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Jours tranquilles à Paris
19 mai 2020

Le Brésil de plus en plus désarmé face au coronavirus

Bruno Meyerfeld - RIO DE JANEIRO - correspondant

La pandémie, minimisée par le président, a tué au moins 16 000 personnes, d’après le dernier bilan

Ils ont tué ma mère ! » Paula Ribeiro, 34 ans, parle depuis vingt minutes sans s’arrêter. Un flot de paroles, entrecoupées de larmes de désespoir, mais aussi d’une rage féroce. Le 22 avril, cette habitante de Manaus, plus grande ville d’Amazonie et épicentre de l’épidémie de Covid-19 au Brésil, a perdu sa maman. Victime de la crise due au nouveau coronavirus et de l’effondrement du système de santé du pays.

« Dona » Amalia avait 53 ans. Diabétique, souffrant d’hypertension, elle tombe malade à la fin mars. Douleurs, fièvre, fatigue, puis toux et difficultés respiratoires : les symptômes classiques du Covid-19. « Mais les médecins que nous avons appelés, comme les hôpitaux, ont refusé de la tester ou de la prendre en charge. Ils nous ont dit : “Il y a trop de monde, rentrez à la maison. Ne venez qu’en cas d’urgence” », raconte Paula.

Le 22 avril, l’état d’Amalia empire. Elle suffoque, agonise. « J’ai appelé le SAMU au secours, mais ils étaient déjà débordés. » Paniquée, la famille embarque la mère dans une voiture et l’amène aux urgences de l’hôpital Nilton-Lins. Mais cette unité, ouverte spécialement pour les malades du Covid-19, ne reçoit que des patients envoyés par d’autres hôpitaux. Les infirmiers hésitent à ouvrir la porte à une patiente qu’ils croient déjà morte.

L’épidémie en pleine explosion

Cris, hurlements, pleurs. Après dix minutes, Amalia, inconsciente, est prise en charge. « Elle est décédée deux heures plus tard et ils ne l’ont même pas testée. Sur son certificat de décès, il y a écrit “cause indéterminée”, s’insurge Paula Ribeiro. Si elle avait été prise en charge à temps, on aurait pu la sauver. C’est révoltant. Ce qui est arrivé à ma mère, ça peut arriver à n’importe qui ici. »

Alors qu’une partie du monde se déconfine, l’épidémie due au Covid-19 est en pleine explosion au Brésil. Au 17 mai, le pays comptait officiellement 241 000 cas positifs, davantage qu’en Espagne ou en Italie. Le nombre de décès dépasse désormais les 16 000 et a doublé en une dizaine de jours, avec la plus forte mortalité quotidienne enregistrée en dehors des Etats-Unis. Et le pic n’est attendu que pour le mois de juin…

Tous les chercheurs sont alarmistes. Prenez ceux du centre Covid-19 Brasil : selon eux, le pays pourrait en réalité compter entre 2,5 et 3,4 millions de cas positifs, soit 15 fois plus que les chiffres officiels. Pour l’Imperial College de Londres, le Brésil possède le plus fort taux de contagion au monde, avec un R0 de 2,8 – chaque personne malade va infecter à son tour en moyenne 2,8 nouvelles personnes. Alarmiste, l’université de Washington prévoit, quant à elle, jusqu’à 193 000 victimes d’ici au mois d’août dans le pays.

Face au drame en cours, et en l’absence de réponse du gouvernement de Jair Bolsonaro, les autorités locales ont décidé de durcir le ton. Dans le Nordeste, les villes de Fortaleza, Sao Luis et Recife ont décrété un confinement strict de la population. A Rio de Janeiro et Sao Paulo, le port du masque est désormais obligatoire. Certaines localités instaurent des couvre-feux, d’autres des « barrières sanitaires » à l’entrée de la ville. Mais tout cela est confus et mal appliqué : 43 % de la population brésilienne ne respecte aucun confinement.

Une ville fait pourtant figure d’exemple : Niteroi, grande cité de 500 000 habitants, située face à Rio de Janeiro, de l’autre côté de la grande et belle baie de Guanabara. Ici, les autorités locales ont mis le paquet, et ce depuis le début : confinement strict avec police dans la rue, masque obligatoire, désinfection du trottoir, réquisition des hôtels, distribution d’une aide d’urgence aux plus modestes, achats de 40 000 tests, fermeture des écoles, parcs, plages et commerces…

Et tout ça marche : Niteroi ne comptait au 17 mai que 65 victimes, avec un taux de mortalité de 5,7 %, deux fois inférieur à celui de Rio (qui déplore 1 841 décès). « Ce sont les résultats de trente ans de bonne gestion », explique le maire de Niteroi, Rodrigo Neves (Parti démocrate travailliste, PDT, centre gauche), pas peu fier de son bilan en matière de santé ou d’éducation. Le Brésil est en train de devenir l’épicentre mondial du coronavirus, poursuit l’édile. Je n’ai aucun doute sur le fait que notre exemple va être suivi et que d’autres villes vont prendre des mesures plus strictes. »

Mais n’est-il pas déjà trop tard ? Selon les relevés du quotidien Folha de S. Paulo, le taux d’occupation des lits en soins intensifs destinés aux patients atteints du Covid-19 dépasse déjà 70 % dans au moins 9 des 27 Etats de la fédération brésilienne, avec des pics à 96 % dans le Pernambouc (Nordeste) ou 100 % à Roraima (Amazonie).

Retard dans les acquisitions

Le Brésil est désarmé. Il manque de munitions, de généraux mais aussi de soldats : mal équipés, mal protégés, 116 membres du personnel de santé brésilien seraient déjà morts du Covid-19 depuis le début de l’épidémie. Selon le ministère de la santé, près de 200 000 ont présenté des symptômes de la maladie : autant de médecins et d’infirmiers, souvent mis en quarantaine, qui risquent de cruellement manquer au moment du pic.

Pour ne rien arranger, l’ouverture de nouveaux lits ou l’acquisition d’équipements ont pris un retard monumental, victimes d’une bureaucratie insensée et de pratiques souvent louches. Dans l’Etat de Rio, seuls 4 des 9 hôpitaux de campagne promis par les autorités locales ont été ouverts. Certains tirent avantage du chaos. Le 7 mai, l’ancien sous-secrétaire à la santé de l’Etat, Gabriel Neves, a ainsi été mis en prison, avec trois personnes, tous soupçonnés d’avoir profité de la surfacturation de respirateurs achetés par la région, pour un montant évalué à près de 800 000 euros.

