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Jours tranquilles à Paris

29 juin 2020

La lettre politique de Laurent Joffrin - Affaire Fillon : la vérité sort de son puits

Trop sévère, le jugement Fillon ? Chacun en jugera. Mais l’épilogue de l’affaire – provisoire, puisqu’il y aura appel – fait retomber en grande partie le soufflé monté par la droite autour de la procédure. Le tribunal n’a pas trouvé trace convaincante du travail de Penelope Fillon ; les juges ont surtout retenu que l’épouse de François Fillon, sans être ni forcée ni piégée, avait elle-même déclaré, avant l’affaire, qu’elle n’était pas l’assistante parlementaire de son époux, alors même qu’elle en percevait la rémunération. Or, cette déclaration et les forts soupçons sur l’inanité des tâches accomplies étaient sur la place publique dès les premiers jours, révélés par le Canard enchaîné et largement alimentés par les enquêtes de presse subséquentes.

Il est exact de dire que la justice a fait preuve, à l’époque, d’une célérité inhabituelle. Mais cette célérité résultait-elle de pressions politiques, ou bien seulement de la réalité, qui faisait peser de très sérieux doutes sur la substance des fonctions de Penelope Fillon ? Dans le premier cas, il y aurait lieu à scandale. Mais les «pressions» dont parlait la cheffe du parquet financier, Eliane Houlette, devant une commission parlementaire, n’étaient pas politiques, a-t-elle aussitôt précisé.

Si elle dit vrai (rien ne prouve le contraire), la question de la procédure à appliquer se posait tout naturellement. Plutôt que de poursuivre l’enquête préliminaire, secrète, à la discrétion des enquêteurs, il a été décidé de nommer un juge d’instruction indépendant. Chose inévitable dès lors que les soupçons sont manifestes, documentés, étayés. A tel point, d’ailleurs, que les défenseurs de François Fillon l’avaient demandé eux-mêmes, de manière à avoir accès au dossier.

Ainsi, le cas Fillon a d’abord été instruit par un juge indépendant. Il a été renvoyé au tribunal à la suite d’une décision argumentée. Il a débouché, au terme du procès, sur une condamnation prononcée par d’autres juges indépendants, qui confirment lesdits soupçons, et valident du même coup, rétrospectivement, la procédure choisie (il y avait effectivement lieu d’instruire).

Tout le reste, il faut bien le dire, relève de la mousse médiatique. A moins, bien sûr, de soutenir qu’un homme politique en campagne doive être, par définition, exempt de toute poursuite jusqu’au scrutin, ce qui n’est écrit dans aucune loi. Si les juges, d’ailleurs, avaient opté pour cette position, on aurait pu ensuite leur reprocher d’être restés inertes. Ils auraient laissé élire sans rien faire un candidat sérieusement soupçonné, dont l’élection aurait ensuite repoussé aux calendes grecques la comparution devant la justice. Trop vite d’un côté, trop lentement de l’autre. Les juges étaient devant un dilemme, naviguant entre Charybde et Scylla. Ils ont choisi la rapidité. La plupart du temps, on leur reproche leur lenteur…

LAURENT JOFFRIN

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29 juin 2020

A Paris, la victoire d’Anne Hidalgo, la déroute d’Agnès Buzyn

hidalgo

Par Denis Cosnard - Le Monde

La maire socialiste a été largement réélue à la tête de la capitale. Sa rivale, Rachida Dati, sauve l’honneur de la droite, tandis que la candidate macroniste n’est même pas élue au Conseil de Paris.

Il est 21 heures, ce dimanche soir 28 juin, et soudain, les premières estimations tombent sur l’écran allumé dans l’immense bureau d’Anne Hidalgo, où elle a réuni son équipe : la maire socialiste de Paris est réélue. Et haut la main, avec près de 49 % des voix, alors que Rachida Dati (Les Républicains, LR) doit se contenter de moins de 34 %, et Agnès Buzyn (La République en marche, LRM) de 13 %. Les applaudissements fusent. Le bureau s’emplit de fidèles, de compagnons de route. Anne Hidalgo donne l’accolade à chacun.

Jusqu’au dernier jour, elle qui est si superstitieuse n’avait pas voulu crier victoire. A présent, quelques larmes coulent. Au terme de cette si longue campagne, « Je pense à mon père », mort en mars 2019, confie la maire quelques minutes plus tard devant ses partisans réunis sur le parvis de l’Hôtel de ville. « Arrivé en France avec la République en idéal, il voulait que ses filles le réalisent. Je crois qu’il serait heureux aujourd’hui. »

De l’autre côté de la Seine, au quartier général de La République en marche (LRM), boulevard du Montparnasse, l’ambiance est toute autre. Sépulcrale. Un an et demi plus tôt, le parti présidentiel s’imaginait faire tomber Anne Hidalgo comme un fruit mûr. Mais ce 28 juin, les résultats qui arrivent peu à peu se révèlent encore plus catastrophiques que les dernières prévisions, et les pizzas ont du mal à passer.

Agnès Buzyn elle-même ne récolte qu’un piteux 13 % des suffrages dans le 17e, l’arrondissement où elle se présentait. Non seulement elle n’est pas élue maire, mais elle n’entre même pas au Conseil de Paris. Elle qui, quelques jours plus tôt, se voyait au moins diriger l’opposition à Anne Hidalgo, et la remplacer au bout de son mandat, en 2026… Son porte-parole Gaspard Gantzer, ancien conseiller de François Hollande, est aussi éliminé. De même que la maire sortante du 20e, Frédérique Calandra, une ex-socialiste passée à LRM. Devant les caméras, l’ancienne ministre de la santé « prend acte » des résultats et se dit malgré tout « fière d’avoir porté la voix de la majorité présidentielle ». A ses côtés, ses lieutenants ont des mines d’enterrement.

Folle élection, incroyable succession de rebondissements

Une ample victoire pour Anne Hidalgo, une gigantesque déroute pour Agnès Buzyn, et, pour Rachida Dati, un échec relatif qui laisse bien des espoirs. A l’issue d’une incroyable succession de rebondissements, la folle élection municipale parisienne a abouti au résultat inverse de celui prédit par beaucoup lorsque la précampagne a débuté.

