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Jours tranquilles à Paris

24 octobre 2020

Quand la science prouve que l’art fait du bien

La vision d’une œuvre stimule les deux facultés de notre cerveau : le plaisir et la connaissance, explique Pierre Lemarquis, neurologue et auteur de « L’Art qui guérit », à paraître.

Par Christophe Averty 

Qui a conscience du tumulte intérieur qui naît en nous et de l’explosion de substances qui nous percutent lorsqu’une œuvre d’art croise notre regard ? Semblable à une rencontre humaine, parfois capable de déclencher un sentiment presque amoureux, une œuvre agite quantité de neurotransmetteurs et d’antidouleurs dans notre cerveau. Oui, l’art fait du bien. Pierre Lemarquis, neurologue et diplômé de médecine chinoise, retrace dans L’Art qui guérit les arcanes ainsi que les détours, aujourd’hui avérés, d’un plaisir que l’on nomme l’« empathie esthétique ».

« Le cerveau a deux fonctions. Il nous permet de rester en vie et nous donne l’envie de vivre, pose le spécialiste en éthologie. Ces deux systèmes sont complémentaires et nécessaires. Jamais un ordinateur ne pourra s’y substituer. » On compare souvent la double aptitude du cerveau à un cavalier sur son cheval. Le premier représente le cerveau intellectuel tandis que le second symbolise celui du plaisir et de la récompense. « Mais, parfois, le cavalier s’évertue à diriger une monture qui n’entend pas lui obéir. Et, heureusement, c’est toujours le cheval qui l’emporte », résume-t-il. Ainsi naissent des erreurs, des fantaisies ou certains désirs qui nous écartent de la rationalité, mais aussi, nous définissent en tant qu’humains.

Cerveau sculpté, cerveau caressé

« Or, une œuvre d’art s’adresse aux deux facultés de notre cerveau », poursuit le scientifique. « Elle le sculpte en lui faisant découvrir ce qu’il ne connaît pas. Elle le caresse en lui procurant plaisir et récompense. Ce phénomène a beaucoup été étudié en musique, et nous avons démontré qu’il opère également dans le champ des arts visuels. » L’une des expériences menées pour ce faire a consisté à quantifier et à mesurer les réactions d’un visiteur de musée – son rythme cardiaque, sa sudation –, face à une œuvre qu’il observe. Si elle lui plaît, son stress diminue, car sa production de cortisol (l’hormone utilisée pour se réveiller le matin et se mettre en action) ralentit. Le cœur bat moins vite, le corps se détend, tandis que le cerveau (du plaisir et de la récompense) sécrète de la dopamine (l’hormone de la joie de vivre). Plus encore, les endorphines (qui procurent l’impression de bien-être) et l’ocytocine (hormone de l’attachement et de l’amour) – à propos de laquelle il a été démontré qu’elle peut être produite lors d’une écoute musicale – pourraient, par extension, faire partie de l’arsenal chimique qui se déploie en nous face à une œuvre d’art.

En matière de perception, le médecin biologiste italien Giacomo Rizzolatti a étudié le nombre d’or. « L’harmonie qu’induit son usage dans la sculpture s’adresse à notre cerveau “évolué” ou apollonien, mais ne convainc pas forcément celui du plaisir et de la récompense, dédié à Dionysos. Rizzolatti qui, le premier, a identifié les neurones miroirs [qui commandent le mimétisme], a scientifiquement révélé que l’on pouvait apprécier une œuvre pour ses qualités esthétiques, pour ses proportions et la trouver belle, sans pour autant l’aimer. » Cela signifie que nos « deux cerveaux » peuvent fonctionner indépendamment. Entre eux, il existe des voies de connexion, une zone appelée « insula », siège de l’empathie esthétique qui unit l’intellect à l’émotion.

De l’intérêt de la beauté

Ces découvertes ont trouvé diverses applications. Outre la prescription de visites au musée – ce qui est pratiqué, par exemple, par certains médecins de l’Institut de cardiologie de la Pitié-Salpêtrière, à Paris, qui peuvent prescrire, par ordonnance muséale, une visite au château de Compiègne, dans l’Oise –, nombre d’initiatives en France ont déjà porté leurs fruits. L’association L’Invitation à la beauté, fondée par la psychologue Laure Mayoud et présidée par Pierre Lemarquis, regroupant scientifiques, soignants et artistes, s’est vu accorder le patronage de l’Unesco pour ses recherches à l’échelle cellulaire, neurologique, psychologique et sociale. Au service de médecine interne de l’hôpital Lyon-Sud, il est proposé aux patients qui le souhaitent de choisir une œuvre à accrocher dans leur chambre. « De la même manière qu’un livre peut faire autant de bien qu’un antidépresseur, une œuvre à laquelle on peut se raccrocher en période de souffrance apporte l’équilibre nécessaire à une guérison. A leur sortie de l’hôpital, les patients ont changé de rapport à l’art », insiste Pierre Lemarquis. Serait-ce grâce à l’effet de l’art sur l’homme que la beauté existe ? Platon, transporté par la sensation du beau, disait-il autre chose ?

La matérialité des œuvres, la pérennité des musées qui les abritent, témoignent d’une rassurante vitalité, à une période où le spectacle vivant et le cinéma se trouvent durement empêchés. Au musée, comme dans les livres, l’art se conjugue au quotidien. Espace privilégié de l’empathie esthétique, il emmène au-delà de soi. « Le philosophe allemand Robert Vischer a expliqué le ressenti que l’on éprouve face à une œuvre », rappelle Pierre Lemarquis, partageant la conviction du penseur selon qui « chacun devient l’œuvre qu’il observe » : si l’on contemple La Joconde on devient un peu Mona Lisa. Puis, quelle que soit sa culture, on emportera avec soi sa mémoire et un peu du génie humain. Car l’art parle à tous, la science l’a démontré. Que sa perception soit sensible, chimique ou cognitive, il se ressent et se vit. Croire qu’il serait réservé à une élite tiendrait du contresens.

