La mobilisation à Hongkong profite à la présidente taïwanaise
Tsai Ing-wen, qui a toujours rejeté la formule « un pays, deux systèmes » que Pékin souhaite étendre à Taipei, remonte dans les sondages
SHANGHAÏ
Il y a à peine deux mois, la présidente de Taïwan, Tsai Ing-wen, était donnée perdante dans tous les sondages pour la présidentielle de janvier 2020. La stagnation des salaires, des réformes impopulaires et les tensions continues avec la Chine lui étaient reprochées. Elle avait d’ailleurs démissionné de la présidence du Parti progressiste démocratique (DPP), après une gifle aux élections municipales de décembre 2018. Mais aujourd’hui, la présidente taïwanaise, qui tient une ligne ferme face à Pékin, est au coude-à-coude avec ses concurrents. La crise à Hongkong est passée par là : les manifestations monstres, depuis début juin, pour dénoncer une loi autorisant les extraditions vers la Chine, ont trouvé un écho favorable à Taïwan, île indépendante de fait mais sur laquelle la Chine revendique sa souveraineté.
Pour les Taïwanais, les tensions à Hongkong sont un rappel de la fragilité de leur position : l’île a toutes les caractéristiques d’un Etat, sauf la reconnaissance internationale. Elle est dans le viseur de la Chine depuis l’élection de Mme Tsai en 2016, qui a d’emblée marqué ses distances avec le régime communiste. Le président chinois Xi Jinping verrait le retour de l’île dans le giron de la Chine continentale comme un symbole de la puissance chinoise retrouvée, qui viendrait cimenter son héritage politique. Le 2 janvier, M. Xi avait prononcé un discours menaçant, affirmant ne pas exclure l’usage de la force pour reprendre l’île, et proposant un rapprochement sous le régime « un pays deux systèmes » qui définit l’autonomie relative dont bénéficie Hongkong depuis sa rétrocession par le Royaume-Uni à la Chine, en 1997.
« Combat pour la liberté »
Peu après le début du mouvement dans l’ancienne colonie britannique, Mme Tsai a dit son soutien aux manifestants en parlant d’un « combat pour la liberté et la démocratie » et estimé que la solution « ne pourra jamais être acceptée pour la démocratie taïwanaise ». « Les manifestations à Hongkong font apprécier encore plus notre système démocratique et notre mode de vie », a déclaré la présidente, le 13 juin.
De quoi donner des ailes aux opposants à un rapprochement avec le continent. « Les Taïwanais ont réagi avec enthousiasme aux manifestations. Voir 2 millions de Hongkongais dans la rue a beaucoup impressionné les Taïwanais pour qui la démocratie, l’Etat de droit, la liberté et les droits de l’homme sont des intérêts fondamentaux, d’où une défiance de plus en plus profonde à la solution “Un pays, deux systèmes” à Taïwan », estime Lin Yizheng, ex-secrétaire général du DPP et président de la Fondation pour une nouvelle Constitution, une organisation en faveur de l’indépendance. Le « consensus de 1992 », accord entre le Kouomintang alors au pouvoir à Taipei et le Parti communiste chinois, avait permis le dégel dans le détroit de Formose, les deux parties reconnaissant « l’existence d’une seule Chine », mais « avec plusieurs interprétations ».
L’ampleur de la crise hongkongaise a secoué l’ensemble de la classe politique taïwanaise, en pleine campagne des primaires du Kuomintang, devenu le principal parti d’opposition, plus conciliant avec Pékin. Han Kuo-yu, le maire populiste de Kaohsiung (sud), promet aux électeurs de redresser l’économie du pays en ouvrant les vannes aux investissements chinois. Le 16 juin, il a pourtant récusé, à son tour, la formule proposée par la Chine. « “Un pays deux systèmes” ne pourra jamais être mis en place à Taïwan. Les Taïwanais ne l’accepteront jamais, il faudrait d’abord me passer sur le corps », s’est emporté le candidat.
Une clarification tardive. Donné gagnant il y a un mois, M. Han est, à une semaine de la primaire du 16 juillet, à la traîne derrière Terry Gou, patron jusqu’en juin de Foxconn. Le fondateur du géant de la sous-traitance électronique, dont les liens économiques avec la Chine où son groupe a l’essentiel de ses usines, ont été pointés du doigt, avait pris soin de clarifier plus tôt sa position : pas de solution à « un pays deux systèmes », mais la reconnaissance du statu quo issu de 1992. C’est le refus de reconnaître ce « consensus » par la présidente actuelle qui a conduit la Chine à multiplier les représailles économiques, en limitant par exemple la venue de touristes chinois sur l’île.
« Les candidats bleus [couleur du Kuomintang] sont rappelés à la vulgate de leur parti par la situation à Hongkong et par la chef de file de la politique taïwanaise, Tsai Ing-wen qui, dans un océan de menaces, représente une position stable, sans provocation, proche des militaires et constante dans ses déclarations, explique Stéphane Corcuff, enseignant à Sciences Po Lyon et chercheur associé au Centre d’études sur la Chine contemporaine de Taipei. Alors qu’il y a quelques mois, la profondeur de ses réformes, sa dureté dans sa communication, son manque d’empathie, l’avaient plombée dans les sondages, elle est en train de réémerger, parce que le contexte géopolitique se rappelle aux Taïwanais. »
Dimanche 23 juin, des dizaines de milliers de manifestants avaient défilé dans les rues de Taipei pour dénoncer l’influence de la Chine sur les médias locaux. Dans le même temps, le gouvernement de Tsai annonçait une « conférence de sécurité nationale » et un projet de loi pour mieux examiner les investissements étrangers mettant en jeu la sécurité nationale. Un texte visant, encore une fois, son puissant voisin.