Plusieurs fois donnée politiquement morte, notamment en 2018, avec la polémique autour des voies sur berges, le fiasco de Vélib et d’Autolib, et la spectaculaire démission de son premier adjoint, Anne Hidalgo se retrouve confortée comme jamais. Avec 96 élus sur 163, elle disposera d’une très solide majorité au Conseil de Paris. Elle garde les mairies d’arrondissement qu’elle contrôlait, et obtient celle du nouveau secteur Centre, qui regroupe les quatre premiers arrondissements.

Clairement, son positionnement social et de plus en plus écologiste a convaincu, notamment parmi les jeunes. Au fil des années et des crises, elle s’est forgé une image de guerrière de l’environnement, parfois rigide, mais fidèle à ses valeurs. Une dure à cuire qui a eu raison avant les autres sur l’urgence climatique, estime-t-on à gauche. « Vous avez choisi un Paris qui respire », a-t-elle encore déclaré dimanche soir.

Ces dernières semaines, la socialiste rêvait de faire basculer deux arrondissements supplémentaires, le 5e et le 9e. Les deux sont restés aux mains de leurs maires sortantes, des ex-LR ralliées à LRM. Dans le 5e, au quartier latin, Florence Berthout, qui avait fusionné sa liste avec celle de ses anciens amis LR, a été réélue avec 51,9 % des voix. « C’est un arrondissement qui vote à gauche à toutes les élections, sauf aux municipales, se désole Marie-Christine Lemardeley, la candidate d’Anne Hidalgo sur place. Si nous n’avons pas gagné cette fois-ci, alors que la dynamique était très positive, je crains que nous n’y arrivions jamais… » Dans le 9e, Delphine Bürkli, qui avait fait passer cet arrondissement à droite en 2014, est parvenue à le garder, à la faveur d’une triangulaire.

Bilan calamiteux pour Macron

« Nous avons conservé nos deux mairies », s’est réjouie Agnès Buzyn, en oubliant celle du 20e et en faisant comme s’il était sûr que Florence Berthout reste un soutien de la majorité présidentielle. Malgré ces succès locaux, le bilan est calamiteux pour Emmanuel Macron. « Nous devons gagner Paris, c’est capital », affirmaient les stratèges macronistes il y a un an, en s’appuyant sur les excellents scores du parti aux élections législatives et européennes.

La dissidence de Cédric Villani, la campagne laborieuse de Benjamin Griveaux, sa démission forcée puis les maladresses et les hésitations d’Agnès Buzyn ont eu raison de ces espoirs. Les macronistes ne compteront pas dix élus au conseil municipal. A peine de quoi constituer un groupe. Quant à Cédric Villani, qui s’était maintenu dans le 14e arrondissement, lui aussi reste à la porte du conseil. Malgré les vœux d’Emmanuel Macron, le clivage droite-gauche domine plus que jamais la vie politique dans la plus grande ville de France.

La plus critique à l’égard de cette déroute est Rachida Dati. « Le changement était possible à Paris », a affirmé dimanche soir l’ex-ministre sarkozyste. Mais il aurait fallu pour cela une alliance entre LR et LRM, comme dans d’autres villes. En refusant un tel accord, les macronistes ont mis en œuvre une « stratégie d’échec », juge Rachida Dati : « La République en marche a préféré la victoire d’Anne Hidalgo, dont elle avait pourtant critiqué le bilan pendant des mois. »

La maire du 7e ne peut pour sa part que se féliciter la campagne à droite toute qu’elle a menée. En critiquant sans cesse la saleté des rues et l’insécurité à Paris, elle a mobilisé avec efficacité l’électorat traditionnel de la droite parisienne, et ressoudé son camp. Il restait à peine vingt-cinq élus LR au Conseil de Paris au début de la campagne. Ils seront un peu moins de 60 dans le nouvel Hémicycle. Elle sera ainsi sans conteste la vraie meneuse de l’opposition à Anne Hidalgo.

29 juin 2020

Carnac - une villa

carnac villa

29 juin 2020

Municipales 2020 : une vague verte historique déferle sur les grandes villes françaises

Par Abel Mestre - Le Monde

En gagnant à Lyon, Bordeaux, Strasbourg, Poitiers ou Grenoble, et en participant à la victoire à Paris ou Marseille, les écologistes s’imposent comme une force politique de premier plan.

C’est une bascule historique. Europe Ecologie-Les Verts (EELV) n’est plus le même parti après le second tour des élections municipales, le 28 juin. Petite structure de quatre salariés, sans député à l’Assemblée nationale, EELV a ravi plusieurs grandes villes, devenant ainsi une force majeure de l’opposition au président de la République Emmanuel Macron. Les écologistes gagnent – seuls ou à la tête de coalitions – des communes comme Lyon, Bordeaux, Strasbourg, Poitiers, Besançon, Annecy ou encore Colombes (Hauts-de-Seine).

Ils gardent Grenoble et participent à la victoire à Paris, Montpellier ou encore à Marseille où la situation reste encore un peu floue pour le « troisième tour », l’élection du maire par les conseillers municipaux. Toutes ces villes devront être les vitrines de cette écologie politique qui est entrée dans sa phase de maturité, qui n’a plus peur de dire qu’elle veut le pouvoir et l’exercer.

« Cela ressemble aux municipales de 1977 [gagnées par la gauche et qui préfiguraient la victoire de François Mitterrand en 1981]. Malgré les coalitions anti-climat, malgré les insultes dans la campagne, les maires écologistes sont réélus et de nouvelles victoires permettent à l’écologie de s’ancrer durablement dans les territoires, dans de nombreuses villes et grandes métropoles. Mais aussi dans de nombreux villages et quartiers populaires, sur lesquels l’attention se porte moins : Schiltigheim [Bas-Rhin], Bègles [Gironde], Arcueil [Val-de-Marne]… », se félicite Julien Bayou, secrétaire national d’EELV.

« Un tournant politique pour notre pays »

Yannick Jadot, député européen et homme fort des Verts, abonde : « C’est un tournant politique pour notre pays. Le paysage se recompose autour de l’écologie, d’un projet riche. C’est une réaction à l’impuissance et aux non-choix du gouvernement sur les questions écologiques et sociales, à la verticalité de son pouvoir. »

Malgré une abstention record, cette vague verte était pressentie après les bons résultats du premier tour des élections municipales le 15 mars. L’interruption due à l’épidémie du coronavirus et le confinement auraient pu casser l’élan écologiste. Il n’en a rien été, au contraire.

