 ; Porcherie, 1969), l’insolence de Marco Ferreri (La Semence de l’homme, 1969) ou le baroque halluciné de Carmelo Bene (Capricci, 1969).

En France, elle poursuit sa carrière de comédienne avec les « petits frères » de la Nouvelle Vague, comme Philippe Garrel (L’Enfant secret, 1979) ou André Téchiné (Rendez-vous, 1985), mais se prête aussi au jeu d’expériences purement poétiques, avec Marcel Hanoun (La Vérité sur l’imaginaire passion d’un inconnu, 1974) ou Adolfo Arrieta (Grenouilles, 1981). Elle apparaît également dans les œuvres à portée féministe de Michèle Rosier (Mon cœur est rouge, 1977) et Delphine Seyrig (Sois belle et tais-toi, 1981).

Une femme « étrangère à la nostalgie »

Au mitan des années 1980, ses rôles au cinéma se raréfiant, la comédienne, passée par le cours de théâtre d’Andréas Voutsinas, se tourne un temps vers les planches, jouant pour la scène Les Larmes amères de Petra Von Kant (de Rainer Werner Fassbinder) ou Penthésilée (d’Heinrich von Kleist). Un détour par la télévision, notamment dans Le Pain noir, de Serge Moati (1974), l’encourage, trente ans plus tard, à passer de l’autre côté de la caméra, pour réaliser ses propres documentaires, consacrés à des figures féminines admirées, comme celle, unique en son genre, de la productrice Mag Bodard (2005), ou celle, tutélaire, de Danièle Darrieux (2007).

En même temps qu’aux scènes de théâtre, Anne Wiazemsky passe à l’écriture, la petite-fille de Mauriac s’autorisant, la quarantaine venue, cette « transgression » – « la vraie », dira l’ex- égérie mao. Grande lectrice de Colette, elle érige en devise cette phrase de La Naissance du jour : « Imagine-t-on à me lire que je fais mon portrait ? Patience, c’est seulement mon modèle. » Elle puise dans son enfance et son adolescence la matière de Des filles bien élevées, son premier recueil de nouvelles (1988), comme des romans Mon beau navire (1989), ou Marimé (1991).

Si elle confie qu’il lui semble « toujours bizarre » de se dire écrivain, la reconnaissance lui arrive rapidement. Canines (1993), qui raconte le monde du théâtre, lui vaut le prix Goncourt des lycéens ; Hymnes à l’amour (1996), où elle revient sur son enfance mais aussi sur des passions vécues par ses parents, est couronné du Grand Prix RTL-Lire. En 1998, Une poignée de gens, qui évoque le pan russe de sa famille, remporte le Grand Prix de l’Académie française.

Contrairement aux êtres qu’elle dépeint dans ce livre, il n’y a rien de passéiste dans les textes d’Anne Wiazemsky – « Je suis étrangère à la nostalgie », dit-elle. Quand elle revient sur un épisode de son passé, c’est avec le constant souci d’y retrouver les sensations de l’instant, de restituer la vie même, et pas son regret. Elle y parvient admirablement dans Jeune fille (2007), sur ses débuts dans le cinéma, comme dans Une année studieuse et Un an après, qui replongent dans l’effervescence des années 1960 sans se placer en position de surplomb par rapport à leurs personnages – mais, pas sans témoigner d’une vraie malice.

Ces romans livrent au passage un beau portrait de François Mauriac, ce « Bon Papa » dont elle donne une image merveilleusement espiègle et lucide. De lui, elle disait au Monde, en 2012 : « Il m’a toujours aidée à tourner le dos au conformisme. » Toute sa vie, Anne Wiazemsky a continué d’observer ces leçons de liberté.

Dates :

14 mai 1947 Naissance à Berlin

1966 « Au hasard, Balthazar », de Robert Bresson

1967 « La Chinoise », de Jean-Luc Godard

1968 « Théorème », de Pasolini

1979 « L’Enfant Secret », de Philippe Garrel

1988 « Des filles bien élevées » (Gallimard)

1993 « Canines », prix Goncourt des lycéens

1998 « Une poignée de gens », prix de l’Académie française.

2007 « Jeune fille »

5 octobre 2017 Mort

28 septembre 2017

Le fondateur du magazine "Playboy", Hugh Hefner, est mort à l'âge de 91 ans

Créé en 1953, son magazine a accompagné la révolution sexuelle des années soixante et n'a jamais cessé de se renouveler au fil des époques. Hugh Hefner, fondateur du magazine érotique Playboy, est mort mercredi 27 septembre, à l'âge de 91 ans, a annoncé le groupe Playboy Enterprise. L'Américain, que le magazine Time a appelé "le prophète de l'hédonisme pop", "s'est éteint paisiblement à son domicile", précise le communiqué. Hugh Hefner vivait entouré de jeunes femmes blondes dans son manoir, la "Playboy Mansion". Il s'était marié pour la troisième fois en 2012, à l'âge de 86 ans, à une jeune femme de 60 ans sa cadette, Crystal Harris.

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Le fondateur de « Playboy », Hugh Hefner, meurt à l’âge de 91 ans

Le fondateur du magazine de charme est décédé mercredi dans sa villa de Los Angeles, la fameuse « Playboy Mansion ».

Hugh Hefner, fondateur du magazine Playboy dans les années 1950, est mort mercredi 27 septembre au soir dans sa villa à Los Angeles, la « Playboy Mansion », a annoncé le magazine via son compte Twitter. Il est décédé de causes naturelles, « paisiblement » entouré des membres de sa famille.

« La vie est trop courte pour vivre le rêve de quelqu’un d’autre » : c’est avec cette légende, sous un portrait de Hefner, célèbre pour sa tenue d’intérieur en satin rouge, que le magazine a salué la disparition de son fondateur. Il avait 91 ans.

Qualifié un jour par le magazine Time de « prophète de l’hédonisme pop », Hugh Hefner vivait entouré de jeunes femmes blondes dans son manoir. Il s’est marié en 2012, à l’âge de 86 ans, à une jeune femme de 60 ans sa cadette, Crystal Harris, sa troisième épouse.

Interrogé en 1992 par le New York Times sur ce qui le rendait le plus fier, il avait répondu : « D’avoir changé les attitudes face au sexe. »

Révolution sexuelle

Hugh Hefner a créé Playboy en 1953. Le premier numéro contient des photos de Marilyn Monroe nue, prises quelques années auparavant. L’éditorial promet « de l’humour, de la sophistication et de l’épicé ». Le magazine acquiert rapidement de la notoriété avec ses photos de femmes dénudées, atteignant une diffusion d’un million d’exemplaires en cinq ans. Il contribue à la révolution sexuelle des années 1960, et il a servi de base à son fondateur pour bâtir un empire commercial fondé sur son mode de vie libertin.

Dans les années 1970, le magazine atteint des pics à 7 millions d’exemplaires, avant de chuter sous l’effet de la concurrence puis d’Internet. Il est désormais vendu dans plus de vingt pays à travers le monde, selon Playboy Enterprises.

La fin du nu

En 2015, le magazine avait décidé de prendre un nouveau tournant et de ne plus publier de photos de femmes nues. « Cette bataille a été menée et gagnée, disait le patron de l’entreprise, Scott Flanders, au New York Times. Tout le monde est aujourd’hui à un clic de n’importe quel acte sexuel imaginable, gratuitement. Tout cela est donc dépassé. »

La direction souhaitait s’éloigner de la presse adulte, pour s’affranchir des limites qu’une telle catégorie pose aux annonceurs et aux filtres Internet. Elle souhaitait atteindre un plus grand public, plus jeune, imaginant Playboy comme un produit plus aguicheur et branché, à la manière d’un Lui en France. Un choix motivé par la chute des ventes, passées de 5,6 millions d’exemplaires en 1975 à 800 000 en 2015. L’expérience avait été abandonnée quelques mois plus tard.

22 septembre 2017

In memorem : Liliane Bettencourt

12 septembre 2017

Mort de Pierre Bergé, mécène et mentor, homme d’affaires et d’engagements

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Par Raphaëlle Bacqué - Le Monde

Il est rare qu’un homme décide entièrement de sa vie. Pierre Bergé s’y est pourtant attelé dès l’adolescence. Il a voulu sortir de son milieu, croiser les écrivains et les peintres en vue de son temps, devenir riche et user de son argent pour bâtir sa propre aventure.

