Par Philippe Jacqué, Nabil Wakim, Louis Imbert, Ghazal Golshiri, Téhéran, correspondance, Benjamin Barthe, Beyrouth, correspondant
Le couloir situé entre l’Iran et les Emirats arabes unis revêt une importance stratégique pour le trafic maritime pétrolier mondial. Il est aussi le théâtre de multiples affrontements, depuis la guerre Iran-Irak dans les années 1980 jusqu’aux récentes tensions entre Téhéran et Washington.
Aux confins de l’Arabie et aux portes de la Perse, nimbé d’exotisme et de danger, le détroit d’Ormuz est à la fois bout et centre du monde, passage obligé et coupe-gorge. Cette image saturée de soleil, d’embruns et d’or noir, façonnée par la fameuse guerre des tankers des années 1980, à l’époque du conflit Iran-Irak, a été ranimée, depuis le mois de mai, par la soudaine escalade des tensions entre Washington et Téhéran. Six navires mystérieusement sabotés à l’entrée du golfe Persique, un drone américain abattu par un missile iranien, une avalanche de déclarations belliqueuses : Ormuz, le « cap Horn » des capitaines de pétroliers, est repassé en rouge sur la carte des points géopolitiques à risque.
En 2018, 21 millions de barils de brut ont transité chaque jour par ce couloir, soit un cinquième de la consommation mondiale d’or noir et un tiers du pétrole acheminé par voie maritime sur la planète. Un quart de la consommation mondiale de gaz naturel liquéfié a aussi circulé par cet étroit goulet. En plus d’être l’épine dorsale du système énergétique international, Ormuz se trouve sur la ligne de faille entre l’Iran et l’Arabie saoudite, deux puissances à couteaux tirés, qui se disputent la suprématie régionale.
La guerre économique décrétée par les Etats-Unis contre la République islamique, menée à coups de sanctions contre son industrie pétrolière, et les rituelles menaces de fermeture du détroit, proférées en riposte par les dirigeants de Téhéran, ont redonné au lieu son cachet sulfureux. Ultrasurveillé, ultramilitarisé, Ormuz est une boîte de Pandore géostratégique.
Territoire volcanique
Cette autoroute maritime, en forme de chicane, est dessinée par la péninsule de Musandam, une enclave omanaise à l’intérieur des Emirats arabes unis (EAU), et la baie de Bandar-e-Abbas, un port iranien entouré d’îles. Parmi celles-ci, Ormuz, qui a donné son nom au détroit. Ce territoire volcanique fut, aux XIVe et XVe siècles, un important comptoir sur la route des Indes et la capitale d’un petit royaume, rayonnant sur le Golfe et la côte d’Oman.
Long de 45 km, le passage fait 38 km de large à l’endroit le plus resserré. Les eaux territoriales iraniennes étant peu profondes, les navires sont obligés de circuler dans des chenaux très étroits, de 2 milles nautiques (3,7 km), passant entre les îlots omanais de Quoin et Ras Dobbah. Un espace interdit à la navigation d’une distance équivalente sépare le couloir entrant du couloir sortant.
« Quand on entre dans le détroit, il faut prendre un virage à gauche à 90 degrés, explique le Français Bertrand Derennes, commandant de tanker à la retraite. On prend alors le rail de navigation obligatoire, et surtout, on ne doit pas dévier, un peu comme quand on passe au large de Calais, il y a un rail et on le suit. » Une fois le détroit effacé, le chenal s’élargit à 3 milles nautiques (5,5 km) mais passe entre trois îles (Grande Tomb, Petite Tomb et Abou Moussa) occupées depuis 1971 par l’Iran, au grand dam des EAU qui les revendiquent.
« La zone est extrêmement étroite et en plus, elle est sillonnée par des petites embarcations de pêcheurs ou de contrebandiers, raconte Hubert Ardillon, un autre ancien de la marine marchande française. Le passage est compliqué en raison de la brume de chaleur qui restreint la visibilité. J’ai beaucoup joué de la corne de brume sur le détroit. »
Longtemps méconnu, Ormuz émerge sur la carte du fret maritime mondial durant la seconde moitié du XXe siècle, en raison de trois événements successifs : le début de l’exploitation, en 1951, de Ghawar, le plus vaste gisement d’or noir du globe, découvert trois ans plus tôt, sur la côte est de l’Arabie saoudite ; le choc pétrolier de 1973, conséquence de la guerre israélo-arabe du Kippour, qui multiplie le prix du baril par trois et ébranle les économies occidentales ; et la révolution khomeyniste de 1979, qui propulse au pouvoir à Téhéran un régime islamiste prosélyte, dans un pays chiite, suscitant l’inquiétude des Etats sunnites du Golfe, notamment l’Irak, qui entre en guerre contre son voisin l’année suivante.
