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Jours tranquilles à Paris
13 mai 2020

Portrait « MBZ », le véritable homme fort du Golfe

MBZ

Par Christophe Ayad, Benjamin Barthe, Beyrouth, correspondant

Mohammed Ben Zayed Al-Nahyane n’est pas seulement le leader politique des Emirats arabes unis. Son influence et ses amitiés s’étendent bien au-delà de la Péninsule arabique, jusqu’aux Etats-Unis et à la France.

C’est une légende de cour. Il faut la prendre pour ce qu’elle est : une jolie fable sur le roi que l’on susurre sous le sceau du secret en espérant qu’elle soit rapportée au plus grand nombre pour édifier les masses. Au temps de sa splendeur, le cheikh Zayed Ben Sultan Al-Nahyane, charismatique fondateur des Emirats arabes unis (EAU), aimait à convoquer ses fils le vendredi pour les entretenir du royaume et de l’art de gouverner. Durant ces réunions, le patriarche, né avant le miracle pétrolier dans l’univers fruste des Bédouins du désert, avait coutume de couper la climatisation. Une manière de rappeler à ses enfants d’où ils venaient et de leur inculquer la nécessité de travailler dur pour préparer l’avenir, car les bienfaits du pétrole ne seront pas éternels.

Mohammed Ben Zayed Al-Nahyane, 59 ans, a retenu la leçon. Le troisième fils du cheikh Zayed préside aux destinées d’un des pays les plus riches et les plus stables de la planète, un chapelet de sept principautés (Abou Dhabi, Dubaï, Chardja, Ajman, Oumm Al-Qaïwaïn, Ras Al-Khaïma, Foujayra) nichées dans les creux de la rive arabe du golfe Persique. Sur le papier, il n’est que prince héritier et ministre de la défense de l’émirat-capitale, Abou Dhabi, une cité taillée au cordeau, qui respire l’ordre et la discipline. Mais, dans les faits, « MBZ » comme on le surnomme, est l’homme fort de la fédération des EAU. Un grand seigneur à l’allure austère et au profil en bec d’aigle, dont le goût de l’ombre cache une volonté de fer et un insatiable appétit de pouvoir.

C’est lui le concepteur, avec son allié numéro un, le prince héritier saoudien Mohammed Ben Salman, alias « MBS », de la guerre contre les rebelles houthistes du Yémen, présentés comme le cheval de Troie de l’Iran. Les deux hommes sont aussi à l’origine, en 2017, du blocus du Qatar, la presqu’île voisine des EAU, accusé d’accointances coupables avec les islamistes. En solo, « MBZ » a parrainé, en Egypte, l’ascension du maréchal-président Abdel Fattah Al-Sissi, fossoyeur de la révolution de 2011. Et il soutient activement les ambitions d’un autre galonné, le Libyen Khalifa Haftar, en guerre contre le gouvernement de Tripoli, pourtant reconnu par la communauté internationale.

Ses troupes opèrent de l’Afghanistan au Yémen. Ses diplomates et ses lobbyistes arpentent les capitales. L’ambassadeur émirati aux Etats-Unis a même assisté, fin janvier, à la présentation du fameux plan Trump pour le conflit israélo-palestinien, indice du rapprochement des pétromonarchies du Golfe avec l’Etat hébreu. Le régent d’Abou Dhabi est aussi présent en Afrique, où sa toile s’étend de jour en jour : des armes en Libye, des ports dans la Corne, des capitaux en Mauritanie, au Sénégal, au Botswana et à Madagascar. Ses tentacules vont jusqu’à la Trump Tower, le fief new-yorkais du milliardaire président, où on lui prête une influence considérable.

Jean-Yves Le Drian, premier fan

Cette diplomatie sous stéroïde s’accompagne d’un discours moderniste. Auprès de ses visiteurs étrangers, le condottiere émirati plaide la tolérance, l’œcuménisme et le dialogue des cultures. Des valeurs incarnées par le Louvre Abu Dhabi, brillante importation d’un symbole de l’esprit à la française. Mohammed Ben Zayed s’est également distingué en accueillant, en février 2019, le pape François, premier chef de l’Eglise catholique à poser le pied dans la péninsule arabique, le berceau de l’islam.

DANS UN MOYEN-ORIENT EN MORCEAUX, DONT LES ÉTATS-UNIS S’ÉLOIGNENT, LE LEADER ÉMIRATI PASSE POUR UN DIRIGEANT D’EXPÉRIENCE ET D’AVENIR

Un homme qui maîtrise à ce point les codes culturels occidentaux ne saurait être foncièrement mauvais. Les responsables américains sont sous le charme. Le ministre français des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, son interlocuteur occidental préféré, est un fan inconditionnel. Emmanuel Macron ne cesse d’échanger avec lui par messagerie sécurisée. Dans un Moyen-Orient en morceaux, dont les Etats-Unis s’éloignent, le leader émirati passe pour un dirigeant d’expérience et d’avenir. Son pays est un pôle de stabilité dans une région qui en manque cruellement. L’opportunité s’offre à lui de la remodeler selon son credo personnel : hostilité à toute expérience démocratique, aversion pour l’islam politique, rejet de l’expansionnisme iranien, tropisme anti-Erdogan et inclination pro-israélienne.

Le Saoudien Mohammed Ben Salman et l’Egyptien Abdel Fattah Al-Sissi l’épaulent dans ce grand dessein. Mais il ne faut pas s’y tromper : dans ce trio, l’Egypte représente les bras (avec ses 100 millions d’habitants), l’Arabie saoudite le portefeuille, et les Emirats le cerveau. « C’est “MBZ” qui définit la stratégie, assure un diplomate. Il a toujours un coup d’avance sur les autres. » Le moine-soldat d’Abou Dhabi est devenu le leader le plus puissant du monde arabe, le seul à voir aussi loin et aussi vaste. Le « moment “MBZ” » est arrivé.

Ce n’était pas écrit. En raison de son rang dans l’ordre filial, le prince Mohammed ne pouvait être désigné comme le dauphin du cheikh Zayed. C’est à Khalifa, fils aîné de la première épouse, que le titre d’héritier est revenu, ainsi que la mainmise sur le pétrole, la pompe à dollars du pays. Pendant que ce dernier se préparait aux plus hautes fonctions, Mohammed est parti, à la fin des années 1970, se former à l’Académie royale militaire de Sandhurst, le Saint-Cyr britannique, passage obligé des apprentis souverains du Golfe. A son retour au pays, il intègre la garde nationale émiratie, puis l’armée de l’air, dont il prend la direction au milieu des années 1980.

Prince marchand

Ce sera son tremplin. A coups d’achats massifs de Mirage 2000 et de F-16, il fait de cette institution la première force aérienne du monde arabe. Au fur et à mesure des commandes, « MBZ » amasse un magot, grâce au système des offsets. Ce mécanisme oblige les marchands d’armes à réinvestir l’équivalent d’une partie du contrat dans le pays acheteur, généralement sous la forme de chaînes de montage des équipements achetés. Mais, à Abou Dhabi, le vendeur a longtemps eu l’obligation de créer, avec un fonds émirati majoritaire, une entreprise dans le domaine de son choix, dont la seule condition était de devenir rentable à une échéance convenue.

Ce savant circuit a eu l’avantage de créer une économie dans l’émirat d’Abou Dhabi, gâté en pétrole mais complexé par le génie commercial de son tapageur voisin, Dubaï. L’ensemble des participations émiraties issues des offsets a été regroupé dans le fonds Mubadala. Ce coffre-fort a permis à « MBZ » de financer son ascension et de gagner son autonomie par rapport à son demi-frère Khalifa.

En 1993, il accède à la tête des forces armées. La rivalité avec le prince héritier s’intensifie. Les tensions se cristallisent autour du projet Dolphin, un gazoduc entre le Qatar et Dubaï, que le fonds Mubadala finance mais auquel Khalifa s’oppose. « “MBZ” a toujours été persuadé qu’il était le fils préféré de Zayed et que le pouvoir lui revenait de droit, raconte un bon connaisseur de la famille régnante. A l’occasion d’une rumeur sur la mort de Zayed, il aurait tenté de mettre Khalifa sur la touche. Zayed aurait été furieux. » Juste avant son décès, pour ramener la paix dans la famille, Zayed nomme « MBZ » vice-prince héritier d’Abou Dhabi, un marchepied vers la présidence des EAU. Lorsque le père de la nation s’éteint, le 2 novembre 2004, à l’âge de 86 ans, la succession se passe sans anicroche.

Pour « MBZ », la menace ne vient pas de Khalifa. Le nouveau chef de l’Etat est de santé fragile et peu charismatique. Le danger émane plutôt de Dubaï, l’autre locomotive des EAU. Le potentat local, Mohammed Ben Rachid Al-Maktoum, est au faîte de sa gloire. Poursuivant et amplifiant l’œuvre de son père, il a fait du petit port de la « côte des Pirates » un hub international, une marque mondiale qui fait fantasmer la planète. Les tours les plus hautes, les marinas les plus luxueuses, les galeries marchandes les plus clinquantes : rien n’est trop beau ni trop grand pour Dubaï, qui a réussi à faire cohabiter voile et bikinis. On y construit même des îles et une piste de ski artificielles.

