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Jours tranquilles à Paris

4 septembre 2020

Le doigt dans le nez...

doigt dans le nez

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4 septembre 2020

Entretien - Roselyne Bachelot : « L’Etat n’abandonnera personne »

bachelot49

Par Brigitte Salino, Cédric Pietralunga, Sandrine Blanchard

Transition numérique, répartition des aides, distanciation physique dans les salles… La ministre de la culture dévoile ses premières pistes de travail dans le cadre du plan de relance de 2 milliards d’euros pour le secteur.

Dans un entretien au Monde, Roselyne Bachelot explique comment elle compte utiliser les 2 milliards d’euros prévus dans le plan de relance du gouvernement pour sauver un secteur culturel sinistré par la crise du Covid-19 et préparer l’avenir. « La culture patrimoniale doit se repenser pour conquérir des publics qui s’en éloignent de plus en plus », estime la ministre.

Le gouvernement va consacrer 2 % de son plan de relance, soit 2 milliards d’euros, à la culture. Est-ce à la hauteur du désastre que connaît le secteur ?

D’abord, ce plan de relance est un plan global, avec des mesures structurantes sur l’emploi, la formation, l’écologie. Tout cela va bénéficier aussi à la culture. Il y a beaucoup plus de 2 milliards qui lui sont consacrés dans ce plan ! La rénovation des bâtiments publics, la rénovation énergétique, la mobilité du quotidien, le renforcement des fonds propres des TPE [très petites entreprises], le soutien aux collectivités territoriales, tout cela va participer à la relance de la culture.

Ce plan a-t-il vocation à remplacer le plan d’urgence, annoncé en mai par Emmanuel Macron ?

Les mesures d’urgence, de plus de 5 milliards d’euros, ne sont pas fondues dans le plan de relance. Le chômage partiel va notamment continuer, avec un dispositif amélioré pour le secteur culturel. C’est nécessaire, la culture est le deuxième secteur le plus sinistré après celui des transports. Mais je passe aujourd’hui à la deuxième phase de mon action.

Comment avez-vous décidé la répartition des fonds alloués par le plan de relance ?

J’ai voulu prendre en compte de façon équilibrée l’ensemble des grands secteurs de la culture et me placer dans une vision dynamique, pour préparer l’avenir. C’est pour ça qu’une part importante sera consacrée à la modernisation des filières. Je me refuse à opposer culture patrimoniale et culture numérique. La culture patrimoniale doit se repenser pour conquérir des publics qui s’en éloignent de plus en plus. Je pense par exemple aux théâtres, qui sont désertés par les jeunes…

Concrètement, comment faire ?

Il faut accélérer la transition numérique, pour avoir des nouvelles offres culturelles. Permettre des visites immersives des expositions. Accéder aux œuvres de manière différente – en passant, cela permettra de diminuer la pression du public sur certains trésors culturels. Diffuser en direct des spectacles vivants, concerts ou pièces de théâtre. Numériser les catalogues, les fonds d’archives. Il y a des chantiers considérables à mener dans le numérique. L’idée n’est pas de supplanter l’offre patrimoniale mais de diminuer la pression sur celle-ci ou de la faire découvrir. Parfois, on n’ose pas aller à l’opéra, pensant que c’est trop cher, alors que c’est moins cher qu’un concert de rap ou de rock. Mais on peut le découvrir en direct sur sa tablette ou sur sa télé, et avoir envie d’y aller. C’est cela que je veux faire.

Comment vont s’articuler les aides entre le secteur public et le secteur privé ?

Sur les attributions fines, je ne peux pas répondre aujourd’hui. On y travaille actuellement avec les professionnels. Mais il n’y en a pas que pour le subventionné. Le plan de relance pour la création artistique comporte 220 millions d’euros pour le spectacle vivant privé, secteur qui a le plus souffert. Ce chiffre s’ajoute aux 100 millions de soutien qui viendront compenser une partie des pertes d’exploitation des salles de spectacle et de cinéma, quand la rentabilité, du fait des mesures sanitaires imposées, n’est pas atteinte.

Les responsables du théâtre privé estiment que cela ne leur permettra de tenir que

jusqu’à la fin de l’année. N’y a-t-il pas un effort particulier à faire ?

Il est assez difficile de savoir si le public va revenir dans les salles, si nous sommes dans une situation transitoire ou pas. Nous verrons bien. Pour l’instant, en incitant à la reprise de l’activité, ça marche. Je ne joue pas les Cassandre mais si la crise sanitaire s’amplifiait et qu’on était obligé de recourir à des mesures plus contraignantes, on remettrait les choses sur l’établi. Pour l’heure, on a un plan calibré. Quoi qu’il en soit, l’Etat n’abandonnera personne.

La reprise de l’épidémie de Covid-19 ne risque-t-elle pas d’enfoncer encore plus le secteur ?

La situation sanitaire ne s’améliore pas. Le seuil d’alerte est atteint dans dix-neuf départements. Il va nous falloir rester extrêmement vigilants et ne pas desserrer la démarche de sécurité…

La distanciation physique sera maintenue dans les salles de spectacle et de cinéma des départements en zone rouge ?