« L’Art qui guérit », Pierre Lemarquis, Hazan, à paraître le 4 novembre 2020, 192 p., 25 €.

« L’Empathie esthétique. Entre Mozart et Michel-Ange », Pierre Lemarquis, Odile Jacob, 2015.

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24 octobre 2020

Morgana Fata

morgana

24 octobre 2020

A Jean-Pierre Pernaut, TF1 reconnaissante

pernaut

Par Sandrine Cassini, Aude Dassonville - Le Monde

Le présentateur du journal de 13 heures de TF1 cédera sa place le 18 décembre, après trente-trois ans de règne sans partage sur ce créneau horaire. Retour sur un style et une méthode sur lesquels la critique n’a jamais eu de prise.

Il faisait beau, ce 16 septembre. Un temps à chausser des lunettes de soleil, enfiler un maillot de bain et profiter de l’existence sans culpabilité. Moins de vingt-quatre heures après l’annonce de son prochain retrait de la présentation du « 13 heures », Jean-Pierre Pernaut – alias « JPP » – faisait de cette météo enchanteresse l’ouverture de son journal sur TF1.

Le sourire aux lèvres, émerveillé, le journaliste n’a pas fait mention du caractère inquiétant de cette canicule tardive, de la sévérité de la sécheresse en cours dans l’Hexagone, voire du réchauffement climatique. « Encore des vacances pour pas mal de chanceux. On en profite au maximum en Corse autour de l’Ile Rousse », déclarait au contraire le présentateur d’un air débonnaire.

Le même jour, dans le « 13 heures » de France 2, Marie-Sophie Lacarrau remarquait aussi à quel point il faisait chaud. Mais quand même un peu trop, et pas seulement en France. En Californie, les forêts brûlent, rappelait-elle, ajoutant au réchauffement climatique ; à Milan, on plante des arbres pour rafraîchir l’atmosphère de la ville, confirmait l’un des reportages du journal. Sur la Deux, la dolce vita était en soins palliatifs ; sur la Une, elle battait son plein. Le lendemain, on apprenait que Marie-Sophie Lacarrau succéderait à Jean-Pierre Pernaut.

CHAQUE JOUR, LE JOURNAL ATTIRE 5 MILLIONS DE FIDÈLES (LE DOUBLE DE CELUI DE FRANCE 2), SOIT 41 % DE PART DE MARCHÉ SUR LES TÉLÉSPECTATEURS DE 4 ANS ET PLUS

Installé au « 13 heures » depuis le 22 février 1988, « JPP » quittera son fauteuil le 18 décembre, laissant à sa consœur le soin de lui succéder, début janvier 2021. Un changement qui n’est pas sans risque pour TF1, tant la formule installée par le septuagénaire plaît. Chaque jour, le journal attire 5 millions de fidèles (le double de celui de France 2), soit 41 % de part de marché sur les téléspectateurs de 4 ans et plus, et un tiers des « femmes de moins de 50 ans, responsables des achats », selon Médiamétrie. Autant de passionnés de ce rendez-vous tourné vers la France des régions, « qui n’a pas beaucoup voix au chapitre dans d’autres médias », se félicite Thierry Thuillier, le directeur de l’information du groupe TF1.

C’est même en pensant à elle que la formule du journal a été « marketée », main dans la main avec Etienne Mougeotte. A l’époque, l’ancien vice-président de TF1 et directeur de l’antenne de 1987 à 2007 avait chassé le duo Yves Mourousi-Marie-Laure Augry pour installer son poulain, avec ces mots : « “Si tu ne fais pas de bêtises, tu es là pour vingt ans”, se rappelle l’ex-dirigeant. Je m’étais trompé : il a duré presque trente-trois ans ! »

« Une vision rassurante »

Le JT façon « JPP » est alors un ovni dans le paysage audiovisuel français. « On montre de belles images, on livre de beaux récits, c’est l’idée d’une France telle qu’elle devrait être, où la vie, ce sont des choses simples et vraies. C’est une vision rassurante », résume Virginie Spies, sémiologue et analyste des médias audiovisuels. Jean-Pierre Pernaut privilégie les bonnes nouvelles aux mauvaises, et le citoyen lambda aux institutionnels, surtout parisiens. Sans avoir à se forcer : natif de la Somme, le journaliste, qui vit à Louveciennes, dans les Yvelines, a commencé sa carrière au Courrier picard, avant de faire ses armes télévisuelles dans une édition locale de France 3.

« Jean-Pierre Pernaut est un peu une exception culturelle dans le journalisme français actuel, a salué Marine Le Pen, la patronne du Rassemblement national, dans un Tweet envoyé pour célébrer l’icône sur le départ. Qui mieux que lui a donné une visibilité à une certaine France, celle des terroirs, celle qui fait encore rêver le monde ? » Une définition pas très éloignée de celle de Daniel Schneidermann dans sa chronique pour Libération du 21 septembre, dans laquelle il fustigeait ce présentateur qui s’adresse à « la France mythologique des marchés et des clochers, de l’école en blouse et des déjeuners à la maison ».

« Ce côté “information feel good”, je l’assume totalement », commente Thierry Thuillier, avant de détailler la dimension « servicielle » du journal (qui met en relation des repreneurs avec des commerces en perdition, par le biais de l’opération SOS Villages, par exemple), de rappeler les riches éditions spéciales consacrées aux décès de Jacques Chirac ou de Johnny Hallyday, de vanter l’indifférence de « JPP » aux faits divers, etc.