Au départ, le Brésil disposait pourtant de plusieurs atouts pour faire face à la pandémie : une industrie pharmaceutique robuste, une expérience des épidémies tropicales, et surtout le « SUS », ce système de santé public gratuit et universel, chéri par la population. « Mais ses ressources sont très limitées, il est chroniquement sous-financé, explique Miguel Lago, directeur de l’Institut d’études pour les politiques de santé (IEPS). Le Brésil investit l’équivalent de 4 % de son PIB dans la santé, contre 8 % à 10 % pour des pays comme la France ou l’Allemagne, aux systèmes comparables. »

Selon l’IEPS, dans 72 % des régions du Brésil, le nombre de lits de soins intensifs du SUS est inférieur aux recommandations minimales de l’Organisation mondiale de la santé (10 pour 100 000 habitants). « Dans ce contexte, les autorités locales n’auront pas d’autre choix que de passer des contrats avec les services de santé privés, mieux dotés », explique M. Lago. Cela aura un coût : près de 10 milliards d’euros selon les pires scénarios envisagés. « Le drame, on y est déjà. Ce qu’il faut éviter maintenant, c’est le désastre », conclut M. Lago

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18 mai 2020

L’OMS réunit son assemblée mondiale dans la tempête du Covid-19

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Par Paul Benkimoun - Le Monde

Pour la première fois, l’instance suprême de l’Organisation mondiale de la santé se réunira de façon virtuelle, lundi et mardi, alors que la pandémie continue de progresser.

Contrairement à d’autres institutions internationales qui ont reporté la réunion de leur instance souveraine, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) tiendra bien sa 73e assemblée annuelle − l’Assemblée mondiale de la santé (AMS) −, lundi 18 et mardi 19 mai, dans des conditions particulières. La pandémie de Covid-19 qui continue de se propager, notamment dans les Amériques, en Europe de l’Est et en Afrique, oblige à une réunion virtuelle, dans un format très raccourci par rapport aux dix jours habituels.

Elle examinera en particulier une résolution sur la réponse au Covid-19 promue par l’Union européenne (UE) et rassemblant une centaine d’Etats membres. Le texte aborde la question de l’accès équitable aux technologies, médicaments et vaccins contre le SARS-CoV-2, mais demande également « au plus tôt » une « évaluation indépendante de la riposte sanitaire internationale coordonnée par l’OMS » face au Covid-19.

Il n’était pas acquis d’avance que l’AMS puisse se tenir. « C’est un gros défi pour nous car il y a des questions techniques et de sécurité, notamment afin de nous prémunir contre des tentatives de piratage dans le système informatique qui serait utilisé lors des votes », explique Bernhard Schwartlander, chef de cabinet à l’OMS.

Plus de 4,5 millions de cas et plus de 300 000 morts sont déjà à déplorer, selon les données de l’OMS. « La pandémie est toujours en phase d’expansion. Il y a une stabilisation en Europe de l’Ouest, mais la courbe est ascendante en Europe de l’Est ; elle est en expansion en Asie du Sud-Est et diminue dans la région Pacifique. La maladie est en hausse dans les Amériques : les pays d’Amérique sont de plus en plus touchés et les Etats-Unis constituent actuellement l’épicentre de la pandémie. Enfin, l’Afrique est de plus en plus atteinte », résume Ibrahima-Socé Fall, sous-directeur général chargé des interventions dans les situations d’urgence à l’OMS.

Un « appel à l’action »

L’OMS a déjà mis en place une aide matérielle à 135 pays à revenu faible ou intermédiaire dans le cadre d’un consortium rassemblant, outre les institutions du système onusien, des ONG, des donateurs et des agences de financement. Il négocie entre autres des achats d’équipements de protection personnelle, de tests diagnostiques et de produits médicaux.

Cela ne saurait suffire à permettre à tous les pays touchés d’avoir accès simultanément aux tests diagnostiques, aux médicaments et plus tard aux vaccins, à mesure qu’ils seront disponibles. Pour cela, les Etats membres de l’OMS doivent s’accorder sur cette question essentielle. « Le débat sur l’accès aux technologies et produits de santé est plus que jamais important. Cette pandémie nous apprend qu’à moins que tout le monde, partout, dispose des moyens de se maintenir en bonne santé, le virus reviendra et nous connaîtrons une deuxième, une troisième vague, met en garde Bernhard Schwartlander. C’est pour cela que nous lançons un “appel à l’action” pour l’accès aux outils médicaux afin qu’ils soient au plus vite disponibles. »

C’est l’un des axes majeurs d’une résolution qui sera proposée lors de la seconde journée de cette AMS. L’Union européenne en a pris l’initiative et l’Allemagne, la Finlande et la France en ont rédigé le premier jet fin mars. Début mai, une version était adoptée par l’UE et ses Etats membres, ainsi que par neuf autres pays, dont l’Australie, la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni. A présent, plus d’une centaine de pays sur les 194 Etats membres que compte l’OMS s’y sont ralliés et non des moindres : la Russie, l’Inde, neuf pays d’Amérique latine, le Japon, le Canada ou encore la Corée du Sud.

Accès universel, rapide et équitable

La résolution a fait l’objet de compromis. Elle « demande l’accès universel, rapide et équitable et la juste distribution de tous les produits et de toutes les technologies de santé essentiels de qualité, sûrs, efficaces et abordables, y compris les éléments qui les constituent et leurs précurseurs, nécessaires à la riposte contre la pandémie de Covid-19, en en faisant une priorité mondiale, et l’élimination urgente des obstacles injustifiés à cet accès dans le respect des dispositions des traités internationaux pertinents ». Le texte fait référence aux « flexibilités » prévues dans les accords de l’Organisation mondiale du commerce sur la propriété intellectuelle, qui autorisent la délivrance par les Etats de licences de production pour des produits de santé brevetés.

La résolution cite la notion de « bien public mondial » mais uniquement concernant le « rôle d’une vaccination à grande échelle » contre le Covid-19. Concernant la mise au point et la production des « produits de diagnostic, des traitements, des médicaments et des vaccins sûrs, efficaces, de qualité et abordables pour la riposte » au Covid-19, le texte rappelle les « mécanismes existants de mise en commun volontaire de brevets et d’octroi volontaire de licences de brevets pour faciliter un accès rapide, équitable et économiquement abordable à ces produits ».