La doctrine ne peut pas changer pour l’instant. Il n’est pas question de relâcher nos efforts. J’ai obtenu qu’il n’y ait plus de jauge dans les salles des départements verts, ce qui est déjà une demi-victoire ! Par ailleurs, dans les salles parisiennes, la jauge peut atteindre environ 70 %, avec les groupes et les familles qui peuvent rester ensemble. Pour un certain nombre de spectacles, cela couvre la fréquentation habituelle. Pour le port du masque, l’habitude se prend et je rappelle qu’il est autorisé de consommer des confiseries dans les salles de cinéma, ce qui est un élément de rentabilité. On peut ôter son masque pour manger son pop-corn !

Mais comment faire revenir les spectateurs dans les salles ?

Il ne suffit pas d’aider le spectacle, il faut aussi inciter les spectateurs à y retourner. Toutes les normes de sécurité sont élaborées avec les professionnels, qui connaissent le terrain. On ne va pas demander au théâtre de Poche-Montparnasse d’appliquer les mêmes règles que la Philharmonie. On tient compte des situations particulières. Le public comprend qu’on veille à sa sécurité. Je remarque par ailleurs qu’il y a une vraie appétence pour les spectacles en cette rentrée, notamment au cinéma.

Mais on observe aussi que le public âgé ne revient pas…

C’est pour cela qu’on a imposé le port du masque pendant les séances, c’est un élément de sécurité pour les seniors. C’était indispensable. Mais il y a aussi un problème de fond. Aujourd’hui, la moyenne d’âge d’un spectateur au cinéma est de 58 ans. En dix ans, la part des jeunes y a baissé de 11 % ! La question est comment les faire revenir.

Quid des auteurs dans le plan de relance ?

Il y a un dispositif ciblé pour eux. Mais ce n’est pas un solde de tout compte. La situation des artistes-auteurs est l’un des sujets sur lequel je veux aboutir en 2021. C’est l’une de mes toutes premières priorités.

Vous êtes, dites-vous, « ministre des artistes et des territoires ». Est-ce que ce plan de relance va être l’occasion de rééquilibrer l’accès à la culture entre Paris et les régions ?

Ce rééquilibrage fait partie des objectifs, notamment sur la question du patrimoine. Il y aura un effort massif en faveur des monuments historiques, principalement en région. Par exemple, 80 millions d’euros sont destinés au « plan cathédrales » (hors Notre-Dame), ça ne s’est jamais vu. Des cathédrales comme Chartres (restauration des vitraux du transept), Dijon (mise en valeur de la rotonde et de la sacristie), Soissons (restauration du portail est et d’une chapelle), Saint-Denis, etc., seront concernées.

Et en dehors du patrimoine ?

Les états généraux des festivals, que je tiendrai dans la première semaine d’octobre, seront l’occasion de réfléchir à la manière dont ces festivals irriguent le territoire. Comment vont-ils affronter la donne sanitaire, les enjeux écologiques, financiers, la question des intermittents et des bénévoles ? Et puis, quand on abonde le budget des collectivités territoriales, on peut envisager que ce budget alimente notamment des projets culturels.

Le 6 mai, Emmanuel Macron avait annoncé vouloir lancer des commandes publiques pour aider les artistes. Où en est-on ?

Le président de la République a fait une annonce, elle est budgétée dans le plan de relance. Maintenant, la discussion va s’ouvrir sur les projets qu’on va retenir, dans le cadre de cette commande publique, qui concernera tous les secteurs artistiques.

Quelle est précisément votre marge de manœuvre sur la répartition des deux milliards d’euros au titre du plan de relance ?

Les discussions avec Bercy sont bouclées. Les répartitions ont été arbitrées et n’ont pas vocation à bouger. Jean Castex s’est déplacé rue de Valois ainsi qu’au festival de cinéma d’Angoulême.

Le premier ministre est-il votre meilleur soutien ?

Je suis son meilleur soutien ! Plaisanterie mise à part, on ne peut rien faire si on n’a pas la confiance de son premier ministre. Il est évident, et j’en suis assez fière, que la culture est devenue un enjeu gouvernemental majeur. La culture vit un désastre incroyable. Si ce désastre – dont on n’est pas sorti, mais dont nous faisons tout pour sortir – aura au moins fait prendre conscience aux Français que la culture est un enjeu majeur, c’est toujours ça de pris.

Le Pass culture, toujours en gestation, bénéficiera-t-il du plan de relance ? Ce pourrait être un bon moyen d’attirer un nouveau public ?

Le Pass culture n’est pas inscrit dans le plan de relance mais dans le projet de loi de finances. La politique culturelle de l’Etat ne se résume pas à ce plan. Le Pass culture est un chantier auquel nous réfléchissons car son lancement, sur un certain nombre de départements-test, montre des fragilités. Globalement, sur les 500 euros alloués à chaque pass pour les jeunes de 18 ans, environ 120 euros sont consommés, ce qui interpelle. Et ces consommations sont principalement des « objets revendables » (livres, places de spectacle, etc.). Nous réfléchissons avec le président de la République et le premier ministre à son amélioration.

