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Jours tranquilles à Paris

18 mai 2020

Coronavirus : le télétravail, nouvel idéal ?

enseignement distance

Enquête - Par Anne Rodier - Le Monde

L’expérience du confinement a validé la possible extension du travail à distance pour certains métiers. Des barrières sont tombées et les contraintes sont mieux connues. Qu’en restera-t-il dans l’organisation du travail de l’après-crise sanitaire ?

« J’ai appelé mon directeur à 8 heures. On a créé un Skype et on partage le même bureau. J’appuie sur un bouton, il voit ce que je vois », raconte Elise Geinet, responsable commerciale installée à Bordeaux dans sa cuisine, « car la pièce est grande ». Le télétravail était le quotidien d’Elise avant le Covid-19, il l’est pendant et le sera probablement après. Le ministère du travail a estimé à 30 % (7 millions de personnes) la part de la population active susceptible de travailler à distance – davantage dans les grandes entreprises que dans les petites. Fin mars, un salarié sur 4 était en télétravail, selon une enquête de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares). Et alors même qu’un tiers des employeurs n’y étaient pas favorables avant la pandémie, plus de 90 % d’entre eux l’ont mis en place. Qu’en restera-t-il dans l’organisation du travail de l’après-crise sanitaire ?

Le Monde

Le premier atout de cette expérience hors norme est d’avoir mis en place ce qui semblait irréalisable. L’idée même de travailler à distance était jugée incompatible dans des secteurs entiers de l’industrie ou des services, comme la banque. « Il n’y avait pas du tout de télétravail dans le réseau [d’agences bancaires] pour des raisons de sécurité essentiellement, explique Philippe Fournil, délégué CGT de la Société générale. Avec la crise sanitaire, ce qui était impossible pendant des années est devenu un peu possible, et on a été équipés. » Même scénario pour les services informatiques du géant du conseil Accenture, qui n’avaient pas accès au télétravail pour des raisons de sécurité et d’infrastructure.

Certains métiers (cardiologue, député) ou certaines activités (la gestion de projets) excluaient également le travail à distance. Depuis mars 2020, tous les médecins consultent à distance, les commissions parlementaires et les auditions d’experts se tiennent en visioconférence, les informaticiens travaillent à domicile et les projets collectifs avancent, même à l’international.

« Remettre sur les rails un projet qui se développe en Asie sans se rendre sur place paraissait inconcevable », reconnaît Vinciane Beauchene, directrice associée au Boston Consulting Group. Cela ne l’est plus désormais. Y compris en « mode agile » : « Des équipes techniques qui doivent sortir des produits en mode itératif sur des boucles très courtes (on teste, on adapte) ne travaillaient qu’en présentiel, les chercheurs ont réussi à continuer à distance. La généralisation du télétravail nous a permis de repousser la frontière de ce qu’on croyait impossible », résume Julien Fanon, consultant associé chez Accenture.

« Pas une fin en soi »

Le télétravail ne va pas pour autant devenir la règle de l’après-11 mai. Lors de sa présentation du plan de déconfinement progressif, le 28 avril, le premier ministre Edouard Philippe a rappelé que « nous allons devoir vivre avec le virus » et a demandé aux entreprises de maintenir le télétravail « partout où c’est possible » durant cette période.

Mais les deux tiers des postes ne sont pas compatibles avec le travail à distance, indique le ministère du travail. Et même si « on est capables d’œuvrer en télétravail, certains trouvent que c’est compliqué. Le télétravail crée de l’isolement et une certaine fatigue, car on est tout le temps au téléphone. Le lien social n’est pas le même et il y a encore des choses qu’on n’arrive pas à faire », remarque Hélène Gemähling, DRH de Nespresso France. Depuis la mi-mars, nombreux sont les salariés qui ont pris conscience de la perte de lien social, tentant de reproduire en visioconférence tout ce qui ressemble au côté informel de la machine à café.

Le Monde

L’urgence de la situation a poussé les entreprises à repenser l’activité à 100 % en télétravail. PSA en a déjà conclu qu’à l’avenir ce serait la référence pour les activités non liées à la production. La présence sur site ne sera plus que « d’une journée à une journée et demie par semaine en moyenne » pour les salariés dans le tertiaire, le commercial et la recherche-développement, a précisé le DRH, Xavier Chéreau.

