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Jours tranquilles à Paris
27 juillet 2019

Portrait - Denise Ho, la star hongkongaise de la pop qui défie la Chine

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Par Florence de Changy, Hongkong, correspondance

Chanteuse à succès et icône de la cause LGBT, Denise Ho est l’une des rares célébrités à Hongkong à s’être engagée dans le combat pro-démocratie. Un positionnement politique qui lui a attiré les foudres des autorités chinoises.

Denise Ho, ou HoCC de son nom de scène, que certains prononcent « hoc » ou « ho-si-si », a longtemps été une chanteuse et compositrice à succès, une star internationale de la Cantopop, la musique favorite à Hongkong. Défilant encore en tête de cortège le week-end dernier, elle est aujourd’hui l’une des rares vedettes de l’ancien territoire britannique à oser s’afficher en faveur du combat pro-démocratie.

Un engagement qui lui a déjà coûté sa carrière en Chine, où elle et ses chansons, qui n’ont pourtant rien de politique, sont interdites depuis 2014. Son studio de musique, dans lequel notre entretien a lieu, n’a pas servi depuis trois mois. Coupe garçonne et peau de bébé, on soupçonne Denise Ho de cacher ses 42 ans tout au fond des poches de son jean slim gris, troué au-dessus des genoux. Ses grosses bottines noires font sans doute office de lest, sans lequel elle s’envolerait…

Interdiction de quitter le pays

Elle nous explique que le projet de loi autorisant les extraditions vers la Chine, à l’origine des manifestations de ces dernières semaines et désormais « suspendu », aurait pu la viser. « On voit comment Pékin traite les artistes qui disent ce qu’ils pensent, comme Ai Weiwei (arrêté puis emprisonné près de trois mois en 2011, il lui a été interdit de quitter le pays pendant quatre ans). Cette loi nous mettait, moi tout comme d’autres activistes en vue, en grand danger. »

Elle a « plongé » le 12 juin, première journée noire du conflit, quand la police a visé la foule avec des balles en caoutchouc et des bean bags (« sacs à pois »), projectiles généralement utilisés dans des conflits beaucoup plus violents. L’avant-veille de notre rencontre, le 14 juillet, de nouvelles altercations entre policiers et manifestants (qui ont quand même fait 30 blessés) ont eu lieu dans un centre commercial dans le district de Sha Tin, et Denise Ho a tenté de s’interposer. « Quand les policiers me voient, ils ont tendance à accepter mes bons offices », constate-t-elle.

« QUAND JE ME SUIS RETROUVÉE DANS CETTE FOULE DE JEUNES ET DE HONGKONGAIS DE BASE, DANS LA FUMÉE DES GAZ LACRYMOGÈNES, J’AI VRAIMENT DÉCIDÉ QUE JE DEVAIS CHOISIR MON CAMP. » DENISE HO

La semaine précédente, le lundi 8 juillet, elle était intervenue devant le Conseil des droits de l’homme des Nations unies, à l’invitation de l’ONG UN Watch. Elle n’avait que quatre-vingt-dix secondes et avait préparé deux versions, une première, « diplomatique et polie », et une autre, qu’elle a finalement lue. La Chine l’a interrompue deux fois, invoquant des « rappels au règlement ».

« Je m’y attendais, parce qu’ils le font systématiquement. Ce qu’ils n’ont pas apprécié, c’est quand j’ai demandé comment un pays comme la Chine, avec un tel passif en matière de droits de l’homme, en citant le Xinjiang et le Tibet, pouvait encore siéger dans cette assemblée ! », raconte-t-elle, amusée. Furieuses, les autorités chinoises l’ont traitée de « folle ».

Son engagement contre Pékin remonte au 28 septembre 2014. Ce dimanche après-midi quand, pour la première fois de mémoire de Hongkongais, la police a eu recours à des gaz lacrymogènes pour disperser une foule pacifique rassemblée pour réclamer des réformes démocratiques. « Je commençais déjà à m’intéresser aux débats en cours, mais, quand je me suis retrouvée dans cette foule de jeunes et de Hongkongais de base, dans la fumée des gaz lacrymogènes, j’ai vraiment décidé que je devais choisir mon camp. » C’est de là qu’est d’ailleurs parti le « mouvement des parapluies », une occupation pacifique de quelques axes de Hongkong, pour réclamer une « vraie démocratie ». Il dura soixante-dix-neuf jours.

A l’époque, Denise Ho s’était sérieusement posé la question de s’engager plus avant. Elle avait lu des pavés sur la politique et s’était entourée d’une équipe pour réfléchir à la question. Elle avait finalement renoncé. Cinq ans plus tard, elle a changé, mûri. Il lui semble urgent à présent de changer le système, notamment parlementaire. Mais elle doit encore dénicher l’organisation idéale qui lui permette de « trouver un équilibre entre [sa] vie d’artiste et [son] engagement politique. C’est une question de survie. Pour moi, mais aussi pour mon public. »

Jusqu’à récemment, Denise Ho était d’abord et avant tout une star, chanteuse, actrice, présentatrice, modèle… Née en 1977 à Hongkong, elle part vivre avec ses parents au Québec à l’âge de 11 ans. Elle y apprend le français qu’elle parle encore avec un petit accent québécois. En 1996, elle est de retour à Hongkong, où elle gagne, de manière « totalement inattendue et inespérée », un concours de chant. Le conte de fées commence : son idole de jeunesse, Anita Mui, la Madonna de l’Asie, la prend sous son aile. De quatorze ans son aînée, Anita Mui la fait chanter avec elle et devient son mentor.

Mais ce chapitre se termine trop vite. Anita Mui meurt en 2003, à l’âge de 40 ans… Denise Ho va devoir se débrouiller toute seule. Elle qui se décrit comme « rebelle de nature » réalise sans doute son premier acte public de rébellion avec son coming out, en 2012, dans une société encore extrêmement conservatrice. Elle est depuis l’une des icônes de la cause LGBT.

Sa rencontre avec le dalaï-lama, quelques jours après avoir fêté ses 39 ans, en 2016,

la fait plonger dans le bouddhisme. « C’est un chemin personnel, apprendre à accepter les choses comme elles viennent, à regarder la vie selon une logique circulaire plutôt que linéaire et, surtout, à apprendre à vivre sans peur », témoigne-t-elle. Elle consacre un peu de temps chaque jour à méditer, en chantant notamment le sutra du diamant, l’une des plus anciennes prières du bouddhisme mahayana.

« J’AI COMPRIS AVEC LES MANIFESTATIONS DE JUIN QU’IL FALLAIT QUE NOUS TROUVIONS UN MOYEN DE RENDRE CE COMBAT DURABLE. CAR IL N’Y A AUCUNE SOLUTION À COURT TERME. » DENISE HO

« Cela m’aide à relativiser, surtout dans cette période de folie où l’on a tous les yeux rivés sur nos téléphones pour suivre tout ce qui se passe partout à la fois. Nous [les Hongkongais] avons été élevés dans la vitesse, l’efficacité, l’immédiateté. C’est dans nos gènes. Mais il y a des résultats qui ne sont pas visibles tout de suite. »

Elle a aussi relu récemment la dernière déclaration de Liu Xiaobo, dans laquelle le Prix Nobel de la paix exprimait sa conviction que l’aspiration à la liberté est ancrée dans la nature humaine. Cela lui a fait du bien. « A cause de nos conditions de vie, dans des espaces extrêmement réduits, il y a peu d’occasions de se voir et de se connaître. Pour prendre des repas ensemble, on est obligés d’aller au restaurant. Les Hongkongais sont très seuls. J’aimerais trouver un moyen de faire tomber les barrières physiques entre les gens. »

Le livre qu’elle doit présenter le lendemain au Salon du livre de Hongkong a changé de titre. Au lieu de Quand tu es couvert de poussière, qui faisait référence à un état dans lequel les choses sont figées, elle a opté à la dernière minute pour Tant que tu es là. « J’ai compris avec les manifestations de juin qu’il fallait que nous trouvions un moyen de rendre ce combat durable. Car il n’y a aucune solution à court terme. » Et c’est une optimiste qui parle…

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27 juillet 2019

Donald Trump menace le vin français en rétorsion à la taxe GAFA

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En réaction de l’adoption par Paris de la taxe sur les géants américains du numérique, le président des Etats-Unis a dénoncé « la stupidité » d’Emmanuel Macron.

Donald Trump est monté au créneau vendredi 26 juillet contre la France et sa taxe sur les géants américains du numérique, dite « taxe GAFA ». Le président des Etats-Unis a dénoncé « la stupidité » de son homologue Emmanuel Macron et menacé de rétorsions le vin français, l’un des produits d’exportation tricolores les plus emblématiques.