Ces dernières années, l’homme d’affaires avait même caressé l’idée de décider de l’instant de sa propre fin. Militant de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité, ce grand lecteur s’imaginait disparaître « à l’antique », en choisissant le moment, après avoir vendu ses œuvres d’art et rédigé avec soin son testament. A la fin mars 2017, il s’était marié avec le paysagiste Madison Cox, également désigné comme son exécuteur testamentaire, afin d’être certain que ses dernières volontés soient respectées. Une union dans la stricte intimité à la mairie de Benerville-sur-Mer, et un dîner avec dix-huit invités dans cette maison du Calvados qu’il avait imaginé comme une datcha donnant sur la Manche.

Depuis, il avait consacré beaucoup de son temps à préparer chaque détail des deux musées dédiés à Yves Saint Laurent, à Paris et à Marrakech, qu’il comptait inaugurer en octobre. La maladie aura pris ces projets de vitesse. Pierre Bergé est mort, vendredi 8 septembre, à l’âge de 86 ans, à Saint-Rémy-de-Provence (Bouches-du-Rhône).

Au Monde, dont il était devenu en 2010 l’un des actionnaires, avec Xavier Niel et Matthieu Pigasse, et dont il assurait la présidence du conseil de surveillance, on ne le voyait qu’exceptionnellement. Les chroniqueurs de mode, les critiques d’art et quelques journalistes politiques l’avaient parfois croisé, au détour de sa vie professionnelle ou de ses engagements. Mais Pierre Bergé s’était résolu à exprimer ses avis de lecteur sur son compte Twitter, tour à tour colérique puis charmant, dur et généreux, d’une culture très raffinée mais capable d’asséner des jugements à l’emporte-pièce.

« Je suis un artiste manqué », disait-il souvent, avant d’ajouter : « On s’y fait très bien… » Plonger dans sa vie équivaut pourtant à suivre un parcours follement romanesque, commencé le 14 novembre 1930 à Saint-Pierre-d’Oléron (Charente-Maritime). Le père du jeune Pierre est fonctionnaire aux impôts, sa mère institutrice, soprano amateur et adepte de la méthode Montessori pour éduquer ce fils unique auquel on laisse facilement la bride sur le cou. A La Rochelle, où la famille s’est installée en 1940, l’adolescent s’est déjà fait exclure du lycée Fromentin. Le voilà qui quitte les épreuves le jour du baccalauréat. « Ce sujet ne vaut rien, cela ne m’intéresse pas du tout », a-t-il décrété en déchirant sa copie.

A 17 ans, sans diplôme, il a déjà décidé de changer de vie. Depuis des mois, passionné de littérature, il a écrit à Giono et à Gide qui, dira-t-il plus tard, « a permis à beaucoup de gens, dont moi, de respirer un peu mieux et d’assumer ses choix ». Il est homosexuel et pressent déjà qu’il lui faudra rompre avec sa jeunesse provinciale s’il veut mener son existence librement. Le voilà à Paris pour devenir journaliste.

Premiers pas vers la vie rêvée

Il faut l’imaginer, jeune Rastignac, découvrant la capitale. En octobre 1948, la foule acclame sur les Champs-Elysées le retour d’Amérique du boxeur Marcel Cerdan, et le jeune Pierre s’est mêlé à la liesse. Soudain, un homme tombe du ciel devant lui. C’est le poète Jacques Prévert, qui vient de chuter accidentellement, par la fenêtre d’un immeuble. C’est le début de la légende que va se construire Pierre Bergé :

« J’ai toujours considéré que c’était un signe du destin qu’un poète me tombe sur la tête à mon arrivée à Paris. »

La France entame ses « trente glorieuses » dans la gaieté et l’optimisme. Grand danseur, le jeune homme hante les boîtes de Saint-Germain-des-Prés en compagnie d’un ami, Guy Marchand. Le duo s’est avisé de soutenir le combat de Garry Davis, ancien pilote de l’US Air Force, qui vient de rendre son passeport américain pour se déclarer « citoyen du monde ». Au sein du comité de soutien, Pierre Bergé croise Albert Camus, André Breton, Vercors (pseudonyme de Jean Bruller), Jean Paulhan, et cet aréopage brillant est déjà un premier pas vers la vie à laquelle il aspire.

Il devient rédacteur en chef de La Patrie mondiale, un journal fondé pour soutenir le combat de Garry Davis. Ce n’est qu’un petit journal qui ne dépassera jamais les deux numéros, mais les signatures sont celles de pigistes de luxe, Albert Camus, le poète Maurice Rostand, ou le militant pacifiste Robert Jospin, père du futur premier ministre socialiste. François Mauriac peut bien fustiger ce mouvement, qui ne combat que d’un côté du rideau de fer et « enrichit le jeu de Staline d’une carte inespérée », Pierre Bergé lui répond avec arrogance : « Cette classe dont vous faites partie (…), qui a accepté 1914 et a préparé 1939, cette classe, enfin, qui a tué Jaurès, Salengro et Gandhi, cette classe nous dégoûte ! » Bergé n’a que 19 ans et l’on reconnaît déjà son style…

Vie de couple avec Bernard Buffet

Il faut bien, pourtant, gagner sa vie. Le jeune Pierre trouve un emploi de courtier à la librairie Anacréon, rue de Seine. Le jour, le jeune homme court les bouquinistes pour dénicher des éditions rares. Le soir, il accompagne son patron dans les boîtes de nuit. De La Rochelle, sa mère s’inquiète. Elle voudrait savoir : son fils est-il homosexuel par inclination, ce qu’elle admettrait parfaitement, ou l’est-il par snobisme, pour mieux fréquenter ce milieu d’artistes où l’homosexualité est fréquente ? Il lui répond en amoureux : un soir d’avril 1950, dans la galerie d’art de Maurice Garnier, presque voisine de la librairie, il a croisé un jeune peintre, Bernard Buffet. « Il avait 20 ans, j’en avais 18 et, comme tous les coups de foudre, le nôtre frappa à la vitesse de l’éclair », écrira-t-il plus tard.

Le couple a décidé de s’installer en Provence, là où la lumière est plus vive. Le vieux mas qu’ils ont déniché à Séguret est rustique, mais on voit les dentelles de Montmirail et, l’été, il est facile de rejoindre Orange et ses Chorégies. Buffet travaille d’arrache-pied, Pierre se charge des tâches domestiques, gère les relations avec les marchands d’art. Quand il fait doux, ils partent en moto à l’assaut du mont Ventoux. Un jour, Pierre ose pousser jusqu’à Manosque, où réside Jean Giono, lu et admiré depuis longtemps.

L’écrivain s’est plongé depuis quatre ans dans la rédaction du Hussard sur le toit, mais Gallimard lui a proposé de publier sa biographie. Giono propose aux jeunes gens une idée : ils n’auront qu’à s’installer chez lui, partageant les repas familiaux du dimanche, pendant que Pierre rédigera le fameux livre. Ils y restent un an. Bernard peint. Pierre, lui, ne parvient pas à écrire. Mais il pioche chaque jour dans l’impressionnante bibliothèque de l’écrivain.

« Nous ne nous sommes jamais quittés, même le temps d’un déjeuner, pendant huit ans », dira plus tard Pierre Bergé de sa relation avec Buffet. Sans doute est-ce là qu’il forge pour la première fois sa personnalité de mentor. Les soirs de vernissage, lorsque le peintre est assailli par les critiques d’art, les admirateurs, c’est Pierre qui répond, entretient les conversations et organise les ventes des tableaux de son amant auprès des acheteurs qui affluent du monde entier. Avec le succès vient l’argent. On achète un yacht que Pierre pilote. Avec le succès viennent aussi les relations. Ils sont conviés au château de La Colle Noire, la splendide propriété de Christian Dior, dans le Var, louent un appartement à Paris, dans le 16e arrondissement, et achètent bientôt une maison à 20 km de la capitale, baptisée Manines. Les revoici à Paris, où ils fréquentent les clubs chics et le monde de la nuit.

La rencontre avec Saint Laurent

Toujours, Pierre Bergé a rêvé de mener une vie luxueuse de châtelain, comme celle que mènent encore les dernières grandes familles aristocratiques. A Manines, les dîners sont servis par des valets, la Rolls est conduite par un chauffeur en livrée et un jardinier s’occupe à demeure des fleurs et pelouses. La presse et les admirateurs de Buffet tordent le nez. On juge qu’il produit trop et que Bergé est en passe de transformer « un peintre de génie en affaire commerciale ». De mauvais jeux de mots courent Paris sur « Buffet et sa commode » fleurant la jalousie et une méchante aversion pour ce que l’on appelle encore « la pédérastie ».

Fuyant ce vent mauvais, le couple repart en Provence, où il a acheté une splendide bastide du XVIIe siècle, dont les façades blondes donnent sur la montagne Sainte-Victoire. Le jour de la crémaillère, trois cents invités se pressent autour d’eux, parmi lesquels les amis Cocteau, Giono et Roger Martin du Gard. Pierre Bergé n’a jamais été aussi riche, entouré, admiré.

