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Jours tranquilles à Paris

30 octobre 2020

Yan Morvan - PIGALLE

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Je vais passer plusieurs semaines dans les lieux emblématiques de Pigalle. L’accès est parfois difficile, l‘anonymat y est la règle, les filles qui se produisent sur scène, certaines qui vont au-delà, n’aiment pas se raconter. C’est un job provisoire. Jamais un métier. Le racolage dans les rues est interdit et les passes se font discrètement, dans les lieux privés de certains bars de nuit où dans les hôtels du quartier où les entraîneuses ont leurs habitudes.

La loi française (1983) interdit le racolage : « La prostitution n’est pas interdite sauf lorsqu’elle porte atteinte à l’ordre public. » Mais les dispositions sur le racolage (loi sur la sécurité intérieure de 2003) l’interdisent de facto, au moins dans ses manifestations visibles, c’est-à-dire sur les trottoirs.

Le Pigalle des chromos de la littérature et du cinéma avec ses filles qui vous aguichent sur les trottoirs va s’en trouver transformé, Le Sida crée un vent de panique et limite les contacts trop faciles. Le port du préservatif devient une obligation et les clients se font de plus en plus rares. La prostitution « sauvage » et sans contrainte émigre sur les boulevards extérieurs, les bois de Vincennes et de Boulogne. Montmartre se transforme peu à peu en une destination touristique à l’usage d’étrangers attirés par l’aura du nom et prêts à se faire plumer pour un peu de frisson et de fantaisie.

Yan Morvan 2020

Yan Morvan est reconnu comme l’un des grands spécialistes contemporains de la photo de guerre, qui constitue ses premiers reportages. Il collabore à Libération puis, membre de Sipa Press, correspondant permanent de l’hebdomadaire américain Newsweek, il couvrira les principaux conflits dans le monde. Périodiquement, il revient en France et réalise des reportages sur les marges de la société. En 1994, il se consacre à une immersion à Pigalle, ses cabarets, ses sex shops et autres boîtes échangistes. Il en ramène des portraits de personnages de la nuit, des images en couleurs ou noir et blanc de l’envers du décor, des marginaux des trottoirs où se pressent hommes et femmes venus chercher le frisson de la transgression dans la nuit.

Yan Morvan : Pigalle

55 euros – 238 pages

La Manufacture des Livres

Parution le 29/10/2020

ISBN 978-2-35887-684-1

https://www.lamanufacturedelivres.com/livres/fiche/189/morvan-yan-pigalle

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30 octobre 2020

Etat d'urgence virale et terroriste...

dessin urgence virale terroriste

30 octobre 2020

Après l’attentat de Nice, les zones d’ombre du parcours du suspect, Brahim A., arrivé en Europe le 20 septembre

Par Nicolas Chapuis - Le Monde

Le Tunisien, né en 1999, a débarqué en Italie sur l’île de Lampedusa, avant de rejoindre Bari, dans les Pouilles, le 9 octobre. Il a tué deux fidèles et le sacristain de la basilique Notre-Dame-de-l’Assomption, jeudi.

Il suffit de trois mots pour faire basculer une journée, surtout quand ceux-ci sont envoyés de bon matin, par des sources policières, dont le laconisme est proportionnel à la gravité des faits : « Décapitation à Nice. » Le résumé est cru, incomplet, et pourtant parfaitement adapté pour décrire les événements qui viennent de se dérouler dans la basilique Notre-Dame-de-l’Assomption. Parce qu’ils disent la violence de l’acte qui vient d’être commis. Et parce qu’ils ne disent pas, comme si cela n’était pas utile de le préciser, tant le pli semble pris, qu’un nouvel attentat vient d’être perpétré en France. Un terroriste islamiste a frappé l’église au cœur, deux semaines après que l’un de ses semblables a frappé l’école au cœur, cinq semaines après qu’un autre de ses semblables a frappé la presse au cœur, en l’occurrence Charlie Hebdo, ou plutôt ce qu’il croyait être Charlie Hebdo, ce qui revient au même.

« Décapitation à Nice. » Le résumé est incomplet donc : en réalité, une femme de 60 ans a subi « un égorgement très profond de l’ordre d’une décapitation », selon les mots de Jean-François Ricard, le procureur national antiterroriste. Le sacristain de l’église, âgé de 55 ans, a été poignardé à mort à la gorge. Une autre femme de 44 ans a été blessée, est parvenue à s’enfuir pour se réfugier dans un restaurant à proximité. Répit de courte durée : elle est décédée des suites de ses blessures, après avoir eu un mot d’amour pour ses enfants.

La scène d’horreur a duré presque une demi-heure entre 8 h 29, heure à laquelle le terroriste est entré dans l’église, et 8 h 57, celle à laquelle quatre fonctionnaires de la police municipale ont à leur tour pénétré dans l’édifice religieux. Ils ont longé un couloir étroit, sont tombés nez à nez avec l’assaillant qui criait « Allahou Akbar ! » (« Dieu est grand ! » en arabe) un couteau de 30 cm à la main, ont tenté sans succès de le neutraliser avec un pistolet à impulsion électrique, avant de lui tirer dessus à quatorze reprises, soit le nombre de douilles qui ont été retrouvées sur place. L’homme, touché à la jambe, au torse et à l’épaule, a été grièvement blessé et a été évacué vers l’hôpital en urgence absolue. Il n’était pas encore sorti d’affaire jeudi soir.

Un parcours à trous

Sur lui les enquêteurs ont trouvé un document de la Croix-Rouge italienne l’identifiant comme Brahim A., un Tunisien né en 1999, arrivé en Europe par l’île de Lampedusa, le 20 septembre, et dont le parcours présente à ce stade beaucoup de zones d’ombre. Tout juste sait-on que le jeune homme a débarqué à Bari, dans les Pouilles, le 9 octobre, vraisemblablement après avoir subi une quarantaine en raison d’une contamination par le coronavirus, selon une source policière.

Après cela, les services de la direction centrale de la police judiciaire, chargée de l’enquête aux côtés de la Direction générale de la sécurité intérieure, ne retrouvent sa trace que sur la vidéosurveillance de la gare de Nice, jeudi 29 octobre au petit matin. A 6 h 47, il pénètre dans le bâtiment et semble vouloir modifier son apparence. Il retourne sa doudoune, change de chaussures. Il reste un bon moment dans la gare, dont il ne ressort qu’à 8 h 13. Il marche jusqu’à l’avenue Jean-Médecin où se trouve la basilique, située à 400 mètres de là. Il est alors prêt à passer à l’acte.

