Par Frédéric Lemaître, Pékin, correspondant, Brice Pedroletti, Hongkong et Taïwan, envoyé spécial
Xi Jinping, un destin chinois (1/6). Arrivé au pouvoir fin 2012, le numéro un chinois n’a fait qu’étendre son empire depuis. Régnant sans partage sur le pays, ce fils de dignitaire n’a aujourd’hui plus grand-chose à envier à Mao.
Depuis l’arrivée de Mao Zedong au pouvoir en Chine, en 1949, aucun dirigeant étranger n’avait eu droit à un tel honneur. Une réception officielle, non pas au Palais du peuple, symbole par excellence du pouvoir communiste, mais, de l’autre côté de l’avenue de la Paix-Céleste, au sein même de la Cité interdite. Une façon de flatter Donald Trump, qui, en ce mois de novembre 2017, effectue sa première visite d’Etat à Pékin. Mais aussi de signifier au monde entier que Xi Jinping est le digne héritier des empereurs ayant régné sur le pays pendant deux millénaires. Certes, l’Egypte est « un peu plus ancienne », concède-t-il à son invité. Mais la Chine est « l’unique civilisation ininterrompue qui se poursuit encore aujourd’hui », avec ses « trois mille ans d’histoire écrite », ajoute Xi Jinping, avec toute la solennité qui sied à l’endroit.
De fait, en cet automne 2017, le secrétaire général du Parti communiste chinois (PCC), également président de la République depuis début 2013, savoure son triomphe et pose avec Donald Trump devant le hall de l’Harmonie-Suprême. Deux semaines plus tôt, les délégués du XIXe congrès du PCC, le conclave du parti qui se tient tous les cinq ans, ont approuvé l’inscription de la « pensée » de Xi dans la charte du parti.
Il faut dire qu’il sait tout de Pékin et des pièges du pouvoir : fils d’un leader communiste écarté des hautes sphères dirigeantes du jour au lendemain en 1962, puis réhabilité dix-huit ans plus tard, il a passé une partie de son enfance derrière les murailles de Zhongnanhai, le complexe résidentiel du PCC dans le secteur ouest de la Cité interdite, avant d’en être chassé. Il tient désormais sa revanche : en termes de pouvoir, il n’a plus rien à envier à Mao. Grâce aux nouvelles technologies mises à son service, cet homme de 66 ans est une sorte de Grand Timonier 2.0, omniprésent dans la vie de ses sujets, intraitable dès que l’on s’intéresse d’un peu trop près à sa personne ou à celle de son épouse.
A Hongkong, cinq hommes, éditeurs et libraires, l’ont appris à leurs dépens : ils se sont retrouvés, en 2015, au cœur d’une vaste opération des services chinois. Un seul d’entre eux, Lam Wing-kee, a recouvré la liberté depuis. Sa librairie, située dans un quartier de Hongkong très fréquenté par les touristes chinois, était spécialisée dans les brûlots politiques sur la Chine, nourris de ces fuites et rumeurs en provenance de Pékin dont ce territoire, en principe autonome, est le réceptacle. Les Chinois de passage se procuraient ces ouvrages en toute discrétion. Lam en expédiait aussi par la poste vers la Chine continentale.
L’opération dont le libraire et ses collègues furent la cible en 2015 est aujourd’hui partiellement connue. Arrêté à la frontière entre Hongkong et Shenzhen, Lam a été détenu huit mois, soumis à des interrogatoires, contraint à des confessions télévisées. Son crime : avoir vendu des livres illégalement en Chine. Ses interrogateurs souhaitaient identifier ses clients, mais aussi les auteurs soigneusement dissimulés sous des pseudonymes. Un autre « suspect », l’éditeur hongkongais propriétaire de la librairie, Gui Minhai, a, lui, disparu du jour au lendemain de sa résidence de Pattaya, en Thaïlande. Il est toujours en détention en Chine. Trois autres de ses associés et collègues, séquestrés au même moment, continuent, pour leur part, d’être soumis à diverses formes de chantage.