« La France vient d’imposer une taxe du numérique à nos grandes entreprises technologiques américaines. Si quelqu’un devait les taxer, cela devrait être leur pays d’origine, les Etats-Unis », a tweeté Donald Trump. « Nous annoncerons bientôt une action réciproque substantielle après la stupidité de Macron. J’ai toujours dit que le vin américain était meilleur que le vin français ! », a ajouté l’hôte de la Maison Blanche, qui ne boit pas d’alcool.

De l’autre côté de l’Atlantique, la réaction n’a pas tardé : « La France mettra en œuvre ses décisions nationales », a réagi le ministre de l’économie Bruno Le Maire. Le Parlement français avait définitivement adopté le 11 juillet l’instauration de cette taxe sur les géants du numérique, faisant de la France un pays pionnier en matière d’imposition des GAFA (acronyme désignant Google, Apple, Facebook et Amazon) et autres multinationales accusées d’évasion fiscale.

L’administration Trump avait annoncé, la veille de cette décision, qu’elle lançait une enquête pour mesurer les effets d’une telle taxe sur les entreprises américaines. Puis, lors du G7 en France la semaine dernière, Paris et Washington avaient semblé réduire leur contentieux, les ministres des finances évoquant alors des progrès vers un accord mondial sur la taxation du numérique.

« La taxation universelle des activités numériques est un défi qui nous concerne tous. Nous souhaitons parvenir à un accord sur ce sujet dans le cadre du G7 et de l’OCDE », a souligné vendredi Bruno Le Maire.

« Discrimination »

Cette décision unilatérale « démontre le peu d’engagement de la France dans les négociations en cours avec l’OCDE », a pourtant jugé, depuis Washington, un porte-parole de la Maison Blanche, Judd Deere.

« Le gouvernement Trump a toujours affirmé qu’il ne resterait pas les bras croisés et ne tolérerait aucune discrimination à l’encontre des entreprises américaines. »

La taxe GAFA crée une imposition des grandes entreprises du secteur non pas sur leur bénéfice, souvent consolidé dans des pays à très faible fiscalité comme l’Irlande, mais sur le chiffre d’affaires, en attendant une harmonisation des règles au niveau de l’OCDE.

Plus tôt, le principal conseiller économique de la Maison Blanche, Larry Kudlow, avait qualifié cette taxe de « très, très grosse erreur ». « Nous ne sommes pas contents que la France soit allée de l’avant avec cette sorte d’impôt sur le numérique », avait-il dit sur la chaîne CNBC.

Droits de douane supplémentaires

La taxe GAFA impose ces entreprises à hauteur de 3 % du chiffre d’affaires réalisé en France, notamment sur la publicité ciblée en ligne, la vente de données à des fins publicitaires et la mise en relation des internautes par les plates-formes. Cette solution a vocation à n’être que temporaire dans l’attente d’un aboutissement de négociations internationales.

En juin, Donald Trump avait déjà laissé entendre qu’il pourrait infliger des taxes douanières supplémentaires au vin français. Mais il invoquait alors ces droits pour corriger une concurrence jugée « déloyale ».

« La France taxe beaucoup le vin et nous taxons peu le vin français », avait alors dénoncé le président des Etats-Unis au cours d’un long entretien sur CNBC. Le vin français est réputé pour être « très bon », avait aussi commenté l’hôte de la Maison Blanche. Mais les viticulteurs américains se plaignent du fait qu’il entre sur le territoire « pour rien ». « Ce n’est pas juste, nous allons faire quelque chose pour ça », avait-il alors asséné.

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25 juillet 2019

Pyongyang procède à deux tirs de projectiles, les premiers depuis mai

Par Philippe Mesmer, Tokyo, correspondance

La Corée du Nord multiplie, depuis quelques semaines, les signaux montrant son mécontentement à l’approche des exercices conjoints américano-sud-coréens.

Le tir de deux « projectiles non identifiés » par la Corée du Nord et le renoncement à une rencontre avec le secrétaire d’Etat américain Mike Pompeo témoignent des difficultés persistantes entourant la reprise du dialogue avec les Etats-Unis sur la dénucléarisation.

D’après l’armée sud-coréenne, les projectiles en question ont décollé de la région de Wonsan (Est) à 5 h 34 et 5 h 57 du matin, jeudi 25 juillet. Ils auraient parcouru 430 km au-dessus de la mer de l’Est (Mer du Japon). « L’armée surveille de près la situation au cas où de nouveaux tirs auraient lieu, tout en se tenant prête », a expliqué l’état-major. Séoul a appelé Pyongyang à cesser toute action faisant monter les tensions.

« Nous sommes au courant des informations sur un lancement de projectiles à courte portée depuis la Corée du Nord, a déclaré de son côté Washington à l’agence sud-coréenne Yonhap. Nous n’avons pas d’autres commentaires à faire. » Les tirs ont aussi été confirmés par le Japon qui précise que les projectiles n’ont pas atteint sa zone économique exclusive.

Pyongyang n’avait pas procédé à de tels tirs depuis le début du mois de mai. Le 9, deux missiles à courte portée avaient été lancés. Auparavant, le 4, son armée avait procédé à l’essai d’un « nouveau type d’arme tactique guidée ».

Des sources diplomatiques citées par Yonhap ont aussi laissé entendre, jeudi, que le ministre nord-coréen des affaires étrangères, Ri Yong-ho, ne participerait pas au forum régional de l’Association des nations du sud-est asiatique (ASEAN) prévu du 1er au 3 août à Bangkok (Thaïlande). Il était question qu’il y rencontre le chef de la diplomatie américaine, Mike Pompeo.

Moyen de parvenir à la dénucléarisation

Ces développements interviennent moins d’un mois après la rencontre du 30 juin à Panmunjom – unique point de contact de la zone démilitarisée (Demilitarized Zone, DMZ) qui coupe la péninsule coréenne en deux – entre le dirigeant du Nord, Kim Jong-un, et le président des Etats-Unis, Donald Trump.

Les deux hommes se retrouvaient après l’échec de leur sommet d’Hanoï, en février, qui avait consacré le fossé les séparant sur le moyen de parvenir à la dénucléarisation. Pour Washington, le point de départ de toute négociation passe par une « dénucléarisation complète, vérifiable et irréversible » de la Corée du Nord. Pyongyang, appuyé par Pékin et Moscou, privilégie une approche par étapes, « donnant-donnant ».

A Panmunjom, MM. Kim et Trump ont décidé de relancer les discussions de travail sur la dénucléarisation. Sans résultat pour l’instant.

Le 16 juillet, Pyongyang a menacé de ne pas rejoindre les négociations et de reprendre ses essais nucléaires et de missiles intercontinentaux – interrompus en 2018 pour permettre le premier sommet Kim-Trump, en juin 2018 à Singapour – si Washington et Séoul n’annulaient pas des exercices militaires conjoints baptisés 19-2 Dong Maeng, programmés en août.

Américains et Sud-Coréens ont renoncé en 2018 à plusieurs manœuvres de grande ampleur, pour faciliter le dialogue avec le Nord. Mais ils ont décidé d’en maintenir certaines d’échelle réduite, comme 19-2 Dong Maeng.

Insuffisant pour la Corée du Nord qui voit dans ces exercices une menace directe contre sa sécurité. « Les Etats-Unis doivent avant tout établir les conditions et circonstances objectives pour renouer le dialogue sur la dénucléarisation », écrivait le 23 juillet, le Chosun Sinbo, quotidien favorable à la Corée du Nord et basé au Japon.

Chantier d’un nouveau sous-marin

Pyongyang multiplie les signaux traduisant son mécontentement au sujet des manœuvres. Les tirs de projectiles en seraient la dernière manifestation, même si le fait qu’ils soient à courte portée est important : Donald Trump a affirmé que ce type d’engins n’affecteraient pas les négociations.

Le 23 juillet également, l’agence nord-coréenne KCNA relatait l’inspection par Kim Jong-un, vraisemblablement aux chantiers navals de Sinpo (Est), d’un nouveau sous-marin. Accompagné des plus hauts responsables des programmes militaires, nucléaire inclus, il aurait « exprimé sa grande satisfaction de constater que le sous-marin a été conçu et assemblé pour pleinement répondre aux exigences stratégiques militaires du Parti du travail, pour faire face à différentes circonstances ». Il pourrait s’agir d’un submersible lanceur de missiles. En août 2016, la Corée du Nord avait testé un missile, le Pukguksong (Etoile polaire) pouvant être lancé d’un sous-marin.

Pyongyang aurait par ailleurs refusé d’accepter 500 000 tonnes d’aide alimentaire proposées par Séoul. En 2018, selon les Nations unies, La Corée du Nord avait enregistré ses plus mauvaises récoltes depuis plus de dix ans.

Malgré cela, Donald Trump expliquait, le 22 juillet, avoir eu récemment « une correspondance positive avec la Corée du Nord. A nouveau, il n’y a pas d’essais nucléaires, pas d’essais de missiles », avant d’ajouter qu’« à un certain point, quand ils seront prêts, nous serons prêts ». Mike Pompeo espérait le même jour une reprise « prochaine » des discussions. Il a aussi, tout comme la Corée du Sud, confirmé la tenue des exercices 19-2 Dong Maeng.

