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Jours tranquilles à Paris
22 février 2019

A la frontière entre le Brésil et le Venezuela, l’angoisse de l’affrontement

Par Claire Gatinois, Pacaraima, Brésil, envoyée spéciale

Alors que l’aide humanitaire promise par l’opposant Juan Guaido doit être acheminée samedi, les militaires fidèles à Maduro restent postés debout à la frontière.

Il était un peu plus de midi quand Margarita (le nom a été modifié), 71 ans, a franchi la frontière. Arpentant à pied les montagnes, le cœur battant la chamade, l’élégante vieille dame munie d’une petite valise emmagasinant toute sa vie, a défié le président Nicolas Maduro. Un « dictateur » qu’elle attend désormais de voir « tomber ». « Je veux que le Venezuela redevienne ce qu’il était », dit-elle.

Ce vendredi 22 février, dans un petit café de Pacaraima, ville brésilienne à la frontière avec le Venezuela, la septuagénaire se remet avec peine de son audace. A un âge où elle ne devrait plus se préoccuper que de ses petits-enfants, la voici clandestine, affolée à l’idée d’être ramenée dans son pays. Ou pire encore.

Depuis la veille au soir, le président du Venezuela a ordonné la fermeture de la frontière et de l’espace aérien du pays. Les Vénézueliens comme Margarita, fuyant la misère et la faim, n’ont eu d’autre choix que de prendre des chemins de traverse avant que la situation n’empire.

Deux morts, une quinzaine de blessés

Dans quelques heures, samedi 23 février, doivent arriver à Pacaraima les camions chargés de 200 tonnes de vivres et de médicaments venus des Etats-Unis qui tenteront de traverser une frontière désormais verrouillée. Une « guerre humanitaire », comme la qualifie le Brésil, censée faire plier les soutiens militaires de Nicolas Maduro et permettre à son opposant, Juan Guaido, président de l’Assemblée nationale et chef d’Etat autoproclamé, soutenu par une vingtaine de pays européens, dont la France, d’accéder au pouvoir.

A vingt-quatre heures du coup d’envoi, les militaires postés à la frontière, debout derrière leur bouclier semblent toujours jurer fidélité au dirigeant Maduro qui se prétend l’héritier de la révolution bolivarienne. A 70 kilomètres de là, côté vénézuélien, à Kumarakapay des affrontements avec les forces de l’ordre ont tourné au massacre.

Deux personnes, sans doute des Pemons (indigènes), ont été tuées, une quinzaine d’autres sont blessées ; certaines sont dans un état grave. Ces Vénézueliens auraient subi des tirs de balles réelles en s’opposant aux barrages des soldats afin de laisser l’aide humanitaire entrer dans le pays. « Les militaires font aussi partie du peuple ! », se désole Marcel Perez. L’œil cabossé, le jeune homme faisait partie de la troupe attaquée.

Pour seule réponse, Nicolas Maduro a renforcé son soutien aux forces de l’ordre. « Morale maximale, cohésion maximale, action maximale. Nous vaincrons », a-t-il écrit sur Twitter.

Les morts, puis les propos belliqueux ont plongé Pacaraima dans l’angoisse. « La vengeance est inhérente à la culture des Pemons, on est en droit de craindre des représailles et une escalade », soupire le père Jesus, à la tête de la paroisse de Pacaraima. Arrivé il y a neuf ans dans cette petite ville sans charme, le prêtre a vu progressivement débarquer ces Vénézuéliens fuyant la misère et la faim considérant le lieu comme un « paradis ». Il a également assisté à la montée de la haine et de la xénophobie de la part de Brésiliens d’ordinaire si accueillants.

Cellule de crise à Brasilia

Venu à Pacaraima dans la matinée, le député Antonio Carlos Nicoletti du Parti social libéral (PSL), qui est aussi celui du président Jair Bolsonaro, s’est montré préoccupé face aux risques de dérives. Assurant s’être entretenu avec le chef de l’Etat le mercredi précédent, le parlementaire promet que rien ne sera fait qui puisse nuire aux intérêts des Brésiliens. L’Etat du Roraima dépend de l’énergie achetée au Venezuela. Et la station de combustible qui alimente la ville de Pacaraima, est aux mains des Vénézuéliens.

Alerté par la montée des tensions, le gouvernement a convoqué une cellule de crise à Brasilia avec le président Jair Bolsonaro. Sans renoncer à l’opération, le pays a prévenu que son action s’arrêterait à la frontière. Dit autrement à aucun moment le Brésil ne remettra en cause la souveraineté vénézuélienne pour forcer le passage de l’aide humanitaire, laissant les opposants ou les pro-Maduro, décider du cours des événements.

Une position prudente, souhaitée par les militaires en position de force dans le gouvernement. Et plus nuancée que celle qu’aurait défendu initialement Ernesto Araujo, le ministre des affaires étrangères, admirateur du président des Etats-Unis Donald Trump.

Allaitant son fils de deux ans à même le sol, Ariannis Esperalta, 20 ans, qui a traversé la frontière lundi, se fiche, elle, de savoir si l’opération humanitaire tournera à l’affrontement. Seul lui importe de savoir que Maduro quittera le pouvoir. « Qu’il s’en aille », supplie-t-elle.

Au Venezuela, où le taux d’inflation dépasse un million de pourcents, un salaire minimum ne suffit plus à acheter un poulet ou un kilo de fromage.

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22 février 2019

Au Venezuela, le système sanitaire s’est effondré, « plus rien ne marche »

Par Jean-Pierre Bricoure, Caracas, correspondance

Ce secteur est devenu la face la plus douloureuse de la crise que traverse le pays. Au point d’être au cœur de la polémique sur l’aide d’urgence promise pour le 23 février par l’opposant Juan Guaido.

Dans une ruelle de Caracas, près du centre-ville historique et ses quelques rares magasins encore ouverts, l’endroit tient de la forteresse moderne. Derrière les grilles, l’entrée est gardée par un militaire en uniforme, l’arme à la main et le regard dilettante sur un hall entièrement vide. Devant la sortie, à l’autre bout de cet hôpital pédiatrique JM de Los Rios, le plus grand des quatre établissements pour enfants de la capitale vénézuélienne, un autre soldat est assis aux côtés d’un membre de la milice bolivarienne, ce corps spécial créé par le gouvernement et armé par les militaires.

Ici, chaque visiteur doit montrer patte blanche avant de quitter l’hôpital. Officiellement pour éviter les vols de médicaments et d’équipements. « Une aberration », souffle Laura, infirmière trentenaire, officiant depuis plusieurs années dans l’établissement et qui ne dira pas son vrai nom par peur de représailles : « C’est simple, nous manquons de tout, il n’y a plus rien, ni antibiotiques, ni ustensiles. Les gardes sont là dans tous les centres hospitaliers pour nous montrer que le pouvoir continue à contrôler la situation, et surtout pour éviter les fouineurs et les journalistes. »

En 2016, déjà, le New York Times avait publié un long reportage sur l’état catastrophique du système de santé au Venezuela. Il pointait l’indigence, l’état de délabrement et la situation catastrophique des soins dans plusieurs établissements de la capitale, la ville de Mérida et sur le littoral. Le papier rappelait comment la crise économique avait provoqué une situation d’urgence sanitaire où le taux de mortalité des jeunes mères était multiplié par cinq. L’article, illustré par des photos bouleversantes et amplement partagé sur les réseaux sociaux, avait provoqué un choc national. « Nous savions que la situation était désastreuse, que des enfants mourraient de dénutrition et d’autres par manque de personnel médical, mais pas à ce point et de cette manière globale », insiste la soignante.

