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Jours tranquilles à Paris

29 octobre 2020

Photographie - Szymon Brodziak

brodziack33

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29 octobre 2020

Entretien - Maïwenn : « L’autobiographie n’existe pas au cinéma »

maiwenn ADN

Par Véronique Cauhapé

L’actrice et réalisatrice explique que, si elle s’est inspirée de son expérience personnelle du deuil, son film est également nourri de fantasmes, de remords et de regrets.

Tous les films de Maïwenn sont nés d’une obsession. Concernant son dernier long-métrage, ADN, il s’agit du deuil, de la façon dont on doit tenter de se débrouiller avec les morts et de la quête identitaire vers laquelle une disparition peut conduire. Des réflexions qui l’ont occupée – « possédée », dit-elle – depuis la mort de son grand-père maternel, Algérien, survenue en 2017, deux ans après celle de sa grand-mère.

A ce film, comme aux autres, vous refusez fermement que l’on associe le terme « autobiographique ». Pourquoi ?

Parce que je le trouve réducteur et faux. Ce que j’essaie de transmettre dans mes films, ce sont les émotions et les sentiments. D’eux découlent les idées, et non l’inverse.

L’autobiographie n’existe pas au cinéma. Nous livrons forcément une autre vérité que le vécu puisque tout est retravaillé, malaxé à travers toutes les étapes de l’écriture, du montage, du tournage. Je me sers de certaines choses que j’ai vécues pour les transformer, y ajouter du fantasme, des regrets, des remords, le courage qui m’a manqué… Picasso l’a dit mieux que moi : « L’art est un mensonge pour dire une vérité plus grande ». Je crois à cela.

Donc, ce que vous avez (re)travaillé ici, c’est la question du deuil et de la quête identitaire à laquelle vous a confrontée la mort de votre grand-père. Comment expliquez-vous que cette quête vous ait tant obsédée ?

Plus je vieillissais, plus je prenais conscience qu’il manquait une case à ma construction psychique. Certes, je savais d’où je venais et je n’ai pas découvert l’Algérie avec la mort de mon grand-père. Enfant, j’y allais souvent.

Mais je ne connaissais rien, en revanche, de l’histoire de mes deux pays, la France et l’Algérie, et de leurs liens. Au fond, j’étais une enfant d’immigrés mais je ne parvenais pas à analyser ce que cela signifiait et la façon dont cela se manifestait chez moi. Cette méconnaissance m’empêchait de comprendre à quel point j’étais héritière de cette histoire. Et de celle de mon grand-père – un homme engagé, très à gauche, sensible au sort des plus faibles et qui s’indignait facilement – avec lequel je partageais pas mal de traits.

Dans « ADN », la mort du grand-père réunit la famille et fait rejaillir tous ses dysfonctionnements. Mais ce huis clos s’ouvre, pour votre personnage, sur un autre horizon plus vaste. Peut-on parler de libération ?

C’est en tout cas la façon dont j’ai vécu le deuil. J’ai été dévastée. La première année, je me suis demandé comment j’allais faire pour m’en sortir, continuer à être forte vis-à-vis de mes enfants, de moi-même et surtout comment j’allais continuer à travailler.

Seule m’obsédait l’histoire de la France et de l’Algérie. Si bien que j’ai commencé par ne pratiquement plus fréquenter les gens du cinéma et me suis mise à regarder tous les documentaires possibles sur la France et l’Algérie, tout ce qui touchait à l’actualité. Je me suis jetée dans la littérature, inscrite à un atelier d’écriture chez Gallimard. Le besoin d’apprendre est devenu une drogue, la seule chose qui m’apaisait. En fait, la mort de mes grands-parents m’a réveillée, m’a donné le sentiment de vivre désormais sous leur regard, et l’occasion d’avoir plus d’estime de moi-même.

Vous êtes-vous rendue en Algérie durant cette période ?

Oui, de nombreuses fois. Et je manifestais avec le Hirak [mouvement de protestation qui a mobilisé le peuple algérien contre la dictature pendant plus d’un an, à partir de février 2019]. J’y ai d’ailleurs rencontré le journaliste Khaled Drareni qui a été arrêté et condamné à deux ans de prison pour avoir voulu exercer son métier avec indépendance. Je participe activement à son comité de soutien. Mon deuil m’a rendue plus concernée.

Vous dites avoir voulu tourner « ADN » de façon légère, comme pour votre premier film. Qu’est-ce que cela signifie ?

Tourner vite, en quatre semaines, avec une équipe réduite et à partir d’un scénario qui ne soit pas entièrement écrit afin que les comédiens aient la possibilité de se l’approprier et y glisser quelque chose d’eux. Je tourne en général avec deux caméras et je les laisse tourner longtemps, en espérant que les acteurs puissent l’oublier. Dès que l’on dit « coupez », tout le monde s’éparpille et se déconcentre. En laissant tourner, cela permet de garder la tension. Mais la liberté du premier film ne se retrouve jamais.

Pour quelle raison ?

Parce qu’ayant désormais plusieurs films à mon actif, l’équipe technique a tendance à penser que j’arrive en ayant la science infuse. Du coup, personne – surtout les nouveaux – n’ose plus me bousculer. Or, on n’imagine pas à quel point j’aime le travail d’équipe, être entourée de gens qui ont du caractère, n’ont pas peur de moi, et dont l’univers artistique m’importe autant que celui que je leur apporte.

Ensuite, moi aussi j’ai changé. La reconnaissance du métier et du public m’a amenée à plus d’exigence. Plus je vieillis et vois de films, plus je me sens nulle et plus je doute. J’ai l’impression, chaque fois, d’y laisser beaucoup de plumes et que je ne les récupérerai pas.

Qu’avez-vous appris du cinéma ?

