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Jours tranquilles à Paris
3 décembre 2019

Sommet de l'Otan : "La Turquie attend du soutien de la part de ses alliés"

Alors que le sommet de l’Otan s’ouvre mardi à Londres, la tension est montée d’un cran ces derniers jours entre le président français Emmanuel Macron et son homologue turc Recep Tayyip Erdogan. Au cœur de leur différend : la Syrie et la place de la Turquie dans l’Otan.

L’ambiance est à la discorde pour le sommet des 70 ans de l’Alliance atlantique et c’est notamment entre le président français et son homologue turc que l’ambiance est la plus électrique. Le différend porte notamment sur l'intervention lancée par Ankara dans le nord-est de la Syrie sans en informer les autres membres de l'Otan. Et Erdogan entend bien aborder ce sujet.

"La Turquie attend du soutien de la part de ses alliés, elle attend que ses préoccupations sécuritaires soient reconnues comme légitimes et que son opération en Syrie soit reconnue comme une opération antiterroriste, notamment par ses partenaires européens", explique Ludovic de Foucaud, correspondant de France 24 en Turquie.

Le 9 octobre, l’armée turque a pénétré dans les territoires contrôlés par les Forces démocratiques syriennes (FDS), une coalition de combattants dominés par les Kurdesqui, alliée aux Américains dans la région depuis 2015, a payé un lourd tribut à la lutte contre l’organisation État islamique.

C’est là que le bât blesse : là où Erdogan défend une opération sécuritaire, les Européens considèrent au contraire que cette incursion risque d’affaiblir la lutte contre le terrorisme et contre le groupe État islamique dans la région.

Erdogan ulcéré par Macron

"C’est la France qui a été la plus bruyante contre l’unilatéralisme de l’opération turque en Syrie", rappelle Ludovic de Foucaud. D’où une exaspération exacerbée du président turc vis-à-vis d’Emmanuel Macron. La charge du Français sur l’état de l’Otan a ulcéré le Recep Tayyip Erdogan qui a jugé le président français lui-même "en état de mort cérébrale".

"La Turquie se sent légitime à critiquer la France parce que d’autres pays – notamment les États-Unis et l’Allemagne – l’ont fait après l’interview d’Emmanuel Macron à The Economist", ajoute le journaliste.

Angela Merkel avait notamment pris ses distances avec Emmanuel Macron en disant ne pas partager sa vision "radicale". De son côté, l'ambassadrice américaine auprès de l'Otan, Kay Bailey Hutchison, a affirmé être "fermement en désaccord avec l'évaluation de l'Otan par le président Macron".  Emmanuel Macron assume ses propos et n'entend pas renoncer à ses griefs.

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3 décembre 2019

A Londres, l’heure des questions stratégiques pour une OTAN septuagénaire

Par Nathalie Guibert, Jean-Pierre Stroobants, Bruxelles, bureau européen

Les turbulences internes sont fortes, en raison du désintérêt des Etats-Unis, de l’attitude de la Turquie et des déclarations de Macron sur la « mort cérébrale » de l’Alliance.

Une seule matinée de « réunion » entre les chefs d’Etat et de gouvernement qui auront chacun trois minutes pour exprimer leur position avant d’échanger : à Watford, dans la banlieue de Londres, mercredi 4 décembre, les dirigeants de l’Alliance atlantique ne se réuniront pas en « sommet ». Une manière de limiter le risque de nouvelles tensions et, peut-être, d’une nouvelle saillie agressive de Donald Trump, semblable à celle, mémorable, du sommet de Bruxelles à l’été 2018. On tentera donc de commémorer en vitesse, et dans le calme, les 70 ans de l’alliance « la plus réussie de l’histoire », selon le propos inlassablement répété du secrétaire général, Jens Stoltenberg.

Optimiste et opiniâtre, celui-ci veut saisir l’occasion d’affirmer l’unité retrouvée d’une organisation rudoyée par son principal garant : le président américain a certes cessé de la dire « obsolète », mais il reste convaincu qu’une partie de ses alliés n’en fait pas assez pour le « partage du fardeau » de la sécurité collective. Après le Brexit, 80 % des forces de l’OTAN viendront de pays non-membres de l’Union européenne.

C’est donc bien ce « partage du fardeau » qui promettait d’être, une nouvelle fois, le sujet dominant des discussions de Londres, jusqu’à ce que, le 7 novembre, un autre président, Emmanuel Macron, inflige un électrochoc à l’OTAN : sa description, dans l’hebdomadaire britannique The Economist, d’une Europe « au bord du précipice », et « junior partner des Américains », alors même que ceux-ci ont « pour la première fois un président qui ne partage pas l’idée du projet européen », ne pouvait évidemment que secouer. Moins, toutefois, que l’avis de « mort cérébrale » d’une OTAN incapable de se coordonner sur les décisions stratégiques prises par les Etats-Unis et la Turquie en Syrie.

Minimiser la crise interne

« La Turquie doit fournir la clarification sur le fond que tous les alliés attendent », souligne la présidence française, qui a convoqué l’ambassadeur turc après des déclarations, jugées insultantes, du président Recep Tayyip Erdogan, sur l’ « état de mort cérébrale » de M. Macron. « Elle ne peut, par exemple, pas prendre en otage les plans de défense de la Pologne et des pays baltes, parce que les alliés ne déclarent pas le YPG [Unités de protection du peuple, miliciens kurdes] comme groupe terroriste, ou refuser que l’OTAN intervienne en mer Noire. » Une réunion à quatre, Allemagne, France, Royaume-Uni, Turquie, est prévue mardi 3 décembre.

M. Stoltenberg aura tout fait pour minimiser la crise interne, au cours de rencontres bilatérales à Washington, Berlin et Paris. L’Alliance serait renforcée, selon des chiffres tombés opportunément : après avoir baissé jusqu’en 2014, les dépenses militaires des Européens et des Canadiens, 987 milliards de dollars (892 milliards d’euros) au total, augmenteront de 130 milliards de dollars en 2020 et, si le rythme reste constant, de 400 milliards de plus en 2024. Neuf pays sur vingt-neuf atteignent l’effort fixé de 2 % de leur PIB pour leur défense. La France s’en approche (1,84 %), l’Allemagne n’en est qu’à 1,38 %.

Une autre décision, à faible impact financier mais forte charge symbolique, a été confirmée fin novembre : la part des Etats-Unis dans le budget de fonctionnement commun de la structure OTAN (quelque 100 millions d’euros) devrait être ramenée de 22 % à 16 %. La France, qui fut surprise et agacée de cette initiative venue de l’Allemagne, a obtenu un plafonnement de sa contribution.

Le « défi stratégique » posé par la Russie

M. Stoltenberg veut aussi orienter l’attention vers d’autres questions plus fédératrices : il insiste sur l’effort accompli en matière de déploiement des forces otaniennes sur le flanc Est, la lutte contre le terrorisme que les alliés vont renforcer, les décisions pour sécuriser la 5G, les menaces à affronter dans le domaine cyber et l’espace – devenu le cinquième domaine opérationnel – ou encore les relations à réévaluer avec la Chine et la Russie.

L’évocation par M. Macron d’un nouveau dialogue avec Moscou suscite des inquiétudes. M. Stoltenberg indique, lui, que cette relation doit être conforme à la ligne fixée (« fermeté et dialogue ») pour répondre au « défi stratégique » que pose le président russe Vladimir Poutine à l’Alliance, et que celle-ci doit parler « d’une seule voix ». Après la mort, cet été, du traité russo-américain sur les armes nucléaires intermédiaires en Europe (FNI), le contrôle des armements mobilise les experts de l’organisation depuis des mois. La Russie a proposé un moratoire sur les missiles intermédiaires, que rejette l’OTAN. Le Conseil de l’Atlantique Nord doit fixer une feuille de route en la matière, même si, a indiqué M. Stoltenberg au Monde, « il est trop tôt pour décider d’une négociation avec la Russie ».

« Sortir de cette situation de gel »

Mais Paris juge l’instrument collectif du dialogue, le conseil OTAN-Russie, « anesthésié ». « Il faut sortir de cette situation de gel. La fin du FNI crée un vide qui doit être comblé. Il ne s’agit pas de faire un pari sur la Russie, mais il faut que nous soyons capables de produire ensemble un effort stratégique. Il faut bien démarrer quelque part », explique l’entourage du président français, qui évoque l’urgence de « paramétrer » ce débat.

« Une conversation stratégique s’ouvre à Londres », admet le secrétariat général. Même critiquée ou niée par certains membres, la charge d’Emmanuel Macron a, de fait, relancé une question cruciale : les Européens pourront-ils faire de l’Union un véritable acteur stratégique, capable d’éviter des divergences croissantes avec Washington ? « Cette consolidation est un prérequis pour une véritable architecture transatlantique de sécurité, relève Sven Biscop, directeur à l’Institut Egmont de Bruxelles. Il n’y a, hélas, aucune garantie que l’Europe réussira à créer une politique étrangère plus souple. » D’où la question de cet expert : « L’OTAN, qui devrait encore durer quelques décennies, survivra-t-elle par conviction ou par inertie ? » Pour l’Europe, le choix est clair, souligne-t-il. Ou bien « elle acquiert effectivement le rang d’acteur stratégique et d’allié efficace des Américains, ou bien elle finira par être un simple supplétif de ceux-ci ».