Quel a été le parcours de Brahim A. entre son arrivée sur le continent et l’attaque de la basilique ? Difficile de le reconstituer précisément, même s’il semble acquis que l’homme n’était en France que depuis quelques jours. Il n’est pas « connu » des services, ni de renseignement, ni de police. Il n’a pas cherché non plus à effectuer des démarches administratives et ne s’est donc enregistré nulle part. Quelles autres traces a-t-il pu laisser, notamment en Italie, où il semblait avoir des contacts ? Les enquêteurs devront le déterminer. Jean-François Ricard, le patron du parquet national antiterroriste, qui s’est immédiatement saisi de l’affaire jeudi matin, s’est ému pendant sa conférence de presse du fait que certains médias avaient publié le nom complet de l’assaillant, entravant les investigations.

Celles concernant les motivations de l’assassin ne devraient pas s’éterniser. L’homme a crié à de multiples reprises « Allahou Akbar ! », dans la basilique puis à nouveau à l’extérieur, alors même qu’il était dans un état critique et pris en charge médicalement. Est-il venu exprès de Tunisie pour perpétrer son attentat ou a-t-il trouvé sa motivation dans la polémique mondiale sur la republication des caricatures du prophète Mahomet, dont la France est l’épicentre ?

A l’intérieur de l’église, les policiers ont retrouvé un sac avec ses affaires personnelles, ainsi que deux couteaux qui n’ont pas servi. Ils ont également mis la main sur un exemplaire du Coran et deux téléphones portables dont l’exploitation est en cours. La cible semble, elle, évidente. Les trois personnes ont été attaquées « pour la seule raison qu’elles se trouvaient dans l’église », a expliqué Jean-François Ricard. C’est bien l’Eglise catholique et ses fidèles qui ont été directement visés à travers cet attentat.

Succession d’alertes

Il suffit de quelques mots pour faire basculer une journée et ce 29 octobre a bien failli chavirer tout à fait, quand, à la mi-journée, les alertes se sont soudain succédé. Un écho d’abord lointain, avec l’attaque au couteau d’un garde du consulat de France à Djeddah, en Arabie saoudite. La victime a été transportée à l’hôpital et l’auteur a été interpellé. Puis plus proche, avec l’interpellation à Lyon, dans le quartier Victor-Hugo, d’un jeune Afghan de 26 ans. Porteur d’une tenue traditionnelle, d’un gilet tactique et surtout d’un grand couteau de 30 cm, l’homme, connu des services de renseignement, semblait prêt à passer à l’acte. Une alerte jugée très sérieuse.

Quelques minutes plus tôt, Gérald Darmanin, le ministre de l’intérieur, avait fait passer un télégramme à ses services pour leur demander de renforcer la sécurité devant les lieux de culte et les cimetières, demandant aux préfets et aux directeurs généraux de la police, de la gendarmerie et de la sécurité intérieure de rappeler « la nécessité de faire preuve d’une vigilance accrue afin de prévenir tout acte qui pourrait être commis par mimétisme ». Quatre mille soldats ont par ailleurs été détachés par le chef de l’Etat pour venir renforcer les effectifs de l’opération Sentinelle, portant à 7 000 le nombre de militaires mobilisés.

Dans le même temps, à Avignon, se joue un autre drame. Un homme, muni d’une arme de poing, est abattu par les forces de l’ordre. Agé de 33 ans, il s’en était pris à un homme d’origine maghrébine, en se revendiquant de Génération identitaire, groupuscule d’extrême droite. A l’arrivée des policiers, il a refusé d’obtempérer, pointant son arme vers eux. Un premier tir de lanceur de balle de défense 40 mm (LBD 40) n’a pas suffi à l’arrêter. Les agents ont fini par faire feu.

Impossible de relier ces événements entre eux. Plusieurs policiers évoquent l’imminence du confinement et son aspect anxiogène pour expliquer cette flambée. Mais les spécialistes notent plutôt que le 29 octobre est la date du Mawlid, une fête musulmane en l’honneur de la naissance du prophète Mahomet, dont les caricatures provoquent l’ire d’une partie des croyants. A travers le pays, les forces de l’ordre sont à cran. Ce qui provoque aussi des fausses alertes. A Sartrouville, en début d’après-midi, un individu connu des services de renseignement pour radicalisation est interpellé. Après quelques minutes, il est relâché, faute d’éléments probants ou de matériel retrouvé sur lui. Son principal tort était de se trouver à proximité d’une église.

Le spectre de Saint-Etienne-du-Rouvray

Il est presque 16 heures à Nice, quand la politique prend le relais de la police aux abords de la basilique Notre-Dame-de-l’Assomption. Comme partout en France, les cloches ont sonné le glas à 15 heures pour les trois victimes de l’attaque. Le président de la République, Emmanuel Macron, encadré par le maire de Nice, Christian Estrosi, et le député des Alpes-Maritimes, Eric Ciotti, apporte « le soutien de la nation tout entière aux catholiques ». L’attentat n’est pas sans rappeler celui de Saint-Etienne-du-Rouvray, le 26 juillet 2016, quand deux terroristes islamistes avaient égorgé le père Jacques Hamel dans son église, et blessé gravement une autre personne.

A vrai dire, les mauvais souvenirs sont nombreux à refouler. La tentative de décapitation fait penser à l’attaque de Conflans-Sainte-Honorine, le 16 octobre, qui a coûté la vie à Samuel Paty, le professeur d’histoire-géographie assassiné par un jeune homme radicalisé d’origine tchétchène, Abdouallakh Anzorov, pour avoir montré des caricatures de Mahomet en cours. La ville où se sont déroulés les faits, Nice, a elle aussi été déjà durement éprouvée par le terrorisme. Le 14 juillet 2016, un attentat islamiste au camion-bélier avait fait 86 morts et 458 blessés sur la promenade des Anglais où s’étaient massés les habitants en prévision du feu d’artifice. Un an et demi plus tôt, le 3 février 2015, à Nice, trois militaires de l’opération Sentinelle avaient été attaqués au couteau et deux d’entre eux avaient été blessés par Moussa Coulibaly, un terroriste répondant à l’injonction meurtrière de l’organisation Etat islamique.

Ces derniers jours, les services de renseignement avaient signalé un nouvel appel, émanant cette fois-ci d’Al-Qaida. L’agence Thabat, proche de la nébuleuse terroriste, avait appelé ses disciples à mener des attaques en France.