22 juillet 2019

Hongkong s’enfonce dans une crise de plus en plus complexe

Par Florence de Changy, Hongkong, correspondance

La marche de dimanche après-midi, qui mobilisa 430 000 personnes selon les organisateurs, s’est déroulée dans le calme habituel, avant que des casseurs appartenant à des gangs ne se livrent à des heurts violents.

Plusieurs heures après la fin d’une nouvelle grande marche pacifique dans les rues de Hongkong, dimanche 21 juillet après-midi, des jets de peinture noire ont atteint l’emblème de la République populaire de Chine, sur la façade du Bureau de liaison de Pékin dans le territoire. L’acte, hautement symbolique, a déclenché une condamnation immédiate de la Chine qui a estimé qu’il s’agissait d’un « défi direct à la souveraineté nationale ». Dans son communiqué, le Bureau de liaison a estimé que les manifestants avaient défié le fondement du principe de « un pays, deux systèmes » et « l’autorité du gouvernement central ». « Le Bureau de liaison […] ne peut pas être remis en cause », ajoute le communiqué.

L’ancien chef de l’exécutif, C.Y. Leung, a qualifié les manifestants de « racaille ». A la nuit tombante, alors que la police avait déjà commencé à utiliser des gaz lacrymogènes pour éloigner la foule des abords de l’immeuble de la représentation chinoise, un porte-parole des manifestants, encagoulé et entièrement camouflé, fit une brève allocution. En cantonais et en anglais, il a expliqué aux nombreux médias sur place que personne ne souhaitait avoir recours à des moyens violents et qu’il s’agissait d’une option de dernier recours alors que le gouvernement semblait ignorer totalement les demandes de la population.

Depuis le début de cette crise et jusqu’à cet épisode, les manifestants avaient plutôt évité, délibérément ou non, de viser directement Pékin dans leurs slogans ou leurs actions. Lors de l’occupation du Parlement, sur l’emblème indiquant « Région Administrative spéciale de Hongkong, République populaire de Chine » les mots « République populaire de Chine » avaient également été tagués.

Au même moment, quelques dizaines de casseurs appartenant aux triades, les gangs violents qui ont la main sur toute la scène du crime de la ville, ont fait une descente extrêmement violente dans la station de métro de Yuen Long, dans le nord-ouest des nouveaux territoires, tabassant au hasard les passagers, soupçonnés de revenir de la marche. La bagarre a fait plusieurs dizaines de blessés, dont un en état grave. « Les triades s’en sont prises, wagon après wagon, aux passagers du métro attaquant les passagers avec des barres de métal. Une femme enceinte a perdu son bébé. La police a fermé ses bureaux aux gens qui venaient porter plainte et a indiqué n’avoir arrêté personne, n’ayant pu identifier aucun des participants et estimant qu’ils ne possédaient pas d’armes dangereuses » accuse Mo Wong, délégué du Front civil des droits de l’homme.

Ligne rouge à ne pas franchir

D’après plusieurs députés de l’opposition qui se sont rendus sur place, dont Lam Cheuk-ting qui a été blessé au visage, la lenteur de la police à intervenir a permis aux mafieux de faire d’énormes dégâts. Une vidéo qui a largement circulé montre en outre un député du camp pro-Pékin, Junius Ho, en train d’applaudir les agresseurs et de les encourager avec le pouce en l’air… Le même député avait été au cœur d’une polémique, en septembre 2017, suggérant d’éliminer tous les partisans de l’indépendance de Hongkong « comme on tue les chiens et les cochons ».

L’idée de l’indépendance de Hongkong est devenue un tabou depuis le discours du président chinois Xi Jinping, le 1er juillet 2017, qui a parlé de ligne rouge à ne pas franchir. Le seul parti indépendantiste reconnu, le Parti national de Hongkong, a d’ailleurs été interdit en septembre 2018. Pourtant la police a découvert, vendredi soir, dans un laboratoire clandestin, 2 kg d’explosif très puissant, du TATP, ainsi que de dix cocktails Molotov, des acides et une série d’objets pouvant servir d’armes notamment des catapultes, ainsi que des documents appartenant à un parti indépendantiste inconnu jusque-là, le Front national de Hongkong dont le leader serait le jeune député destitué en 2016, Baggio Leung.

Jusqu’aux heurts sanglants de la nuit, la marche, qui mobilisa 430 000 personnes selon les organisateurs, eut lieu dans le calme habituel, bien que la plupart des manifestants firent fi des restrictions imposées par la police sur l’itinéraire et continuèrent leur chemin bien au-delà de la limite fixée.

21 juillet 2019

Explosifs saisis et contre-manifestation : fébrilité à Hongkong avant une nouvelle journée de contestation

Plus de 100 000 personnes ont défilé en soutien à la police, samedi, alors que se poursuit la mobilisation populaire dénonçant l’influence de la Chine.

La police de Hongkong a annoncé, samedi 20 juillet, avoir découvert un laboratoire clandestin de fabrication d’explosifs TATP, alors que le territoire à statut spécial est secoué depuis plus d’un mois par des manifestations qui contestent l’influence croissante de Pékin dans l’ex-colonie britannique.

Les autorités ont indiqué avoir arrêté un homme de 27 ans lors d’un raid, vendredi soir, dans un bâtiment industriel du district de Tsuen Wan, quartier situé au centre du territoire rétrocédé par le Royaume-Uni à la Chine en 1997, selon un responsable policier, Alick McWhirter, spécialiste en déminage :

« Nous avons affaire à un laboratoire artisanal pour la fabrication d’explosifs puissants, spécifiquement du TATP [tripéroxyde de triacétone]. C’est un explosif extrêmement instable et puissant, qui peut causer des dégâts exceptionnels. »

Les autorités ont déclaré que deux kilogrammes de cet explosif avaient été découverts au cours de l’opération ; l’équipe de démineurs a procédé à une explosion contrôlée et en prévoyait plusieurs autres.

La police a indiqué avoir saisi lors de son raid un tee-shirt avec le logo du Front national de Hongkong, un groupuscule pro-indépendance, de même que des tracts relatifs aux manifestations antigouvernementales qui agitent le territoire semi-autonome. Le Front national de Hongkong a dit sur Facebook que l’homme arrêté était l’un de ses membres mais a ajouté n’avoir aucune information sur la présence d’explosifs.

Grand rassemblement en soutien aux forces de l’ordre

L’annonce de la saisie intervient alors que Hongkong vit depuis six semaines au rythme de manifestations très suivies contre un projet de loi, désormais suspendu, visant à autoriser les extraditions vers la Chine. La contestation s’est depuis élargie à des exigences concernant la préservation des acquis démocratiques et des libertés – en particulier d’expression et l’indépendance de la justice – dont ce territoire jouit, théoriquement, jusqu’en 2047, terme de l’accord de rétrocession.

Emaillée de quelques violences et par la brève intrusion de manifestants, le 1er juillet, dans le Parlement local, la mobilisation doit se poursuivre avec un nouveau rassemblement dans l’après-midi du dimanche 21 juillet. Le cortège devra suivre un parcours raccourci par la police, qui affirme craindre des « troubles à la sécurité publique ». Les bâtiments du gouvernement ont été entourés d’une barrière de près de deux mètres de haut en prévision de la manifestation.

Si les derniers rassemblements figurent parmi les plus importants de l’histoire récente d’Hongkong en termes de mobilisation populaire, une partie de la population déplore les affrontements entre manifestants et forces de l’ordre. Samedi, dans un contre-mouvement de la mobilisation prévue dimanche, au moins 103 000 personnes, selon la police (316 000 selon les organisateurs), ont manifesté autour du slogan « Protéger Hongkong » pour exprimer leur soutien à la police et au gouvernement pro-Pékin, et réclamer un arrêt des violences.

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20 juillet 2019

Golfe Persique : le détroit d’Ormuz, au centre du monde

Par Philippe Jacqué, Nabil Wakim, Louis Imbert, Ghazal Golshiri, Téhéran, correspondance, Benjamin Barthe, Beyrouth, correspondant

Le couloir situé entre l’Iran et les Emirats arabes unis revêt une importance stratégique pour le trafic maritime pétrolier mondial. Il est aussi le théâtre de multiples affrontements, depuis la guerre Iran-Irak dans les années 1980 jusqu’aux récentes tensions entre Téhéran et Washington.

Aux confins de l’Arabie et aux portes de la Perse, nimbé d’exotisme et de danger, le détroit d’Ormuz est à la fois bout et centre du monde, passage obligé et coupe-gorge. Cette image saturée de soleil, d’embruns et d’or noir, façonnée par la fameuse guerre des tankers des années 1980, à l’époque du conflit Iran-Irak, a été ranimée, depuis le mois de mai, par la soudaine escalade des tensions entre Washington et Téhéran. Six navires mystérieusement sabotés à l’entrée du golfe Persique, un drone américain abattu par un missile iranien, une avalanche de déclarations belliqueuses : Ormuz, le « cap Horn » des capitaines de pétroliers, est repassé en rouge sur la carte des points géopolitiques à risque.