Reprise en main du pays
Trois ans après les faits, Lam Wing-kee se dit convaincu que l’opération visait à éviter la publication, par l’éditeur Gui Minhai, d’un ouvrage sur Xi Jinping : « Il aurait eu le projet de mettre en annexe de ce livre une note autocritique, dans laquelle celui-ci avouait avoir eu une liaison extraconjugale alors qu’il était gouverneur du Fujian », précise-t-il au Monde. Ce genre de notes autocritiques, les jiantaoshu, n’ont rien d’exceptionnel au sein du PCC. Xi Jinping les a lui-même remises au goût du jour dans les premières années de son mandat ; les confessions de cadres « dévoyés » se sont alors multipliées dans les journaux du parti.
« Si ce genre de choses était révélé, alors qu’il venait d’arriver au pouvoir, que ça soit vrai ou faux, l’impact aurait été énorme sur sa position, d’abord dans son foyer, auprès de sa femme et de sa fille, et au sein du PCC, estime Lam Wing-kee. Les luttes de pouvoir sont féroces en Chine. Son rêve de se faire président à vie, de devenir un nouvel empereur, aurait été compromis. » Le libraire a compris en les écoutant que les enquêteurs chargés de l’interroger appartenaient à un « groupe dédié central ». Autrement dit, qu’ils avaient tous les pouvoirs.
« LE CONTRÔLE DE SA BIOGRAPHIE EST D’AUTANT PLUS IMPORTANT, AUX YEUX DE XI JINPING, QUE C’EST UN LIVRE QUI A FAIT CHUTER SON PÈRE ET SES AMIS EN 1962 »
ALEX PAYETTE, ENSEIGNANT À L’INSTITUT D’ÉTUDES POLITIQUES DE L’UNIVERSITÉ D’OTTAWA
D’après un autre éditeur requérant l’anonymat, le livre brodait autour des efforts présumés de la célèbre cantatrice Peng Liyuan, épouse de Xi Jinping depuis 1987, pour se débarrasser d’une animatrice de télévision locale qui, disait-on à l’époque, était la maîtresse attitrée de son mari. « Mais plus personne à Hongkong n’oserait même envisager aujourd’hui de publier un tel ouvrage, ajoute le même éditeur. Cela implique de faire perdre la face à Xi Jinping. Et c’est très risqué. »
Et pour cause… « Le contrôle de sa biographie est d’autant plus important, aux yeux de Xi Jinping, que c’est un livre qui a fait chuter son père et ses amis en 1962 », remarque Alex Payette, enseignant à l’Institut d’études politiques de l’université d’Ottawa et spécialiste du pouvoir en Chine. En 1962, c’est en effet après avoir été accusé d’avoir soutenu la publication d’un livre qui déplut à Mao que Xi Zhongxun, jusqu’alors très proche du Grand Timonier, fut limogé et envoyé à la « base », dans une usine.
Chez l’actuel président chinois, cette obsession du « contrôle » ne concerne pas que l’écrit. Un participant au dîner organisé en janvier 2018 au Palais du peuple de Pékin en l’honneur d’Emmanuel Macron n’en revient toujours pas : la petite vidéo des deux présidents qu’il avait prise à cette occasion a disparu de son portable français. En revanche, celles des autres invités y sont restées. Les logiciels de reconnaissance faciale chinois seraient donc capables de s’immiscer partout.
Selon le politologue norvégien Stein Ringen, les hautes technologies sont en train de faire de la Chine une « dictature parfaite ». M. Ringen a d’ailleurs imaginé un néologisme pour la désigner : la « contrôlocratie ». De fait, en six ans à la tête de la deuxième puissance économique mondiale, Xi Jinping a mis sous cloche une société civile particulièrement turbulente lors de sa prise de pouvoir, reprenant en main des réseaux sociaux qui semblaient indomptables.
Le syndrome du « mauvais empereur »
S’il n’aime pas qu’on le filme à son insu ou qu’on écrive sur lui, Xi Jinping cultive volontiers l’image d’un penseur prolixe. Ainsi, le 30 mai, le journal télévisé de 19 heures de CCTV 1, la chaîne d’Etat, s’est ouvert, comme tous les soirs, par une information sur le président : le deuxième volume de son best-seller consacré à la « gouvernance de la Chine » est disponible dans cinq langues de minorités reconnues – le mongol, le tibétain, l’ouïgour, le kazakh et le coréen. Dans la foulée, un reportage montrait des lecteurs ouïgours plongés dans le livre dans une librairie. Non sans un certain cynisme, puisque cette minorité est la cible, sous Xi Jinping, d’un programme d’internement massif en camps de rééducation.