30 octobre 2020

A Nice, ville martyre et déchirée : « Ecrivez-le, surtout écrivez-le, que la vie est plus forte que le fanatisme »

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Par Christophe Ayad, Nice, envoyé spécial, Marie-Béatrice Baudet, Nice, envoyée spéciale

Déjà violemment touchée par l’attentat du 14 juillet 2016, qui avait fait 86 morts, la cité se divise après l’attaque qui a touché, jeudi, la basilique Notre-Dame.

Quel visage choisir ? Quelle douleur relater ? Nice pleure si fort, Nice saigne tant. Sandra, peut-être, en premier. La nuit est tombée sur la cité meurtrie et la jeune femme qui vient de quitter son travail a tenu à s’arrêter devant la basilique Notre-Dame-de-l’Assomption pour honorer les trois victimes de l’attaque terroriste perpétrée le matin dans l’enceinte religieuse, avenue Jean-Médecin, en plein centre-ville. Sandra avait plusieurs fois rencontré Vincent L., le sacristain poignardé à mort, « une bonne pâte, toujours en train de rigoler et toujours prêt à rendre service », parvient-elle à murmurer avant d’éclater en sanglots et de crier comme une bête blessée : « Mais pourquoi nous ? Pourquoi nous encore ? »

En ce jour si noir du 29 octobre 2020, Nice a le visage de Sandra mais Nice ressemble aussi à ce petit homme timide vêtu d’un imperméable beige qui se glisse dans la foule rassemblée devant l’église illuminée et sort un pot de fleurs d’un sac en plastique de supermarché. Des roses, des roses rose pastel, des roses douces à regarder, des roses qui font du bien. Le discret les dépose à côté des bougies allumées par de nombreux anonymes venus se recueillir. Il tait sa douleur mais elle peut se lire dans ses yeux. « J’ai pris des fleurs en terre parce que c’est la vie et la vie est plus forte que le fanatisme », témoigne-t-il tout bas. « J’avais apporté les mêmes après l’attentat du 14-Juillet, il y a quatre ans. Ecrivez-le, surtout écrivez-le que la vie est plus forte que le fanatisme », dit-il avant de reprendre son chemin à petits pas.

Comment ne pas penser aujourd’hui à ce que Nice a déjà enduré ? Personne ici n’a oublié le martyre de ce gars du pays, le guide de haute montagne Hervé Gourdel, décapité en septembre 2014 par les Soldats du califat, un groupe djihadiste en Algérie. Quelques mois plus tard, en février 2015, trois militaires de l’opération Sentinelle qui patrouillaient dans la ville étaient attaqués au couteau par Moussa Coulibaly, bras armé de l’organisation Etat islamique. Et puis… Et puis, il y a eu ce 14 juillet 2016, quand la fête nationale s’est transformée en cauchemar. Au volant de son camion, Mohamed Lahouaiej Bouhlel avait fauché les familles venues assister au feu d’artifice. On compta 86 morts et 458 blessés.

« Trop, c’est trop, vous comprenez ? », gémit Muriel, 56 ans. Avec trois amis, elle est venue dès 15 heures avenue Jean-Médecin. L’artère était bloquée car Emmanuel Macron était sur place pour assurer de son soutien Nice et la communauté catholique. Peut-être avait-elle envie de voir « son président » ? De lui dire tout ce qu’elle a sur le cœur. « Vous savez, on n’en peut plus, on vit avec la peur. Dans les transports en commun, on se retourne. C’est fini, on ne peut plus encaisser tout cela… » Deux des trois enfants de Muriel étaient sur la promenade des Anglais quand le camion a commencé sa course folle. Sa fille a été blessée, son fils n’a rien eu. « Vous savez quoi ? Et bien ma fille est devenue aide-soignante et mon fils est entré dans l’armée car après ce qu’il a vu le 14 juillet, il a décidé de servir sa patrie… 2016 est inscrit dans ma chair, désormais. Alors, pitié, il faut que tout cela s’arrête. » Brahim A., le terroriste qui a frappé Nice jeudi, est entre la vie et la mort, à l’hôpital Pasteur. Là où travaille la fille de Muriel.

« Nous sommes tous abasourdis »

A l’unisson de ses concitoyens, Christian Estrosi, le maire (LR) de la ville, estime lui aussi que la coupe est pleine, vraiment trop pleine. L’élu appelle désormais « à éradiquer l’islamo-fascisme ». « Quand Nice est frappée, c’est toujours des symboles forts qui le sont : une fête nationale qui célèbre la République et maintenant l’Eglise catholique. Notre ville présente des cicatrices géantes qui n’en finissent pas de se rouvrir. On ne peut plus le supporter. Nice, ville martyre, cela suffit. » Mais cela n’en finit pas : « Plusieurs de mes élèves souffrent de pathologies liées à l’attentat de la Prom’, j’ai peur que ce qui s’est passé aujourd’hui ravive tout ça », s’inquiète Thomas, un jeune professeur de français dans un collège.

Il est près de 21 heures et les bougies brûlent devant la basilique, une surprenante copie de Notre-Dame de Paris, en plus trapue, plus récente. Brahim A. a frappé il y a maintenant près de douze heures mais les femmes et les hommes de la police scientifique sont toujours à l’œuvre. Au loin, on les aperçoit, étrange ballet de cosmonautes blancs qui rangent soigneusement dans des coffres indices et pièces à conviction – un Coran, deux téléphones ainsi que l’arme du crime, un couteau avec une lame de 17 centimètres qui a servi à égorger une femme de 60 ans venue prier tôt ce jeudi matin, et à poignarder à mort une autre femme de 44 ans, qui a agonisé dans un café à côté.

L’horreur. « Une église, c’est un lieu de paix où la violence n’est pas de mise, se désole le père Cyril Geley, vicaire général du diocèse de Nice. Nos édifices religieux ne sont plus des refuges, ce sont des cibles. Pensez au pauvre Jacques Hamel, humble curé de campagne, assassiné dans sa paroisse de Saint-Etienne-du Rouvray. Nous sommes tous abasourdis, les mots semblent bien faibles par rapport à ce que nous vivons. »

Le recteur de la cathédrale Sainte-Réparate, le Père Michel Angella, remercie les forces de l’ordre pour leur présence, à Nice, le 29 octobre. | FREDERIC PASQUINI POUR « LE MONDE »

Sainte-Réparate, la cathédrale du diocèse de Nice, est la seule église à être restée ouverte après l’attentat de jeudi. Et à 17 h 30, un temps de prière a été proposé aux fidèles. Entouré de six autres prêtres, le recteur de la cathédrale, le père Michel Angella, a lu L’Apocalypse de Saint-Jean d’une voix forte et déterminée : « Moi, Jean, j’ai vu un ciel nouveau et une terre nouvelle, car le premier ciel et la première terre s’en étaient allés. » Le curé a aussi cité le philosophe Paul Ricœur, « le mal est un défi », rappelant à plusieurs reprises les mots de Jésus-Christ sur la croix : « Seigneur, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ».