« Risque de rupture »

Ce qu’a traduit, le 9 novembre, sur Twitter l’ambassadrice française à l’OTAN, Muriel Domenach : « Il n’y a pas d’alternative à un effort accru des Européens pour leur sécurité. Pas dans le but de remplacer l’OTAN, simplement parce que cela est obligatoire. Sauf si nous nous préparons à être l’enjeu d’autres rivalités stratégiques ».

Chercheur principal au centre d’études Carnegie Europe, Tomas Valasek évoque, dans un récent document, le « risque de rupture » de la relation Europe-Etats-Unis, comme la principale menace pesant sur l’organisation transatlantique, née, rappelle-t-il, d’un choix très réaliste des Etats-Unis : soutenir les Européens et assurer leur sécurité relevait aussi de leur propre intérêt.

Depuis, les sujets sécuritaires se sont multipliés pour une organisation qui, pendant quatre décennies, s’était concentrée uniquement sur la menace de l’Est. Le troisième défi, relève M. Valasek, est bien politique : tous les pays membres auront-ils la volonté de s’adapter collectivement au « monde instable » décrit par M. Stoltenberg ?

2 décembre 2019

Synthèse - A la COP25, des chantiers techniques et une ambition qui se fait attendre

Par Audrey Garric

196 pays, réunis du 2 au 13 décembre à Madrid, sont appelés à relever leurs ambitions climatiques, à commencer par les plus gros pollueurs dont l’Union européenne.

C’est un véritable tour de force auquel est parvenue l’Espagne : organiser une conférence des Nations unies sur le climat, la COP25, en seulement quatre semaines, là où les précédents hôtes disposaient d’une année de préparation. Une gageure pour réorienter 29 000 personnes de Santiago vers Madrid, après le désistement du Chili, secoué par une violente crise sociale. Mais c’est un exploit bien plus grand qui est attendu des 196 pays qui se réuniront dans la capitale espagnole du 2 au 13 décembre : accélérer la lutte contre la crise climatique, alors que les inondations, ouragans ou encore incendies se multiplient partout dans le monde.

Les Etats n’ont jamais été aussi loin du compte. Les émissions mondiales de gaz à effet de serre ont progressé de 1,5 % par an en moyenne au cours de la dernière décennie pour atteindre un record historique l’an dernier. Et aucun signal ne laisse présager un changement de trajectoire de ces rejets, majoritairement issus de la combustion des énergies fossiles. Même les engagements pris par les 197 signataires de l’accord de Paris pour enrayer le dérèglement climatique sont totalement insuffisants : ils mettent la planète sur une trajectoire de réchauffement de 3,2 °C d’ici à la fin du siècle, bien loin des 2 °C, et si possible 1,5 °C, prévus par le traité international conclu en 2015.

« Une COP de l’action »

« Il y a une dissonance sidérante entre la crise climatique et la réponse des Etats, qui sont à la traîne », s’indigne Laurence Tubiana, l’ancienne ambassadrice de la France lors de la COP21. Une incompréhension partagée par des centaines de milliers de jeunes qui ont encore défilé dans de nombreux pays, vendredi 29 novembre, inspirés par la jeune militante suédoise Greta Thunberg.

L’urgence est telle que, désormais, les délégués, les observateurs ou encore le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, n’ont plus qu’une expression à la bouche : « Relever l’ambition » – comprendre accroître les efforts que les pays sont prêts à consentir d’abord à court terme, c’est-à-dire en 2030, et ensuite à long terme, en 2050. D’ici à la fin 2020, les Etats doivent soumettre de nouveaux plans climatiques plus ambitieux (ce que l’on appelle les NDCs en anglais), comme le prévoit l’accord de Paris. La conférence de Madrid doit accélérer ce processus crucial, qui s’achèvera à la COP26 prévue en novembre 2020 à Glasgow (Royaume-Uni). « La COP25 est une COP de l’action », assure la présidente de la conférence, la ministre chilienne de l’environnement, Carolina Schmidt.

A moins d’un an de l’échéance, un seul pays a rendu sa copie : les îles Marshall. Soixante-huit Etats (Chili, Mexique, Argentine, Fidji, etc.) se sont engagés à rehausser leurs efforts avant la fin de l’année prochaine, mais ils ne représentent que 7 % des émissions de CO2. Manquent à l’appel les grandes puissances, celles du G20 notamment qui pèsent pour 80 % des émissions globales. « Aucune d’entre elles ne prend aujourd’hui ses responsabilités, regrette Lucile Dufour, responsable des négociations internationales au Réseau action climat. Pire, certains parlent déjà de ne pas relever leur ambition, comme le Japon. 

L’absence d’Emmanuel Macron

Le multilatéralisme nécessaire à l’action climatique pâtit d’un contexte géopolitique défavorable. Il est mis à mal par les Etats-Unis, dont Donald Trump a engagé en novembre le retrait formel de l’accord de Paris. Mais aussi par le Brésil, dirigé par le président climatosceptique Jair Bolsonaro – qui a refusé d’accueillir la COP25 –, ou encore l’Australie, menée par le conservateur Scott Morrison, deux pays qui ont boudé, en septembre, le sommet spécial de l’ONU sur le climat.

Plus de quarante chefs d’Etat et de gouvernement assisteront à l’ouverture de la COP25 à Madrid lundi. La France sera représentée par le premier ministre Edouard Philippe, accompagné de la secrétaire d’Etat Brune Poirson. « Emmanuel Macron, déjà absent en Pologne lors de la COP24 en 2018, aurait dû se rendre à Madrid pour donner du poids à la voix française et contrecarrer les attaques contre l’accord de Paris », dénonce Clément Sénéchal, chargé de campagne Climat à Greenpeace France. « La mobilisation est générale au plus haut niveau de l’Etat », répond-on du côté de Matignon.

Au-delà de la France, tous les regards sont tournés vers l’Union européenne (UE), troisième pollueur mondial après la Chine et les Etats-Unis, dont le Parlement a voté l’urgence climatique jeudi 28 novembre. « C’est désormais à l’Europe, hôte des COP24, COP25 et COP26, d’envoyer un signal fort au reste du monde pour créer un effet d’entraînement », estime Pierre Cannet, codirecteur des programmes au WWF France. L’entrée en fonction de la nouvelle Commission européenne, le 1er décembre, laisse entrevoir un signal d’espoir. Sa présidente, l’Allemande Ursula von der Leyen, a promis la neutralité carbone en 2050, et elle soutient une réduction des émissions des gaz à effet de serre de l’Union de 50 % à 55 % d’ici à 2030, contre 40 % aujourd’hui. Des objectifs qui figureront dans le « green deal européen » qu’elle présentera le 11 décembre, à la veille d’un conseil européen les 12 et 13 décembre – dans les derniers jours de la COP donc.

Dégâts irréversibles

Pour l’instant, vingt-quatre pays soutiennent la neutralité carbone et trois s’y opposent : la Pologne, la République tchèque et la Hongrie. L’équation est encore plus compliquée pour la relève de l’ambition en 2030, alors que seulement neuf Etats, dont la France, sont favorables à la baisse de 55 % des émissions. « Un volet sur la solidarité dans le “green deal” ainsi qu’un fonds de transition juste doté de 35 milliards d’euros, pourraient permettre de répondre aux enjeux de la transition dans les pays de l’Est, encore dépendants du charbon », précise Pierre Cannet.

Selon un document de travail de la Commission, consulté par Le Monde, le « green deal européen » comprendrait la « première loi européenne sur le climat » entérinant l’objectif de neutralité climatique en 2050, ainsi qu’un « plan complet » sur la manière dont la Commission européenne compte atteindre l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre d’au moins 50 %, si possible 55 %, d’ici à 2030. Cette publication interviendrait en octobre 2020, rendant très difficile son approbation par les Etats membres et le Parlement avant la COP26 de novembre.

Selon les observateurs, ce n’est qu’à la condition d’une avancée de l’Europe que la Chine pourrait décider de faire un pas elle aussi. Un sommet UE-Chine est prévu en septembre 2020 à Leipzig (Allemagne) au cours duquel Bruxelles espère pouvoir négocier un accord avec Pékin. Un dialogue que la France veut « pousser dans les mois qui viennent », indique Matignon.

« Il faut être réaliste, la plupart des Etats ne sont pas prêts à dire, à Madrid, ce qu’ils vont mettre sur la table pour augmenter leurs efforts, juge un spécialiste de longue date des négociations climatiques. Mais il peut y avoir le signal que tout est en préparation, afin de mettre la pression sur les grands émetteurs et leur dire : “C’est maintenant à votre tour”. »

Les délégués, eux, sont attendus sur deux chantiers majeurs. Il s’agit tout d’abord de finaliser les règles d’application de l’accord de Paris, dont l’article 6 avait été laissé en suspens à la COP24 en raison d’un blocage du Brésil. Ce point, compliqué et très controversé, concerne la définition de nouvelles règles pour les marchés carbone, c’est-à-dire les échanges d’émissions de CO2 qui permettent aux pays les moins pollueurs de revendre des quotas à ceux émettant plus. A la clé : éviter notamment les doubles comptages (par le pays vendeur et le pays acheteur) des réductions d’émissions, qui conduiraient à leur baisse artificielle.