« La grille de lecture de l’épidémie s’est faite autour de l’écologie, avec les questionnements autour de nos modes de vie et de consommation qui mettent à trop rudes épreuves nos écosystèmes », décrypte Jérôme Fourquet, directeur du département opinion de l’IFOP et coauteur avec Marie Gariazzo, Gaspard Jaboulay, François Kraus et Sarah Wolber du livre En immersion, enquête sur une société confinée (Seuil). Il ajoute : « Le confinement a été un accélérateur. Les gens demandent du localisme, une baisse de la consommation frénétique. Cette période a renforcé les thèmes d’EELV. »

L’aboutissement d’un chemin politique et stratégique

Ces résultats sont aussi l’aboutissement d’un chemin politique et stratégique, entamé après l’élection présidentielle de 2017 où le candidat écologiste, Yannick Jadot, s’était retiré au profit de Benoît Hamon. Avaient suivi des législatives calamiteuses. Au creux de la vague, EELV avait, sous la direction de David Cormand, alors patron des Verts, suivi M. Jadot dans sa volonté d’autonomie en présentant une liste EELV aux élections européennes. Les écologistes avaient créé la surprise avec 13,5 % des voix et une troisième position derrière le Rassemblement national (RN) et La République en marche (LRM). Cette année, il s’agissait de confirmer et d’amplifier ce mouvement. C’est chose faite dimanche soir. « On a fait un travail de respectabilité, on n’a pas transigé avec le fond », se félicite un membre de la direction.

« On sort de nos zones de confort, on est capable de gagner dans des fiefs de gauche comme à Poitiers, mais aussi d’être la force propulsive pour battre LR et LRM comme à Bordeaux ou Lyon, note David Cormand. On devient une valeur refuge pour les électeurs En Marche ! qui ont rompu avec Macron, mais aussi pour un électorat de gauche qui voit que le récit social-démocrate classique est obsolète, intenable. Notre récit prend le pas sur la gauche productiviste. »

Car les résultats de dimanche rebattent les cartes à gauche. Le Parti communiste durablement affaibli par de nombreuses pertes de bastions (Saint-Denis, Aubervilliers, Choisy-le-Roi, Champigny-sur-Marne en banlieue parisienne, mais aussi Arles ou encore Saint-Pierre-des-Corps en Indre-et-Loire) et la quasi-absence de La France insoumise lors de ce scrutin laissent les écolos en tête-à-tête avec le Parti socialiste. Avec la razzia verte, une inversion du rapport de force est en train de se mettre en place. Les écologistes devenant la force principale, non pas par le poids de leur appareil, mais en imposant leurs thèmes.

« La question n’est pas celle de la concurrence avec le PS, confirme M. Jadot. L’alternance se fait autour de l’écologie. Là où l’on gagne, c’est avec des rassemblements larges, avec des projets qui ont trois pieds, l’écologie, la solidarité et la démocratie. Notre responsabilité est de rassembler autour de ce projet. » En clair : pas question pour EELV de chercher à être hégémonique et à froisser les camarades socialistes. L’élection municipale de cette année a pu ainsi être une sorte de répétition générale ayant permis de tester la formule gagnante puisque les Verts ont été à la tête de nombreuses coalitions, le PS acceptant de se retrouver derrière EELV. Un tel schéma pourrait très facilement se décliner lors de la présidentielle de 2022 avec un candidat écologiste soutenu par le PS.

« Le projet est plus important que les personnes »

Pour Sandra Regol, numéro deux d’EELV, il y a, en tout cas, de quoi espérer : « Le clivage politique se fait désormais autour du paradigme écologiste. Le projet est plus important que les personnes. Ce qui a gagné le 28 juin, ce sont des listes qui travaillent transversalement, avec les citoyens. Il y a une volonté de changement, c’est plus large qu’EELV. » Julien Bayou résume : « C’est l’écologie qui a le leadership, pas EELV. »

La position de force des écologistes et de leurs thèmes va également avoir des conséquences sur la politique du gouvernement. Dès l’annonce des résultats, les ténors Verts en ont profité pour demander à l’exécutif de transcrire en acte les propositions de la convention citoyenne pour le climat. L’Elysée a fait savoir que le chef de l’Etat apporterait des « réponses fortes » et « à la hauteur des enjeux et des attentes » en recevant lundi 29 juin les membres de la convention.

29 juin 2020

Elections Municipales

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29 juin 2020

Escales photos maintenues en baie de Quiberon

Erwan Amice, plongeur et photographe bellilois, s’intéresse à l’acoustique sous-marine.

Le festival Mor braz accroche depuis sept ans des photos grands formats dans des communes de la baie de Quiberon. Malgré la pandémie, tout est maintenu. « On présente trois nouvelles expositions et quatre nouveaux photographes », précise Xavier Dubois, cofondateur et directeur artistique de ce festival.

Cette année, on verra au total deux cent soixante photos à travers treize expositions pour raconter le territoire. « Ce qui nous intéresse, ce sont des thématiques d’activités et de préservation de la région, des portraits de ses acteurs… »

Nouvelles expositions

A Locmariaquer, on verra Pôle sensible, qui regroupe des photos réalisées en 1908 par Louis Gain, embarqué sur le Pourquoi Pas du commandant Charcot, et celles de Xavier Bosher, lors d’une expédition en Antartique sur les traces de Charcot, en 2008. Avec des clichés en stéréoscopie. Un hommage à ces explorateurs visionnaires.

A Plouharnel, ce sera Skiant ar mor (Sciences de la mer) d’Erwan Amice, originaire de Belle-Ile. Marin, plongeur, membre du Centre national de recherche scientifique et photographe spécialiste de la faune et de la flore sous-marines, il s’intéresse à la bio-acoustique. « Il a un système pour capter le son des araignées de mer. Une bande-son sera mise en ligne, accessible par un flash code. » Il est aussi question des coquilles Saint-Jacques et des bancs de maërl.

De bons retours

Enfin, à La Trinité-sur-Mer, c’est un coup de projecteur sur le confinement local qui sera proposé avec les images de Xavier Dubois et des vues par drône de Christophe Le Potier dans Co-vide (Ouest-France du 4 juin). « On a régulièrement de bons retours, constate, satisfait, Xavier Dubois. Nous allons organiser des visites avec des photographes cet été. Les dates seront actualisées sur le site web du festival. »

Du 1er juillet au 31 octobre, à Locmariaquer, à Plouharnel, à La Trinité-sur-Mer, à Palais, à Houat et à Hoëdic. En plein air, accès libre. Site : www.festival-escales-photos.fr

29 juin 2020

Fanny Müller

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29 juin 2020

Décryptages - Entre référendum et plébiscite, le vote sur mesure orchestré par Vladimir Poutine

Par Benoît Vitkine, Moscou, correspondant

En pleine épidémie, le président russe organise une consultation à partir de jeudi. La réforme constitutionnelle soumise au vote renforce ses prérogatives et pourra lui permettre de se maintenir au pouvoir après 2024.