« JEAN-PIERRE A VU ÉMERGER LA “FRANCE PÉRIPHÉRIQUE” DÉCRITE PAR LE GÉOGRAPHE CHRISTOPHE GUILLUY DEPUIS TRÈS LONGTEMPS », ASSURE UN MEMBRE DE LA RÉDACTION

Comme si, au moment de tourner la page, il serait injuste de refuser au professionnel l’hommage qui lui serait dû. « Il ne faut pas se tromper : Jean-Pierre est un très grand journaliste », défend à son tour un salarié. Et de vanter ses éditions post-élections, « ciselées, précises, formidables », son sens remarquable du direct et de l’improvisation. Les téléspectateurs sont séduits : « En province, les gens que vous interrogez vous disent : “Ah bon, c’est pour Pernaut ?” C’est comme un dieu. Il est vraiment identifié », indique une journaliste de l’antenne, qui nourrit « affection » et « lucidité » vis-à-vis de l’animateur qui l’a vue débuter.

Pensé pour attirer l’attention de ceux qui déjeunent à domicile – salariés travaillant près de chez eux, artisans, commerçants (surtout le lundi, quand les magasins sont fermés), sans-emploi, grands-parents gardant leurs petits-enfants, mères au foyer… –, le « 13 heures » repose sur un réseau d’environ 80 correspondants installés sur tout le territoire, et dont les agences qui les emploient dépendent des quotidiens régionaux.

Acharnement fiscal

C’est ce maillage serré, inspiré de l’ancienne FR3, qui lui aurait permis de percevoir un certain malaise français en pionnier. « Jean-Pierre a vu émerger la “France périphérique” décrite par le géographe Christophe Guilluy depuis très longtemps », assure un membre de la rédaction. « Si je prends la disparition des villages et de certains services publics, l’utilisation de la voiture pour conduire les enfants à l’école, l’impact potentiel des taxes carbone sur le budget des Français… Tous ces sujets ont été couverts dans le “13 heures” de Jean-Pierre bien avant l’apparition des “gilets jaunes” », revendique Thierry Thuillier.

« PERNAUT REPREND LES THÈMES POPULISTES DES ÉLITES DÉCONNECTÉES, DU CONTRIBUABLE QUI PAIE TOUT, DE L’AUTOMOBILISTE CONSPUÉ » FRANÇOIS JOST, PROFESSEUR EN SCIENCES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION

Dans les jours qui ont précédé le premier samedi de mobilisation, en novembre 2018, la référence « aux taxes et aux impôts », dont la France serait championne du monde, revenait régulièrement dans la bouche du présentateur. L’acharnement fiscal que subirait le citoyen fait partie des thématiques récurrentes du JT, qui, à l’inverse, s’interroge rarement sur le rôle de l’impôt dans le financement des services publics.

« Jean-Pierre Pernaut reprend tous les thèmes populistes des élites déconnectées, du contribuable qui paie tout, de l’automobiliste conspué, constate François Jost, professeur émérite en sciences de l’information et de la communication. C’est un monde présenté comme dépolitisé, alors qu’il est profondément politique. » Sans avoir l’air d’y toucher, l’animateur colore son journal de sa propre vision du monde. Quand, enfin, il évoque l’augmentation des températures à la surface du globe, c’est lorsqu’elles baissent, suggérant à un public convaincu qu’il ne s’agit que d’une mode. « Il parle de l’écologie à sa manière. Il défend, par exemple, beaucoup les circuits courts », plaide Thierry Thuillier.

S’exprimant sans prompteur, Jean-Pierre Pernaut n’évite pas les sorties de route. En 2016, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), pourtant plus prompt à la magnanimité qu’à la critique, avait considéré comme un potentiel encouragement à « un comportement discriminatoire » l’un de ses commentaires. « Voilà : plus de places pour les sans-abri, mais, en même temps, les centres pour migrants continuent à ouvrir partout en France », avait-il souligné.

Droit dans ses bottes face à Yann Barthès dans « Quotidien », sur TMC – une chaîne du groupe TF1 –, le 16 septembre, Jean-Pierre Pernaut n’en démordait pas. « Ce sont des commentaires de bon sens, qui correspondent à ce que pensent les gens », revendiquait le septuagénaire, devant l’animateur que l’on a connu plus mordant du temps où il pilotait « Le Petit Journal », sur Canal+. En interne, on s’est habitué à ce style tout personnel. « Il y a une part d’éditorialisation qui n’a pas sa place dans les JT », reconnaît pourtant une rédactrice. Mais avec une carrière si longue dans la maison, « JPP » « n’est pas quelqu’un à qui la direction peut dire quelque chose », estime-t-elle. Ce que conteste Thierry Thuillier : « On a des échanges. Jean-Pierre est très humble, il écoute. »

Pas de modification de la ligne éditoriale

Même si le « 13 heures » entre dans une nouvelle ère, TF1 n’envisage pas d’en modifier la ligne éditoriale. Les régions resteront d’autant plus à l’honneur que Marie-Sophie Lacarrau, originaire de l’Aveyron, « est elle-même très enracinée », explique Thierry Thuillier. Ce qui n’empêche pas une certaine inquiétude dans la maison. Il ne faudrait pas que se reproduise l’« accident industriel » du remplacement raté de Patrick Poivre d’Arvor par Laurence Ferrari, en 2008.

« Le public de la mi-journée consomme la télévision de la même manière depuis vingt ou trente ans, rappelle Christophe Koszarek, producteur de « La Quotidienne », l’une des émissions arrivées le plus récemment sur le créneau, chaque jour, à midi, sur France 5. Les rendez-vous sont les mêmes, les incarnants aussi : “JPP” depuis trente-trois ans, Nagui et Jean-Luc Reichmann depuis dix-huit ou vingt ans. »

Sans doute la présence quotidienne de Marie-Sophie Lacarrau en concurrence frontale avec Pernaut depuis quatre ans, a-t-elle permis aux téléspectateurs de s’habituer à son visage, sinon à son style tout en douceur et sourires, et à TF1 d’espérer un passage de relais sans heurt. Et puis, qui sait : peut-être la journaliste chérit-elle, elle aussi, les sujets sur la galette des rois ou la Chandeleur, tout autant que les éditions improvisées dans l’urgence d’une actualité brûlante ?