Attaques de l’armée irakienne
Ormuz devient cinq ans plus tard un mot familier dans les bulletins d’information occidentaux. En avril 1984, plusieurs navires faisant le plein de brut au terminal de l’île de Kharg, par lequel transitent 90 % des ventes de pétrole iraniennes, sont attaqués, à coups de missiles Exocet, par les Super-Etendard de l’armée irakienne. Le président Saddam Hussein, confronté à l’échec répété des offensives terrestres lancées par ses troupes, a décidé de porter le conflit dans les eaux du Golfe.
L’ambition du despote irakien est double : saper l’effort de guerre iranien en affaiblissant l’économie du pays, très dépendante des exportations d’hydrocarbures d’une part ; et pousser le régime de Téhéran à la faute, en l’incitant à bloquer le détroit d’Ormuz, ce qui provoquerait une intervention occidentale immédiate, d’autre part. Le 16 mai 1984, Akbar Hachémi Rafsandjani, le président du Parlement iranien et futur président de la République (1989-1997), a en effet lancé : « Nous ne tolérerons pas qu’il soit difficile d’exporter notre pétrole par l’île de Kharg tandis que d’autres pays continuent d’exporter le leur facilement. Le golfe Persique sera accessible à tous ou à personne. »
Pour tenter de mettre les clients de son industrie pétrolière à l’abri, Téhéran aménage des terminaux flottants, plus au sud du Golfe, qui sont ravitaillés par navettes. Mais grâce à l’aide de la France, qui l’équipe en Mirage F1, le rayon d’action de l’aviation irakienne s’étend, ce qui lui permet de poursuivre ses raids jusqu’à l’île de Larak, en face de Bandar-e-Abbas. Des dizaines de tankers sont coulés ou irrémédiablement endommagés. En mai 1987, des missiles irakiens touchent même une frégate américaine, probablement par erreur, tuant 37 marins.
L’Iran, qui dispose de chasseurs Phantom et Tomcat datant de l’époque du chah (1941-1979), réplique en attaquant les pétroliers qui viennent s’approvisionner au Koweït, au Qatar et aux Emirats, trois monarchies solidaires de l’Irak. La République islamique pose aussi des mines, plante des batteries de missiles antinavires le long de ses côtes et élabore une stratégie de harcèlement du trafic maritime confiée aux pasdarans, les gardiens de la révolution. Le 16 septembre 1986, des membres de cette force naissante et désordonnée, mêlant patriotes et fanatiques du régime, mitraillent un tanker koweïtien depuis des vedettes ultrarapides parties des îles Tomb et Abou Moussa. C’est le premier d’une longue série de raids maritimes menés par la future garde prétorienne du régime.
En réaction, les Etats-Unis lancent en juillet 1987 l’opération « Earnest Will » (« ferme volonté »). Les pétroliers koweïtiens sont rebaptisés et placés sous pavillon américain. Un croiseur, un destroyer et deux frégates de l’US Navy les accompagnent toutes les deux semaines, jusqu’à la sortie d’Ormuz. « Il s’agit de la plus importante opération d’escorte navale depuis la fin de la seconde guerre mondiale », rappelle Pierre Razoux, directeur de recherche à l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire, à Paris, dans La Guerre Iran-Irak (Perrin, 2013).
Flagrant délit de pose de mines
La confrontation, inéluctable, éclate en trois temps : dans la nuit du 21 septembre 1987, un hélicoptère américain surprend le navire Iran Ajr en flagrant délit de pose de mines sur les voies commerciales. La scène est filmée à la caméra infrarouge. Les soldats américains donnent ensuite l’assaut au bateau – une opération qui coûte la vie à cinq marins iraniens – avant de l’envoyer par le fond.
Téhéran crie aussitôt à l’agression. Depuis le podium de l’Assemblée générale des Nations unies où il est le premier dirigeant iranien à se rendre depuis la révolution, Ali Khamenei, alors président, soutient que l’Iran Ajr était un navire commercial. Mais, dans ses Mémoires, son successeur Akbar Hachémi Rafsandjani confesse la faute du régime. « Notre navire commercial emportait deux mines à destination de Bushehr, écrit-il. Nous étions convenus de rejeter l’accusation [américaine] (…) et de ne rien dire sur l’existence de ces deux mines. »
Le deuxième affrontement intervient le 19 octobre 1987, peu après qu’un missile antinavire a percuté un supertanker récemment passé sous la bannière étoilée, blessant grièvement le commandant et plusieurs officiers, tous américains. En représailles, des destroyers pilonnent deux plates-formes offshore qui servaient de repaire aux pasdarans, à proximité du terminal de Lavan. La troisième confrontation, une bataille aéronavale de grande ampleur, baptisée « Praying Mantis » (« mante religieuse »), survient en avril 1988, après l’explosion d’une mine au passage d’un navire américain. En réaction, l’US Navy anéantit deux frégates iraniennes et des bases des pasdarans situées dans les champs pétroliers de Sirri et Sassan.