Pour les rendre disponibles pour tous, partout en même temps, « tous les médicaments, tests de diagnostic, vaccins et autres produits de santé en lien avec la pandémie devraient être considérés comme des biens publics mondiaux, comme l’a clairement exprimé le secrétaire général des Nations unies le 24 avril dernier. La résolution aurait dû être plus ambitieuse », affirme German Velasquez, conseiller spécial sur la politique de santé au South Centre, une organisation intergouvernementale des pays en développement. « Cette crise doit aussi être l’occasion de réinventer l’OMS en la rendant plus forte et plus indépendante, dotée d’instruments pour faire appliquer ses résolutions », estime M. Velasquez.

« Pas de monopoles pendant une pandémie »

L’ONG Knowledge Ecology International (KEI) a regretté, par la voix de son directeur James Love, un affaiblissement de la résolution par rapport à une version proposée par plusieurs pays, dont le Canada et le Botswana, qui faisait référence à des licences ouvertes. « Pas de monopoles pendant une pandémie, voilà ce que devrait être le message », résume James Love sur le site de son organisation.

Comme KEI, Ellen’t Hoen, directrice du centre de ressources Medicines Law & Policy s’est réjouie de l’annonce, le 15 mai, par le directeur général de l’OMS et les présidents du Costa Rica et du Chili, du lancement à la fin mai d’une plate-forme de mise en commun de connaissances et de propriété intellectuelle pour les produits de santé contre le Covid-19 existants ou nouveaux afin de fournir des biens publics mondiaux pour tous. Elle rappelait cependant dans la revue Nature Medicine, le 7 mai : « Il y a de quoi être légitimement préoccupé de voir l’industrie pharmaceutique chercher à protéger ses intérêts économiques dans cette crise au détriment de l’accès universel. »

La résolution proposée par l’Union européenne prie le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, de « continuer à collaborer étroitement avec l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE), l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et les pays » afin d’identifier la source du SARS-CoV-2. La résolution évoque à ce propos « des missions scientifiques et des missions de collaboration sur le terrain ». Une pierre dans le jardin de la Chine.

Les réseaux sociaux relayent des attaques contre Tedros Adhanom Ghebreyesus, accusé d’avoir asservi l’OMS à la Chine, et des appels à sa démission. L’AMS ne devrait cependant pas être le cadre d’une mise en cause alors que la pandémie continue de faire rage. Comme le demande la résolution promue par l’UE, la façon dont la direction de l’OMS a conduit la riposte au Covid-19 sera évaluée de manière impartiale et indépendante. Cela n’aura vraisemblablement lieu qu’une fois la pandémie maîtrisée. Il apparaîtrait en effet peu responsable d’ajouter une crise organisationnelle à la crise sanitaire mondiale. Sans compter qu’au vu de la manière dont bon nombre de gouvernements prêtent le flanc à la critique dans la gestion de l’épidémie en cours sur leur territoire, leur marge pour donner des leçons pourrait être étroite.

16 mai 2020

Pandémie - Bolsonaro pousse à la démission son deuxième ministre de la Santé en un mois

FOLHA DE SÃO PAULO (SÃO PAULO)

Nelson Teich a annoncé qu’il quittait son ministère ce vendredi 15 mai. Comme son prédécesseur, Luiz Henrique Mandetta, il était en désaccord avec le président brésilien sur les réponses à apporter à la pandémie de Covid-19.

Il n’aura pas tenu un mois. Le ministre brésilien de la Santé Nelson Teich “a annoncé sa démission” ce vendredi 15 mai, rapporte Folha de S. Paulo. Il devait tenir une conférence de presse à ce sujet dans l’après-midi.

Depuis son entrée en fonction, Teich a vu son pouvoir de ministre être constamment “minimisé par le président Jair Bolsonaro”, souligne le quotidien brésilien. Le lundi 11 mai, l’oncologue avait notamment appris par la presse la décision du président brésilien d’inclure dans la liste des activités et commerces essentiels “les salons de beauté, les salles de sport et les salons de coiffure”.

Alors qu’au 15 mai plus de 14 000 morts ont été officiellement recensés au Brésil en raison de l’épidémie liée au nouveau coronavirus, Nelson Teich est “le deuxième ministre à abandonner le portefeuille de la santé en pleine pandémie de Covid-19”, rappelle Folha de S. Paulo.

Le 16 avril dernier, le ministre Luiz Henrique Mandetta avait lui aussi démissionné en raison de désaccords avec Jair Bolsonaro sur les mesures de distanciation physique ainsi que sur l’administration de la chloroquine et de l’hydroxychloroquine aux patients atteints de Covid-19.

Nelson Teich quitte ses fonctions pour les mêmes raisons. Il avait pourtant été choisi par Jair Bolsonaro “dans l’espoir d’équilibrer les actions du ministère afin d’éviter les décès dus au nouveau coronavirus mais aussi de minimiser l’impact économique des mesures de confinement”, souligne le quotidien.

Un militaire prochain ministre ?

Fin avril, le ministre avait confié ses doutes sur la chloroquine, dont l’efficacité contre le Covid-19 est selon lui “aujourd’hui encore une incertitude”, mais cela n’a pas empêché le président brésilien de déclarer le jeudi 14 mai que le protocole d’administration de la chloroquine “peut et va changer” au Brésil :

J’ai été élu pour prendre les décisions et cette question de la chloroquine passe par moi. Le ministre de la santé [Nelson Teich] est d’accord, sans aucun problème, je crois en son travail. Mais cette question de la chloroquine, nous allons la résoudre.”

Après l’annonce de la démission du ministre, des concerts de casseroles “ont été entendus à São Paulo et Rio de Janeiro”, indique Folha de S. Paulo. D’après le quotidien, le gouvernement étudie la possibilité de confier le ministère de la Santé à un militaire, le général Eduardo Pazuello. Il était jusqu’à présent le bras droit de Nelson Teich, et il a vraisemblablement l’habitude de se mettre au garde-à-vous.

Source - Folha de São Paulo

SÃO PAULO http://www.folha.com.br

16 mai 2020

Au Pérou, des bouffons traditionnels pour faire respecter le confinement

perou bouffons

COURRIER INTERNATIONAL (PARIS)

Sur la rive péruvienne du lac Titicaca, la ville de Puno a fait appel aux kusillos, des bouffons traditionnels, pour encourager la population à respecter le confinement et les mesures de protection contre le Covid-19.