24 octobre 2020

Michel-Ange

film

24 octobre 2020

« Couvre-feu » : des cheminées recouvertes pour éviter l’incendie au Moyen Age à la privation moderne de liberté

Par Antoine Reverchon

Intrusion de la contrainte collective dans l’intimité individuelle, la mesure désignée sous ce terme reste encore aujourd’hui juridiquement floue.

Histoire d’une notion. Il est rare que le nom d’un banal ustensile de cuisine en vienne à désigner l’interdiction faite à vingt millions de citadins de circuler hors de chez eux aux heures nocturnes. Il s’agit pourtant, dans les deux cas, des mêmes ingrédients symboliques : la présence d’un danger qu’accentue la nuit, et la nécessité de le confiner à l’échelle du domicile.

Au Moyen Age, dans des villes construites essentiellement en bois, il s’agissait tout simplement d’éviter le déclenchement des incendies en couvrant le feu des cheminées, des cuisinières et des fours laissés sans surveillance par les habitants endormis.

Mais plutôt que de les éteindre – à l’instar des chandelles et des torches, qui subissaient à la même heure et pour les mêmes raisons un ordre d’« extinction des feux » – les citadins préféraient enfermer la braise dans des chaudrons fermés d’un couvercle. A l’heure où la nuit tombe, c’est l’une des cloches du beffroi de la ville, à la tonalité spécifique, qui « sonne l’heure du couvre-feu », c’est-à-dire de l’utilisation de ces ustensiles.

Instauration du « guet »

A la fin du Moyen Age, les ordonnances des autorités municipales, ou les ordonnances royales, instituent le « guet », c’est-à-dire des tours de garde dus par tous les citoyens de la ville pour surveiller l’apparition d’un danger extérieur, mais aussi intérieur, dont l’incendie, le vol, les bagarres, constate Boris Bove, historien des villes médiévales (université Paris-VIII).

Et c’est bien sûr la nuit que le danger est le plus vif. L’ordonnance du roi pour la Ville de Paris, en mars 1363, organise ainsi le guet nocturne « afin qu’il fut donné ordre aux accidents de feu, aux meurtres, vols, ravissements de femmes et de filles, et autres méchantes actions ».

Le couvre-feu passe alors dans le registre des « mesures de police », où il s’agit de maintenir l’ordre public, prévenir la délinquance et faire respecter… la moralité. Les arrêtés et ordonnances des autorités des villes européennes règlent ainsi la fermeture des cabarets, des bordels et des portes de la ville, tous lieux de réunion publique d’où peuvent émerger des désordres nocturnes.

Le terme de « chasse-ribeau » – le ribeau étant le vagabond ou le voleur – côtoie dans les textes celui de « couvre-feu », qui continue de désigner l’heure où l’on pose le couvercle sur les braises. Mais Boris Bove indique que, en dehors des temps de troubles militaires ou civils, il n’est pas certain que ces règles aient été véritablement appliquées, sans quoi il n’aurait pas été nécessaire de les rappeler régulièrement.

Mesures militaires

Ces restrictions de liberté de mouvement des « bourgeois » intéressent particulièrement les militaires chargés de la défense des villes fortifiées, ou de la conquête de celles de l’ennemi. Car les habitants des « places de guerre » constituent une gêne : la cohabitation avec la garnison n’est pas sans conflit, a fortiori dans les villes « fraîchement conquises ».

L’historien Sébastien Le Gal (université de Grenoble), spécialiste des villes fortifiées du XVIIe au XIXe siècle, cite ainsi Antoine de Ville (1596-1640), dont le traité « Sur les places de guerre » détaille les mesures que l’état de siège autorise le commandement militaire à prendre à la place de l’autorité civile : confiscation des armes, perquisitions au domicile, restrictions de mouvement, en particulier la nuit.

DANS LES MÉMOIRES ACTUELLES, C’EST LE COUVRE-FEU IMPOSÉ PAR L’OCCUPANT NAZI PENDANT LA SECONDE GUERRE MONDIALE AUQUEL LE TERME RENVOIE

Mais le mot « couvre-feu » n’apparaît jamais dans cette littérature réglementaire, au Moyen Age comme à l’époque moderne, autrement que pour désigner l’heure (ou la cloche) du couvre-feu, le mot isolé désignant toujours l’ustensile de cuisine dans le langage commun.

Etienne Pasquier (1529-1615), magistrat de Paris et auteur des Recherches de la France, monument de l’historiographie, utilise certes le terme pour décrire les mesures de police prises au XIe siècle par Guillaume Le Conquérant pour contrôler les bourgeois de Londres, suspects de résistance au nouveau pouvoir normand. Mais, comme le note François Saint-Bonnet, historien du droit (université Paris-II), le terme n’apparaît pas non plus, encore aujourd’hui, dans les lois, règlements et arrêtés de restriction des libertés de mouvement : lois d’exception du gouvernement révolutionnaire (1793-1794), état de siège (1849), état d’urgence (1955), arrêté préfectoral du 5 octobre1961 du préfet de police de Paris Maurice Papon « déconseillant » aux « musulmans de France » de sortir la nuit, ou arrêtés municipaux de 2005 limitant la liberté de mouvements des jeunes de moins de 18 ans dans plusieurs villes de banlieue touchées par des « émeutes urbaines ». Seuls les commentaires des juristes (la « doctrine ») résument par commodité ce type de mesures sous le nom de couvre-feu.