Vous craignez que le Pass culture soit surtout utilisé pour acheter et revendre ?

C’est un problème. Il peut y avoir, à partir du Pass culture, un effet de marchandisation de l’offre de biens culturels. Comme sur beaucoup de dossiers de démocratisation de la culture, on s’aperçoit qu’il y a besoin d’un accompagnement. A l’intérieur des établissements scolaires et universitaires, un référent Pass culture pourrait informer, motiver. Je travaille actuellement sur ce sujet avec Jean-Michel Blanquer. Mais il ne s’agit pas de créer une administration du Pass culture ! Il y a, globalement, une vraie réflexion, très importante, à mener sur le Pass avant de le généraliser.

L’Opéra de Paris, qui devrait afficher un déficit de 46 millions d’euros en 2020, bénéficiera-t-il du plan de relance ?

Dans les 206 millions prévus pour le spectacle vivant subventionné, 126 millions le seront pour les établissements et opérateurs publics de création. L’Opéra de Paris bénéficiera d’une substantielle enveloppe pour financer à la fois son déficit de fonctionnement sur deux années et son développement.

Le Grand Palais va-t-il bénéficier de ce plan de relance ? Est-ce raisonnable, vu l’état du secteur, de dépenser 450 millions d’euros pour le rénover ?

Le schéma de rénovation du Grand Palais est déjà financé, indépendamment du plan de relance, et l’enveloppe financière qui est consacrée ne change pas. Nous n’avons pas pris ce qu’il y avait sur les étagères pour afficher ces 2 milliards. Il n’y a aucun bourrage dans le plan de relance.

4 septembre 2020

Fanny Müller

fanny67

4 septembre 2020

Portrait - Alexandre Loukachenko, dernier dinosaure de l’ère soviétique

Par Benoît Vitkine, Moscou, correspondant Le Monde

L’autocrate biélorusse, au pouvoir depuis 1994, fait face à une contestation inédite dans son pays. Avec lui, c’est toute une époque qui se débat pour ne pas disparaître, celle née après la chute de l’URSS.

Il a suffi qu’il apparaisse dans sa résidence de Minsk, uniforme noir et kalachnikov à la main, pour que la Biélorussie, au lieu de trembler de peur, éclate de rire. C’était le 23 août. A quelques centaines de mètres de là, une foule immense s’était à nouveau réunie sur la place de l’Indépendance, plus de 100 000 personnes l’appelant, lui, à quitter le pouvoir. Quelques centaines de manifestants avaient ensuite pris le chemin du palais présidentiel. Fidèle à la stratégie non violente de la contestation, la foule s’était arrêtée devant les cordons de sécurité.

Aucun danger mais peu importe, Alexandre Loukachenko a atterri en hélicoptère dans l’enceinte du palais, son fils de 15 ans lourdement armé sur les talons. Il s’est enquis de ce que faisaient les « rats » et a disparu dans la résidence, sans lire, probablement, les quolibets qui fusaient déjà sur les réseaux sociaux.

Quelque chose est cassé dans la mécanique Loukachenko. L’esbroufe, la menace ne fonctionnent plus. Pour « gagner » l’élection présidentielle du 9 août, il a organisé une fraude d’une ampleur inédite – même à l’échelle de son régime. Les résultats des quelques bureaux de vote qui ont refusé de se plier aux ordres montrent que son adversaire, Svetlana Tsikhanovskaïa, a probablement gagné au premier tour.

Et pourtant, il s’accroche, Alexandre Loukachenko, comme s’il voulait grappiller encore quelques mois, quelques années, peut-être. Il est au pouvoir depuis 1994, deux ans de moins que son homologue tadjik, Emomali Rahmon, recordman de l’espace post-soviétique. Il n’a que 66 ans… Péché d’orgueil, il s’est accordé son score traditionnel, 80 % des voix, un décompte que ses concitoyens ont reçu comme un crachat à la figure. Les manifestations monstres que les matraques ne suffisent plus à disperser ne le font pas ciller. Elles paraissent si loin, et la télévision, reprise en main par des « spécialistes » invités de Russie, n’en montre rien.

Un modèle à part

On a vu l’incompréhension sur son visage quand des ouvriers de l’usine MZKT, où sont fabriqués des véhicules lourds, agricoles et militaires, pourtant dûment préparés et sélectionnés, l’ont conspué, le 17 août : « Pars ! Pars ! » Si même eux l’abandonnent, à quoi tient son pouvoir ? La réponse est simple : la chute de Loukachenko n’a, pour l’heure, été retardée que par le soutien de Moscou et la loyauté indéfectible des forces de sécurité.