La revanche des « Fatimides »

Les Nahyane, membres de la famille régnante d’Abou Dhabi, enragent secrètement face à tout ce glamour qu’ils désapprouvent et jalousent à la fois. Leur agacement est d’autant plus grand qu’ils soupçonnent Mohammed Ben Rachid, alias « cheikh Mo », de nourrir des ambitions politiques. Et puis vient la providentielle crise financière de 2008. Le secteur immobilier de Dubaï, surendetté, s’écroule. Le reste de l’économie de la ville mirage s’effondre. Les expatriés fuient le pays en abandonnant leur voiture sur le parking de l’aéroport, de peur d’être emprisonnés pour des factures impayées.

Pour Abou Dhabi, l’heure de la vengeance est venue. Ses dirigeants sauvent Dubaï de la faillite en contrepartie d’une clause léonine. « Ils ont imposé dans l’accord de renflouement une clause secrète de renonciation de la famille Al-Maktoum à la présidence des Emirats arabes unis qui, selon le pacte de 1971, à l’origine de la création de l’Etat, devait être tournante », assure un ancien diplomate en poste à Abou Dhabi. Symbole ultime de l’humiliation du « cheikh Mo » : la tour de Dubaï, la plus haute jamais construite (828 m), change de nom le jour de son inauguration, le 4 janvier 2010. Elle est rebaptisée « tour Khalifa ».

Un deuxième coup du sort permet à « MBZ » de se hisser à la place de numéro un. En janvier 2014, ce même Khalifa, victime d’une attaque cérébrale, plonge dans un état quasi végétatif. « MBZ », qui assumait déjà de très hautes responsabilités, a désormais les mains libres. Sa mère, la discrète Fatima, troisième épouse du cheikh Zayed et, paraît-il, sa préférée, triomphe. Cette femme, qui n’est jamais apparue en photo et dont on dit qu’elle circule en ville le visage couvert d’un masque de cuir traditionnel, intriguait de longue date en faveur de ses six fils, surnommés les « Fatimides ». « Elle a écarté de la vie publique tous les représentants des autres branches de la famille Nahyane qui auraient pu faire de l’ombre à sa progéniture, témoigne un familier de la couronne émiratie. Ça s’est fait au couteau et à la ciguë, derrière les murs du palais. Entre ses fils, il n’y a pas de rivalité et, s’ils avaient eu l’intention de se disputer, elle leur en a fait passer l’envie. »

Derrière Mohammed, on trouve cinq autres « Fatimides », d’une fidélité absolue à leur grand frère. Hamdane, ex-vice premier ministre, gouverne une province de l’Ouest ; Hazza dirige le gouvernement de l’émirat d’Abou Dhabi ; Tahnoun, le conseiller à la sécurité nationale, chapeaute les services secrets et se charge des basses besognes ; Mansour, propriétaire du club de football anglais de Manchester City, occupe le poste de vice-premier ministre des EAU et gère les affaires de la famille ; le petit dernier, Abdallah, est ministre des affaires étrangères. La gouvernance familiale mise en place par « MBZ » inclut son fils, Khaled, nommé à la tête de la sécurité d’Etat, le service de renseignement le plus important.

« Il dynamise le système »

Dans le premier cercle, on trouve aussi des technocrates de haut vol, comme le sultan Al-Jaber, le chef d’Adnoc, la compagnie nationale pétrolière, et Khaldoun Al-Moubarak, le patron du fonds Mubadala. Ces roturiers doivent tout à « MBZ ». « Il n’y a plus de compétition au sein de la fédération, il est le patron incontesté, même dans les autres émirats, confie un col blanc occidental officiant dans un organisme gouvernemental. Il a une capacité et une éthique de travail très fortes. Il dynamise le système tout entier. Tous les ministres sont dans la surenchère par rapport au superpatron. »

Lorsque « MBZ » prend le pouvoir, début 2014, la situation n’est pourtant guère brillante : prix du baril de brut en chute libre, dissensions avec les Etats-Unis de Barack Obama, chaos post- « printemps arabes », menées iraniennes, montée en puissance du voisin qatari… Les Emirats développent un complexe de citadelle assiégée. Infatigable raccommodeur des déchirures interarabes, Zayed, le patriarche, aurait probablement réagi par la palabre, sa marque de fabrique. « MBZ », militaire de formation, n’a pas de scrupules, lui, à user de la force.

Il appartient à la deuxième génération des monarques du Golfe. Non pas celle des chefs de tribu parvenus à la tête de cités-Etats richissimes après le choc pétrolier de 1973, mais celle des héritiers, traumatisés par l’invasion du Koweït par les troupes de l’Irakien Saddam Hussein, en août 1990, et par l’humiliant appel aux Américains pour libérer l’émirat. Sans renier le parapluie américain, « MBZ » s’est persuadé que les monarchies du Golfe ne pourraient compter que sur elles-mêmes pour assurer leur sécurité. « C’est un vrai chef de guerre, assure un diplomate. Son adage est : si vis pacem, para bellum [si tu veux la paix, prépare la guerre]. »

A l’indépendance des EAU, en 1971, alors que « MBZ » n’a que 10 ans, l’Iran s’est emparé des îles de la Grande et de la Petite Tomb, ainsi que de celle d’Abou Moussa, dans le golfe Persique. Ces trois îlots revendiqués par les Emirats sont une cause nationale dans ce pays. Ils symbolisent la menace que le mastodonte iranien (80 millions d’habitants) fait peser sur la petite fédération (10 millions d’habitants, dont 90 % sont des travailleurs immigrés). La méfiance à l’égard de Téhéran est une obsession cardinale chez « MBZ ». Il est persuadé – sans avoir complètement tort – que la République islamique veut prendre le contrôle du monde arabo-musulman.

Malheur aux barbus

Les Frères musulmans sont son autre bête noire. De la même façon qu’il a décapité le mouvement Al-Islah, la branche émiratie de la confrérie, dont tous les cadres ont été emprisonnés, il soutient tous ceux qui combattent cette mouvance dans le monde arabe. « Il a la conviction absolue que Daech [l’acronyme arabe de l’organisation Etat islamique] est le produit des Frères, raconte l’un de ses visiteurs étrangers. Il compare son approche aux guerres de religion en Europe. “Vous les avez eues, nous, on est en plein dedans”, répète-t-il. Il veut dépolitiser l’islam, le fonctionnariser pour contrer les discours extrémistes. »

Il n’en a pas toujours été ainsi. L’un des précepteurs de « MBZ « était membre des Frères musulmans. Il faisait partie de ce flot d’enseignants et de juristes égyptiens, souvent acquis à la cause islamiste, que les Emirats, nouvel Etat dépourvu de cadres, avaient recrutés dans les années 1970. C’est ainsi que le jeune Mohammed se serait entiché d’idées « fréristes » durant son adolescence. Quelques coups de canne paternels l’auraient fait changer de bord. Puis la découverte, dans les années 1990, de l’influence exercée par les Frères égyptiens au sein des ministères de l’éducation et de la justice, une forme d’entrisme perçue comme de la subversion, a incité les dirigeants d’Abou Dhabi à durcir leur position.

Les attentats du 11 septembre 2001, auxquels deux Emiratis ont participé, ont achevé de dresser « MBZ » contre l’islam politique. « La rupture définitive s’est produite en 2003, raconte le politiste Kristian Ulrichsen, spécialiste du Golfe. “MBZ” est allé voir les dirigeants d’Islah [la branche émiratie des « Frères »] et leur a demandé de cesser toute action politique. Ils ont négocié plusieurs mois d’affilée, mais Islah a refusé. “MBZ” en a conclu que les Frères musulmans représentaient une menace pour son pays et pour son pouvoir. »

La répression n’a pas touché que les « barbus ». Après les « printemps arabes » de 2011, qui ont donné des sueurs froides à tous les monarques du Golfe, les EAU se sont transformés en Etat policier. Cybersurveillance généralisée, médias mis au pas, quadrillage des villes par les caméras. Toutes les voix critiques de l’absolutisme émirati ont été embastillées, y compris les libéraux comme le militant des droits de l’homme Ahmed Mansour. Sous la férule de « MBZ », les Emirats ont pris la tête de l’axe contre-révolutionnaire dans le monde arabe.

Abou Dhabi à la manœuvre

Sa victoire la plus éclatante est le coup d’Etat du maréchal Al-Sissi, en juillet 2013, contre le président islamiste Mohamed Morsi, premier dirigeant démocratiquement élu de l’histoire de l’Egypte, qui décédera en prison six ans plus tard. Une manœuvre soutenue et très probablement financée par Abou Dhabi. « MBZ » prenait ainsi une double revanche, sur les Frères et sur Barack Obama, coupable d’avoir lâché un allié fidèle, Hosni Moubarak, le raïs égyptien renversé en 2011 par le soulèvement de la place Tahrir.

LA PROPENSION DE « MBZ » À S’INGÉRER DANS LES AFFAIRES DE PAYS ÉTRANGERS SE RETROUVE JUSQU’EN FRANCE, OÙ LE FRONT NATIONAL A BÉNÉFICIÉ DE SES LARGESSES PAR LE PASSÉ

Le président américain est décidé, en cette année 2013, à éprouver son partenaire émirati. En septembre, il donne son feu vert à un plan de levée des sanctions commerciales sur l’Iran en échange du gel de son programme nucléaire. L’administration américaine laisse parallèlement les mains libres à Téhéran pour défendre son allié syrien, Bachar Al-Assad, en proie à une insurrection armée qu’il bombarde à l’arme chimique, sans que Washington réagisse comme Obama avait promis de le faire. Les monarchies du Golfe paniquent : la République islamique va pouvoir renflouer ses caisses ainsi que celles de ses milices au Proche-Orient, le bras armé de sa politique d’expansionnisme. Pour « MBZ », le parapluie américain ne fonctionne plus. Il faut donc influencer celui qui le tient.