Une plate-forme des solutions océaniques

Le second dossier concerne la notion de « pertes et préjudices », à savoir les dégâts irréversibles – pertes de vies humaines ou économiques – causés par les dérèglements du climat. Alors que ces effets sont en hausse, les pays les plus affectés souhaitent que l’organe de l’ONU qui régit la question – ce que l’on appelle le mécanisme de Varsovie – ait accès à un soutien financier. « Les pays développés ne veulent pas entendre parler de la création d’un nouveau fonds, alors que pour les plus vulnérables, cela ne peut pas passer par les fonds déjà existants sur l’adaptation », explique Alden Meyer, directeur de la stratégie de l’ONG américaine Union of Concerned Scientists.

Comme chaque année, une attention particulière sera accordée à la question des financements climat, le nerf de la guerre des discussions onusiennes. Les pays du Nord se sont engagés à mobiliser 100 milliards de dollars par an (90 milliards d’euros) d’ici à 2020 en faveur des pays du Sud pour les aider à faire face aux effets du changement climatique. Selon le dernier rapport de l’OCDE, ces financements sont en hausse, avec 71 milliards en 2017. « Une part trop faible va à l’adaptation au changement climatique, la majorité étant consacrée à la réduction des émissions », regrette Tosi Mpanu Mpanu, négociateur de la République démocratique du Congo.

Enfin, le Chili, doté de près de 6 500 kilomètres de côtes, veut faire de la COP25 une « COP bleue ». La présidence a ainsi décidé de lancer une plate-forme des solutions océaniques lors de la conférence, afin « d’encourager l’action en faveur de l’océan » – qui absorbe 25 % des émissions de CO2 – dans le cadre des nouveaux plans climatiques. Ces discussions pourraient mener à une déclaration politique sur la question à la fin de la COP.

Autant de dossiers sur la table de la présidence chilienne, mais aussi du gouvernement britannique qui sera présent en force à Madrid afin de préparer, déjà, la COP26.

30 novembre 2019

Critiquant fermement les propos d’Emmanuel

Critiquant fermement les propos d’Emmanuel Macron, le Président turc lui a conseillé de vérifier sa «propre mort cérébrale». Après ces attaques, l'ambassadeur turc à Paris a été convoqué au ministère français des Affaires étrangères, a annoncé une source à l'Élysée.

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Le Président turc s’est adressé ce vendredi 29 novembre à son homologue français après ses critiques de l’offensive turque, en évoquant les propos de Macron sur la mort cérébrale de l’Otan. Recep Tayyip Erdogan a déclaré que c’est le chef de la République française qui est en «état de mort cérébrale», s’il se permet de tenir de tels propos contre l’Alliance.

«Je m’adresse au Président français Emmanuel Macron et je le dirai aussi à l’Otan. Tout d’abord, vérifiez votre propre mort cérébrale. Ces déclarations ne conviennent qu'à des personnes comme vous qui sont dans un état de mort cérébrale», a lancé Erdogan dans un discours diffusé à la télévision.

En poursuivant son discours accusatoire contre le Président français, Erdogan lui a également reproché le fait de ne pas être expérimenté dans la lutte contre le terrorisme, en en faisant une raison des manifestations des Gilets jaunes qui ont frappé la France.

«Croyez-moi, Macron est très inexpérimenté. Il ne sait pas comment lutter contre le terrorisme. C’est pour cela que les Gilets jaunes ont envahi la France», a martelé le Président turc.

Avant de poursuivre:

«Vous savez comment fanfaronner mais vous ne pouvez même pas payer ce que vous devez à l’Otan. Vous avez encore un côté amateur.»

Critique contre Macron

Il ne s’agit pas de la première critique du Président français par la Turquie. Peu avant, Ankara avait traité Macron de «parrain» du terrorisme en réaction aux critiques du Président français au sujet de l'opération en Syrie.

L'ambassadeur turc convoqué

L'ambassadeur de Turquie en France a été convoqué au ministère des Affaires étrangères suite à ces attaques de Recep Tayyip Erdogan, a fait savoir l'Élysée.

«Soyons clairs, ce n'est pas une déclaration, ce sont des insultes», a réagi la présidence française au sujet de ce qu'elle a qualifié de «dernier excès» en date de M. Erdogan.

«L'ambassadeur sera convoqué au ministère pour s'en expliquer», a-t-elle souligné, citée par l’AFP.

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La mort cérébrale de l’Otan évoquée par Macron

Auparavant, Emmanuel Macron avait déclaré, dans une interview accordée à The Economist, que l’Otan aujourd’hui se trouvait en état de mort cérébrale. Une phrase qui a provoqué une pluie de critiques contre le Président français.

Donald Trump avait exprimé, après une rencontre avec son homologue turc, sa déception suite aux propos d’Emmanuel Macron sur l’Otan. Erdogan avait alors qualifié ces critiques lancées par Macron d’«inacceptables».

30 novembre 2019

« “1984” d’Orwell illustre de façon prémonitoire ce qui se passe dans la Chine de Xi Jinping »

A l’image du sort réservé aux minorités musulmanes en Chine, l’Etat-parti veut tout savoir de tous. Alain Frachon, éditorialiste au « Monde », s’interroge : est-ce la préfiguration d’une tyrannie 2.0 ?Publié hier à 06h00, mis à jour hier à 07h47   Temps deLecture 4 min.

Chronique. Ce 20 novembre, l’éditorial du New York Times portait ce titre : « “1984” in China » ; « 1984 en Chine ». Pour comprendre ce qui se passe dans le pays de Xi Jinping, il faudrait relire un roman britannique de 1949 – Nineteen Eighty Four – signé George Orwell ? Pourquoi maintenant ? Parce que l’œuvre d’Orwell, pas seulement 1984, devrait être un antidote à l’un des périls de l’époque : les régressions multiformes de la liberté.

1984 (« Folio ») et La Ferme des animaux (1945, « Folio ») sont deux livres dans lesquels Orwell (1903-1950) soulève le capot de la mécanique totalitaire. Il s’appuie sur ce qu’il a connu : fascisme, nazisme et communisme soviétique. Il décrypte l’escamotage de la réalité, l’usage systématique du mensonge, la réécriture de l’histoire, la répression de toute dissidence et, surtout, la volonté de « contrôler les esprits ». Immenses succès, ces deux romans illustrent de façon prémonitoire ce qui se passe dans la Chine de Xi Jinping. 1984 est interdit en Chine.

Les informations du New York Times et celles du Monde ont confirmé et détaillé le sort réservé aux minorités musulmanes de Chine, ouïgoure et kazakhe, notamment. Des centaines de milliers de musulmans, peut-être plusieurs millions à ce jour, sont ou ont été internés dans des camps de rééducation idéologique. Ils sont visés pour ce qu’ils sont, musulmans, et soumis à un lavage de cerveau collectif, afin de ne plus l’être.

Emprisonnés sans procès pour « crime de la pensée », victimes d’un système de surveillance collective numérique sans précédent. Les portables des quelque 30 millions de Ouïgours sont mécaniquement et systématiquement espionnés. L’Etat-parti veut tout savoir de tous : préfiguration d’une tyrannie 2.0 imposée à l’ensemble des Chinois ?

A ce jour, le seul pays à majorité musulmane à avoir dénoncé le sort réservé aux Ouïgours est la Turquie. Les autres pays de l’aire arabo-islamique se taisent, marché et investissements chinois obligent. La Chine entend imposer sa conception des droits de l’homme à l’étranger. Pékin veut policer le discours sur la Chine hors de ses frontières et use de sa puissance économique à cette fin. Trop souvent galvaudé, l’adjectif « orwellien » colle à la réalité.

« La liberté de l’esprit »

Deux livres récents éclairent la puissance évocatrice et analytique de l’œuvre de cet Anglais dégingandé, fine moustache et vieille veste en tweed, cravate mal ficelée, maigre comme un chat sauvage et pauvre pour rester libre : Dans la tête d’Orwell, un inédit de Christopher Hitchens (1949-2011), préfacé et traduit par Bernard Cohen (Saint-Simon, 172 p., 19,80 euros), et Sur les traces de George Orwell, de notre confrère du Figaro Adrien Jaulmes (Equateurs, 154 p., 15 euros) – voir l’article d’Alain Beuve-Méry dans Le Monde du 2 novembre. Ecrivain à l’œuvre multiple, Orwell, rappellent ces deux livres, a payé de sa personne pour chacune des causes qu’il a défendues. Qu’il s’agisse d’être aux côtés des républicains espagnols, de partager la vie du prolétariat du Royaume-Uni ou des plus misérables des Parisiens.