Tout ce que j’ai appris me vient de Laure Gardette, la monteuse de tous mes films, à l’exception de Mon roi. C’est elle qui m’a appris que l’on ne dit pas les choses dans le cinéma de la même manière que dans la vie. Et m’a permis de me sentir plus libre. Je me souviens de ses phrases fortes qui m’accompagnent telles que « Ne guide pas le spectateur, ne l’informe pas, laisse-le imaginer, travailler, essaye de faire passer les émotions, sans les nommer ou les surligner ».

Elle raconte vous avoir dit, après la lecture de votre premier court-métrage « I’m an Actrice », que vous ne faisiez pas assez confiance au cinéma. Et que vous êtes partie en lui disant que vous ne compreniez pas de quoi elle parlait. C’est vrai ?

Je la soupçonne d’inventer un peu notre première rencontre mais c’est joli. Cela dit, je pense que je rejetais toute approche intellectuelle, toute analyse de mon travail. Je ne sais pas faire ça. Probablement parce que je n’ai pas fait d’études mais aussi parce que la théorie, si elle me fascine chez les autres, ne m’intéresse pas, me concernant. C’est comme si j’étais très amoureuse et qu’on me forçait à analyser pourquoi j’aime cette personne. Je n’ai pas envie.

D’ailleurs, écrivez-le, que j’aime les hommes, que je les soutiens en cette période où on les accable de tous les maux, en oubliant d’évoquer la façon dont certaines femmes usent de leur pouvoir de séduction. Moi j’aime être sifflée dans la rue et j’espère l’être longtemps mais je ne suis jamais montée dans une chambre d’hôtel pour un rendez-vous de boulot.

29 octobre 2020

Fanny Müller

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29 octobre 2020

"L’endettement sans limites est une illusion ! "

economiste

« Si on joue à créer de la monnaie comme on le fait en ce moment à travers l’intervention de nos banques centrales, et qu’on reporte indéfiniment ou qu’on annule son remboursement, on va casser quelque chose de fondamental dans l’économie, qui est la confiance. » Photo Christophe Chevalin/LCI

Propos recueillis par Samuel Ribot

Pour le journaliste économique, la crise sanitaire actuelle s’inscrit dans un mouvement de transformation de l’économie mondiale, entamé avec la crise de 2008. Tout en pariant sur des lendemains meilleurs, il alerte toutefois sur le recours systématique à la dette, qu’il faudra bien rembourser un jour…

En vous lisant, on se dit que la crise sanitaire n’a pas créé mais plutôt amplifié la transformation économique que nous vivons…Fondamentalement, le virus n’a rien changé. Mais il a accéléré un certain nombre de transformations qui étaient à l’œuvre depuis une dizaine d’années et qui vont désormais s’amplifier. De ce point de vue, je vois cette crise comme une machine à avancer le temps : l’épidémie nous a donné à voir le futur. On est au cœur d’une transformation très importante de l’économie et de la société comme il s’en produit une ou deux par siècle. La dernière était la transformation libérale, portée par le monde anglo-saxon, États-Unis en tête, et elle est en train de se terminer. Celle que nous vivons aujourd’hui a vraisemblablement commencé par la crise financière de 2008, et l’irruption de la crise sanitaire en marque une étape.

« La mauvaise nouvelle, écrivez-vous, c’est que ces crises de transformation durent une vingtaine d’années. La bonne, c’est que nous en avons déjà fait plus de la moitié »…

Je pense, en effet, que nous sommes probablement plus avancés que nous ne l‘imaginons dans ce processus de transformation. Par exemple, en matière d’appropriation des technologies numériques, nous avons réalisé en quelques mois ce qui aurait dû nous prendre des années. Les petites entreprises, les artisans, mais aussi les consommateurs ont opéré une véritable révolution. De ce point de vue, la crise a été un accélérateur. De la même manière qu’elle a accéléré de façon phénoménale le recours à la dette…

Vous alertez justement sur « l’hyperdette » qui se met en place avec la crise sanitaire. Pourquoi faut-il la craindre ?

Parce que je suis convaincu que l’endettement sans limites est une illusion. Il y a deux façons de détruire la dette : la première, c’est la croissance doublée de l‘inflation, ce que nous avons vécu après la guerre. Dans ce schéma, l’évolution des richesses est telle que la dette « coûte » de moins en moins cher à rembourser. L’autre méthode, c’est de ne pas payer. Ce que j’appelle la théorie du « repas gratuit ». Or, il arrive toujours un moment où la dette doit être remboursée. Si on joue à créer de la monnaie comme on le fait en ce moment à travers l’intervention de nos banques centrales, et qu’on reporte indéfiniment ou qu’on annule son remboursement, on va casser quelque chose de fondamental dans l’économie, qui est la confiance. D’autant que derrière la dette il n’y a pas que des rentiers : il y a aussi des épargnants comme vous et moi.

Mais cet endettement est prôné par nos dirigeants !

C’est juste. Tout d’un coup, alors qu’il n’y avait, selon nos gouvernants, « pas d’argent magique », on trouve des centaines de milliards en France et des dizaines de milliers de milliards dans le monde. Les gens se disent alors « pourquoi ne les utilisons-nous pas pour lutter contre la pauvreté, augmenter les salaires des enseignants et mettre en place un revenu universel ? » Des interrogations totalement légitimes… Nous ne sommes donc pas près de sortir de cette politique, qui est favorisée par ce climat de désinhibition générale vis-à-vis de la dette, ni de ce débat, qui va nous occuper dans la période électorale qui s’annonce.

Emmanuel Macron a filé la métaphore guerrière au sujet du virus. Or, selon vous, relancer une économie touchée par une épidémie est bien plus difficile que lorsqu’il faut reconstruire après une guerre ? Pourquoi ?

