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Jours tranquilles à Paris

9 septembre 2020

Pauline Moulettes

pauline40

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9 septembre 2020

Deux ex-soldats birmans avouent des crimes contre les Rohingya

birmanie122

Par Stéphanie Maupas, La Haye, correspondance, Harold Thibault

Les deux hommes ont détaillé la chaîne de commandement, nommé les chefs, identifié leur rang et dénoncé leurs ordres. Ils sont désormais sous la garde de la Cour pénale internationale.

En seize minutes, toute l’horreur semble dite, presque mécaniquement. Sur des vidéos, visionnées par Le Monde, deux anciens soldats de l’armée birmane égrènent les meurtres, les viols et les pillages commis contre les Rohingya en 2017. Ils détaillent la chaîne de commandement, nomment les chefs, identifient leur rang et dénoncent leurs ordres. Les deux hommes sont désormais entre les mains de la Cour pénale internationale (CPI). Ils seraient arrivés à La Haye lundi 7 septembre, indiquent deux sources au Monde.

Interrogés et filmés au cours de l’été par les rebelles de l’Arakan Army (AA), les deux anciens soldats semblent déposer comme s’ils étaient déjà face à des juges. Vêtus de leurs uniformes, assis face caméra, ils confessent les crimes en détail, donnant les noms de villages et la localisation des fosses communes dans lesquelles ils ont jeté les corps des Rohingya. « Nous les abattions et nous débarrassions d’eux en appliquant l’ordre de tuer tout le monde, enfants ou adultes », relate l’un d’eux, qui précise avoir agi sur ordre direct de son lieutenant-colonel, à la tête du bataillon. Leurs témoignages, dont l’existence a été révélée mardi par le New York Times, sont les premiers venus des rangs mêmes de l’armée birmane, sur les massacres commis à l’été 2017 à l’encontre de la minorité musulmane, conduisant à l’exode au Bangladesh des deux tiers de sa population d’un peu plus d’un million de personnes.

« C’est un moment crucial pour les Rohingya et pour les peuples de Birmanie dans leur quête de justice », assure Matthew Smith, directeur de l’ONG Fortify Rights, qui travaille sur le drame des Rohingya. L’armée birmane a toujours nié l’existence d’attaques massives contre les Rohingya tandis que la dirigeante Aung San Suu Kyi, répondant à l’affaire portée par la Gambie au nom de l’Organisation de la coopération islamique, devant la Cour internationale de justice (CIJ) cette fois, a considéré en décembre 2019 que « l’intention génocidaire ne peut être l’unique hypothèse » des violences, tout en reconnaissant « la souffrance de plusieurs innocents ».

Bénédiction de leurs supérieurs

Dans ces vidéos tournées en juillet par une guérilla rebelle en conflit avec l’armée birmane, l’AA, le soldat Myo Win Tun, 33 ans, dit avoir été impliqué dans l’exécution de femmes, d’hommes et d’enfants et reconnaît un viol dans le village de Taung Bazar, en septembre 2017. Le deuxième classe Zaw Naing Tun, âgé de 30 ans, estime que son groupe a bien tué 80 musulmans, y compris des vieillards, et rasé une vingtaine de villages. Un jour de septembre 2017, dans le village de Zin Paing Nyar, dix Rohingya ont été ligotés puis abattus vers 15 heures par cinq soldats dont lui-même, qui creusèrent un trou ensuite, pour finir la besogne aux alentours de 17 heures : « Il a fallu deux heures pour les enterrer. »

S’il n’a pas commis de viol, précise-t-il, c’est qu’étant du bas de la hiérarchie il était de vigie quand ses supérieurs s’en prenaient aux femmes du bourg. Les soldats avaient la bénédiction de leurs supérieurs pour piller ensuite les maisons abandonnées. « Vous gardez ce que vous prenez », aurait dit le supérieur de Zaw Naing Tun, qui se souvient : « Nous entrions dans le marché, détruisions les serrures et cadenas, prenions la monnaie, l’or, les vêtements, la nourriture et les téléphones. Nous prenions tout sans aucune crainte. »

Les deux hommes donnent les noms de dix-neuf membres des forces impliqués dans ces violences et de six commandants qu’ils accusent d’avoir donné les ordres, dont un lieutenant-colonel, un colonel et trois capitaines. Ils disent avoir reçu pour instruction de « tous les exterminer », de « tirer sur tout ce que vous voyez » ou encore de « tout tuer ». Les deux soldats opéraient dans deux bataillons d’infanterie légère distincts, le 565e et le 353e, affectés aux « opérations de nettoyage » dans deux cantons, Buthidaung et Maungdaw.

Corrobore les témoignages de victimes

« Ces aveux démontrent ce que nous savons depuis longtemps, à savoir que l’armée de Birmanie est une armée nationale qui fonctionne bien et qui fonctionne avec une structure de commandement spécifique et centralisée, assure Matthew Smith. Les commandants contrôlent, dirigent et ordonnent chaque acte à leurs subordonnés. Dans ce cas, les commandants ont ordonné aux fantassins de commettre des actes de génocide et d’exterminer les Rohingya, et c’est exactement ce qu’ils ont fait. »

Pour Antonia Mulvey, directrice de l’organisation Legal Action Worldwide, et ancienne enquêtrice de la mission d’établissement des faits (MEF) des Nations unies sur la Birmanie, « ce qu’ils racontent est crédible. Leurs aveux corroborent les témoignages de victimes que nous avons pu rassembler depuis 2017 et décrivent parfaitement la responsabilité hiérarchique dans les crimes ».