A chaque fois qu’apparaissent des troubles urbains, les autorités publiques, civiles ou militaires, prennent des mesures de privation de liberté de mouvement que citoyens, journalistes et politiques désignent par le terme de « couvre-feu ».

Dans les mémoires actuelles, c’est donc le « couvre-feu » imposé par l’occupant nazi pendant la seconde guerre mondiale, ou encore la répression sanglante de la manifestation du Front de libération nationale (FLN) algérien, le 17 octobre 1961, auxquels le terme renvoie. Ce qui n’est pas forcément très heureux en termes de « communication politique » lorsque le président de la République l’utilise pour désigner un simple confinement nocturne censé limiter la diffusion d’un virus.

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24 octobre 2020

Danseuse au Crazy Horse la nuit, infirmière au bloc le jour : Daniella panse les plaies du corps et de l'âme

En première ligne dans la lutte contre la Covid-19, cette jeune infirmière trouve son exutoire sur la piste de danse du célèbre cabaret parisien.

Fermé depuis plus de six mois, le Crazy Horse a rouvert au public le 1er octobre dans le respect des règles sanitaires. Un moment festif et joyeux pour l'équipe du cabaret parisien comme Tina qui cumule deux métiers : danseuse et infirmière.

Une vocation et une passion

Elle s'appelle Daniella le jour et Tina le soir. Tout au long de la journée, Daniella sauve des vies au bloc opératoire et le soir venu, elle rejoint la scène du Crazy Horse. Infirmière le jour et Crazy girl le soir, une double vie peu commune qu'elle pratique avec le même engagement. "Je n'ai pas de préférence. Infirmière est ma vocation et danser sur la scène du Crazy Horse, c'est une passion", confie-t-elle.

Après ses vacations de douze heures à l'hôpital, Daniella quitte sa blouse d'infirmière pour rejoindre une scène un peu plus glamour. Son activité pour le temple du déshabillé chic impressionne son entourage. "Après les journées qu'on fait ici, elle trouve encore la force d'aller émerveiller les gens et danser magnifiquement, je l'admire", s'extasie un collègue.

Soigner les âmes et les corps

Durant le confinement, Daniella a été entièrement mobilisée en réanimation aux côtés des patients atteints de Covid-19. La période actuelle renforce son implication auprès des malades et sa conviction d'apporter un peu de douceur aux spectateurs. "On ne peut pas vivre sans divertissement, on a besoin du cinéma, du théâtre ou de la chanson", assure-t-elle.

Durant le couvre-feu, qui débute dès 21h à Paris, le Crazy Horse a aménagé ses horaires de programmation.

 "Totally Crazy", le samedi et le dimanche à 15h30 et 18h.

crazy

24 octobre 2020

Les tristes temps modernes vus par Dupontel

dupontel

Article de Véronique Cauhapé

Le cinéaste accumule les stéréotypes pour dénoncer les dérives de la société actuelle, jusqu’à l’indigestion

ADIEU LES CONS

Dans le cinéma d’Albert Dupontel, les personnages ne tournent jamais bien rond, pas plus que les histoires dans lesquelles ils s’embarquent. De Bernie, l’orphelin un rien demeuré qui s’invente son propre roman familial, à Roland, le SDF hébété qu’un uniforme de policier transforme en Robin des bois (Enfermés dehors), en passant par Ariane Felder, la juge psychorigide enceinte d’un serial killer (Neuf mois ferme), c’est un bel escadron de baltringues qui s’est formé. Et dans leur sillage, pas mal d’aventures « cartoonesques », de bagarres absurdes, d’enquêtes foireuses. L’affaire n’est pas finie.

Le bataillon, dont les dernières recrues venaient des tranchées – Albert et Edouard, les deux rescapés bien amochés d’Au revoir là-haut –, se voit aujourd’hui gratifié de l’arrivée d’un nouveau trio : Jean-Baptiste Cuchas, dit « JB » (Albert Dupontel), un fonctionnaire dépressif, obnubilé par l’informatique ; Suze Trappet (Virginie Efira), une coiffeuse à qui il reste peu de temps à vivre ; et M. Blin (Nicolas Marié), un archiviste aveugle, imbattable sur les dossiers d’accouchement sous X dont il a la charge. L’imprévu les ayant réunis, ces trois-là, bancals chacun à sa façon, sont nos guides dans Adieu les cons. Tout un programme.

Le film suit les règles établies depuis longtemps par Dupontel. Une intrigue simple dont l’enchaînement s’embrouille au fil d’accidents farfelus qui en retardent le dénouement. Des personnages déglingués par le monde environnant, qui se divise en deux catégories : les nantis et les laissés-pour-compte ; les décideurs et les paumés. Cette fois : les cons (l’administration, la police, les patrons, cadres dirigeants… ils sont nombreux) et les autres (une poignée). Au contact des premiers, les seconds ont été réduits à presque rien, se sont déshumanisés et ont perdu l’essentiel de ce qui vaut d’être vécu : la capacité d’aimer. Cette représentation sans équivoque ni subtilité de la société contemporaine s’illustre malheureusement par un empilement de péripéties éculées et d’effets esthétiques ostentatoires qui, loin de le dynamiser, contraint le film à un style guindé et vieillot.

Un conte désuet

Le regard que porte Dupontel sur les temps modernes se traduit par un conte désuet dans lequel chaque personnage est condamné à l’archétype. « JB », le chevalier taciturne et déchu (de ses fonctions) ; M. Blin, le fou du roi, fantaisiste et serviable ; Suze Trappet, la fée, belle et tendre comme un cœur dont le visage, la première fois, nous apparaît décomposé par le chagrin. Assise face à un spécialiste du cerveau, elle apprend que les particules nocives libérées par les bombes de laque de son salon de coiffure ont bouffé sa cervelle. Il ne lui reste plus que quelques jours à vivre. Elle décide de les utiliser pour retrouver l’enfant qu’elle a été forcée d’abandonner dès sa naissance, vingt-trois ans plus tôt. Alors, seulement, pourra-t-elle partir tranquille.