Il s’en est fallu de peu que les lecteurs français bénéficient du même privilège : avant le voyage de Xi Jinping en France, fin mars, les autorités chinoises ont tenté d’obtenir de Paris que les écrits du président figurent en bonne place dans les librairies françaises. Les Français ont dû leur expliquer qu’ils n’ont aucun pouvoir sur les choix des libraires…
Les deux livres de Xi Jinping sont une sélection de ses discours depuis 2012. Ils montrent à la fois son assurance et son ambition. Celle-ci a éclaté au grand jour dès le XIXe congrès du Parti communiste chinois d’octobre 2017, qui grave sa « pensée » (plus précisément « la pensée de Xi Jinping du socialisme aux caractéristiques chinoises pour une nouvelle ère ») dans la charte du parti, au côté de son nom. Depuis Mao, nul dirigeant n’avait eu droit à un tel honneur de son vivant. Aux côtés de Xi et de son premier ministre, Li Keqiang, les cinq nouveaux membres du Comité permanent, l’organe suprême du PCC, se rendent, après la clôture du congrès, à Shanghaï, pour prêter serment sur le lieu de naissance du parti, en 1921.
Les chercheurs et diplomates spécialistes de la Chine ont constaté qu’aucun successeur de Xi n’a été nommé au Comité permanent durant le Congrès, rompant avec le mécanisme de transition institutionnel imposé par Deng Xiaoping. Ce n’est qu’à la session parlementaire annuelle de mars 2018 que la manœuvre prend tout son sens : un « coup d’Etat constitutionnel » a conduit à l’imposition par Xi Jinping et ses partisans de multiples amendements à la Constitution, dont la fin de la limite des deux mandats pour le président. Xi annonce lui-même le résultat du scrutin qui lui donne des pouvoirs sans limite.
Malgré la censure, le malaise est palpable dans le pays. A l’étranger, le politologue américain Francis Fukuyama dénonce, par exemple, le syndrome du « mauvais empereur » guettant le régime dès lors qu’il s’affranchit des règles qui garantissaient, tous les dix ans depuis 1978, une succession ordonnée au sommet. Celles-ci, écrit-il dans une tribune, « rendaient son système politique autoritaire si différent de presque virtuellement toutes les autres dictatures ».
La pensée de Xi en application
Si Xi Jinping est sans doute contesté au sein de certaines instances du Parti, il n’est pas réellement affaibli. Ses adversaires potentiels ? Marginalisés. Comme le premier ministre Li Keqiang, sur lequel il daigne rarement jeter un regard en public. Le véritable numéro deux est Wang Qishan, un autre « prince rouge » (c’est-à-dire un fils de dignitaire), adoubé vice-président en mars 2018 – lui aussi sans limite de mandat. Ancien chef de la lutte anticorruption, Wang a une passion pour l’histoire et a sans doute eu un rôle majeur, au côté de l’idéologue Wang Huning, dans la formulation de la voie unique et salvatrice que prêche le numéro un chinois : sans le PCC, point de salut.
Le sinologue britannique Kerry Brown fait de Xi Jinping et de ses deux « apôtres » des communistes « born again » (« nés de nouveau »), convaincus de la mission sacrée d’un PCC « abîmé par les souffrances et les malencontreuses expériences du passé, mais près enfin de livrer le grand résultat attendu », c’est-à-dire le rêve chinois du retour du pays au premier rang.
« LE SENTIMENT DE PORTER UN HÉRITAGE SOUS-TEND LA PENSÉE DE XI. DANS SES DISCOURS ET DÉCLARATIONS PUBLIQUES, IL SE RÉFÈRE CONSTAMMENT AU PASSÉ »
AGNÈS ANDRÉSY, AUTEURE DE « XI JINPING. LA CHINE ROUGE NOUVELLE GÉNÉRATION » (L’HARMATTAN, 2013)
Ces dernières années, c’est Wang Qishan qui a mené la bataille contre la corruption. De la fin 2012 à 2017, 1,3 million « de tigres et de mouches » – des hauts gradés, mais aussi des cadres ordinaires – ont été emprisonnés. Parmi les « grands fauves », les trophées se comptent par centaines, dont quatre des plus importants responsables politiques sous le mandat du président précédent, Hu Jintao, tous condamnés à la perpétuité. L’épuration a largement épargné les « princes rouges » – à l’exception de Bo Xilai, le rival malheureux de Xi Jinping, condamné à la prison à vie pour corruption en 2013.