Le prince émirati prend langue avec Donald Trump, sans même attendre son installation à la Maison Blanche. Durant l’enquête sur les interférences de la Russie dans la course à la présidence américaine, le procureur indépendant Muller s’est penché – sans l’élucider – sur un mystérieux rendez-vous organisé le 11 janvier 2017 aux Seychelles entre des responsables émiratis, des proches du milliardaire et un émissaire de Vladimir Poutine. Pendant la campagne déjà, l’intermédiaire libano-américain George Nader, l’un de ces hommes de l’ombre dont « MBZ » raffole, avait approché Donald Trump. Quelques mois plus tard, le hacking de la boîte mail de l’ambassadeur des EAU à Washington – une fuite orchestrée par un mystérieux site Internet russe, soupçonné d’être un faux-nez des Qataris – révélera l’étendue du lobbying d’Abou Dhabi dans les corridors du pouvoir américain.

La propension de « MBZ »  à s’ingérer dans les affaires de pays étrangers se retrouve jusqu’en France, où le Front national a bénéficié de ses largesses par le passé. Et en Inde, où le premier ministre, Narendra Modi, jouit du soutien infaillible d’Abou Dhabi, en dépit de sa politique antimusulmans. Son goût pour les leaders autoritaires, hostiles à l’islam politique et peu regardants sur l’Etat de droit et la protection des minorités, est manifeste. Le seul « homme fort » à lui déplaire est le Turc Recep Tayyip Erdogan, trop islamiste. Selon une source qatarie, le dirigeant émirati s’est d’ailleurs précipité à Doha, au lendemain du coup d’Etat raté en Turquie de juillet 2016, pour tenter de convaincre l’émir Tamim, proche d’Ankara, de sa non-implication dans la tentative de putsch.

Fiasco au Qatar et au Yémen

Avec Trump au pouvoir, « MBZ » a pu donner libre cours à son hubris. Il a poussé la nouvelle administration américaine à sortir de l’accord sur le nucléaire iranien et à réinstaller des sanctions contre Téhéran, plus dures que jamais. En contrepartie, l’homme fort des Emirats offrira au « plan de paix » de Donald Trump un soutien remarqué, jetant par-dessus bord l’engagement propalestinien de son père. La mise sous embargo du Qatar par ses voisins, décidée en 2017, est aussi un produit dérivé de l’ère Trump. Le souverain de Doha, Tamim Al-Thani, a le malheur d’être en bons termes avec Téhéran et d’entretenir des relations avec des groupes islamistes. Insupportable pour « MBZ ». En plus de couper toutes relations économiques et diplomatiques avec l’émirat honni, le leader émirati lance une gigantesque opération d’intrusion dans les smartphones de centaines de personnalités jugées pro-Qatar, dont des journalistes occidentaux.

Mais ces pressions et ces manigances ont fait long feu. Le Pentagone et le département d’Etat ont convaincu le locataire de la Maison Blanche, initialement conquis par le Qatar-bashing des Emirats, qu’il serait insensé d’abandonner le pays abritant le quartier général des forces américaines au Moyen-Orient. En quelques semaines, Doha a trouvé la parade au blocus commercial de ses voisins, qui s’est retourné contre le port de Dubaï, privé de ses très fortunés clients qataris. C’est un échec cinglant, mais le dirigeant émirati s’entête – il s’agit là d’un autre aspect de sa personnalité. « Il est très calme, très cérébral, il parle lentement, c’est indéniablement un homme d’Etat, analyse un diplomate. Mais il est aussi très sûr de lui, persuadé d’avoir raison et il ne supporte pas la contradiction, ni la nuance : vous êtes avec lui ou contre lui. »

La guerre au Yémen, lancée en 2015, a elle aussi viré au fiasco. Un désastre militaire doublé d’un cataclysme humanitaire. Abou Dhabi, dont les troupes se sont engagées au sol contrairement à l’allié saoudien, a toutefois mieux tiré son épingle du jeu que Riyad. Moyennant des alliances parfois contre-nature avec les séparatistes sudistes ou des forces salafistes, les Emiratis ont réussi à s’implanter dans le sud du pays et à prendre le contrôle de l’île de Socotra et du port d’Aden, qui commandent l’accès à la mer Rouge et à l’océan Indien. Cette stratégie a eu un coût : des pertes élevées parmi les forces émiraties, notamment dans les émirats du Nord, les plus pauvres de la fédération. Ce qui a obligé « MBZ » à rendre visite aux familles endeuillées pour éviter que la grogne ne monte dans le pays, habitué à des temps plus paisibles.

Le rôle du grand frère

C’est à l’occasion de cette guerre que « MBZ » a noué une alliance avec Mohammed Ben Salman, le jeune prince héritier d’Arabie saoudite, l’homme qui a autorisé les femmes à conduire, qui fait venir dans le royaume les stars de la scène électro et veut sortir du tout-pétrole. Le maître d’Abou Dhabi soutient à 100 % ce programme modernisateur. D’autant qu’il s’inspire ouvertement du modèle de développement des Emirats, consistant à découpler le libéralisme culturel et sociétal du libéralisme politique. Oui au divertissement et à la liberté de culte, non au droit de vote et à la liberté d’expression.

Dans ce duo, « MBZ » est le mentor, le grand frère patient et magnanime. Pour parvenir à ses fins, il ferme les yeux sur les pires gaffes de son jeune protégé, comme la séquestration de l’ex-premier ministre libanais Saad Hariri et l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi. « “MBZ” veut exporter le modèle émirati, en faire un modèle pour le monde musulman », pointe un observateur averti de la politique émiratie. « Dans son esprit, il s’agit d’une nouvelle Nahda », ajoute-t-il en référence au mouvement de renaissance culturel et intellectuel qu’a connu le monde arabe à la fin du XIXe siècle. Etrange renaissance qui s’accompagne d’une surveillance massive, de coups tordus, d’un lobbying effréné et de violations en série des droits de l’homme…

« MBZ » n’est pas encore officiellement le président de la fédération, ni même l’émir d’Abou Dhabi. Mais cela ne l’empêche pas de préparer déjà sa succession. Sultan, le fils aîné de Khalifa, le chef d’Etat en titre, a été écarté de la vie publique. Parmi les frères de « MBZ », les fameux « Fatimides », Hazza s’y verrait bien, mais il est le seul à y croire. Mansour, immensément riche et très intelligent, est marié à la fille du cheikh de Dubaï, ce qui est autant un avantage qu’un inconvénient. Sa mise en cause dans un méga-scandale de détournement de fonds en Malaisie a fait pâlir son étoile. En fait, la plupart des observateurs estiment que « MBZ » prépare son fils Khaled pour lui transmettre le pouvoir une fois le moment venu. C’est-à-dire dans longtemps.

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9 mai 2020

La Russie maintient sa parade aérienne du 9 mai malgré la pandémie de Covid-19

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Le défilé terrestre est quant à lui bien reporté.

Après avoir annoncé en raison de la pandémie l’ajournement du défilé de la Victoire, tenu traditionnellement le 9 mai, le président russe Vladimir Poutine a finalement décidé d'organiser une parade aérienne à cette date, afin de commémorer le 75e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Toutes les autres composantes habituelles de cet événement ont néanmoins été reportées, y compris la parade, à travers Moscou et sur la place Rouge, de plus de 14 000 soldats, accompagnés de 300 pièces d'équipement militaire. Il n'y aura pas non plus de vétérans sur la principale place du pays, ni de badauds profitant de l'événement dans les rues de la capitale.

La partie aérienne de la parade militaire annuelle devrait avoir lieu à 10 heures, heure de Moscou. Les Moscovites pourront voir les avions voler juste au-dessus de leurs têtes, tandis que les autres pourront suivre ce show en ligne, via le site et la chaîne YouTube du ministère russe de la Défense. On s'attend à ce que 75 appareils participent au spectacle aérien.

Des Mi-8, accompagnés de Mi-26, largement utilisés par les militaires russes et étrangers dans des opérations à travers le monde, inaugureront ainsi le « défilé aérien », tandis que des hélicoptères de combat et de transport de la famille Mil voleront au-dessus de la place Rouge. Ces oiseaux de métal seront suivis d'un escadron de Mi-28 (« Havocs »), des hélicoptères d'attaque modernes tous temps, capables d’effectuer des tâches de combat tout en volant à grande vitesse et à des altitudes extrêmement basses.

D'autres « monstres aériens » de l'industrie des hélicoptères russes (des Ka-52 « Alligators », désignés « Hokum B » par l’OTAN) rugiront également dans le ciel. Ces appareils ont gagné leur réputation grâce au fait qu’ils s’avèrent les seuls hélicoptères en mesure d'effectuer des acrobaties aériennes. En Russie, le Ka-52 et son prédécesseur, le Ka-50 « Black Shark », ont été choisis comme hélicoptères de soutien des forces spéciales, tandis que le Mi-28 est devenu l’appareil de combat principal de l'armée.