Trois mois plus tard, le 3 juillet 1988, c’est l’épilogue tragique de la guerre des tankers : un croiseur américain, l’USS Vincennes, qui pourchassait, au mépris des consignes de sa hiérarchie, des vedettes de pasdarans dans les eaux iraniennes, ouvre le feu sur un Airbus d’Iran Air, reliant Bandar-e-Abbas à Dubaï, qu’il a confondu avec un avion de chasse hostile. Le tir provoque la mort des 290 passagers, dont 66 enfants, qui se rendaient au pèlerinage de La Mecque. Huit ans plus tard, les Etats-Unis se résolvent à verser 132 millions de dollars (117 millions d’euros) de dommages au gouvernement iranien, dont 62 millions de dollars destinés aux familles des victimes, mais refusent de présenter leurs excuses. Téhéran considère encore à ce jour ce tir comme volontaire.
Opération « Mante religieuse »
En tout, entre 1984 et 1988, plus de 500 vaisseaux ont été détruits et endommagés, pour la grande majorité du fait de tirs irakiens. Le trafic n’a jamais cessé à travers le détroit, les Iraniens n’ayant pas voulu prendre le risque de le fermer complètement et n’ayant de toute façon pas les moyens de le faire durablement. Davantage que les dommages causés à son industrie pétrolière, c’est la baisse du dollar et du prix du baril qui a mis l’économie de l’Iran à terre. L’opération « Praying Mantis » (« Mante religieuse ») a aussi accéléré la fin du conflit, survenue le 20 août 1988, en convainquant l’ayatollah Khomeyni (guide de la révolution de 1979 à 1989) qu’il ne pouvait pas mener deux guerres en même temps.
Le Golfe retrouve alors son calme, mais des incidents se produisent à intervalles réguliers, signe que la tension couve. En 1991, pour éviter que la coalition internationale venue libérer le Koweït n’envahisse son territoire par la mer, l’Irak mouille des centaines de mines. L’opération de nettoyage par des dragueurs allemands, italiens, français, belges et néerlandais durera plusieurs mois. En mars 2007, des marins britanniques occupés à fouiller un boutre, au large de la frontière irako-iranienne, sont arrêtés par les gardiens de la révolution, au motif qu’ils se trouvent dans les eaux de leur pays. Ils sont libérés deux semaines plus tard.
En juillet 2010, une vedette suicide endommage un tanker japonais, une opération attribuée aux Brigades Abdallah Azzam, un groupe affilié à Al-Qaida. En janvier 2016, les pasdarans interceptent deux bateaux américains qui s’étaient égarés dans les eaux iraniennes et retiennent leurs dix marins pendant quelques heures. Les images des militaires, agenouillés, les mains sur la tête, tournent en boucle dans les médias iraniens et américains.
« SI NOTRE PÉTROLE NE PEUT PAS PASSER PAR CE DÉTROIT, SANS DOUTE LE PÉTROLE DES AUTRES PAYS N’Y PASSERA PAS NON PLUS »
En mai 2018, la décision de la Maison Blanche de se retirer de l’accord sur le nucléaire iranien, signé trois ans plus tôt, renvoie Ormuz, vieille connaissance occidentale, au premier plan de l’actualité. A la politique de « pression maximale » mise en œuvre par Donald Trump pour l’obliger à accepter un accord plus contraignant, l’Iran répond par de nouvelles menaces de fermeture du corridor maritime. « Si notre pétrole ne peut pas passer par ce détroit, sans doute le pétrole des autres pays n’y passera pas non plus », clame, en mai 2019, le général Mohammad Bagheri, le chef d’état-major iranien. Le remake de la déclaration de Rafsandjani, trente-cinq ans plus tard.
La planète pétrole a changé
Entre ces deux dates, la planète pétrole a changé, et Ormuz aussi. Grâce à l’huile de schiste, les Américains sont devenus les premiers producteurs mondiaux d’or noir, devant les Saoudiens et les Russes. En 2019, les Etats-Unis n’importent plus que 16 % de leur pétrole du Proche-Orient – contre 26 % six ans plus tôt.