Leurs témoignages sont en effet cohérents avec le récit fait par les Rohingya. Les villages ont été incendiés, généralement au lever du jour, puis la population a dû fuir sous les balles de mitraillettes, parfois les tirs de mortier, les hommes interpellés étaient tués et jetés dans des fosses communes, les femmes violées et laissées pour mortes. Dans certains villages, les unités ont été plus cruelles qu’ailleurs, comme à Tula Toli, où les enfants ont été jetés au feu ou dans la rivière.

Le cadre dans lequel ont été tournées les vidéos et le parcours des deux hommes suscitent néanmoins plusieurs questions. Les deux soldats se sont-ils exprimés sous la contrainte ? Sont-ils véritablement repentis ? Dans une première vidéo publiée en mai par l’armée rebelle et alors passée inaperçue, Myo Win Tun figurait parmi un groupe de quatre soldats disant avoir fait défection. Issu d’une minorité du nord-est du pays, les Shanni (ou « Shan rouges »), il disait avoir été recruté de force – une pratique largement établie au sein de l’armée birmane – et avoir abandonné ses rangs du fait des discriminations et des brimades d’officiers de la majorité ethnique bamar. « Il y a de multiples questions sur les vidéos des déclarations des soldats diffusées par l’Arakan Army. Il n’est pas clair si elles sont faites volontairement ou sous quelles circonstances. Mais maintenant qu’ils sont à La Haye, le contexte est différent, et les soldats peuvent être interrogés dans des circonstances plus rigoureuses », souligne Richard Horsey, un analyste politique indépendant basé à Rangoun.

Les probables déserteurs sont passés dans des circonstances inexpliquées entre les mains de l’AA, groupe qui se pose en défense de l’ethnie bouddhiste arakanaise contre l’armée et le pouvoir birman. Cette guérilla pourrait avoir vu en ces hommes un fardeau dont il était préférable de se débarrasser, voir une opportunité susceptible d’affaiblir l’ennemi birman en dénonçant ses crimes contre les Rohingya. Les deux hommes auraient été relâchés en direction de la frontière du Bangladesh.

A la mi-août, ils se sont présentés aux autorités frontalières bangladaises et ont demandé à être placés sous protection. « Je peux confirmer que deux Birmans ont approché la frontière avec le Bangladesh et demandé la protection du gouvernement, commente Payam Akhavan, conseil du Bangladesh et ancien procureur international. Ils ont avoué des crimes de masse et des viols de civils rohingyas lors de l’opération de 2017 ». Après quoi, « conformément aux obligations du Bangladesh, en vertu du statut de la Cour pénale internationale, le bureau du procureur a été averti. Tout ce que je peux dire, c’est que les deux personnes ne se trouvent plus aujourd’hui sur le territoire du Bangladesh. Mais les enquêtes de la Cour sont confidentielles, et je ne peux pas révéler l’identité d’un quelconque suspect ou de témoins, ou leur localisation ».

Complexité du procès

A La Haye, le bureau du procureur refuse de confirmer la prise en charge des deux hommes. Et rappelle le secret de l’instruction, « non seulement pour protéger l’intégrité des investigations mais aussi pour assurer la sûreté et la sécurité des victimes, des témoins et de tous ceux avec lesquels le bureau interagit ». Matthew Smith n’hésite néanmoins pas à pousser l’avantage : « Ces hommes pourraient être les premiers criminels de Birmanie jugés devant la CPI, et les premiers témoins de l’intérieur auxquels a accès la Cour. Nous espérons une action rapide. »

C’est oublier la complexité du procès. Rangoun n’a jamais adhéré à la Cour, établie par un traité ratifié à ce jour par 123 Etats, et celle-ci n’est donc pas compétente pour les crimes commis sur son territoire. La procureure Fatou Bensouda a pu en revanche s’emparer de ceux commis au Bangladesh voisin, dont au premier chef le crime contre l’humanité pour déportation. Elle pourrait poursuivre d’autres crimes, dont ceux de persécution, mais elle devra prouver que la situation des Rohingya au Bangladesh en découle.

Pour l’instant, la pandémie de Covid-19 a sérieusement ralenti les enquêtes du bureau du procureur, y compris celle sur la Birmanie, ouverte en novembre 2019. Et comme dans nombre d’affaires, il faudra sans doute des mois, voir des années, avant que les juges ne valident de futurs mandats d’arrêt et qu’un procès puisse s’ouvrir. A moins que les deux hommes soient inculpés et décident de plaider « coupable ». Dans la négociation judiciaire qui s’engagerait alors avec le bureau du procureur, les repentis pourraient raconter par le détail les crimes auxquels ils ont participé, voir déposer un jour contre leurs supérieurs.