Comme une litanie sans fin

L’ecclésiastique sait captiver ses ouailles. Aucun paroissien présent n’oubliera ce moment de recueillement. A droite de l’autel, mal dissimulés par des paravents placés à la hâte, deux CRS veillaient, prêts à intervenir, le pistolet à la ceinture. Les officiants étaient sous bonne garde. Faudra-t-il désormais protéger les prêtres qui célèbrent la messe ?

Sous surveilance policière, le père Michel Angella donne une messe en hommage aux victimes, à la cathédrale Sainte-Réparate, à Nice, le 29 octobre. | FREDERIC PASQUINI POUR « LE MONDE »

Car la peur et la méfiance ont pris le pas sur la tolérance et le vivre-ensemble. On sent cette ville lasse et exaspérée par les coups du sort, les blessures de la vie : les attentats, les confinements, les inondations, comme une litanie sans fin. Un jeune homme blond, nerveux, fait les cent pas devant la basilique : « Dès qu’on parle d’islamisme, ils s’énervent parce que c’est comme si on insultait leur religion. Pour eux, cette violence n’a rien à voir avec l’islam. Qu’ils m’expliquent pourquoi, comment ! Moi je crois qu’ils ne veulent pas faire le ménage. Pourquoi ils n’acceptent pas qu’on se moque de leur religion comme les chrétiens ou les juifs ? Ils prennent tout au premier degré. » Ils, les musulmans, les autres.

Face à l’horreur et à l’indicible, il faut trouver un responsable au chaos, un bouc émissaire à la douleur. Pour les uns, c’est le laxisme des autorités de l’Etat : « Pourquoi on n’a pas achevé ce type ? », dit Catherine à propos de Brahim A., grièvement blessé par les policiers municipaux qui sont intervenus dans la basilique. « Maintenant, il occupe un lit aux urgences, en plein Covid, avec nos impôts. » D’autres, nombreux, se réfugient dans les théories du complot. « Ce qui se passe, c’est l’Etat profond qui nous la met bien profond, pardonnez-moi l’expression », avance Sabrina. Elle part sans développer.

Cette défiance est largement répandue parmi la communauté musulmane de la ville, surtout les plus jeunes. « Je ne peux pas croire qu’un homme débarqué de Lampedusa vienne directement ici commettre un attentat dans la principale église de Nice sans être repéré avec tous les moyens dont disposent les services de renseignement », assure Moustafa, rencontré devant la mosquée dite « de la gare », une salle de prière en rez-de-chaussée sur une impasse fermée par un portail aux deux extrémités. C’est l’un des nombreux lieux de culte musulmans d’une ville qui ne compte pas de véritable mosquée comme à Paris, Lyon ou Marseille.

« Maintenant, on est dans l’engrenage »

Les autres fidèles, venus pour la dernière prière commune avant le confinement, s’éclipsent dans le crépuscule sans commenter l’attentat de Notre-Dame, pas plus que l’imam. La gêne et une colère rentrée, inexprimable, ferment les visages à double tour. Seul Farid, un Tunisien sans papiers, tout comme Brahim A., explique en arabe que son compatriote « mérite la peine de mort » : « Moi je travaille ici, je ne dérange personne et à cause de lui, je vais avoir des ennuis. »

De l’autre côté de la voie ferrée qui sillonne entre mer et montagne, les petites rues du Vieux-Nice sont parcourues par les frissons d’une fièvre trop familière. Beaucoup de sans-papiers vivent et travaillent dans ces ruelles où dominent les commerces communautaires. Tous redoutent les jours à venir. Yacine, jeune français d’origine tunisienne, ne devrait avoir rien à craindre : « Quand j’ai appris que le terroriste venait du pays de mon père, je me suis dit : c’est fichu, on est fichés. Il y a trop de racistes dans cette ville, ça va finir en guerre civile. Si ça continue comme ça, Marine Le Pen va passer en 2022. Mais pourquoi Macron a besoin de toujours parler. Qu’il se taise un peu ! Rendre hommage au professeur décapité, c’était normal, insister sur les caricatures, c’était trop. Il sait que c’est un sujet qui heurte. Maintenant, on est dans l’engrenage, et c’est loin d’être fini. »

Deux rues plus loin, un groupe de Tchétchènes – Nice accueille la première communauté tchétchène de France – devise dans la rue autour d’un verre de thé. Islam, 24 ans, casquette noire, travaille dans un grand hôtel : « On a fui la guerre. Pourquoi voudrait-on faire la guerre ici ? », se justifie-t-il avant même toute question. Mais pour lui, l’attentat de Conflans, comme celui de Nice, sont « des complots ».

A ses yeux, l’islamisme n’existe pas, il s’agit « d’extrémistes qui veulent salir l’islam ». Et les dessins de Charlie Hebdo ne sont pas de simples caricatures mais « des blessures infligées aux musulmans » : « Personne ne représente notre prophète. Pourquoi insister pour avoir le droit de l’insulter ? C’est comme si on s’en prenait à mon père ou ma mère. Il y a des gens que la méchanceté rend fous. » Sami, le kiosquier de la place du Palais-de-Justice, lui, s’est promis de ne « jamais céder à la terreur ». « Vous savez que j’ai vendu tous les exemplaires de Charlie ? Ceux avec la caricature d’Erdogan », ajoute-t-il avec malice.

Manifestation improvisée

Les immigrés les plus anciens ne reconnaissent plus la ville qui les a accueillis, ni la jeunesse qui leur a succédé. Leila, la boulangère tunisienne de la rue d’Italie, juste derrière Notre-Dame-de-l’Assomption, a tellement peur de ce qui va venir qu’elle « fermerait les mosquées si ça pouvait régler le problème ». Elle le dit en baissant la voix. Elle en veut aux « arrivistes », dit-elle pour parler des nouveaux arrivants, « qui n’ont ni éducation ni envie de s’intégrer ».