Juste après eux, le plus grand avion de transport aérien stratégique du monde, l'An-124 Ruslan (« Condor »), devrait survoler Moscou. Il sera accompagné de plusieurs avions A-50 (« Mainstay ») équipés de systèmes d'alerte et de contrôle aéroportés.

Les meilleurs avions de chasse russes, le MiG-29, le Su-30SM, ainsi que le Su-35S, seront ensuite de la partie et six Su-25 clôtureront enfin le défilé de façon spectaculaire en dessinant le drapeau russe avec des traînées de fumée colorées.

Y aura-t-il une partie terrestre de la parade ?

Oui, mais plus tard dans l'année, une fois la pandémie passée.

Les 14 000 soldats sélectionnés, accompagnés de plus de 300 engins militaires, défileront tous à Moscou. Les gens, comme toutes les années précédentes, pourront alors suivre la parade dans les rues, prendre des photos et célébrer avec les vétérans de la Seconde Guerre mondiale le 75e anniversaire de la Victoire.

Source :  Russia Beyond

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9 mai 2020

Venezuela : la déroute des mercenaires américains

Une opération contre Maduro montée par un ancien béret vert s’est soldée par la mort de huit hommes

WASHINGTON - correspondant Le Monde

Donald Trump s’est montré grinçant, vendredi 8 mai, sur Fox News, en commentant le fiasco. Cinq jours plus tôt, les autorités vénézuéliennes avaient annoncé l’échec d’une tentative de débarquement d’une formidable armada rebelle résumée à deux esquifs et à une vingtaine d’hommes. « Elle n’était manifestement pas dirigée par le général George Washington », a-t-il ironisé. « Ce n’était pas une bonne attaque. Je pense qu’ils ont été pris avant même qu’ils soient à terre. Si nous devions faire quelque chose avec le Venezuela, on ne s’y prendrait pas comme ça », a ajouté M. Trump, qui souhaite ouvertement le départ de Nicolas Maduro.

Il est rare qu’un pareil naufrage soit annoncé à l’avance par une agence de presse. C’est pourtant ce qui s’est produit pour cette rocambolesque équipée. Le 1er mai, le journaliste de l’agence Associated Press Joshua Goodman publie une dépêche consacrée à « la tentative ratée pour chasser Maduro conduite par un ancien béret vert ». L’article décrit minutieusement les efforts déployés par un ex-militaire américain, Jordan Goudreau, pour mettre sur pied une petite milice capable de débarquer sur les côtes vénézuéliennes afin de déclencher un soulèvement général.

Nostalgie de la baie des Cochons

Un seul détail manque au récit : l’opération présentée comme avortée va avoir vraiment lieu, deux jours plus tard. Elle se solde par la mort de huit insurgés et par la capture des autres, dont deux ressortissants américains, et ravive le souvenir d’un passé de soldats de fortune et de coups tordus des Etats-Unis en Amérique latine.

Tout commence un an plus tôt, après une tentative déjà ratée de coup d’Etat contre Nicolas Maduro, en avril 2019. A cette époque, le conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump, John Bolton, nostalgique revendiqué de la débâcle anticastriste de la baie des Cochons, en 1961, pèse de tout son poids pour convaincre une partie du régime vénézuélien de se retourner contre l’héritier d’Hugo Chavez. Sans succès.

Quelques semaines plus tard, une coalition hétéroclite se retrouve dans un grand hôtel de Bogota, en Colombie. Il y a là des opposants historiques, des renégats du chavisme et les inévitables mercenaires, représentés par Jordan Goudreau, qui a servi en Irak et en Afghanistan. L’ancien soldat a été chargé en février, dans ce même pays, de la sécurité d’un concert de soutien à Juan Guaido, le président autoproclamé du Venezuela, reconnu par les Etats-Unis et une bonne partie des pays d’Amérique latine et d’Europe. Le concert a été financé par le magnat britannique Richard Branson.

Les lettres de créance de Jordan Goudreau, basé à Miami et qui a fondé sa propre société de sécurité après avoir quitté l’armée, sont minces. Il ne peut guère mettre en avant qu’un lien ténu avec l’ex-garde du corps de M. Trump, Keith Schiller. Interrogée par les autorités colombiennes, intriguées par ce ballet, l’Agence centrale de renseignement (CIA) américaine nie d’ailleurs tout lien avec l’ancien béret vert. Ce dernier s’appuie sur un ancien chaviste, Cliver Alcala, qui avait rang de général avant de se retourner contre le régime, et qui ronge son frein en Colombie.

Des proches de Juan Guaido se rapprochent de l’attelage. Un conseiller du président autoproclamé, Juan José Rendon, qui vit à Miami, signe un contrat avec la société du béret vert, puis le lien se distend. Imperturbables, les putschistes rassemblent en Colombie dans trois camps d’entraînement de maigres troupes composées principalement de militaires qui ont fait défection. Les moyens manquent plus que les ego, alors que Jordan Goudreau a fixé le budget de ce coup d’Etat à 1,5 million de dollars (1,37 million d’euros), mais l’ancien béret vert continue d’aller de l’avant. Puis tout s’emmêle.

En mars, les forces de sécurité colombiennes interceptent une cargaison d’armes, probablement destinée aux putschistes, d’une valeur de 150 000 dollars. Puis Cliver Alcala est rattrapé par son passé au sein du régime vénézuélien. Poursuivi par la justice américaine pour sa participation à un trafic de drogue, il se constitue prisonnier et est placé en détention provisoire dans une prison de New York. Vraisemblablement infiltrés par le renseignement vénézuélien, les trois camps d’entraînement de fortune se vident d’une bonne partie de leurs hommes.

Le projet de Jordan Goudreau devient le 1er mai le secret le mieux partagé, mais l’ancien béret vert refuse de renoncer. Deux jours plus tard, deux embarcations sont interceptées par les forces de Nicolas Maduro. Des coups de feu sont échangés. Huit insurgés périssent. Deux Américains sont faits prisonniers. Il s’agit de Luke Denman, un ancien des forces spéciales américaines, auxquelles il a appartenu de 2006 à 2011, et d’Airan Berry, lui aussi ancien des forces spéciales, de 1996 à 2013.

Prises de guerre

Le béret vert est bien le seul à défendre la tentative. L’entourage de Juan Guaido assure n’être lié ni de près ni de loin au désastre. Washington fait de même. « Il n’y a pas eu de participation directe du gouvernement américain à cette opération, déclare le 6 mai le secrétaire d’Etat, Mike Pompeo. Si nous avions été impliqués, ça se serait passé différemment. »« Nous voulons ramener tous les Américains à la maison », poursuit Mike Pompeo dans une allusion aux deux hommes capturés, que Caracas exhibe comme de précieuses prises de guerre, et les preuves d’un complot d’Etat ourdi à la Maison Blanche. « Si le régime de Maduro décide de les placer en détention, nous utiliserons tous les outils dont nous disposons pour essayer de les récupérer », avertit le secrétaire d’Etat.

Fernando Cutz, chargé du dossier du Venezuela au sein du Conseil de sécurité nationale sous Barack Obama et pendant les premiers mois du mandat de Donald Trump, est formel : « Je ne crois pas que mes collègues qui sont toujours là auraient pu être impliqués dans une chose pareille, c’était clairement l’œuvre d’amateurs. » Personne pour autant n’a affirmé tomber des nues à Washington. « Nous ne sommes pas prêts à partager plus d’informations sur ce qui s’est passé », a d’ailleurs déclaré le secrétaire d’Etat.

« On peut supposer qu’à un certain niveau, il y a eu des individus au sein du gouvernement américain qui ont été probablement largement au courant de ces individus par le biais du renseignement et d’autres canaux, poursuit Fernando Cutz. Mais je ne pense pas que cela a pu remonter jusqu’au président ou au gouvernement. Et je crois que cela n’a jamais pu être pris au sérieux. »

Depuis Miami, où il avait annoncé le début de l’opération, l’ancien béret vert peut mesurer l’étendue des dégâts : l’entreprise destinée à abattre Nicolas Maduro l’a en fait renforcé.

9 mai 2020

Démocratie - À Hong Kong, Pékin profite de la pandémie pour sortir l’artillerie lourde

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BAODAOZHE (THE REPORTER) (TAIPEI)

Une vague d’arrestations dans le camp démocrate et l’appel au recours à l’article 23 de la Loi fondamentale de Hong Kong signalent la volonté de Pékin de profiter de l’épidémie pour reprendre la main sur le territoire, observe le Baodaozhe, un journal de Taïwan.

Le 18 avril dernier, de bon matin, la police hongkongaise a fait irruption chez Jimmy Lai Chee-ying, le fondateur du groupe de presse Next Digital [éditeur notamment du très populaire et indépendant Apple Daily], pour procéder à son arrestation. Quatorze autres personnalités du clan démocrate à Hong Kong ont subi le même sort.

Parmi eux, le cas qui a retenu le plus l’attention est celui de Martin Lee Chu-ming, 81 ans, surnommé respectueusement “le Père de la démocratie” par les Hongkongais. C’était la première fois en plus de cinquante ans de militantisme en faveur de la démocratie que cet éminent avocat, défenseur de nombreuses personnalités du camp démocrate, était interpellé.