Orwell a pourfendu tous les « ismes » de son époque. Chez lui, écrit Cohen, « tout converge vers une seule idée, la liberté de l’esprit », dont la préservation conditionne le maintien de la démocratie. Or, cette dernière régresse aujourd’hui. Le modèle autocratique est en vogue. Pour la première fois depuis 2000, le nombre de pays se dirigeant vers un style de gouvernement autocratique dépasse ceux qui vont vers la démocratie. L’Institut Montaigne cartographie Le Monde des nouveaux autoritaires (Editions de l’Observatoire, préface de Michel Duclos, 270 p., 19 euros). L’autocratie séduit jusque dans les rangs des démocraties occidentales. A la tête de la plus puissante d’entre elles, Donald Trump est béat d’admiration devant les tyrans de son temps.

La tentation autocrate

En France, la diplomatie au culot d’un Vladimir Poutine fait des adeptes : « lui, au moins, il en a ! » Au temps de la guerre froide, Orwell dénonçait déjà cette sorte « d’envie occidentale devant le total manque de scrupule soviétique » sur la scène internationale. La Chine vante l’efficacité économique de son modèle de gouvernement et en assure discrètement la promotion. Face à la complexité des questions à résoudre – croissance, climat, migrations, lutte contre les inégalités –, la démocratie libérale ne serait plus le bon modèle. On nous refait le, mauvais, coup des « libertés formelles » dites « bourgeoises », affaires secondaires comme chacun sait, opposées aux « réelles », les impératifs de la croissance ou la célébration nationaliste.

Au début de l’automne, intervenant lors du Monde Festival, le politologue Dominique Reynié observait : « Nous sommes dans un cycle historique où il est possible que la démocratie disparaisse. » Evoquant la Chine, le patron de la Fondation pour l’innovation politique s’interrogeait sur « un monde où la plus grande puissance serait un pays qui récuse formellement toutes les valeurs de la démocratie occidentale ».

Contre la tentation autocrate, la philosophe Cynthia Fleury réaffirmait, à cette même tribune, la force et la pertinence de la démocratie libérale. Elle est peut-être médiocre, laborieuse, grisailleuse, pagailleuse, mais, dit Fleury, c’est le régime qui « intègre en son sein la complexité et le contradictoire ». Ce qui laisse l’impression qu’elle est « toujours en crise », mais fait aussi son humanité. Cette vérité est au cœur des livres d’Orwell, puissants manuels de lutte contre tous les manichéismes. Plus nécessaires que jamais.

P.S. Sujet pas si éloigné, Arte diffuse le mardi 3 décembre Venezuela, l’ombre de Chavez, passionnant film de Laurence Debray pour comprendre cette tragédie : comment ruiner un pays en moins d’une génération (et sur Arte.tv du 26 novembre au 31 janvier 2020).

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30 novembre 2019

Reportage - A Hongkong, la jeunesse guidant le peuple

Par Florence de Changy, Hongkong, correspondance

Dans un territoire miné par les inégalités, les jeunes Hongkongais ressentaient un profond mal-être. En luttant ensemble pour préserver leurs libertés, ils ont découvert la fraternité. Une solidarité qui a gagné le reste de la population, comme le montrent les élections de district remportées par le camp anti-Pékin.

Vautrés entre un amas de caisses et quelques chaises dépareillées sur un trottoir du quartier populaire du port de pêche d’Aberdeen, au sud de l’île de Hongkong, un petit groupe d’hommes mûrs aux airs de caïds, en marcels, shorts et tongs, prend le frais par cette soirée encore chaude de novembre.

Ils regardent amusés « leurs jeunes » : masqués, habillés en noir de la tête aux pieds, des manifestants démontent méthodiquement les trottoirs, brique après brique. Des bâtons d’encens brûlent devant un petit temple taoïste. Plus loin, on entend résonner le son métallique de poubelles renversées pour renforcer les barricades de rue. Les taxis font demi-tour en soupirant, mais le quartier semble plutôt bienveillant.

Désordres

Ce n’est que « la troisième ou quatrième fois », selon les habitants, qu’Aberdeen participe aux désordres qui se sont répandus sur tout le territoire de Hongkong depuis le mois de juin. Après la mort du premier manifestant, le 8 novembre (dans des circonstances troubles qui alimentent le soupçon d’une bavure policière), le mouvement a appelé en ligne à des actions dans trente-cinq quartiers. La police antiémeutes est déjà sur place, mais elle hésite à s’engager dans cet étroit canyon d’immeubles…

Quand finalement la troupe s’élance, dans un bruit de bottes et de coups de matraque sur les boucliers, les jeunes détalent. Il ne reste que les « oncles » qui continuent de discuter en se grattant le ventre. Des fenêtres, obstruées par des barres chargées de linge, émanent quelques insultes anonymes, qui déclenchent autant de rires gras, et la « chute », tout aussi anonyme, de canettes vides non loin des policiers casqués.

Vandalisme politique

Il n’y a pas si longtemps, le policier hongkongais était l’archétype du rôle modèle, incarné par les plus grandes stars du cinéma local. Jeter un mégot de cigarettes ou écrire sur un mur pouvait coûter une amende sur-le-champ. Il a suffi de quelques mois pour que le policier devienne l’ennemi public numéro un aux yeux d’une partie importante de la population ; pour que l’inconduite et même le vandalisme se muent en affirmations politiques ; et que la jeunesse se dresse comme un seul homme, osant rêver de liberté. Ses nouveaux héros sont les yung mo pai, littéralement « le groupe courageux et armé », ceux qui osent se confronter aux forces de l’ordre.

Depuis l’échec du « mouvement des parapluies » de 2014 et les attaques récurrentes de Pékin sur les libertés civiles de l’ancienne colonie britannique, les jeunes Hongkongais semblaient pourtant avoir décidé de courber l’échine. Ils av

La « no hope generation », la « génération sans espoir », c’est ainsi que le professeur de sciences politiques à l’université chinoise de Hongkong (CUHK), Po-chung Chow, appelle ces jeunes qui n’ont pas connu la tutelle britannique (Hongkong est passée sous tutelle chinoise le 1er juillet 1997). Depuis 2014, ils ont compris que la Chine ne leur donnerait sans doute jamais la démocratie promise par la Basic Law (la loi fondamentale de Hongkong qui fait office de « mini-Constitution »). Ils rejettent désormais de manière viscérale le futur proposé par la « mère patrie ». D’autant qu’à la différence de la jeunesse chinoise, eux ne bénéficient guère de la prospérité économique.

Profond mal-être

Une double impasse, politique et socio-économique, à laquelle n’échappent pas les étudiants « qui représentent pourtant l’élite », s’alarme le professeur Chow. Ces jeunes sont les principaux artisans de la révolte qui secoue la région administrative spéciale depuis que les autorités ont tenté au printemps d’imposer une nouvelle loi d’extradition. Et ni la suspension du projet (dès le 15 juin), ni même son abandon (en octobre) n’ont permis d’apaiser leur colère. Car derrière cette retentissante aspiration à la liberté s’exprime aussi un profond mal-être.

« Si vous saviez à quel point nos conversations sont sinistres », nous confie avec un sourire triste « V », 27 ans, longue frange raide sur des lunettes rondes, qui préfère ne s’identifier que par l’initiale de son prénom. C’est elle qui a tourné le superbe clip du Glory to Hong Kong, un hymne vibrant composé pour le mouvement par un jeune compositeur partisan.

Cette nuit-là, elle retrouve « C », 29 ans, son coproducteur, et « S », 30 ans, le chef d’orchestre, dans un bar à nouilles aux néons tremblotant de Causeway Bay. « On parle principalement d’émigrer, oui, de quitter Hongkong. Et aussi de la difficulté à fonder une famille », ajoute « C ». Ils affirment tous les trois que leur vidéo (qui montre des musiciens et des choristes avec masques à gaz, gants, casques, etc.) a pour but premier de redonner du courage et de l’espoir aux jeunes.

« Franchement, l’inspiration nous vient de notre dépression et de notre tristesse collectives. Je suis convaincue que, depuis le 12 juin, la jeunesse de Hongkong est en PTSD [état de stress post-traumatique] », affirme « V », faisant référence au mercredi noir, au tout début du mouvement, quand la police a réprimé, avec une force qui a semblé totalement disproportionnée, les dizaines de milliers de manifestants, des jeunes pour la plupart. La violence de cette répression, trois jours seulement après la marche paisible du 9 juin qui avait réuni un million de personnes, a installé la défiance, voire la haine entre les deux camps.

Jonas Chan, 30 ans, qui a choisi un nom d’emprunt de peur d’être fiché par les autorités chinoises, a « mis un point d’honneur à démissionner le 9 juin ». Ce fut son premier acte de résistance face à un patron qui se vantait d’aller à des manifestations « bleues », pro-Chine et pro-police, alors qu’il ordonnait à ses employés de « rester neutres ».

Logements minuscules

Jonas était agent immobilier pour l’un des quatre groupes qui contrôlent, avec une cupidité sans limite, la majorité du marché résidentiel et commercial du territoire. En démissionnant, il a sacrifié son ambition d’atteindre le rang de manageur, dont il approchait pourtant. Un grade qui lui aurait permis d’emprunter, sur trente ans, de quoi acheter un petit logement.