La guerre, indépendamment des désastres humains qu’elle provoque, stimule l’économie à travers la production d’armes d’une part et à travers la reconstruction d’autre part. Dans le cas d’une épidémie, c’est très différent, puisque ces leviers n’existent pas. En fait, une guerre stimule la croissance alors qu’une épidémie l’éteint. Nous sommes donc confrontés à une relance qui doit s’appuyer sur d’autres moyens.

Vous évoquez la relocalisation de la production, la transformation du marché du travail et la réorganisation des entreprises…

Voilà en tout cas trois piliers extrêmement solides sur lesquels nous allons devoir nous appuyer. Plutôt que de relocalisation toutefois, il faudrait peut-être parler de localisation. Et en ce sens, le plan de relance présenté par le gouvernement me paraît assez malin dans la mesure où il ne s’agit pas de faire revenir la fabrication des t-shirts en France mais au contraire d’être en mesure d’attirer les productions de demain. En ce qui concerne le marché du travail, l’effort à faire va être colossal tant notre économie va être chahutée. Reste à voir si notre offre de formation saura absorber les légions de salariés qui vont devoir en bénéficier. Quant à la réorganisation du travail, il me paraît clair qu’elle est déjà largement engagée et que des gains de productivité importants vont continuer à être trouvés. Mais cela ne se fera pas sans dégâts sur le court terme, bien évidemment.

La société française, déjà agitée de soubresauts, est-elle prête à accepter cette transformation ?

Nous avons une propension à nous focaliser sur les perdants et nous avons raison dans la mesure où il faut absolument les aider. Mais dans tout mouvement de transformation de l’économie, il y a des perdants et des gagnants. Pour prendre un exemple, nous avons fait, avec cette crise sanitaire, un bond totalement inattendu vers la transition énergétique. Le pétrole a perdu une valeur qu’il ne retrouvera sans doute jamais, accélérant le mouvement des grands groupes vers les autres sources d’énergie.

C’est le propre des moments d’accélération que de générer de la casse dans certains secteurs et de créer de l’emploi dans d’autres. Les secousses sociales et politiques qui nous attendent à court et moyen terme sont importantes, et il faut absolument en tenir compte. Mais derrière ces difficultés, les choses devraient aller mieux. Je peux évidemment me tromper mais je tire cet argument de l‘observation du passé : nos parents et nos grands-parents ont connu des crises majeures, dont leurs sociétés sont sorties renforcées.

29 octobre 2020

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29 octobre 2020

Turquie : Une caricature d’Erdogan en Une de Charlie Hebdo provoque la colère d’Ankara

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Le dessin montre le président turc en train de boire une bière et de soulever la jupe d’une femme portant le voile

La tension entre Ankara et Paris n’est pas près de retomber. La Turquie a vivement réagi mardi à une caricature de son président à paraître en Une ce mercredi de Charlie Hebdo. Le dessin, diffusé en ligne mardi soir, montre Recep Tayyip Erdogan, en tee-shirt et sous-vêtements, en train de boire une bière et de soulever la jupe d’une femme portant le voile, dévoilant ainsi ses fesses nues.

29 octobre 2020

Jean-Pierre Rouvery Photos et Vidéos from ROUVERY Jean-Pierre on Vimeo.

29 octobre 2020

Des Master Series, voici : Mario Sorrenti

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Mario Sorrenti a joué un rôle important dans la photographie de mode contemporaine depuis son entrée en scène au début des années 1990. Il est surtout connu pour son esthétique sensuelle.

Né à Naples, en Italie, Mario a grandi à New York et, jeune adulte, a rapidement développé un amour pour l’expérimentation de la création d’images principalement à travers la photographie, mais aussi la peinture.

À l’âge de 21 ans, Mario a photographié sa petite amie d’alors Kate Moss et crée des images en noir et blanc soigneusement composées calmes et spontanées . Les images ont été vues par Calvin Klein et sont devenues la célèbre campagne Obsession, lançant sa carrière internationale.

Ses clients commerciaux incluent Calvin Klein, Chanel, Ferragamo, Bulgari, Hugo Boss, Jil Sander, Tom Ford, Dior Beauty, Estée Lauder, Shiseido, Revlon et Yves Saint Laurent.

Mario Sorrenti is represented by art partner www.artpartner.com

The Agents Club, fondé en 2018 par Alexandre et Wanda Orlowski, est une plate-forme mobile unique mettant en vedette les agences de photographie les plus recherchées dans le monde et les exceptionnels créateurs d’images qu’elles représentent, offrant un instantané continuellement mis à jour et hautement organisé du dernier cri de la création visuelle.

www.theagentsclub.com

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28 octobre 2020

Renouer avec mes racines

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Propos recueillis par Claire Steinlen

Au Festival de Deauville, Maïwenn présentait « ADN » (*). Avec ce nouveau film personnel et très émouvant sur la recherche de ses racines et la quête de son identité algérienne, elle poursuit son parcours de - grande - réalisatrice à fleur de peau.

Comment est née l’idée d’« ADN » ?C’est le deuil de mon grand-père. C’est devenu, du jour au lendemain, un bouleversement intersidéral, auquel je me préparais. Je savais que je ne serais plus la même, que je n’aurais plus les mêmes centres d’intérêt, mais je ne m’attendais pas à ce que ça me chamboule autant. J’ai changé d’habitudes, de quotidien. Je me suis mise à regarder les infos tous les jours, comme si c’était la messe. Pour retrouver le quotidien avec eux, comme quand j’étais petite. Mes grands-parents ont toujours été très informés. Le journal de 20 h, ça ne plaisantait pas !Ce n’était pas le cas avec vos parents ?