Très populaires dans la culture aymara, un groupe ethnique indigène partagé entre le Pérou et la Bolivie, les kusillos sont de personnages folkloriques, lointains cousins d’Arlequin, caractérisés par leurs masques en laine colorés.

Vendredi, vêtus de leurs atours traditionnels, ils ont arpenté les rues de Puno pour rappeler aux habitants, avec humour, les règles de distanciation sociale et les mesures de protection contre le Covid-19, rapporte La República.

Certains d’entre eux, raconte le journal, portaient un fouet, utilisé dans le cadre des danses traditionnelles “pour faire respecter l’ordre et empêcher le public d’interrompre ou de perturber le défilé des danseurs”.

L” histoire ne dit pas si les kusillos ont usé de leur fouet pour faire respecter les gestes barrière ou convaincre les plus réticents de porter un masque, mais le quotidien assure que la présence de ces personnages, “très appréciés” de la population, a été saluée sur les marchés de la ville.

La région de Puno, à près de 4 000 mètres d’altitude, est l’une des moins touchées par le Covid-19 au Pérou, avec moins de 200 cas confirmés et un mort déclaré. Au niveau national, la pandémie a fait près de 2 400 morts.

15 mai 2020

A Riyad, les ambitions contrariées de « MBS »

mbs versus mbz

Article de Benjamin Barthe

La crise économique liée au Covid-19 oblige le prince héritier saoudien à tailler dans les dépenses publiques

BEYROUTH - correspondant

Ce devait être l’année de la consécration pour Mohammed Ben Salman. La présidence du G20, le groupe des vingt pays les plus riches de la planète, ayant été attribuée en 2020 à Riyad, l’ambitieux prince héritier, fils du roi Salman, avait l’occasion de briller.

Le sommet des chefs d’Etat prévu en novembre devait lui permettre de retrouver sa place sur la scène internationale, après deux années d’ostracisme larvé, dû à l’affaire Khashoggi – du nom du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, assassiné dans le consulat de son pays à Istanbul, le 2 octobre 2018. Et la série de conférences programmées en amont, drainant ministres et hauts fonctionnaires étrangers, devait assurer la promotion de la « nouvelle Arabie » chère au dauphin. Un pays en mouvement, décidé à rompre avec ses archaïsmes, à s’ouvrir aux femmes et à sortir du « tout pétrole ».

La crise sanitaire mondiale déclenchée par l’épidémie de Covid-19 a remis en cause cet ambitieux programme. Les réunions ministérielles ont basculé en mode virtuel, chacun claquemuré dans sa capitale, le nez sur un écran d’ordinateur. L’incertitude plane sur la faisabilité du sommet qui doit avoir lieu les 21 et 22 novembre. Dans le royaume où l’on dénombre 44 830 cas d’infection et 273 morts, l’épidémie n’a toujours pas atteint son pic.

La cité Neom en sursis

La déconvenue est d’autant plus grande pour « MBS » que la crise pétrolière, exacerbée par le coronavirus, fragilise ses ambitions modernisatrices, socle de son ascension politique météorique. Parmi les mesures d’économie présentées lundi 11 mai par le ministre des finances, Mohammed Al-Jadaan, en réponse à l’effondrement des cours de l’or noir, figurent le gel ou le report de certains grands projets de développement.

Le ministre des finances n’est pas entré dans les détails, mais il y a fort à parier que Neom, la cité ultramoderne de « MBS », fera les frais de ce plan. Budgétée à 500 milliards de dollars (460 milliards d’euros), tête de gondole de Vision 2030, le programme de réformes du prince héritier, cette mégalopole futuriste est censée voir le jour dans les cinq prochaines années, dans le coin nord-ouest de la péninsule Arabique. Il est probable aussi que les investissements prévus dans le secteur touristique, emblématiques de la volonté d’ouverture du numéro deux saoudien, seront ralentis.

Le ministre Jadaan a aussi annoncé le triplement de la TVA, introduite il y a seulement deux ans, au taux de 5 %, et la suppression de l’allocation de 1 000 riyals (250 euros), versée depuis trois ans aux ménages les plus modestes. « C’est la deuxième vague de mesures d’austérité après la levée des subventions sur l’essence et l’électricité entamée en 2015, souligne François-Aïssa Touazi, ancien diplomate et cofondateur du think tank CAPmena, spécialisé dans les pays du Golfe. Le pouvoir saoudien semble résolu à mettre fin à l’Etat-providence, c’est un vrai tournant. »

Avec un baril à 30 dollars, contre plus de 50 début mars, le gouvernement est privé de la moitié de ses revenus pétroliers, qui représentent traditionnellement 70 % des recettes. La chute des cours résulte de la brutale hausse de la production décidée ce mois-là par la Russie et l’Arabie saoudite, et de l’effondrement de la demande en période de confinement.

L’hémorragie budgétaire est aggravée par l’arrêt du tourisme religieux. Le coût de la suspension de la Omra, le « petit pèlerinage », qui draine en temps de ramadan des flots de fidèles vers les mosquées saintes de La Mecque et Médine, se chiffre en milliards de dollars. Le manque à gagner sera encore plus élevé si Riyad, comme pressenti, renonce à organiser le Hadj, le grand pèlerinage, programmé pour la fin juillet. « Le royaume n’avait pas fait face à une crise d’une telle sévérité depuis des décennies », a reconnu Mohammed Al-Jadaan.

Refroidissement avec Trump

Contrairement à d’autres pays pétroliers, comme l’Algérie et l’Irak, l’Arabie saoudite pourra amortir le choc grâce à son matelas de devises et son faible taux d’endettement (23 % du PIB). La Couronne réfléchit d’ores et déjà à la plus grosse émission d’obligations de son histoire, qui promet, comme les précédentes, d’être sursouscrite par les établissements financiers locaux et internationaux.

Reste que personne ne peut préjuger de la durée de la dépression. Les gros pays consommateurs de pétrole ayant profité des prix bas pour surstocker, et le déconfinement s’opérant de façon graduelle, le retour au statu quo ante pourrait prendre un an, voire plus. « Je ne pense pas que le monde ou le royaume reviendront à la situation qui prévalait avant le coronavirus », a même prédit Mohammed Al-Jadaan. Or durant le seul mois de mars, le gouvernement a brûlé 27 milliards de dollars de réserves, 5 % du montant détenu par la banque centrale.