Habiter chez soi est pour beaucoup un rêve inaccessible dans cette mégapole où le prix du mètre carré est environ trois fois supérieur à ce qui se pratique à Paris intra-muros. Quant aux loyers, ils comptent toujours parmi les plus chers du monde. La moitié de la population se considère donc chanceuse d’avoir accès aux logements subventionnés, peu importe leur surface minuscule : onze mètres carrés sont alloués par personne.

« LES GENS QUI MANIFESTENT SONT POUR LA PLUPART PAUVRES OU ISSUS DES CLASSES MOYENNES. LEUR LIBERTÉ EST CE QU’ILS ONT DE PLUS PRÉCIEUX. ILS NE LA CÉDERONT PAS À LA CHINE. » JONAS CHAN (NOM D’EMPRUNT), 30 ANS

Nombre de jeunes couples, qui continuent de vivre séparément chez leurs parents respectifs, y compris après le mariage, ne peuvent se retrouver que dans des « love hotels ». « Certains de mes amis mettent juste la télé plus fort et s’enferment dans leur chambre. Tout le monde comprend. Mais si on peut, c’est sûr qu’on est plus tranquille dehors », explique Jonas.

Jonas a eu une enfance particulièrement difficile. Né dans une famille démunie, il a grandi dans la partie nord des nouveaux territoires, limitrophe de la Chine continentale, moins développée et moins riche que le reste de la région administrative spéciale. Après avoir vu le film La Mélodie du bonheur (1965) sa mère s’était mis en tête d’avoir douze enfants. Son père, journaliste pour des médias chinois, déserta le domicile conjugal à l’arrivée du cinquième. Il n’a donc pas besoin qu’on lui explique l’immense écart de richesse qui prévaut à Hongkong, le plus fort de toutes les économies développées.

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« Les gens qui manifestent sont pour la plupart pauvres ou issus des classes moyennes. Leurs parents ne peuvent pas les aider à payer l’apport initial pour un appartement, même microscopique. Ils sont bien éduqués, mais ils savent qu’ils ne seront jamais assez riches pour s’acheter un logement. Ils n’ont pas grand-chose à perdre. Leur liberté est ce qu’ils ont de plus précieux. Ils ne la céderont pas à la Chine », estime le jeune Hongkongais.

Sentiment de liberté

Paradoxalement, c’est aussi « un nouveau sentiment de liberté » que leur a apporté le mouvement, observe le professeur Chow. Le chant Glory to Hong Kong en parle à chaque ligne et quand les jeunes l’entonnent ensemble, spontanément, dans un centre commercial ou dans un stade, ils vivent quelque chose de très nouveau pour eux. « C’est pour cela que j’ai baptisé ce mouvement « l’été de la liberté » », précise Monsieur Chow devant un gobelet de thé, sur l’une des terrasses du campus de la CUHK qui domine le Tolo Harbour, quelques jours avant que « Chinese U » devienne la première université à subir un assaut de la police, une semaine avant la PolyU (l’université polytechnique de Hongkong).

Comme beaucoup de Hongkongais, Jonas Chan a mis sa vie entre parenthèses et son confort en péril pour ce mouvement dans lequel il a choisi de se plonger corps et âme. Dix à douze heures par jour, il est sur Lihkg (prononcer « lindeng »), la plate-forme d’échanges du mouvement, et sur Telegram, la messagerie cryptée que les manifestants utilisent pour communiquer.

« A HONGKONG, LES CITOYENS SONT AVANT TOUT DES AGENTS ÉCONOMIQUES. CE MOUVEMENT LEUR A CONFÉRÉ UN RÔLE DIFFÉRENT ET FAIT DÉCOUVRIR LA FRATERNITÉ ET LA SOLIDARITÉ. » PO-CHUNG CHOW, PROFESSEUR DE SCIENCES POLITIQUES

« Nous sommes d’abord organisés de manière géographique, dans chaque district [le territoire de Hongkong est divisé en dix-huit districts]. Il y a aussi des sous-groupes en fonction de l’activité et de l’expertise, secouriste ou designer », explique Jason, un ancien policier qui a lui aussi rejoint le mouvement « à plein temps ». Sa vie a basculé un jour de 2014, quand, pendant une pause dans le mess des sous-officiers, ses collègues se sont enthousiasmés en voyant à la télévision des policiers matraquant la tête d’un jeune manifestant du « mouvement des parapluies ». « C’est totalement contraire à notre serment », rappelle-t-il.

Avec deux oncles et un cousin dans les rangs, il est lui-même issu d’une « famille de policiers », ce qui lui garantissait un certain confort (logement, retraite, etc.) et un salaire 20 à 30 % supérieur au marché, à qualifications égales. Mais, « à cause de [ses] valeurs occidentales », Jason a renoncé. Depuis deux semaines, il n’arrive plus à dormir. Le psychologue qu’il a consulté lui a conseillé d’éteindre ses écrans : téléphone, ordinateur et télévision. Impossible…

« A Hongkong, qui est un centre d’affaires, les citoyens sont avant tout des agents économiques. Ce mouvement leur a conféré un rôle différent et leur a fait découvrir des sentiments de fraternité et de solidarité nouveaux », souligne le professeur Chow. Jusqu’au printemps 2019, Jonas n’était qu’un « combattant du clavier » (keyboard fighter) : « Je faisais des commentaires politiques sur de nombreux forums en ligne. » Mais, depuis le mouvement, il a un rôle de terrain. Il a même emprunté de l’argent à un oncle pour louer une voiture et s’est mis à la disposition des manifestants pour les raccompagner chez eux après les manifestations. Il s’est fait plus d’amis en quelques semaines que pendant le reste de sa vie « d’avant », qu’il trouve aujourd’hui terriblement fade.

Equipes clandestines

« Franchement, je ne me reconnais pas. Avant ce mouvement, je n’avais aucun intérêt pour les autres. Pour rien au monde, je n’aurais été infirmier, par exemple. Maintenant, je regarde les Hongkongais comme des gens qui partagent les mêmes problèmes et qui se battent ensemble. Mes amis sont pareils », nous déclare-t-il, fin novembre, quelques jours après avoir fait partie des équipes clandestines chargées de récupérer dix-sept étudiants de l’université PolyU qui s’étaient enfuis par les égouts (mardi 26 novembre, quelques manifestants irréductibles étaient encore retranchés dans le campus, toujours assiégé par la police).

Ce mouvement a vite su se trouver des codes d’appartenance, à commencer par un look aussi pratique que photogénique, qui a évolué : leur panoplie, toujours en noir, a peu à peu intégré des masques respiratoires sophistiqués, des lunettes de natation ou de chantier, des casques… pour répondre aux nouvelles armes de la police.

Les manifestants ont également mis au point un langage des signes très efficace pour réclamer à distance de l’eau saline, des parapluies ou des masques. Les informations remontent ainsi à toute vitesse sur des centaines de mètres et se traduisent par des actions que tout le monde comprend en même temps. Cette fluidité qui fait leur force est directement inspirée d’une devise de Bruce Lee : « Sois comme l’eau, mon ami ». Difficile, à Hongkong, de trouver plus fédérateur que le génie des arts martiaux.

Absence de hiérarchie

Le « mouvement a aussi su tirer les leçons de l’échec du « mouvement des parapluies » ». En 2014, un conflit interne autour de « la grande estrade », qui symbolisait la voix des chefs du mouvement, avait semé la zizanie parmi les aspirants au changement. Ce « syndrome de la grande estrade » est pour beaucoup dans l’absence de hiérarchie de cette rébellion acéphale.

Un refus du leadership qui a aussi ses revers : lorsqu’un opposant a été aspergé d’un liquide inflammable et transformé en torche humaine d’un coup de briquet par un manifestant en colère, début novembre, personne ne s’en est vraiment ému. Nul besoin de dénoncer ou d’approuver, il faut avancer. Cette attitude permet paradoxalement au mouvement de gérer ses nombreuses contradictions, à commencer par son attachement à la liberté d’expression, mais sa tolérance zéro à l’égard des critiques ou des contradicteurs.

« QUAND VOUS VOYEZ UN COIFFEUR DE YAU MA TAI EN TRAIN DE PRÉPARER, LA NUIT, DES COCKTAILS MOLOTOV AVEC L’AIDE DES VOISINS, VOUS SAVEZ QU’IL SE PASSE QUELQUE CHOSE DE MAJEUR. » CHAN HO-TIN, FONDATEUR DU NATIONAL PARTY

« On n’est pas parfaits. Mais on apprend de nos erreurs et on ne cesse de s’autocorriger », nous déclare Andy Chan Ho-tin, fondateur du parti indépendantiste National Party, à présent interdit. Il ne faut pas se fier à sa chemise blanche, à sa raie sur le côté, à ses lunettes rectangulaires et à ses références à la Bible, Chan Ho-tin est l’un des plus radicaux de sa génération. Actuellement en liberté sous caution et soumis à un couvre-feu, il estime que le mouvement actuel est une prolongation de l’émeute dite « des boulettes de poisson ».