 

A peine a-t-il remarqué, lors des obsèques de son ami Christian Dior, le 24 octobre 1957, un jeune homme fin et timide, entouré de l’état-major de la maison de couture en deuil. Yves Saint Laurent vient de prendre la succession de Christian Dior, et ni Bernard Buffet ni Pierre Bergé n’ont vraiment entendu parler de lui avant d’être conviés à son premier défilé. Pierre ignore parfaitement ce qu’est la mode, qu’il tient pour une activité frivole. Mais la clientèle de la haute couture est parfois la même que celle des marchands d’art, et le hasard a fait que la correspondante du Harper’s Bazaar convie le couple afin de leur présenter ce jeune couturier qui admire tant la peinture de Buffet.

YVES SAINT LAURENT N’A QUE 21 ANS, ET IL DOIT ASSUMER LA SUCCESSION DE DIOR. C’EST UNE TÂCHE ÉCRASANTE, MAIS PIERRE BERGÉ A TOUT DE SUITE PRIS À CŒUR DE JOUER AUPRÈS DE LUI SON RÔLE FAVORI : CELUI DE SUPER-AGENT

Faut-il que leur amour soit usé pour que les deux compagnons d’autrefois regardent ailleurs en même temps ? Pendant que Pierre succombe au charme d’Yves, Bernard est tombé fou amoureux d’une femme, Annabel May Schwob de Lure, mannequin et amie de Juliette Gréco. Au mois d’août 1958, la rupture est consommée. Pierre Bergé s’installe à Paris avec Yves Saint Laurent, et Bernard Buffet épouse Annabel à Ramatuelle. Des années après le suicide de son ancien amant, Bergé le jugera sévèrement :

« Un peu avant 30 ans, il avait abdiqué (…). Il aurait voulu revenir à la peinture telle qu’il l’avait aimée dans son enfance. C’était trop tard. J’avais été complice, probablement coupable. J’avais tant cru à son génie » (Les jours s’en vont je demeure, Gallimard, 2003).

Yves Saint Laurent, lui, n’a que 21 ans, et il doit assumer la succession de Dior. C’est une tâche écrasante, mais Pierre Bergé a tout de suite pris à cœur de jouer auprès de lui son rôle favori : celui de super-agent. Yves est timide. Pierre exige qu’on le traite en star. Yves est harassé de travail. Pierre se mêle de toute la chaîne de fabrication de haute couture. Yves est souvent irascible, angoissé, volage. Pierre se montre rassurant et inébranlable. Il n’entendait rien à la mode jusque-là, mais a découvert un milieu raffiné autant qu’une industrie, et cela lui plaît.

Actif en coulisses

La guerre d’Algérie fait rage, cependant, et le jeune couturier est appelé sous les drapeaux, comme tous les Français de son âge. A la seule idée de rejoindre l’armée, Saint Laurent sombre dans une dépression nerveuse. Déjà, le propriétaire de Dior, Marcel Boussac, cherche une parade. Si son couturier vedette est incapable de partir se battre tout autant que de travailler, il faut lui trouver un remplaçant, et Marc Bohan paraît prêt à la relève. Dans la coulisse, pourtant, Bergé s’active. Il a chargé un jeune et brillant avocat, Jean-Denis Bredin, d’attaquer la maison Dior pour rupture abusive de contrat. Mais comment annoncer à Yves ce licenciement, lui qui paraît si fragile ?

« NOUS ALLONS FONDER NOTRE MAISON ENSEMBLE. JE DESSINERAI LES COLLECTIONS, ET TU LA DIRIGERAS ! », ANNONCE YVES

Il s’attendait à voir son compagnon s’effondrer, c’est tout le contraire. « Nous allons fonder notre maison ensemble. Je dessinerai les collections, et tu la dirigeras ! », annonce Yves, soudain ragaillardi. Encore faut-il trouver de l’argent. Après avoir fait le tour de toutes leurs relations, Pierre Bergé n’a déniché qu’un homme d’affaires américain ayant fait fortune dans les assurances, Jesse Mack Robinson, pour investir. Il faut aussi préparer le retour médiatique, comme on ne dit pas encore, d’Yves Saint Laurent.

Pierre Bergé et Yves Saint Laurent lors de la préparation de la première collection 1961-1962. | PIERRE BOULAT / COSMOS

Cette fois, c’est le mannequin favori et amie, Victoire, justement mariée à Roger Thérond, le mythique patron de Paris Match, qui s’en charge. Le 7 octobre 1961, l’hebdomadaire annonce le lancement de la maison Saint Laurent. Lors de la soirée qui suit, une petite foule d’invités brillants, parmi lesquels Jean Cocteau et Françoise Sagan, se presse dans le nouvel appartement du couple, place Vauban. Bientôt, la maison Saint Laurent s’installera rue Spontini. Un écrin pour abriter leur amour, le génie de l’un, et le sens des affaires de l’autre.

« Nos plus belles années »

Lorsqu’il parlait de cette époque, Pierre Bergé disait volontiers : « Cela a été nos plus belles années. » Ce sont en tout cas les années qui ont le mieux inspiré les biographes, les cinéastes, les journalistes, tant ce nouveau couple paraît complémentaire, tumultueux, et pour tout dire romanesque. Dès sa première collection, Yves Saint Laurent a été sacré comme un nouveau grand maître de la mode. De Liliane Bettencourt à la baronne Guy de Rothschild, les anciennes riches clientes de Dior accourent chez ce génie des couleurs et de la coupe qui fait d’elles des femmes modernes, élégantes et apparemment libres. D’emblée, Pierre Bergé a fixé les prix des robes et des manteaux : ils seront alignés sur ceux de Dior, comme si le débutant égalait déjà son ancien mentor.

Les années 1960 voient la société de consommation exploser dans tous les domaines. Il faut moderniser, internationaliser, diversifier. Se lancer dans le prêt-à-porter, aussi, et développer les licences. Pierre Bergé a eu l’idée de lancer un parfum, baptisé Y, et ce succès apporte aussitôt de l’argent frais. Pour répondre à Courrèges et Cardin qui habillent les femmes comme des héroïnes de science-fiction, Saint Laurent réplique avec une collection inspirée de deux peintres abstraits, Mondrian et Poliakoff. Cette fois, les ventes s’envolent.

Première boutique de prêt-à-porter

En 1966, les voilà qui ouvrent leur première boutique de prêt-à-porter, Saint Laurent Rive gauche. Ils ont voulu un endroit élégant et une ligne très chic, dont la marraine n’est autre que Catherine Deneuve, qu’Yves a entièrement habillée pour le tournage de Belle de jour, de Luis Buñuel. Toutes les femmes en vue de l’époque, de Françoise Giroud à Jeanne Moreau, lui emboîtent le pas.

La répartition des tâches au sein du couple Bergé-Saint Laurent est la même qu’au temps du couple Bergé-Buffet. A Yves, la création. A Pierre, les relations avec les grands critiques et la conduite de l’entreprise. Leur complémentarité est parfaite. Yves est un inquiet, fragile, angoissé. Pierre est déterminé, autoritaire, souvent colérique. Mais ce sont tous deux des érudits, passionnés de peinture, de littérature et d’opéra. Pour se reposer de la fatigue des collections, ils ont acheté à Marrakech une très belle maison, qu’Yves a aussitôt baptisée « la maison du serpent », et qu’il a peinte et meublée avec un goût exquis. Ils y mènent une vie très libre, entourée d’amis riches et cultivés qui viennent dans ce nouveau Saint-Tropez nord-africain.

Pierre Bergé a renoué avec ce train de vie dispendieux et élégant auquel il a toujours aspiré et fréquente ces grands noms de l’aristocratie qui mènent une existence oisive et s’habillent en Saint Laurent. Lui qui lit peu les magazines ne manque jamais, chaque mois, L’Intermédiaire des chercheurs et curieux, et ses notices nobiliaires et généalogiques. A Marrakech, il fréquente l’incroyable riad de la comtesse Charles de Breteuil, donne des fêtes où se pressent les Krupp von Bohlen und Halbach, Hélène Rochas, Thadée Klossowski, Loulou de la Falaise, Adolfo de Velasco. En France, les bals proustiens que donnent Guy et Marie-Hélène de Rothschild l’enchantent. Rien ne le ravit plus que d’aller en week-end dans ces châteaux de l’aristocratie française où les convives arrivent avec leur personnel et où les parties de chasse ressemblent à celle de La Règle du jeu, de Jean Renoir.