Ses efforts pour reconquérir l’opinion ne passent plus. Sa lente agonie apparaît à la fois comme une caricature et un condensé de ce règne long de vingt-six ans. M. Loukachenko alterne la menace et la cajolerie. Il implore, s’oublie même, de cette voix étonnamment haut perchée qui est sa marque de fabrique. Devant un noyau de fidèles, grimpé sur un tracteur, il a promis de ne pas abandonner, « même après [s]a mort »… Même son habileté légendaire à naviguer entre Est et Ouest commence à ressembler au tour usé d’un prestidigitateur auquel plus personne ne croit : ses accusations d’ingérence russe comme celles d’une invasion de l’OTAN ne suscitent plus que des haussements d’épaules.

Pour autant, il serait réducteur de résumer la personnalité et la place singulière qu’aura occupée M. Loukachenko à cette figure de dirigeant aux abois, s’agitant face à des moulins à vent et matraquant son peuple. Avec lui, c’est une époque qui se débat pour ne pas disparaître. Au-delà des dates et des records, le chef de l’Etat aura façonné un modèle à part, mélange de soviétisme rebattu et de populisme avant-gardiste.

On a souvent fait du dirigeant biélorusse un homme de la terre. Rien n’est moins vrai. Originaire de la région de Moguilev, orphelin de père, il fut bel et bien directeur d’un sovkhoze, une ferme collective, entre 1987 et 1990. L’un de ses faits d’armes est d’y avoir rossé de ses mains un tractoriste « paresseux ». Pour le reste, sa carrière fut celle d’un homme du sérail, un politique, au sein du Parti communiste ou dans l’encadrement idéologique des travailleurs.

Discours résolument passéiste

En 1990, député du Conseil suprême de la République biélorusse, il rejoint le groupe des « communistes pour la démocratie ». Peu connu du grand public, il s’impose lors de l’élection présidentielle de 1994 en se forgeant une image d’homme à poigne dévoué à la lutte contre la corruption, se promenant en permanence avec une mallette censée contenir les « preuves » de ladite corruption. Quelques jours avant le vote, il se prétend victime d’une tentative d’assassinat, la première d’une longue série d’affabulations.

Les éléments qui constitueront le socle de son modèle autoritaire et social s’agencent avec une étonnante célérité. Dès 1996, le jeune président change la Constitution à son profit, ajoutant deux ans à son mandat. En 1999 et 2000, trois de ses opposants les plus sérieux disparaissent coup sur coup, vraisemblablement assassinés.

A l’aune des pratiques régionales, ce durcissement autoritaire est banal. La singularité d’Alexandre Loukachenko est ailleurs : pendant que ses homologues vendent à leur population, au moins en paroles, la modernisation et l’ouverture au monde, M. Loukachenko assume un discours résolument passéiste, jouant de la nostalgie soviétique. Dès 1995, il donne à la langue russe le statut de langue officielle au côté du biélorusse et rétablit un drapeau inspiré de la période soviétique.

La Biélorussie de Loukachenko se rêve en kolkhoze géant, en usine merveilleuse avec faucille et marteau au fronton. Ses emblèmes sont les tracteurs et les hauts-fourneaux. Autant que les mamelles de l’économie biélorusse, ils constituent à eux seuls une promesse idéologique. En vingt-six ans de règne, les journaux télévisés auront montré des centaines d’heures de ces visites du président aux ouvriers, aux paysans. Chacune d’elles est aussi l’occasion d’affirmer ce style bravache que les Biélorusses apprécient, ces provocations volontiers machistes, égocentriques, pleines d’un bon sens supposé « paysan ». L’Allemagne nazie est pour lui un modèle de « république de type présidentiel ». Avant que Vladimir Poutine ne devienne maître en la matière, Alexandre Loukachenko s’est depuis longtemps fait une spécialité de ces séances publiques de remontrances des fonctionnaires.

Le dirigeant n’a pas retenu du soviétisme que son folklore. Il mène une politique sociale réellement protectrice, en particulier à l’égard des ouvriers. Les usines les moins rentables sont maintenues à flot par des subventions massives, l’emploi et les salaires sont garantis. Les campagnes et l’agriculture, elles, feront l’objet d’une réelle modernisation. Cela n’empêche pas la prévarication et la mainmise d’une petite caste au sommet de l’Etat, qui contrôle près des trois quarts de l’économie.

« Dernier dictateur d’Europe »

La Biélorussie est un pays rassurant, protégé des tourments du monde extérieur : l’ordre est maintenu, y compris avec la pratique de la peine de mort, les routes sont en meilleur état que dans le reste de la région, la corruption des élites y est moins importante que, par exemple, dans l’Ukraine voisine. Cette politique a deux corollaires. Le premier est le soutien de la Russie, qui subventionne massivement l’économie nationale, notamment grâce à un mécanisme de fourniture de pétrole à prix cassés, que les raffineries biélorusses revendent ensuite en Europe. La fin progressive de ce système aura d’ailleurs précipité la déchéance de l’autocrate, incapable de maintenir à flots son Etat social.