Beaucoup plus violente que le « mouvement des parapluies » de 2014, elle s’était déroulée dans le quartier de Mong Kok, en 2016. « A l’époque, nous avons été rejetés par la société pour notre approche violente face au gouvernement. Mais peu à peu, les Hongkongais comprennent que nous avions raison. Et, aujourd’hui, le manifestant moyen est au moins aussi radical que nous en 2016 ! » Il estime d’ailleurs que cette radicalisation est en cours de généralisation. « Cela va devenir comme en Irlande du Nord », prédit-il.

« Quand vous voyez un coiffeur de Yau Ma Tai [vieux quartier populaire du côté de Kowloon, la partie continentale du territoire] en train de préparer, la nuit, des cocktails Molotov dans ses bacs à shampooing, avec l’aide des voisins qui apportent qui des bouteilles en verre, qui du sucre, des briquets ou un bidon d’essence, vous savez qu’il se passe quelque chose de majeur à Hongkong », relève Chan Ho-tin.

Soutien populaire

En laissant exploser cette insolence insoupçonnée, la jeunesse de Hongkong a en effet emporté dans son élan une grande partie de la société, comme l’a montré le raz de marée en faveur des candidats de l’opposition aux élections locales, dimanche 24 novembre : ils ont raflé la majorité dans 17 des 18 conseils de district, avec un taux de participation record de 71 %. Ces résultats ont confirmé que, malgré ses excès et ses défauts, les Hongkongais soutenaient leur jeunesse et partageaient ses aspirations.

« Le mouvement est passé de la désobéissance civile à la désobéissance incivile », estime la philosophe Candice Delmas. Le sens aigu du civisme de la population, qui a notamment conservé de son héritage britannique l’amour et le respect des files d’attente au cordeau, atteint d’ailleurs un paroxysme de contradiction dans certains actes de vandalisme.

Ainsi, lors de la mise à sac du Parlement, le Legco (pour Legislative Council), le 1er juillet, alors que des graffitis avaient été peinturlurés partout et que les portraits de ses présidents avaient été lacérés, les manifestants qui s’étaient servis dans la cafétéria avaient laissé l’argent correspondant à leur snack dans un panier. « Casser est un acte politique. Mais nous ne sommes pas des voleurs », revendiquait la petite note d’explication.

« CE MOUVEMENT NOUS A DONNÉ DES FORCES INSOUPÇONNÉES, MAIS AUSSI PROUVÉ QU’IL N’Y AVAIT AUCUN ESPOIR DE COMPROMIS. ON A DE VRAIES RAISONS D’AVOIR PEUR ET ENCORE PLUS DE RESTER UNIS. » JONAS CHAN

De même, après avoir détruit l’énorme vitrine d’une banque de Central, le quartier d’affaires historique, mi-novembre, les manifestants ont placardé des « Excuses pour le dérangement », adressées aux employés de la banque… Ce qui n’empêche pas les quartiers les plus chics de la ville de voir leurs murs et leurs façades barbouillés de slogans et de graffitis comme jamais auparavant.

Qu quelques cols blancs, pendant une assemblée pacifique, mais illégale, se retroussent les manches de chemise pour placer un énorme palmier en pot au beau milieu d’une rue, afin d’empêcher l’éventuelle arrivée d’un camion de police, ne surprend plus grand monde… Autant dire que le mouvement a fait exploser les normes sociales hongkongaises.

Alors qu’il a pour le moment renoncé à chercher un emploi, Jonas est fatigué, frustré, mais plus déterminé que jamais. « Nous pouvons être fiers de ce mouvement et de la manière dont il a été mené jusqu’à présent. Il nous a donné des forces insoupçonnées, mais il nous a aussi prouvé qu’il n’y avait aucun espoir de compromis. Maintenant, on a de vraies raisons d’avoir peur. Et encore plus de raisons de rester unis. »

Cette solidarité, qui s’accompagne d’un nouveau sens des responsabilités vis-à-vis de son prochain, est pour beaucoup dans la longévité du mouvement. « Tous ceux qui se sont suicidés jusqu’à présent se sont excusés de nous laisser continuer le combat sans eux, confie « S », le chef d’orchestre. Nous n’avons pas le choix. Nous leur devons de continuer en leur nom. »

29 novembre 2019

« Mort cérébrale de l’OTAN » : Macron assume, Stoltenberg recherche l’unité

Par Nathalie Guibert

Le secrétaire général de l’Alliance atlantique explique au « Monde » que le dialogue avec la Russie doit se faire « d’une seule voix » parmi les alliés.

Ils ont passé plus d’une heure ensemble à l’Elysée, et la conversation fut nourrie. A-t-elle permis de mieux se comprendre ? Sûrement, mais pas sur tous les sujets. Le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, était à Paris jeudi 28 novembre pour rencontrer Emmanuel Macron, en vue du mini-sommet de Londres des 3 et 4 décembre. Une première explication depuis les propos présidentiels sur la « mort cérébrale » de l’Alliance, qui ont surpris et provoqué de vives réactions dans les capitales européennes.

Le président français assume tous ses mots, comme il l’a dit à l’issue de la rencontre. L’alerte a été donnée, juge-t-il, « et je me félicite que chacun, maintenant, considère que la priorité est plutôt de réfléchir à nos objectifs stratégiques ». Reste à trouver une méthode, peut-être le groupe de travail de haut niveau suggéré par l’Allemagne sous la houlette du secrétariat général. « On agit dans l’OTAN sur la base d’analyses politiques, on fait ça tous les jours », a tempéré le secrétaire général dans un entretien accordé au Monde. « Nous y avons réussi, puisque depuis l’annexion illégale de la Crimée en 2014, nous sommes arrivés au plus important renforcement de l’OTAN depuis des décennies. »

Ce qui a été jugé comme une provocation inutile a quand même eu un effet positif, admet-on officieusement au secrétariat général. « Le président français a ouvert une conversation stratégique, et elle va commencer à Londres ». Depuis 2014, les dossiers sécuritaires ont été traités, mais les uns après les autres – commandement militaire, cyber, menaces hybrides, défense de l’espace, etc. « Les alliés sont d’accord pour continuer de moderniser l’Alliance atlantique. Comment le faire, nous allons poursuivre la discussion », affirme M.  Stoltenberg.

« Attachement à la sécurité collective »

Les alliés de l’OTAN « peuvent compter sur la France », a rassuré Emmanuel Macron. Mais que faire avec la Turquie ? Quel est l’ennemi commun ? Selon lui, la priorité de l’OTAN est « le terrorisme ». Et là, dit-il, « proclamer son attachement à la sécurité collective ne suffit pas. Une véritable alliance, ce sont des actes, pas des mots ». L’hôte de l’Elysée réclame, à Londres, une discussion sur l’engagement au Sahel et au Levant. Ce à quoi les alliés, notamment des Allemands très fâchés contre Paris, répondent en substance : « La France dit être seule tout en considérant le Sahel comme sa chasse gardée et elle n’a jamais fait de proposition pour une implication de l’OTAN ».

Le secrétaire général confirme être venu pour composer avec ces nuances. « Mon rôle est d’être sûr qu’on trouve des compromis et qu’on soit unis. Il y a toujours eu des différences, ce fut le cas en 1956 avec Suez » et les tensions ne viennent pas toujours de la France, a-t-il assuré au Monde. « Je ne donne pas de conseils, je discute et je consulte les décideurs pour agir. »

Mais sur la Russie, qui n’est pas l’ennemi selon Paris, le « dialogue lucide, robuste et exigeant » présenté jeudi par Emmanuel Macron continue de susciter des incompréhensions. Le secrétaire général et le président français se sont adressé des « Nous ne sommes pas naïfs » réciproques.

« Mon message principal a été de dire que nous devons nous en tenir à la double approche stratégique, que tous les alliés ont approuvée, vis-à-vis de la Russie : une dissuasion forte et un dialogue, nous précise Jens Stoltenberg. C’est seulement en parlant d’une seule voix que nous pourrons convaincre la Russie d’engager dans un contrôle crédible et sérieux des armements. »

« Les missiles russes sont là et peuvent atteindre Paris »

Certains craignent que Paris fasse des concessions à Moscou. Notamment celle d’engager des discussions sur la « nouvelle génération d’accord pour remplacer le traité sur les forces nucléaires intermédiaires » (FNI), terrain sur lequel Emmanuel Macron cherche des avancées « avec les Européens ».

Le FNI, traité bilatéral russo-américain de la guerre froide sur l’élimination des missiles intermédiaires terrestres en Europe, est devenu caduc en août quand les Etats-Unis s’en sont retirés, avec l’accord de leurs vingt-huit alliés convaincus que les SSC-8 russes le violaient. Moscou propose à présent un « moratoire » sur ces armes. « Nous n’avons pas accepté l’offre de moratoire, a précisé le président français en conférence de presse. Mais nous avons considéré que, comme base de discussion, il ne fallait pas la chasser d’un revers de main. Constater la fin d’un traité sans rien d’autre ? Soyons sérieux ! »

Au Monde, M. Stoltenberg a précisé : « Les missiles de la Russie sont là, en violation du FNI, et peuvent atteindre Paris. Il ne peut y avoir de moratoire. » L’organisation atlantique estime que le dialogue doit avoir lieu dans le cadre du conseil OTAN-Russie.