Cela n’empêche nullement Bergé de tenir la maison d’une main de fer. Certains critiques – dont Nathalie Mont-Servan, du Monde – n’ont pas aimé la collection Libération d’Yves en 1971 ? Il leur interdit l’entrée du défilé, l’année suivante.

La diversification

Il n’empêche, la haute couture est menacée. Coco Chanel est morte en 1971. Les femmes actives jurent bien plus par les jeunes créateurs et devant la menace, Pierre Bergé imagine en 1973 un regroupement qui deviendra bientôt la Chambre syndicale du prêt-à-porter des couturiers et des créateurs de mode, dont il prend la présidence.

OPIUM, C’EST LE NOM QU’YVES A CHOISI DE DONNER AU NOUVEAU PARFUM QUE LA MAISON ENTEND LANCER. SCANDALE. N’EST-CE PAS FAIRE L’APOLOGIE DE LA DROGUE ? MAIS BERGÉ TIENT BON

Rue de Babylone, le couple a emménagé dans un superbe appartement décoré à grands frais par Jacques Grange, dont ils ont fait un incroyable musée. Dans le salon, une toile de Fernand Léger côtoie un Géricault et un Mondrian. Des chandeliers du XVIIe siècle entourent une sculpture de Brancusi. Sur des tables arts déco de Jean-Michel Franck ont été disposés des bronzes Renaissance. Le salon de musique, laqué de rouge, a des allures de fumerie d’opium.

Opium, c’est justement le nom qu’Yves a choisi de donner au nouveau parfum que la maison entend lancer. Dans certains pays, dont les Etats-Unis, cela fait scandale. N’est-ce pas faire l’apologie de la drogue ? Mais Bergé tient bon. Tout juste admet-il de modifier le slogan publicitaire – « Pour celles qui s’adonnent à Yves Saint Laurent » – pour le marché américain. C’est un immense succès. Désormais, sous l’impulsion de son PDG, qui a compris l’importance de la diversification, la marque YSL ne fait plus seulement des vêtements, mais aussi des fragrances, du maquillage et des produits de beauté.

Vie commune infernale

Le soir, le couple hante les soirées du Sept, au 7 de la rue Sainte-Anne, dont le propriétaire Fabrice Emaer, 1,92 m et la mèche blond platine, accueille toute la faune électrisée des nuits parisiennes d’un « Bonsoir, bébé d’amour ! » Yves se perd dans ces nuits blanches. Au cours d’une soirée, il a rencontré Jacques de Bascher, jeune favori de Karl Lagerfeld, à la beauté magnétique. C’est un dandy vénéneux qui tourne les cœurs. Amoureux, le génie de la haute couture multiplie avec lui les orgies d’alcool et de drogue. A plusieurs reprises, il a fallu l’hospitaliser pour de longues périodes qui le laissent exsangue.

Pour préserver l’entreprise, Pierre Bergé donne le change. Mais la vie commune est devenue infernale. Le 3 mars 1976, Bergé décide de quitter l’appartement de la rue de Babylone après dix-huit années de vie commune et s’installe dans une suite de l’Hôtel Lutetia. Cela ne l’empêche pas de continuer à protéger le créateur de ses démons. C’est lui qui trouve les médecins, paye les factures, organise la vie quotidienne, veille à sa tranquillité lorsque le couturier crée ses somptueuses collections. « Il enferme Yves », murmurent ses détracteurs, prompts à le décrire en despote.

En vérité, Pierre Bergé continue d’admirer et d’aimer son ancien compagnon. Il multiplie à travers le monde de grandes expositions rétrospectives autour des créations Saint Laurent. Au Metropolitan Museum de New York, au Musée des beaux-arts de Pékin, à l’Ermitage de Leningrad, des millions de personnes peuvent admirer l’artiste ainsi exposé de son vivant.

Entretenir la légende de leur couple

Veut-il entretenir la légende de leur couple ? Pierre Bergé continue d’acheter des propriétés où le duo pose ensemble pour les magazines : la villa Majorelle à Marrakech, le château Gabriel en Normandie où Jacques Grange a reconstitué une charmante datcha russe, la villa Léon l’Africain à Tanger, entre la Méditerranée, qui rappellera au couturier son enfance à Oran, et l’Atlantique, chère au natif d’Oléron.

Bergé a appris à piloter hélicoptères et avions, et emmène Yves dans son bimoteur Agusta rejoindre ces retraites somptueuses. C’est aussi là, dans les jardins redessinés par le paysagiste Madison Cox, devenu le plus proche ami de l’homme d’affaires et aujourd’hui son exécuteur testamentaire, que sont souvent photographiés les derniers modèles haute couture, dans un foisonnement de philodendrons géants et de yuccas rappelant les tableaux du Douanier Rousseau. Le duo, de fait, est irrémédiablement soudé, et Yves Saint Laurent le dit sans détour :

« Sans toi, je ne serais peut-être pas celui que je suis. Sans moi, je ne l’espère mais je le pense, tu ne serais pas ce que tu es. Ce grand aigle à deux têtes qui cingle les mers, dépasse les frontières, envahit le monde de son envergure sans pareille, c’est nous. »

Aigle à deux têtes… Pendant qu’Yves multiplie les collections éblouissantes, Pierre Bergé s’attache à assurer l’avenir de la maison. Bien conscient que le marché de la haute couture décroît inexorablement, Pierre Bergé entend racheter Charles of the Ritz, qui garde le contrôle des parfums stars signés Saint Laurent. Il y parvient grâce à Alain Minc, qui lui apporte un nouveau partenaire, Carlo De Benedetti, par l’intermédiaire de sa holding française Cerus. En 1987, le groupe est désormais l’un des géants du luxe de 2,5 milliards de francs et 2 600 salariés. Deux ans plus tard, le groupe est introduit avec succès en Bourse.

Séduit par François Mitterrand

Cela ne suffit par à Pierre Bergé. Jusque-là, l’homme d’affaires est resté classiquement un électeur de la droite bourgeoise. Mais il aime être au cœur du pouvoir, et depuis que la gauche est arrivée aux affaires, il n’a pas à se plaindre des socialistes. Le ministre de la culture Jack Lang a permis dès 1982 aux créateurs de défiler dans la Cour carrée du Louvre, Danielle Mitterrand porte souvent du Saint Laurent, et Bergé est devenu l’un des donateurs de la Fondation France Libertés lancée par la première dame. François Mitterrand, surtout, le séduit.

Devenu le principal actionnaire de Globe, un nouveau magazine lancé par Georges-Marc Benamou avec Bernard-Henri Lévy, il met le journal au service de la réélection du président socialiste. Les vieux mitterrandistes tordent le nez devant les flatteries trop appuyées de ce patron qui offre des éditions rares au chef de l’Etat. Mais à peine réélu, Mitterrand le fait nommer à la tête de l’Opéra de Paris.

Est-ce parce qu’il veut y régner sans partage ? Quelques mois après son arrivée, Pierre Bergé provoque un scandale en renvoyant le chef d’orchestre Daniel Barenboïm. Celui-ci est le plus fameux chef du moment. Il n’a pas caché son mépris à l’égard de Bergé, qu’il tient tout juste pour un amateur éclairé, et n’a pas l’intention de se laisser dicter le programme de la saison par un patron de la haute couture. Mais Pierre Bergé a sans doute sous-estimé la force de la renommée du chef de légende. C’est un tollé international. Les critiques contre son arrogance et son autoritarisme qui, jusque-là, ne dépassaient pas le petit monde de la mode, sont désormais publiques. Bergé tient bon. Il parvient à ouvrir le nouvel Opéra Bastille à temps pour les célébrations du bicentenaire de la Révolution française, en 1989, mais termine son mandat, en 1994, dans un climat social tendu.

Son amitié avec François Mitterrand n’en finit pas, cependant, de susciter les polémiques. Le rachat, le 19 janvier 1993, du groupe Saint Laurent par Sanofi, filiale du groupe Elf dirigé par Loïk Le Floch-Prigent, un affidé du président, pour 3,6 milliards de francs, soulève tous les soupçons. Ce rachat en pleine crise, pour un prix équivalent à dix-huit fois les bénéfices d’YSL, n’est-il pas une bonne manière de Mitterrand à l’égard de celui qui a financé ses campagnes ? Bergé, fin négociateur, est de plus parvenu à obtenir que les nouveaux acquéreurs rachètent sa commandite contre le versement de 350 millions de francs à chacun des fondateurs, Yves Saint Laurent et lui-même.