D’où ce tournant de la rigueur, qui sera compliqué à négocier pour « MBS ». La suppression, annoncée en septembre 2016, d’une série de primes qui permettent aux fonctionnaires d’améliorer leur paye, avait généré une certaine colère sur les réseaux sociaux et dans les majlis, ces salons de discussion privés. Le gouvernement avait fait marche arrière sept mois plus tard, à la suite d’un appel à manifester diffusé sur Internet. « C’est un défi risqué pour MBS, observe François-Aïssa Touazi. Il s’est imposé en promettant aux femmes, aux jeunes et aux classes moyennes une Arabie plus moderne, plus riche. »

En finir avec la rente pétrolière

Le prince héritier doit simultanément gérer un refroidissement de ses relations avec Washington. L’agence Reuters a révélé que, lors d’une conversation téléphonique avec « MBS », le 2 avril, le président américain, Donald Trump, a menacé de priver le royaume de la protection militaire des Etats-Unis si Riyad ne réduisait pas le niveau de sa production pétrolière. L’impact dévastateur de la dégringolade du prix du baril sur l’industrie du gaz de schiste américain menace les rêves d’indépendance énergétique de Donald Trump.

Dix jours après cette sommation, la Russie et l’Organisation des pays exportateurs de pétrole s’accordaient sur une baisse historique de leur production, de l’ordre de 9,7 millions de barils par jour, dont 2,5 chacun pour Moscou et Riyad. Cette décision n’a pas eu l’effet escompté car, entre-temps, le coronavirus a paralysé une partie des économies les plus importantes de la planète. La révélation par le Wall Street Journal, début mai, que les Etats-Unis rapatriaient quatre batteries antimissiles Patriot, affectées à la protection des sites pétroliers saoudien, a accentué le sentiment d’une brouille entre Riyad et Washington.

« Je pense que les Patriot auraient été retirés de toute façon, mais il est clair que la relation n’est plus aussi confortable qu’elle l’a été, convient Steffen Hertog, spécialiste de l’Arabie saoudite à la London School of Economics. Il est probable que cela va accélérer le pivot de l’Arabie saoudite vers la Chine, même si, d’un point de vue sécuritaire, l’Arabie saoudite va continuer à dépendre des Etats-Unis pour de nombreuses années encore. »

La crise, paradoxalement, recèle des opportunités pour Mohammed Ben Salman. Même si elle survient trop tôt, alors que le royaume reste très largement pétrodépendant, elle conforte ses efforts visant à rompre avec cette rente qui entretient un secteur public pléthorique et sclérosé, et décourage l’esprit d’entreprise.

Coup de malchance, plusieurs des secteurs érigés en alternatives aux hydrocarbures, comme le divertissement et le tourisme, sont particulièrement pénalisés par l’épidémie de Covid-19, de même que l’aéronautique, une voie privilégiée par les voisins de Riyad, comme le Qatar, Dubaï et Abou Dhabi. « La crise doit inciter les pays du Golfe à repenser leur stratégie de diversification, estime François-Aïssa Touazi. L’Arabie saoudite a intérêt à investir davantage dans des secteurs plus résilients et profitables, comme la santé et les mines. »

Pour conserver le soutien des classes moyennes, dont le pouvoir d’achat ne cesse de baisser, l’homme fort du royaume devra probablement accélérer ses réformes sociétales. Introduire une liberté de mœurs croissante, à défaut de libertés politiques, qui ne sont pas de son goût. Avec la crise sanitaire mondiale, enfin, il devient plus urgent que jamais de ranimer les instances de concertation multilatérale comme le G20. Riyad a l’occasion de faire du sommet des chefs d’Etat, à la fin de l’année, un moment important de l’ébauche du monde d’après.

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14 mai 2020

Covid-19 - Et si l'Afrique s'en sortait bien mieux que le reste du monde?

afrique coronavirus

FINANCIAL TIMES (LONDRES)

Beaucoup prédisaient une catastrophe avec l’arrivée du Covid-19 en Afrique. Mais pour l’instant, le continent est peu touché. Il faut bien sûr rester prudent, mais l’espoir est immense.

Depuis que le premier cas de Covid-19 en Afrique a été confirmé le 14 février, avec un ressortissant chinois diagnostiqué positif en Égypte, l’épidémie s’est propagée sur presque tout le continent. Pour Bill Gates, le fondateur de Microsoft, dont la fondation s’intéresse de très près à la pandémie, dans une région où les bidonvilles sont surpeuplés et les systèmes de santé, précaires, la maladie pourrait coûter la vie à 10 millions d’Africains, un chiffre impensable.

Pourtant, plus de deux mois plus tard, certains osent à mots couverts se montrer plus optimistes. Peut-être – toutes précautions gardées – que le continent pourrait être épargné par les pires aspects de la pandémie. “Je ne comprends pas”, lance Kennedy Odede, un militant associatif. Sur 400 personnes testées au hasard dans l’immense bidonville de Kibera à Nairobi la semaine dernière, seules trois étaient positives. “Pour moi, c’est une bonne nouvelle.”

[Fin avril,] l’Afrique comptait officiellement quelque 32 000 cas et moins de 1 400 morts du Covid-19, alors que plus de 3 millions de cas ont été détectés dans le monde. Compte tenu de la capacité limitée de dépistage du continent, il est possible que l’ampleur de l’épidémie soit sous-estimée même si Odede, comme d’autres, pense qu’il y a peu de preuves de l’existence de foyers passés sous silence.

Un soupir de soulagement

À première vue, ce continent de 1,2 milliard de personnes a donc enregistré moins de décès dus au Covid-19 que les États-Unis en une seule journée. “Les gens commencent à pousser un soupir de soulagement, bien qu’il soit trop tôt pour se dire que nous l’avons échappé belle”, soutient Murithi Mutiga, un analyste du groupe de réflexion Crisis Group basé à Nairobi.

Pour John Nkengasong, directeur du Centre africain de contrôle et de prévention des maladies, il ne faut tirer aucune conclusion définitive. Il n’y a pas de preuves tangibles que des facteurs spécifiques à l’Afrique – une population plus jeune, un climat plus chaud, ou la vaccination à grande échelle contre la tuberculose – aient un impact sur la propagation de la maladie.

“Je me garderai bien de dire que la transmission se fait plus lentement”, a-t-il déclaré, ajoutant que les cas confirmés ont augmenté de plus de 40 % [sur la dernière semaine d’avril]. Ces chiffres peuvent indiquer que l’Afrique sera simplement touchée plus tardivement, et que la pandémie ne commence à s’accélérer que maintenant.