C’est un exercice inédit et étrange qui se déroule en Russie à partir de jeudi 25 juin : un référendum qui refuse de s’assumer comme tel, un plébiscite dont le héros avance masqué. Les mesures prises face au coronavirus, comme l’étalement du vote sur une semaine, font craindre des manipulations supplémentaires. Et au bout du processus, le 1er juillet, la réforme constitutionnelle offrant le droit à Vladimir Poutine de rester au pouvoir devrait être entérinée sans accroc.

L’initiative d’une réforme de la Constitution de 1993 a été prise par M. Poutine lui-même, le 15 janvier, au nom des « changements » réclamés selon lui par le peuple russe. La manœuvre a été menée à très grande vitesse, et les changements constitutionnels adoptés définitivement à la Douma moins de deux mois plus tard. La mesure la plus importante a même été ajoutée au texte quelques heures seulement avant le vote des députés : elle permet à l’actuel président, au pouvoir depuis 2000, d’y rester après 2024, ce qui lui était théoriquement interdit. En vertu du texte, ses mandats passés sont en effet remis à zéro et il peut effectuer deux nouveaux mandats consécutifs, hypothèse qu’il avait formellement exclue à plusieurs reprises ces dernières années.

Le processus devait être entériné par un « vote populaire » initialement prévu le 22 avril. Celui-ci a été reporté au 1er juillet à cause de l’épidémie de Covid-19. Et face à la situation sanitaire toujours préoccupante, les opérations de vote sont étalées sur une semaine, à partir du 25 juin.

Dès le début, les officiels ont soigneusement évité le terme de « référendum », préférant tourner autour du champ lexical de la consultation. Une telle procédure existe pourtant dans le droit russe et elle s’applique à une modification de la Constitution. Mais l’exercice est très encadré : il définit précisément la façon dont la campagne doit être menée, son financement, la présence d’observateurs indépendants, les peines prévues pour les violations… La formule choisie, celle d’un « vote populaire », est bien moins contraignante.

Quarante-six amendements constitutionnels sont mis au vote, et les électeurs devront dire oui ou non à l’ensemble. La présidente de la commission électorale a comparé cela à un « menu complet », dans lequel « on ne peut pas séparer le bortsch et les boulettes ».

« Campagne d’information » massive et orientée

De fait, les sujets abordés sont variés. On distingue d’abord un bloc institutionnel, qui renforce considérablement les pouvoirs du président, en plaçant le judiciaire et la « gestion générale du gouvernement » sous le contrôle du Kremlin, de même que la nomination des ministères stratégiques. En janvier, Vladimir Poutine avait pourtant lancé la réforme en promettant d’augmenter les pouvoirs… du Parlement.

Un deuxième bloc comprend des mesures avant tout symboliques, d’inspiration conservatrice et nationaliste, qui gravent dans le marbre l’héritage politique et idéologique de M. Poutine. Y figurent, pêle-mêle : la définition de la famille comme l’union d’un homme et d’une femme, la protection de la « vérité historique », l’inscription des « enfants comme priorité de la politique » russe, l’interdiction de la double nationalité pour les fonctionnaires… Dernier bloc, quelques mesures sociales, symboliques elles aussi, comme l’indexation annuelle des retraites à l’inflation.

poutine désacralisé

Officiellement neutres, les autorités ont conduit une « campagne d’information » massive et surtout très orientée, clairement, en faveur du oui. De façon frappante, les sujets institutionnels ont été largement occultés dans cette communication. A la place, ce sont les thématiques les plus symboliques qui ont été mises en avant, avec des mots d’ordre tels que : « défendons la mémoire de nos ancêtres », « sauvegardons la langue russe », « protégeons les droits des animaux », « défendons la famille »…

Dans sa première version, le site officiel consacré au scrutin avait même « oublié » de mentionner la remise à zéro des mandats présidentiels parmi les points soumis au vote. Résultat, le plébiscite prévu s’opère de manière détournée, comme gênée. A la télévision, les hommes du président évoquent en termes vagues la nécessaire « stabilité » dans un monde troublé…

Renforcer l’autorité de Poutine avant une transition

Vladimir Poutine a finalement abordé lui-même le sujet, dans une interview à la première chaîne de télévision, diffusée le 21 juin. Le président, 67 ans, a ainsi dit « ne pas exclure » de se représenter en 2024, voulant « éviter que tout le monde soit occupé à chercher des successeurs au lieu de travailler ». De fait, l’avenir de M. Poutine n’est pas réellement éclairci par ce référendum : pour de nombreux observateurs, il ne s’agit pas nécessairement pour lui de s’accrocher au pouvoir jusqu’en 2036, mais de renforcer son autorité avant d’engager – peut-être – une transition.

Mardi soir, à l’avant-veille du vote, le président est de nouveau apparu à la télévision, mais a expédié le sujet en une phrase, évoquant un choix pour « le développement à long terme » de la Russie. Il a surtout annoncé de nouvelles dépenses publiques, avec des primes pour les familles ou des constructions d’infrastructures, mais aussi l’augmentation des impôts des plus riches.

Au sein de l’opposition, seuls les communistes, parmi les partis autorisés et représentés au Parlement, se sont dits opposés la réforme. Leur chef, Guennadi Ziouganov, a notamment estimé que le président aurait désormais « plus de pouvoirs que le pharaon, le tsar ou le secrétaire général [du Parti communiste de l’URSS] ». Ils ne mènent toutefois pas une campagne active. L’opposition libérale, elle, est divisée. Pendant que certaines figures appellent à voter non, d’autres, à commencer par Alexeï Navalny, préfèrent une stratégie de boycottage.

Le scrutin a été adapté pour faire face à la situation sanitaire, avec notamment l’étalement des opérations de vote sur une semaine. Toutes les heures, les bureaux de vote seront désinfectés et les urnes laissées sans surveillance, selon l’ONG de supervision électorale Golos. La procédure de vote à domicile a été simplifiée à l’extrême, et le vote électronique est permis à Moscou et Nijni-Novgorod.