Défenseur de la lutte contre le sida

Voici venu le temps du Pierre Bergé mécène. Propriétaire de la brasserie de luxe Prunier, d’une société de vente d’art, du magazine militant gay Têtu, l’homme d’affaires prend la présidence du comité Mac Orlan qui gère les autorisations d’exploitation de l’œuvre de l’écrivain, celle du comité Cocteau, finance la restauration de la maison d’Emile Zola à Médan (Yvelines). La lutte contre le sida tient en lui un de ses plus fervents et riches défenseurs et il soutient une partie importante de la recherche et de l’accompagnement des malades. Il avait récemment donné un prolongement artistique à cet engagement en produisant 120 battements par minute, le film de Robin Campillo sur l’aventure d’Act Up, Grand Prix du jury au Festival de Cannes en 2017, salué par toute la critique, qui vient de sortir en salles. Il continue aussi de financer des campagnes électorales, soutient Bertrand Delanoë en campagne pour la Mairie de Paris en 2001, Ségolène Royal, lors de la présidentielle de 2007, le courant de Vincent Peillon en 2009, jusqu’à Emmanuel Macron, en 2017.

En 2009, il a choisi de vendre une grande partie de sa collection d’œuvres d’art et use de son argent pour militer en faveur du mariage pour tous, soutenir la procréation médicalement assistée et la gestation pour autrui pour les couples homosexuels, financer des mises en scène théâtrales, des expositions, des festivals. Et des journaux. En 2010, il était devenu actionnaire du Groupe Le Monde en clamant avec ironie : « Je n’ai pas eu le bac, mais j’ai acheté Le Monde. » Il lisait le journal avec attention, comme les autres publications du groupe (L’Obs, Courrier international, Télérama, La Vie), contestant tel article, désapprouvant telle critique publiquement tout en se félicitant que « les journalistes continuent de n’en faire qu’à leur tête ».

Il continuait aussi d’aider, d’entretenir même, une dizaine d’amis, assistants, compagnons qui l’accompagnaient à l’Opéra, au théâtre, à des lectures publiques. Depuis 2009, il avait déclaré publiquement être atteint de myopathie. Depuis, il combattait crânement la maladie. Avec arrogance, ironie et profondeur, comme il avait mené sa vie.

Le capital de la société Le Monde Libre évolue. A la suite de la disparition de Pierre Bergé, la société Le Monde libre a publié le communiqué suivant : « Associés à Pierre Bergé depuis la création de la société Le Monde libre (LML), Xavier Niel et Matthieu Pigasse se sont engagés, à la demande de Pierre Bergé, à reprendre ensemble et chacun pour moitié les parts qu’il détenait au sein de LML, structure de contrôle du Groupe Le Monde. Ensemble, pleinement engagés aux côtés des équipes du Groupe Le Monde, ils veilleront à prolonger l’élan insufflé par Pierre Bergé en 2010, au moment où de graves difficultés économiques et plusieurs années de pertes menaçaient l’existence même des titres du groupe. Sept ans plus tard, les investissements de LML et la mobilisation et l’exigence de toutes les équipes du groupe ont permis le redressement du Groupe Le Monde, désormais bénéficiaire, le développement de son audience en France et à l’étranger, et enfin de conforter son indépendance, comme le souhaitait Pierre Bergé. Xavier Niel et Matthieu Pigasse sont et resteront à parité au sein du capital du Groupe Le Monde, avec le même nombre de parts et de droits de vote. Leur engagement et leur investissement se situent dans la continuité de ceux de Pierre Bergé, avec la double exigence de poursuivre le développement de chacun des titres tout en préservant l’indépendance du Groupe et les valeurs qui fondent son identité. »

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"Ni fleurs ni couronnes", a annoncé vendredi la Fondation Pierre Bergé-Yves Saint Laurent, après la mort à 86 ans de l'homme d'affaires, vendredi matin.

La crémation de Pierre Bergé, décédé vendredi, aura lieu mardi 12 septembre "dans la plus stricte intimité", a-t-on appris auprès de la Fondation Pierre Bergé - Yves Saint Laurent. "Un événement public en son honneur sera organisé ultérieurement", a-t-on indiqué de même source, dans un lieu et à une date encore non précisés.

"Des dons peuvent être adressés au profit de Sidaction". "Ni fleurs, ni couronnes. Des dons peuvent être adressés au profit de Sidaction", a ajouté la Fondation, qui était présidée par Pierre Bergé. Les cendres d'Yves Saint Laurent, son compagnon pendant 50 ans, avaient été dispersées dans le jardin de leur villa à Marrakech. "Je sais que je n'oublierai jamais ce que je te dois, et qu'un jour j'irai te rejoindre sous les palmiers marocains", avait déclaré Pierre Bergé en juin 2008, lors des obsèques de Saint Laurent.

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10 septembre 2017

Genève - Sissi Impératrice...

sissi

8 septembre 2017

Pierre Bergé est décédé

Gauche caviar

L’hommage est unanime. Chacun célèbre le mécène, le capitaine de l’industrie de la mode, le collectionneur, l’esthète, le militant de la cause homosexuelle, l’homme de presse, le Pygmalion d’Yves Saint Laurent, l’ami de François Mitterrand et le gardien de sa mémoire. Ces hommages mérités, cette admiration pour un personnage de roman qui a construit à force d’énergie et de culture sa propre légende, recèlent un paradoxe. Pierre Bergé, disparu ce vendredi, fut aussi le symbole d’une engeance honnie, le représentant flamboyant d’une espèce qu’on affecte de stigmatiser, la figure de proue d’une sensibilité que le discours anti-élite a vouée aux gémonies : la «gauche caviar». C’est-à-dire cette fraction des classes dirigeantes qui professe des convictions progressistes, et qui encourt pour cela le reproche d'hypocrisie, le crime de tartufferie, le méfait de duplicité. Autant dire, en ces temps populistes, l’assurance d’une condamnation sans nuance…

La définition est d’autant plus juste pour Pierre Bergé qu’il poussa le vice, au moment où il aidait de son entregent et de ses finances les rejetons du mitterrandisme que furent Laurent Fabius, Ségolène Royal ou Vincent Peillon, à se faire producteur et vendeur de caviar, dans l’une des multiples affaires qu’il a lancées ou possédées… C’est l’occasion d’une mise au point sur cette «gauche caviar» de si mauvaise réputation.

On la dénonce désormais (tout en rendant hommage à Bergé). Mais fallait-il que ce milliardaire se contente de jouir de ses milliards ? Que le PDG d’Yves Saint Laurent se limite à compter ses dividendes et à se prélasser dans ses villas paradisiaques ? Ou bien n’est-il pas utile, pour la cause progressiste, pour le combat des minorités, qu’un homme de l’élite, de l’argent et de la culture, consacre une partie de son temps et de sa fortune à aider la gauche, à alerter l’opinion sur l’épidémie du sida, à défendre la cause homosexuelle ? Voilà qui pose un problème à l’idéologie «dégagiste» en vogue. Dans le souci agressif de délimiter deux camps dans la société française, il faudrait aussi «dégager» les membres de la classe dirigeante qui se séparent de leurs congénères et prennent le parti du progrès ? Voilà un sujet de réflexion que Bergé, esprit raffiné autant que militant, aurait sans doute prisé…Laurent Joffrin

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Pierre Bergé, la fin d'un style

Homme d’affaires et de lettres, compagnon au long cours d’Yves Saint Laurent, éminence politique et médiatique, celui qui avait commencé comme un modeste courtier en livres est mort ce vendredi, à 86 ans.

Le 31 mars, Pierre Bergé, 86 ans, épousait Madison Cox, paysagiste américain de 58 ans, auteur de la majestueuse restauration du jardin Majorelle de Marrakech. Plus qu’une information fleur bleue, ces noces tardives en disent long sur le caractère de feu Pierre Bergé, mort vendredi des suites d’une «longue maladie». Fidèle et prévoyant, Bergé voulait clore des dossiers et mettre à l’abri celui avec qui il avait refait sa vie quelque temps après avoir quitté Yves Saint Laurent, son ami cher et grand compagnon de travail. Il réaffirmait ainsi son soutien au mariage gay, lui qui avait formé avec Yves Saint Laurent l’un des premiers couples célèbres officiellement homosexuels de l’hexagone.

Ce que l’on retient d’abord de ce personnage multiple, engagé dans plusieurs voies tout au long de sa vie c’est justement cette association avec Yves Saint Laurent, qui dura cinquante ans et ne prit fin qu’en 2008, à la mort du couturier.