En 2018, 21 millions de barils de brut ont transité chaque jour par ce couloir, soit un cinquième de la consommation mondiale d’or noir et un tiers du pétrole acheminé par voie maritime sur la planète. Un quart de la consommation mondiale de gaz naturel liquéfié a aussi circulé par cet étroit goulet. En plus d’être l’épine dorsale du système énergétique international, Ormuz se trouve sur la ligne de faille entre l’Iran et l’Arabie saoudite, deux puissances à couteaux tirés, qui se disputent la suprématie régionale.

La guerre économique décrétée par les Etats-Unis contre la République islamique, menée à coups de sanctions contre son industrie pétrolière, et les rituelles menaces de fermeture du détroit, proférées en riposte par les dirigeants de Téhéran, ont redonné au lieu son cachet sulfureux. Ultrasurveillé, ultramilitarisé, Ormuz est une boîte de Pandore géostratégique.

Territoire volcanique

Cette autoroute maritime, en forme de chicane, est dessinée par la péninsule de Musandam, une enclave omanaise à l’intérieur des Emirats arabes unis (EAU), et la baie de Bandar-e-Abbas, un port iranien entouré d’îles. Parmi celles-ci, Ormuz, qui a donné son nom au détroit. Ce territoire volcanique fut, aux XIVe et XVe siècles, un important comptoir sur la route des Indes et la capitale d’un petit royaume, rayonnant sur le Golfe et la côte d’Oman.

 

Long de 45 km, le passage fait 38 km de large à l’endroit le plus resserré. Les eaux territoriales iraniennes étant peu profondes, les navires sont obligés de circuler dans des chenaux très étroits, de 2 milles nautiques (3,7 km), passant entre les îlots omanais de Quoin et Ras Dobbah. Un espace interdit à la navigation d’une distance équivalente sépare le couloir entrant du couloir sortant.

« Quand on entre dans le détroit, il faut prendre un virage à gauche à 90 degrés, explique le Français Bertrand Derennes, commandant de tanker à la retraite. On prend alors le rail de navigation obligatoire, et surtout, on ne doit pas dévier, un peu comme quand on passe au large de Calais, il y a un rail et on le suit. » Une fois le détroit effacé, le chenal s’élargit à 3 milles nautiques (5,5 km) mais passe entre trois îles (Grande Tomb, Petite Tomb et Abou Moussa) occupées depuis 1971 par l’Iran, au grand dam des EAU qui les revendiquent.

« La zone est extrêmement étroite et en plus, elle est sillonnée par des petites embarcations de pêcheurs ou de contrebandiers, raconte Hubert Ardillon, un autre ancien de la marine marchande française. Le passage est compliqué en raison de la brume de chaleur qui restreint la visibilité. J’ai beaucoup joué de la corne de brume sur le détroit. »

Longtemps méconnu, Ormuz émerge sur la carte du fret maritime mondial durant la seconde moitié du XXe siècle, en raison de trois événements successifs : le début de l’exploitation, en 1951, de Ghawar, le plus vaste gisement d’or noir du globe, découvert trois ans plus tôt, sur la côte est de l’Arabie saoudite ; le choc pétrolier de 1973, conséquence de la guerre israélo-arabe du Kippour, qui multiplie le prix du baril par trois et ébranle les économies occidentales ; et la révolution khomeyniste de 1979, qui propulse au pouvoir à Téhéran un régime islamiste prosélyte, dans un pays chiite, suscitant l’inquiétude des Etats sunnites du Golfe, notamment l’Irak, qui entre en guerre contre son voisin l’année suivante.

Attaques de l’armée irakienne

Ormuz devient cinq ans plus tard un mot familier dans les bulletins d’information occidentaux. En avril 1984, plusieurs navires faisant le plein de brut au terminal de l’île de Kharg, par lequel transitent 90 % des ventes de pétrole iraniennes, sont attaqués, à coups de missiles Exocet, par les Super-Etendard de l’armée irakienne. Le président Saddam Hussein, confronté à l’échec répété des offensives terrestres lancées par ses troupes, a décidé de porter le conflit dans les eaux du Golfe.

L’ambition du despote irakien est double : saper l’effort de guerre iranien en affaiblissant l’économie du pays, très dépendante des exportations d’hydrocarbures d’une part ; et pousser le régime de Téhéran à la faute, en l’incitant à bloquer le détroit d’Ormuz, ce qui provoquerait une intervention occidentale immédiate, d’autre part. Le 16 mai 1984, Akbar Hachémi Rafsandjani, le président du Parlement iranien et futur président de la République (1989-1997), a en effet lancé : « Nous ne tolérerons pas qu’il soit difficile d’exporter notre pétrole par l’île de Kharg tandis que d’autres pays continuent d’exporter le leur facilement. Le golfe Persique sera accessible à tous ou à personne. »

Pour tenter de mettre les clients de son industrie pétrolière à l’abri, Téhéran aménage des terminaux flottants, plus au sud du Golfe, qui sont ravitaillés par navettes. Mais grâce à l’aide de la France, qui l’équipe en Mirage F1, le rayon d’action de l’aviation irakienne s’étend, ce qui lui permet de poursuivre ses raids jusqu’à l’île de Larak, en face de Bandar-e-Abbas. Des dizaines de tankers sont coulés ou irrémédiablement endommagés. En mai 1987, des missiles irakiens touchent même une frégate américaine, probablement par erreur, tuant 37 marins.

L’Iran, qui dispose de chasseurs Phantom et Tomcat datant de l’époque du chah (1941-1979), réplique en attaquant les pétroliers qui viennent s’approvisionner au Koweït, au Qatar et aux Emirats, trois monarchies solidaires de l’Irak. La République islamique pose aussi des mines, plante des batteries de missiles antinavires le long de ses côtes et élabore une stratégie de harcèlement du trafic maritime confiée aux pasdarans, les gardiens de la révolution. Le 16 septembre 1986, des membres de cette force naissante et désordonnée, mêlant patriotes et fanatiques du régime, mitraillent un tanker koweïtien depuis des vedettes ultrarapides parties des îles Tomb et Abou Moussa. C’est le premier d’une longue série de raids maritimes menés par la future garde prétorienne du régime.

En réaction, les Etats-Unis lancent en juillet 1987 l’opération « Earnest Will » (« ferme volonté »). Les pétroliers koweïtiens sont rebaptisés et placés sous pavillon américain. Un croiseur, un destroyer et deux frégates de l’US Navy les accompagnent toutes les deux semaines, jusqu’à la sortie d’Ormuz. « Il s’agit de la plus importante opération d’escorte navale depuis la fin de la seconde guerre mondiale », rappelle Pierre Razoux, directeur de recherche à l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire, à Paris, dans La Guerre Iran-Irak (Perrin, 2013).

Flagrant délit de pose de mines

La confrontation, inéluctable, éclate en trois temps : dans la nuit du 21 septembre 1987, un hélicoptère américain surprend le navire Iran Ajr en flagrant délit de pose de mines sur les voies commerciales. La scène est filmée à la caméra infrarouge. Les soldats américains donnent ensuite l’assaut au bateau – une opération qui coûte la vie à cinq marins iraniens – avant de l’envoyer par le fond.

Téhéran crie aussitôt à l’agression. Depuis le podium de l’Assemblée générale des Nations unies où il est le premier dirigeant iranien à se rendre depuis la révolution, Ali Khamenei, alors président, soutient que l’Iran Ajr était un navire commercial. Mais, dans ses Mémoires, son successeur Akbar Hachémi Rafsandjani confesse la faute du régime. « Notre navire commercial emportait deux mines à destination de Bushehr, écrit-il. Nous étions convenus de rejeter l’accusation [américaine] (…) et de ne rien dire sur l’existence de ces deux mines. »

Le deuxième affrontement intervient le 19 octobre 1987, peu après qu’un missile antinavire a percuté un supertanker récemment passé sous la bannière étoilée, blessant grièvement le commandant et plusieurs officiers, tous américains. En représailles, des destroyers pilonnent deux plates-formes offshore qui servaient de repaire aux pasdarans, à proximité du terminal de Lavan. La troisième confrontation, une bataille aéronavale de grande ampleur, baptisée « Praying Mantis » (« mante religieuse »), survient en avril 1988, après l’explosion d’une mine au passage d’un navire américain. En réaction, l’US Navy anéantit deux frégates iraniennes et des bases des pasdarans situées dans les champs pétroliers de Sirri et Sassan.