Le modèle de Loukachenko implique aussi une conduite parfaitement autoritaire des affaires du pays. Le sommet de l’Etat est opaque, avec des rotations de cadres fréquentes, qui permettent de calmer les ambitions ; le KGB, les services de sécurité sont tout-puissants et présents jusque dans les échelons les plus bas de la société ; les médias sont muselés, l’opposition est marginalisée et les élections truquées. En 2004, la limitation du nombre de mandats est supprimée : « Batka », le « papa » de la nation, peut devenir président à vie. L’année suivante, la secrétaire d’Etat américaine Condoleezza Rice utilise une formule qui fera florès : Alexandre Loukachenko est « le dernier dictateur d’Europe ».

Les premiers remous sérieux arrivent dans les années 2010. Il y a d’abord le scrutin présidentiel de décembre 2010, qui voit, à Minsk, des dizaines de milliers de personnes dénoncer des fraudes. Les forces de sécurité font preuve d’une brutalité sauvage, comparable à celle qui sera déployée en 2020. Les manifestants sont alors moins nombreux, peut-être moins lassés – ils cèdent.

L’autre tournant de la décennie est la crise chez le voisin ukrainien – révolution de Maïdan, que l’autocrate observe avec méfiance, et intervention russe avec l’annexion de la Crimée et la guerre fomentée par Moscou dans le Donbass. Le moment est menaçant, rappel de la position précaire qu’occupe Minsk sur l’échiquier régional. Vue de Moscou, la souveraineté de la Biélorussie est une chose encore plus factice que celle de l’Ukraine. Depuis des années, M. Loukachenko louvoie pour éviter une intégration plus poussée de son pays à la Russie, perspective qu’il a acceptée en signant un traité d’union, en 1999.

Dans la main du Kremlin

Ces troubles seront une chance inespérée pour M. Loukachenko. Ils semblent valider, aux yeux du peuple biélorusse, son obsession de la stabilité ; leur président est bien le meilleur rempart face au chaos. Au niveau diplomatique, Minsk se donne de l’air : en prenant ses distances avec la politique agressive de Moscou, puis en s’imposant comme médiateur pour la question du Donbass, Alexandre Loukachenko regagne les faveurs de l’Ouest. En libérant ses derniers prisonniers politiques, il obtient une levée des sanctions européennes qui frappent son régime. Il attendra en vain, en revanche, les milliards qui pourraient sauver son régime de la faillite.

La vie est un éternel recommencement : les sanctions sont de retour à la faveur de cette crise, et M. Loukachenko a fini par se placer dans la main du Kremlin, sa vieille hantise. Tout plutôt qu’abandonner, finir, chassé de son pays, dans une villa de la banlieue de Moscou, à l’instar de son homologue ukrainien, Viktor Ianoukovitch.

En vingt-six ans de pouvoir, Alexandre Loukachenko, personnage orgueilleux entouré de courtisans, a même fini par s’identifier à son pays. Avant sa disgrâce, il cherchait à imposer son fils Nikolaï comme un successeur potentiel, l’emmenant partout avec lui, uniforme sur mesure sur les épaules. Ce même Nikolaï qui accompagne désormais son père une arme à la main.

Depuis ses palais (on lui en attribue seize), il n’aura pas vu venir les transformations de la société biélorusse. Lorsqu’au printemps, il balaie la menace du coronavirus par ses boutades habituelles – une maladie que l’on combat avec de la vodka, au volant d’un tracteur –, il ne comprend pas que ses concitoyens ne rient plus. Depuis longtemps, ils surfent sur Internet, voyagent en Europe. Quelques semaines plus tard, ceux qui le défient dans la rue ne peuvent être que des « drogués, des alcooliques et des chômeurs ».

Le 16 août, le jour où, pour la première fois, les Biélorusses sont sortis par centaines de milliers dans les rues, bravant une répression d’une brutalité extrême, galvanisés même par les images et les récits de tortures en prison, on l’a vu s’écrier, incrédule : « J’ai nourri ce pays de mon sein gauche ! Je lui ai donné mes meilleures années. » Peut-être, mais sans voir que ce pays avait changé sans lui demander la permission.

4 septembre 2020

Keith Haring

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4 septembre 2020

Affaire Navalny : Bruxelles met la pression sur Moscou.

Au nom des 27 États membres de l’Union, le représentant de l’UE pour la diplomatie, Josep Borrell, a exhorté jeudi le gouvernement russe à “faire tout son possible pour mener une enquête approfondie” sur l’empoisonnement de l’opposant russe, victime selon Berlin d’une attaque à l’agent neurotoxique de type Novitchok. Pour la première fois, le dirigeant européen a aussi évoqué d’éventuelles sanctions : “l’UE se réserve le droit de prendre des mesures appropriées, y compris des mesures restrictives”, a-t-il affirmé. Mais Bruxelles et l’Allemagne ont “des moyens de pression très limités contre la Russie”, estime l’universitaire allemand Hans-Henning Schröder, interrogé jeudi par le journaliste de la Deutsche Welle Berndt Riegert. Pour le chercheur, la seule chose qui pourrait avoir un impact serait que Berlin et l’UE arrêtent d’importer du gaz russe. “Mais c’est irréaliste parce que ça coûterait extrêmement cher et ça demanderait une réorganisation logistique énorme”, estime-t-il. Depuis quelques jours, des voix s’élèvent sur le continent européen pour réclamer que l’UE renonce au projet controversé de gazoduc NordStream2 qui doit abreuver l’Europe et notamment l’Allemagne en gaz russe.