« Poutine a annulé l’épidémie pour permettre le vote »

Pour autant, la situation épidémiologique reste problématique, avec 7 425 nouveaux cas de Covid-19 (plus de 599 075 au total) mardi 23 juin. Dans plusieurs régions, l’épidémie est encore en progression. Et même à Moscou, où elle est stabilisée, le maire, Sergueï Sobianine, appelait encore la population à ne pas sortir, le 24 juin, pour le défilé militaire organisé dans la capitale. M. Sobianine, qui prévenait fin mai que les restrictions pourraient durer des mois, les a levées du jour au lendemain, le 8 juin. La Nezavissimaïa Gazeta, journal pourtant très loyal au pouvoir, résumait alors le sentiment général : « Poutine a annulé l’épidémie pour permettre le vote. »

Du côté du Kremlin, la préoccupation première semble être d’obtenir une participation la plus importante possible. L’organisation du défilé, tout comme la réouverture des cafés ou des parcs, devait remonter le moral des Russes, mis à mal par la crise sanitaire et plus encore par les difficultés économiques. En février, Moscou demandait déjà aux gouverneurs d’organiser le scrutin « dans un climat de fête ». Nombre d’entre eux ont entendu la consigne de manière extensive, ne se limitant pas aux traditionnelles animations ou distributions de sandwiches à proximité des bureaux de vote.

Dans de nombreuses régions, des loteries sont ainsi organisées pour les participants au vote. A Krasnoïarsk, dix appartements, dix voitures et cinquante smartphones sont en jeu. Ailleurs, ce sont des bons de réduction, des places de cinéma… Des cadeaux seront également distribués (130 millions d’euros provisionnés par la ville de Moscou). Dans le cas d’un référendum formel, ces pratiques auraient pu être associées à des achats de voix.

Selon un sondage de l’institut VTsiOM, seulement 42 % des Russes croient à un scrutin honnête et feront confiance aux résultats. Les observateurs habituellement présents lors des élections traditionnelles – ceux mandatés par les partis politiques – ne sont pas admis dans les bureaux de vote sans l’accord des autorités locales. Le vote sera aussi possible avec une simple signature, sans l’inscription du numéro de passeport, ce qui pourrait permettre des falsifications lors du dépouillement.

Mais là, encore, c’est surtout autour de la participation que se cristallisent les craintes. Dès avant le vote, de nombreux témoignages sont apparus dans la presse faisant état d’une forte pression mise sur les fonctionnaires pour les obliger à voter, sous peine de sanctions ou de licenciement. Le Monde a entendu des récits similaires venant d’enseignants, sommés d’envoyer la copie de leur inscription au vote en ligne. La pratique concerne aussi les nombreuses entreprises publiques et parapubliques. Certains fonctionnaires ont dû donner les coordonnées de leurs proches ou promettre de mobiliser trois à dix électeurs.

A Moscou, la chaîne Dojd a publié des documents montrant que des retraités avaient été inscrits sans leur consentement sur la plate-forme de services en ligne de la ville, aussi utilisée pour le vote. Selon la chaîne, les intermédiaires chargés de ces inscriptions reçoivent 75 roubles (1 euro) par compte créé, et 50 roubles pour le vote correspondant.

29 juin 2020

La une du Télégramme

telegramme auray

29 juin 2020

Enquête - « Racisé », « racisme d’Etat », « décolonial », « privilège blanc » : les mots neufs de l’antiracisme

Par Marc-Olivier Bherer, Anne Chemin, Séverine Kodjo-Grandvaux, Julia Pascual

Les notions de référence des collectifs politiques apparus dans les années 2000 et luttant contre les discriminations raciales ne sont plus celles des années 1990. Ces mouvements ­insistent sur le poids de l’héritage ­colonial et sur le caractère « systémique » des discriminations.

Depuis une vingtaine d’années, un nouveau lexique s’est imposé dans le monde de l’antiracisme. « Privilège blanc », « personne racisée », « pensée décoloniale », « racisme d’Etat » : ces termes couramment employés par les collectifs militants de l’antiracisme « politique » nés dans les quartiers populaires à partir des années 2000 ne cessent d’engendrer d’ardentes controverses. Au nom de l’universalisme républicain, nombre d’intellectuels dénoncent cette « racialisation » et cette « essentialisation » du débat public.

Le vocabulaire politique de ces nouveaux militants renvoie à une évolution de la conception du racisme. Les mouvements antiracistes « traditionnels », qu’il s’agisse de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) ou de SOS Racisme, défendent une « conception individuelle et morale du racisme », rappellent les chercheurs Fabrice Dhume, Xavier Dunezat, Camille Gourdeau et Aude Rabaud dans Du racisme d’Etat en France ? (Le Bord de l’eau, 200 p., 20 euros) : il serait le fait d’« acteurs déviants, isolés, adhérant à la doctrine raciste et/ou portés par une idéologie violente ». Pour les combattre, il faudrait donc sanctionner leurs débordements et changer leurs mentalités.

Tout autre est la vision des collectifs de l’antiracisme « politique » apparus il y a une vingtaine d’années. Pour le comité La Vérité pour Adama, comme pour nombre de mouvements nés en banlieue dans le sillage des émeutes de 2005, l’héritage colonial irrigue profondément, aujourd’hui encore, la société française et ses institutions.

Plutôt que de dénoncer les dérives individuelles de quelques militants nourris d’idéologie raciste, ces associations accusent l’Etat, sa police, son administration et son école de distribuer inégalement les places et les richesses – sans que ses agents affichent pour autant des convictions ouvertement « racistes ».

Cet antiracisme « politique » renoue avec la pensée de Frantz Fanon (1925-1961), qui récusait, en 1956, « l’habitude de considérer le racisme comme une disposition de l’esprit, comme une tare psychologique » : il s’agit plutôt, écrivait-il, d’« une disposition inscrite dans un système déterminé ». C’est ce que proclament, soixante ans plus tard, les collectifs de jeunes « racisés » : ils affirment subir, à l’école comme dans leurs relations avec la police, un racisme « systémique » diffus, souvent discret, dont les personnes « blanches » n’ont pas toujours conscience – c’est pour cette raison qu’ils plaident parfois pour des réunions « non mixtes ».