Trois mois plus tard, le 3 juillet 1988, c’est l’épilogue tragique de la guerre des tankers : un croiseur américain, l’USS Vincennes, qui pourchassait, au mépris des consignes de sa hiérarchie, des vedettes de pasdarans dans les eaux iraniennes, ouvre le feu sur un Airbus d’Iran Air, reliant Bandar-e-Abbas à Dubaï, qu’il a confondu avec un avion de chasse hostile. Le tir provoque la mort des 290 passagers, dont 66 enfants, qui se rendaient au pèlerinage de La Mecque. Huit ans plus tard, les Etats-Unis se résolvent à verser 132 millions de dollars (117 millions d’euros) de dommages au gouvernement iranien, dont 62 millions de dollars destinés aux familles des victimes, mais refusent de présenter leurs excuses. Téhéran considère encore à ce jour ce tir comme volontaire.

Opération « Mante religieuse »

En tout, entre 1984 et 1988, plus de 500 vaisseaux ont été détruits et endommagés, pour la grande majorité du fait de tirs irakiens. Le trafic n’a jamais cessé à travers le détroit, les Iraniens n’ayant pas voulu prendre le risque de le fermer complètement et n’ayant de toute façon pas les moyens de le faire durablement. Davantage que les dommages causés à son industrie pétrolière, c’est la baisse du dollar et du prix du baril qui a mis l’économie de l’Iran à terre. L’opération « Praying Mantis » (« Mante religieuse ») a aussi accéléré la fin du conflit, survenue le 20 août 1988, en convainquant l’ayatollah Khomeyni (guide de la révolution de 1979 à 1989) qu’il ne pouvait pas mener deux guerres en même temps.

Le Golfe retrouve alors son calme, mais des incidents se produisent à intervalles réguliers, signe que la tension couve. En 1991, pour éviter que la coalition internationale venue libérer le Koweït n’envahisse son territoire par la mer, l’Irak mouille des centaines de mines. L’opération de nettoyage par des dragueurs allemands, italiens, français, belges et néerlandais durera plusieurs mois. En mars 2007, des marins britanniques occupés à fouiller un boutre, au large de la frontière irako-iranienne, sont arrêtés par les gardiens de la révolution, au motif qu’ils se trouvent dans les eaux de leur pays. Ils sont libérés deux semaines plus tard.

En juillet 2010, une vedette suicide endommage un tanker japonais, une opération attribuée aux Brigades Abdallah Azzam, un groupe affilié à Al-Qaida. En janvier 2016, les pasdarans interceptent deux bateaux américains qui s’étaient égarés dans les eaux iraniennes et retiennent leurs dix marins pendant quelques heures. Les images des militaires, agenouillés, les mains sur la tête, tournent en boucle dans les médias iraniens et américains.

« SI NOTRE PÉTROLE NE PEUT PAS PASSER PAR CE DÉTROIT, SANS DOUTE LE PÉTROLE DES AUTRES PAYS N’Y PASSERA PAS NON PLUS »

En mai 2018, la décision de la Maison Blanche de se retirer de l’accord sur le nucléaire iranien, signé trois ans plus tôt, renvoie Ormuz, vieille connaissance occidentale, au premier plan de l’actualité. A la politique de « pression maximale » mise en œuvre par Donald Trump pour l’obliger à accepter un accord plus contraignant, l’Iran répond par de nouvelles menaces de fermeture du corridor maritime. « Si notre pétrole ne peut pas passer par ce détroit, sans doute le pétrole des autres pays n’y passera pas non plus », clame, en mai 2019, le général Mohammad Bagheri, le chef d’état-major iranien. Le remake de la déclaration de Rafsandjani, trente-cinq ans plus tard.

La planète pétrole a changé

Entre ces deux dates, la planète pétrole a changé, et Ormuz aussi. Grâce à l’huile de schiste, les Américains sont devenus les premiers producteurs mondiaux d’or noir, devant les Saoudiens et les Russes. En 2019, les Etats-Unis n’importent plus que 16 % de leur pétrole du Proche-Orient – contre 26 % six ans plus tôt.

Les plus gros acheteurs de pétrole sont désormais asiatiques. Selon l’Agence d’information sur l’énergie du ministère de l’énergie américain (EIA), 76 % des exportations de brut ayant transité par Ormuz en 2018 étaient destinées à l’Inde et aux puissances extrême-orientales, surtout la Chine, le Japon et la Corée du Sud. Intimement lié à l’essor industriel des grands pays occidentaux dans la seconde moitié du XXe siècle, le détroit est devenu l’auxiliaire de la modernisation de l’Asie.

Autre constat : malgré les attaques de tankers au mois de juin, la destruction d’un drone américain par un missile iranien et les imprécations de Téhéran, le cours du baril n’a pas flambé. La guerre commerciale entre Donald Trump et son homologue chinois, Xi Jinping, suscite tellement plus d’inquiétude qu’elle a relégué au second plan sur les marchés pétroliers le « vieux » risque géopolitique d’Ormuz.

Des alternatives au passage par Ormuz

Le détroit compte d’ailleurs quelques concurrents, ce qui n’était pas le cas il y a trente ans. Soucieux de garantir l’écoulement de leur production en toutes circonstances, les Etats du Golfe se sont offert des alternatives au passage par Ormuz. Le pipeline Est-Ouest, qui traverse l’Arabie saoudite pour déboucher au port de Yanbu sur la mer Rouge, a une capacité de 5 millions de barils par jour. Les EAU disposent d’un oléoduc qui mène à Foujeyra, dans le golfe d’Oman, d’une capacité de 1,5 million de barils. Enfin, l’Irak possède une voie vers le nord, à travers le Kurdistan irakien vers le port turc de Ceyhan, d’une capacité théorique de 1,4 million de barils par jour. L’Iran, quant à lui, cherche à développer, malgré les sanctions américaines, son port de Chabahar, ouvert à l’océan Indien, et à le relier à Bandar-e-Abbas par un pipeline.

Mais ces réseaux de contournement ne sont pas aussi efficaces qu’espéré. Une grosse partie du pétrole qui circule dans l’oléoduc saoudien est en fait destiné aux raffineries situées dans l’ouest du royaume. Le mauvais état du pipeline irakien ne permet pas d’exporter plus de la moitié du volume promis. A l’heure actuelle, les monarchies du Golfe n’exportent qu’environ 3,2 millions de barils par jour par oléoduc. Si toutes ces voies terrestres fonctionnaient à plein régime, le total pourrait passer à 7 ou 8 millions. Ce qui laisserait tout de même plus de 12 millions de barils sans autre option qu’Ormuz.

Ces oléoducs ne sont d’ailleurs pas sans risque : le pipeline irakien a été attaqué à plusieurs reprises, et, en mai, des drones s’en sont pris à la route Est-Ouest, endommageant deux stations de pompage. Au même moment, quatre navires au mouillage à Foujeyra étaient la cible de mystérieux sabotages. L’auteur de ces attaques n’a pas été formellement identifié. Mais celles-ci s’apparentent aux provocations soigneusement calculées dont l’Iran a fait sa spécialité, à l’image de la destruction du drone américain, le 20 juin, revendiquée, elle, par Téhéran.

L’appareil d’observation a été abattu de nuit, à haute altitude, alors qu’il évoluait sur un parcours régulier et éminemment prévisible. Téhéran soutient que l’appareil avait pénétré dans son espace aérien. Les autorités iraniennes ont aussi pris soin de souligner qu’un avion de reconnaissance américain qui volait à proximité, avec 35 personnes à bord, a été épargné, afin de ne pas provoquer de pertes irréparables.

« Les sabotages de tankers en mer d’Oman, en mai et juin, obéissent à la même logique, estime l’historien Pierre Razoux. Il n’y a pas eu de morts, les dégâts matériels sont limités. Les Iraniens se contentent de signaler que si les sanctions américaines les empêchent d’exporter leur pétrole, c’est tout le trafic dans la région qui souffrira avec eux. »

Déminage du détroit tous les deux ans

Téhéran sait qu’il n’a pas les moyens de verrouiller Ormuz. La disproportion des forces est encore plus nette que dans les années 1980. Les Etats-Unis ont ouvert, en 1995, une base navale permanente, à Bahreïn, où stationne leur Ve flotte, et déménagé le quartier général de leur commandement central au Qatar, au début des années 2000. L’armée française s’est installée à Abou Dhabi en 2009. La Royal Navy britannique est présente à Oman et à Bahreïn. Ces marines effectuent des exercices conjoints de déminage du détroit tous les deux ans, pour la dernière fois en mai 2019, et demeurent convaincues qu’un minage d’Ormuz n’est pas à l’ordre du jour.

A supposer que l’Iran parvienne à damer le pion à toutes ces marines et à paralyser Ormuz pendant quelques jours, cela ne suffirait pas à créer une pénurie dommageable sur le plan financier. La plupart des pays disposent en effet de réserves stratégiques de pétrole pour faire face à ce genre de situation. Face à l’armada américaine, et à Riyad, qui s’est doté de la première force maritime régulière de la région, Téhéran ne peut miser que sur ses capacités de nuisance et de dissuasion, testées durant la guerre des tankers.