9 septembre 2020

« La Daronne » : la saga d’une dealeuse « grand style »

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Nous sommes ici avec Jean-Paul Salomé (Belphégor, le fantôme du Louvre, Arsène Lupin, Le Caméléon) dans la veine haute de la comédie populaire française, bien écrite, bien jouée, insolente et bon enfant à la fois, tendance arnarcho-gentillette. Prudence Portefeux, interprète et traductrice d’arabe à la brigade des stupéfiants, veuve de longue date qui gagne trop peu pour à la fois éduquer correctement sa fille et pourvoir, dans un établissement digne de ce nom, aux besoins d’une mère rattrapée par la démence sénile.

Détournant presque sans le vouloir un gros stock de drogue, laissé en friche dans la nature à la suite d’une intervention policière, l’idée lui vient qu’il y a là un moyen enfin efficace de lutter contre le déclassement des classes moyennes.

Malgré quelques trous d’air, le film décolle dès lors qu’il s’assume comme comédie loufoque et gentiment ethnique. Dans un théâtre urbain, de Ménilmontant à Barbès, juifs, Chinois et Maghrébins, bons enfants de la patrie, filoutent à qui mieux mieux une République qui ne tient plus ses promesses, mais qui reste encore un peu accueillante aux galériens du vaste monde. Jacques Mandelbaum

« La Daronne », film français de Jean-Paul Salomé. Avec Isabelle Huppert, Hippolyte Girardot, Farida Ouchani (1 h 46).

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9 septembre 2020

Nobuyoshi ARAKI

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9 septembre 2020

Exposition à la Galerie Templon

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Plus qu'un jour avant l'ouverture du spectacle solo de Pierre et Gilles

Motionless Wanderings " ! Ouverture le jeudi 10 septembre à 17:30 h. - L ' exposition s'ouvre avec cet autoportrait créé en studio pendant le confinement : " Bonjour Pierre et Gilles " rend hommage à la peinture de Gustave Courbet " Bonjour Monsieur Courbet II montre le couple errant sur un chemin bucolique, perdu parmi les logements et les banlieues résidentielles. Des voyous, des marchands de ferraille, des sans-abri, des manifestants des gilets jaunes ? Avec un regard conscient et la bienveillance de leur marque, Pierre et Gilles nous invitent dans leur univers unique, un monde artificiel aussi merveilleux qu'inquiétant. 30 rue Beaubourg, 75003 Paris.

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9 septembre 2020

Nicolas Nova : «Il faut apprendre à domestiquer son smartphone»

Par Clara Hage — Libération

Professeur et chercheur en anthropologie des techniques, Nicolas Nova a enquêté sur nos usages du smartphone. Que disent-ils de la place que nous lui réservons dans nos vies ? Loin de nous isoler, le téléphone s’avère être un allié de taille à l’épreuve de la distance physique.

Dans les rames de métro, les salles d’attente, dans toutes les pièces de l’appartement jusqu’aux toilettes et salles de bains, un seul objet attire l’attention. Sa présence est une évidence, elle s’inscrit dans le corps, s’imprime dans l’esprit de ses usagers. Le smartphone est irremplaçable : 5,28 milliards d’humains en possèdent un. Prothèse numérique au bout du bras, nous lui cédons, dans une servitude quasi volontaire, nos facultés cognitives, sociales, organisationnelles… Jusqu’à le manipuler en moyenne 85 fois par jour. Pour autant, cet objet nous fait du bien. Le confinement l’a révélé : jamais peut-être sommes nous restés autant accrochés à notre téléphone comme à la dernière interface du monde. Pour Nicolas Nova, auteur de Smartphones, une enquête anthropologique, il n’y a rien de moins individuel que le smartphone. Diaboliser ses usages est vain, ce qu’il faut, c’est apprendre à le domestiquer.

A travers votre enquête, vous assumez une posture optimiste vis-à-vis du smartphone qui donne à la vie sociale de «nouveaux visages». Quels sont-ils ?

Disons plutôt qu’il s’agit d’une posture qui part du point de vue des utilisateurs. C’est une manière de prendre le contre-pied de certaines critiques qui sont faites aux technologies numériques en général, accusées de désocialiser les individus. L’idée d’une séparation entre ce qui est en ligne, «virtuel», et ce qui est réel est trop caricaturale. En fait, tout est toujours réel. Quand nous communiquons à travers le smartphone, nous savons bien que nous nous adressons à des gens en chair et en os. Le paradoxe dans cet objet est qu’il nous permet à la fois d’être en lien avec les autres et à la fois de s’éloigner de ceux présents autour de nous. C’est cette norme sociale extrêmement courante qui est chamboulée. Le smartphone et ses applications sont de formidables moyens de mises en relation, de coordination. Sauf que ce n’est pas forcément avec ceux qui sont à côté de nous. L’idée n’est pas de défendre le smartphone en disant que c’est un objet parfait. Mais il y a un écart entre ce qu’on en dit et les pratiques individuelles. Par le biais d’entretiens avec les utilisateurs, j’ai observé la vie numérique qui passe à travers leur smartphone. J’en ai tiré six objets (la laisse, la prothèse, le miroir, la baguette magique, le cocon et la coquille vide), qui témoignent du sens que chacun donne à cet objet… et qui font écho aux grands débats sur comment le numérique change nos relations au monde et aux autres : ces manières de tenir le smartphone plus ou moins à distance, de le domestiquer, de gérer sa vie sociale, d’y projeter du sens.