« L’OTAN est la seule plate-forme dans laquelle on a pu discuter de ces sujets stratégiques avec les Etats-Unis, ajoute le secrétaire général. Nous travaillons ensemble à la façon de répondre à la fin du FNI. Nous avons déjà décidé de ne pas réagir en miroir de la Russie, en ne déployant pas de nouveaux missiles nucléaires terrestres en Europe. Cela montre que l’OTAN a aussi des résultats en termes de consultations politiques. »

28 novembre 2019

Donald Trump promulgue une loi prodémocratie soutenant les manifestants de Hongkong

Cette législation, qui menace de suspendre le statut économique spécial de l’ex-colonie britannique, a été qualifiée d’« abomination absolue » par Pékin, qui évoque en réponse d’éventuelles représailles.

Le président américain a longtemps hésité, pesant le pour et le contre à propos de la loi soutenant le camp prodémocratie à Hongkong, assurant être « avec » les manifestants, tout en réitérant sa confiance dans son homologue chinois Xi Jinping. Mais après quelques jours de tergiversations, Donald Trump a finalement promulgué, mercredi 27 novembre, l’« acte de 2019 sur les droits humains et la démocratie à Hongkong ».

Approuvée une semaine plus tôt à une écrasante majorité par le Congrès des Etats-Unis, cette législation menace de suspendre le statut économique spécial accordé par Washington à Hongkong – il permet à ce territoire d’être exonéré des restrictions s’appliquant à la Chine continentale. Le texte conditionne désormais son maintien à la validation annuelle par l’administration américaine d’une situation jugée convenable en matière de respect des droits de la part des autorités hongkongaises.

« J’ai signé ces résolutions par respect pour le président Xi [Jinping], la Chine, et le peuple de Hongkong, a défendu Donald Trump dans un communiqué. Elles sont promulguées avec l’espoir que les leaders et les représentants de la Chine et de Hongkong seront en mesure de régler à l’amiable leurs différences. »

Pékin évoque des représailles

Cette loi a provoqué l’ire de Pékin – sans surprise. Le gouvernement chinois a ainsi menacé, jeudi, de prendre « des mesures de représailles », le ministère des affaires étrangères qualifiant cette loi d’« abomination absolue » dans un communiqué.

Moins vindicatif, le gouvernement hongkongais a, de son côté, accusé Washington d’« ingérence » dans ses affaires intérieures. « Les deux actes s’immiscent manifestement dans les affaires intérieures de Hongkong », a déclaré un responsable de l’exécutif dans un communiqué, estimant que cette résolution envoie « un mauvais message aux manifestants ».

Aux Etats-Unis, la décision de Donald Trump a été saluée des deux côtés de l’échiquier politique. « [Notre pays] se tient aux côtés des manifestants alors qu’ils marchent vers leur autonomie, pour leur démocratie et pour leurs droits humains », a écrit Ben Cardin, sénateur démocrate du Maryland. « J’applaudis le président Trump pour promulguer cette législation essentielle en loi », a abondé son collègue républicain Marco Rubio (Floride).

Vers un accord commercial

Cette promulgation intervient alors que les négociations se poursuivent pour mettre fin au conflit commercial opposant, depuis mars 2018, les deux premières puissances économiques mondiales. Sur ce dossier, les Etats-Unis et la Chine ont envoyé ces derniers jours des signaux positifs quant à la conclusion avant la fin de l’année d’un accord commercial partiel, dit de « phase un ».

« Nous sommes dans la dernière ligne droite avant de parvenir à un accord très important », avait avancé hier M. Trump.

26 novembre 2019

Avec le retour d’Internet, les Iraniens découvrent l’ampleur de la répression

Par Ghazal Golshiri, Téhéran, correspondance

Les autorités ont organisé des manifestations pro-régime, lundi, alors qu’émergeaient progressivement les noms des victimes. La répression de la contestation qui a éclaté le 15 novembre contre la hausse du prix des carburants a fait au moins 143 morts.

Après la répression sanglante, voici venu le temps de la propagande. Pour répondre à l’importante vague de contestation dans le pays, les autorités iraniennes ont invité leurs partisans à investir à leur tour les rues, lundi 25 novembre, pour dénoncer « le saccage des biens publics et privés » et « l’ingérence de l’étranger » par les opposants au régime. La répression des heurts qui ont suivi l’annonce de la hausse des prix de l’essence, le 15 novembre, aurait causé la mort d’au moins 143 personnes. Le nombre de personnes interpellées pourrait atteindre 4 000.

« Le message de la manifestation d’aujourd’hui est que nous réglons nous-mêmes nos problèmes et que nous n’avons guère besoin des étrangers. Je remercie le peuple d’avoir séparé sa voix de celle des contestataires », a martelé Mohsen Rezaï, le chef adjoint du Conseil de discernement des intérêts de la République (qui légifère par décret sur les questions urgentes) alors que les manifestants pro-régime scandaient : « A bas les auteurs de sédition. »

Quelques heures plus tôt, le porte-parole du ministère des affaires étrangères, Abbas Moussavi, était allé encore plus loin en qualifiant les manifestants de ce lundi de « vraies gens », invitant les pays étrangers à les regarder de près.

Stupéfaction et horreur

Les « vraies gens » face aux autres, c’est-à-dire les contestataires, ceux qui ont été dans la rue et ceux qui sont aujourd’hui en colère contre la violente répression entreprise par Téhéran. Depuis la levée du blocage d’Internet, le 23 novembre, des Iraniens arrivent à envoyer images des manifestations, tandis que les autres découvrent, avec stupéfaction et horreur, l’ampleur de la violence. Petit à petit, le nom et les portraits des victimes surgissent, surtout de jeunes hommes, simples passants ou manifestants.

Dans une vidéo, prise sur une place de la ville de Gorgan dans le nord-est, on voit ainsi un civil s’attaquant avec un sabre à des policiers, tandis qu’un autre manifestant agite dans l’air une hache. Une autre vidéo, prise d’un autre point de vue, montre ce dernier, sans sa hache, qui, touché de très près par une balle, tombe par terre. Les forces de l’ordre traînent ensuite le jeune homme par les pieds et l’évacuent de la place.

« Ils peuvent nous faire ce qu’ils veulent »

« Depuis que la connexion est rétablie, je suis en train de devenir folle en voyant les vidéos, alors que pendant la semaine où Internet était coupé, j’avais le sentiment de faire le deuil d’un proche, explique Sara (son nom a été modifié), médecin dans le nord de l’Iran. La gorge serrée, je sens un mélange de solitude et de frustration en pensant que ces gens peuvent nous faire ce qu’ils veulent et que nous, nous ne pouvons rien faire. »

Avec le retour d’Internet, la liste des étudiants arrêtés émerge également grâce aux informations partagées par leurs amis et proches, car, en l’absence de réseau, les habitants d’une même ville étaient restés parfois sans nouvelles les uns des autres. A Téhéran uniquement, les étudiants parlent de l’arrestation d’une trentaine de leurs camardes. Les manifestants arrêtés dans la capitale auraient été transférés à la prison tristement célèbre d’Evin, dans le nord de la ville, mais aussi au centre de détention Fashafouyeh, plus au sud, connu pour ses conditions de détention difficiles.

Même Hassan Khalilabadi, le chef du Conseil de la ville de banlieue de Chahr-e-Ray, où est situé Fashafouyeh, a fait part de son inquiétude. « Ce centre de détention où sont aussi placés des prisonniers dangereux ne peut pas détenir autant de gens », a-t-il mis en garde. Des propos alarmants, pourtant démentis par le responsable des prisons de Téhéran.

« Machines de propagande »

« Ils vont bientôt diffuser les aveux de quelques-uns de ces milliers de prisonniers, dans le but d’alimenter leurs machines de propagande et de justifier la répression », se désole Mahdi, un habitant d’Ispahan qui témoigne que les forces de l’ordre ont ouvert « systématiquement » le feu sur la foule en colère lors des manifestations dans sa ville, du 15 au 18 novembre.

« Dans notre quartier seulement, une dizaine de personnes a été tuée. Dans beaucoup d’endroits, c’était une atmosphère de guerre civile. J’ai caché un blessé par balle à la jambe chez moi, dit cet Iranien de 30 ans en montrant des photos de sa cour, entachée du sang. J’ai vu brûler trois stations de métro et cinq banques. » Les autorités parlent de 900 banques incendiées dans les manifestations dans tout le pays.

Pour certains Iraniens, le saccage est l’œuvre des éléments liés au pouvoir qui cherchent ainsi à justifier sa réponse violente, tandis que d’autres y voient la colère des couches défavorisées dont la situation s’est sensiblement dégradée ces dernières années. Selon le Fond monétaire international (FMI), l’inflation a dépassé les 40 % et le taux du chômage des jeunes se situe autour de 30 %, un chiffre certainement sous-estimé. Depuis le retour des sanctions américaines en raison d’un retrait unilatéral de Washington, en mai 2018, de l’accord sur le nucléaire iranien, les recettes du pays, liées surtout au pétrole, ont drastiquement chuté.

