Par Julie Carriat, Sylvia Zappi, Cédric Pietralunga, Alexandre Lemarié
De l’Elysée aux oppositions, le mot d’ordre est lancé : éviter une génération perdue, à l’heure où la crise sociale menace tout particulièrement les 18-25 ans, très présents dans les manifestations.
A mesure que l’inquiétude sanitaire liée au Covid-19 reflue, d’autres urgences plus politiques passent au premier plan : à quel avenir destine-t-on les 18-25 ans qui ont vu leurs études interrompues, leur insertion professionnelle compromise avec le confinement ? Mi-mars, le coup d’arrêt porté à l’économie, aux écoles et universités avait pourtant peu fait débat, tant la peur de contaminer mortellement ses aînés était forte dans la population et le discours public.
Aujourd’hui, à l’heure où les manifestations qui ont éclaté en France en écho à la mort de George Floyd aux Etats-Unis rassemblent une majorité de jeunes, les responsables politiques redoutent d’avoir « sacrifié » une classe d’âge et semé le ferment d’une révolte tenace, en forme de conflit des générations.
COLCANOPA
Aux racines de cette inquiétude, la crise sanitaire n’avait pourtant pas éveillé d’opposition entre générations, bien au contraire, souligne la sociologue Monique Dagnaud, spécialiste au CNRS de la jeunesse et des médias. « Quand on a compris que le confinement allait être long, on aurait pu imaginer que des jeunes se lèvent en disant, non ce n’est pas possible, mais il y a une sidération qui a gelé la protestation », note-t-elle.
Cette cohésion intergénérationnelle pendant la crise, la sociologue l’explique par la prééminence de la famille. « Il n’y a jamais eu autant de solidarité économique entre les générations, la famille est la seule institution qui n’est pas remise en question. Le reste, la politique, les partis, font tous l’objet d’une forte défiance. Tout le monde a voulu protéger les vieux, les grands-parents », souligne-t-elle, notant que le virus a représenté le « premier vrai ennemi » de la génération des « inoxydables » de l’après-guerre, ces « boomers » au sujet desquels on a cessé d’ironiser pendant la crise.
« On a fait vivre quelque chose de terrible à la jeunesse »
A mesure que l’épidémie recule, le sommet de l’Etat mesure pourtant l’ampleur de l’épreuve qui, imposée à tous, cause un malaise particulièrement aigu chez les jeunes adultes. Ainsi, pour Emmanuel Macron, les manifestations contre les violences policières et le racisme traduisent autant une mobilisation liée à l’affaire George Floyd – un Afro-Américain de 46 ans asphyxié par un policier blanc, le 25 mai, aux Etats-Unis – qu’une réaction à la crise du Covid-19. « On a fait vivre quelque chose de terrible à la jeunesse lors du confinement, a récemment confié en privé le chef de l’Etat. On a interrompu leurs études, ils ont des angoisses sur leurs examens, leurs diplômes et leur entrée dans l’emploi. Ils trouvent dans la lutte contre le racisme un idéal, un universalisme. »
Une antienne reprise à Matignon, où l’on s’inquiète en particulier des effets de l’arrêt de la plupart des activités sportives et des compétitions. « Les jeunes, tout le monde le sait, ont besoin de se dépenser. Le confinement, ça les a rendus dingues. Il faut qu’on leur permette de faire davantage de sport, de pouvoir s’amuser entre eux », confie un proche d’Edouard Philippe. Pour l’instant, les regroupements de plus de dix personnes restent interdits dans l’espace public mais un allégement de la contrainte serait envisagé à partir du 22 juin.
Mots durs
Si l’on n’y prend garde, la crise du Covid-19 pourrait même déboucher sur un « conflit entre générations », estime-t-on à la tête de l’Etat, où l’on rappelle que c’est pour protéger les plus fragiles, c’est-à-dire avant tout les personnes âgées, que le confinement du pays a été décidé. « Les jeunes ne craignaient rien et on les a enfermés comme tout le monde, c’est quand même violent », pointe un conseiller ministériel.