Non, avec mes parents, je n’avais pas de rituels, pas de débats, aucun repas avec ma mère qui n’était jamais là. Mon père ne regardait pas la télé. J’étais coupée du réel, alors que mon grand-père m’ancrait dans la vie. À sa mort, j’ai eu envie de retrouver des rituels pour me sentir plus proche de lui. Au bout de plusieurs mois, je n’arrivais pas à sortir la tête de l’eau. Ça dépassait sa mort : il avait 93 ans, sa disparition était dans l’ordre des choses. Les gens ne comprenaient pas que je prenne le deuil aussi longtemps.

Cet intérêt pour l’Algérie, cela remonte à loin ?

Je ne me suis jamais posé les bonnes questions sur mes racines. Je connais mieux la Bretagne, d’où vient mon père. De l’Algérie, je ne savais pas grand-chose, j’y ai été beaucoup en vacances. Je ne connaissais pas la différence entre les harkis et le FLN. J’avais honte du peu que je savais.

Et puis l’envie à la mort de votre grand-père ?

J’avais commencé des démarches pour avoir la nationalité. J’attendais ça comme les clefs de la voiture, la liberté enfin qui allait commencer. Dès que j’ai eu mon passeport algérien, j’ai pris un billet pour le lendemain, pour Alger. Je me suis sentie authentiquement chez moi. Je me sentais étrangère, mais chez moi, alors qu’à Paris je ne me sentais pas étrangère mais pas chez moi, vous voyez ?

Votre personnage, Neige, évolue même physiquement dans le film

Oui, je voulais commencer le film avec ce personnage qui se grimait, se surcoiffait et se maquillait à outrance. Elle est obsessionnelle avec son test ADN, parce qu’elle ne sait pas vraiment d’où elle vient, elle n’est pas du tout elle-même. Puis elle évolue, elle quitte ce look outrancier, c’est comme une naissance.

Comment avez-vous travaillé avec Louis Garrel et Fanny Ardant ?

Louis est très drôle, tout le temps. Il improvisait une scène entière à partir de trois lignes de texte. Il est incroyable. Fanny Ardant, c’est une grande actrice, elle donne des choses fortes et généreuses, mais c’est une star, elle est oppressante, il faut que ça aille vite. Je prends les comédiens pour ce qu’ils sont et je leur demande de rentrer à leur manière dans une histoire. L’improvisation est importante.

Il faut un événement particulier pour faire un film ?

Je travaille avec la douleur, je la malaxe, j’en fais un film. Il y a besoin d’une certaine distance pour écrire un film, un minimum de passion avec le sujet. Ça va même plus loin : pour moi, le sujet doit être une question de vie ou de mort.

C’est très autobiographique, cet « ADN » non ?

Je parle de ce que je connais, je ne raconte pas toute ma vie non plus. Je m’inspire de choses que je sens, que je vois, de ce qu’on me raconte aussi… C’est un film sur l’identité.

« ADN » Sortie au cinéma le 28 octobre.

28 octobre 2020

Enquête - Rimbaud au Panthéon, les rimbaldiens se rebellent

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Par Robin Richardot - Le Monde

Une « panthéonade ». C’est ainsi que les fanatiques d’« Une saison en enfer » ont qualifié la proposition de faire entrer Rimbaud et Verlaine au Panthéon. Le rejet fut presque unanime. Un événement en soi tant les rimbaldiens aiment se diviser. Férocement.

L’affaire a fait sourire El País. « C’est une de ces polémiques qu’on ne peut voir qu’en France, mêlant clans irréconciliables, tribunes dans les médias et échanges injurieux », s’amuse le quotidien espagnol le 24 septembre dernier. Alors que le monde traverse une crise sanitaire historique, les Français s’écharpent depuis la rentrée autour de l’éventuelle panthéonisation de deux des plus grands poètes du pays, Arthur Rimbaud (1854-1891) et Paul Verlaine (1844-1896).

Pour être précis, pardon pour Verlaine, c’est surtout sur le cas de l’auteur du Bateau ivre que les esprits s’échauffent. Il y a ceux qui se réjouissent de le voir élevé au rang de grand homme. Et ceux qui s’insurgent contre l’institutionnalisation du rebelle qui a écrit l’essentiel de son œuvre avant 20 ans. Au cœur de cette querelle, selon Frédéric Martel, l’initiateur de la pétition appelant à faire entrer le duo au Panthéon, l’homosexualité dans la vie et l’œuvre du natif de Charleville-Mézières : « Mon intention était de faire émerger cette homophobie que je savais latente chez les rimbaldiens, soutient le journaliste et essayiste. C’est une nouvelle page des études rimbaldiennes qui s’ouvre. »

Au sein des anti-Panthéon, on se défend de nier l’homosexualité de l’auteur, tout en expliquant qu’on ne peut pas réduire le personnage à un porte-drapeau de la cause gay. « En l’état actuel de la recherche rimbaldienne, il est impossible d’affirmer que Rimbaud fut homosexuel toute sa vie », contestent-ils dans une tribune publiée dans Le Monde le 17 septembre. Une réponse qui présage de débats tendus…

Très long carnet d’adresses

Frédéric Martel a l’habitude : en 2019, son livre Sodoma, enquête autour du Vatican, sur l’homosexualité au sein de l’Eglise catholique, avait fait polémique dans de nombreux pays. Pour son nouveau combat, il a convoqué son – très long – carnet d’adresses, et rassemblé une ribambelle de personnalités : aux côtés de l’actuelle comme de tous les anciens ministres de la culture depuis Jack Lang, on trouve les écrivains Annie Ernaux, Alaa Al-Aswany, Daniel Mendelsohn, le metteur en scène et dramaturge Olivier Py, le psychiatre Boris Cyrulnik, le producteur Dominique Besnehard, l’avocat William Bourdon ou des hommes politiques comme Bertrand Delanoë ou Xavier Darcos.