Plus de place pour les modérés

Cette vague d’arrestations est motivée par la participation illégale des personnes interpellées à des rassemblements non autorisés contre le projet de loi d’extradition l’an dernier. [Ce texte a provoqué l’ire des Hongkongais, qui y voient un affaiblissement du pouvoir judiciaire du territoire face à Pékin.]

Contrairement aux contestataires hongkongais plus jeunes, plutôt jusqu’au-boutistes, ces figures du clan démocrate sont pour la plupart des partisans d’une réunification démocratique qui demandent seulement à Pékin de tenir ses engagements en accordant une véritable autonomie étendue à Hong Kong selon le principe “un pays, deux systèmes”.

Ces événements montrent qu’il n’y a quasiment plus de place pour la ligne modérée, que ce soit au sein de la société hongkongaise ou pour Pékin.

Résultat d’une escalade

Il faut donc voir dans cette vague d’interpellations un symbole. Voici ce qu’a tweeté à ce propos Tim Culpan, écrivain et chroniqueur de Bloomberg, résidant depuis longtemps à Taïwan :

Selon moi, le 18 avril 2020 restera une date historique, celle du jour où la Chine a renoncé à prétendre vouloir ‘réunifier pacifiquement Taïwan’. La façon dont Pékin traite Hong Kong ne peut être dissociée de celle dont elle compte traiter Taïwan.”

En fait, les nouvelles qui se succédaient laissaient présager une répression imminente.

Le 13 avril, les deux Bureaux de Hong Kong (le Bureau des affaires de Hong Kong et Macao, organe de l’administration chinoise chargé des liens avec les deux villes, et le Bureau de liaison avec la Chine) avaient accusé violemment le député du Parti civique [démocrate] Dennis Kwok de faire de “l’obstruction parlementaire” pour retarder l’élection du président de la commission des lois [du LegCo, l’assemblée législative], estimant qu’il violait ainsi son serment parlementaire.

Le 14 avril, des hauts magistrats confiaient à l’agence de presse Reuters leur inquiétude de voir l’indépendance judiciaire de Hong Kong menacée par la tentative de Pékin de peser sur leur droit de statuer en dernier ressort.

L’article 23 au cœur du contentieux

Le fait le plus marquant a eu lieu le 15 avril. Ce jour-là, Luo Huining, le nouveau responsable du Bureau de liaison avec la Chine, en poste depuis janvier, a rouvert le dossier brûlant de la mise en œuvre de l’article 23 de la Loi fondamentale.

Cet article stipule que les autorités doivent introduire une loi sur la sécurité nationale avec pour objectif d’interdire les actes de trahison, sécession, sédition et subversion sur le sol hongkongais. [Cet article est controversé car considéré comme portant atteinte à la liberté d’expression à Hong Kong et au principe “un pays, deux systèmes”.]

Luo Huining a souligné que, depuis sa rétrocession à la Chine en 1997, Hong Kong constitue une brèche dangereuse pour la sécurité nationale de la Chine, en permettant l’intrusion de forces étrangères. Pour y remédier au plus vite, il a indiqué qu’il fallait prendre des dispositions.

Les administrateurs chinois s’imposent

Le 18 avril, dans la soirée, après la grande vague d’arrestations, les deux Bureaux ont par ailleurs tenu à rappeler que Pékin leur avait conféré la mission de s’occuper des affaires hongkongaises.

Ils avaient à ce titre le droit de les superviser au nom du gouvernement central, et ce sans se soumettre à l’article 22 de la Loi fondamentale qui stipule pourtant que “aucun département du gouvernement central ne peut interférer dans les affaires de la Région administrative spéciale de Hong Kong”.

Cette nouvelle interprétation de l’article 22 [qui garantit à Hong Kong l’indépendance de son système] par les deux Bureaux a soulevé un tollé dans la société hongkongaise.

Agir vite

Pékin ne voudrait-il pas profiter de ce que les États-Unis et la communauté internationale sont accaparés par la lutte contre l’épidémie pour se dépêcher de mettre à exécution ce projet, avant les élections législatives en septembre à Hong Kong ?

En fait, la nomination en début d’année de Luo Huining, qui n’a jamais géré de dossiers en rapport avec Hong Kong et Macao, qui connaît mal la sphère politique et les milieux d’affaires hongkongais, et qui a plutôt l’âge de prendre sa retraite, avait déjà été interprétée par de nombreux observateurs comme le signe qu’il aurait pour mission de mettre en place l’article 23.

De plus, ces derniers jours, le très controversé représentant du clan constructif [pro-Pékin], Junius Ho, a plaidé à maintes reprises pour l’application de l’article 23 ; avec le groupe Alliance 23 fondé par plusieurs organisations pro-Pékin, il a lancé une pétition en ligne en faveur de cette mesure, en prétendant qu’elle aurait recueilli 1 million de signatures.

Un territoire sous tension

Rappelons-nous ! La dernière fois que Pékin a tenté de faire passer l’article 23, c’était également en pleine épidémie, en 2003, alors que la crise sanitaire du Sras venait d’éclater à Hong Kong. Plus de 500 000 manifestants avaient défilé dans les rues pour protester contre une telle décision, qui avait finalement été suspendue. Mais, dix-sept ans plus tard, les circonstances sont tout autres.

Peu après l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en 2012, a éclaté le mouvement des parapluies, qui a incarné durant soixante-dix-neuf jours le combat pour le suffrage universel du clan démocrate hongkongais.

L’an dernier, le mouvement contre le projet de loi d’extradition vers la Chine a secoué le territoire pendant plus de six mois, avec des manifestations qui ont fait descendre dans la rue jusqu’à 2 millions de personnes ; même la situation politique à Taïwan en a été profondément influencée. Cette année, Hong Kong est de plus confronté à une pandémie d’une ampleur inédite depuis cent ans. Les tensions à la fois intérieures et extérieures qui s’exercent sur le territoire sont bien supérieures à celles de 2003.

Une détresse invisible en pleine pandémie

Mais la détresse de Hong Kong est désormais moins visible du monde extérieur.

Le mouvement de protestation contre le projet de loi sur l’extradition, qui a démarré en juin dernier, est allé crescendo jusqu’à la mi-novembre, avec les universités de Hong Kong (HKU) et polytechnique (PolyU), théâtres de véritables batailles rangées.

Suite à ces événements, le clan démocrate a remporté une victoire écrasante avec 80 % des suffrages lors des élections pour les conseils de district le 24 novembre. Il a alors mis en sourdine le combat qu’il menait depuis plus de six mois.

Du fait de la diminution des scènes sanglantes et héroïques d’opposition courageuse, et des ravages de l’épidémie dans tous les pays, qui, trop débordés, n’ont plus le temps de s’intéresser à la situation des autres, l’attention médiatique dont faisait l’objet Hong Kong a nettement reculé. Nul doute que les gouvernements hongkongais et de Pékin ont pris cet élément de compte.

Une volonté de tout écraser

Voilà donc que la promesse faite dans les années 1980 d’accorder à Hong Kong “un haut degré d’autonomie selon le principe : ‘un pays, deux systèmes’” fait l’objet d’une nouvelle interprétation quarante ans après ! Cela n’a rien d’étonnant pour ceux qui connaissent bien l’histoire du Parti communiste chinois.

Le PCC a toujours su réajuster merveilleusement et rapidement sa ligne au gré de l’évolution de la situation. Une fois qu’il tient bien en main les rênes du pouvoir, il peut tout à son gré interpréter ensuite les choses dans un sens favorable à ses propres intérêts.

Il importe peu au gouvernement chinois, poussé par une logique de rapport de forces, que les Hongkongais s’éloignent de plus en plus de lui… Signe d’une volonté de tout écraser.

Lin Yiting

Source - Baodaozhe (The reporter)

TAIPEI https://www.twreporter.org/

8 mai 2020

La "Pénurie" Alimentaire | COVID-19

La crise alimentaire sera-t-elle plus meurtrière que la crise sanitaire ? Ruptures des flux d'approvisionnement, surstock et arrêt des exportations de céréales, manque de main d'oeuvre pour les récoltes : Qu'en est-il de la France ? On fait le point dans la seconde moitié de cette vidéo !

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7 mai 2020

En Colombie, «la pandémie rend les violences encore plus invisibles»

Par Anne Proenza, correspondante à Bogotá 

Le confinement n’a pas fait baisser le nombre d’assassinats politiques dans le pays, où des groupes armés illégaux étendent leur contrôle sur les territoires. Depuis mars, 30 personnes ont été tuées.

Les restrictions de circulation et les mesures de quarantaine n’y changent rien, au contraire. Les assassinats politiques continuent en Colombie. Rares sont les jours sans crimes ou menaces contre ceux qu’on appelle les «leaders sociaux». Ce sont les hommes et les femmes qui luttent pour les droits de leurs communautés à récupérer leurs terres, tentent de préserver l’environnement mis à mal par des méga-projets miniers, s’opposent aux pouvoirs locaux ou gênent les groupes armés dans leurs activités, en tentant par exemple de mener à bien des programmes de substitutions de cultures illégales de coca ou de marijuana. Tout cela dans des régions souvent très éloignées de la capitale.

Balles

«Je suis préoccupé par la pandémie, mais plus encore pour notre situation en tant que leaders sociaux. On continue à nous tuer», explique par téléphone Hector Carabali qui a dû abandonner son village dans le département du Cauca il y a deux ans pour se protéger. Au total, selon l’ONG Indepaz, près de 30 personnes ont été tuées depuis le premier cas de Covid-19 détecté début mars, et plus de 800 depuis la signature de l’accord de paix avec l’ancienne guérilla des Farc en novembre 2016. Au-delà de ces chiffres morbides, «les leaders sociaux représentent le capital humain des territoires», s’exclame le sénateur de gauche Iván Cepeda.