Le numéro un chinois les tient cependant à distance, car il dirige en s’entourant de nombreux fidèles et de collègues croisés au cours de sa longue carrière hors de Pékin. « En province, il y a exactement 606 personnes qui comptent, précise Alex Payette. Au moins 10 % sont dans la poche de Xi. Ça a l’air peu, mais c’est énorme, car ils ont les postes les plus importants. Sans eux, impossible pour le pouvoir de faire appliquer ses réformes. » Un même homme, Chen Xi, dirige l’école du parti et le département de l’organisation qui promeut les cadres. Toutes les nominations importantes passent par lui. Faut-il le préciser ? C’est un intime de Xi. Un ami de plus de quarante ans. Ils étudiaient ensemble à l’université pékinoise Tsinghua.
De manière significative, le premier chapitre du livre de Xi sur la « gouvernance de la Chine » porte sur « le socialisme à la chinoise ». « Le rêve chinois » vient en deuxième position. « L’Etat de droit » ne figure qu’à la cinquième place. Pour Stein Ringen, « Xi Jinping n’est rien d’autre qu’idéologique dans son discours et son action ». Et le « rêve chinois de renaissance » présente, pour le politologue norvégien, « l’embryon d’une idéologie ultra-dangereuse », parce qu’elle « repose sur une rhétorique du pouvoir et de la grandeur nationale et qu’en fin de compte il s’agit d’une idéologie dans laquelle la personne cesse d’exister en tant qu’être autonome et est englobée dans la nation ».
Pour être sûr que les Chinois la maîtrisent bien, la « pensée de Xi Jinping » fait, depuis janvier, l’objet d’une application pour smartphones, intitulée « Etudier Xi, rendre le pays plus fort ». « Un mouchard électronique s’assure que les professeurs et les chercheurs passent au moins deux heures par jour à lire des articles sur la pensée de Xi et à regarder des vidéos de propagande. Par ailleurs, Xi leur a assigné comme mission de contribuer au développement d’un modèle de modernité sociale, économique, politique et environnementale pouvant être exporté à l’étranger », explique la sinologue française Chloé Froissart.
La leçon américaine
« Gouverner, c’est mettre vos sujets hors d’état de vous nuire, mais même d’y penser », disait Machiavel. Xi Jinping s’y emploie. Grâce au savoir-faire des ingénieurs d’Alibaba, le géant du commerce en ligne chinois, qui ont développé cette application, les Chinois peuvent tester leurs connaissances, seuls ou en groupe et même, pour les meilleurs ou les plus assidus, gagner des lots. Les 89 millions de membres du PCC ont l’obligation de la télécharger.
Le « Machiavel de Zhongnanhai » ne néglige aucun public. Dans le Jiangxi, cette province du Sud-Est d’où est partie la Longue Marche de Mao en 1934, la « culture rouge » est inculquée aux enfants dès la crèche par le biais de chansons composées à leur intention. Un programme pilote destiné à être étendu au reste du pays.
Surnommé « Oncle Xi » par la propagande, il cultive sans retenue une image paternelle et débonnaire de dirigeant proche des enfants – et donc du peuple. CGTN, la chaîne chinoise diffusée à l’étranger, a même posté sur YouTube – pourtant interdit en Chine – une vidéo en anglais intitulée « Xi Jinping, ami des enfants ». On le voit visiter des écoles ou des hôpitaux pour les plus jeunes. Certains ont ensuite l’insigne honneur de pouvoir nouer, autour du cou présidentiel, le célèbre foulard rouge des jeunes communistes – un rituel qui rappelle l’époque Mao.
L’aristocrate rouge, qui a fait de la lutte contre la pauvreté l’une de ses priorités domestiques, est régulièrement montré dans les villages reculés, où, assis à même le kang, le lit chauffé par-dessous, il écoute de vieilles paysannes ridées témoigner de leur vie de labeur.