Comment ont évolué les discours autour du smartphone ?

Dès son apparition, il y a eu une phase très euphorique et positive. Steve Jobs [cofondateur d’Apple, ndlr] en parlait comme d’un «appareil magique» et son discours était partagé par un grand nombre d’individus, par effet de distinction sociale, de fierté d’utiliser cet objet nouveau. Mais il y a eu simultanément une prise de conscience de plus en plus critique et générale dans la société. L’objet lui-même est remis en cause et la fierté revient parfois à ceux qui n’en ont plus. Les critiques relèvent d’une «pathologisation» de notre rapport à la vie sociale qui serait altérée par l’usage du smartphone. Nous en parlons souvent comme d’un objet aliénant, de repli sur soi et de désocialisation. Les discours sur les effets cognitifs négatifs du smartphone sont également très communs : la mémoire et l’attention seraient moins performantes depuis son usage. Or, le smartphone réactive des débats qui émergent à chaque petit bond technologique : la radio ou plus tard, le Walkman étaient aussi accusés d’enfermer dans une bulle. Quand la calculatrice a été inventée, on craignait qu’elle empêche les gens d’apprendre à compter. C’est assez sain que ces débats soient ravivés, mais est-ce que cela signifie qu’il faut se passer de ces objets ? Ce qui m’intéresse, c’est la réponse des acteurs.

Le smartphone est un objet sur lequel nous déléguons une multitude de tâches et de fonctions, qu’en est-il de nos émotions ? Ne sont-elles pas amorties par l’uniformité des moyens de les exprimer ?

A priori cela représente un risque. Mais je nuancerais l’uniformisation en rappelant que les pratiques des individus réinventent des manières d’avoir une gamme d’expressions plus large. L’utilisation d’abord des émoticônes, des emojis et maintenant des «mèmes» et autres images animées, montre que les utilisateurs sentent l’insuffisance du texte pour échanger. Il y a une invention et réinvention de pratiques langagières qui s’expriment davantage dans une oralité du langage écrit. La chercheuse Laurence Allard parle d’un «métissage de la langue écrite» qui porte un panel très large d’émotions et d’affects. En enquêtant sur trois territoires différents [Los Angeles, Genève et Tokyo], j’ai remarqué par ailleurs que les individus n’échangeaient pas du tout les mêmes images ou emojis en fonction de leur pays. Les pratiques évoluent : aujourd’hui, même des personnes de plus de 50 ans utilisent des emojis alors que dans les années 90, leurs ancêtres les émoticônes, étaient plutôt utilisés par les geeks.

Si le smartphone ne nous enferme pas dans une bulle, les liens sociaux que nous créons en l’utilisant peuvent-ils pour autant être aussi riches et authentiques que dans le monde physique ?

Sur la base de mes enquêtes, je voulais nuancer cette notion d’authenticité car il y a une tendance générale à survaloriser les interactions sociales autour de nous, en oubliant que les technologies numériques relient aussi. Des couples se rencontrent sur Tinder, des gens découvrent d’autres activités sociales grâce à des jeux géolocalisés [comme Pokémon Go], des activistes se coordonnent avec toutes sortes d’outils. Et pendant le confinement, beaucoup d’entre nous ont découvert de nouvelles manières d’être ensemble à distance. Ces usages viennent pallier, parfois enrichir, parfois subvertir les activités existantes dans la vie quotidienne. La question de l’authenticité ou non des rapports en ligne se pose de manière différente en fonction des perceptions : certains attachent une importance très forte à se voir en présence, d’autres non. Il faut se dire que tous ces moyens sont complémentaires. Différentes études montrent que nous échangeons fréquemment sur notre smartphone avec jamais plus de cinq ou six personnes, qui correspondent aux individus que l’on croise régulièrement. Parfois le smartphone sert à étendre ou amplifier la vie sociale. Son usage peut être tout à fait rassurant pour quelqu’un qui vit seul ou isolé de sa famille.

Mais les acteurs vous confient se sentir parfois aliénés par leur smartphone. Certains affirment même être «tenus en laisse»…

Même si aujourd’hui nous avons l’impression que tout le monde a un smartphone, c’est un objet qui n’a qu’une dizaine d’années. Il est donc relativement nouveau comparé à d’autres usages d’objets comme la télévision ou l’ordinateur. Cela demande un effort de le «domestiquer», d’apprendre à maîtriser son usage, surtout quand les appareils changent aussi fréquemment. Il y a toujours matière à devoir apprendre comment le reparamétrer ou savoir ce qui est acceptable ou non au sein de son cercle social. C’est une confrontation qui se joue entre les utilisateurs, qui trouvent une multitude de possibilités mises à leur disposition grâce aux applications, et les concepteurs, qui cherchent constamment à créer de nouvelles fonctionnalités censées faciliter la vie, la fluidifier ou la rendre plus efficace. Apprendre à s’en tenir à distance n’est possible évidemment que pour ceux qui en prennent conscience, et savent comment domestiquer leur téléphone, par une compréhension de ses modes de fonctionnement, de ses limites, de la manière dont certaines de ses fonctionnalités peuvent induire certains comportements. Ceux qui saisissent cela parviennent à avoir une relation apaisée avec leur smartphone et non subie. Le problème c’est qu’il s’agit d’une compétence inégalement répartie et que tout ne peut pas non plus reposer sur l’individu. D’où la nécessité de fixer des limites collectivement, dans les entreprises, ou dans les groupes sociaux.