Homme d’affaires tenace, mécène, éminence politique et médiatique française, Pierre Bergé a démontré dans chacun de ses nombreux domaines de prédilection un besoin de contrôle permanent. Lâcher prise n’était pas vraiment envisageable pour Pierre Bergé, ses colères d’anthologie mises à part. Parti d’à peu près rien, il était doté d’une ambition féroce, s’affichait retors, toujours à la limite de l’ire. Féru d’art et de culture, ce collectionneur invétéré est parvenu à diriger l’une des grandes maisons de couture du XXe siècle d’une main de maître.

Cercle poétique

Né le 14 novembre 1930 sur une île (Saint-Pierre­-d’Oléron, en Charente-Maritime), d’une mère institutrice dont il était très proche et d’un père fonctionnaire des impôts, Pierre Vital Georges Bergé s’est pris de passion pour la littérature alors qu’il n’était encore qu’un élève au lycée Fromentin de La Rochelle. En dehors de son appétence pour les belles lettres, le garçon ne fait alors pas grand-chose. Il cisèle son éloquence, avec l’insolence en filigrane.

A 17 ans, il gifle un professeur et quitte le lycée sans passer le bac. Engagée à la Fédération anarchiste comme son mari, Christiane Bergé, sa mère, perçoit très tôt que son fils est une forte tête. Elle-même n’a rien à lui envier : elle vénère Gide mais pas Dieu. Leur relation d’amour-haine a toujours été empreinte d’une lucidité sévère, qu’évoquait Marie-Dominique Lelièvre en 2009 dans Libération : «Sa mère, elle, a 101 ans. Dans le magazine Globe, en 1990, elle lui taillait un costume rêche. Bébé ? "Insupportable." Ecolier ? "Infernal. Paresseux. Velléitaire." Son père est employé d’une perception, sa mère institutrice (et pas commode) : "La classe de ma mère ? Un cauchemar. Je devais donner l’exemple." Un inspecteur d’académie note alors : "Les élèves sont bruyants, mais le plus bruyant est le propre fils de la maîtresse."» A 18 ans, Pierre Bergé aspire à devenir journaliste et écrivain pour «ne pas [s]e faire avaler par le système» explique-t-il en 1980 dans une interview au magazine Vogue.

Il veut se frotter au monde et décide de «monter» à Paris. En 1948, il devient courtier en livres. Toute sa vie, il restera amateur de beaux ouvrages, de raretés, de premières éditions. Ce sont les livres qui lui donneront, avant même la peinture et les vêtements, avant la musique classique et le Maroc adoré, le goût du beau et du (très) précieux.

Pierre Bergé fait ses premiers pas dans l’arène médiatico-politico-littéraire dès l’âge de 19 ans. Il lance en 1949 la revue la Patrie mondiale. A Paris, il a rencontré Jean Giono, de 35 ans son aîné, dont il aurait aimé écrire la biographie. L’essai n’est pas concluant mais Giono reste un soutien indéfectible, auquel il voue une admiration sans borne. La Patrie mondiale cesse de paraître au bout de deux numéros, malgré des collaborateurs prestigieux  - Albert Camus, André Breton et Jean Cocteau. Ce dernier lui ouvre les portes du milieu intellectuel. «Cocteau était curieux et opportuniste, c’est-à-dire qu’il saisissait les opportunités pour exercer son art, créer, rencontrer des gens. Il a également eu la chance de vivre dans un Paris cosmopolite qui était encore le rendez-vous des artistes et de créateurs venus du monde entier qui s’influençaient les uns les autres et s’aidaient autant qu’ils se concurrençaient», se rappelle-t-il au Point en 2013.

Dans ce cercle poétique, Bergé assume déjà son homosexualité. Il vit d’abord avec Bernard Buffet, peintre de la même génération que lui, dépressif et mal fagoté, perdu dans les médicaments et l’alcool. Pierre Bergé l’impose comme son compagnon, notamment auprès de sa propre mère. Il le promet à un brillant avenir, gère sa carrière, œuvre à l’envol de sa cote, qui atteindra des sommets avant de se fissurer. Ils passent huit ans ensemble, inséparables, complémentaires.

Le choc Saint Laurent

En 1958, il croise la route d’Yves Mathieu-Saint-Laurent, alors âgé de 21 ans. Ce dernier dirige la couture de la maison fondée par Christian Dior, mort brutalement quelques semaines plus tôt. Saint Laurent est le plus jeune couturier du monde, à la tête de la plus grande maison de couture du monde. Pierre Bergé ne connaît alors rien à la mode. Mais Saint Laurent le happe. Pour lui, il quitte Bernard Buffet, qui épousera Annabel Schwob, auteure et chanteuse. Du jour au lendemain, Pierre Bergé change de vie sans jamais vraiment s’éloigner du peintre.

En 1960, Saint Laurent est censé rejoindre l’Algérie en guerre, sa terre natale, pour y faire son service militaire. Il fait une dépression qui le mène jusqu’au Val-de-Grâce, section psychiatrique. La direction de Dior en profite pour le remercier sous prétexte qu’il ne suit pas assez les diktats imposés et que son style perturbe les clientes historiques. Avec Bergé, ils décident dès lors ensemble de monter leur maison de couture. Le binôme travaille côte à côte, à l’éclosion d’un style qui va dicter les codes vestimentaires d’une époque, dès 1966 avec le smoking androgyne, arrogant en diable, puis en 1967, année de la saharienne portée par les deux sexes. «Yves Saint Laurent n’aimait pas la mode, il aimait le style», répétait souvent Bergé. Couple fusionnel, paternalistes avec leurs ouvrières, Pierre Bergé et Yves Saint Laurent sont indissociables. Rue Spontini puis avenue Marceau, Pierre Bergé veille sur tout. Il s’occupe de la stratégie générale, mais aussi des moindres détails, du prêt-à-porter aux accessoires et aux parfums, du choix des mannequins à la circulation des limousines, sans oublier de saluer les stars amies de la griffe YSL lors des défilés.

Yves Saint Laurent fut la grande rencontre de la vie de Bergé. Son fardeau aussi. Au couturier de briller, de révolutionner les lignes du vestiaire féminin. A Bergé de soutenir le créateur perpétuellement au bord du gouffre, pris au piège d’une éternelle dépression. En 1971, ils font scandale avec la collection Quarante, hommage aux femmes de l’Occupation et aux filles de joie qui frayèrent avec l’ennemi. La même année, Saint Laurent pose nu pour la campagne publicitaire de son nouveau parfum pour homme et défraie la chronique. A l’époque, Bergé diffuse du Saint Laurent sur toute la planète, développe les licences sans diluer la griffe dans la multiplicité des marques bis façon Pierre Cardin. Et les deux hommes ne ratent pas le coche du prêt-à-porter alors que la haute couture devient désuète.

Dès 1973 et le premier choc pétrolier, Saint Laurent fait tout pour plaire aux Américaines enrichies par la spéculation boursière et aux femmes du Moyen-Orient, assises sur un tas d’or noir. En 1977, la sortie du parfum Opium est couronnée par un succès mondial et signe la première année de bénéfices de leur griffe.

Plus le temps passe, plus Yves Saint Laurent sombre. Pierre Bergé ne l’accompagne pas dans sa chute. Il le met sous surveillance. Il admettra plus tard qu’il a rendu Saint Laurent dépendant de lui. Et que jouer ce jeu-là participe à la léthargie mélancolique de l’autre, l’être adoré. On aime mal parfois. Surtout ceux qui vous ont subjugués. «C’est gratifiant que l’autre ne puisse pas se passer de vous, confiait-il. Signer les chèques, faire les choses à sa place. Mais c’est aussi l’empêcher de le faire.» Chaque saison, Saint Laurent renonce un peu plus, mais Bergé ne courbe jamais l’échine. Leur alliance est fondée sur ce postulat. «Il est né avec une dépression nerveuse, il n’avait pas le talent de la vie», analysait-il en 2008.

«Couturier frustré»

Bergé tient la barre. Il a pourtant appris la mode sur le tas. Jean-Pierre Derbord, pilier de la maison de couture, se souvient : «Monsieur Bergé connaissait les ouvrières. Il les respectait, les aidait quand cela était nécessaire. Une part de sa générosité résidait là. Il était présent tous les jours, voire très présent, pas tout à fait comme Napoléon sur son champ de bataille, mais pas loin. Quelque part, il était un couturier frustré. Il gérait certes l’aspect business mais il avait aussi un avis sur l’aspect créatif et il le faisait savoir. Ses colères étaient légendaires. Mais ça donnait une touche commedia dell’arte à l’ensemble. Au studio avec monsieur Saint Laurent, l’atmosphère de travail pouvait être très monacale. Monsieur Bergé animait ça. Avec lui, la maison Saint Laurent était solide. Nous faisions corps derrière lui, particulièrement dans les moments difficiles. Nous l’avons suivi comme de bons soldats rue Spontini puis avenue Marceau à partir de 1974. Même après leur séparation quand leur intimité s’est altérée, ça ne se ressentait pas aux ateliers.» Protecteur, Pierre Bergé le fut éternellement, d’abord avec Buffet puis avec Saint Laurent. Le bourreau de travail, c’était lui. La rigueur aussi.