La jeunesse pour atout

Selon Paul Hunter, professeur de médecine à l’université d’East Anglia, les autorités ont raison d’être prudentes. Néanmoins, dit-il, il y a des raisons de penser que le virus pourrait être moins mortel en Afrique où les maladies qui se transmettent par microgouttelettes, comme la grippe, ont tendance à se propager plus lentement.

Le continent n’a connu qu’un seul cas de syndrome respiratoire aigu sévère (Sras) lors de l’épidémie de 2002-2003, avec une infection au Cap. La plus faible propagation de ce genre d’infection, poursuit-il, pourrait être imputable à une moindre densité de population, à l’effet des rayons UV ou à un climat qui fait que les gens passent plus de temps à l’extérieur.

Dans le cas du coronavirus, la jeunesse de la population africaine pourrait également contribuer à expliquer ce faible taux de mortalité. L’âge médian en Afrique est de 19,4 ans, contre 40 ans en Europe et 38 ans aux États-Unis.

Il y a eu si peu de cas graves chez les moins de 20 ans en Occident que, lorsque vous avez une population dont l’âge médian est de 19 ans, le risque d’un nombre élevé de décès est considérablement réduit.”

Pour voir si le nombre de décès dus aux coronavirus est sous-estimé, il suffit de regarder les statistiques de la mortalité et voir si le nombre de décès dépasse celui enregistré en temps normal. En Afrique du Sud, les décès survenus jusqu’au 14 avril étaient “globalement dans les limites de ce qu’on pouvait prévoir”, selon le Conseil de la recherche médicale du pays, ce qui suggère que les décès imputables sans qu’on le sache au coronavirus sont peu nombreux.

Une nécessaire prudence

Selon Trudie Lang, directrice du Global Health Network au département de médecine Nuffield de l’université d’Oxford, il serait erroné – et potentiellement dangereux – de tirer des conclusions hâtives. Toutefois, selon elle, il est possible que le virus se propage “différemment” en Afrique, y compris avec des cas plus asymptomatiques.

Il est également possible que les personnes atteintes de maladies chroniques telles que la tuberculose réagissent différemment au Covid-19, et soient plus résistantes, en raison d’une réponse immunitaire déjà présente, et non plus vulnérables, comme on le suppose habituellement.

“Il est vraiment important de parvenir à des conclusions fondées sur des preuves tangibles”, insiste le professeur Lang, ajoutant qu’il est vital de mener des recherches sur l’évolution de la maladie afin d’aider les gouvernements à mettre en œuvre les stratégies adéquates. En tout état de cause, ajoute-t-elle, tant que les spécialistes ne savaient pas exactement comment se comportait le virus, les gouvernements ont eu raison de se montrer prudents : “Nous devons continuer à prendre des mesures et à faire des tests.”

David Pilling

14 mai 2020

Au Venezuela, l’ambassadeur de France privé d’électricité et de gaz par les autorités

Par Piotr Smolar

L’ambassadeur du Venezuela a été convoqué au Quai d’Orsay lundi, puis à nouveau mercredi.

Au début, on pouvait croire à une coïncidence. A l’une de ces contrariétés de la vie quotidienne dans un pays, le Venezuela, ravagé par la crise économique et sociale, aux infrastructures décrépites. Mais l’ambassadeur de France, Romain Nadal, a dû se rendre à l’évidence. Depuis début mai, la rue où se trouve sa résidence à Caracas, à environ cinq minutes en voiture de l’ambassade, se trouve ceinte par une présence sécuritaire hors norme. Des barrages filtrants ont été mis en place à l’entrée et à la sortie par la police politique, le Sebin. L’électricité a été coupée le 3 mai, puis le gaz ces derniers jours. D’habitude, les interruptions de courant, fréquentes dans la capitale, durent quelques heures.

Face à ces actes d’hostilité, que les autorités locales n’ont pas cherché à corriger malgré de multiples échanges, le ministère des affaires étrangères, à Paris, a convoqué l’ambassadeur du Venezuela une première fois lundi, puis mercredi 13 mai, pour dénoncer de graves atteintes à la convention de Vienne sur les relations diplomatiques. Son article 25 stipule notamment que « l’Etat accréditaire accorde toutes facilités pour l’accomplissement des fonctions de la mission ». Dans un communiqué publié mercredi, le Quai d’Orsay exprime sa « ferme condamnation des mesures prises ces derniers jours venant porter atteinte au fonctionnement normal de notre représentation diplomatique à Caracas ».

D’autres résidences diplomatiques sont également touchées, dans cette même rue de Caracas : celles des Etats-Unis – désertée depuis le départ de l’ambassadeur en mars 2019 –, d’Autriche et d’Afrique du Sud. Les diplomates encore présents peuvent circuler avec leur plaque d’immatriculation spéciale, sans fouille du véhicule, mais doivent se présenter au barrage filtrant. La résidence de l’ambassadeur de France dispose d’un générateur alimenté au gazole, avec une autonomie de plusieurs semaines. Des gendarmes et employés vénézuéliens vivent aussi sur place. Certaines familles vénézuéliennes installées dans le quartier ont été contraintes de déménager, faute de disposer d’un même équipement.

L’affaire laisse peu de place au doute : la crise politique sans issue dans laquelle est plongé le pays est à l’origine de ces brimades exceptionnelles. Le leader de l’opposition, Juan Guaido, qui s’était autoproclamé président par intérim le 23 janvier 2019, a été reconnu par une soixantaine de pays. Il est notamment soutenu par les Etats-Unis, qui ambitionnent de faire tomber Nicolas Maduro.

Rumeurs sur le lieu où M. Guaido s’est réfugié

Début février, M. Guaido avait effectué une tournée internationale à Bogota, Londres, Bruxelles, Davos, Paris, Toronto et Washington. A son retour, le 11 février, il avait été accueilli à l’aéroport dans une atmosphère très tendue par une délégation diplomatique composée de représentants de l’Union européenne, de la France, de l’Espagne, de l’Allemagne, des Pays-Bas, de la Pologne et de la Roumanie. Il ne s’agissait pas alors d’échanger sur les leçons de ce voyage, mais d’éviter d’éventuelles violences, alors que l’intégrité physique de Juan Guaido n’est pas assurée. Celui-ci doit vivre dans une forme de semi-clandestinité. Il avait été brièvement arrêté en janvier 2019 par le Sebin.