Par temps de pandémie, les sicaires font irruption d’autant plus facilement chez leurs victimes qu’elles sont confinées. Le 29 avril, des tueurs ont criblé de balles Alvaro Narváez Daza dans sa ferme près du village de Mercaderes, dans le sud du Cauca, le tuant ainsi que son épouse, l’un de ses fils et sa petite-fille. Cultivateur, il était président du conseil d’action communale de son hameau. «La pandémie rend les violences encore plus invisibles, les médias étant occupés ailleurs», dit Sirley Muñoz, de la plateforme Somos Defensores («nous sommes défenseurs») qui, dédiée à protéger les défenseurs des droits de l’homme, vient de lancer une campagne intitulée «Le virus de la violence».

«La situation est vraiment complexe, on ne peut plus se réunir, ni s’informer ni se déplacer pour se protéger, et les assassins se fichent bien de respecter la quarantaine», ajoute un dirigeant politique du département du Cauca, particulièrement touché ces dernières semaines. «Les groupes armés illégaux semblent profiter de l’enfermement de la majorité de la population pour étendre leur présence et leur contrôle sur les territoires», s’est aussi inquiété fin avril le Haut Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies.

La violence politique n’est pas nouvelle en Colombie. «C’est une dynamique qui vient d’époques antérieures», souligne Iván Cepeda, dont le père, dirigeant communiste, avait été assassiné en 1994 par les paramilitaires. Mais le retard de mise en œuvre de l’accord de paix signé avec la guérilla des Farc en 2016 dans les régions a réactivé les violences et entraîné une recrudescence de la guerre à un niveau qu’on avait cru révolu. Les groupes armés organisés, comme les appelle le gouvernement, qui met dans le même sac d’anciennes structures paramilitaires, des cartels de drogue, la guérilla de l’Armée de libération nationale (ELN) ou des dissidents des Farc se disputent les territoires laissés par les Farc avant leur réincorporation à la vie civile. Dans le Cauca, riche en minerais et où les cultures de feuilles de coca ont beaucoup augmenté, les acteurs armés se disputent, entre autres, les couloirs d’accès au Pacifique. La plupart des leaders interrogés s’étonnent de l’inaction de l’armée lors des violences contre les populations civiles. Celles-ci ont lieu «dans des régions fortement militarisées», dit Iván Cepeda. Et d’ajouter : «On peut donc se poser la question de la connivence entre les autorités et le narcotrafic.»

Optimisme

Début mars, le cessez-le-feu unilatéral annoncé par l’ELN pour un mois (lire Libération du 2 avril) avait fait souffler un bref vent d’optimisme. La diminution des violences sur les territoires contrôlés par cette guérilla, née comme les ex-Farc dans les années 60, laissait espérer une reprise des négociations de paix avec le gouvernement, rompues depuis plus d’un an.

Mais le cessez-le-feu a pris fin le 30 avril. Pablo Beltrán, un des dirigeants du groupe armé, a assuré que son organisation «écartait» tout nouveau cessez-le-feu unilatéral. Interviewé de La Havane samedi par le journal télévisé indépendant Noticias Uno, où il est bloqué depuis la rupture des négociations, il a expliqué que le «gouvernement en avait profité pour lancer des attaques offensives» à leur encontre. Et ajouté que l’ELN n’était pas «responsable» d’assassinats de leaders sociaux.

Le gouvernement a annoncé fin avril la mise en place d’un mécanisme de «soumission à la justice» pour inciter les acteurs armés à se démobiliser, quelle que soit leur appartenance et sans nécessité de pourparlers de paix. Dans la foulée, le Président, Iván Duque (droite), a annoncé la démobilisation de 20 guérilleros de l’ELN. Ce mécanisme, utilisé par l’ex-président Uribe, suscite cependant beaucoup de méfiance. Il a donné lieu dans les années 2000 à plusieurs fausses (mais médiatiques) démobilisations.

7 mai 2020

Pérou : Maria Antonieta Alva, jeune ministre de l’Économie "héroïne" de la lutte contre le Covid-19

perou ministre economie

María Antonieta Alva est ministre de l'Économie du Pérou depuis octobre 2019. REUTERS - Guadalupe Pardo

Texte par Sébastian SEIBT

À 35 ans, la jeune ministre péruvienne de l’Économie Maria Antonieta Alva a fait mentir ses détracteurs en mettant en place le plan de soutien à l’économie le plus ambitieux d’Amérique du Sud pour faire face au Covid-19. Une prouesse qui lui vaut d’être devenue l’une des figures politiques les plus populaires du moment.

"Rock star" pour Bloomberg, "héroïne" de la lutte contre la pandémie pour le Wall Street Journal. Maria Antonieta Alva est l'une des rares responsables politiques dans le monde à voir sa cote de popularité exploser à la faveur de la pandémie de Covid-19. La jeune ministre péruvienne de l'Économie bénéficie de 75 % d'opinion favorable dans un pays "qui a pourtant une tradition historique de défiance envers le personnel politique et les institutions", souligne le Wall Street Journal.

En poste depuis seulement sept mois, cette femme de 35 ans est devenue, depuis le début de l'épidémie, le visage de l'un des plans de soutien à l'économie les plus ambitieux au monde. Et la figure centrale du gouvernement "anti-corruption" et qui se dit apolitique, mis en place en octobre 2019 par le président Martin Vizcarra. Des banderoles louant le "courage et la dignité" de Maria Antonieta Alva ont été déployées sur des ponts surplombant des axes routiers à Lima, tandis qu'une vidéo à la gloire de la ministre, sur fond de musique salsa, est rapidement devenue virale.

Une "millennial" face au Covid-19

Même l'émission racoleuse Magaly TV sur la chaîne locale ATV a laissé tomber un temps ses habituels reportages sur les ragots du show-biz pour consacrer, le mois dernier, un portrait à celle qui est devenue "la femme du moment".

Rien ne semblait pourtant prédestiner Maria Antonieta Alva à incarner les espoirs de tout un pays de surmonter la crise sanitaire sans trop de dégâts économiques. Sa nomination au poste de ministre de l'Économie et des Finances avait été plutôt froidement accueillie par la majorité des commentateurs politiques. Son jeune âge et son inexpérience du très complexe et chaotique jeu politique péruvien étaient perçus comme autant de défauts pour gérer un portefeuille aussi sensible que celui de l'économie.

Au mieux, elle était considérée comme une jeune femme brillante, passée par la prestigieuse Universidad del Pacífico de Lima et la non moins célèbre université d'Harvard, aux États-Unis, qui risquait de se brûler les ailes en étant mise trop tôt à un poste trop en vue. Au pire, elle était vue comme un pur produit de la "bureaucratie péruvienne", qui n'avait été nommée que pour être la caution "millennial" du gouvernement. Avant de prendre les rênes de l'économie, Maria Antonieta Alva a passé les dernières années à superviser la gestion des finances en coulisses à différents postes de l'administration, dont celui de responsable du secrétariat au Budget.

Avec l'arrivée de l'épidémie, cette bosseuse au look austère s'est retrouvée à devoir inventer en urgence un plan de soutien à l'économie du pays d'Amérique du Sud le plus touché par le Covid-19 après le Brésil, avec 47 372 cas déclarés à ce jour. Maria Antonieta Alva a, alors, frappé fort en annonçant une enveloppe de 26 milliards de dollars, soit l'équivalent de 12 % du PIB national. "En terme macroéconomique, le Pérou est le pays d'Amérique latine qui fait l'effort économique le plus important", constate Ricardo Hausmann, un économiste d'Harvard interrogé par Bloomberg. Les efforts budgétaires du Brésil ou du Chili, deux pays voisins, ne s'élèvent qu'à 7 % du PIB.

Même au niveau mondial, peu de pays peuvent se prévaloir de mettre autant d'argent sur la table, comparativement à la taille de leur économie, pour limiter les dégâts causés par le coronavirus. Le plan d'aide "historique" des États-Unis ne correspond qu'à 10 % du PIB, tandis que les 110 milliards d'euros débloqués par la France début avril sont l'équivalent d'un peu moins de 5 % du PIB.

Les plus pauvres et les petites entreprises d'abord

Il faut dire que le Pérou bénéficiait d'une situation financière bien plus saine que celle des autres pays d'Amérique latine qui, à l'instar du Brésil, devaient déjà faire face à de sérieux problèmes économiques avant le début de l'épidémie. Traumatisé par l'hyperinflation des années 1980, le Pérou a commencé, dès 1993, à limiter les dépenses, s'interdisant même d'avoir un déficit qui dépasserait les 30 % du PIB. Résultat : en 2018, son déficit ne s'élevait qu'à 23 % du PIB. Revers de la médaille, les secteurs de santé et de l'éducation du Pérou sont parmi les moins bien financés d'Amérique latine.

C'est comme si le pays s'était préparé depuis près de 30 ans à faire face à une situation de crise où il lui faudrait puiser généreusement dans ses réserves. Et Maria Antonieta Alva n'a pas hésité. "L'argent ne doit pas être un problème" a-t-elle déclaré, mi-avril, avant de détailler comment elle comptait dépenser les fonds.