« NOUS N’AVONS PAS LES MOYENS DE LA MARINE AMÉRICAINE, C’EST ÉVIDENT. MAIS EN CAS DE CONFLIT, IL EST CERTAIN QUE NOUS COULERONS QUELQUES-UNS DE SES NAVIRES, ET PEUT-ÊTRE UN PORTE-AVIONS »

La marine iranienne s’est bien équipée de « sous-marins de poche » auprès de la Russie et de la Corée du Nord. Mais elle n’a pas cherché à acquérir de bâtiments de surface de gros tonnage. La fierté des gardiens et du régime reste leur flotte de vedettes rapides, équipées pour certaines de missiles, et pour d’autres d’une simple mine prête à glisser sur son rail. Les jeunes gardiens embarqués sur ces coquilles de noix s’entraînent sur des simulateurs à se lancer à l’assaut de bâtiments américains. « Nous n’avons pas les moyens de la marine américaine, c’est évident. Mais en cas de conflit, il est certain que nous coulerons quelques-uns de ses navires, et peut-être un porte-avions », veut croire un responsable iranien.

C’était l’objectif d’un exercice militaire iranien très médiatisé, en 2015, durant lequel les gardiens avaient fait exploser une maquette flottante de l’USS Nimitz, mastodonte des mers. A Téhéran, on garde aussi en tête un autre exercice militaire, américain celui-ci, organisé dans les eaux du Golfe en 2002 : une puissance armée « à l’iranienne » avait fictivement « détruit » seize bâtiments américains, dont un porte-avions.

Dans son bras de fer asymétrique avec les Etats-Unis et leurs alliés, l’Iran s’appuie aussi sur l’effet dissuasif de son arsenal balistique. Par temps clair, depuis les gratte-ciel d’Abou Dhabi, la vue porte sur la petite île d’Abou Moussa, équipée par Téhéran de batteries de missiles capables de frapper toute la côte des Emirats. Parmi les cibles probables en cas de conflit : des usines de dessalement, des aéroports, des installations pétrolières et gazières. De quoi mettre ces micro-monarchies à genoux en quelques frappes.

La stratégie de Téhéran

Pour l’heure, la stratégie de Téhéran est davantage économique que militaire. « Créer des troubles dans le détroit, avec des mines par exemple, ou faire peur aux transporteurs, ça fait monter le prix des assurances, et donc, in fine, le prix du baril », expose un bon connaisseur du marché pétrolier. Exsangue du fait des sanctions américaines, qui entravent ses exportations d’hydrocarbures, l’Iran a besoin de vendre le peu de barils qu’il arrive encore à écouler au prix le plus élevé possible.

L’impact sur les coûts de transport est déjà sensible. Selon l’agence Bloomberg, les primes de risque dans le Golfe peuvent maintenant s’élever à 500 000 dollars, contre 50 000 dollars en début d’année. Cette hausse ne se reflète que timidement dans les cours actuels, elle ne représente pas plus de 25 cents par baril. Mais si la tendance s’accentue, l’effet se fera sentir. Pour les Iraniens, cette stratégie haussière est aussi une manière de mettre les Américains sous pression : les premiers à souffrir d’un pétrole cher seraient les Asiatiques et les Européens, qui seraient alors incités à se retourner contre la politique de Donald Trump, espèrent les dirigeants de Téhéran.

A ses capitaines qui croisent dans la zone, l’un des acteurs majeurs du secteur donne la consigne suivante : « Elever sa vitesse lors du passage dans le chenal iranien afin d’effacer le détroit le plus rapidement possible tout en assurant une veille visuelle et radar très attentive. Et une fois le détroit passé, naviguer en priorité au large des côtes des Emirats arabes unis et d’Oman, de façon à laisser les côtes iraniennes le plus loin possible. »

20 juillet 2019

Raïf Badawi

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16 juillet 2019

Une chercheuse franco-iranienne arrêtée en Iran

Par Ghazal Golshiri, Téhéran, correspondance

Les autorités françaises réclament de pouvoir rencontrer sans délai Fariba Adelkhah, anthropologue à Sciences Po Paris, dont elles sont sans nouvelles depuis plusieurs jours.

Jusqu’à présent, les citoyens français semblaient être à l’abri de la lutte engagée entre l’Iran, d’un côté, l’Europe et les Etats-Unis, de l’autre, depuis que Donald Trump a décidé de se retirer unilatéralement de l’accord sur le nucléaire, signé avec Téhéran, en mai 2018. Cependant, dimanche 14 juillet, les médias persophones à l’étranger ont annoncé l’arrestation de la Franco-Iranienne Fariba Adelkhah, chercheuse au Centre de recherches internationales de Sciences Po, à Paris.

La nouvelle de l’arrestation a été confirmée le même jour par le porte-parole du gouvernement iranien, Ali Rabiei, sans qu’il donne aucune explication. « J’ai entendu la nouvelle. Or, je ne connais pas les détails, ni ne sais qui en est à l’origine ni la raison », a-t-il expliqué lors d’un point presse à Téhéran, laissant entendre que l’arrestation ne relevait pas du ministère du renseignement, placé sous l’autorité du président iranien.

« J’AI DEMANDÉ DES CLARIFICATIONS AU PRÉSIDENT ROHANI », A AFFIRMÉ EMMANUEL MACRON.

Selon les médias persophones, l’anthropologue, âgée de 60 ans, aurait été arrêtée le 7 juin par le service de renseignement des gardiens de la révolution, la principale force armée du pays, sous l’autorité directe du Guide suprême Ali Khamenei et échappant à l’autorité du président, Hassan Rohani. De son côté, la France réclame de pouvoir rencontrer sans délai la chercheuse dont elle est sans nouvelles.

Son arrestation constitue un vrai choc pour ses collègues en Iran et en France. « Je ne vois aucune raison à son arrestation, car elle voyageait assez souvent en Iran et participait à des colloques ainsi qu’à des conférences. Ses écrits n’étaient guère hostiles à la République islamique, mais plutôt analytiques de la situation religieuse iranienne », écrit, depuis Téhéran, une sociologue souhaitant conserver l’anonymat.

Emmanuel Macron a déploré lundi n’avoir eu « aucune explication » sur cette arrestation, ce qui le « préoccupe beaucoup ». « J’ai exprimé mon désaccord et demandé des clarifications au président Rohani. J’attends des retours et des clarifications », a déclaré le président.

Onze binationaux emprisonnés en Iran

La République islamique d’Iran ne reconnaît pas la double nationalité de ses citoyens. Selon les derniers chiffres avancés par les organisations des droits de l’homme, onze binationaux seraient en ce moment emprisonnés en Iran. Par le passé, Téhéran a utilisé ces citoyens comme monnaie d’échange dans ses négociations avec l’Occident. Cela a été notamment le cas du journaliste irano-américain Jason Rezaian, arrêté pour « espionnage » et relâché au moment où une partie des sanctions internationales ont été levées dans le cadre de l’accord sur le nucléaire, en janvier 2016, sous la présidence de Barack Obama.

Mais, depuis l’arrivée au pouvoir de son successeur, Donald Trump, le ton ne cesse de monter entre Téhéran et Washington. L’accord, lui, a été déchiré par le nouveau pensionnaire de la Maison Blanche, qui a entrepris une politique de « pression maximale » pour forcer l’Iran à revenir à la table des négociations. Ainsi, il souhaite obtenir des Iraniens un nouvel accord visant à limiter leur programme balistique et leur rôle « déstabilisateur » dans la région. Pour le moment, Téhéran a répliqué en reprenant certaines de ses activités nucléaires, suspendues dans le cadre de l’accord.

Dans ce contexte tendu, l’arrestation de Fariba Adelkhah, la première touchant une citoyenne française depuis dix ans, ne peut que compliquer les efforts de Paris cherchant à jouer le rôle de médiateur pour faire baisser les tensions entre Téhéran et Washington dans la région. Ainsi, début juin, Emmanuel Macron a dépêché, pour la deuxième fois, en Iran son conseiller diplomatique, Emmanuel Bonne, afin de rechercher les moyens d’une désescalade et une façon de sauver l’accord.

Les médias locaux évoquent une accusation « d’espionnage »

Fariba Adelkhah avait arrêté d’étudier l’Iran en 2009, lorsque la contestation contre la réélection jugée frauduleuse de l’ancien président ultraconservateur Mahmoud Ahmadinejad (2005-2013) avait été réprimée. A l’époque, l’anthropologue avait fustigé, dans une lettre publique, l’arrestation, en Iran, et le jugement de la chercheuse française Clotilde Reiss pour espionnage. Elle y annonçait mettre un terme à ses études iraniennes face au « climat de peur ».

A la faveur de l’élection du président Hassan Rohani, en 2013, la Franco-Iranienne a ensuite repris ses déplacements en Iran. Ces derniers mois, elle se consacrait à l’étude de l’institution cléricale chiite, notamment dans la ville religieuse de Qom. Les médias iraniens évoquent « l’espionnage » comme chef d’accusation retenu contre la Franco-Iranienne.