A l’époque, le président Nicolas Maduro, successeur d’Hugo Chavez, avait écarté d’un revers de la main les critiques. Il affirma que « nulle part ailleurs au monde, excepté à Cuba, il n’existe un meilleur système de santé que le vénézuélien ».

« Le système s’écroulait de l’intérieur »

Depuis, et malgré les dénégations du régime, la situation a empiré. La santé est même devenue la face la plus douloureuse de la crise que traverse le pays. Au point de s’être installée au cœur de la polémique qui secoue le Venezuela ces dernières semaines sur l’aide d’urgence promise pour le 23 février par l’opposant Juan Guaido, président autoproclamé en janvier.

« Le système s’est effondré, plus rien ne marche », affirme le docteur Alejandro Risquez. Médecin pédiatre et épidémiologiste, il est une des voix critiques du système depuis plusieurs années. Reconnu dans le milieu, il a plusieurs fois participé aux réunions avec les représentants étrangers des Nations unies (ONU) pour dresser le diagnostic annuel des services de santé vénézuéliens.

« A partir de 2015, les officiels du régime ont commencé à ne plus divulguer leurs chiffres, affirme-t-il. L’année suivante, ils n’ont donné que le taux de mortalité infantile. Alors qu’il baissait chez nos voisins, il avait augmenté de 30 % au Venezuela. »

Pendant les premières années du régime chaviste, nombreux ont été les spécialistes à reconnaître que la mise en place des programmes gouvernementaux comme les Missions Barrio Dentro, touchant les zones les plus pauvres du pays, ont permis d’obtenir des avancées en matière de santé publique. Avec les accords signés par Fidel Castro, au début des années 2000, environ 35 000 médecins ou aide soignants cubains se sont installés dans les quartiers. Les Missions Barrio Dentro II sont ensuite venues en aide aux cliniques, aux petits dispensaires, les CDI.

« Jusqu’au mitan des années 2010, une époque où les dollars entraient, tout allait apparemment pour le mieux, explique le médecin. Mais la corruption s’est enracinée, et de manière endémique. Au ministère, les militaires ont pris les commandes. Les projets ont commencé à capoter. Des sommes colossales ont été investies dans les hôpitaux, de 2008 à 2013, mais rien n’a marché. En 2012, nous sommes soudainement devenus la risée du monde entier parce que nous n’avions plus de papiers toilettes. C’était un signe que le système s’écroulait de l’intérieur. »

En 2012, une année avant le décès d’Hugo Chavez, le prix du pétrole commence à dévisser. Sous Nicolas Maduro, le baril passe de 120 à 40 dollars, une catastrophe pour le pays qui possède les plus grandes réserves de la planète. C’est la chute. « La machine s’est arrêtée, dit M. Risquez. Soins défaillants, hyperinflation et pénuries : les gens ont fini par ne plus se soigner ou sont partis. Jusqu’en 2015, j’avais entre soixante et cent patients par jour. Ils ne sont plus que trois. »

Corruption, vols, trafics et détournements

Un rapport rédigé en novembre 2018 par Medicos por la Salud, un réseau de médecins qui récolte des données sur la crise sanitaire depuis 2014, est à ce titre cruellement révélateur. Selon l’enquête, la moitié des services de rayons X du pays ne fonctionnent plus, et 18 % ne marchent que par intermittence.

Plus de la moitié des laboratoires sont fermés. Plus de la moitié des hôpitaux ont des pannes électriques, trois-quarts manquent d’eau courante et deux-tiers connaissent des pénuries de médicaments – le chiffre monte à 83 % dans la capitale.

« C’est révoltant d’avoir autant de pétrole enfui sous nos pieds et de voir les gens mourir parce qu’il n’y a plus de médicaments », souffle Castro Mendez, professeur et docteur spécialisé en infectiologie à Caracas. D’après les statistiques de ce spécialiste proche de l’opposition, le pays a enregistré un excédent de décès de 180 000 individus sur dix ans, soit un mort toutes les vingt minutes pour des raisons dites « anormales » (traitement interrompu, dysfonctionnement de machine à dialyse ou respiratoire, absence d’oxygène dans une ambulance, etc.). « On meurt de malaria au Venezuela plus qu’ailleurs, ajoute-t-il. Les cas de tuberculoses et de diphtérie se multiplient. Il n’y a plus de traitement contre la leishmaniose dans tout le pays et que dire des traitements contre le cancer que l’on ne trouve plus que sur le marché noir… »

Corruption, vols, trafics et détournements : les histoires sordides finissent par constituer le lot quotidien le plus banal de ce Venezuela au bord de la consomption. A Barcelone, une ville sur la côte, les autorités ont arrêté le directeur de l’hôpital public parce qu’il a volé les machines respiratoires utilisées pour traiter les personnes aux poumons malades ainsi que des solutions d’intraveineuses pour les revendre. Il y a encore deux mois, raconte de son côté la jeune infirmière Laura, un camion entier de médicaments, envoyé par une fondation, était parvenu jusqu’à l’hôpital JM de Los Rios. Les caisses ont été déchargées. Puis tout a disparu. « Des enfants sont morts pour ça », glisse-t-elle.

Suivre cette jeune femme dans les couloirs de l’hôpital, c’est se laisser dériver sur une mer de souffrance et de solitudes. Ici, seules deux salles d’opération sur neuf sont encore en état de marche. « Et encore, il faut pour cela que les parents des enfants achètent tout, même les gants et le savon, pour l’opération et les traitements. »

Aux étages, les vitres sont cassées, les murs écaillés, les plafonds défoncés. Certains lits n’ont pas de matelas. Les fauteuils sont usés à l’os. Des couloirs entiers sont condamnés. Les quelques rares dessins d’enfants sont impuissants à consoler l’extrême désolation alentour.

Laura dit enregistrer une mort tous les quatre, cinq jours, parfois plus. « Mais les gens ne viennent plus, ils préfèrent mourir chez eux. »

Dans la première chambre, Luiza, 4 ans. Elle est ici depuis un mois avec une infection respiratoire. Elle a attrapé une maladie nosocomiale. Plus loin, dans une autre chambre, José, 3 ans. Il dort seul dans un lit sale, les yeux à moitié ouverts. Il est atteint de macrocéphalie. Opéré une première fois, il attend une deuxième intervention. « Je me souviens d’Ismaël, glisse Laura, il avait attendu un an pour une opération du cœur. »

Bien sûr, la jeune infirmière voudrait que l’aide humanitaire promise par l’opposition arrive au plus vite au Venezuela et ce malgré l’envoi, par Nicolas Maduro, de l’armée à la frontière. Elle sait que cette aide ne représente qu’une goutte d’eau. « Mais elle permettra peut-être de révéler enfin l’ampleur de cette catastrophe. »

20 février 2019

Venezuela. L’armée déterminée à empêcher l’entrée de l’aide

Semaine sous tension au Venezuela. Malgré les appels de l’opposant Juan Guaido, la majorité des militaires ont assuré rester fidèles à Nicolas Maduro et sont déterminés à empêcher l’aide humanitaire de passer les frontières.

Les militaires fidèles au président Nicolas Maduro se disent déterminés à défendre « l’intégrité territoriale » du Venezuela, face aux milliers d’opposants qui se préparent à converger vers les frontières le but de faire entrer l’aide humanitaire stockée aux portes du pays.

À l’appel de Juan Guaido, reconnu président par intérim par une cinquantaine de pays, quelque 700 000 volontaires, selon l’opposition, ont l’intention de se rendre à bord d’autocars le 23 février aux postes-frontière pour prendre livraison de l’aide humanitaire envoyée par les États-Unis et le Brésil. On ignore toutefois comment ils espèrent déjouer le blocus des militaires.