4 septembre 2020

Presse - Lionel Jospin

jospin33

4 septembre 2020

Présidentielle américaine - Donald Trump encourage ses partisans à voter deux fois

trump double vote

COURRIER INTERNATIONAL (PARIS)

Le président américain a provoqué un tollé jeudi après avoir appelé les électeurs à se rendre dans les bureaux de vote pour l’élection de novembre même s’ils ont déjà voté par correspondance, afin de s’assurer que leur bulletin a bien été pris en compte. Certains responsables électoraux estiment que Trump cherche à semer la confusion dans les esprits concernant la fiabilité du système électoral.

C’est “une nouvelle tentative de Donald Trump visant à contester l’intégrité du vote par correspondance”, note le Washington Post. Le président américain a suscité jeudi un vent de critiques aux États-Unis, en appelant les électeurs à se rendre dans les bureaux de vote pour l’élection présidentielle du 3 novembre, même s’ils ont déjà voté une première fois par correspondance.

Lors d’un meeting de campagne à Latrobe, en Pennsylvanie, le candidat républicain a réitéré ses accusations selon lesquelles les démocrates allaient tenter de “voler” l’élection en manipulant le vote par voie postale. “Vous devez être certains que votre voix compte, parce que la seule manière dont ils peuvent nous battre est en faisant ce genre de choses”, a déclaré Donald Trump.

S’exprimant mercredi soir auprès de la chaîne WEC-TV à Wilmington, en Caroline du Nord, le président sortant avait déjà suggéré aux électeurs de voter à deux reprises pour s’assurer que leur bulletin avait bien été pris en compte. “Si le système est aussi bon qu’ils le disent, alors évidemment ils ne seront pas en mesure de voter” en personne, a-t-il assuré.

Voter deux fois : “un crime fédéral”

“Le fait de voter deux fois est illégal et vous ne devriez pas le faire”, a rappelé le journaliste de CNN Marshall Cohen dans une analyse publiée sur le site de la chaîne de télévision américaine. “La loi fédérale considère qu’il s’agit d’un crime”, et c’est aussi le cas “dans presque tous les États du pays”, a expliqué à CNN, David Becker, ancien avocat du ministère de la Justice, spécialiste du droit électoral.

Le président américain “ne pousse personne à faire quelque chose d’illégal”, a assuré jeudi la porte-parole de la Maison-Blanche Kayleigh McEnany, dans l’émission “Fox and Friends”. Elle a affirmé que Donald Trump souhaitait simplement encourager les électeurs à se rendre dans un bureau de vote pour s’assurer que leur bulletin avait bien été pris en compte.

“Semer la confusion et l’inquiétude”

Les déclarations de Donald Trump “créent un casse-tête de plus pour les responsables électoraux des États qui sont déjà confrontés à la difficile tâche d’organiser un scrutin pendant une pandémie”, note de son côté le New York Times. Ils estiment que Donald Trump est en train d’essayer de “semer la confusion” et “l’inquiétude” dans les esprits des citoyens quant à la fiabilité du système électoral. La fraude électorale est pourtant “extrêmement rare aux États-Unis, y compris le double vote”, rappelle le quotidien new-yorkais. “Un grand nombre d’États ont mis en place des systèmes de contrôle rigoureux et redondants pour s’assurer que les électeurs ne votent pas plus d’une fois”.

Facebook et Twitter ont rapidement réagi aux propos du président américain, remarque Politico. Facebook a notamment épinglé une note à l’un de ses messages publiés en ligne, rappelant que le vote par correspondance était considéré comme “fiable” depuis longtemps aux États-Unis, “y compris pour cette année, d’après un organisme indépendant”. Twitter en a fait de même pour deux tweets présidentiels en affirmant que ces messages portaient atteinte à l’intégrité des élections.

Noémie Taylor-Rosner

4 septembre 2020

Eva Herzigova photographiée par Jean Marie Périer

jean marie periereva herzigova

4 septembre 2020

Ces jeunes qui refusent d’avoir des enfants

pas d'enfants

Article de Léa Iribarnegaray

S’il peut constituer un acte écologique, le choix de ne pas procréer recouvre souvent des considérations diverses

Diminuer sa consommation de viande, éviter l’avion, renoncer à une voiture… Autant de mesures individuelles fortes pour réduire son empreinte carbone et lutter contre le réchauffement climatique. Mais le changement de comportement le plus efficace, selon des chercheurs de l’université de Lund (Suède) et de l’université de la Colombie-Britannique (Canada), reste encore de faire moins d’enfants. Un bébé pèserait en effet 58 tonnes de CO2 par an, tandis que le cumul d’un régime végétarien (en moyenne 0,8 tonne par an), de l’arrêt des voyages en avion (1,6 tonne) et de l’usage d’une voiture (2,4 tonnes) permettrait d’économiser au total 4,8 tonnes par an.