Comment expliquer cette opacité du smartphone, que vous évoquez dans la figure de la «boîte noire» ?

Il y a une difficulté à acquérir une maîtrise que l’on pourrait appeler «autonomie computationnelle» ; une autonomie dans les usages qui passe par un minimum de compréhension de l’objet. Le smartphone est perçu comme cryptique, technique et ardu. Cela renvoie à cette notion du philosophe Ivan Illich de «convivialité». Il prenait l’exemple de la différence entre un vélo et une voiture. Le vélo est un objet «convivial» contrairement à la voiture car nous voyons son fonctionnement, nous pouvons l’utiliser ou le réparer à notre guise et saisir ses limites. Le smartphone est un objet opaque, du fait de son fonctionnement complexe et caché. Par exemple, cela a été la grande surprise de mon enquête de noter le peu de cas fait par les individus à la dimension «mouchard» du smartphone. C’est étonnant quand on pense à tous les débats et protestations par rapport aux applications de suivi de contacts, comme StopCovid en France. J’ai l’impression qu’il y a une manière de se défouler contre cette application alors que si on a WhatsApp et Facebook sur son téléphone, à quoi bon protester contre StopCovid ? La surveillance y est encore plus forte quand il s’agit d’entreprises privées. Beaucoup de mes enquêtés répondent de manière caricaturale en affirmant qu’ils n’ont «rien à cacher». C’est un paradoxe que je relie à la méconnaissance du fonctionnement de l’objet.

Comment acquérir cette «autonomie computationnelle» ?

Cela pose la question de la responsabilité. Est-ce à l’individu de savoir comment utiliser son smartphone ? C’est l’idéologie d’un régime libéral classique : il faut se débrouiller tout seul. Je crois qu’il y a une dimension plus collective dans l’apprentissage du fonctionnement de son smartphone, qui peut passer par l’éducation numérique à l’école, par de l’entraide et du partage de bonnes pratiques. C’est une pédagogie qui s’auto-organise mais il faut aussi s’interroger sur le rôle de l’Etat pour exercer des formes de régulation de pratiques plus ou moins dommageables, notamment sur la propriété des données. Nous ne sommes pas tout seuls avec nos smartphones, il y a une dimension collective derrière.

Le smartphone peut-il encore évoluer ?

C’est un objet extrêmement stable physiquement, même si on voit se développer des gammes pliables ou qui ont deux écrans… Il y a plusieurs scénarios d’évolutions. L’idée, d’abord, de travailler sur d’autres interfaces gestuelles, comme les lunettes connectées par exemple, qui ont été un échec car ce sont des objets limités à un certain type d’usage. L’autre scénario pourrait prendre la forme d’une «smartphonisation» des objets : la montre, les haut-parleurs, la voiture, prennent déjà les caractéristiques et les dimensions techniques des smartphones via l’interface vocale, les notifications, etc. Mais il est difficile d’imaginer de travailler sur une montre connectée. Le smartphone a atteint un optimum très efficace et une polyvalence des fonctions qui le rend difficilement remplaçable. Le troisième scénario qui m’intéresse particulièrement, c’est que le futur du smartphone est moins dans l’interface et son apparence mais plutôt dans sa dimension environnementale : il va falloir le penser dans ses formes de recyclages, d’économie d’énergie, de durabilité… Je sais que cela frustre énormément tous les gens en informatique, en design qui rêvent de nouveaux objets. Mais je ne pense pas qu’on puisse si facilement remplacer un objet aussi polyvalent, et pour lequel la plupart des interfaces ont été pensées pour un écran.

Nicolas Nova Smartphones : Une Enquête anthropologiqueµ Métis Presse, 2020, 371 pp., 26 €.

9 septembre 2020

Extrait d'un shooting

shooting JS (5)

9 septembre 2020

OnlyFans, « l’Instagram du porno », a doublé le nombre de ses abonnés avec le confinement

Par Brice Laemle - Le Monde

Le réseau social britannique, largement dominé par des contenus adultes et qui fonctionne par un système d’abonnement, a été plébiscité par des « créateurs » et des « créatrices » qui ont pu continuer leurs activités.

A rebours d’Instagram et de Facebook, qui bannissent les contenus voire bloquent les utilisateurs dès qu’ils voient apparaître le bout d’un téton de femme, sur OnlyFans, la nudité n’est pas un problème. Bien au contraire : c’est devenu le fonds de commerce du réseau social créé par le Britannique Tim Stokely en 2016.

Surnommé « l’Instagram du porno », OnlyFans se décrit comme « un site d’abonnement qui permet aux créateurs de contenu de monétiser leur influence ». Si on peut y suivre des professeurs de fitness et de yoga à la plastique travaillée, des auteurs de canulars (dits « pranksters » en version originale), ou encore des actrices de Bollywood comme d’Hollywood, la majorité des « créateurs » OnlyFans vendent plutôt… leur nudité, qu’elle soit sous forme de photos et de vidéos érotiques, ou même pornographiques.