« Un clown qui se dit président par intérim »

Les présidents colombien Ivan Duque et chilien Sebastian Piñera, parmi les premiers à reconnaître Juan Guaido, ont prévu de se rendre vendredi dans la ville colombienne frontalière de Cucuta pour afficher leur soutien à l’opération. Plusieurs dizaines de tonnes de vivres et de médicaments envoyées par les États-Unis sont stockées dans cette ville, près du pont frontalier de Tienditas barré par les autorités vénézuéliennes.

« Les présidents à la botte des yankees comme ceux de Colombie et du Chili, qui encouragent la provocation et la violence contre le Venezuela, sont en train d’appeler à prendre d’assaut la frontière du Venezuela samedi prochain », a réagi Nicolas Maduro. Qualifiant Juan Guaido de « clown qui dit être président par intérim », il l’a mis au défi de « convoquer des élections » pour « renverser la situation avec le vote du peuple ».

Les militaires ont réaffirmé mardi leur « loyauté sans faille » envers Nicolas Maduro. Ils rejettent obstinément les appels à désavouer le dirigeant socialiste lancés par Juan Guaido et le président américain Donald Trump. Ils ont également annoncé la fermeture de la frontière maritime avec les îles néerlandaises d’Aruba, Bonaire et Curaçao, situées au large du Venezuela. Un avion en provenance de Miami chargé d’aide humanitaire est attendu à Curaçao.

« L’armée restera déployée le long des frontières »

Le ministre de la Défense, Vladimir Padrino, entouré du haut-commandement militaire, a assuré que l’armée ne céderait pas au « chantage ». Il a qualifié de « tissu de mensonges » la présentation par Donald Trump et Juan Guaido de « cette prétendue aide humanitaire » comme un sujet de confrontation entre civils et militaires vénézuéliens. « L’armée restera déployée et en alerte le long des frontières (…) pour empêcher toute violation de l’intégrité du territoire », a averti le ministre.

Juan Guaido a envoyé mardi un message sur Twitter à chacun des chefs militaires des régions frontalières : « Le 23 février, vous devez choisir entre servir Maduro et servir la Patrie », leur a-t-il écrit. Il a également demandé à ses partisans d’écrire à chaque soldat « en argumentant, sans violence, sans insulte » pour expliquer les « raisons pour lesquelles ils doivent se ranger derrière les millions (de Vénézuéliens) qui demandent l’entrée de l’aide ».

Jusqu’à présent, seuls quelques responsables militaires se sont ralliés à Guaido, pour la plupart des officiers subalternes ou n’exerçant aucun commandement. Dernier en date : un conseiller militaire adjoint du Venezuela à l’ONU, le colonel Pedro José Chirinos, qui s’est déclaré mercredi « en désobéissance totale et absolue face au gouvernement illégalement constitué de Monsieur Nicolas Maduro » dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux.

Pénuries de nourriture et de médicaments

Samedi, le Brésil va également mettre à disposition de l’aide humanitaire à Boa Vista et Pacaraima (nord) « en coopération avec les États-Unis ». Des aliments et médicaments seront disponibles pour être collectés « par le gouvernement (autoproclamé) de Juan Guaido, par des camions venézuéliens conduits par des Vénézuéliens », a précisé le porte-parole de la présidence brésilienne, Otavio Régo Barros.

L’entrée d’aide venue des États-Unis est un sujet extrêmement sensible au Venezuela, même si le pays est en proie à des pénuries de nourriture et de médicaments qui ont poussé à l’exil plus de deux millions de Vénézuéliens depuis 2015, selon l’ONU. Nicolas Maduro voit dans l’aide humanitaire les prémices d’une intervention militaire américaine, et rejette la responsabilité des pénuries sur les sanctions de Washington. Les tractations diplomatiques se concentrent sur cette question de l’assistance à un peuple qui a faim.

Un mois après s’être autoproclamé président

Après une rencontre avec Juan Guaido mardi, les ambassadeurs de France, du Royaume-Uni, d’Italie, d’Espagne et d’Allemagne, ont annoncé 18 millions dollars d’aide, outre l’envoi par la France de 70 tonnes de médicaments et de vivres. Nicolas Maduro a annoncé l’acheminement mercredi de 300 tonnes de médicaments achetés à la Russie, alliée de Caracas, en plus des 933 tonnes achetées récemment à la Chine, la Russie et Cuba.

Juan Guaido a choisi la date symbolique du 23 février pour l’entrée de l’aide, un mois tout juste après son autodéclaration comme président par intérim, à la suite de la décision du Parlement de déclarer Nicolas Maduro comme « usurpateur » considérant qu’il a été réélu frauduleusement.

Vendredi, un concert pro-Guaido avec des artistes internationaux est prévu à Cucuta, financé par le milliardaire britannique Richard Branson. Un autre concert, organisé par le pouvoir chaviste, aura lieu au même moment, côté vénézuélien.

Mardi, le musicien britannique Roger Waters, un des fondateurs du groupe Pink Floyd, a critiqué le concert organisé par le fondateur du groupe Virgin, qui, selon lui, « n’a rien à voir avec l’aide humanitaire », mais « avec le fait que Richard Branson a pris pour argent comptant ce que disent les États-Unis » sur la situation au Venezuela.

13 février 2019

Au Venezuela, le soutien fragile de l’armée à Nicolas Maduro

Par Jean-Pierre Bricoure, Caracas, correspondance

La haute hiérarchie serre les rangs derrière le président et refuse les appels au ralliement de Juan Guaido. Mais les troupes sont divisées et se montrent sensibles à la promesse d’amnistie.

Il est apparu devant les caméras de la télévision vénézuélienne dès le lendemain de la proclamation de Juan Guaido, le 23 janvier. Droit dans ses bottes, Vladimir Padrino, ministre de la défense, y affirme d’un trait qu’une personne qui se lève ainsi pour se déclarer président par intérim menace l’Etat de droit et la paix dans le pays. « J’alerte le peuple du Venezuela qu’un coup d’Etat est perpétré contre la démocratie, contre la Constitution, contre le président Nicolas Maduro, le président légitime de la république bolivarienne du Venezuela », a ajouté le chef des armées.

L’allégeance au pouvoir en place ne souffre aucune contestation. Entouré d’une dizaine de militaires étoilés, Vladimir Padrino, lui-même général, nommé ministre en 2014 par feu Hugo Chavez, renvoie l’image d’une armée vénézuélienne serrant les rangs. Non seulement la haute hiérarchie des forces militaires, enfants chéris du régime chaviste, refuse toute négociation avec l’opposition, elle entend aussi jouer à plein son rôle de pilier des institutions et arbitre de la crise en cours.

Un bel élan d’unité et de rigueur qui peine toutefois à masquer le mécontentement de la troupe et les divisions révélées ces derniers mois au sein des commandements intermédiaires. Quatre complots ont été démantelés en 2018 et leurs responsables arrêtés. Cent vingt-trois soldats ont été mis derrière les barreaux pour conspiration.

Trois jours encore avant l’apparition télévisée du ministre, le 21 janvier, vingt-sept militaires de la Garde nationale bolivarienne s’étaient soulevés dans une caserne du quartier de Cotiza, dans le nord de Caracas. Armés et à visage découvert, plusieurs sergents ont manifesté leur colère, affirmé que leurs familles n’avaient plus rien à manger et appelé à désavouer le président Maduro avant d’être arrêtés.