La plupart d’entre eux n’étaient pas particulièrement connus jusque-là pour leur passion pour Rimbaud, contrairement à Frédéric Martel. S’il n’a jamais écrit de livre sur le poète, l’essayiste est l’auteur d’une imposante préface de 70 pages (pour la réédition de la biographie de Jean-Jacques Lefrère, Arthur Rimbaud, en 2020 aux éditions Robert Laffont), intitulée : « Pourquoi nous sommes rimbaldiens ».

Un qualificatif que semble confirmer l’une des étagères de sa bibliothèque, entièrement consacrée à l’auteur. Frédéric Martel liste les ouvrages qui la composent en accompagnant chaque titre d’un petit commentaire : « Celui-ci est une référence », « celui-là est très nul, il ne faut pas le lire ». Au mur, il a encadré trois copies du brouillon d’Une saison en enfer. Ce recueil de poèmes ne quitte d’ailleurs jamais la table de chevet du journaliste. Tout comme cette histoire de Panthéon ne semble plus quitter son esprit. Le quinquagénaire y revient très vite pour adresser un message à ses opposants qu’il n’hésite pas à traiter de « clowns » : « Tous ces gens-là vont passer à la poubelle. »

Milieu plutôt âgé et très masculin

Pas sûr que Frédéric Martel réussisse à coucher Rimbaud aux côtés de Victor Hugo mais il a déjà relevé, malgré lui, un vrai défi : fédérer les plus grands spécialistes du poète, presque tous vent debout contre ce qu’ils qualifient de « panthéonade ». Une union sacrée des plus inattendues car les rimbaldiens ne sont pas vraiment ce qu’on appelle une famille unie.

Objet de recherche inépuisable pour les chercheurs et les écrivains – en France, on compte une petite dizaine d’ouvrages publiés sur Rimbaud rien que depuis cet été, ce qui n’a rien d’inhabituel –, le jeune poète rassemble une foule d’admirateurs inconditionnels et de spécialistes… qui semblent prendre un malin plaisir à se quereller. « Vous vous attaquez à un sujet qui est encore plus crucial que vous ne l’imaginez », nous a prévenus d’emblée Jean-Michel Maulpoix, professeur émérite à la Sorbonne et spécialiste de la poésie contemporaine, quand on lui a fait part de notre envie de nous pencher sur cette tribu.

Si tant est qu’on puisse la qualifier ainsi. Car le petit monde des rimbaldiens est pour le moins… flou. Tout juste peut-on dire qu’il s’agit d’un milieu plutôt âgé et très masculin. Qu’est-ce qu’être rimbaldien ? Les définitions varient selon les experts. Pour certains, tout lecteur assidu des vers du génie français peut revendiquer l’appellation. Nul besoin d’exhiber un titre universitaire. D’autres estiment au contraire qu’elle ne s’offre qu’à ceux qui ont véritablement étudié l’œuvre en profondeur. Les derniers ajouteront qu’il faut aussi se reconnaître « dans l’esprit de Rimbaud », à savoir un tempérament vagabond, audacieux, affranchi. « Mais il n’y a pas de certificat d’authenticité du rimbaldisme », tranche Alain Tourneux.

Degré de fanatisme

Cet homme de 71 ans pourrait pourtant s’en prévaloir : il a été le conservateur du Musée Rimbaud à Charleville-Mézières pendant trente-cinq ans. Seule la retraite a pu l’éloigner de cette bâtisse des bords de la Meuse qui fait face à la maison où Rimbaud a passé son enfance. « Depuis l’âge de 30 ans, j’ai fréquenté le fantôme de Rimbaud tous les jours », plaisante-t-il, toujours d’une voix très calme et ne se départissant jamais de son sourire amical sous sa fine barbe blanche. Mais son amour pour le poète remonte à sa jeunesse, lorsque son père lui a fait découvrir ses vers. Devenu adulte, lui aussi a eu envie de transmettre et de partager cette œuvre unique, jusqu’à être nommé président de l’association Les Amis de Rimbaud il y a quatre ans.

Avant la crise du Covid-19, cette assemblée de 120 membres ayant dépassé depuis longtemps les 17 ans se réunissait tous les troisièmes samedis du mois dans le sixième arrondissement de Paris pour écouter conférences et lectures autour du poète. Parmi eux, les profils les plus divers et même un cinquième d’étrangers, des Européens et des Asiatiques, qui assistent à ces colloques plusieurs fois par an. Preuve que la passion suscitée par le poète n’a pas de frontières.

Elle n’a parfois pas non plus de limites dans l’invective. L’insulte ultime : être taxé de faux rimbaldien. Une attaque que n’ont pas manqué de se renvoyer ces dernières semaines pro et anti-panthéonisation. Sans qu’on sache vraiment ce que cela signifie. Alors, finalement, peut-être faut-il se tourner vers le degré de fanatisme pour mesurer véritablement le rimbaldisme d’un individu.

« CESSANT D’ÊTRE POÈTE, IL EST DEVENU, SOUS LE REGARD ÉRUDIT ET JALOUX DES RIMBALDOLÂTRES UNE STAR, UN EXTRATERRESTRE. SON MYSTÈRE EST DEVENU LA PROIE DE TOUS LES FANTASMES. » JEAN-MICHEL DJIAN, JOURNALISTE

Le rimbaldien se doit évidemment d’être un passionné. Alain Tourneux se souvient avec amusement des admirateurs du poète qui « sortaient des bouteilles de leur sac à dos dans le musée. Ils voulaient boire un verre de rouge avec Rimbaud d’une certaine manière ». Un comportement qu’aurait pu avoir Alain Borer. Poète, romancier, dramaturge, voyageur, professeur d’enseignement artistique aux Beaux-Arts de Tours, ce spécialiste de Rimbaud collectionne autant les métiers que les œuvres de son idole dans sa « rimbaldothèque », au centre de sa maison perdue au fin fond de la Touraine.