En privé, Emmanuel Macron a d’ailleurs des mots durs sur la génération de Mai-68, qu’il estime trop gâtée. « Nous sommes l’un des seuls pays d’Europe où les revenus des retraités sont supérieurs à ceux des actifs, c’est un vrai sujet de cohésion sociale », estime un proche soutien du chef de l’Etat. Au début de son mandat, le président quadragénaire avait bien tenté d’y remédier, notamment en augmentant la contribution sociale généralisée (CSG) et en désindexant les pensions, mais il avait dû renoncer à la plupart de ces mesures au moment de la crise des « gilets jaunes ».
Au sein de La République en marche (LRM), le délégué général du parti, Stanislas Guerini, a érigé ce sujet en enjeu prioritaire de la fin du quinquennat, sans toutefois susciter de consensus sur les réponses à apporter. « J’ai une obsession : que la jeune génération ne soit pas sacrifiée », répète-t-il. Pour l’éviter, le patron des « marcheurs » a proposé dans un entretien au Monde, le 20 mai, « une prime à l’embauche » pour les jeunes, ainsi que l’ouverture du revenu de solidarité active (RSA) pour les moins de 25 ans.
Pourtant, le secrétaire d’Etat à la jeunesse, Gabriel Attal, a condamné cette piste, estimant qu’elle illustrait un « esprit de défaite » – « aucun jeune ne grandit avec les minima sociaux comme horizon » –, au grand dam de certains élus de l’aile gauche de la majorité, à l’instar de Fiona Lazaar. La députée LRM du Val-d’Oise plaide vigoureusement pour un « RSA jeunes », qu’elle considère comme un « filet de sécurité indispensable ». « Aujourd’hui, alors qu’ils sont les premières victimes de la pauvreté, les jeunes sont généralement exclus des dispositifs de solidarité », fait-elle valoir.
Perspectives trop sombres
Dans l’opposition, le diagnostic et les réponses diffèrent. Question d’électorat peut-être, pour Les Républicains (LR), il n’est pas question de regretter la place accordée aux plus âgés dans la gestion de l’épidémie. Le parti s’inquiète cependant des 700 000 jeunes terminant cette année leur formation initiale et prône pour eux des mesures, notamment celles, classiques dans le logiciel de la droite, d’allègement du coût du travail.
« Nous, députés de la nation, sommes incontestablement face à une génération qui, si nous ne faisons rien, sera sacrifiée », estimait, le 3 juin, le député LR Guillaume Peltier (Loir-et-Cher), défendant une proposition de loi visant à exonérer de cotisations l’embauche en contrat à durée indéterminée ou en contrat de plus de six mois d’un jeune de moins de 25 ans pour les deux prochaines années. Une « vieille recette » selon la majorité à l’Assemblée nationale, qui a rejeté, jeudi, le texte en question.
A gauche, face à une précarité des jeunes qu’ils jugent exacerbée par la crise, les socialistes prônent la prolongation d’un an des bourses étudiantes, une prise en charge totale des frais de formation à la charge des apprentis, mais aussi une « prime rebond » pour les entreprises qui embauchent un jeune pour un premier emploi, la revalorisation des aides personnalisées au logement (APL) et l’extension du RSA aux 18-25 ans. « Il faut des mesures d’urgence », estime Gabrielle Siry, porte-parole du PS, pour qui la « présence massive et inhabituelle » des jeunes dans les queues de distribution d’aide alimentaire durant le confinement est un signal fort.
Si chaque famille politique avance ses pistes, il semble pour l’heure trop tôt pour dire quelle couleur pourrait prendre un embrasement général de la jeunesse face à des perspectives trop sombres. Pour la sociologue Monique Dagnaud, après la mobilisation récente des jeunes pour le climat et celle contre les violences policières, aujourd’hui, la crise sociale qui s’amorce pourrait en tout cas avoir la capacité de fédérer une génération. A moins que l’exécutif ne parvienne, dès maintenant, à éteindre les départs de feu.