Soraya, 26 ans, cheffe de rayon bijouterie dans un grand magasin, se présente comme une « Niçoise de souche » : « J’adore ma ville, je ne pourrais pas vivre ailleurs. Mais maintenant, j’ai peur qu’on m’assimile à des gens avec qui je n’ai rien à voir. Oui je suis musulmane, je porte des collants, de jolies robes et pas de voile. Quel rapport j’ai avec un fanatique comme celui de ce matin ? J’ai peur pour ma mère qu’on regarde de travers parce qu’elle porte un fichu dans ses cheveux depuis qu’elle est veuve alors qu’elle n’a jamais été voilée. Va-t-on me traiter comme une étrangère dans la ville où je suis née ? »

A 20 heures, une manifestation improvisée de quelque 200 personnes, encadrée de près par les forces de l’ordre, a déboulé sur l’avenue Jean-Médecin pour déposer une gerbe devant la basilique. Mais le message ne s’adressait pas qu’aux morts : « Islam hors d’Europe », « Daech, on t’encule », a scandé la petite foule, mélange de supporteurs de football, de militants identitaires et de Niçois « en colère ». « Je ne veux pas une France blanche et chrétienne, s’exclame Jeff, mais les gens qui arrivent ici doivent respecter les lois. Sinon, ils doivent repartir chez eux. »

A ses côtés, Frédéric a perdu l’usage de sa main gauche en étant heurté par le camion fou du 14 juillet 2016 alors qu’il sauvait une petite fille : « Quatre ans plus tard, on en est au même point. J’ai perdu ma main pour rien ? » Ils entonnent une dernière fois l’hymne de la ville, Nissa la bella, et une Marseillaise avant de se disperser dans la nuit.

30 octobre 2020

Attentat de Nice, confinement : Emmanuel Macron sous le feu roulant des crises

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Par Olivier Faye, Nice, envoyé spécial - Le Monde

Le chef de l’Etat s’est rendu sur les lieux de l’attentat islamiste qui a coûté la vie à trois personnes, jeudi, dans la basilique Notre-Dame-de-l’Assomption. « C’est la France qui est attaquée », a-t-il affirmé.

Le silence règne sur l’avenue Jean-Médecin, dans le centre de Nice, d’habitude si vivante avec ses commerces et son tramway. Seul le cri des mouettes se fait entendre. Le grésillement des radios aussi. La police. Ce n’est pas le confinement, pas encore. C’est le terrorisme. Encore. Les rues alentours ont été bouclées, ce jeudi 29 octobre. Dans la matinée, un Tunisien de 21 ans a été interpellé après avoir tué au couteau trois personnes – deux hommes et une femme – à proximité et au sein même de la basilique Notre-Dame-de-l’Assomption.

L’édifice, d’un blanc immaculé, est une réplique en format réduit de Notre-Dame de Paris ; un symbole du rattachement de Nice à la France, en 1860. L’office devait avoir lieu à 11 heures ; les cloches sonnent désormais pour les morts. Une des victimes a été retrouvée égorgée, dans une tentative de reproduire la décapitation de Samuel Paty, le 16 octobre, à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines). L’assaillant a crié à de multiples reprises « Allahou Akbar ! » une fois son acte perpétré.

Pompiers et policieres ont le visage marqué

Les pompiers et policiers municipaux, qui se trouvaient aux premières loges, ont le visage marqué. Emmanuel Macron les salue longuement. Pandémie, terrorisme, crises internationales, crise économique et sociale… « Très peu de générations auront eu comme la nôtre autant de défis ensemble », déclarait le chef de l’Etat, mercredi soir, aux 32,7 millions de Français qui le regardaient annoncer à la télévision le retour du confinement face à la recrudescence de l’épidémie de Covid-19. Il n’imaginait sans doute pas que son propos se vérifierait aussi vite.

Les ministres de l’intérieur et de la justice, Gérald Darmanin et Eric Dupond-Moretti, accompagnent le chef de l’Etat, mais ce sont les deux hommes forts de la droite locale qui l’encadrent. Le député (Les Républicains, LR), Eric Ciotti, et le maire (LR) de Nice, Christian Estrosi, rivalisent pour occuper le champ des caméras, mais aussi les réseaux sociaux. « L’assaillant est un Tunisien arrivé il y a très peu de temps par Lampedusa. Avec la crise sanitaire et sécuritaire, plus aucune entrée ne doit être tolérée ! », a tweeté le premier. « Treize jours après Samuel Paty, notre pays ne peut plus se contenter des lois de la paix pour anéantir l’islamofascisme », a renchéri le second.

Ces dernières semaines, Emmanuel Macron a déjà promis que « les islamistes » ne pourront plus « dormir tranquilles » en France, que des « actes concrets » seront portés, et que le projet de loi contre les séparatismes sera musclé. Remettre en cause l’Etat de droit ? « Ce sera la question de la campagne présidentielle de 2022 : quelle place la société est-elle prête à faire à l’arbitraire pour se protéger d’un danger encore plus arbitraire ? », estime un conseiller de l’exécutif. Encore un peu de patience.

Emmanuel Macron promet de « nouvelles mesures »

Pour l’heure, le premier ministre, Jean Castex, a annoncé le relèvement du plan Vigipirate au niveau « urgence attentat ». Face à la presse, Emmanuel Macron dévoile une autre mesure : l’augmentation du nombre de militaires de l’opération « Sentinelle » déployés pour sécuriser l’espace urbain. Ils étaient 3 000, ils seront désormais 7 000, afin de « protéger tous les lieux de culte, en particulier les églises, pour que la Toussaint puisse se dérouler dans les conditions qui sont dues ». « La nation toute entière se tient aux côtés de nos concitoyens catholiques », assure le président de la République, qui précise : « Nous protégerons aussi nos écoles pour la rentrée qui vient. » Un conseil de défense, le troisième depuis l’attentat de Conflans, devait se tenir à l’Elysée vendredi matin, avec à la clé de « nouvelles mesures », promet Emmanuel Macron.

Il y a les actes. Il y a aussi les mots. « Une fois encore notre pays a été frappé par une attaque terroriste islamiste. Très clairement, c’est la France qui est attaquée », lance le chef de l’Etat. « Au même moment », un vigile du consulat français de Djeddah, en Arabie saoudite, était attaqué au couteau, rappelle-t-il. « Au même moment, des interpellations sur notre territoire se faisaient », ajoute-t-il, notamment à Lyon, avec l’arrestation d’un Afghan armé d’un couteau et considéré comme menaçant.