Quelle est l’histoire de ces termes contestés utilisés par ces nouveaux mouvements antiracistes ? Viennent-ils vraiment des Etats-Unis, comme l’affirment leurs adversaires ? Ont-ils les mêmes significations et les mêmes résonances dans le monde militant, le monde politique et le monde académique ? Parce que le vocabulaire de la sociologie du racisme est « complexe et non stabilisé », selon l’expression de Fabrice Dhume, Xavier Dunezat, Camille Gourdeau et Aude Rabaud, il n’est pas toujours aisé de répondre à ces questions. Il n’est cependant pas interdit de tenter.

Le mot « racisé » n’a pas encore fait son entrée dans le dictionnaire, mais il est courant de l’entendre dans les débats actuels sur le racisme. Certains s’en réclament, d’autres le conspuent. « Il n’y a pas de race dans la police, pas plus que de racisés ou d’oppresseurs racistes », écrivait ainsi le préfet de police de Paris, Didier Lallement, dans un mail de soutien adressé le 2 juin aux 27 500 fonctionnaires de police de l’agglomération alors que les rassemblements contre les violences policières se multipliaient.

Avant d’être un objet de controverse politique, le terme racisé a été un outil au service des sciences sociales. Sa première occurrence apparaît, en France, sous la plume de la sociologue Colette Guillaumin : en 1972, dans L’Idéologie raciste. Genèse et langage actuel (Mouton, réédition Gallimard, « Folio essai », 2002), elle emploie le mot « racisation » pour désigner une assignation qui entraîne des discriminations, des préjugés et des inégalités. « Colette Guillaumin essayait de repérer des effets de domination au-delà des effets de classe », souligne Magali Bessone, professeure de philosophie politique à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne.

Contrairement au terme race, qui renvoie à des données prétendument naturelles et immuables, le terme « racisé » évoque une construction sociale et politique.

« Colette Guillaumin parle de racisation pour saisir le phénomène de production de groupes sociaux spécifiques, contextuels, relatifs les uns aux autres, hiérarchisés, poursuit Magali Bessone. Ces groupes sont repérés par deux caractéristiques : une apparence physique réelle ou fantasmée et une filiation ou une généalogie réelle ou fantasmée. » « Colette Guillaumin montre que, même si les races ont disparu, elles peuvent continuer à exister dans la tête des gens, appuie la politiste Nonna Mayer. Raciser, c’est réduire l’autre à ses traits, sa religion ou sa couleur de peau… »

D’abord outil du champ universitaire, le terme a été repris, au cours des vingt dernières années, par les milieux militants. « On a vu apparaître des mouvements antiracistes qui s’emparaient de leur assignation, explique la philosophe Magali Bessone. Dire qu’on est racisé, c’est dire qu’il y a un problème de discrimination et d’inégalité dans l’accès à certaines ressources comme le logement, l’université ou l’emploi. C’est dire aussi qu’il y a un problème de stigmatisation. Les militants antiracistes qui revendiquent leur appartenance à des groupes racisés revendiquent un positionnement social. »

Ce vocabulaire est repris en 2005 lors de la création de deux organisations : le Conseil représentatif des associations noires (CRAN) et le Parti des indigènes de la République.

« Au moment de la révolte des banlieues, en 2005, la question raciale se cristallise, relate Eric Fassin, sociologue à l’université Paris-VIII (Vincennes - Saint-Denis). Ensuite, dans les années 2010, le mot “racisé” rencontre un succès social lié au durcissement de cette racialisation en France. Il permet la revendication d’une identité politique fondée sur une expérience partagée de la discrimination qui n’implique pas forcément une communauté d’origine, de culture ni même de couleur. »

Ce mouvement conteste l’antiracisme historique de la Licra ou de SOS Racisme qui « apparaît éloigné de l’expérience des jeunes victimes de racisme, parce qu’il est généralement porté par des militants blancs, plutôt vieillissants et assez rarement issus des classes populaires », observe Eric Fassin. Mais certains voient dans cette dynamique un renoncement à l’universalisme, voire une tentation « communautariste » ou « différentialiste ».

Dans l’Express du 18 juin, la philosophe Elisabeth Badinter fustige ainsi ce « crachat à la figure des hommes des Lumières ». « La race partout ! Je pense que c’est la naissance d’un nouveau racisme », affirme-t-elle.

De virulentes polémiques ont ainsi visé, en 2016, les groupes de réflexion en « non-mixité racisée » de Paris-VIII, ou le camp d’été « décolonial » réservé « aux personnes subissant le racisme » près de Reims (Marne). L’année suivante, les ateliers « en non-mixité raciale » du syndicat d’enseignants SUD-Education 93 ont provoqué l’ire du ministre de l’éducation nationale Jean-Michel Blanquer, de la Licra et de SOS-Racisme. « Ces nouveaux mouvements antiracistes n’ont pourtant pas renoncé à l’universalisme, croit au contraire Magali Bessone. Ils disent justement que l’universel est un idéal qui n’existe toujours pas et qui demeure à réaliser. »

Brandie par nombre de manifestants indignés par la mort d’Adama Traoré et de Georges Floyd, l’expression « racisme d’Etat » a connu son heure de gloire en 2017. Cette année-là, Jean-Michel Blanquer monte à la tribune de l’Assemblée nationale pour fustiger l’un des termes « les plus épouvantables du vocabulaire politique » : il est utilisé « au nom d’un prétendu antiracisme alors qu’il véhicule évidemment un racisme », affirme le ministre. Invoquant l’universalisme républicain, il vilipende SUD Education 93, qui propose à ses adhérents des stages consacrés au « racisme d’Etat » dans l’éducation nationale.

Citée en 1976 par Michel Foucault au Collège de France, l’expression « racisme d’Etat » s’impose dans le débat public, à la fin des années 2000, dans le sillage de l’antiracisme « politique ». L’heure est au développement des études postcoloniales et à la naissance d’un militantisme très critique envers les associations traditionnelles – ces « clubs d’intellos blancs, déconnectés du terrain et des quartiers populaires », selon le mot de Rokhaya Diallo. Le racisme d’Etat désigne, selon la sociologue Nacira Guénif, un racisme qui s’est installé « à tous les niveaux » de l’Etat – un racisme « puissant, structurel et systémique », ajoute le philosophe Pierre Tevanian.

Les tenants de ce concept n’en concluent pas pour autant que les régimes démocratiques occidentaux sont semblables aux Etats qui ont, au cours de l’histoire, inscrit la hiérarchie des races dans leurs textes fondateurs. Si la France ou les Etats-Unis sont accusés de tolérer, voire de diffuser un « racisme d’Etat », ils ne sont pas assimilés aux « Etats racistes » qu’étaient l’Afrique du Sud de l’apartheid ou l’Allemagne nazie. « Les formes de racisme qui impliquent aujourd’hui l’Etat français ne sont pas du même ordre que les lois de Vichy, le Code noir esclavagiste ou le code de l’indigénat », précise Pierre Tevanian, en 2017, dans L’Obs.