Cette arrestation s’ajoute à d’autres interpellations de journalistes et de militants politiques iraniens. Selon nos informations, ces derniers mois, les convocations des acteurs de la société civile par les services de renseignement ont sensiblement augmenté. Dernière arrestation en date, lundi 15 juillet, celle de la journaliste féministe Moloud Hajizadeh, à Téhéran.

15 juillet 2019

A Hongkong, personne n’a vu venir cette « explosion d’énergie politique »

Par Florence de Changy, Hongkong, correspondance

Le seul manifestant à s’être exprimé à visage découvert pour expliquer le sens de la prise du Parlement, avant son évacuation, est un étudiant en sciences politiques de 25 ans, Brian Leung. Il a accepté de s’entretenir avec « Le Monde ».

Dans la soirée du 1er juillet, date du 22e anniversaire de la rétrocession de l’ancienne colonie britannique à la Chine, l’entrée en force suivie de l’occupation pendant quelques heures du Parlement de Hongkong par des centaines de jeunes hongkongais, masqués et casqués, restera l’un des moments les plus marquants, voire les plus surréalistes de la crise dans laquelle est plongée la Région administrative spéciale depuis plusieurs semaines autour d’un projet de loi d’extradition « suspendu ».

Quinze jours plus tôt, le 12 juin, un rassemblement autour du même bâtiment, le Legco (Legislative Council) avait dégénéré en affrontements violents avec la police, causant des dizaines de blessés et d’arrestations. Ces accès de rage ont surpris, dans une société extrêmement respectueuse de l’ordre public où la délinquance n’existe quasiment pas et où la société civile prône les manifestations autorisées, de préférence, et la désobéissance civile non-violente, en dernier recours… La jeunesse de Hongkong a-t-elle sonné la fin d’une ère ?

Le seul manifestant à s’être exprimé à visage découvert pour expliquer devant les caméras du monde entier le sens de cette prise du Parlement, avant son évacuation, est un étudiant de sciences politiques de 25 ans, Brian Leung. Il a accepté de s’entretenir avec Le Monde.

Le 16 juin au matin, Brian Leung atterrit à Hongkong, en provenance de Washington, où il vient de terminer son master de sciences politiques. Il est évidemment très loin d’imaginer le rôle symbolique essentiel qu’il va avoir lors de la prise du Parlement deux semaines plus tard. Il a juste le temps de rentrer chez lui, de se doucher et d’enfiler pantalon et tee-shirt noirs avant de retrouver ses amis d’université à la grande manifestation en noir prévue ce jour-là qui mobilisera deux millions de Hongkongais, un record planétaire.

« Nouveaux jeunes »

Avant ses études aux Etats-Unis il avait fait une licence en droit et sciences politiques à la prestigieuse Université de Hongkong. Il avait alors été rédacteur en chef du magazine étudiant Undergrad qui avait publié des articles et même un livre sur le « nationalisme hongkongais », dénoncé par le Chef de l’exécutif, C. Y. Leung, dans son discours de politique général de 2015. Mais plongé dans ses examens, Brian Leung n’avait pu suivre qu’en ligne les événements de ces dernières semaines à Hongkong. Il a pleuré en regardant sur les réseaux sociaux les événements du 12 juin qui ont dégénéré en clashes très violents pour lesquels l’opposition réclame depuis une commission d’enquête indépendante.

Sa première surprise en arrivant sur le terrain vient de ces « nouveaux jeunes » qui sont la cheville ouvrière de ce mouvement unique en son genre.

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A 25 ans, ses amis et lui font déjà figure d’anciens. « Dans la culture cantonaise, une génération dure trois ans », rappelle Agnès Chow, cofondatrice du nouveau parti politique Demosisto, qui fut parmi les leaders du mouvement des parapluies, avec Joshua Wong, Nathan Law et d’autres. « Leur façon de faire, le langage de signes qu’ils ont inventé pour communiquer à distance, leur rapidité et leur flexibilité, leur recours à une coordination en ligne et cryptée… C’est tellement nouveau et tellement plus au point que de notre temps ! C’est une nouvelle forme d’activisme que je n’avais jamais vue », affirme Brian Leung qui se dit « extrêmement impressionné ».

Accumulation de désespoir, de lassitude, de frustrations

Il estime que la colère qui s’est exprimée le 1er juillet avec l’entrée en force dans le Parlement (LegCo) n’est que le fruit de l’accumulation de désespoir, de lassitude, de frustrations après des semaines d’une mobilisation très intense auxquelles le gouvernement n’a répondu qu’avec mépris et arrogance. Il faut ajouter à cela le suicide de trois jeunes qui ont sacrifié leur vie au nom de cette crise, en plus d’un accident mortel en lien direct avec « la cause ». Cela a déclenché toutes sortes d’émotions, et fortement ébranlé cette classe d’âge que les spécialistes locaux estiment touchée par « une épidémie de dépression ».

« Pendant toute la journée, j’ai observé cette détermination et ce sentiment d’unité. Je n’en revenais pas que cette casse méthodique recueille un tel soutien de la part de milliers de témoins passifs. [Il fallut près de très longues heures de coups répétés, avec des béliers de fortune pour venir à bout des vitres haute sécurité du Parlement]. En 2014, les casseurs auraient été accusés de détruire une action pacifique et immédiatement mis à l’écart. Mais là les témoins sympathisaient, même sans cautionner, ils ne jugeaient pas et semblaient comprendre leur colère du fond du cœur. J’étais ahuri de ce que je voyais », se souvient Brian Leung.

Lorsque la députée du camp pro-démocratie Claudia Mo, tente de décourager un casseur, celui-ci l’insulte vertement, pour la plus grande joie de la galerie qui suit l’incident et applaudi avec enthousiasme. Claudia Mo retient une leçon de cet épisode : « Ces jeunes sont au bord du précipice. Ce grand costaud qui s’acharnait contre les portes du Parlement, quand j’ai voulu lui rappeler qu’il risquait des années de prison, et que cela ne valait pas la peine, il m’a répondu du tac-au-tac : on n’a rien à perdre ! Ce que j’ai compris c’est que ces jeunes sont prêts à mourir pour la cause. Depuis que d’autres jeunes sont morts, ils ont développé cette mentalité de martyr. C’est très préoccupant », commente la députée.

Point de non-retour

« En 2014, ceux qui portaient des masques et s’habillaient en noir étaient mis au ban. Aujourd’hui, si vous n’en portez pas vous êtes idiot ! », observe pour sa part Andy Chan, le fondateur du parti indépendantiste interdit, le National Party. Il estime que le radicalisme d’il y a cinq ans est devenu la norme d’aujourd’hui. « L’idée de prendre le Legco, on l’avait déjà eue en 2014. C’est comme cela que tout avait commencé mais on n’avait pas réussi », rappelle Andy Chan.

Ryan Wong (un nom d’emprunt), 22 ans, fut parmi les premiers à rentrer dans le Parlement : « Le Legco est censé nous représenter. Mais après un million de personnes dans la rue [le 9 juin], ils [les députés] s’apprêtaient à laisser passer ce projet de loi, comme si de rien n’était ! C’est pour cela que nous devions en reprendre possession. »

Quand vers 21 heures, les accès ont été ouverts, et que tout le monde s’est engouffré dans l’immeuble, Brian Leung comprend qu’un point de non-retour vient d’être franchi. « Il n’était plus possible de quitter la scène, même si vous êtres pacifiques dans l’âme », dit-il.

Mais au bout de quelques heures, la situation s’enlise. Rumeurs que la police approche. Chaos et débats entre ceux qui veulent rester et ceux qui veulent partir. « J’ai soudain réalisé que si nous quittions sans explication, ce serait la fin de tout le mouvement. Il y avait comme un vide moral dans la chambre des députés, un vide qui avait besoin d’être comblé avec des mots. Je suis monté sur l’un des bureaux et j’ai expliqué le sens de notre action. Chaque mot que j’ai prononcé me venait du fond du cœur », dit-il, la voix momentanément étranglée par l’émotion. Plusieurs versions de communiqués avaient été discutées sur le forum Linden (LIHKG). « Il y a eu un moment où je me suis dit, cela va sans doute me coûter ma liberté mais ce sera le prix pour que le mouvement puisse continuer. »

En quittant le Parlement, il sait qu’il risque vraisemblablement la prison mais se sent étonnamment en paix. « C’est la première fois que l’on prend d’assaut un bâtiment public avec succès. Pour un mouvement aussi décentralisé et sans leader, c’est une réussite », estime-t-il.