Fin février, ces mêmes diplomates étrangers avaient rencontré Juan Guaido plus calmement, afin de discuter de son long déplacement international. Les mesures de rétorsion prises contre l’ambassadeur de France et les autres résidences diplomatiques de cette rue de Caracas pourraient être liées à des rumeurs concernant l’opposant, relayées par les réseaux sociaux. Selon celles-ci, Juan Guaido aurait trouvé refuge dans l’une des résidences, sans que rien vienne les étayer. Mais il peut s’agir aussi d’une forme d’intimidation, destinée à forcer le départ de ces diplomates considérés comme hostiles. Nicolas Maduro a nommément mis en cause Romain Nadal à la mi-février pour s’être immiscé « gravement dans les affaires intérieures du pays ». De son côté, la résidence d’Espagne se trouve en situation de siège depuis un an, avec sa rue barrée. L’ambassade d’Espagne, elle, fonctionne avec un générateur électrique, car les autorités refusent de rétablir le courant malgré des demandes répétées.

Mardi, le président Nicolas Maduro a annoncé l’extension d’un mois de l’« état d’alerte », alors que le Venezuela demeure très peu touché par l’épidémie du Covid-19 par rapport à ses voisins. Seules 420 personnes ont été recensées comme malades, même si tous les chiffres officiels dans le pays sont à prendre avec méfiance. Ce faible bilan, s’il se révélait exact, pourrait être dû à l’isolement complet du pays et à la réduction drastique des flux avec l’extérieur.

14 mai 2020

Vladimir Poutine apparaît comme un chef autoritaire en perte d’autorité

Article de Marie Mendras

Alors que la Russie se révèle comme l’un des principaux foyers de la pandémie de Covid-19, le président semble incapable de mettre le pays en ordre de bataille, analyse la politologue

La Russie arrive en seconde position, derrière les Etats-Unis, en matière de progression quotidienne de l’épidémie. Selon les données officielles, quelque 11 000 nouveaux cas de Covid-19 ont été enregistrés le 11 mai, pour un total qui dépasse les 220 000 personnes contaminées, et plus de 2 000 décès. Scientifiques et médecins assurent que les chiffres réels sont beaucoup plus élevés. La méthode de décompte des décès écarte les personnes qui souffraient aussi d’une autre pathologie, les victimes hors hôpital sont rarement comptabilisées, et les médias subissent un contrôle strict des autorités.

Le gouvernement semble en plein désarroi, ce qui provoque une forte anxiété au sein de la société. L’économie stagne depuis des années et l’arrêt de l’activité en mars laisse les acteurs économiques et les ménages exsangues. L’inadéquation des politiques étatiques invite à s’interroger : où est donc la fameuse « verticale du pouvoir », censée gouverner la vaste Fédération de Russie grâce aux oukases d’un président tout-puissant ?

A la mi-mars, quand les premiers cas ont enfin été reconnus, les autorités centrales ont sous-estimé le danger et n’ont pas proposé de réplique rapide pour juguler l’épidémie. C’est le maire de Moscou, Sergueï Sobianine, qui a pris l’initiative de décréter le confinement dans la capitale le 30 mars.

Un président anxieux et mal à l’aise

Au même moment, le petit show humanitaire pour porter secours aux New-Yorkais, après les Italiens, a vite tourné au fiasco. De l’avis des bénéficiaires, les matériels envoyés étaient inadaptés et n’ont pas été utilisés (la ville de New York a quand même reçu une facture de 667 000 dollars à payer à l’Etat russe fin avril). En Russie, l’opération de communication n’a pas été appréciée, car les hôpitaux accueillaient de plus en plus de malades et manquaient de tout. Le Kremlin a montré qu’il continuait à dribbler sur le terrain de la concurrence avec l’Occident, alors que tous les Etats se préparaient à combattre le virus chez eux, sur le champ de bataille national.

Vladimir Poutine s’est adressé à la nation plusieurs fois, d’abord moralisateur et détaché, puis sombre et magnanime, en « octroyant » plusieurs semaines de congés confinés et payés (payés par qui ?, se demandent les travailleurs…). Alors qu’on attendait un chef déterminé, c’est un homme anxieux et mal à l’aise qui s’est exprimé devant les écrans de télévision. Le président a décidé de ne pas diriger le combat contre la pandémie, et l’a dit clairement aux gouverneurs des 85 provinces de Russie : à vous de gérer !

Il s’est retiré dans sa datcha présidentielle de Novo-Ogarevo, dans les environs de Moscou. Il se tient à très grande distance et abandonne la gestion d’une crise multidimensionnelle aux administrations et aux entreprises, sous contrôle du FSB et des forces de l’ordre, sans vraiment déléguer ni orchestrer. La répression politique continue, par des juges qui condamnent « à distance ». Les grandes voix de l’opposition, reprises par de nombreux sites et blogs, dénoncent l’incurie du pouvoir. Le fameux « ordre poutinien » paraît incapable de mettre le pays en ordre de bataille.

Les administrations locales en première ligne

Les chefs d’administrations provinciales et municipales sont placés en première ligne, alors qu’ils ont presque tous été choisis pour leur loyauté sans faille et leur faible envergure, et n’ont pas les moyens de remplir leur mission. Les informations fiables sur la propagation du virus dans les provinces manquent, et les priorités pour apporter soins et aides aux malades, aux familles et aux personnes privées de revenus ne sont pas explicitées. Les hôpitaux sont pour la plupart livrés à eux-mêmes. Ils réclament des médicaments, des protections pour les soignants et un soutien logistique. Or, les administrations municipales et régionales n’ont pas de budget autonome pour leur prêter main-forte. Chaque province prend des mesures, parfois appropriées, souvent inapplicables. Nijni-Novgorod a été la première région à imposer l’autorisation de déplacement numérique, soumise à acceptation administrative. Le Tatarstan, la Tchétchénie, la province de Tcheliabinsk et quelques autres ont fermé leurs frontières aux déplacements et transports, contre l’avis du gouvernement central.

Les familles attendent de l’aide des administrations locales et de leurs employeurs, qui, à leur tour, attendent le soutien de l’Etat. La crise actuelle contribue à creuser les inégalités économiques et sociales, déjà très marquées. La méfiance envers « celui venu d’ailleurs » s’aiguise. Les conséquences sont dramatiques pour les millions de personnes vivant en Russie sans passeport russe ni permis de résidence.