Il va jusqu’à fréquenter, certes au compte-gouttes, les restaurants populaires : comme en ce mois de décembre 2013, où il est filmé par les médias officiels dans une gargote servant des petits pains farcis à Pékin. En réalité, ses conseillers en communication se sont inspirés de la sortie dans un boui-boui pékinois du vice-président américain Joe Biden et de son ambassadeur Gary Locke, en 2011 : les internautes avaient porté aux nues la simplicité des dirigeants américains. Pour mieux critiquer l’inaccessibilité des leurs. Xi a retenu la leçon.
A l’étranger, il prend un réel plaisir à côtoyer les têtes couronnées, que ce soit la reine d’Angleterre ou le prince Albert de Monaco. Le couple qu’il forme avec son épouse est discrètement glamour. C’est la première fois qu’une première dame chinoise n’a rien à envier, en matière de tenues vestimentaires, à ses homologues occidentales. Fidèle au recentrage sur la culture chinoise dont son mari est le chantre, Peng Liyuan s’habille chez des designers chinois. Ce soft power fait des merveilles : le couple « donne de la face aux Chinois à l’étranger », entend-on souvent. Comprendre : il les rend fiers.
Quant à leur fille unique, Mingze, diplômée de Harvard, elle est aussi invisible qu’influente. Ne dit-on pas qu’elle est l’inspiratrice, voire la rédactrice, de l’éditorial du Quotidien du peuple, paru le 11 mai, au lendemain de l’échec des négociations commerciales avec les Etats-Unis ? Le titre : « Aucun défi ne saurait empêcher la Chine d’avancer ».
Porteur d’un héritage
A défaut de s’entendre avec Donald Trump, Xi Jinping courtise le reste de la planète, invitant le monde entier en Chine. En 2018, 53 leaders africains avaient fait le déplacement à Pékin pour le septième sommet du Forum Chine-Afrique. Le 15 mai, un spectacle féerique était donné au « nid d’oiseau », le stade olympique de Pékin, en l’honneur de dizaines de milliers de participants, venus cette fois de toute l’Asie, à une conférence « sur le dialogue des civilisations asiatiques ».
Mais le grand œuvre international de Xi Jinping reste bien sûr les « nouvelles routes de la soie ». Un projet lancé en septembre 2013, lors d’un voyage au Kazakhstan, destiné à renforcer les liens entre l’Asie et l’Europe. Dès 2015, changement de cap. On ne parle plus de « programme » ni de « stratégie ». Un seul mot, plus « inclusif », doit être employé : « initiative ». Pour lui, l’opération est devenue mondiale et englobe l’Afrique et l’Amérique latine, pas vraiment situées sur la route entre Xi’an et Venise. Quand Donald Trump ne jure que par son « America first », Xi Jinping, au contraire, défend le multilatéralisme et la « coopération gagnant-gagnant » par ces « routes de la soie » qui relient désormais des pays aussi différents que la Suisse, l’Ethiopie, le Panama ou la Malaisie.
Pourtant, c’est d’une miette de territoire chinois que provient aujourd’hui la contestation : Hongkong, la région administrative spéciale rétrocédée à la Chine en 1997, est en ébullition. Outrage suprême, lundi 1er juillet, des manifestants ont forcé l’entrée du Parlement local et recouvert le perchoir d’un drapeau de l’ex-colonisateur britannique. La raison ? Une loi d’extradition vers la Chine qui permettrait à Pékin de juger des Hongkongais selon ses propres lois, comme les éditeurs et libraires précédemment évoqués.
« L’histoire ne se répète pas, elle rime », disait l’écrivain américain Mark Twain. C’est dans le Guangdong, la province chinoise qui fait face à Hongkong, que le père de Xi Jinping a renoué avec sa carrière de mandarin communiste après son retour en grâce sous Deng Xiaoping. Il fut chargé, au début des années 1980, d’ouvrir à l’Occident la zone économique spéciale de Shenzhen pour contrebalancer le pouvoir d’attraction de la colonie britannique.
Le président chinois « a une conscience aiguë de son appartenance à une “pure famille communiste”, contrairement à ses prédécesseurs », écrit Agnès Andrésy, dans le livre que cette fine connaisseuse des « princes rouges » lui a consacré en 2013 (Xi Jinping. La Chine rouge nouvelle génération, L’Harmattan). « Le sentiment de porter un héritage sous-tend sa pensée. Dans ses discours et déclarations publiques, il se réfère constamment au passé. » Un passé tourmenté, dont il a fait une force.