Les plus gros acheteurs de pétrole sont désormais asiatiques. Selon l’Agence d’information sur l’énergie du ministère de l’énergie américain (EIA), 76 % des exportations de brut ayant transité par Ormuz en 2018 étaient destinées à l’Inde et aux puissances extrême-orientales, surtout la Chine, le Japon et la Corée du Sud. Intimement lié à l’essor industriel des grands pays occidentaux dans la seconde moitié du XXe siècle, le détroit est devenu l’auxiliaire de la modernisation de l’Asie.
Autre constat : malgré les attaques de tankers au mois de juin, la destruction d’un drone américain par un missile iranien et les imprécations de Téhéran, le cours du baril n’a pas flambé. La guerre commerciale entre Donald Trump et son homologue chinois, Xi Jinping, suscite tellement plus d’inquiétude qu’elle a relégué au second plan sur les marchés pétroliers le « vieux » risque géopolitique d’Ormuz.
Des alternatives au passage par Ormuz
Le détroit compte d’ailleurs quelques concurrents, ce qui n’était pas le cas il y a trente ans. Soucieux de garantir l’écoulement de leur production en toutes circonstances, les Etats du Golfe se sont offert des alternatives au passage par Ormuz. Le pipeline Est-Ouest, qui traverse l’Arabie saoudite pour déboucher au port de Yanbu sur la mer Rouge, a une capacité de 5 millions de barils par jour. Les EAU disposent d’un oléoduc qui mène à Foujeyra, dans le golfe d’Oman, d’une capacité de 1,5 million de barils. Enfin, l’Irak possède une voie vers le nord, à travers le Kurdistan irakien vers le port turc de Ceyhan, d’une capacité théorique de 1,4 million de barils par jour. L’Iran, quant à lui, cherche à développer, malgré les sanctions américaines, son port de Chabahar, ouvert à l’océan Indien, et à le relier à Bandar-e-Abbas par un pipeline.
Mais ces réseaux de contournement ne sont pas aussi efficaces qu’espéré. Une grosse partie du pétrole qui circule dans l’oléoduc saoudien est en fait destiné aux raffineries situées dans l’ouest du royaume. Le mauvais état du pipeline irakien ne permet pas d’exporter plus de la moitié du volume promis. A l’heure actuelle, les monarchies du Golfe n’exportent qu’environ 3,2 millions de barils par jour par oléoduc. Si toutes ces voies terrestres fonctionnaient à plein régime, le total pourrait passer à 7 ou 8 millions. Ce qui laisserait tout de même plus de 12 millions de barils sans autre option qu’Ormuz.
Ces oléoducs ne sont d’ailleurs pas sans risque : le pipeline irakien a été attaqué à plusieurs reprises, et, en mai, des drones s’en sont pris à la route Est-Ouest, endommageant deux stations de pompage. Au même moment, quatre navires au mouillage à Foujeyra étaient la cible de mystérieux sabotages. L’auteur de ces attaques n’a pas été formellement identifié. Mais celles-ci s’apparentent aux provocations soigneusement calculées dont l’Iran a fait sa spécialité, à l’image de la destruction du drone américain, le 20 juin, revendiquée, elle, par Téhéran.
L’appareil d’observation a été abattu de nuit, à haute altitude, alors qu’il évoluait sur un parcours régulier et éminemment prévisible. Téhéran soutient que l’appareil avait pénétré dans son espace aérien. Les autorités iraniennes ont aussi pris soin de souligner qu’un avion de reconnaissance américain qui volait à proximité, avec 35 personnes à bord, a été épargné, afin de ne pas provoquer de pertes irréparables.
« Les sabotages de tankers en mer d’Oman, en mai et juin, obéissent à la même logique, estime l’historien Pierre Razoux. Il n’y a pas eu de morts, les dégâts matériels sont limités. Les Iraniens se contentent de signaler que si les sanctions américaines les empêchent d’exporter leur pétrole, c’est tout le trafic dans la région qui souffrira avec eux. »
Déminage du détroit tous les deux ans
Téhéran sait qu’il n’a pas les moyens de verrouiller Ormuz. La disproportion des forces est encore plus nette que dans les années 1980. Les Etats-Unis ont ouvert, en 1995, une base navale permanente, à Bahreïn, où stationne leur Ve flotte, et déménagé le quartier général de leur commandement central au Qatar, au début des années 2000. L’armée française s’est installée à Abou Dhabi en 2009. La Royal Navy britannique est présente à Oman et à Bahreïn. Ces marines effectuent des exercices conjoints de déminage du détroit tous les deux ans, pour la dernière fois en mai 2019, et demeurent convaincues qu’un minage d’Ormuz n’est pas à l’ordre du jour.