L’économie, déjà gravement atteinte par la corruption et une mauvaise gestion, est aujourd’hui soumise à de fortes pressions. Or la coupure d’Internet vient de lui infliger une perte de 1,4 milliard d’euros, selon un ancien membre de la chambre iranienne de commerce. Les secteurs les plus touchés seraient les commerces en ligne et les start-up. « Le blocage d’Internet a été un coup de poing dans le ventre de ceux, comme nous, qui pensaient qu’il était possible de rester, de construire et de mener des réformes en Iran, malgré les obstacles et les problèmes », a écrit sur Twitter l’entrepreneur Nasser Ghanemzadeh.

De quoi encore assombrir le tableau pour de nombreux Iraniens. Autour de Mahdi, « beaucoup de couples de mon âge m’ont parlé de leur intention de partir ». « Ici règne un sentiment de haine et de désespoir généralisé », glisse-t-il. Le mari de Sara aussi a accepté qu’elle parte seule avec leur fille de 8 ans au Canada. « J’ai déjà appelé un cabinet d’avocats spécialisé dans les questions d’immigration. Mon mari restera en Iran. Et moi au Canada, je travaillerai ou ferai des études, dit-elle. En ce moment, je traverse les jours les plus tristes de ma vie. »

26 novembre 2019

Portrait - « China Cables » : Tursunay Ziavdun, Ouïgoure, internée pendant onze mois

Par Brice Pedroletti

Une Ouïgoure raconte l’enfer vécu dans le camp où elle était enfermée pour avoir « séjourné à l’étranger ».

Tursunay Ziavdun est une Ouïgoure d’une quarantaine d’années, qui a passé onze mois dans un « centre d’éducation et de formation » chinois, à Künes (Xinyuan en chinois), dans l’ouest du Xinjiang. Elle fait partie des détenus libérés car ils avaient de la famille à l’étranger – dans son cas, au Kazakhstan, où vivait son mari, chinois d’ethnie kazakhe. C’est d’Almaty, au Kazakhstan, qu’elle s’est confiée au Monde lors de deux longs entretiens vidéo, mi-novembre.

Son parcours illustre le mélange souvent surréaliste d’arbitraire, de mensonge et d’intimidation qui a accompagné la politique d’internement en masse des Ouïgours et des Kazakhs. En 2016, Tursunay et son mari, installés depuis plusieurs années au Kazakhstan, décident de rentrer en Chine, car elle n’a pu obtenir la nationalité du Kazakhstan, et son visa expire. Ils ne se doutent de rien. Tursunay s’étonne toutefois qu’au téléphone, sa famille en Chine « ne semblait pas se réjouir que je rentre ».

Le couple, qui a dû rendre ses passeports chinois en arrivant en Chine – les passeports des Ouïgours sont systématiquement confisqués –, s’installe à Ghulja, la grande ville de l’ouest du Xinjiang. Au bout de quelques mois, Tursunay reçoit un appel lui demandant de participer à une « réunion » dans sa ville d’origine, Künes. Sur place, elle est emmenée par la police dans une ancienne école professionnelle technique de la ville. Elle apprend qu’elle doit y passer la nuit… et y restera vingt jours.

« On pouvait garder nos propres téléphones. On était une quinzaine par chambre, mais les portes n’étaient pas fermées à clé. Les conditions n’étaient pas trop dures », explique-t-elle. Ayant subi peu de temps avant une opération, elle doit être hospitalisée. L’hôpital la renvoie en centre, mais son mari, médecin, parvient toutefois à la faire sortir le jour même, pour des raisons de santé, en mai 2017.

Une vie dans la terreur

Le couple reprend sa vie à Ghulja. Son mari récupère son passeport et est autorisé à retourner au Kazakhstan, à condition que sa femme se porte garante de lui et qu’il revienne dans deux mois. Le couple estime que c’est la meilleure solution : « Si on restait en Chine, on allait se faire arrêter tous les deux, explique Tursunay. Je suis allée à Künes avec lui, j’ai signé. Il est parti au Kazakhstan. Je suis retournée à Ghulja. »

C’est à cette époque, raconte-elle, que les gens ont commencé à vivre dans la terreur des arrestations. « La seule chose qu’on disait quand on croisait une connaissance dans la rue, c’était : “Ah, tu es encore là !” Dans toutes les familles, il y avait quelqu’un d’arrêté. Et parfois, c’était des familles entières. » Les deux frères de Tursunay sont arrêtés l’un après l’autre, en février 2018 – pour avoir passé des appels téléphoniques à l’étranger.

Elle sait son tour proche : la police la harcèle depuis plusieurs mois, car son mari n’est pas revenu comme prévu. « Le 8 mars 2018, ils m’ont appelée en disant qu’ils avaient des choses à me dire. J’ai demandé : “Je dois aller à l’école, c’est ça ? – Oui, mais juste un peu, ne t’inquiète pas.” Ils disaient ça pour rassurer, car il y avait eu des suicides. J’ai dit, alors d’accord, je viens », raconte-t-elle.

« Elle pleurait de honte »

Elle se rend à Künes, puis est emmenée le lendemain dans le même camp, mais entièrement rénové : « Dès mon arrivée, j’ai compris que ce n’était plus du tout la même chose. La fouille était très approfondie, ils nous déshabillaient complètement et nous donnaient d’autres habits, sans boutons. J’avais pris les justificatifs de mon mauvais état de santé, en pensant qu’ils me laisseraient sortir. Quand j’ai tendu les documents, les gardes femmes m’ont crié dessus : “Ne fais pas de cinéma, tu crois qu’on aura pitié de toi ? Il y en a qui sont à moitié mortes ici et on ne les laisse pas sortir.” J’ai eu très peur », explique-t-elle.

« LA NUIT, DANS LE LIT, IL FALLAIT SORTIR LES BRAS DES COUVERTURES. ON NE DEVAIT DORMIR QUE D’UN SEUL CÔTÉ. ON FAISAIT NOS BESOINS DANS UN SEAU. »

Ce jour-là, elle voit une femme ouïgoure de plus de 70 ans, arrivée en même temps qu’elle, obligée d’ôter sa longue robe devant les gardes. « Ils l’ont laissée en collants. Puis ils ont arraché les boutons de son chandail, puis son foulard. Elle n’avait pas de cheveux. Elle essayait de cacher ses seins qui tombaient, on lui criait de baisser les bras. Elle pleurait de honte, je me suis mise à pleurer aussi. C’était des Chinois han, pour la plupart, qui criaient. Les autres, des Kazakhs, ne faisaient que suivre les ordres », dit-elle.

Tursunay est conduite dans une chambre fermée par une porte en fer avec des lits superposés. Elle décrit une routine et une discipline carcérales. « La nuit, dans le lit, il fallait sortir les bras des couvertures. On ne devait dormir que d’un seul côté. On faisait nos besoins dans un seau. Chaque nuit, on devait se relayer deux par deux pendant deux heures, debout dans la cellule, pour vérifier que tout était en ordre. Dans la journée, on avait trois minutes pour aller aux toilettes : les gardes étaient lourdement armés, si on y passait trop de temps, ils nous criaient dessus. » La première douche a lieu trois semaines plus tard : « On avait été mises toutes ensemble, comme des animaux. L’eau tombait froide du plafond. On avait peur d’attraper froid. »

« Personne n’allait venir nous sauver »

Désignée « étudiante de la classe 31 », Tursunay est plusieurs fois interrogée sur sa vie au Kazakhstan : va-t-elle prier ? Porte-t-elle le voile ? Sur les activités de son mari, qui avait ouvert une clinique, aussi. Argumenter, comprend-elle, ne mène à rien : « Ils nous disaient en permanence que la Chine était un pays très puissant, que personne n’allait venir nous sauver. Qu’ils allaient nous envoyer dans des prisons bien pires qu’ici. »

LE MOTIF DE CONDAMNATION QUI ÉCHOIT À TURSUNAY EST D’« AVOIR VOYAGÉ ET SÉJOURNÉ À L’ÉTRANGER ».

Elle suit également toutes sortes de cours – apprentissage du chinois, mais aussi droit, idéologie – dans des salles de classe fermées par des grilles et surveillées par un garde armé. A l’été 2018, les « étudiantes » défilent une à une dans une salle où officie un juge, qui annonce à chacune des condamnations, en présence de membres de leur famille convoqués pour l’occasion. « J’ai eu le minimum, deux ans, car je n’avais pas de famille proche que je pouvais convoquer. Tout le monde se retrouve ensuite avec un papier sur son lit qui dit la raison pour laquelle on a été condamné. »

Le motif qui échoit à Tursunay est d’« avoir voyagé et séjourné à l’étranger ». Elle a pourtant été libérée à la toute fin 2018, alors que le scandale des internements de Kazakhs en Chine ou de proches de citoyens du Kazakhstan prenait des proportions embarrassantes dans ce pays. Tous ont reçu une dernière instruction : « Ne jamais raconter ce qu’ils ont vécu. »

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