Un très gros malentendu

Ryan Wong n’était plus dans l’hémicycle quand Brian Leung a parlé. En fait, il ne restait plus qu’une poignée de manifestants et des dizaines de journalistes. « Mais il était vital d’expliquer notre action et de rappeler nos cinq demandes. Comme ce mouvement n’a de leader, Brian Leung a parlé au nom de tous les Hongkongais », estime-t-il. Comme Brian Leung, il réfute le terme de vandalisme. « Les dégâts du Parlement sont réparables et ils avaient un sens. Mais les quatre jeunes qui sont morts de désespoir à cause de cette crise qui va les rendre à leurs amis et à leurs parents ? »

Il estime que malgré les différences dans la forme, cet activisme remonte au mouvement des parapluies. « C’est alors que l’identité hongkongaise est devenue une réalité et qu’un consensus s’est construit », affirme-t-il.

Et c’est aussi là, selon lui, que la société a réalisé que la promesse du principe de « un pays, deux systèmes » et d’un système démocratique ne serait sans doute jamais tenue. Car lors de la rétrocession, Hongkong a été rendue à la Chine par le Royaume-Uni équipée d’une mini-constitution, la Basic Law, dans laquelle la démocratie est une promesse explicite (Article 45). En 2007, lors de sa visite à Hongkong, le président chinois Hu Jintao avait même donné un calendrier : en 2017 les Hongkongais pourraient élire leurs députés et en 2020 leur chef de l’exécutif de manière démocratique.

Mais c’est en 2014, quand Pékin a envoyé son « mode d’emploi » pour l’élection du prochain chef de l’exécutif que les Hongkongais ont compris qu’il y avait un très gros malentendu. La « démocratie » que leur offrait Pékin n’était pas du tout la démocratie qu’ils attendaient. Les manifestations de l’automne 2014 ont donc eu pour objet de refuser la démocratie « à la sauce communiste ». « Aujourd’hui, on sait que cela ne sert plus à rien d’attendre que cela se fasse tout seul car cela ne se fera pas. Le rêve d’un système démocratique venant de Pékin est mort en 2014. »

Depuis, Hongkong semblait s’être endormie. Ce calme n’était en fait qu’une longue veillée d’arme. « Personne n’a vu venir une telle explosion d’énergie politique », conclut Brian Leung.

13 juillet 2019

Sur les murs de Hongkong, la colère d’une génération

hong kong

Par Florence de Changy, Hongkong, correspondance

Les Hongkongais recouvrent les murs de notes adhésives de bureau pour dénoncer l’emprise de Pékin sur leur ville.

Ce sont des dizaines de milliers de souhaits, d’encouragements, de vœux, de mots d’espoir, de dessins – beaucoup de cœurs rouges –, de revendications aussi du type « Hongkong n’est pas la Chine », « Hongkong, c’est Hongkong », « Chine, laisse-nous tranquilles » et des condoléances, pour les quatre jeunes morts (trois suicides et une chute aux circonstances incertaines) depuis le début de ce mouvement.

Ecrits pour la plupart sur des notes adhésives Post-it®, jaune pâle ou aux couleurs pastel standard, ces messages sont une nouvelle manière pour les Hongkongais d’exprimer leurs frustrations. Leur angoisse, aussi, quant à l’avenir de leur ville, secouée depuis plus d’un mois par des manifestations sans précédent, déclenchées par un projet de loi d’extradition, notamment vers la Chine, qui a fait craindre un effondrement de l’autonomie juridique de la Région administrative spéciale, autonomie théoriquement garantie jusqu’en 2047. D’abord suspendu puis aujourd’hui déclaré « mort » par la chef de l’exécutif, Carrie Lam, ce projet de loi a en fait déclenché une réaction plus générale de rejet des institutions et du modèle politique hongkongais, sous la férule de Pékin.

Le premier mur de notes adhésives était apparu pendant le « mouvement des parapluies » en 2014 dans le quartier d’Admiralty, occupé alors par des manifestants-campeurs, le long d’un escalier menant aux bâtiments du gouvernement. Un pan de ce mur de béton avait été entièrement tapissé.

Mais depuis quelques jours, cette initiative s’est répandue à travers tout le territoire, y compris dans certaines cités-dortoirs qui n’ont jamais été politisées jusque-là. Les mosaïques de papier commencent à recouvrir murs, façades, couloirs, passerelles, vitrines, fenêtres de bureaux ou même de bus. Les messages parlent désormais surtout de « tenir bon », de « rester unis » et défendre les libertés de Hongkong et son ébauche de démocratie. Ils confirment que le mouvement de contestation actuel va maintenant bien au-delà du projet de loi controversé.

Lieux de pèlerinage

Les Hongkongais appellent ces murs des « Lennon Walls », ou « Murs Lennon », en référence au mur de Prague, qui a démarré en 1980 avec un graffiti de John Lennon sur un mur de la capitale de la Tchécoslovaquie, lors de la mort du légendaire chanteur des Beatles, militant pour la paix. Depuis, le Lennon Wall de Prague est devenu le tableau multicolore pour toutes les revendications imaginables sous la forme de graffitis et de tags.

Mais à Hongkong, où tags et graffitis sont loin d’avoir un statut artistique et sont même passibles de lourdes peines, les tags prennent la forme très civilisée de petits carrés de papiers, souvent positionnés au cordeau, parfois même recouverts de plastique transparent.

« On n’a pas de bulletin de vote, mais on a des Post-it® ! », ironise, devant l’un des nouveaux « Lennon Walls », qui vient d’apparaître dans un couloir du métro à Causeway Bay, l’un des jeunes qui s’occupe d’animer l’« atelier ». Ici, c’est carrément toute une galerie qui a été envahie par les notes adhésives.

Les murs les plus spectaculaires sont en passe de devenir des lieux de pèlerinage, de rassemblement ou même de défoulement. Sur celui de Tai Po (dernière banlieue des nouveaux territoires de Hongkong, avant la frontière chinoise), un créatif insolent a collé les photos en noir et blanc de Carrie Lam et de plusieurs ministres, et a accroché une tong à une corde, permettant aux passants de s’en donner à cœur joie en passant une raclée symbolique à leurs dirigeants, généralement arrosée des noms d’oiseaux rares qui font la richesse du cantonais.

La cible de groupes pro-Pékin

Sur la passerelle de métro du quartier industriel de Wong Chuk Hang, près du port d’Aberdeen, l’atelier est animé par deux adolescentes de 13 ans. Elles estiment que « c’est de leur responsabilité de faire cela. Parce que ce qui se passe à Hongkong n’est pas bien et me rend triste », dit Hei So. Avec elles, quelques « grands », dont le conseiller de district Kevin Tsui, du Parti démocratique, qui distribue lui aussi feutres et carrés de papier aux passants qui souhaitent écrire.

« La plupart d’entre eux disent  “Ajoutez de l’huile” – expression d’encouragement qui signifie « Allez Hongkong ! » – ou “Nous devons rester unis et nous battre pour ce que nous méritons, à savoir la démocratie et la liberté, et nous devons protéger notre état de droit à Hongkong !” »

Malgré leur aspect inoffensif et ludique, ces initiatives ne plaisent pas à tout le monde. Ces murs sont déjà devenus la cible de plusieurs descentes musclées de groupes pro-Pékin. Des échauffourées ont eu lieu dans au moins trois quartiers différents, après que ces murs ont été la cible d’attaques, notamment dans le quartier de Yau Tong, qui abrite des résidences de policiers à la retraite. Plusieurs affrontements ont mal tourné et ont requis l’intervention de la police pour séparer les partisans et les opposants aux murs de mémos.

Dans le quartier favori des jeunes Français de Hongkong, Sai Ying Pun, la petite pâtisserie traditionnelle Wah Yee Tang a choisi de remplacer les caractères inscrits traditionnellement sur les mooncakes (bouchées fourrées à la pâte de haricots rouges) par des messages politiques. Et malgré les appels au boycottage des pro-Pékin, la patronne ne parvient plus à honorer les commandes.

Florence de Changy (Hongkong, correspondance)

Des affrontements lors d’une manifestation contre les commerçants chinois Après des semaines de protestation contre l’influence chinoise et pour les réformes démocratiques, de nouveaux heurts ont éclaté entre manifestants et policiers à Hongkong, samedi 13 juillet. Les rassemblements organisés dans la localité frontalière de Sheung Shui visaient des commerçants de Chine continentale qui viennent s’approvisionner dans le territoire au statut spécial. La plupart des magasins avaient baissé le rideau. Les forces de sécurité ont déclaré dans un communiqué, s’être déployées après que des manifestants ont commencé à se disputer avec des habitants et « tenté de charger des policiers qui intervenaient ». Les manifestants accusent pour leur part la police d’avoir chargé sans préavis. L’afflux de touristes et d’immigrants venus de Chine continentale a provoqué ces dernières années un rejet croissant et certains manifestants parmi les plus durs les qualifient même de « sauterelles ». Un million de Chinois environ ont émigré à Hongkong depuis la rétrocession en 1997, une cause de friction dans une ville de 7,3 millions d’habitants qui souffre d’une grave pénurie de logements et où le coût de l’immobilier est exorbitant.

hong33

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