L’homme est un sacré personnage bouillonnant d’énergie. Quand nous le rencontrons, il a laissé de côté son tricorne qui couvre généralement son grand front dégarni et ses quelques cheveux rebelles. Mais sa verve, elle, est bien là. Tombé en admiration devant le poète à 17 ans après « le choc du Bateau ivre », il possède près de 8 000 pièces sur le jeune génie, en comptant les ouvrages mais aussi les articles de journaux. De ses malles remplies de livres, il sort une édition originale d’Une saison en enfer, après avoir pris soin d’enfiler des gants en soie pour manipuler cet objet historique.

Borer a même refait à l’identique les voyages africains de l’homme aux semelles de vent et en a profité pour rapporter un fusil vendu par Rimbaud. Pour son entrain extraordinaire, Alain Borer s’était vu qualifier de « rimbaldingue » dans un portrait de Libération en 1983. Louis Aragon parlait d’ailleurs du rimbaldisme « comme d’une drogue » alors que Paul Claudel, qui s’y connaissait en la matière, y voyait presque une nouvelle religion.

« Rimbaud est très vite devenu plus que Rimbaud, plus que sa poésie. Tout de suite sont apparus des “rimbaldolâtres”, écrivait, en 2015, le journaliste Jean-Michel Djian dans un ouvrage titré de ce néologisme. Cessant d’être poète, il est devenu, sous le regard érudit et jaloux des rimbaldolâtres une star, un extraterrestre. Son mystère est devenu la proie de tous les fantasmes. »

Paul Claudel et André Breton

Ces passions exacerbées expliquent souvent les discordes houleuses qui n’ont cessé d’occuper les spécialistes. « Les querelles rimbaldiennes pourraient faire un sujet de thèse, tellement elles sont nombreuses, introduit Alain Borer. Les rimbaldiens, c’est comme les égyptologues, il n’y en a pas deux du même avis. » Autour du poète, tout se transforme en potentiel sujet de controverse. Paul Claudel et André Breton ont montré la voie en bataillant autour d’une lecture catholique de l’œuvre rimbaldienne pour le premier, surréaliste pour le second.

Le rôle de Rimbaud dans la Commune, la date de composition des Illuminations, les recherches de La Chasse spirituelle (un poème disparu de Rimbaud que Verlaine considérait comme un chef-d’œuvre), de vieilles photographies sur lesquelles se trouverait le poète, et même l’idée d’enfermer le génie français dans un musée… les débats et polémiques ne manquent pas dans l’histoire du rimbaldisme. Tant mieux, affirme Jacques Bienvenu, bien connu dans le milieu, qui considère que c’est ainsi que la science progresse. A 70 ans, celui qu’Alain Tourneux surnomme « le Sherlock Holmes de la Rimbaldie » est docteur ès lettres et professeur émérite de… mathématiques.

« JEAN TEULÉ, QUI A ÉCRIT UN BOUQUIN SUR RIMBAUD, NOUS AVAIT PRÉVENUS : “TU VAS VOIR, ILS SONT CINGLÉS”. » GUILLAUME MEURICE, HUMORISTE ET ÉCRIVAIN

Si ses travaux de recherches ont donc avant tout concerné les nombres premiers, cet homme fasciné « par le génie et les mystères autour de la vie » du poète est ce qu’on pourrait appeler un rimbaldien autodidacte. A force d’études poussées à ses heures perdues, il a réussi à imposer son blog, Rimbaud ivre, comme une référence. L’homme s’est d’ailleurs illustré lorsque, dans les années 2010, a éclaté une polémique autour d’un cliché pris à Aden, au Yémen. Certains avaient cru y voir Rimbaud attablé à la terrasse d’un hôtel avec six autres personnes.

Jacques Bienvenu comptait parmi les sceptiques. La bataille a divisé les experts pendant quatre ans. Conclusion : ce n’était pas Rimbaud sur la photo. Pour Jacques Bienvenu, l’essentiel est ailleurs : « Quatre photographies exceptionnelles ont été découvertes à cette occasion. Sans l’émulation soulevée par cette polémique, des recherches sans précédent dans l’iconographie rimbaldienne n’auraient probablement jamais eu lieu. »

Encore aujourd’hui, chaque ouvrage paru sur le poète n’échappe pas à son flot de critiques. Le chroniqueur de France Inter Guillaume Meurice en a fait les frais en 2018, à l’occasion de la sortie de son livre Cosme. L’ouvrage raconte l’histoire vraie de son ami Cosme, un homme lambda au RSA, qui aurait découvert une clé de lecture du mythique poème Voyelles. « Jean Teulé, qui a écrit un bouquin sur Rimbaud, nous avait prévenus : “Tu vas voir, ils sont cinglés” », se rappelle l’humoriste. Forcément, en s’attaquant au poème peut-être le plus énigmatique de Rimbaud, le livre a fait parler de lui. « Je ne m’attendais pas à ce que ça soit aussi violent, admet Guillaume Meurice. Ce n’était pas juste des commentaires pour dire que notre théorie était fantaisiste. Sur des blogs spécialisés, des mecs ont fait des tartines pour dire qu’on était les derniers des connards. »

A l’inverse, l’humoriste se souvient aussi de réactions extrêmement positives. « Cela donnait l’impression d’un plateau de Pascal Praud avec des gens qui se foutent sur la gueule non pas sur le voile, mais sur les vers d’un mec qui est mort il y a plus de cent ans, se marre-t-il. Il y a un peu d’absurde mais aussi de la beauté là-dedans. C’est touchant que des gens soient aussi passionnés. »