« Une sorte de statu quo »

A peine une semaine plus tard, le général de l’armée de l’air Francisco Yanez, parti précipitamment en exil, annonce sur les réseaux sociaux sa défection. Le 9 février, c’est au tour du colonel de l’armée de terre Ruben Alberto Paz d’appeler, dans une vidéo, à reconnaître l’opposant Juan Guaido. Pour l’heure, aucun signe ne laisse penser que leurs messages ont été suivis d’effets. Ils n’en sont pas moins révélateurs des failles dans la chaîne de commandement et symptomatique de poussées antichavistes au sein de l’armée.

Selon la journaliste Sebastiana Barraez, spécialiste reconnue de l’armée vénézuélienne, trois groupes se distinguent au sein de forces militaires estimées à 365 000 hommes : les chavistes, omniprésents chez les hauts gradés et les officiers, mais pas seulement ; les mécontents et opposants, nombreux dans les casernes, parmi les jeunes engagés ainsi que les sous-officiers ; et le gros des troupes, formé par les déçus du chavisme, « une majorité qui ne bougera ni pour un camp ni pour l’autre, qui ne prendra pas les armes pour défendre Maduro mais qui ne basculera pas non plus pour renverser le régime », affirme l’experte.

« Il y a là un manque de cohésion pour agir dans un sens ou un autre, précise-t-elle, une sorte de statu quo qui résulte d’un lent processus de détérioration de l’institution qui remonte à plusieurs années. »

Dans son « Plan Bolivar 2000 », un programme de développement lancé en février 1999, Hugo Chavez a transféré à vingt-trois généraux des attributs assignés normalement aux gouverneurs des Etats. Chargés de projets de reconstruction et d’infrastructures, ils se sont arrogé des fonctions exécutives. D’autres gradés se sont vus attribués des budgets publics. Très vite, des cas de corruption ont commencé à être pointés du doigt. Selon un rapport du Contrôleur général, sur les 74 généraux concernés par le plan, vingt et un ont été impliqués dans des affaires de détournement d’argent.

Patronage militaire

Hugo Chavez a laissé faire. Par tactique, dit-on. Par crainte aussi. Le 11 avril 2002, la tentative avortée de coup d’Etat contre lui marque le véritable début du « processus de détérioration de l’armée », souligne Sebastiana Barraez. C’est à partir de cette date que le « commandante » s’entoure massivement de généraux, selon le seul critère de la loyauté. « Afin d’éviter toute nouvelle surprise, dit-elle, il choisit ses fidèles, au détriment des plus qualifiés. »

Après le décès de Chavez en 2013, Nicolas Maduro, l’héritier, n’a de cesse de conforter l’emprise des militaires. Plusieurs centaines de cadres de l’armée sont placés à des postes-clés. Le nombre des généraux passe à 1 200 – quasi le double du nombre recensé dans toute l’armée des Etats-Unis. Ils sont nommés à la tête des secteurs les plus rentables de l’économie : le pétrole, les activités minières et les importations de nourriture.

En 2017, près de la moitié des ministres importants du gouvernement Maduro sont des généraux. Aujourd’hui, ils ne représentent plus qu’un quart : « Il n’y a plus d’argent dans les ministères, cela ne les intéresse plus », explique Rocio San Miguel, spécialiste des questions militaires à Caracas. Une allusion à la crise vertigineuse qui frappe le pays.

Crise d’autant plus inquiétante pour le régime que les nouvelles sanctions économiques annoncées par les Etats-Unis s’apprêtent à frapper encore plus durement ce patronage militaire, notamment chez PDVSA, autrefois une des cinq plus grandes compagnies pétrolières au monde, présidée depuis deux ans par le général Manuel Quevedo et dont 7 milliards de dollars d’actifs (6,2 milliards d’euros) viennent d’être gelés.

Tensions croissantes au sein des casernes

Il n’empêche. Selon l’experte Rocio San Miguel, il n’y a pas de signe d’un soulèvement de l’armée. « Pour l’heure, ils ne montrent pas qu’ils vont abandonner Maduro », avance-t-elle. « L’armée a tendance à s’orienter vers de véritables alternatives de pouvoir, tempère prudemment Sebastiana Barraez. La question est de savoir si Guaido incarne véritablement cette alternative et je pense que la réponse, pour la première fois depuis longtemps, est oui. »

La spécialiste en veut notamment pour preuve cette proposition d’amnistie agitée par l’opposition, qui semble marquer les esprits et attirer certains militaires : « Cette proposition est importante car elle établit pour la première fois un pont entre les militaires et les civils qui s’opposent à Maduro. Toutefois, elle ne suffit pas à cause de la fragilité même de l’armée. Les divisions sont trop marquées pour les faire basculer dans un sens ou dans l’autre. »

La menace de poursuites que font peser les Nations unies à l’encontre des militaires soupçonnés d’avoir participé aux centaines d’exécutions arbitraires peut avoir des effets contradictoires. Les accusations portées contre de nombreux officiers impliqués dans le trafic de drogue et la contrebande sont aussi de nature à rendre difficile toute évolution.

D’un autre côté, les récits de cas de tortures contre les soldats critiques envers le régime semblent se multiplier ces dernières semaines. Les témoignages pointant la surveillance toujours plus étroite du Sebin, le service de renseignement bolivarien, et l’omniprésence de cadres cubains, viennent, eux, jeter une lumière crue sur les tensions croissantes au sein des casernes.

« Un quotidien dramatiquement affecté par la crise »

Ce n’est donc pas un hasard si Nicolas Maduro multiplie les visites à la troupe. Il s’est rendu au Fort Paramacay à Carabobo, où en août 2017 s’est produit un soulèvement armé. Fin janvier, il était sur une base de l’Etat d’Aragua. Et ce dimanche, il a donné le coup d’envoi de cinq jours de manœuvres à grande échelle afin de préparer le pays, dit-il, contre toute invasion étrangère. Comprendre l’éventualité d’une intervention des Etats-Unis, agitée par Donald Trump, et l’entrée au Venezuela de denrées et de médicaments, qui commencent à être stockés aux portes du pays à la demande de l’opposition.

Cette aide humanitaire est désormais au centre de la lutte entre le régime et les mouvements de contestations. Un bras de fer qui se situe au niveau des forces armées : « Une partie des militaires sont contre l’aide car cela signifierait l’entrée dans le pays d’agents étrangers, souligne Sebastiana Barraez, avant d’ajouter : Mais une majorité des soldats ne la refuse pas pour la simple raison que leur quotidien est lui-même dramatiquement affecté par la crise. »

Aux dernières nouvelles, les obstacles placés sur les routes d’accès à la frontière par le régime auraient été levés au sud-est du pays, à proximité du Brésil.

9 février 2019

Le deuxième sommet entre Trump et Kim Jong Un se tiendra à Hanoï

Le président américain a annoncé vendredi qu'il rencontrerait le dirigeant nord-coréen à Hanoï les 27 et 28 février pour un deuxième sommet historique.

Donald Trump a révélé vendredi que la capitale du Vietnam, Hanoï, accueillerait le deuxième sommet historique entre le président américain et le dirigeant nord-coréen Kim Jong Un fin février, tout en prédisant un avenir économique radieux pour la Corée du Nord.

La mise en place d'"une paix durable"   

Le pays, ainsi que la date de ce deuxième sommet historique - après celui ayant eu lieu à Singapour en juin - étaient déjà connus, mais pas sa localisation exacte.

trump et autre

"Mes représentants viennent juste de quitter la Corée du Nord après une réunion très productive", a écrit le locataire de la Maison Blanche sur Twitter. Le sommet "se tiendra à Hanoï, au Vietnam, les 27 et 28 février". "J'ai hâte de rencontrer le président Kim et de faire avancer la cause de la paix!", a-t-il déclaré.