Dans l’incertitude du moment, les entreprises envisagent plus généralement de renforcer la place du télétravail dans l’organisation par hybridation. « Le télétravail n’est pas une fin en soi, relève Olivier Girard, le président France-Benelux d’Accenture. Quand on ne sera plus en crise sanitaire, on ne restera sans doute pas à 30 % de l’économie française en télétravail, mais l’organisation du travail sera devenue hybride, avec du télétravail et du présentiel. Les discussions pour aller plus loin dans les accords [de télétravail, en place depuis 2010] étaient ouvertes avant le coronavirus et vont se poursuivre. »

« IL VA Y AVOIR UN RÉÉQUILIBRAGE ENTRE LE TRAVAIL EN PRÉSENTIEL ET LE TÉLÉTRAVAIL », EXPLIQUE JEAN-CHARLES VOISIN

Introduit dans le code du travail depuis la loi Warsmann II du 22 mars 2012, le télétravail n’est plus l’apanage des seuls cadres. Dans la dernière enquête Surveillance médicale des expositions des salariés aux risques professionnels (Sumer), 61 % des télétravailleurs étaient cadres.

« Il va y avoir un rééquilibrage entre le travail en présentiel et le télétravail, explique Jean-Charles Voisin, DRH de Jungheinrich France, un fournisseur d’équipements industriels, spécialiste du chariot élévateur. Fin 2018, nous avions signé un accord de quatre jours par mois de télétravail exclusivement pour les cadres [25 % des 1 200 salariés], parce qu’ils étaient équipés. En 24 heures, 50 % de l’effectif a dû télétravailler. On a paramétré tous les ordinateurs fixes de l’entreprise pour être utilisés à distance, et ça a marché. Pour l’“après”, on étudie l’extension du télétravail aux autres catégories de personnel, et les moyens matériels nomades (portables, téléphones…) à leur fournir. »

« Accélération culturelle »

Les entreprises ont en effet dû se pencher sur la question de l’équipement du télétravailleur. Chez Nespresso, le télétravail était déjà une pratique courante pour les fonctions support (300 personnes sur un effectif de 1 400), à raison de deux jours par semaine.

« On souhaitait étendre le télétravail au centre relation client de Lyon [170 salariés], où seuls les cadres télétravaillaient. Le confinement a accéléré la mise en œuvre, témoigne Hélène Gemähling. Tout le monde était déjà équipé d’ordinateurs et de casques. Mais certains sont venus chercher leur fauteuil ergonomique. Et au bout d’un mois de confinement, nous avons de nouvelles demandes de salariés qui souhaitent venir chercher leur fauteuil de bureau. »

Le Monde

A une autre échelle, chez Engie ou à la Société générale, le matériel a été fourni pendant le confinement. « On a acheté des portables pour le réseau (…). On a fait un stress-test grandeur nature. On a fait confiance aux staffs et on a eu raison », déclarait Caroline Guillaumin, la DRH du groupe Société générale, en téléconférence avec les syndicats, le 14 avril.

Chez Engie, « le fait d’avoir à équiper 55 000 salariés pour interagir en télétravail a montré que tout cela était efficace pour tout le monde, constate de son côté Pierre Deheunynck, le DRH du groupe. On avait un niveau de maturité [numérique] intermédiaire, validé par un accord d’entreprise à deux jours par semaine, et des salariés, comme les manageurs, pas très enthousiastes. Nous avons fait bouger le management. Des freins ont été levés. » Dans le plan de continuité qui suivra le plan de reprise, le groupe envisage d’accorder une plus grande place au télétravail. « Certains salariés ont constaté que finalement, le télétravail, c’est pas si mal », résume M. Deheunynck.

Mais « le télétravail est bien plus que du travail à distance, c’est un sujet culturel et de méthode. Ça remet le rôle de l’équipe en exergue, qui forge d’autres méthodologies », estime Olivier Girard. Accélération de l’acculturation numérique, acquisition de compétences techniques, autonomisation des salariés : « En quelques semaines, on a réalisé cinq ans d’accélération culturelle », développe Julien Fanon.

« On se resserrera les mains »

Au jour le jour, les manageurs ont appris à faire des réunions plus courtes, mieux organisées dans l’ordre du jour et la prise de parole, et à décider plus vite. « Les ateliers de créativité duraient deux heures minimum en présentiel. On a tout réinventé pour découper en séances de vingt-cinq ou cinquante-cinq minutes maximum, afin de pouvoir faire une pause entre chaque, car au téléphone, une réunion de plus de deux heures n’est pas possible. Après le confinement, je pense qu’on aura convaincu beaucoup de monde qu’il n’est plus besoin d’aller à Rouen pour tenir un atelier de créativité », poursuit le consultant associé chez Accenture.