Esprits dogmatiques

Auteur d’une biographie de Rimbaud, l’écrivain Jean-Baptiste Baronian se remémore un épisode particulièrement marquant à la Sorbonne il y a deux ans. « Je participais à un colloque et je me suis fait prendre à partie par un autre rimbaldien à la sortie, confie-t-il. Ce professeur d’université m’a insulté devant plusieurs personnes. Il me reprochait de parler de Rimbaud sans appartenir au monde universitaire. »

« Ce sont des esprits assez dogmatiques avec une vision partielle mais définitive d’un écrivain, attaque de son côté l’éditeur Jean-Luc Barré, initiateur, au côté de Frédéric Martel, de la pétition pour la panthéonisation. Rimbaud est si insaisissable que je trouve effarant d’avoir une vision de ce dernier définie à ce point. On a l’impression qu’ils ont élucidé le mystère Rimbaud. Il leur appartient. Eh bien, non ! »

Etre docteur ès lettres n’immunise pas contre les critiques, au contraire. C’est même dans le milieu feutré des facultés que les querelles rimbaldiennes sont à leur comble. Entre jalousie et concurrence, chacun défend son pré carré autour du poète français. Après les clivages entre catholiques et surréalistes, conservateurs et progressistes, une dissension est née entre les spécialistes attachés à la vie de Rimbaud et aux faits et ceux plus intéressés par l’interprétation poétique.

Jongler avec les ego

Chaque camp a son dictionnaire Rimbaud ou sa biographie, dans lesquels ne figurent pas les travaux des rivaux (ou alors ils sont très minimisés). « Si vous regardez la bibliographie de la Pléiade éditée par André Guyaux, il y a des exclusions manifestes », assure Adrien Cavallaro. Fasciné par « le romanesque de sa vie », ce maître de conférences à l’université de Grenoble a fait du poète le sujet de ses études et de sa thèse, « Rimbaud et le rimbaldisme », consacrée aux différentes lectures que l’on a pu faire de Rimbaud depuis le XIXe siècle.

A seulement 36 ans, il s’inscrit dans la nouvelle génération des rimbaldiens. « Comme Rimbaud fascine, les amis ou collègues sont vite impressionnés quand on dit qu’on travaille sur lui, s’amuse-t-il. Ça suscite une forme d’admiration : “Il ose travailler sur Rimbaud”. » Mais auprès de ses confrères rimbaldiens, il a appris à jongler avec les ego. « Si je contacte untel, je fais toujours attention, je regarde qui d’autre a collaboré pour savoir si ça ne va pas déplaire à l’un ou à l’autre », confie-t-il. « Il y a des personnes qu’on n’a jamais pu faire se rencontrer dans des colloques », concède Alain Tourneux. C’est le cas, par exemple, de Jean-Jacques Lefrère et Claude Jeancolas, deux grands rimbaldiens constamment en concurrence.

Aucun des deux n’étaient universitaires. Le premier, décédé en 2015, était médecin. Le second, disparu en 2016, homme de presse et écrivain. « C’était un jeu aussi, suppose le président des Amis de Rimbaud. Claude Jeancolas se précipitait pour écrire une biographie, qu’il écrivait trop vite parce qu’il avait appris que Lefrère était en train d’en produire une. Il était aussi très virulent à son égard. Mais je suis sûr que dans sa bibliothèque, il y avait des ouvrages de Lefrère qui lui étaient bien utiles par ailleurs. »

« ETIEMBLE ET RENÉ CHAR EN SONT VENUS À DES MENACES DE DUEL POUR UNE ÉDITION DES POÈMES DE RIMBAUD OU UNE HISTOIRE DE VIRGULE. » ALAIN BORER, ÉCRIVAIN

Jean-Jacques Lefrère n’était pas plus aimable envers ses confrères. L’auteur d’une biographie de Rimbaud de plus de 1 200 pages (publiée en 2001 chez Fayard) s’en prend sans ménagement à l’éditeur des œuvres complètes de Rimbaud à La Pléiade, André Guyaux, en septembre 2009. Il décrit un ouvrage ayant « peu d’intérêt », « assez bouffon », « un travail assez pathétique ». La réponse d’André Guyaux publiée sur Fabula, un site spécialisé sur la recherche en littérature, est à l’avenant : « J’observe dans son point de vue […] une pointilleuse allergie à la poésie. Dans tout ce qu’il écrit sur Rimbaud, le poète disparaît. […] M. Lefrère est plutôt un amateur de fiches et de fichiers. »

Ce genre de clash s’observe encore aujourd’hui entre Frédéric Martel et Alain Borer. « Borer, c’est Rimbaud pour les nuls, écrit le journaliste de France Culture dans sa préface à la biographie rééditée de Jean-Jacques Lefrère. Un rimbaldolâtre sans talent. Il faut dé-boreriser Rimbaud. » Cette inimitié le pousse même à prendre de nos nouvelles après notre entretien avec son rival dont il a retenu la date : « Vous êtes toujours vivant ou l’ogre vous a dévoré ? »

En face, les mots ne sont pas plus doux. « Je ne vais pas prononcer son nom, cela m’indispose », prévient Alain Borer en début d’interview. Il lui préférera un surnom : « le crotale ». Tous deux s’accordent pourtant sur une chose : malgré ces noms de reptiles, le climat serait plus apaisé que naguère en rimbaldie. « Claudel et Breton s’échangeaient des insultes constamment. A côté d’eux, on est des enfants de chœur », sourit Frédéric Martel. « Etiemble et René Char en sont venus à des menaces de duel pour une édition des poèmes de Rimbaud ou une histoire de virgule », confirme Alain Borer.

Entartage à la chantilly

Si les rimbaldiens ne mettent plus leur vie en jeu, ils ont trouvé de nouvelles armes. Le 20 octobre 2015, Jacques Bienvenu a reçu une tarte à la chantilly dans la figure en pleine conférence à la médiathèque de Charleville-Mézières. « Ça m’a fait une belle publicité », en rigole aujourd’hui le docteur ès lettres. L’entarteur, un certain Patrick Taliercio, était un cinéaste belge présent dans la région pour tourner un film sur le jeune poète.