Depuis qu’Emmanuel Macron a assuré, lors de son hommage à Samuel Paty, que la France ne renoncera pas aux caricatures du prophète Mahomet, une partie du monde musulman s’est embrasée. L’ancien premier ministre malaisien, Mahathir Mohamad, a même écrit sur Twitter que « les musulmans ont le droit d’être en colère et de tuer des millions de Français pour les massacres du passé », et critiqué l’attitude du président français, « très primitif » selon lui. Le message a été retiré depuis par le réseau social en raison de sa violence. « Si nous sommes attaqués, une fois encore, c’est pour les valeurs qui sont les nôtres, estime Emmanuel Macron. Pour notre goût de la liberté. Pour cette possibilité sur notre sol de pouvoir croire librement et de ne céder à aucun esprit de terreur. Nous n’y céderons rien. »

Incompréhension culturelle à son comble

L’incompréhension culturelle paraît à son comble, entre une France laïque et universaliste, une partie des pays musulmans, mais aussi certaines sociétés organisées autour d’un modèle multiculturel, comme les Etats-Unis. Le président de la République s’est ainsi agacé, mercredi, dans le huis clos du conseil des ministres, d’articles récents du New York Times et du Washington Post qui reprochaient à la France son comportement à l’égard de ses ressortissants musulmans. « L’alignement sur le multiculturalisme américain est une forme de défaite de la pensée », a tancé Emmanuel Macron en visant ceux qui voudraient succomber à cette tentation.

Présent dans la délégation du chef de l’Etat à Nice, le président de la conférence des évêques de France, Eric de Moulins-Beaufort, appelle pour sa part à ne pas céder à la division après ce nouvel attentat. « La colère, qui est légitime, ne doit pas se transformer en haine. Il faut travailler à ce qu’elle se transforme en énergie pour le bien commun, juge-t-il. Je suis très sensible au geste fait par le CFCM [Conseil français du culte musulman], qui demande aux musulmans d’être en deuil alors que dimanche est un jour de fête pour eux. 

L’archevêque espérait célébrer une messe, vendredi, à la cathédrale de Reims, pour rendre hommage aux victimes. Il ne savait pas encore que les cérémonies religieuses seront dorénavant interdites à cause du confinement.

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30 octobre 2020

Palais Idéal : Robert Doisneau – Simone Fattal : bâtisseurs chimériques

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L’exposition met en regard des photographies inédites du Palais idéal réalisées par Robert Doisneau et les œuvres sculptées de Simone Fattal.

Réalisées au Palais idéal, les photographies en noir et blanc dans les années 50 et en couleurs durant les années 70 rendent un hommage émouvant aux générations de visiteurs venus découvrir le Palais idéal depuis son ouverture décidée par le facteur Cheval lui-même en 1905. Ces images retrouvées durant le confinement viennent rencontrer les sculptures de Simone Fattal, et ouvrent une réflexion sur le temps et la mémoire, en regard de l’œuvre du facteur Cheval.

Née durant le confinement l’exposition Bâtisseurs chimériques a vu le jour suite à la redécouverte de clichés de Robert Doisneau d’une part, et à la volonté du directeur du Palais idéal, Frédéric Legros de montrer l’oeuvre d’une artiste iconique à la personnalité solaire, Simone Fattal, d’autre part.

Les photographies offrent une nouvelle lecture du Palais idéal du facteur Cheval, présenté sous le regard de Robert Doisneau soit comme une icône architecturale, soit comme un lieu qui fait l’admiration du public depuis des décennies. Au travers de ces clichés, on peut retracer une généalogie du Palais, ses évolutions et ses restaurations.

En contrepoint, les sculptures de Simone Fattal montrent à l’instar du facteur Cheval un art de créer des mondes. Une façon de faire surgir de la terre des personnages mythologiques, un bestiaire. On retrouve d’ailleurs des thèmes communs : Le Lion gardant l’entrée de Simone Fattal rappelant le lion sculpté par le facteur Cheval devant la Source de Vie, les trois Guerriers de la scuptrice venant à la rencontre des trois Géants de l’illustre Facteur.

Le poète Khaled el Najjar parlait de l’acte de création de Simone Fattal comme une genèse et il en va de même de ce Palais imaginaire construit par un seul homme.

“Il n’est pas étonnant que je reçoive tant de lettres de créateurs inconnus. Hommes d’instinct, ils ont flairé un complice.” – Robert Doisneau, 1989

Robert Doisneau – Simone Fattal : bâtisseurs chimériques

Jusqu'au 17 janvier 2021

Palais Idéal du Facteur Cheva

8, rue du Palais – CS 10008 – 26390 Hauterives – Drôme

www.facteurcheval.com

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30 octobre 2020

Et hop !

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30 octobre 2020

Au Palais de Tokyo

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L’exposition Anticorps, conçue par l’équipe curatoriale du Palais de Tokyo, propose de donner la parole à la scène artistique française et internationale autour de 20 artistes qui, avec des oeuvres récentes et nouvelles, prennent le pouls de notre capacité à faire corps ensemble et à repenser notre façon d’habiter le monde.

OUVERTURE

Dans le cadre de l’épidémie de Covid-19, merci de prendre contact avec les lieux pour vérifier la programmation et les contraintes d’accès avant de vous déplacer - Du 23 octobre au 31 décembre : tous les jours et fêtes sauf mardi de 10h à 19h. Fermé le 25 décembre. ; Du 1er janvier au 3 janvier 2021 : vendredi samedi dimanche de 10h à 19h. Fermé le 1er janvier.

TARIFS

Tarif plein : 12 €

Conditions tarif réduit : - 18 ans, demandeurs d'emploi, personnes en situation de handicap. 18-25 ans, étudiants, +65 ans

PLUS D'INFOS

Tél : 01 81 97 35 88

Email : infos@palaisdetokyo.com

Web : http://palaisdetokyo.com

Web : http://www.palaisdetokyo.com

30 octobre 2020

RECONFINEMENT et le Petit Robert

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30 octobre 2020

Enquête - L’aura perdue d’Erdogan

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Par Marie Jégo, Istanbul, correspondante - Le Monde

Si les attaques du président turc contre Emmanuel Macron lui permettent d’occuper une fois de plus l’avant-scène internationale, elles trahissent aussi un affaiblissement dans son propre pays, confronté à une crise profonde.