Qu’est-ce alors que le « racisme d’Etat » ? « Les usages politiques, médiatiques et académiques de cette notion sont très divers, constate la socioanthropologue Camille Gourdeau, coauteure, avec Fabrice Dhume, Xavier Dunezat et Aude Rabaud, de Du racisme d’Etat en France ? Une chose, cependant, est sûre : ce concept permet de souligner la responsabilité de l’Etat dans les pratiques racistes. Il ne s’agit plus seulement de dénoncer des actes individuels accomplis volontairement par des individus affichant des convictions xénophobes mais de souligner que le racisme imprègne et structure en profondeur les institutions. »

Le « racisme d’Etat » se lirait ainsi dans les pratiques répétitives, routinières et surtout discriminatoires de la police. Comme l’a montré le chercheur Fabien Jobard, un Maghrébin a 9,9 fois plus de « chances » de se faire contrôler par la police qu’un Blanc, un Noir 5,2. A ces « contrôles au faciès » s’ajoutent le tutoiement, voire les insultes adressées par la police aux jeunes « racisés ». L’institution scolaire ne serait pas à l’abri de ce « racisme d’Etat. « Des enquêtes ont montré que les enseignants ont souvent une représentation hiérarchisée de la qualité “scolaire” des publics » en fonction de leur statut racial, constatent Fabrice Dhume, Xavier Dunezat, Camille Gourdeau et Aude Rabaud.

En insistant sur les pratiques massives et discrètes des institutions, le « racisme d’Etat » bouleverse la définition même du racisme. « Il permet de nommer des mécanismes qui échappent à notre regard quand on se focalise sur les actes intentionnels de quelques brebis galeuses, précise le sociologue Xavier Dunezat. L’approche individuelle et psychologisante finit par dédouaner les institutions, alors que la notion de racisme d’Etat insiste, au contraire, sur les logiques institutionnelles, le plus souvent involontaires et légales, qui défavorisent ou excluent systématiquement certaines populations – parfois à l’insu même des agents de l’Etat. »

Ce concept est critiqué par certains intellectuels. « Le “racisme d’Etat” suppose que les institutions de l’Etat soient au service d’une politique raciste, ce qui n’est évidemment pas le cas en France, souligne l’historien Pap Ndiaye. L’Etat a ainsi été condamné par la justice à propos des contrôles au faciès et cette condamnation a été saluée par le Défenseur des droits, ce qui serait inconcevable s’il y avait un racisme d’Etat. En revanche, il existe bien un racisme structurel par lequel des institutions comme la police peuvent avoir des pratiques racistes. Il y a du racisme dans l’Etat, il n’y a pas de racisme d’Etat. »

Pour contourner cette ambiguïté, certains chercheurs préfèrent utiliser le terme de racisme « institutionnel ». Forgé dans les années 1960 par Stokely Carmichael et Charles Hamilton, deux militants des droits civiques américains, ce mot, note la philosophe Magali Bessone sur La Vie des idées, le site du Collège de France, désigne non pas des « occurrences de racisme individuel manifesté par des insultes ou des crimes racistes intentionnellement commis » mais des processus subtils « qui émanent du fonctionnement routinier des institutions sociales, sans intention discriminatoire des agents ». Cette expression permet d’insister sur le caractère systémique du racisme sans pour autant contenir la tonalité polémique et militante des termes « racisme d’Etat ».

Dans une tribune publiée le 4 juin sur le site de France Inter, l’écrivaine Virginie Despentes s’adresse à ses « amis blancs qui ne voient pas le problème » du racisme et rappelle ce qu’elle tient pour une évidence : le « privilège » que représente aujourd’hui en France le fait d’avoir la peau blanche. En employant ce terme, la romancière ne fait nullement référence aux droits féodaux de l’Ancien Régime que la Révolution a abolis la nuit du 4 août 1789, mais à tout autre chose : le traitement de faveur accordé aux personnes blanches par les sociétés occidentales.

Issue des sciences sociales américaines, la notion de privilège blanc est née aux Etats-Unis, au XIXe siècle. L’historien W.E.B. Du Bois (1868-1963) en jette les premières bases dans son livre Black Reconstruction in America, consacré au combat pour l’émancipation du peuple noir dans la période qui suit l’abolition de l’esclavage. Cette figure incontournable du combat pour les droits civiques explique que les travailleurs blancs, même s’ils vivent dans la pauvreté, perçoivent un « salaire psychologique » dont les Noirs sont exclus car la société a pour eux de la considération alors qu’elle méprise les descendants d’esclaves.

Dans les années 1960, l’historien marxiste Theodore Allen (1919-2005) s’inspire de cette idée pour analyser l’essor du racisme américain. L’avantage immérité accordé aux Blancs apparaît, selon lui, au début du XVIIIe siècle dans les colonies britanniques d’Amérique du Nord. Après une révolte qui réunit travailleurs blancs et esclaves noirs, la Virginie décide d’adopter des lois qui soumettent pleinement les esclaves noirs à leurs maîtres. La claire séparation chromatique instaurée alors vise à empêcher l’essor de toute solidarité de classe.

Sous cette acception, le terme de « privilège blanc » se répand sur les campus universitaires et figure dans le vocabulaire employé par les militants de la nouvelle gauche des années 1960. L’expression s’invite même dans les colonnes du New York Times, en 1969, dans un article rendant compte de la volonté de l’une des principales organisations étudiantes de livrer « une lutte acharnée contre le privilège lié à la peau blanche ». Cette notion tombe malgré tout dans l’oubli au cours des années qui suivent.

Dans les années 1980, la notion de privilège blanc est réinventée par la sociologue féministe Peggy McIntosh, qui, sans faire référence aux recherches de Theodore Allen, remarque que les hommes ne se rendent généralement pas compte qu’ils ont droit à un traitement préférentiel par rapport aux femmes – comme les Blancs par rapport aux Noirs.

« En tant que personne blanche, j’ai pris conscience que l’on m’avait présenté le racisme comme quelque chose qui place les autres dans une situation désavantagée, mais que l’on ne m’avait jamais parlé de l’un des ses corollaires, le privilège blanc, qui me place, moi, dans une situation plus avantagée ».