Son logo, dans lequel apparaît un cadenas, donne le ton : en échange du numéro de carte bleue accordé au site, l’abonné aura la clé qui lui permettra de découvrir l’intimité du créateur ou de la créatrice qu’il souhaite.

Commission de 20 %

Contrairement à de nombreux autres réseaux sociaux ou application de partages d’images, OnlyFans repose sur une offre payante. Les fans doivent s’abonner à des comptes « créateurs », en se délestant de 4,2 euros à 42 euros par mois (de 4,99 à 49,99 dollars américains), le montant précis étant défini par chaque créateur en question.

En échange de cette somme, l’abonné pourra découvrir les photos, vidéos, ou même des sons de la personne qu’ils suivent, et pourra dialoguer avec elle à travers des messages privés. La plate-forme prend une commission de 20 % sur les abonnements avant de verser les 80 % restants aux 850 000 « créateurs » de son réseau.

AVEC ONLYFANS, « LES [ACTRICES] ONT LA CHANCE DE POUVOIR CHOISIR LEURS PRATIQUES, LEURS PARTENAIRES, DE S’AFFRANCHIR DE LA PRESSION D’UN RÉALISATEUR », ASSURE LA PRODUCTRICE DE FILMS X LIZA DEL SIERRA

Avec un succès populaire grandissant – Beyoncé citant par exemple OnlyFans dans un featuring avec Megan Thee Stallion, Savage Remix – ou à la faveur du confinement lié à l’épidémie de Covid-19, l’application britannique a décollé ces derniers mois. Interrogée par Le Monde début septembre, la plate-forme donne le chiffre de 61 millions d’utilisateurs dans le monde, en expliquant qu’ils étaient deux fois moins nombreux avant la pandémie.

L’arrivée de la rappeuse américaine Cardi B – qui a assuré qu’elle ne publierait pas de contenus sexuels sur son compte – et de l’ex-égérie de Disney Bella Thorne ont aussi été très remarquées. Cette dernière, actrice et chanteuse de 22 ans, a ouvert son compte en août, et affirmé y avoir récolté 1 million de dollars en l’espace de vingt-quatre heures, puis un autre million la semaine qui a suivi. Devant l’afflux des fans venus pour visionner ses contenus vendus comme « exclusifs », en payant 20 dollars mensuels, le site aurait même momentanément cessé de fonctionner.

Mais au-delà des stars et des artistes, et des axes de communication récents d’OnlyFans évoquant surtout des créateurs qui chantent, qui dansent ou qui cuisinent, un rapide tour sur l’application le confirme : une très grande partie de l’activité y est consacrée à la pornographie.

Activité légale

Si certains internautes assimilent cela à de la prostitution, cette activité reste bien légale : c’est le fait d’acheter un acte sexuel qui est prohibé en France, pas l’achat de vidéos ou de photos dénudées. Les revenus générés dans OnlyFans sont d’ailleurs imposables en France.

« Les contenus pour adultes restent une partie importante de notre business. (…) Jusqu’à fin 2019, c’était effectivement la partie la plus importante de nos utilisateurs », explique au Monde une des porte-parole d’OnlyFans, Maria Coelho. Tout en indiquant : « Avec le confinement, des créateurs de tous types d’industries se sont rendu compte du potentiel de rémunération que peut leur offrir la plate-forme. »

Reste que, ne pouvant rencontrer leurs clients ou aller sur les plateaux de tournage de films X – l’activité s’étant figée pour des raisons sanitaires –, les travailleurs du sexe ont migré en nombre sur OnlyFans depuis le début de l’année, ou y ont concentré leurs efforts, alors que le réseau était déjà bien connu du milieu.

L’actrice porno française Luna Rival, 23 ans, s’est ainsi repliée dès le mois de janvier sur OnlyFans, qui est devenu sa source principale de revenus. « Des jeunes peuvent croire que c’est de l’argent facile, mais c’est beaucoup plus compliqué », précise-t-elle. Malgré sa notoriété – elle a 200 000 abonnés sur Twitter, près de 100 000 sur Instagram –, Luna Rival dit avoir mis un an et demi pour atteindre le palier des 1 000 dollars mensuels, « avec énormément de travail ». Car seule une infime minorité de ceux qui la suivent sur les réseaux sociaux ont choisi de s’abonner à son compte OnlyFans.

L’actrice Cathy Crown, depuis trois ans sur la plate-forme, a pour sa part renoncé à en faire une réelle source de revenus. « Ça me rapporte seulement quelques dizaines d’euros par mois, je ne le fais pas pour ça. J’y vais juste pour m’amuser et discuter avec mes fans », confie cette Belge de 28 ans, par ailleurs secrétaire de direction.

Le réseau social est pourtant apprécié, pouvant aussi servir d’instrument d’émancipation pour les travailleuses du sexe. La réalisatrice et productrice de films porno Liza Del Sierra salue le fait qu’OnlyFans lui permette de gagner sa vie « de manière plus directe, tout en restant maîtresse de mon image ». « J’ai créé mon compte en août 2017 car cela faisait quatre ans que je n’avais pas tourné pour une production, et j’en avais marre que beaucoup de gens gagnent de l’argent sur mon dos », raconte la trentenaire.