« Il avait trouvé un article écrit par Rimbaud sous pseudonyme dans un vieux journal à Charleville, resitue Alain Tourneux. Il a vendu ce document, mais pas très cher. Il en voulait peut-être aux rimbaldiens et il s’est vengé en aspergeant de chantilly le premier venu. » Contacté, Patrick Taliercio ne nous aidera pas à comprendre son geste. « Fidèle à la devise royale “never complain ; never explain” et à l’immortel esprit de l’entartage, je ne commente pas mes actes de justice gloupinesques », nous écrit-il.

Autant d’emportements à la mesure de la place particulière qu’occupe la figure de Rimbaud dans la littérature française. « Sa radicalité est toujours là, reconnaît Alain Borer. Il n’y a que lui pour se retrouver au milieu de conflits pareils. » Peut-être parce que l’énigme Rimbaud n’a toujours pas été résolue. Pourquoi tourne-t-il le dos à la poésie avant ses 20 ans ? La question fascine et hante les spécialistes. Tout autant que plusieurs pans de l’œuvre et de la vie de Rimbaud qui comportent encore des zones d’ombre. Chacun cherche donc à combler les trous à coups d’interprétations. Chacun a « son » Rimbaud, voyant dans le poète ce qu’il a envie de voir.

Il a ainsi été brandi dans le passé autant par l’extrême droite de Charles Maurras ou du négationniste Robert Faurisson, obnubilé par les codes ésotériques de l’œuvre, que par les soixante-huitards ou François Mitterrand, soucieux de « changer la vie », en passant par le mouvement d’Emmanuel Macron : le nom même de son mouvement, En marche !, est tiré du poème Mauvais sang (« — En marche ! Ah ! les poumons brûlent, les tempes grondent ! la nuit roule dans mes yeux, par ce soleil ! le cœur… les membres… Où va-t-on ? au combat ? je suis faible ! les autres avancent. »)

Argument touristique

Des analyses parlent aussi d’une « écriture en marche » pour Rimbaud : c’est en marchant qu’il trouvait l’inspiration. Voilà comment l’auteur du Dormeur du val a, peu à peu, été dépassé par son mythe. Le fameux portrait réalisé (en 1871) par Etienne Carjat est même devenu un élément de pop culture, une photographie qu’on affiche en poster dans sa chambre comme celle d’un chanteur.

« Il y a des gens qui se disent rimbaldiens parce qu’ils sont attirés par l’image de Rimbaud, regrette André Guyaux. Parfois je me demande, où est la poésie ? J’ai toujours dit : “Mais lisons-le !” » Et de glisser : « Chez les rimbaldiens, il y a trop de gens qui se laissent dériver vers leurs obsessions ou qui s’en tiennent à une image facile et fausse. Le monde des baudelairiens est d’un meilleur niveau, par exemple. »

« JE SUIS LE PREMIER MAIRE DE DROITE DEPUIS UN SIÈCLE À CHARLEVILLE-MÉZIÈRES, MAIS S’IL Y A UNE CONSTANTE DANS LES POLITIQUES LOCALES, C’EST BIEN CELLE D’INVESTIR DANS LA FIGURE DE RIMBAUD. » BORIS RAVIGNON

Toujours est-il que, pour l’instant, Rimbaud repose tranquillement au cimetière de Charleville-Mézières. Selon Bernard Colin, le gardien des lieux, les curieux sont plus nombreux ces derniers temps sur sa tombe sobre – pas à la hauteur de l’homme, selon les initiateurs de la pétition. Non loin de là se tient une boîte aux lettres, avec le portrait de Rimbaud affiché dessus. Le poète reçoit deux à trois lettres par semaine. « Ses admirateurs lui parlent comme ils parleraient à un psy », sourit Bernard Colin, chargé du relevé.

Le gardien ne pense pas que le jeune génie quittera son cimetière. La ville y est farouchement opposée. Ici, le poète est un argument touristique. « Je suis le premier maire de droite depuis un siècle à Charleville-Mézières, mais s’il y a une constante dans les politiques locales, c’est bien celle d’investir dans la figure de Rimbaud », soutient Boris Ravignon, élu depuis 2014. Chaque année, plus de 20 000 visiteurs se rendent au Musée Rimbaud.

Voudrait-il reposer pour l’éternité dans cette cité des Ardennes qu’il considérait comme « supérieurement idiote entre les petites villes de province » ? Impossible de savoir. Tout comme il est difficile de prédire ce qu’il aurait pensé des conflits qu’il suscite cent vingt-neuf ans après sa mort. « Je ne sais pas s’il en serait content, admet Alain Tourneux. Je pense qu’il aurait envoyé balader tout le monde. Ça l’aurait fait rire. »

Ce qui est sûr, c’est que le poète devrait encore s’inviter dans des tribunes médiatiques ces prochains mois. La ministre de la culture, Roselyne Bachelot, s’est dite favorable à l’entrée de Rimbaud au Panthéon. Mais ce sera à Emmanuel Macron, qui ne s’est pas encore positionné, de trancher. Interrogé par L’Express en 2010 lors de la polémique sur la photo d’Aden, Jean-Jacques Lefrère espérait que la « bataille Rimbaud » continue « pour longtemps encore. Car se battre autour de Rimbaud, finalement, c’est mieux que faire de la politique ou se lamenter de l’état de la planète. Qu’en 2010, il puisse y avoir des polémiques autour de ce poète, n’est-ce pas une note d’espoir ? » Dix ans plus tard, voilà au moins un point sur lequel tous les rimbaldiens sont d’accord.

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