Donald J. Trump

@realDonaldTrump

My representatives have just left North Korea after a very productive meeting and an agreed upon time and date for the second Summit with Kim Jong Un. It will take place in Hanoi, Vietnam, on February 27 & 28. I look forward to seeing Chairman Kim & advancing the cause of peace!

De son côté, la Corée du Nord n'a pas donné d'information officielle à propos du sommet. Kim Jong Un ne l'a pas non plus mentionné durant une réunion vendredi avec les hauts gradés de l'armée du pays. L'émissaire des Etats-Unis pour la Corée du Nord Stephen Biegun a terminé vendredi une visite de trois jours à Pyongyang afin de préparer ce deuxième sommet.

De mercredi à vendredi, il s'est entretenu avec l'émissaire nord-coréen Kim Hyok Chol, afin de permettre des progrès sur "une dénucléarisation complète, la transformation des relations Etats-Unis/Corée du Nord, et la mise en place d'une paix durable sur la péninsule coréenne", a déclaré le département d'Etat américain dans un communiqué, quelques heures avant le tweet du président Trump.

"Une fusée économique"   

Les émissaires des deux pays ont convenu de se rencontrer à nouveau avant le 27 février. Stephen Biegun devrait partager ce samedi avec son homologue sud-coréen Lee Do-hoon, et la ministre des Affaires étrangères sud-coréenne Kang Kyung-wha, plus de détails du contenu de ses rencontres avec les représentants de Pyongyang.

L'attention portera notamment sur le fait de savoir si Etats-Unis ont offert ou non de lever certaines sanctions économiques en échange d'actions concrètes de la Corée du Nord vers la dénucléarisation. Le président américain a estimé vendredi que la Corée du Nord, actuellement minée par la pauvreté, pouvait espérer de biens meilleurs jours sur le plan économique.

"La Corée du Nord, sous le commandement de Kim Jong Un, va devenir une grande puissance économique", a estimé Donald Trump dans un deuxième tweet vendredi. Kim Jong Un "pourra en surprendre certains mais il ne me surprendra pas moi, car j'ai appris à le connaître et suis entièrement conscient de ce dont il est capable", a-t-il poursuivi.

"La Corée du Nord va devenir un autre type de fusée - une fusée économique!", s'est enthousiasmé celui qui traitait encore il y a peu le dirigeant nord-coréen d'"homme-fusée" ("Rocket Man"), en référence aux tests de missiles balistiques nord-coréens.

Donald J. Trump

@realDonaldTrump

 North Korea, under the leadership of Kim Jong Un, will become a great Economic Powerhouse. He may surprise some but he won’t surprise me, because I have gotten to know him & fully understand how capable he is. North Korea will become a different kind of Rocket - an Economic one!

L'espoir de progrès plus concrets

Après des mois de surenchère, d'insultes personnelles et de menaces, les deux dirigeants ont amorcé un rapprochement spectaculaire au début de l'an dernier.

Lors de leur première rencontre, Kim Jong Un et Donald Trump avaient signé une déclaration très vague en faveur de "la dénucléarisation de la péninsule coréenne". Mais aucun progrès n'a depuis été réalisé, les deux parties n'étant même pas d'accord sur le sens exact de cet engagement. Les analystes espèrent que cette deuxième rencontre débouchera sur des progrès plus concrets.

Pyongyang demande un allègement des sanctions adoptées par la communauté internationale en réponse à ses programmes nucléaire et balistique interdits. Mais les États-Unis considèrent que ces sanctions, qui asphyxient le peuple nord-coréen, doivent être maintenues tant que la Corée du Nord n'aura pas renoncé à ses armes nucléaires.

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8 février 2019

Juan Guaido : « Personne ne s’immolera pour Maduro »

Par Jean-Pierre Bricoure, Caracas, correspondance

Dans un entretien au « Monde », le président autoproclamé du Venezuela estime que son rival a perdu le soutien de la population et qu’il est « acculé dans les cordes ».

Propos recueillis par Jean-Pierre Bricoure (Caracas, correspondance)

Propulsé à la tête de l’Assemblée nationale du Venezuela le 5 janvier, Juan Guaido, jeune dirigeant de 35 ans, a multiplié les initiatives pour chasser du pouvoir le président Nicolas Maduro. Alors que l’affrontement entre les deux hommes se poursuit, divisant la communauté internationale et menaçant la stabilité régionale, M. Guaido estime, dans un entretien au Monde, que son rival a désormais perdu le soutien de la population et qu’il est « acculé dans les cordes ».

Beaucoup de choses ont été écrites sur vous ces dernières semaines, vous-même, vous vous exprimez abondamment, mais on a du mal, in fine, à vous situer sur le champ politique. Même le positionnement de votre parti Volonté populaire fait débat. Que dites-vous ?

La question idéologique est, pour moi, un peu anachronique. Ce qui importe aujourd’hui au Venezuela est la mise en place de politiques d’assistance sociales, d’inclusions, d’autonomisations et d’égalité des sexes. C’est essentiel pour les populations les plus vulnérables du pays. L’autre priorité est l’économie. Je soutiens la libre entreprise de marché, l’autonomisation de l’entrepreneuriat et la compétitivité.

Pour le dire simplement, je suis de centre gauche sur les questions sociales. Je partage une grande partie des valeurs de la social-démocratie, en particulier sur les questions liées à la diversité, les avancées en matière des droits. Sur le plan économique, on peut dire que je suis du centre, tendance libéral.

Mais débattre du Venezuela en termes de droite et de gauche est, selon moi, erroné. La triste réalité du pays n’a été que pillage et corruption. Le mot « pueblo », le peuple, a été galvaudé pour voler les ressources de notre territoire. Il n’y a pas d’idéologie là-dedans. La réalité des problèmes du moment touche aux valeurs fondamentales de l’humanité et de la démocratie.

Volonté populaire fait partie de l’Internationale socialiste depuis 2015. Vous sentez-vous à l’aise avec cela ?

Pour être franc, je pense qu’ils ont été un peu ingrats dans la gestion de la crise vénézuélienne. Ils ont été trop prudents pour dénoncer le régime dictatorial en place parce qu’ils abordaient le problème vénézuélien en termes précisément de droite et de gauche. Peu importe si les dictateurs sont de gauche ou de droite, ils restent des dictateurs opposés à la démocratie.

Vous avez immédiatement obtenu le soutien de Donald Trump. Pourquoi le président américain continue-t-il d’agiter la menace d’une intervention militaire ?

Je pense que toute cette histoire d’intervention a été déformée et récupérée. A nos yeux, elle masque le fait que nous sommes en train de construire une véritable majorité dans le pays, avec une Assemblée nationale souveraine et élue, soutenue à l’étranger par, non seulement, les Etats-Unis, mais aussi l’Europe, le Canada et les pays d’Amérique latine. Soixante pays nous reconnaissent à ce jour. Alors réduire tout cela à un des éléments qui est sur la table minimise les années de sacrifices et de combats que les Vénézuéliens ont menés pour recouvrer notre démocratie et notre liberté.

Mais cette menace a été brandie encore récemment. N’est-elle pas un argument de choix pour Nicolas Maduro ?