Peggy McIntosh compare le privilège blanc au « sac à dos invisible » que toute personne blanche emmènerait partout avec elle, généralement de façon inconsciente. La sociologue fait l’inventaire des situations où elle estime profiter d’une forme d’inviolabilité. « Quand on me parle de notre patrimoine national ou de la “civilisation”, on me montre que ce sont des gens de ma couleur qui en ont fait ce qu’elle est » ; « on ne me demande jamais de parler pour l’ensemble des gens de mon groupe racial » ; « si un policier m’arrête ou si je suis visée par un contrôle fiscal, je sais que ce n’est pas à cause de ma race ». Après la publication de cet article, le privilège blanc s’installe comme un terme incontournable des études sur la « blanchité » consacrées à la condition blanche, à son histoire et à sa sociologie.

En France, ce champ de recherche émerge avec la publication, en 2013, de deux ouvrages : Dans le blanc des yeux (Amsterdam, 2013), du sociologue Maxime Cervulle, et De quelle couleur sont les Blancs ? (La Découverte, 2013), un livre collectif dirigé par l’historienne Sylvie Laurent et le journaliste Thierry Leclère. Ces travaux participent à la diffusion de la notion de « privilège blanc », qui est en outre popularisée par les militants de l’antiracisme politique comme Rokhaya Diallo. La controverse s’est dernièrement emparée de ce terme : dans une récente tribune (Le Monde, 9 juin), Corinne Narassiguin, secrétaire nationale à la coordination du Parti socialiste, rejette ce terme qui fait, selon elle, le jeu d’un essentialisme réduisant chacun à sa couleur de peau.

« Décolonisons la police ! » : le slogan qui a émaillé les manifestations contre les violences policières à l’appel du comité La vérité pour Adama Traoré témoigne de la prégnance du mouvement décolonial dans la lutte politique contre le racisme.

La pensée décoloniale est née, à la fin des années 1990, au sein du groupe latino-américain « Modernité/colonialité », constitué par des chercheurs latino-américains issus du marxisme et de la théologie de la libération – le sociologue péruvien Anibal Quijano, son collègue portoricain Ramon Grosfoguel, le sémioticien argentin Walter D. Mignolo et le philosophe argentin Enrique Dussel.

Selon eux, la « colonialité » est le type de pouvoir issu, à partir de 1492, des conquêtes. Cette manière d’être au monde et de penser le monde qu’Anibal Quijano appelle la « colonialité du pouvoir, de l’être et du savoir » est constitutive de la modernité et du capitalisme, ce système-monde né avec le commerce triangulaire et l’esclavage. Selon ces penseurs, elle a survécu à la colonisation à travers la mondialisation et les institutions comme le Fonds monétaire international ou la Banque mondiale. La colonialité et le racisme qu’elle forge constituent, ajoutent-ils, la face obscure de la modernité. Critiques acerbes de l’universalisme des Lumières, ils n’abandonnent pas l’idée d’universel mais ils le conçoivent autrement – comme un « pluriversel » riche de tous les pluriels.

La proposition n’est pas nouvelle – elle était déjà présente chez Maurice Merleau-Ponty en 1953 –, mais depuis les années 2010, elle circule de Johannesburg à Dakar en passant par New York, Paris ou Berlin. Reprise par des intellectuels et des artistes africains ou afro-descendants qui font le lien entre les travaux des Africains et ceux des Latino-Américains, l’idée de « décolonisation épistémique » resitue dans leur contexte les savoirs occidentaux et appelle à revaloriser les pensées des mondes subalternisés.

En France, où cette pensée a été introduite au milieu des années 2000, le mot décolonial circule « moins dans les cercles universitaires que dans la société civile, et plus précisément dans des organisations et groupes militants liés à l’antiracisme politique » comme le Parti des Indigènes de la République, la Brigade antinégrophobie, les féministes du rassemblement Mwasi ou le collectif Décoloniser les arts, constate le philosophe Norman Ajari, dans La Dignité ou la mort. Ethique et politique de la race (La Découverte, 2019). Dans ces milieux militants, l’enjeu central du discours décolonial est l’élaboration d’un « sujet politique non blanc ».

A Paris, l’espace de Kader Attia La Colonie a permis de faire la jonction entre les militants et les universitaires en invitant la politiste Françoise Vergès, la commissaire d’exposition Pascale Obolo ou les philosophes Nadia Yala Kisukidi, Seloua Luste Boulbina et Norman Ajari. On y a vu également l’économiste sénégalais Felwine Sarr, auteur d’Afrotopia (Philippe Rey, 2016), un essai appelant l’Afrique à chercher ses propres solutions et à ne plus suivre le modèle occidental.

Dans un pays comme la France, où la remise en cause de l’universalisme est mal acceptée, la pensée décoloniale engendre de virulents débats, comme l’a montré le dialogue entre l’anthropologue français Jean-Loup Amselle et le philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne (En quête d’Afrique(s). Universalisme et pensée décoloniale, Albin Michel, 2018).

Les figures de la pensée décoloniale française veulent travailler à la décolonisation économique, culturelle, épistémologique de l’Afrique, mais aussi de l’Hexagone qui reste, selon eux, dans ses institutions et son imaginaire, largement colonial. Tous les secteurs de la société doivent, selon eux, être questionnés. Dans Un féminisme décolonial (La Fabrique, 2019), Françoise Vergès reproche ainsi au féminisme occidental de n’avoir pas pris en considération le rôle du racisme dans l’oppression des femmes : ce « féminisme civilisationnel » a, selon elle, cherché à imposer aux femmes du Sud un mode de vie occidental.

Selon Capucine Boidin, directrice de l’Institut des hautes études d’Amérique latine, l’un des premiers centres de recherche à avoir introduit ces idées en France, les études décoloniales ont été reçues, à tort, comme une variante des études postcoloniales. Leur approche est pourtant « radicalement différente » : né, dans les années 1980-1990, au sein des départements de littérature des pays anglophones de l’ex-Empire britannique, le postcolonialisme, qui s’intéresse à la manière dont l’héritage culturel de la colonisation façonne les imaginaires, suppose que, même si ses répercussions sont encore largement actives, la colonisation, depuis les indépendances, est derrière nous – d’où l’utilisation du préfixe « post ». Une conviction qui n’est pas partagée par les décoloniaux, pour qui la colonialité est un système de domination géopolitique qui perdure.

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