La nuit où Saint Laurent, ivre, lui jette une sculpture au visage, manquant de le tuer, marque le grand tournant de leur histoire. En 1976, Pierre Bergé se décide à quitter le domicile commun de la rue de Babylone pour s’installer plusieurs années à l’hôtel Lutétia. Dans Lettres à Yves, il écrit : «Yves était maniaco-dépressif, cette dépression l’a fait tomber dans l’alcool et la drogue et il n’est jamais vraiment revenu. Evidemment, c’est triste de voir quelqu’un qui se suicide, qui se détruit. Vous êtes totalement ­impuissant.»

Dans les années 80, alors que la griffe perd de son aura, que le couturier s’enferme dans la solitude, Pierre Bergé décide d’institutionnaliser Saint Laurent et façonne le mythe. Il impose son compagnon en tant que sociologue, artiste, génie. Et l’installe au musée. Coup de maître. En 1983, la première exposition de mode du Metropolitan de New York est une rétrospective YSL. Bien d’autres suivront jusqu’au défilé hommage au stade de France en 1998, avant la finale historique de la Coupe du monde. Deux milliards de téléspectateurs assistent à l’événement.

Dans la lumière

Dans l’ombre, Bergé ne l’est jamais tout à fait resté. Son poste l’imposait comme gestionnaire. Son charisme le destinait à autre chose. Betty Catroux, muse et double féminin de Saint Laurent : «Yves était un mélancolique, Pierre est dans le présent, toujours avec un projet.» Et d’ajouter : «Mon copain Yves ne parlait que de l’ancien temps. Pierre, c’est le contraire. Il n’est que dans les projets.» La journaliste anglaise Alicia Drake, qui s’est entretenue longuement avec Pierre Bergé pour son livre Beautiful People (2005), décrit une «relation fondée sur l’équation dominant-dominé, entendue comme telle dès le départ. Les rôles finissent toujours par s’inverser. Entre Pierre et Yves, tout est fluctuant. Yves manipule son monde, même quand il boit des litres de pastis quotidien». Bergé avoue à Alicia Drake que la vérité est «à l’opposé de ce qu’on pense. Yves voulait être protégé, il m’a demandé de le protéger. J’ai joué le rôle qu’il a voulu. J’étais le plus prisonnier des deux, mais prisonnier volontaire».

Pierre Bergé a systématiquement refusé d’être considéré comme un pygmalion. Chez Saint Laurent, il se targuait d’avoir tenu de nombreuses années sans gagner d’argent, avant d’en perdre et d’en regagner un monceau à la revente de la maison. «Bergé avait cette faculté de forcer le respect partout où il allait. Il prenait la parole et on se taisait. Son autorité naturelle était indéniable», souligne l’un de ses proches.

Pierre Bergé, petit homme cinglant, incisif, fidèle mais rancunier, courtois mais capable d’être odieux au long de saillies verbales notoires, tape sous la ceinture si cela s’avère nécessaire. Même s’il assure que cela lui est passé avec l’âge, personne n’est dupe. Qui attaque Bergé récolte les foudres du même, et sa rancune tenace avec. Une incartade, et la porte se ferme à jamais. Il laisse ainsi en chemin d’anciens amis et nombre de collaborateurs. Christophe Girard, actuel maire du quatrième arrondissement de Paris, est haut placé dans le Panthéon de sa détestation. Bergé le considère comme un traître pour avoir quitté la maison dont il fut vingt ans le secrétaire général. L’atterrissage de Girard dans le groupe LVMH de Bernard Arnault pollue ensuite jusqu’aux rapports entre Bergé et Bertrand Delanoë, le maire de Paris, dont Girard devient l’adjoint à la culture. Bergé demande sa tête dès 2001 et ne sera jamais entendu.

«Bergé chasse en meute. Si vous êtes dans sa meute, il vous est d’une fidélité absolue, si vous n’en êtes pas…» déclara un jour Alain Minc au JDD. D’autres le décrivent franc. «Pierre Bergé disait les choses cash, assure une vieille connaissance. Au moins, on savait de quoi il en retournait.» Outre ce caractère ardu, Bergé a fait profiter une kyrielle de proches de ses largesses. Il est devenu en 2010 le coactionnaire du Monde avec Matthieu Pigasse et Xavier Niel. Il a porté à bout de bras le magazine gay Têtu créé en 1995. Il aurait offert son aide à une grande chanteuse française pour lui permettre de conserver un train de vie plus que convenable.

Amateur de rituels, jusqu’aux dernières années, il sort tous les soirs quand la myopathie qui le ronge le laisse un peu tranquille. Il passe tous les étés entre ses propriétés de Tanger, Marrakech et Saint-Rémy-de-Provence et donne chaque dimanche matin un coup de fil à Alain Minc, son éminence faussement grise, l’un des rares dont il écoute les conseils et les avertissements. Il organise des dîners hebdomadaires avec les uns et les autres où l’on croise peu de femmes, si ce n’est Betty Catroux, rabrouée un temps pour ses écarts avec Saint Laurent mais dont il ne peut plus se passer une fois celui-ci disparu.

En 2014, le cinéaste Bertrand Bonello a l’outrecuidance de le montrer en redoutable gardien du temple, dans son biopic sur Saint Laurent. Pierre Bergé fait son possible pour que cette version de l’histoire ne voit jamais le jour. Il ferme au réalisateur l’accès aux archives et enjoint tous les initiés de la maison à ne pas collaborer au projet, lui préférant un film à la gloire de Saint Laurent, réalisé par Jalil Lespert.

L’opiniâtreté, il la vit aussi à travers son corps. Depuis plusieurs années, Bergé souffre d’une myopathie. «Il n’y a rien à faire. Mes jambes lâchent» dit-il un jour. Si les jambes ont cédé, la tête jamais. Orateur né, il ne laisse personne parler en son nom. Il découvre Twitter en 2012, y déverse ses foudres et défend les causes chères à son cœur. «Vous ne me demandez pas mon avis, je vous le donne», aime-il à répéter.

Gauche caviar

Pierre Bergé est devenu l’un des grands amis de François Mitterrand. Pourtant, les deux Charentais d’origine ne furent pas des complices de la première heure. Le 11 mai 1981, il est même «furieux de l’élection de Mitterrand. Il engueule tous ceux qui sont passés à la Bastille, et menace de partir s’installer au Maroc», dixit Christophe Girard. Ce qui n’empêche pas Bergé de devenir l’un des plus fervents supporteurs du président socialiste à la faveur de leur amour commun pour la poésie française, les lettres et les arbres. Propriétaire d’un élevage d’esturgeons français qu’il servait dans son luxueux restaurant Prunier, Bergé est l’archétype de la gauche caviar. Il vote Chirac en 1995 pour ne pas soutenir Jospin, à qui il ne pardonne pas son droit d’inventaire de l’héritage Mitterrand. Il ne déteste pas Nicolas Sarkozy et soutient Ségolène Royal. En 2017, il croit un temps en Vincent Peillon, pour finalement pencher pour Emmanuel Macron, qui n’a rien inventorié mais enterre tout simplement le Parti ­socialiste.

Homme d’affaire de gauche avec un goût évident pour le luxe, Bergé s’est considéré sa vie durant comme un anarchiste, à l’image de ses parents. En 2016, il est la tête d’une fortune estimée à 180 millions d’euros et se vante de payer ses impôts en France. «Je n’ai jamais songé à partir en Suisse ou en Belgique, cela ne me viendrait pas à l’idée», affirme-t-il au Journal du dimanche. Farouche opposant à Marine Le Pen, au premier rang de la lutte contre le sida via son engagement dans le Sidaction, jamais avare de soutien aux bonnes œuvres, c’est sous les septennats Mitterrand que Pierre Bergé a pris une ampleur toute politique.

Proche de Jack Lang, nommé ministre de la Culture en 1981, il met à profit sa maîtrise du lobbying afin que les salons de la rue de Valois s’ouvrent aux créateurs de mode. Grâce à son entremise et à celle de Jack Lang, les couturiers sont reconnus comme artistes et artisans, quand ils étaient confinés auparavant dans la catégorie divertissement. Avec Lang, Pierre Bergé milite pour que la mode soit exposée, étudiée à l’école, mise en avant à la télévision. Il participe en 1986 à l’ouverture de l’Institut français de la mode et à celle du musée des Arts de la mode au pavillon de Marsan à Paris, puis à la création du prix de l’Andam en 1989. C’est le moment de la formation des grands groupes de luxe français. Deux hommes très opposés s’affrontent, Bernard Arnault et François Pinault. Pierre Bergé choisit le second qui le lui rendra au centuple.