Aujourd’hui, rien n’est bon pour Maduro. Il est acculé dans les cordes. L’intervention est le seul argument qui lui reste pour influencer l’opinion publique internationale. Ici, cela n’a pas d’impact sur l’opinion publique. Tout le monde sait qu’au Venezuela, il n’y aura pas d’affrontement entre civils, personne ne va s’immoler pour Maduro. Il n’a aucun soutien de la population. Il n’a plus d’argent parce que lui et ses proches l’ont volé. Alors, il essaie de vendre cette thèse de l’intervention pour se poser en victime. Il n’y parvient pas, sauf peut-être dans quelques pays. Il est important de réaffirmer, ici, que chaque décision visant à mettre un terme à cette usurpation du pouvoir sera prise par des Vénézuéliens.

Une vingtaine de pays européens vous soutiennent. Qu’attendez-vous de plus ?

Beaucoup de choses. En premier lieu, la pleine reconnaissance de mes fonctions de président par intérim, ce qui inclut la protection des avoirs vénézuéliens. Hier, le régime a tenté de transférer de l’argent vénézuélien sur un compte en Uruguay. Heureusement, nous avons stoppé l’opération. Nous devons absolument protéger les avoirs vénézuéliens car [nos adversaires] ont déjà pillé plus de quatre fois le produit intérieur brut (PIB) du Venezuela au cours des dix dernières années.

La deuxième chose est que nous avons besoin de soutien pour livrer l’aide humanitaire et ouvrir efficacement des corridors d’acheminement. Enfin, la troisième chose serait une pression diplomatique pertinente afin d’asseoir un gouvernement de transition stable permettant d’instaurer une réelle gouvernance et de générer les bases nécessaires à la reconstruction du pays. Après cela, nous pourrons parler du sauvetage de l’économie et des besoins techniques qui nous sont indispensables.

L’Europe, par exemple, a une expérience indéniable dans le domaine de la reconstruction. Lorsque nous comparons les indicateurs de la crise vénézuélienne avec certaines périodes européennes, nous sommes très semblables. Nous devons entièrement reconstruire le système de santé, les transports publics, le trafic routier, le système éducatif. Sans oublier que 3,3 millions de personnes ont quitté le pays ces dernières années.

Mais nous avons les ressources naturelles et les liens sociaux forts qui nous permettront, avec l’aide internationale, l’apport d’experts et de fonds, de reconstruire le pays de manière non traumatisante. Je suis confiant.

L’armée est le pilier du régime. Que faudrait-il pour qu’elle prenne ses distances avec Nicolas Maduro et appui une transition ?

Au Venezuela, il existe un proverbe qui dit que « les militaires sont fidèles jusqu’à ce qu’ils ne le soient plus ». Ce que je veux dire c’est qu’une transition ne se décrète pas, elle se construit. Si vous évaluez la situation actuelle, vous conclurez que nous avons près de 90 % de la population avec nous. Je pense réellement que le soutien populaire à Maduro est inexistant.

Aujourd’hui, une des variables manquantes à cette transition est effectivement l’armée. Qu’avons-nous à lui offrir ? Nous avons déjà offert des garanties et une amnistie. Nous avons également expliqué qu’elle a un rôle à jouer dans la reconstruction du pays. Bref, nous avons formulé de nombreuses offres et propositions. Nous travaillons. Lorsqu’ils nous auront rejoints, je vous dirai qu’elle élément a joué le rôle déclencheur.

Pendant des années l’opposition vénézuélienne s’est illustrée par ses divisions et intérêts antagonistes. Qu’est-ce qui vous rend si différent ?

Nous n’avons jamais cessé de travailler, de croire et de travailler encore. Et c’est cela peut-être le plus important : nous sommes l’aboutissement d’un très long processus. Nous sommes unis et résolument tournés vers l’avenir. Nous sommes une alternative crédible au pouvoir, conforme à la Constitution et dotée du soutien de la communauté internationale.

Mais vous-même, qu’est-ce qui vous rend différent ?

J’ai été constant toute ma vie, persistant aussi. Je suis un fan de l’équipe de baseball « Los Tiburones de la Guaira » (originaire de Vargas, l’équipe n’a rien gagné pendant des années), ce qui veut dire que je suis un optimiste de nature.

Vous avez dit un jour connaître « le pouvoir du chavisme ». Qu’en est-il ?

En 2016, je vous aurai dit qu’il s’agit d’une force politique représentant 20 % à 30 % de la population. J’aurais également affirmé qu’à ce moment-là les chavistes constituaient une force importante et influente dans le pays, qu’ils pouvaient se mesurer aux autres partis par le biais de mécanismes démocratiques, gagner ou perdre des élections, puis tenter de les gagner à nouveau.

Mais si vous me demandez aujourd’hui ce qu’ils représentent, je vous dirai qu’ils sont chaque jour moins nombreux. Ils ont nourri trop de contradictions, tourné le dos au monde démocratique. Toutefois, j’estime qu’ils sont nécessaires pour assurer la stabilité future du pays. Autant j’ai reconnu l’importance des militaires et fais des propositions, autant je reconnais celle des chavistes et celle aussi des nombreux ex-chavistes. Tous ici sont importants à mes yeux pour permettre à un gouvernement de transition de se stabiliser et trouver un minimum d’accords afin d’institutionnaliser le Venezuela.

Des camions d’aide humanitaire arrivent à la frontière du Venezuela Près d’une dizaine de camions d’aide humanitaire américaine destinée au Venezuela sont arrivés, jeudi 7 février, près du pont international Tienditas, dans la ville frontalière de Cucuta, du côté colombien de la frontière avec ce pays. Le chargement a été réceptionné par l’Unité nationale de gestion des risques de catastrophes (UNGRD), l’organisme étatique chargé des secours en Colombie, qui a précisé dans un communiqué qu’il se limitait à la recevoir et à l’entreposer dans un centre de stockage de Cucuta. La manière dont cette aide traversera la frontière reste un mystère. Le gouvernement de Nicolas Maduro, désavoué par les Etats-Unis, l’Union européenne (UE) et plusieurs pays latino-américains, a averti qu’il ne la laisserait pas entrer, la considérant comme un cheval de Troie en vue d’une intervention militaire que Washington n’a pas écartée. Bogota et Caracas n’ont plus de relations depuis 2017 et le président colombien Ivan Duque est à la tête des pressions diplomatiques exercées sur la « dictature » au Venezuela, selon ses termes. Le Groupe de contact international sur le Venezuela, créé à l’initiative de l’UE, a lancé un appel à une solution négociée lors de sa réunion inaugurale à Montevideo, la capitale uruguayenne. La haute représentante de l’UE pour les affaires étrangères, Federica Mogherini, a déclaré à l’ouverture de la réunion, qui rassemblait treize pays européens et latino-américains, que seule une solution pacifique et politique permettrait d’éviter au Venezuela de plonger dans le chaos.

5 février 2019

Analyse - Pourquoi les Européens emboîtent le pas de Donald Trump au Venezuela

venezuela

Par Marc Semo

La France et dix-huit autres pays européens ont reconnu lundi Juan Guaido comme chef de l’Etat par intérim.

Le mot gêne toujours. Interrogé sur France Inter lundi 4 février au matin à propos de « l’ingérence » que représenterait la reconnaissance par la France et d’autres pays européens – ils étaient dix-neuf au total, mardi matin – de l’opposant vénézuélien et président du Parlement Juan Guaido comme chef de l’Etat par intérim chargé d’organiser des élections présidentielles anticipées, le ministre des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a éludé, préférant parler d’« appel » et « de demande à l’aide » d’un pays en pleine crise. La tragédie vénézuélienne est en train de remettre sur le devant de la scène le « devoir d’ingérence » au nom de l’humanitaire.