Mais lancée comme un bolide vers sa mission, voilà que Suze entre en collision avec un individu gravement désorienté. Le « JB » en question vient de tenter de se suicider après sa mise à l’écart professionnelle. Il s’est raté, blessant au passage l’agent de police avec lequel avait précisément rendez-vous Suze Trappet.

Les deux inconnus – elle, presque morte mais bien vivante ; lui, vivant mais déjà mort – vont faire un bout de route ensemble, unis par le hasard qui ne tarde pas à leur adjoindre un nouveau compère en la personne de M. Blin, l’archiviste devenu aveugle à la suite d’une bavure policière. A trois, forcément, se multiplient les embrouilles et les rencontres.

Personnages caricaturaux

Durant leur cavalcade, les trois lascars croisent un médecin atteint d’Alzheimer dont l’écriture est illisible (Jackie Berroyer), un profileur de pacotille (Michel Vuillermoz), un jeune cadre handicapé des sentiments (Bastien Ughetto) et plusieurs fonctionnaires incompétents (Laurent Stocker, Grégoire Ludig, David Marsais) – personnages caricaturaux qui permettent au cinéaste de pointer, à la va-vite, les fléaux de notre époque.

Ainsi expédié le versant « tragique » de l’histoire, peut-on s’abandonner à la comédie. Celle-ci, hélas, manque d’esprit. L’humour de Dupontel, sa faculté à faire dérailler les lignes droites, à introduire du burlesque dans les situations sérieuses, à rendre grinçante sa colère, semble s’être envolée avec les cons. Le film, qui fait brailler les flics comme des gardes-chiourmes, agir les informaticiens comme des pantins, trébucher l’aveugle, n’amuse pas. Et se fait oublier dès sa fin consommée.

Film français d’Albert Dupontel. Avec Albert Dupontel, Virginie Efira, Nicolas Marié (1 h 27).

24 octobre 2020

Caroline Vreeland

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24 octobre 2020

Eoliennes : dans la baie de Saint-Brieuc, de l’électricité dans l’air

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Par Pierre-Henri Allain, envoyé spécial dans la baie de Saint-Brieuc - Libération

Les éoliennes, hautes de 210 mètres, doivent être déployées sur 75 km2 dans la baie, classée Grand Site de France. 

Un projet de parc de 62 éoliennes en mer, dont les travaux doivent débuter l’année prochaine, suscite une vague de protestations. Pêcheurs, habitants et élus craignent pour l’économie locale et la préservation d’un site protégé.

Crispations, tensions, protestations : une nouvelle levée de boucliers s’est dressée ces dernières semaines contre le projet d’éoliennes en mer de la baie de Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor), un des sept projets offshore programmés au large des côtes françaises entre 2022 et 2027. Comme une flambée soudaine ayant mobilisé pêcheurs et élus, jusqu’alors plutôt discrets, face à un projet qui fait couler de l’encre depuis déjà une bonne dizaine d’années. Sur le port d’Erquy, où les petits bateaux de pêche artisanale viennent un à un, deux jours par semaine, décharger leurs sacs remplis de coquilles Saint-Jacques, après avoir dragué les fonds marins de la baie durant quarante-cinq minutes - pas une de moins, pas une de plus -, une grande banderole déployée non loin de la criée annonce la couleur : «Non, les éoliennes ne doivent pas remplacer les pêcheurs».

«Alors qu’on nous annonce le démarrage des travaux pour 2021, les gens prennent conscience de ce que ce projet représente, estime Henri Labbé, le nouveau maire d’Erquy. Jusqu’à présent, il y a eu beaucoup d’enfumage, mais on commence à y voir plus clair.» Henri Labbé est lui-même monté au créneau au printemps en s’opposant aux travaux que devait engager RTE, l’entreprise publique de transport de l’électricité, pour le raccordement des câbles de 220 000 volts devant acheminer l’énergie des éoliennes au continent sur la plage de Caroual, une des plus belles de la commune, avant de repartir vers le transformateur d’Hénansal, près de Lamballe. Une aberration selon l’édile, alors que le premier forage en mer n’a pas encore eu lieu. «On nous a mis une pression énorme et je sais que la commune risque une amende, relève Henri Labbé. Mais Erquy, entre la pêche et le tourisme, ne vit que de la mer et j’ai toujours dit que je ne voulais pas d’éoliennes au large.»

Une position partagée par les municipalités environnantes qui, du cap d’Erquy au cap Fréhel, classé Grand Site de France, ne sont qu’à seize kilomètres de l’emplacement retenu pour le projet et craignent qu’un parc de 62 éoliennes (de 8 MW chacune), hautes de 210 mètres pales comprises, déployées sur une surface de 75 km2, ne vienne gâcher la vue. Sans compter les menaces que font peser les travaux sur la ressource halieutique. A l’origine, ce site avait été choisi par les pouvoirs publics pour des raisons géologiques : les fonds marins y permettent l’implantation d’éoliennes.

Alors qu’il voyait il y a quelques années d’un œil plutôt favorable la perspective d’un parc éolien au large de la cité briochine, le député des Côtes-d’Armor et conseiller régional (LR), Marc Le Fur, s’est insurgé fin septembre contre un projet jugé «funeste» et «extrêmement dangereux». Qui plus est, porté par une société pas forcément claire à ses yeux, le géant de l’électricité espagnol Iberdrola, dont la filiale à 100 % Ailes Marines pilote le dossier. Allusion aux différentes accusations de fraudes et de corruption survenues à l’encontre de la société espagnole ces dernières années.