Ne pas avoir d’enfant – ou n’en avoir qu’un – pour sauver la planète ? Si le phénomène est difficilement quantifiable, le discours résonne chez une partie de la jeunesse de plus en plus préoccupée par les questions environnementales. Qu’ils aillent au bout ou non de la démarche, ce questionnement témoigne d’un regard nouveau sur les conséquences de la parentalité.

Aux Etats-Unis, ces jeunes ont même un nom : les « Ginks », pour « Green Inclination, No Kids » (« engagement vert, pas d’enfant »). « Ce monde sera meilleur s’il est moins peuplé », estiment-ils. « Si nous voulons sauver cette planète, nous n’avons pas d’autre choix que d’aborder le problème de la surpopulation humaine », assume Leilani Münter, ex-pilote de course automobile américaine, dont les vidéos sont largement partagées sur les réseaux sociaux. Très active également, l’ONG britannique Population Matters s’est spécialisée dans la promotion d’une vie « sans enfant », ou avec « moins d’enfants ».

« Précarisation de la jeunesse »

Quelle est la réalité de ce discours, de plus en plus relayé dans les médias et chez une partie de la jeunesse ? « Il faut distinguer les personnes qui vont avoir une méfiance temporaire vis-à-vis de la maternité et celles qui sont fermes et définitives dans leur choix. On a une marge, un flou difficilement quantifiable, surtout chez les jeunes, précise Magali Mazuy, chargée de recherche à l’Institut national d’études démographiques (INED). Mais il est possible que la période de forte austérité et de précarisation de la jeunesse que nous connaissons actuellement ait un impact sur la manière dont ils vont se projeter, même si les injonctions à avoir des enfants restent très puissantes. »

Car le taux de fécondité en France est toujours le plus élevé d’Europe, avec une moyenne de 1,88 enfant par femme – résultat, notamment, d’importantes politiques natalistes. Les derniers chiffres concernant le non-désir d’enfant datent de l’enquête Fecond, réalisée en 2010 par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et l’INED. A l’époque, 5 % des femmes et des hommes ne voulaient pas expérimenter la parentalité. On sait néanmoins que le nombre de naissances ne cesse de baisser en France depuis plusieurs années. Selon la revue Population, publiée par l’INED en 2019, « la baisse de la fécondité concerne principalement les 20-29 ans, et est marquée par l’augmentation de l’infécondité (proportion de femmes sans enfant) à ces âges, sans que l’on puisse encore déterminer si c’est le fait d’un recul de l’âge à l’entrée en parentalité, éventuellement compensé plus tard, ou si l’infécondité sera définitive dans ces générations. »

En réalité, les motivations de celles qui assument véritablement cette décision sont complexes et variées. Rares sont les jeunes femmes qui affirment renoncer à la maternité par pur militantisme pro-environnement. Après une deuxième année d’IUT de journalisme à Cannes, Lisa Noyal, 21 ans, végétarienne depuis plusieurs années, désormais végane, boycotte les voyages en avion… et les bébés. « Le réchauffement climatique, les animaux qui disparaissent, les pandémies… Pour moi, l’écologie est l’argument principal pour ne pas faire d’enfant. Après, je n’ai jamais ressenti cette envie de transmission », reconnaît-elle.

Le choix, en tout cas, continue de déranger. Car toutes les jeunes femmes que nous avons interrogées rapportent les mêmes propos, qu’elles encaissent au détour d’un repas de famille, d’une soirée entre copines, d’une consultation chez un médecin : « On me répond toujours : “Il faut grandir, tu verras dans dix ans, tu en voudras un comme toutes les femmes du monde !” » ; « Une maman m’a dit : “T’inquiète, ça viendra. Moi non plus, à ton âge, je n’y pensais pas !” » ; « Un gynéco m’a sorti : “Je vous jure que vous allez changer d’avis. Et si votre futur compagnon en a envie ?”»

A 25 ans, Marie se sent constamment pointée du doigt. « Dire qu’on ne veut pas d’enfant ne semble pas normal. On n’entre pas dans la case. On a un problème, un boulon qui manque, fustige-t-elle. Bon gré mal gré, ça devient une lutte, alors que ça devrait juste être une décision personnelle. Personne ne demande à une femme enceinte pourquoi elle a fait ce choix ! C’est comme ça, c’est en moi. »

« Je tiens à ma liberté ! »

Comme beaucoup d’autres, Marie a dû développer une large panoplie d’arguments, « en mode stratégie de survie ». L’explication qui frappe le plus ses interlocuteurs : faire des enfants pollue une planète déjà malade et surpeuplée ; refuser d’en faire est un acte écologique puissant. « Cet argument peut faire taire une réprobation puisqu’il est moral. Là, on ne peut plus accuser ces femmes d’égoïsme », souligne Edith Vallée, pionnière sur les recherches autour de la non-maternité et autrice, en 1981, de Pas d’enfant, dit-elle… (Editions Tierce). « Le désir d’avoir un enfant est aussi intime et profond que le désir de ne pas en avoir », estime la docteure en psychologie.