« L’indifférence serait encore pire que l’ingérence », souligne un diplomate. Emmanuel Macron s’est personnellement engagé sur la crise vénézuélienne, et il a par deux fois rencontré personnellement des personnalités de l’opposition, dont l’ancien président du Parlement Julio Borges, qui a dû se réfugier en Colombie.

Les Européens ne pouvaient rester sans rien faire. Les capitales les plus impliquées, dont Paris, paraissent pourtant agir dans le sillage de Washington. Le mouvement est en effet parti de Donald Trump qui, dès le 23 janvier, reconnaissait comme chef d’Etat par intérim et seul président légitime Juan Guaido. Il fut aussitôt suivi par le Canada et la plupart des pays d’Amérique latine, à commencer par ceux, désormais majoritaires, ayant à leur tête, comme la Colombie et le Brésil, des présidents de droite ou d’extrême droite.

Confus, imprévisible, accusé à raison d’« isolationnisme », le président américain ouvrait ainsi un processus politique à même de mettre fin à la longue agonie d’un régime autoritaire à bout de souffle et à l’inexorable descente aux enfers d’une population plongée dans la misère, alors même que ce pays pétrolier de 32 millions d’habitants dispose des plus importantes réserves au monde. Pour le moment, il garde la main, même si les menaces d’une intervention militaires inquiètent aussi bien l’opposition vénézuélienne que les Européens.

« Gorbatchev ou Al-Assad »

Dans un tel contexte, face à une Union européenne incapable d’exprimer au nom des Vingt-Huit une position qui ne soit pas un lénifiant plus petit dénominateur commun, six capitales européennes – Paris, Madrid, Berlin, Londres, Amsterdam et Lisbonne – ont lancé le 27 janvier un ultimatum donnant huit jours au président en titre, Nicolas Maduro, pour organiser une élection présidentielle, sans quoi ils reconnaîtraient, eux aussi, le chef du parlement Juan Guaido comme président par intérim afin qu’il organise un tel scrutin. Ce délai de huit jours visait, selon le mot d’un diplomate français, « à laisser un peu de temps à Nicolas Maduro pour décider s’il veut être Gorbatchev ou Bachar Al-Assad ». L’autocrate de Caracas a rejeté ces exigences. Nombre de capitales européennes dans le sillage de Madrid et de Paris ont donc à leur tour franchi le pas de la reconnaissance de Juan Guaido.

L’implication des Européens dans ce qui peut sembler être une crise interne à un pays sud-américain – mais ce qu’elle n’est pas – pourrait paraître étonnante. Les positions de Paris et des autres capitales européennes les plus en pointe, sont parfaitement cohérentes. Le Parlement, dont Juan Guaido était le président avant de se proclamer chef d’Etat par intérim au nom de la Constitution, reste aujourd’hui la seule instance vénézuélienne élue dans un scrutin pleinement légitime et accepté par tous, même s’il date de 2015.

L’élection présidentielle de mai 2018 de Nicolas Maduro pour un second mandat avait été, en revanche, marquée par des fraudes massives dénoncées par les observateurs internationaux. Les Européens, à commencer par la France, avaient considéré ce scrutin comme « illégitime ». Les ambassadeurs des Vingt-Huit ont refusé d’assister à la prestation de serment, le 10 janvier, de Nicolas Maduro.

Impossible de rester absent

Le blocage de la Grèce, de la Hongrie du très autoritaire Viktor Orban ou de l’Italie, dont la coalition gouvernementale est divisée, a empêché la cheffe de la diplomatie européenne Federica Mogherini d’exprimer une position forte au nom des Vingt-Huit. Pour Paris, comme Madrid, Londres ou Berlin, il était néanmoins impossible de rester absent. C‘est la crédibilité même de la politique étrangère et de sécurité commune de l’Europe qui en cause, même si le Venezuela peut sembler un théâtre lointain.

Car la crise vénézuélienne n’est pas seulement une crise interne. Le Conseil de sécurité l’a reconnu en acceptant la demande américaine d’une réunion d’urgence, le 26 janvier, malgré l’opposition de Moscou et de Pékin.

Près de trois millions de Vénézuéliens ont fui vers les pays voisins, et il s’agit aujourd’hui de la plus grave crise de réfugiés dans le monde, du propre aveu du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. La stabilité des pays voisins – la Colombie, le Brésil, l’Equateur – est en jeu, avec des implications directes pour la France, car la Guyane est proche du Venezuela.

Clivages géopolitiques

Les Européens se devaient d’autant plus d’agir que cette crise a d’évidentes implications politiques régionales dans une Amérique latine soumise à de nouvelles divisions idéologiques, entre des présidents de droite populiste dure, comme le Brésilien Jair Bolsonaro ou le Colombien Ivan Duque, et ceux des derniers bastions de la gauche, renforcés par l’élection, au Mexique, d’Andres Manuel Lopez Obrador.

L’affrontement Maduro-Guaido est aussi le révélateur de clivages géopolitiques majeurs. Présente militairement au Venezuela tout comme Cuba, la Russie a pris fait et cause pour le président en titre dénonçant les « ingérences de Washington ». Moscou y voit une occasion de rappeler qu’il a retrouvé son rang de grande puissance globale, à même de défier les Etats-unis dans leur arrière-cour, et de faire échec à la tentative de Donald Trump de « renversement du régime ».

Le geste de Paris et de ses partenaires ne va pas changer grand-chose dans l’immédiat. « L’isolement du régime sur la scène internationale est déjà bien réel, y compris avec la mise en œuvre de sanctions financières, mais cette décision est un symbole fort qui permet aussi à Juan Guaido de ne pas dépendre seulement de Donald Trump », souligne Paula Vasquez, chercheuse au CNRS et spécialiste du Venezuela.

La cheffe de la diplomatie européenne, Federica Mogherini, a mis sur pied avec plusieurs pays d’Amérique latine, dont le Mexique et l’Uruguay, un groupe de contact pour tenter de trouver une issue politique à la crise sous 90 jours. Une démarche de fait complémentaire à celle des capitales les plus engagées, qui font monter la pression. L’objectif est de permettre un départ du pouvoir négocié de Nicolas Maduro. Nul ne se fait trop d’illusion, à commencer par Federica Mogherini elle-même, qui reconnaissait que « compte tenu des expériences passées et de la situation dans le pays, les chances d’arriver à un résultat positif sont faibles ».

4 février 2019

La lettre politique de Laurent Joffrin - La farce tragique de Maduro

Six pays européens, dont deux dirigés par des coalitions de gauche, l’Espagne et le Portugal, ont donc reconnu Juan Guaidó, principale figure de l’opposition vénézuélienne, comme président par intérim chargé d’organiser une nouvelle élection présidentielle. On dira : de quoi se mêlent-ils ? Pourquoi emboîter le pas, d’un continent à l’autre, à Donald Trump, qui a le premier proclamé la légitimité de Juan Guaidó ? Lui qui a ressuscité par sa balourdise éléphantesque le vieil imperium que les Etats-Unis, depuis le président Monroe, se sont abusivement attribué sur les affaires de l’Amérique latine, ranimant ainsi le spectre de l’impérialisme yankee ?

Ils se mêlent en fait des affaires de la démocratie. L’Union européenne avait en son temps émis de très sérieux doutes sur la validité de l’élection du président en titre, Nicola Maduro, organisée à la va-vite par une commission électorale aux ordres du régime, boycottée par l’opposition et marquée par toutes sortes de fraudes. Or la constitution vénézuélienne, un peu comme en France, prévoit qu’en cas d’empêchement du président en titre, celui de l’Assemblée – Juan Guaidó en l’occurrence – exerce un intérim avant l’organisation d’un nouveau scrutin. Guaidó est en quelque sorte un Poher un peu expéditif, qui prend acte de l’illégitimité de Maduro et presse le pas vers de nouvelles élections, régulières, celles-ci. D’où la reconnaissance européenne.