« Les fans qui paient un abonnement te soutiennent »

Avec OnlyFans, « les jeunes [actrices] ont la chance de pouvoir être chef d’entreprise, d’engranger leurs propres communautés, de choisir leurs pratiques, leurs partenaires, de s’affranchir de la pression d’un réalisateur », assure Liza Del Sierra. Avant de rappeler le contexte de 2004, l’année où elle a commencé dans le milieu porno : on payait alors Internet à l’heure, on s’abonnait à Canal+, on achetait ou louait des VHS, et on devait aller dans les salons érotiques pour rencontrer les acteurs et les actrices X.

Lele O, lassée par le mastodonte YouPorn, salue de son côté l’aspect « pratique » et « sécurisant » de la plate-forme. La performeuse porno de 31 ans passe au moins une dizaine d’heures à s’occuper de son compte OnlyFans chaque semaine depuis la création de son compte en juillet. « Je ne me sens pas exploitée, je poste des contenus et je réponds seulement quand j’ai envie. Les fans qui paient un abonnement te soutiennent, ils ne vont pas t’insulter », assure Lele O. Elle raconte toutefois qu’il lui est déjà arrivé de refuser des demandes en message privé de personnes qui veulent des échantillons de sa salive.

Plusieurs personnes victimes de « revenge porn » – ce procédé consistant à rendre publiques, sans le consentement de l’intéressé, des images érotiques censées rester privées – témoignent aussi d’une certaine forme de reprise de contrôle sur la diffusion d’images et de vidéos sexy.

Pour autant, OnlyFans n’efface pas non plus la crainte de la stigmatisation et du rejet des personnes liées au travail du sexe. Même si la plate-forme rappelle dans ces conditions d’utilisation que les fans comme les créateurs « ne doivent pas publier du contenu illégal, frauduleux, diffamatoire, calomnieux, haineux, discriminatoire, menaçant, ou qui incite à la violence de quelque manière que ce soit », celle-ci n’est pas irréprochable. A l’instar de Snapchat, de Twitter, ou même de Facebook, elle peut parfois se transformer en lieu de harcèlement, d’« outing », ou même de chantage.

Vols de contenus

Et même si OnlyFans est interdite aux moins de 18 ans, certains critiquent la facilité avec laquelle la création d’un compte peut être effectuée. Dans son documentaire, la journaliste de la BBC Ellie Flynn est arrivée à tromper la plate-forme en inscrivant son neveu âgé de 17 ans avec les documents d’identité de son grand frère.

Le réseau social explique désormais avoir « considérablement modifié et amélioré » son processus de vérification de l’âge et de l’identité, « ce qui rend beaucoup plus difficile pour les mineurs d’abuser du système et d’y accéder sans assistance spécifique d’un adulte ».

Et bien que l’entreprise britannique dise se mobiliser pour les éviter, les vols de contenus continuent eux aussi, même si la plate-forme s’en défend en prétendant qu’ils viennent d’autres réseaux sociaux.

9 septembre 2020

Nicolas Guérin - photographe

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Avec entre autres, Pauline Moulettes et Marisa Papen

9 septembre 2020

Pourquoi les négociations sur la relation « post-Brexit » entre l’UE et le Royaume-Uni patinent

Par Virginie Malingre, Bruxelles, bureau européen, Cécile Ducourtieux, Londres, correspondante

Un premier cycle de négociations commence mardi, et les négociations butent sur les deux mêmes sujets : la pêche et les conditions de concurrence.

« Cela ne va nulle part » : c’est une source européenne très au fait du sujet, qui qualifie ainsi les négociations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne (UE) sur la nature de leur relation future « post-Brexit » à compter du 1er janvier 2021. Et « cela n’ira nulle part en septembre », poursuit cet interlocuteur, alors que deux cycles de négociations sont prévus ce mois-ci – le premier commence mardi 8 septembre – entre les équipes de Michel Barnier, côté bruxellois, et de David Frost, côté britannique. « Le Royaume-Uni n’a pas bougé, ils n’ont pas négocié. Il ne se passera rien avant octobre », poursuit un diplomate.

Des deux côtés de la Manche, on a surtout été occupés par la gestion de la crise due au nouveau coronavirus et cela n’est pas terminé. Qui plus est, Boris Johnson souhaite sans doute laisser passer le congrès du Parti conservateur, en octobre, avant de se saisir plus activement du sujet Brexit.

Les négociations entre Londres et Bruxelles butent toujours sur les deux mêmes sujets. La pêche, d’abord : les Européens réclament pour leurs pêcheurs un accès inchangé aux eaux britanniques alors que les Britanniques souhaitent au moins voir doubler leurs droits de pêche dans leurs eaux territoriales. Seuls huit Etats membres – dont la France – sont concernés par ce sujet, mais, pour l’instant, les Vingt-Sept sont restés solidaires.

« Barnier a tenté une ouverture, mais les huit ministres européens de la pêche l’ont rappelé à l’ordre », confie un diplomate. Depuis, le négociateur en chef européen n’a plus rien lâché : « Sans une solution de long terme équilibrée et soutenable sur la pêche, il n’y aura tout simplement pas de partenariat économique », a-t-il répété le 2 septembre.