Dans un pays comme la France, où la valeur « famille » reste forte, les jeunes qui revendiquent leur non-désir d’enfant doivent ainsi « combattre une idéologie dominante », selon les termes de Laurence Santantonios, autrice de Libre à elles, le choix de ne pas être mère (Editions du Mauconduit, 2018).

« Un pays fécond était un pays puissant face à l’ennemi allemand », rappelle Corinne Maier, autrice de l’ouvrage No Kid, quarante raisons de ne pas avoir d’enfant (Editions Michalon, 2007), qui dénonce avec humour l’asservissement que représenterait la maternité pour les femmes.

Mais pourquoi ce choix, appuyé par des arguments écologiques, semble-t-il gagner du terrain chez les jeunes ? Plutôt qu’une rupture vis-à-vis du monde ou d’un passé douloureux – qu’elle observe chez certaines femmes refusant d’avoir des enfants à partir des années 1970 – Edith Vallée souligne le besoin, chez cette nouvelle génération, de « se réaliser autrement ».

« Aujourd’hui, les jeunes sont peut-être plus nombreux à se dire qu’il est possible de ne pas avoir d’enfant et que leur vie serait quand même réussie », suggère la sociologue Charlotte Debest, autrice de l’ouvrage Le Choix d’une vie sans enfant (Presses universitaires de Rennes, 2014).

« Je tiens à ma liberté ! Je ne veux pas avoir quelque chose qui me retiendrait à terre, résume ainsi Anne-Laure, 21 ans, étudiante à l’Ecole nationale supérieure maritime du Havre, future officière de la marine marchande. Pour être honnête, l’écologie n’est qu’une flèche de plus à mon arc. Un enfant représenterait un poids financier et, surtout, un frein à ma carrière. »

Ce choix s’articule avec des convictions féministes de plus en plus développées chez les jeunes femmes. Car si elle est depuis belle lurette idéalisée, la maternité cristallise aussi une répartition des tâches inégalitaires. « Les jeunes femmes ne se voient pas assumer seules toutes les tâches de soin, de maternage, de ménage… et savent que ce sont elles qui les portent avant tout », explique Magali Mazuy.

Une nouvelle prise de conscience car, en 2007, lorsque Corinne Maier publie No Kid, son livre est perçu comme pure provocation. « Avant, on ne parlait jamais du sacrifice qu’une grossesse représente pour les femmes, rappelle l’essayiste. Mais c’est un sacerdoce, une charge accablante, un investissement gigantesque qu’il faut concilier avec un travail. Le tout pour des semaines de soixante-dix heures et une utilité collective discutable. »

Les femmes diplômées sont d’ailleurs celles qui se projettent le plus en dehors de la maternité. Avec une scolarité plus longue, une entrée en maternité plus tardive (en France, en 2019, la moyenne d’âge à l’accouchement est de 30 ans et demi), elles s’investissent dans d’autres sphères et peuvent remettre en question ce choix plus longtemps.

Stérilisation à visée contraceptive

« Il faut un certain statut, des outils et des modèles pour qu’une femme puisse se sentir valorisée sans passer par la maternité », rappelle Charlotte Debest. Qui remarque qu’avoir des enfants est une façon, notamment pour les jeunes des classes populaires, « d’obtenir une position sociale » : « La maternité apporte des droits et permet de s’émanciper des parents, de prendre son autonomie… » Mais les conditions matérielles d’entrée dans la vie d’adulte, d’accès à un emploi stable, à la propriété d’un logement, ne sont plus les mêmes qu’il y a vingt ans. Alors, face à un avenir incertain, face à la crise économique, fonder une famille n’apparaît plus comme une évidence.

« Dans les conditions actuelles, ça me paraît inimaginable de mettre une personne au monde alors qu’elle n’a rien demandé et qu’elle va galérer », estime Laura Schwab, 26 ans. Installée depuis peu à Joux-la-Ville (Yonne), en poste dans une bibliothèque à Auxerre, Laura a décidé, après les quatre mois de réflexion imposés par la loi, de passer le cap de la stérilisation à visée contraceptive. Elle s’est fait opérer pour ne jamais tomber enceinte. « Libérée » et sûre, cette fois, d’être prise au sérieux.

A 33 ans, Tristan est allé aussi au bout de la démarche. Lui qui a parfois « une amoureuse et des amantes » (en ce moment « que des amantes ») ne veut pas d’enfant, pour des questions écologiques, mais surtout parce qu’il « adore son boulot » et n’a « pas le temps ». « Ça ruinerait ma vie », dit-il. Intermittent du spectacle, en déplacement professionnel permanent, il regarde avec légèreté sa récente vasectomie et les résultats de son dernier spermogramme : « Tout va bien. Il n’y a plus de nageurs dans la piscine. »

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