Opacité

Dans sa circonscription de Loudéac, le député continue de dénoncer une catastrophe «économique, écologique et financière» et les menaces qui pèsent sur un «écosystème exceptionnel». «La baie de Saint-Brieuc représente une des plus belles réserves ornithologiques d’Europe et abrite avec la baie de Saint-Malo et du Mont-Saint-Michel une des plus importantes populations de dauphins et de marsouins. Pour ce parc d’éoliennes, entouré de zones Natura 2000, on déroge à toute la réglementation sur la protection des oiseaux et des mammifères marins», assène-t-il. Dans le collimateur du député, on trouve également le coût du projet, jugé exorbitant pour le contribuable. Afin de compenser de lourds investissements, l’Etat et EDF se sont en effet engagés à racheter l’électricité 155 euros le MWh à Iberdrola, alors que son coût moyen en France se situe autour de 40 à 50 euros. Soit une aide de 4,7 milliards d’euros sur vingt ans pour la société espagnole.

Autant d’arguments que défend bec et ongles Katherine Pujol, présidente de l’association Gardez les caps, qui se bat depuis dix ans contre ce parc offshore et stigmatise une «privatisation du domaine public maritime» autant que l’opacité du dossier. «Comment se fait-il qu’après l’appel d’offres, le projet ait été attribué à la société qui arrivait en second ?» s’interroge-t-elle. Katherine Pujol ne digère pas davantage qu’il ait été fait si peu de cas des richesses naturelles de la baie de Saint-Brieuc. Une vaste zone qui, outre la coquille Saint-Jacques, sa ressource principale, abrite toutes sortes de poissons, de zones de reproduction et d’habitats marins. A commencer par les coraux qui recouvrent ses rochers. «Il s’agit d’eaux de très bonne qualité, très peu polluées, alors que les systèmes prévus pour empêcher la corrosion des éoliennes, les "anodes sacrificielles", lâcheront quotidiennement 160 kilos d’aluminium dans la mer !» pointe-t-elle. Après avoir engagé, en vain, plusieurs procédures administratives, la présidente de Gardez les caps espère qu’un ultime recours, engagé par des associations de pêcheurs devant la Cour de justice de l’Union européenne, fera barrage aux éoliennes. Une procédure mettant notamment en cause les largesses financières publiques accordées à Iberdrola et Ailes marines, qui auraient pour conséquence de chasser une activité, la pêche, pour en favoriser une autre, l’exploitation de l’énergie éolienne.

En attendant et en l’absence d’études d’impact finalisées sur la ressource halieutique, qu’il s’agisse des effets potentiellement délétères des travaux, programmés sur deux ans, ou de la phase d’exploitation, les pêcheurs s’alarment de cette épée de Damoclès. «Il y a dix ans, on ne connaissait rien aux éoliennes et on a simplement demandé qu’il y ait des études qui nous garantissent de ne pas perdre notre ressource. Dix ans après, il n’y a toujours aucun résultat validé sur l’impact du bruit pendant les travaux ou la turbidité des eaux. On a l’impression qu’on s’est fait mener en bateau et on n’a plus confiance», résume le président du Comité des pêches (CDP) des Côtes-d’Armor, Alain Coudray, bras tatoués et bagues à têtes de mort aux doigts. Dans son bureau de Pordic, il rappelle que ce sont près de 300 bateaux, soit quelque 800 familles et environ 3 000 emplois liés à la pêche qui pourraient être affectés. «Entre le Brexit qui risque d’exacerber la concurrence dans le sud de la Manche et les éoliennes, on est pris entre deux feux», s’alarme-t-il.

Les expériences menées en laboratoire par des chercheurs du CNRS sur les décibels qui seront diffusés en Manche laissent Alain Coudray sur sa faim. Nul doute que les bruits générés par les forages sous-marins (près de 200 trous de 3 mètres de diamètre sur plusieurs dizaines de mètres de profondeur) et les sédiments dégagés feront fuir une grande partie de la faune. Sans garantie de retour. «Alors qu’on a fait d’énormes efforts pour préserver le gisement de coquilles Saint-Jacques, on a des craintes pour les juvéniles et la reproduction des coquilles, mais aussi pour la seiche et les autres crustacés, homards ou araignées», souligne Alain Coudray qui réclame une «suspension» du projet, tandis qu’Ailes marines a promis des premiers résultats d’études en milieu naturel pour le 4 novembre.

«Autonomie énergétique»

Adepte convaincu de la «filière» des énergies marines renouvelables, Loïg Chesnais-Girard, président PS du conseil régional de Bretagne, plaide de son côté pour un dialogue renoué entre élus, pêcheurs et Ailes marines, jurant ses grands dieux qu’il est «hors de question de sacrifier la pêche», partie intégrante de «l’identité des Bretons». «Nous voulons et la pêche et les énergies marines renouvelables, martèle-t-il. L’autonomie énergétique de notre région est un vrai sujet et nous devons assumer nos responsabilités par rapport à la transition énergétique. Il faut terminer toutes les études en cours et mettre en place les solutions pour répondre à d’éventuelles difficultés.» Le président de région, qui relève le retard pris par la France sur l’éolien offshore par rapport à d’autres pays d’Europe, rappelle également les accords conclus il y a une dizaine d’années entre représentants des pêcheurs, associations environnementales et promoteurs du projet sur l’emplacement et les caractéristiques du parc. Enfin, si le projet de la baie de Saint-Brieuc ne générera pas les 1 000 emplois promis en Bretagne, il se félicite des 250 salariés qui seront embauchés à terme sur la structure récemment inaugurée à Brest pour fabriquer les fondations des éoliennes (les « jackets »).