Accroupi, la tête ceinte d’un chapeau de prière, le président turc Recep Tayyip Erdogan récite des versets du Coran dans la nef de Sainte-Sophie, la basilique byzantine d’Istanbul, passée, à sa demande, du statut de musée à celui de mosquée.

Ce vendredi 24 juillet, le service est ensuite mené par Ali Erbas, le chef de la direction aux affaires religieuses (Diyanet). Celui-ci prêche sabre en main pour illustrer « le droit de l’épée » hérité de Mehmet II, le sultan ottoman qui prit la ville et la « Grande Eglise » aux Byzantins, en 1453. « Nous avons un nouveau message à transmettre au monde », avait averti le président quelques jours plus tôt.

Cette posture de défenseur de l’islam sunnite est celle qu’il affectionne le plus. Ce vendredi d’été, sa jubilation n’a pas de limites. Ne vient-il pas de réaliser son « plus grand rêve » de jeunesse, ramener son pays à ses racines islamiques ?

A l’extérieur de Sainte-Sophie, des centaines de milliers de fidèles, venus de toutes les régions de ce pays de plus de 83 millions d’habitants, laissent éclater leur joie, exhibant des affiches sur lesquelles le président trône aux côtés du « Conquérant » Mehmet II. La prochaine étape, promet-il, sera « la libération de la mosquée Al-Aqsa » à Jérusalem.

Contre-révolution politique et culturelle

Cela fait dix-sept ans que sa haute silhouette – 1,85 m sous la toise – écrase la vie politique nationale. Il a mis le pouvoir judiciaire à sa botte, décimé l’armée, déclaré la guerre à la société civile. Son but : imposer sa contre-révolution, politique et culturelle. Pour y parvenir, il a inondé de signes et de préceptes religieux l’espace public, les établissements d’enseignement, les institutions d’Etat, où les confréries islamiques ont désormais pignon sur rue.

Bien décidé à rejeter l’héritage de Mustafa Kemal (1881-1938), dit « Atatürk », fondateur de la Turquie moderne, Recep Tayyip Erdogan veut en finir avec l’orientation pro-occidentale voulue par ce dernier dans les années 1920-1930. Les militants de son Parti de la justice et du développement (AKP, islamo-conservateur) critiquent à l’envi « la colonisation volontaire » du pays. Selon eux, la véritable identité turque a été trahie à l’époque de la fondation de la République, en 1923, au profit d’une assimilation de façade qui a fait du pays un vassal de l’Occident. « Fermer la parenthèse du kémalisme », tel est leur objectif.

Le rapport du président Erdogan à Atatürk est ambigu, et aide à mieux cerner le personnage. Respectueux du vainqueur de la guerre de libération contre les puissances occidentales (1919-1922), il exècre le tombeur de l’Empire ottoman, le fossoyeur du califat.

Soucieux de continuité, il n’hésite pas, quand ça l’arrange, à se servir de la figure du « Père des Turcs ». Ne prononce-t-il pas certains de ses discours avec, en toile de fond, un poster géant d’Atatürk ? Durant la campagne électorale en vue des élections présidentielle et législatives du 24 juin 2018, une affiche était placardée partout dans Istanbul : on y voyait Erdogan aux côtés de Mustafa Kemal, tous deux avaient la même posture, la même moustache, les mêmes vêtements.

SI LES ÉLECTIONS, PRÉSIDENTIELLE ET LÉGISLATIVES, PRÉVUES POUR JUIN 2023, ÉTAIENT ANTICIPÉES, LE PRÉSIDENT TURC N’EN SORTIRAIT PAS VAINQUEUR

Mais de toutes les figures révérées par le leader turc, celle du sultan Mehmet II est sa préférée. Friand de mises en scène, il n’a aucun mal à s’identifier au « Conquérant ». Dans son esprit, ce thème de la « conquête » ne se limite d’ailleurs pas aux monuments d’Istanbul : il s’applique aussi aux visées expansionnistes turques.

D’où sa volonté, ces dernières années, d’imposer son ordre, en Syrie, en Libye, dans le nord de l’Irak. En Méditerranée orientale, son armée ne cesse d’attiser les tensions avec la Grèce et Chypre. Au sud du Caucase, arrière-cour de son homologue russe Vladimir Poutine, son nouvel allié, elle soutient l’Azerbaïdjan, le pays turcophone « frère », en guerre contre les séparatistes arméniens du Haut-Karabakh.

Jamais dans son histoire récente, hormis l’invasion du nord de Chypre en 1974, la Turquie n’a interféré à ce point dans les affaires de ses voisins. D’un « front » à l’autre, de nouvelles méthodes de guerre sont expérimentées. Recrutés par des sociétés paramilitaires privées, des mercenaires syriens ont été déployés en Libye et au Haut-Karabakh. Au besoin, les réfugiés hébergés sur le sol turc sont utilisés comme outil de chantage, comme on l’a vu en mars de cette année, lorsque des milliers d’entre eux ont été lancés à l’assaut de la frontière terrestre avec la Grèce.

Démesure

Cette frénésie est le signe d’un ressentiment profond. Longtemps, la Turquie a été perçue comme une puissance pivot, un Etat géostratégique voué à être le « garde-fou » de l’OTAN contre le communisme du temps de la guerre froide, puis la passerelle énergétique vers l’Europe après la chute du mur de Berlin.

Le président ne veut plus de cette Turquie-là. Son jeu, sans doute risqué, consiste à tirer parti de l’absence de stratégie de ses partenaires traditionnels, l’OTAN et l’Union européenne, à exploiter leurs faiblesses, leurs phobies, à commencer par celle du péril migratoire. Il entend réparer l’injustice du statu quo hérité de la première guerre mondiale, surtout l’accès contrarié de son pays à la Méditerranée et à la mer Egée.

Pour y parvenir, il ne craint pas de céder à la démesure. « Notre mission est semblable à celle d’Abraham, de Moïse et de Mahomet », déclarait-il ainsi, le 26 août, aux militants de son parti. Il en est convaincu, la Turquie a vocation à redevenir le chef de file du monde musulman sunnite. La nostalgie du califat, aboli en 1924 par Atatürk, taraude ses partisans, qui se sont mis à réclamer sa restauration au lendemain même de la conversion de Sainte-Sophie.