Ce sont ses choix qui lui ont valu la sympathie d'une grande partie de la population, car ils font l'impasse sur le soutien aux grandes groupes pour se concentrer presque exclusivement sur les plus démunis et les petites entreprises. Son plan prévoit, dans un premier temps, de venir en aide au secteur hospitalier, sous pression financière depuis des années à cause de la politique d'austérité qui est la marque de fabrique du Pérou. Ensuite, les fonds doivent servir à prendre en charge une fraction des salaires d'une partie de la population mise au chômage forcée à cause de l'arrêt de l'activité, à faire des prêts aux micro-entreprises, et à distribuer des aides directes aux plus pauvres.

Autant de mesure qui n'avaient jamais été envisagées auparavant dans un pays qui a le libéralisme chevillé au corps, souligne Bloomberg. "C'est elle qui, à force de négociations avec les autres membres du gouvernement, a permis au Pérou de présenter un plan aussi bien articulé", souligne Jaime Reusche, un analyste de l'agence de notation Moody's, interrogé par Bloomberg.

Cette aura de ministre qui ne servirait pas les intérêts des puissants lui vient aussi d'un bras de fer qu'elle a eu avec Carlos Paredes Lanatta, l'ex-directeur du groupe public pétrolier Petroperu. En janvier 2020, elle avait refusé de venir en aide à cette entreprise, ce qui lui avait valu d'être copieusement insultée par Carlos Paredes Lanatta. Il a dû démissionner après la publication, fin février, d'un enregistrement audio sur lequel on peut entendre les "amabilités" lancées par le grand patron à la jeune ministre.

Mais la lune de miel de Maria Antonieta Alva avec l'opinion publique risque de ne pas durer, prévient le Wall Street Journal. Les prévisions économiques pour le Pérou sont sombres, malgré les fonds que le gouvernement entend injecter dans l'économie. "La récession pourrait être la pire depuis la guerre du Pacifique contre le Chili en 1879, lorsque la production avait chuté de 32 %", note le quotidien économique nord-américain. L'économie péruvienne dépend, en effet, beaucoup des exportations de matières premières et du tourisme, deux secteurs fortement touchés par la crise sanitaire. Les mesures d'aides risquent alors d'apparaître comme un pansement temporaire pour une société qui reste très inégalitaire avec 20 % de la population qui vit sous le seuil de pauvreté.

6 mai 2020

Tensions - Entre la Chine et les États-Unis, une “guerre froide” sur fond de pandémie ?

chine etats unis

COURRIER INTERNATIONAL (PARIS)

La détérioration des relations entre Washington et Pékin inquiète la presse et les experts en relations internationales. Alors que le gouvernement Trump cherche à “faire payer” à la Chine le prix de la pandémie, la légitimité du Parti communiste chinois est de plus en plus en remise en cause dans la capitale américaine.

Jusqu’où iront les tensions entre Pékin et Washington ? Ces derniers jours, Donald Trump a accusé la Chine “d’avoir dissimulé le coronavirus”, a suggéré que le gouvernement chinois “pourrait avoir laissé la maladie se propager” et a menacé “de faire payer à Pékin un prix ‘substantiel’ pour la pandémie”, observe USA Today.

Le quotidien américain note que les autorités chinoises ont du répondant : elles ont accusé le gouvernement Trump “d’ignorance délibérée, de mauvaise gestion de la crise et même de tentative de ‘chantage’”.

Pour USA Today, les échanges “quasi quotidiens” d’accusations entre les États-Unis et la Chine, “les deux plus grandes économies mondiales”, inquiètent les experts en relations internationales.

Ces derniers redoutent “qu’une nouvelle ‘guerre froide’ ne se prépare entre les deux superpuissances” en raison de la pandémie de Covid-19.

Faucons

Jusqu’à présent, “l’affinité et l’admiration” de Donald Trump pour le président chinois Xi Jinping “ont fait contrepoids aux faucons de son gouvernement”, souligne The Guardian. Mais selon le quotidien britannique, à l’approche de la présidentielle de novembre, alors que Trump doit défendre “sa réponse tardive et chaotique à la pandémie”, cette influence modératrice “semble devoir s’estomper”.

The Guardian relève ainsi que le secrétaire d’État américain Mike Pompeo a sonné la charge contre Pékin dimanche 3 mai, en déclarant que la Chine “a l’habitude de contaminer le monde et de gérer des laboratoires de qualité inférieure”. Pompeo a même affirmé qu’il existait “d’énormes preuves” que le nouveau coronavirus provenait d’un laboratoire de Wuhan.

Pour le quotidien britannique, la tension croissante entre Washington et Pékin sur la responsabilité de la pandémie de coronavirus est en train de devenir “une bataille sur la légitimité du parti communiste chinois”. The Guardian cite l’expert Isaac Stone Fish, de l’Asia Society’s Center on US-China Relations :

Il y a une prise de conscience croissante à Washington que le parti communiste chinois ne sert pas les intérêts des États-Unis, qu’il ne sert pas les intérêts de beaucoup de gens en Chine, et il y a un débat croissant sur ce que les États-Unis devraient faire à ce sujet.”

À Pékin, l’analyse est presque la même : les dirigeants chinois voient dans la pandémie et dans la réponse des États-Unis à celle-ci “un défi direct à l’emprise du parti”. Un rapport interne a même averti que la Chine “devrait se préparer à une confrontation armée”, rapporte The Guardian.

Le quotidien britannique identifie deux sources d’affrontement potentiel entre les deux puissances nucléaires. L’une en mer de Chine méridionale, où la marine américaine effectue des patrouilles pour contester les revendications territoriales de la Chine, et l’autre à Taïwan : en pleine pandémie, la Chine est devenue “beaucoup plus agressive” en testant les défenses aériennes et maritimes de Taïwan. Mais “tant Washington que Pékin” ont pris soin de ne pas aller trop loin dans leurs velléités militaires.

Nouvelle guerre commerciale ?

Pour Foreign Policy, le gouvernement américain cherche encore le “véritable moyen de se venger de Pékin”. Plusieurs mesures ont déjà été explorées par Washington : l’éventail va du “défaut de paiement de la dette américaine envers la Chine” à la levée de l’immunité de la Chine “en cas de poursuites judiciaires”, en passant par une nouvelle législation qui obligerait les fournisseurs de certains biens essentiels “à déplacer leurs opérations hors de Chine”.

Mais, selon le magazine américain, le vrai risque est celui “d’une nouvelle guerre commerciale avec la Chine”, un scénario qui effraie des marchés mondiaux subissant déjà “les retombées économiques sans précédent de la pandémie”. Dimanche 3 mai, Donald Trump a déclaré “qu’il envisageait de rétablir les droits de douane, qu’il a qualifiés de ‘punition ultime’, et a menacé de se retirer de l’accord qui a mis fin à la guerre commerciale”, indique le magazine.

Pour “traverser la crise actuelle”, Pékin et Washington devraient pourtant collaborer “sur tout, du développement d’un vaccin à l’approvisionnement mondial en fournitures médicales”, a expliqué à USA Today Rachel Esplin Odell, spécialiste des relations sino-américaines. Mais d’après le quotidien, il y a peu de signes “que cela se produise de sitôt”.

Nicolas Coisplet

4 mai 2020

Pékin tente de reprendre la main sur Hongkong

Article de Florence De Changy

En pleine crise, les autorités chinoises entament un coup de force discret sur la région administrative spéciale

ANALYSE

HONGKONG - correspondance

La patience de Pékin vis-à-vis de Hongkong a atteint ses limites. L’enchaînement des déclarations officielles et des événements de fin avril – notamment l’arrestation d’une quinzaine d’opposants – ne laisse aucun doute sur le fait que la Chine ne supporte plus l’exception hongkongaise : la région administrative spéciale de Chine, rétrocédée par la couronne britannique, en 1997, doit confiner ses aspirations démocratiques et rentrer dans le rang. C’est, du point de vue de Pékin, une question de « sécurité nationale », surtout depuis que les manifestants hongkongais ont employé des slogans défiant la souveraineté chinoise, et, fait aggravant, que les Etats-Unis ont formellement apporté leur soutien au combat démocratique de Hongkong avec la ratification, fin novembre 2019, de la loi sur les droits humains et la démocratie à Hongkong.

C’est que Pékin manque d’outils pour défendre, à Hongkong, les atteintes à cette « sécurité nationale » : l’article 23 de la Basic Law, la mini-Constitution de Hongkong, censé punir la trahison, la sédition et la sécession, n’a jamais pu être adopté en raison des manifestations qu’il provoque. La tentative, en juin 2019, de passer une loi d’extradition entre Hongkong et la Chine, ce qui permettrait à Pékin de juger en Chine des Hongkongais, a tourné court après avoir déclenché un gigantesque mouvement de protestations.

L’enjeu est également économique. Car, aussi négligeable que soit Hongkong à l’échelle de la Chine (0,5 % de sa population et 2,7 % de son PIB), sa place financière joue un rôle essentiel comme porte d’entrée et de sortie pour les capitaux chinois. La Bourse de Hongkong accueille les plus grandes entreprises chinoises, et nombre des familles les plus riches y ont une partie de leur fortune.