LES NÉGOCIATIONS BUTENT TOUJOURS SUR LES DEUX MÊMES SUJETS : LA PÊCHE ET LES CONDITIONS DE CONCURRENCE

Second dossier sur lequel les positions semblent inconciliables : les conditions de concurrence. Pour donner un accès privilégié aux Britanniques sur le marché intérieur – zéro quota, zéro droit de douane –, les Vingt-Sept veulent des assurances que Londres restera aligné sur les normes communautaires, notamment en matière d’aides d’Etat.

« Comment pouvons-nous conclure un accord sur notre partenariat économique à long terme sans savoir quel système d’aides ou de subventions publiques sera mis en place, sans assurance que le Royaume-Uni n’utilisera pas sa nouvelle autonomie pour créer des distorsions de concurrence à l’avenir ? », a interrogé Michel Barnier.

« Pays souverain »

« Sur la pêche, les Britanniques finiront par bouger. Sur les conditions de concurrence, c’est autre chose », confie un haut fonctionnaire. Londres le martèle depuis des mois : la promesse du Brexit, ce n’est pas de rester soumis aux règles européennes, alors même que le Royaume-Uni ne participera plus à leur élaboration. « L’UE doit admettre que nous sommes désormais un pays souverain », insiste-t-on à Downing Street.

A Bruxelles, on répète que le Royaume-Uni est un pays voisin et que le laisser diverger des règles communautaires représenterait un risque majeur de dumping pour les économies continentales. Comme l’avait dit la chancelière allemande, Angela Merkel, « après le Brexit, nous aurons un concurrent à notre porte ».

Preuve que les tensions s’exacerbent entre les parties à mesure que l’échéance approche : le ton ne cesse de monter, surtout du côté britannique, et les révélations (ou supposées telles) se succèdent dans les médias proches du gouvernement conservateur. « Cette fois-ci, nous ne céderons pas », titre le Mail on Sunday dimanche 6 septembre. Dans les colonnes du tabloïd, David Frost insiste, martial : le Royaume-Uni ne sera pas un état « vassal » de l’Europe.

« Exclusif : Barnier sur le point d’être évincé par les leaders européens », assure de son côté le Daily Telegraph le 4 septembre. Une information totalement infondée, réplique le secrétaire d’Etat français chargé des affaires européennes, Clément Beaune, qui tweete ironiquement : « Keep calm and support Michel Barnier. »

Le Spectator et le Times prétendent, pour leur part, que Boris Johnson ne cédera sous aucun prétexte à Bruxelles sur les aides d’Etat. Et que les chances d’un « deal » dans les temps sont donc tombées à entre « 30 % et 40 % ». A en croire le Sunday Times du 6 septembre, qui cite des « personnes clés du gouvernement », elles seraient même passées sous la barre des 20 %.

Dimanche soir, une partie de la presse nationale – Financial Times en tête – révèle que le gouvernement Johnson s’apprête à publier un projet de loi qui reviendrait sur des pans entiers de l’accord de divorce signé en 2019, notamment sur les très sensibles arrangements douaniers en Irlande du Nord. « Tout ce qui a été signé doit être respecté », a rétorqué Michel Barnier, lundi matin.

Faire diversion

Le jour même, Boris Johnson déclare pour sa part dans un communiqué : « Le Royaume-Uni peut prospérer même en l’absence d’accord. Un accord doit être trouvé pour le Conseil européen du 15 octobre (…) Si nous ne parvenons pas à nous mettre d’accord d’ici là, il n’y aura pas d’accord commercial entre nous (…) Nous aurons alors un accord commercial du type “australien” [selon les conditions de l’Organisation mondiale du commerce]. Je veux être très clair : ce serait un bon résultat pour le Royaume-Uni (…) Si l’UE est prête à revoir ses positions, je serais ravi. Mais nous ne pouvons ni ne voulons accepter de compromis sur les conditions de notre indépendance nationale. »

Il y a un an tout juste, les médias et le gouvernement britanniques usaient du même type de déclarations définitives. Il s’agissait alors de boucler d’interminables discussions sur les termes du divorce entre le Royaume-Uni et l’UE – à l’époque, elles bloquaient sur la question d’une éventuelle frontière douanière en Irlande – et Downing Street prétendait préférer un « no deal » plutôt qu’un mauvais accord. Mi-octobre 2019, après des semaines de rhétorique et de refus ostensible de négocier, Boris Johnson avait quand même fini par signer un accord de divorce avec les Vingt-Sept.

Bis repetita en 2020 ? Doit-on s’attendre à davantage de déclarations bravaches côté britannique et à d’autres confidences côté européen sur le « pessimisme » des diplomates bruxellois désespérés de la supposée absence de « propositions britanniques » ?

A Londres, certains commentateurs insistent sur les dangers d’un « no deal », qui donnerait du grain à moudre aux indépendantistes écossais, déjà au plus haut dans les sondages. Ce risque est pris très au sérieux à Downing Street.

Mais pester sur Bruxelles permet de faire diversion par rapport à une actualité nationale : Boris Johnson est très critiqué pour sa gestion jusqu’à présent ratée de la crise du Covid-19, y compris au sein du Parti conservateur, où de plus en plus de voix s’inquiètent de son absence manifeste de vision et de leadership.

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