Il reste à savoir si sa prière du 24 juillet dans ce musée devenu mosquée n’est pas son chant du cygne. Affaibli en interne, isolé sur la scène internationale, le « leader providentiel » a perdu sa touche magique. Sa popularité s’étiole. Si les élections, présidentielle et législatives, prévues pour juin 2023, étaient anticipées, il n’en sortirait pas vainqueur. Selon Avrasya, un institut d’études de l’opinion, auteur d’une enquête publiée le 2 octobre, son score serait de 38,7 % contre 41,9 % pour son principal rival, Ekrem Imamoglu, le maire républicain d’Istanbul.

Les difficultés de M. Erdogan ont commencé aux élections municipales du printemps 2019, quand ce même Ekrem Imamoglu a conquis Istanbul, tenue depuis vingt-cinq ans par les islamo-conservateurs. La perte de sa ville de naissance, dont il fut le maire de 1994 à 1998, fut pour lui un sérieux camouflet. Malgré l’assise solide de sa fonction – président, chef du gouvernement, de l’armée, du parti majoritaire, responsable de la politique monétaire, maître absolu de la politique étrangère –, il n’a jamais été aussi affaibli. Les piètres performances de l’économie, la répression accrue envers les Kurdes, les purges de la société civile, l’emballement de la pandémie de Covid-19 ont terni son image.

L’économie, talon d’Achille

La récente conversion de Sainte-Sophie ne l’aidera pas à se rétablir. « Elle n’apportera aucun point de plus à l’AKP, estime Ozer Sencar, le directeur de la société de sondages Metropoll. Le plus souvent, ce sont les sujets économiques qui font chuter les politiciens en Turquie, ajoute-t-il. Les atteintes aux libertés ne comptent pas aux yeux de l’électorat. »

De fait, l’économie est bien le talon d’Achille de Recep Tayyip Erdogan. Les promesses de prospérité se sont évanouies. Le chômage est en hausse (13 % de la population active en moyenne, 26 % chez les jeunes), la devise locale ne cesse de se déprécier (− 25 % par rapport au dollar depuis le début de 2020), les investissements étrangers se sont taris.

L’AKP, LE PARTI DE M. ERDOGAN, EST EN LAMBEAUX. DEPUIS LA DÉFAITE AUX MUNICIPALES, L’UNION SACRÉE AUTOUR DU « GRAND HOMME » EST MAL EN POINT

Sa volonté de changer la société se heurte elle aussi à bien des difficultés. Sa principale ambition, « favoriser l’émergence d’une génération pieuse », est un fiasco. Déçue par la religion officielle, une partie de la population se revendique « déiste », c’est-à-dire qu’elle reconnaît l’existence de Dieu tout en rejetant les rituels et les dogmes. D’après un constat dressé en avril 2018 par le ministère de l’éducation, ce phénomène concerne essentiellement la jeunesse.

Sur la scène politique intérieure, la situation n’est guère plus brillante pour M. Erdogan. Son parti est en lambeaux. Depuis la défaite aux municipales, l’union sacrée autour du « Grand Homme » est mal en point. Ses anciens lieutenants, tels l’ex-premier ministre Ahmet Davutoglu ou l’ancien ministre de l’économie Ali Babacan, ont démissionné du parti pour se lancer en politique.

La posture du caïd de quartier

Reste donc le « front » international. A l’adresse de ses homologues étrangers, le numéro un turc n’a plus que l’invective à la bouche. Sa posture est celle d’un caïd de quartier, un  kabadayi. Le président français, Emmanuel Macron, vient d’être invité à « se faire soigner mentalement », la chancelière allemande, Angela Merkel, s’est vu reprocher « ses pratiques nazies » en 2015. Vladimir Poutine, lui, est épargné.

En déclin, le « Grand Turc » a désormais jusqu’en 2023 pour se refaire une santé politique. En est-il capable ? L’homme en a vu d’autres, rappellent volontiers ses biographes. De fait, il suffit de revenir une vingtaine d’années en arrière pour mesurer sa capacité à rebondir.

Nous sommes en 1998. Maire d’Istanbul, Recep Tayyip Erdogan est condamné à cent vingt jours de prison pour avoir lu en public un poème religieux jugé subversif. Son mandat est invalidé. Le 26 mars 1999, les portes de la forteresse de Pinarhisar, à deux heures de route d’Istanbul, se referment sur lui. Ses détracteurs ont beau le juger fini, il va mettre à profit ces quatre mois de détention pour repartir sur de nouvelles bases.

Il faut dire que tout est fait pour adoucir sa détention. Avant son arrivée, ses proches ont aménagé sa cellule. De la moquette a été posée. Il dispose d’une table de travail, de fauteuils et d’un téléviseur. Ce passionné de football regarde parfois les matchs avec des membres de l’administration pénitentiaire. Sa popularité dépasse de loin les murs de la prison. Les visiteurs sont si nombreux qu’une permanence est bientôt ouverte dans une station-service toute proche afin de gérer les demandes d’entrevue.

Une image populaire

C’est pendant cette séquence carcérale qu’il va poser les bases de l’AKP. « A partir d’aujourd’hui, l’époque où la politique était centrée sur une personne est terminée. Nous ne voulons plus de l’hégémonie d’un seul leader. On n’adulera plus personne. Une équipe dirigera le parti, l’ombre du chef ne s’y fera pas sentir. (…) Nous allons instaurer la démocratie participative et plurielle », déclarera-t-il le 6 juillet 2001, peu avant le lancement officiel du parti. L’année suivante marque la fin de sa traversée du désert. Le succès de l’AKP aux législatives, avec 34 % des voix, le propulse alors au poste de premier ministre. De 2003 à 2013, il va s’imposer dans l’esprit d’une majorité de ses compatriotes comme celui qui leur a permis de bénéficier d’une forte croissance économique, le PIB ayant été multiplié par trois.

Le peuple d’Anatolie n’a alors aucun mal à se reconnaître dans ce fils d’un capitaine de bateau du quartier populaire de Kasimpasa, à Istanbul. C’est en cultivant sa proximité avec le Turc de la rue que « Tayyip », le gamin issu d’une famille pieuse et anti-laïque, a gravi une à une les marches du pouvoir.

Mais les années ont passé, et son modèle paraît à bout de souffle. Au-delà de ses esclandres sur la scène politique internationale, on se demande comment il va s’y prendre pour retrouver son aura perdue. « Je suis comme vous », a-t-il coutume de répéter à ses supporteurs depuis son palais à Ankara, d’une superficie de 200 000 mètres carrés. Faut-il le croire ?

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