Il y a deux camps dans l’esprit de Pékin : d’un côté l’opposition prodémocratie et les « forces étrangères » (et avant tout les Etats-Unis et le Royaume-Uni), qui entretiennent le chaos sur le territoire en ayant recours à des « méthodes terroristes » pour nuire, in fine, à la Chine dans son ensemble ; et, de l’autre, le gouvernement central, l’exécutif local et les partis pro-Pékin, garants, eux, de l’ordre et de la « sécurité nationale ».

Les autorités en place n’ont, jusqu’à présent, pu compter que sur la force policière et les procureurs pour maintenir l’un et l’autre. Lors du vote du dernier budget, la police de Hongkong a vu ses moyens augmenter de 25 %. Pourtant, les Hongkongais ont répondu à la brutalité des interventions policières par une gifle électorale. Lors des élections de district de novembre 2019, l’opposition prodémocratie a remporté la majorité dans dix-sept des dix-huit conseils. Leur enveloppe budgétaire a toutefois été soudainement réduite, une manière efficace de limiter leur impact sur la communauté. Mais l’enjeu est désormais la prochaine échéance, beaucoup plus importante : celle des élections législatives de septembre que Pékin, de l’avis général, ne supporterait pas de perdre.

« Il est indéniable que Pékin est frustré de ce qui se passe ici. Et peut-être bien qu’ils aimeraient faire à leur façon. Mais c’est simplement impossible », affirme Bernard Chan, membre du Conseil exécutif, la plus haute instance du gouvernement local. En vertu de la Basic Law, l’ancienne colonie britannique jouit d’un « haut degré d’autonomie » jusqu’en 2047. Hongkong fait certes partie de la Chine, au nom du premier terme de la formule « un pays, deux systèmes », mais reste théoriquement chargée de ses affaires intérieures au nom du second.

Passage en force

La panique mondiale provoquée par le Covid-19 a toutefois permis à Pékin d’avancer d’une case en jetant par-dessus bord le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures de Hongkong, fermement inscrit (article 22) dans la Basic Law. Le 17 avril, le Bureau de liaison s’est ainsi autoaffranchi de cet article, expliquant sans vergogne qu’il n’y avait jamais été soumis. Il suffit pourtant de relire le Quotidien du peuple, organe de propagande du Parti communiste chinois, du 17 janvier 2000, à propos de l’inauguration du Bureau de liaison, pour se convaincre du contraire. Son directeur soulignait alors la mission de « liaison et de coordination » de son administration, mais en aucun cas de supervision. Il précisait aussi qu’il n’y avait « aucune relation de subordination » entre le gouvernement de Hongkong et le Bureau de liaison. Pourtant, depuis deux semaines, ce dernier affirme avoir « toujours eu » un rôle de supervision sur les affaires de Hongkong.

Ce passage en force marque sans doute un point de non-retour dans les relations entre Pékin et Hongkong. Il annonce une nouvelle réalité politique où le Bureau de liaison pourra dicter l’ordre du jour de façon beaucoup plus ouverte. « Pékin a estimé que, si la situation n’était pas corrigée à Hongkong, les choses allaient empirer, surtout avec l’attitude belligérante de l’opposition et l’intention des Etats-Unis de s’immiscer dans les affaires intérieures de Hongkong », estime Lau Siu-kai, professeur de sociologie et vice-président d’un thinktank prochinois.

Pékin a d’ailleurs immédiatement occupé le terrain fraîchement conquis, en cautionnant les arrestations de quinze grandes figures du camp prodémocratie, dont des vétérans très respectés, accusés d’avoir organisé et participé à des rassemblements illégaux. Xinhua, l’agence de presse chinoise officielle, a pour sa part confirmé le remaniement ministériel du 22 avril, avant même la chef de l’exécutif, Carrie Lam. Et, au lendemain d’une journée du 1er-Mai qui, à l’exception d’un épisode houleux dans un centre commercial, s’est globalement déroulée dans le calme, le Bureau de liaison s’en est pris avec virulence à des « extrémistes radicaux » prétendument déterminés à « placer des bombes ». Ce communiqué a surtout semblé trahir le souhait de Pékin que la situation dégénère de nouveau pour justifier une remise au pas musclée. Mais l’opposition, consciente de cette stratégie, est soucieuse d’éviter le piège.

Certes, il y eut nombre de signes avant-coureurs de cette reprise en main. En juin 2014, Pékin avait déjà affirmé dans son Livre blanc avoir « entière juridiction » sur tous les secteurs de la vie de Hongkong, effrayant tant les juristes du territoire que les milieux d’affaires, puisque l’indépendance de la justice, garante de l’Etat de droit, est la différence la plus fondamentale entre Hongkong et le reste de la Chine. En 2017, le président Xi Jinping avait évoqué une nouvelle « ligne rouge » à ne pas franchir sur le sujet de l’indépendance de Hongkong. Le communiqué publié par le comité central du Parti communiste, à la fin du plénum d’octobre 2019, annonçait encore que Pékin allait « contrôler et diriger Hongkong et Macao ».

En outre, selon plusieurs sources proches du gouvernement, Pékin a déjà infiltré le gouvernement de Hongkong, en plaçant certains de ses « pions », notamment au sein des services assurant la discipline, à savoir, la police, l’immigration, les douanes et la commission indépendante anticorruption. « Depuis la réforme des nominations de l’administration [en 2002], les gens aux postes-clés sont nommés non plus en fonction de leurs compétences, mais en fonction de leur loyauté à Pékin. Le chef de l’exécutif les propose, Pékin les confirme, cela a été le début de la fin », explique au Monde un ancien ministre, qui souhaite conserver l’anonymat.

D’autres mesures devraient consolider cette offensive. Depuis qu’il a été publiquement montré du doigt par le Bureau de liaison et accusé d’obstruction, le député d’opposition Dennis Kwok (Parti civique) estime que ses jours au Parlement sont comptés. Le gouvernement central s’impatiente de ne pas voir adoptée la loi sur le respect de l’hymne national et du drapeau chinois. Les tribunaux hongkongais semblent avoir la main de plus en plus lourde à l’égard des sympathisants du mouvement de protestation.

Deux mineurs impliqués dans un accident mortel au cours d’une manifestation violente, en 2019, viennent d’être inculpés de « meurtre ». Fin avril, le leader politique Edward Leung, âgé de 29 ans, considéré par beaucoup comme l’inspirateur du mouvement de 2019, a pour sa part perdu son appel contre la peine de six ans de prison qu’il purge, depuis juin 2018, pour son rôle dans l’émeute dite « des boulettes de poisson » de 2016. Cet acharnement judiciaire risque de dissuader certains Hongkongais de participer aux manifestations. Il va aussi rendre inéligibles pour cinq ans d’éventuels condamnés à plus de trois mois de prison.

Ce coup de force n’est pourtant pas sans risque. Il n’a pas forcément l’aval des milieux d’affaires qui réclament avant tout de la stabilité, de la confiance et de la transparence. Certains estiment qu’en s’arrogeant ainsi le droit d’intervenir dans les affaires de Hongkong, Pékin se comporte en animal blessé, non seulement accusé d’être responsable du désastre mondial dû au Covid-19, mais en plus humilié par la détermination inébranlable des Hongkongais qui refusent de renoncer à leurs aspirations démocratiques.

4 mai 2020

Marchés malsains et covid-19

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L’expansion du nouveau coronavirus SARS-CoV-2, qui a émergé sur le “wet market” de la ville chinoise de Wuhan, progresse inexorablement.

Qui a vu un “wet market” en Chine ou l’un des marchés de ce type dans le monde ne sera pas surpris. Les “wet markets” font référence au fait que de nombreux animaux domestiques ou sauvages vendus sont abattus sur place. Dans un espace extrêmement encombré et fermé, des centaines de personnes se pressent chaque matin, des cages remplies d’animaux domestiques et sauvages, de sang, d’excréments, de boyaux et de fluides corporels s’entremêlent, au milieu d’une absence totale de biosécurité. Poissons vivants qui s’agitent dans des seaux, éviscérés et en filets sur le sol. Les conditions hygiéno-sanitaires sont déplorables. Avant d’atteindre le marché, la puanteur est évidente dans l’environnement. Il y a des gens qui vivent et passent la nuit sur le marché lui-même ou dans son environnement le plus proche. Outre le mépris total pour le bien-être animal, ces marchés ont tous les ingrédients pour créer l’environnement parfait pour la transmission virale ou microbienne. Tant que ces marchés persisteront, nous parlerons du prochain virus car avec la mondialisation, la surpopulation et l’hyper-connectivité, le monde est devenu petit. Les humains et les germes voyagent à une vitesse inconnue jusqu’à présent par l’humanité.

Les animaux ne sont pas responsables des épidémies. Dans la plupart des zoonoses émergentes, l’homme a envahi les espaces écologiques de la faune et nous avons mis la nature à notre service consommateur. Le changement climatique et la destruction de l’habitat sont de puissants alliés pour la nidification des zoonoses.

Au sommet de notre pyramide d’opulence, nous avons vu comment un simple bug invisible a fermé le monde. Déconcertés, nous avons été témoins de notre enfermement soudain et de la prise de conscience de notre vulnérabilité.

Avec une pandémie mondiale endémique, aux effets sanitaires et socio-économiques inconnus, il est nécessaire de réfléchir à notre modèle de développement futur et à notre relation avec la nature pour recommencer à nous reconstruire. – Catalina Gomez López

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