Oraison

En juin 2008, à la mort d’Yves Saint Laurent avec qui il venait de se pacser, Pierre Bergé fait poser une cape jaune, couleur or sur le cercueil de son amant perdu. Le jour des funérailles, le prêtre de l’église Saint-Roch trébuche lors de son oraison. Il demande solennellement à l’assistance de se recueillir devant «la dépouille de Pierre Bergé». Le lapsus méduse l’assistance et laisse un sourire de façade sur le visage du principal intéressé.

Il aura finalement survécu neuf ans à l’homme de sa vie et manqué de peu la pose de la dernière pierre à leur grand œuvre. Il s’apprêtait à inaugurer en octobre deux musées Saint Laurent, l’un à Paris et l’autre à Marrakech. Dans la ville marocaine, une rue porte le nom d’Yves Saint Laurent, près du jardin Majorelle. Une place portera peut-être un jour celui de Pierre Bergé.

Marie Ottavi - Libération

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1 septembre 2017

Obsèques de Mireille Darc : Alain Delon et Pascal Desprez unis dans la douleur devant une foule de stars

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Ce vendredi 1er septembre, à 11 heures, ont eu lieu les obsèques de Mireille Darc. De nombreuses person­na­li­tés et beau­coup d’ano­nymes étaient venus témoi­gner de leur atta­che­ment à l’ac­trice.

La grande place de l’église Saint-Sulpice, dans le 6ème arron­dis­se­ment de Paris, était noire de monde ce vendredi 1er septembre 2017. Des stars du cinéma mais aussi de très nombreuses célé­bri­tés de tous hori­zons, des poli­tiques et surtout beau­coup d’ano­nymes s’étaient rassem­blés pour offrir un dernier adieu à Mireille Darc, répon­dant ainsi à l’ap­pel de son époux. « Elle a donné beau­coup d’amour. Elle aimait les gens. J’es­père que les gens vont lui témoi­gner une dernière fois », avait-il déclaré au micro de RTL, invi­tant tous ceux qui le souhai­taient à venir se recueillir et appor­ter des fleurs blanches, celles qu’elle « aimait par-dessus tout ».

Le mari de Mireille Darc, Pascal Desprez, et Alain Delon, soutenu par son fils Anthony, ont pu comp­ter sur le soutien de Johnny et Laeti­cia Hally­day ou Line Renaud, entou­rée de Muriel Robin et sa compagne Anne le Nen. Carla Bruni, Laurent Dela­housse, Marie-Anne Chazel, Fran­cis Huster… tous ont souhaité hono­rer la mémoire de celle que le 7ème art avait surnommé La grande saute­relle. Au micro de CNews, Jean-Pierre Foucault a tenu ce matin à rappe­ler que Mireille Darc « n’était pas simple­ment l’ac­trice et l’image, c’était une grande et belle femme de cœur », avant d’ajou­ter : « Elle va nous manquer ». En témoigne la longue ovation que les célé­bri­tés et les anonymes ont faite à la sortie de l’église. Au total, plus d'un milliers de personnes étaient présentes.

Mireille Darc s’est éteinte lundi 28 août, aux alen­tours de deux heures du matin, entou­rée de deux des hommes de sa vie. Ces derniers mois, la star de 79 ans était « épui­sée ». « Elle s’est endor­mie. […] Elle était au bout. […] Un an de combat comme ça, c’est une vraie folie », a raconté celui qui parta­geait sa vie depuis 21 ans déjà. À ses côtés cette triste nuit, il y avait aussi Alain Delon, le premier grand amour de Mireille Darc avec qui elle a vécu une folle passion quinze ans durant. « Je lui ai dit : “Reste dormir.” Je sais que pour Mireille, ça a été un très beau cadeau. […] Elle était dans le coma mais je sais qu’elle savait qu’on était là tous les deux. […] C’était une jolie nuit. » Une nuit au cours de laquelle Alain Delon a « embrassé »celle qui était « la femme de [sa] vie ». Il l’ac­com­pa­gnera avec les plus intimes jusqu’à sa dernière demeure, au cime­tière du Mont­par­nasse.

mireille

31 août 2017

31 août 1997 / 31 août 2017 : in memorem - Lady Diana

Lady-Diana

Monarchie. Diana a bousculé les codes

Vingt ans après la mort de la « princesse des coeurs », le Royaume-Uni rend hommage à Diana. Hier, des bouquets, des photos de celle qui fut affectueusement surnommée Lady Di, s'amoncelaient devant le palais de Kensington.

En mettant en exergue les raideurs de la famille royale britannique, la mort de la princesse Diana, il y a vingt ans, l'a forcée à se moderniser et se montrer plus accessible par la mise en place d'une machine de communication désormais bien rodée.

Alors qu'un peuple en larmes déposait des millions de fleurs devant les grilles de Buckingham et du palais de Kensington, après l'annonce de la mort de Diana, le 31 août 1997, le prince Charles - son ex-mari - et la reine Elizabeth II restaient retranchés dans leur domaine de Balmoral (Écosse), silencieux plusieurs jours durant.

Malgré la vague d'indignation qui montait dans tout le pays, la souveraine n'était sortie de son silence qu'à la veille des funérailles, lors d'une allocution télévisée exceptionnelle qui a marqué le début d'un tournant pour la monarchie britannique. « Paradoxalement, c'est la mort de la " princesse du peuple " et les effusions qu'elle a provoquées qui ont abouti à la nécessité (pour la famille royale) de s'adapter », explique l'expert en relations publiques, Mark Borkowski.

Après les nombreuses frasques qui avaient écorné l'image d'une institution distante, enferrée dans le protocole et la tradition, il s'agissait de reprendre le contrôle. Fini l'amateurisme de l'ancien service de presse du palais de Buckingham, dépassé par la machine médiatique, place aux professionnels des relations publiques.

« Une blague circulait à l'époque : quand les histoires les plus intéressantes sur Diana sortaient, les journaux du dimanche et les tabloïds appelaient le service de presse de Buckingham mais tombaient sur un répondeur » parce que « tout le monde était parti le vendredi à 17 h », raconte Mark Borkowski. Depuis, « tout a été révolutionné », poursuit-il.

Une image plus humaine

« La monarchie est de plus en plus le produit d'une campagne de gestion de l'information très sophistiquée », abonde Patrick Jephson, ancien secrétaire privé de Diana. La stratégie déployée vise à distiller, de manière pensée et maîtrisée, des informations positives sur la monarchie, tout en préservant au maximum l'intimité de ses membres. Un des principaux chantiers a été de donner une image plus « humaine » à Elizabeth II, réputée pour s'apitoyer plus volontiers sur le sort des chiens et des chevaux que sur celui de ses concitoyens.

Charles, raillé pour sa raideur un peu hautaine, a également fait des efforts, dépensant sur les vingt dernières années « des sommes faramineuses (...) pour gérer son image », indique Patrick Jephson. Il est parvenu à faire progressivement accepter sa relation, puis son mariage, en 2005, avec son ancienne maîtresse Camilla Parker-Bowles, perçue comme une briseuse de ménage. « Ils ont essayé de promouvoir les aspects positifs de la famille royale », explique Robert Jobson, expert de la famille royale et coauteur du livre « Diana : un secret bien gardé », citant le mariage en grande pompe du prince William avec Kate Middleton, en 2011, la naissance de leurs deux enfants, le jubilé de diamant d'Elizabeth II ou son simulacre de parachutage avec James Bond lors des Jeux Olympiques de 2012. « Ils voulaient être une famille plus accessible (...), plus résolument engagée envers leur pays » et non ces « aristos qui ne comprennent pas le peuple », souligne Mark Borkowski.

Un vent de fraîcheur

Cette stratégie semble avoir porté ses fruits. Aujourd'hui, l'institution monarchique paraît solide et la reine Elizabeth II est plus respectée que jamais alors que son règne bat un record de longévité. Apportant un vent de fraîcheur, la jeune génération a joué un rôle important dans cette révolution, prenant publiquement position sur des sujets sociaux comme les sans-abri ou les problèmes de santé mentale. William, 35 ans, malgré son deuxième rang dans l'ordre de succession au trône britannique, a toujours cultivé une image de simplicité et de modernité, encouragé dès son enfance par sa mère Diana.

28 août 2017

Mireille Darc - in memorem

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