Les soutiens du régime vénézuélien crient au coup d’Etat manipulé de Washington. C’est oublier le contexte. Successeur de Chavez, plus terne et plus répressif, Maduro a ruiné son pays. Assis sur les plus grandes réserves de pétrole au monde, il a réussi en quelques années à diviser par deux le PIB du Venezuela, à réduire son peuple à la misère et à provoquer l’exil forcé de plus de deux millions de ses compatriotes. Appuyé sur l’armée, gangrené par la corruption, le régime a résisté à toutes les protestations en usant d’une répression multiforme et brutale.

La France insoumise, toujours rangée derrière Maduro, dénonce en France, à raison, la répression trop brutale des « gilets jaunes» qui a occasionné de nombreuses blessures graves. Elle oublie de critiquer la répression vénézuélienne, qui a causé la mort de dizaines de personnes en quelques semaines. Politiquement daltonienne, elle soutient avec la même ferveur les «gilets jaunes» et les uniformes kaki des sbires de Maduro. Une légère contradiction…

Le président vénézuélien a proposé d’organiser de nouvelles élections législatives, ce que certains ont interprété comme un geste d’ouverture. En fait, il s’agit d’une mauvaise blague. C’est l’élection du président qui est contestée, non celle du Parlement, qui s’est déroulée dans des conditions honorables et qui a débouché sur la victoire de l’opposition. Maduro, élu illégitimement, propose de rester en place et de dissoudre l’assemblée légitime, privant Guaidó de son point d’appui légal. A juste titre, cette farce potentielle a aussitôt été récusée par l’opposition.

Il n’est qu’une issue à la crise qui a plongé dans le malheur un peuple longtemps abusé et qui se révolte aujourd’hui : l’organisation d’une élection présidentielle sincère. Alors on verra alors si ce régime populiste reçoit toujours l’assentiment du peuple.

LAURENT JOFFRIN

4 février 2019

Paris reconnaît Juan Guaido comme président par intérim

Plusieurs capitales européennes ont pris les devants contre Nicolas Maduro, en l’absence de position commune des Vingt-Huit
L’ultimatum de huit jours lancé par sept capitales européennes (Paris, Madrid, Berlin, Londres, Amsterdam et Lisbonne, rejointes au dernier moment par Vienne) a sans surprise été rejeté par le président vénézuélien en titre Nicolas Maduro. Dans un entretien avec la chaîne de télévision espagnole La Sexta dans la soirée du 3 février, il a clamé qu’il ne ferait « pas preuve de lâcheté face aux pressions » pour organiser un scrutin présidentiel.

Paris considère désormais, selon les propos du ministre des affaires étrangères Jean-Yves Le Drian sur France Inter, que « le président de l’Assemblée nationale Juan Guaido est, en tant que chef de l’Etat par intérim, habilité à organiser des élections présidentielles ». La reconnaissance a été annoncée par la France, l’Espagne, le Royaume-Uni et d’autres le 4 février en milieu de matinée.

La veille, Nathalie Loiseau, secrétaire d’Etat aux affaires européennes, avait qualifié de « farce tragique » la proposition de Nicolas Maduro d’élections législatives anticipées. Le Parlement, qui a proclamé Juan Guaido chef de l’Etat par intérim, a été élu en 2015 dans un scrutin régulier, alors que l’élection présidentielle de mai 2018 a été marquée par de nombreuses fraudes dénoncées par les observateurs internationaux. Les Européens, comme les Etats-Unis et la plupart des pays démocratiques, se sont refusés à reconnaître comme légitime le second mandat de Nicolas Maduro.

« Pas de l’eau tiède »

La reconnaissance de Juan Guaido par ces sept capitales est un fait acquis. Elles suivraient ainsi les Etats-Unis, le Canada et de nombreux pays d’Amérique latine, dont la Colombie et le Brésil, qui avaient lancé le mouvement le 23 janvier. Le Parlement européen a franchi le pas le 31 janvier, appelant l’ensemble des pays de l’UE à faire de même. Mais il est encore difficile pour les Vingt-Huit de se mettre d’accord sur une position commune forte.

Les premières réactions de la chef de la diplomatie européenne, Federica Mogherini, ont été pour le moins prudentes, voire embarrassées. Alors Paris, comme Madrid, Berlin et Londres, ont décidé de durcir le ton, rappelant, comme l’a fait Emmanuel Macron dans un Tweet en français et en espagnol, le caractère « illégitime » de l’élection de Nicolas Maduro, puis lançant un ultimatum pour un nouveau scrutin.

« Nous avons pris cette initiative parce qu’il était impossible, face à la gravité de la crise, de s’en tenir à de l’eau tiède », explique un haut diplomate français, soulignant que « de tels compromis sur la base du plus petit dénominateur commun en politique étrangère sont le symbole même d’une Europe qui ne marche pas ».

Les divisions sont apparues dans toute leur évidence lors de la réunion des ministres des affaires étrangères des Vingt-Huit, à Bucarest le 1er février. Face aux six capitales les plus engagées, une majorité est restée prudente. Une poignée d’Etats membres, à commencer par la Hongrie de Viktor Orban et la Grèce, restent pour le moins complaisants vis-à-vis du régime vénézuélien. La coalition italienne est profondément divisée, la Ligue (extrême droite) de Matteo Salvini étant au diapason du Brésil et des Etats-Unis, alors que le Mouvement 5 étoiles (« antisystème ») de Luigi Di Maio campe sur la position d’Athènes.

L’objectif des Vingt-Huit est d’aider à une sortie en douceur de Nicolas Maduro. « Nous voulons une issue pacifique et démocratique ; la violence a trop été utilisée au Venezuela et nous voulons éviter toute tentation militaire », avait expliqué Federica Mogherini à l’issue de la réunion. Elle avait annoncé que l’UE mettait sur pied un groupe de contact avec des pays d’Amérique latine restés sur une ligne médiane, comme l’Uruguay et le Mexique, pour trouver sous trois mois un terrain d’entente entre M. Maduro et M. Guaido. La première réunion devrait se tenir le 7 février à Montevideo.

Grand écart

Federica Mogherini et le président uruguayen Tabare Vazquez ont expliqué que la rencontre « vise à contribuer à créer les conditions nécessaires à l’émergence d’un processus politique et pacifique permettant aux Vénézuéliens de déterminer leur propre avenir, par la tenue d’élections libres, transparentes et crédibles ».

La logique de cette démarche, comme le délai évoqué de quatre-vingt-dix jours – qui n’est pas un ultimatum, a rappelé la chef de la diplomatie européenne –, tranche avec la pression mise par les six, à commencer par Paris, convaincu que le temps presse. Les divergences sont de méthode et de temporalité plus que de fond, mais l’Europe n’en est pas moins contrainte au grand écart.

Or l’Union européenne a potentiellement un rôle important à jouer dans la crise. « Il est fondamental, car les Etats-Unis semblent décidés à aller très vite, évoquant même une intervention qui, même ponctuelle, laisserait de profondes séquelles, explique Paula Vasquez, chercheuse au CNRS et spécialiste du Venezuela. Paris, Madrid et Berlin ont pleinement pris conscience du caractère désormais irréversible du mouvement contre Maduro. »

4 février 2019

Venezuela : Maduro rejette l'ultimatum européen, pas de présidentielle

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