Nouvelle purge au sein de la famille Saoud
Mohammed Ben Salman (photo ci-dessus en décembre 2019) neutralise ses rivaux dans son accès programmé au trône de Riyad. Déjà plein de rebondissements, le feuilleton de l’ascension vers le pouvoir suprême de Mohammed Ben Salman, le prince héritier d’Arabie saoudite et fils du roi Salman, connaît un nouvel épisode. Selon plusieurs médias, dont le New York Times et le Wall Street Journal, au moins quatre membres de la dynastie royale ont été arrêtés, dont l’ancien dauphin Mohammed Ben Nayefet le propre frère du souverain, Ahmed Ben Abdelaziz AlSaoud. L’information a été transmise aux deux quotidiens américains, vendredi 6 mars, par plusieurs sources convergentes, internes à la famille dirigeante ou proches de celle-ci, et confirmée ensuite à d’autres médias. Selon le Wall Street Journal, les princes – des personnalités d’envergure, susceptibles de faire de l’ombre au numéro deux saoudien – seraient accusés de trahison, une charge passible de la peine de mort ou, du moins, de longues années d’emprisonnement.
Cette nouvelle purge au sein de la maison des Saoud paraît destinée à faciliter la montée de l’ambitieux Mohammed Ben Saman sur le trône de Riyad. En mettant hors d’état de nuire ces possibles gêneurs, « MBS », comme on le surnomme, semble vouloir s’assurer que rien ne pourra entraver son couronnement à la mort de son père, un octogénaire à la santé chancelante, ou si celui-ci venait à soudainement abdiquer. Les rumeurs d’un décès de Salman ont d’ailleurs fleuri sur les réseaux sociaux durant tout le weekend. Les médias d’Etat saoudiens les ont démenties dimanche, en publiant des images du monarque en bonne santé, discutant avec des diplomates saoudiens fraîchement nommés ambassadeurs. Sa précédente apparition en public remontait au jeudi 5 mars, lorsqu’il s’était entretenu avec le ministre des affaires étrangères britannique, Dominic Raab, à Riyad. Mohammed Ben Nayef, dit « MBN », est le plus célèbre des dignitaires royaux neutralisés. Ancien chef du contre-terrorisme saoudien et ex ministre de l’intérieur, loué pour sa poigne de fer face aux attentats d’AlQaida dans les années 2000, il passait pour le successeur naturel de Salman, son oncle, lorsque celui-ci est devenu roi, en janvier 2015. C’était compter sans l’ambition dévorante de « MBS » qui, avec le soutien de son père, a gravi les échelons du pouvoir à toute vitesse, avant de ravir le titre de prince héritier à son cousin en juin 2017. Depuis cette date, « MBN » vivait peu ou prou en résidence surveillée, avec l’interdiction de voyager à l’étranger. Mais ce régime de semi-liberté n’a visiblement pas suffi à rassurer le prince héritier. L’aura persistante de Mohamed Ben Nayef au sein de la famille royale et les contacts qu’il s’était forgés dans les milieux du renseignement américain ont continué à inquiéter « MBS ». Le jeune frère de « MBN », Nawaf Ben Nayef, a lui aussi été arrêté. Suspects de déloyauté Ahmed Ben Abdelaziz AlSaoud, autre victime de ce coup de force, est pour sa part le dernier frère utérin en vie du roi. Issu, comme lui, de la fameuse lignée des Soudaïri, il fut un éphémère ministre de l’intérieur en 2012. A la suite de propos tenus à Londres en septembre 2018, dans lesquels il donnait l’impression de critiquer la conduite de la guerre au Yémen, certains opposants ont voulu voir en lui une alternative à « MBS ». Son arrivée le mois suivant à Riyad, après un long séjour au Royaume-Uni, parfois perçu comme un semiexil, avait suscité de nombreuses spéculations. D’autant qu’elle avait coïncidé avec la révélation de l’assassinat du journaliste et dissident saoudien Jamal Khashoggi, par des barbouzes proches du prince héritier, dans le consulat du royaume à Istanbul (Turquie). Mais les milieux anti« MBS », qui espéraient que le prince Ahmed se saisirait de ce scandale planétaire pour contester l’ordre de succession, ont vite déchanté. De son plein gré ou sous la contrainte, le cadet de Salman a fait profil bas depuis son retour dans le royaume. Selon le New York Times, l’un de ses fils, le prince Nayef Ben Ahmed, qui dirige les renseignements militaires, figure lui aussi dans le coup de filet. L’arrestation de VIP suspects de déloyauté est la marque de fabrique de « MBS ». A l’automne 2017, sous couvert d’accusations de corruption, il avait bouclé dans les suites du RitzCarlton de Riyad près de deux cents hommes d’affaires, ex ministres et membres de la famille royale, qui constituaient, pour beaucoup d’entre eux, de possibles obstacles à sa marche vers le trône. Ces dignitaires avaient été libérés au bout de plusieurs semaines, en échange d’une grosse partie de leurs avoirs et de leur renoncement à jouer le moindre rôle d’importance sur la scène économique et politique.
Benjamin Barthe