A supposer que l’Iran parvienne à damer le pion à toutes ces marines et à paralyser Ormuz pendant quelques jours, cela ne suffirait pas à créer une pénurie dommageable sur le plan financier. La plupart des pays disposent en effet de réserves stratégiques de pétrole pour faire face à ce genre de situation. Face à l’armada américaine, et à Riyad, qui s’est doté de la première force maritime régulière de la région, Téhéran ne peut miser que sur ses capacités de nuisance et de dissuasion, testées durant la guerre des tankers.
« NOUS N’AVONS PAS LES MOYENS DE LA MARINE AMÉRICAINE, C’EST ÉVIDENT. MAIS EN CAS DE CONFLIT, IL EST CERTAIN QUE NOUS COULERONS QUELQUES-UNS DE SES NAVIRES, ET PEUT-ÊTRE UN PORTE-AVIONS »
La marine iranienne s’est bien équipée de « sous-marins de poche » auprès de la Russie et de la Corée du Nord. Mais elle n’a pas cherché à acquérir de bâtiments de surface de gros tonnage. La fierté des gardiens et du régime reste leur flotte de vedettes rapides, équipées pour certaines de missiles, et pour d’autres d’une simple mine prête à glisser sur son rail. Les jeunes gardiens embarqués sur ces coquilles de noix s’entraînent sur des simulateurs à se lancer à l’assaut de bâtiments américains. « Nous n’avons pas les moyens de la marine américaine, c’est évident. Mais en cas de conflit, il est certain que nous coulerons quelques-uns de ses navires, et peut-être un porte-avions », veut croire un responsable iranien.
C’était l’objectif d’un exercice militaire iranien très médiatisé, en 2015, durant lequel les gardiens avaient fait exploser une maquette flottante de l’USS Nimitz, mastodonte des mers. A Téhéran, on garde aussi en tête un autre exercice militaire, américain celui-ci, organisé dans les eaux du Golfe en 2002 : une puissance armée « à l’iranienne » avait fictivement « détruit » seize bâtiments américains, dont un porte-avions.
Dans son bras de fer asymétrique avec les Etats-Unis et leurs alliés, l’Iran s’appuie aussi sur l’effet dissuasif de son arsenal balistique. Par temps clair, depuis les gratte-ciel d’Abou Dhabi, la vue porte sur la petite île d’Abou Moussa, équipée par Téhéran de batteries de missiles capables de frapper toute la côte des Emirats. Parmi les cibles probables en cas de conflit : des usines de dessalement, des aéroports, des installations pétrolières et gazières. De quoi mettre ces micro-monarchies à genoux en quelques frappes.
La stratégie de Téhéran
Pour l’heure, la stratégie de Téhéran est davantage économique que militaire. « Créer des troubles dans le détroit, avec des mines par exemple, ou faire peur aux transporteurs, ça fait monter le prix des assurances, et donc, in fine, le prix du baril », expose un bon connaisseur du marché pétrolier. Exsangue du fait des sanctions américaines, qui entravent ses exportations d’hydrocarbures, l’Iran a besoin de vendre le peu de barils qu’il arrive encore à écouler au prix le plus élevé possible.
L’impact sur les coûts de transport est déjà sensible. Selon l’agence Bloomberg, les primes de risque dans le Golfe peuvent maintenant s’élever à 500 000 dollars, contre 50 000 dollars en début d’année. Cette hausse ne se reflète que timidement dans les cours actuels, elle ne représente pas plus de 25 cents par baril. Mais si la tendance s’accentue, l’effet se fera sentir. Pour les Iraniens, cette stratégie haussière est aussi une manière de mettre les Américains sous pression : les premiers à souffrir d’un pétrole cher seraient les Asiatiques et les Européens, qui seraient alors incités à se retourner contre la politique de Donald Trump, espèrent les dirigeants de Téhéran.
A ses capitaines qui croisent dans la zone, l’un des acteurs majeurs du secteur donne la consigne suivante : « Elever sa vitesse lors du passage dans le chenal iranien afin d’effacer le détroit le plus rapidement possible tout en assurant une veille visuelle et radar très attentive. Et une fois le détroit passé, naviguer en priorité au large des côtes des Emirats arabes unis et d’Oman, de façon à laisser les côtes iraniennes le plus loin possible. »