Depuis 2012, sept projets de parcs posés en mer ont été attribués au large des côtes françaises dans le cadre des appels d’offres lancés par l’Etat, qui affiche l’ambition d’atteindre 40 % d’électricité renouvelable à l’horizon 2030. Au Havre, l’usine Siemens-Gamesa où seront fabriquées les pales et les nacelles des éoliennes de cinq de ces sept projets, dont celui de Saint-Brieuc, est sur les rails, avec 750 emplois à la clé. Selon Ailes marines, les éoliennes briochines seraient capables d’alimenter à elles seules 835 000 habitants en électricité. Un chiffre très surestimé selon les associations. Pas sûr, dans tous les cas, qu’il suffise à calmer la grogne.

24 octobre 2020

«Affirmer l’accueil de ces couples au sein de l’Eglise reste un geste fort»

couple LGBT

Par Virginie Ballet — Libération

Sans être surpris par la déclaration papale, Cyrille de Compiègne, porte-parole de l’association LGBT+ chrétienne David & Jonathan, rappelle que le sujet cristallise des tensions.

Dans un documentaire diffusé mercredi à Rome, le pape François s’est dit favorable à l’union civile pour les couples gays. Une avancée que salue Cyrille de Compiègne, porte-parole de l’association LGBT+ chrétienne David & Jonathan, pour qui on est toutefois encore loin d’une reconnaissance du mariage gay.

Cette prise de position du pape est-elle historique ?

C’est la première fois qu’un pape prononce une parole aussi affirmative et aussi forte. Rappelons qu’au début des années 2000, Joseph Ratzinger s’opposait fermement à une reconnaissance des unions homosexuelles. Donc en ce sens, c’est historique, mais cela s’inscrit aussi dans une continuité depuis le début du pontificat du pape François. Il est dans une démarche d’ouverture aux personnes LGBT, à qui il a régulièrement manifesté du soutien et un appui à leur accueil au sein de l’Eglise. Là, il ne s’agit plus seulement d’accueillir les personnes homosexuelles, mais de reconnaître les couples, ce qui est quand même très nouveau.

Il se dit favorable à l’union civile, ce qui n’est pas une reconnaissance du mariage. Est-ce une manière d’acter une forme de discrimination ?

Il est vrai que les prises de position précédentes du pape François en faveur de l’union civile, lorsqu’il était archevêque de Buenos Aires, visaient surtout à éviter une validation du mariage gay en Argentine… Nous militons clairement en faveur du mariage pour les couples de même sexe, ce qui constituerait une pleine égalité entre couples homosexuels et hétérosexuels. Beaucoup de nos adhérents aimeraient une reconnaissance religieuse de leur union, qui peut certes être célébrée civilement en France, mais sans cérémonie religieuse ou accompagnement spirituel. L’union civile est du ressort des Etats, mais ne fait rien bouger concernant l’accompagnement spirituel des couples dans l’Eglise catholique.

Il ne s’agit à ce stade que d’une petite phrase tirée d’un documentaire. A quand le changement de doctrine de l’Eglise ?

On le voit comme une stratégie du pape François : c’est un sujet qui cristallise énormément de tensions, suscite beaucoup de conflits. Du coup, le changement doctrinal est bloqué, mais il nous semble que le pape cherche à montrer l’exemple d’une démarche d’accueil et d’ouverture, comme une manière d’agir du bas vers le haut, en multipliant les rencontres avec les concernés. Pour autant, il reste une certaine forme d’ambiguïté, qu’on pourrait résumer ainsi : je respecte, mais je reste en désaccord avec ce mode de vie. Malgré tout, des portes se sont ouvertes dans l’Eglise au fil du temps. Le sujet est devenu plus visible. Dans certains diocèses français, des initiatives ont aussi vu le jour, comme des groupes d’échange organisés par la pastorale familiale du diocèse, ou des temps de retraite et un accompagnement spirituel dans des structures religieuses à destination spécifiquement des personnes LGBT.

Le pape a aussi déclaré que «les personnes homosexuelles ont le droit à une famille». Ouvre-t-il la voie à la parentalité LGBT ?

Il me semble que la famille à laquelle il fait référence est plutôt celle de l’Eglise. Le pape François a reçu un certain nombre de personnes LGBT et je pense qu’il soutiendrait quelqu’un qui serait rejeté par ses parents, mais je ne conçois pas cette déclaration comme une ouverture à une validation d’un modèle familial LGBT. D’autant qu’il a auparavant tenu des propos qui me semblent encore d’actualité, concernant sa conception du modèle familial, qui demeure un couple hétérosexuel avec des enfants conçus biologiquement. Mais affirmer cet accueil au sein de l’Eglise reste un geste fort : certains de nos adhérents engagés dans leur paroisse vivent encore d’importantes discriminations, du rejet au refus de baptême ou d’obsèques. Et à l’international, il y a encore des pays où l’Eglise catholique soutient la pénalisation de l’homosexualité, comme ce fut le cas en juin au Gabon, lorsque l’archevêque de Libreville s’est dit opposé à la dépénalisation. On peut espérer que ça fasse vraiment changer les choses, notamment sur le continent africain, où la situation des personnes LGBT est particulièrement complexe, et le poids de l’Eglise très fort.

Quel peut être l’impact de ces déclarations sur les discriminations que vous décrivez ?

Le pape est une figure d’autorité, qui peut apporter une forme de validation aux personnes LGBT ressentant le besoin de s’ouvrir sur le sujet au sein de leur paroisse. Mais l’Eglise catholique, dans toute la complexité de sa structure institutionnelle, continue d’être très divisée là-dessus. Pour que cette prise de position s’impose, il faudrait que le pape la fasse valoir de manière très officielle.

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