Les détracteurs affirment que le président n’a endossé aucune décision pénible pour éviter de perdre un peu plus la confiance des Russes. Depuis l’impopulaire réforme des retraites et les manifestations qui ont eu lieu dans toutes les grandes villes de Russie à l’été 2018, le président n’a jamais retrouvé le niveau de soutien dont il bénéficiait précédemment. Dans un sondage de fin avril, le Centre Levada souligne que 46 % des personnes interrogées se disent satisfaites (contre 48 % insatisfaites) de la réponse des autorités à l’épidémie, un faible résultat dans une société où critiquer est risqué.

La célébration du poutinisme triomphant a tourné court. En début d’année, le Kremlin a fait voter au pas de charge une loi de révision constitutionnelle, signée par le président le 14 mars. Le « vote d’approbation populaire », prévu le 22 avril, a été reporté sine die pour cause de pandémie. Ce coup de force a donné à Vladimir Poutine la possibilité de briguer encore deux mandats de six ans, et de rester chef de l’Etat jusqu’en 2036. Tel est le paradoxe d’un système dirigeant qui prétend au pouvoir sans limite, alors qu’il ne sait pas assurer la protection de 140 millions de personnes, privées de visibilité sur leur avenir proche.

Contrairement aux idées reçues, le système Poutine n’est ni un Etat fort ni un Etat-providence. Un chef autoritaire en perte d’autorité, voilà un cas intéressant qui invite à bousculer la croyance en un effet d’aubaine de la pandémie pour les autoritarismes, alors que les démocraties y perdraient leur âme et leur légitimité.

Marie Mendras, politologue au CNRS et au CERI, enseigne à Sciences Po Paris

 

13 mai 2020

Jair Bolsonaro

La popularité de Bolsonaro en nette baisse. Selon un sondage de la confédération nationale des transports en partenariat avec le MDA Institute publié mardi, 55% des Brésiliens désapprouvent la politique menée par leur dirigeant contre 47% en janvier. “A pas de géant et au milieu de la pandémie de coronavirus, le gouvernement du président Jair Bolsonaro a perdu le soutien d’une partie de la population, atteignant les pires évaluations depuis le début de son administration en janvier 2019”, explique Parana Portal. 67% des personnes interrogées approuvent par ailleurs le confinement. Ces mauvais chiffres pour le leader d’extrême-droite sortent au moment où il fait face à une crise politique potentiellement dévastatrice. Il est accusé par Sergio Moro, son ex-ministre de la justice, d’avoir cherché à empêcher la police fédérale d’enquêter sur sa famille et ses proches à Rio. Le PSOL, le parti socialisme et liberté, a demandé à la justice de rendre publique la vidéo d’une réunion ministérielle au cours de laquelle le sujet a été abordé.

13 mai 2020

Plastic Food, une série photographique de Irwin Wong sur les plats factices en plastique

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Un séjour au Japon débute probablement par un repas dans un restaurant et s’achève sûrement de la même façon, autour d’un bol fumant de ramen par exemple. L’une des découvertes les plus frappantes pour un visiteur étranger est sans nul doute la gastronomie japonaise. Chaque sortie en extérieur est une invitation irréfutable à nourrir son corps mais également ses yeux, happés par des sampuru bluffants de réalisme. Dérivé du mot anglais sample signifiant échantillon, les sampuru désignent les plats en résine exposés en vitrine des restaurants. Fasciné par le réalisme de ces assiettes factices et leur savoir-faire remarquable, le photographe Irwin Wong a pénétré dans l’atelier Maizuru au Nord-Est de Tokyo et nous dévoile les secrets de fabrication de sa série Plastic Food

Quel a été votre déclic pour réaliser la série Plastic Food ?

L’art du sampuru est l’un des multiples aspects qui impressionnent les visiteurs au Japon. J’ai moi-même toujours été intéressé par le processus de fabrication des sampuru que j’admire au quotidien dans les vitrines des restaurants. Le magazine australien The Smith Journal m’a chargé de capturer l’ambiance de l’atelier de fabrication Maizuru, pour mon plus grand plaisir de photographe.

Justement, pourriez-vous raconter l’atmosphère de cet atelier ?

C’était très calme, il faut dire que les travailleurs sont extrêmement concentrés mais qu’ils ont quand même trouvé le temps de m’expliquer, avec fierté, toutes les étapes d’élaboration d’un sampuru.

Qu’est-ce qui vous a le plus impressionné pendant la réalisation de ce reportage photographique ?

Tout est fabriqué à la main dans l’atelier Maizuru, même le moindre grain de riz est façonné à partir d’un moule unique basé sur un grain de riz réel. J’ai observé, captivé, cet artisan dont le travail consiste à trier inlassablement les grains de riz corrects des mauvais grains, les uns après les autres. J’ai vraiment été ahuri par la quantité de détails à respecter pour chaque création culinaire. C’est un vrai travail d’orfèvre !

Pourriez-vous décrire une image précise de votre série Plastic Food ?

Cette photographie m’inspire énormément pour son nombre incalculable de boîtes d’échantillons de presque tous les types de nourriture que l’on peut imaginer. Chaque article dans chacune des boîtes est unique et constitue une archive, utilisée comme référence pour façonner d’autres sampuru. Je trouve également que ce référentiel expose, en filigrane, la longévité et le succès de l’atelier.

Quel regard portez-vous sur l’artisanat japonais?

L’artisanat japonais est un trésor irremplaçable de l’humanité dont les artisans sont les directs représentants, de par leur humilité et leur désir de partager leur savoir-faire unique. Ma dernière série en date met justement en lumière les artisans de plus d’une soixantaine d’ateliers que j’ai pris le temps de visiter aux quatre coins du Japon. Toutes les photographies sont compilées dans le livre Handmade in Japan à paraître au cours de l’année 2020.

Quels autres sujets éveillent votre curiosité de photographe ?

Le Japon regorge de sujets tellement intéressants qu’il est bien difficile de porter son regard sur un unique thème. J’aimerais beaucoup photographier des pratiquants de danse traditionnelle mais, pour l’heure, mes travaux portent sur les travailleurs de l’industrie du sexe au Japon. Je n’omets évidemment pas mon grand amour pour l’artisanat et j’espère pouvoir poursuivre sa documentation dans le futur proche.

Photos ©Irwin Wong

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