Mais « c’est quand même formidable de se retrouver en réunion. On reprendra l’avion et on se resserrera les mains », relativise Olivier Girard. Chez Engie aussi, « la pratique des voyages va évoluer », affirme Pierre Deheunynck, après avoir constaté qu’il a été possible de réunir plus de 2 500 salariés en même temps et à distance.

« LES ENTREPRISES ONT PRIS CONSCIENCE QUE LE TÉLÉTRAVAIL RENFORCE LA NÉCESSITÉ D’AVOIR UNE STRATÉGIE ET UNE VISION CLAIRE DE SES PRIORITÉS », INDIQUE VINCIANE BEAUCHENE

La crise liée au Covid-19 a créé un véritable électrochoc. « Les entreprises ont pris conscience qu’au-delà de l’outil et de la capacité à l’utiliser, le télétravail renforce la nécessité d’avoir une stratégie et une vision claire de ses priorités et la capacité à la communiquer », explique Vinciane Beauchene.

L’importance de la communication dans la vie de l’entreprise aura été un des premiers enseignements de cette période particulière. Communiquer plus, beaucoup plus, pour asseoir les nouveaux canaux de circulation de l’information, s’assurer que chacun sache à qui s’adresser pour travailler « normalement », et, bien sûr, suivre l’état de santé physique et mentale des salariés. « La visio aide à déceler les salariés piégés dans le surtravail », assure Virginie Jourdan, DRH de Dalibo, une petite entreprise de services.

Le Monde

La visibilité doit être reconstruite « car les mécanismes de coordination ne se reproduisent pas automatiquement en télétravail », ajoute Vinciane Beauchene. Les priorités de l’entreprise doivent être explicitées pour éviter que chacun, derrière son ordinateur, n’avance en ordre dispersé.

Le sociologue Jean Pralong, qui a suivi 317 télétravailleurs durant dix ans, a mis en évidence la « coordination narrative » propre au télétravail, la capacité à se rendre visible là où on n’est pas, à faire parler de soi ou à faire entendre au manageur ce qu’on fait et avec quelles contraintes, au lieu de laisser l’interrelation se faire toute seule. « Quand la petite de 6 ans arrive en pleine visioconférence, ça dit ce que fait le salarié, et ça crée de la sympathie. En visioconférence, il y a des gens qui prennent plus ou moins la parole. Le télétravail valorise des salariés et en met d’autres dans l’ombre, ce ne sont pas forcément les mêmes que dans l’organisation. Des travailleurs loyaux peuvent être mis en difficulté ou devenir invisibles », alerte le sociologue.

Enfin, la généralisation soudaine du télétravail a mis en exergue l’importance du collectif pour l’entreprise, en apportant une connaissance plus fine des équipes. Grâce aux différents outils mis en place pour cette période, chacun a pu se rendre compte du contexte dans lequel travaille l’autre. « Cette période a confirmé l’engagement des collaborateurs, résume Hélène Gemähling. Il faut bâtir là-dessus. »

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18 mai 2020

Libération du 18 mai 2020

libé 18 mai

18 mai 2020

L’OMS réunit son assemblée mondiale dans la tempête du Covid-19

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Par Paul Benkimoun - Le Monde

Pour la première fois, l’instance suprême de l’Organisation mondiale de la santé se réunira de façon virtuelle, lundi et mardi, alors que la pandémie continue de progresser.

Contrairement à d’autres institutions internationales qui ont reporté la réunion de leur instance souveraine, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) tiendra bien sa 73e assemblée annuelle − l’Assemblée mondiale de la santé (AMS) −, lundi 18 et mardi 19 mai, dans des conditions particulières. La pandémie de Covid-19 qui continue de se propager, notamment dans les Amériques, en Europe de l’Est et en Afrique, oblige à une réunion virtuelle, dans un format très raccourci par rapport aux dix jours habituels.

Elle examinera en particulier une résolution sur la réponse au Covid-19 promue par l’Union européenne (UE) et rassemblant une centaine d’Etats membres. Le texte aborde la question de l’accès équitable aux technologies, médicaments et vaccins contre le SARS-CoV-2, mais demande également « au plus tôt » une « évaluation indépendante de la riposte sanitaire internationale coordonnée par l’OMS » face au Covid-19.

Il n’était pas acquis d’avance que l’AMS puisse se tenir. « C’est un gros défi pour nous car il y a des questions techniques et de sécurité, notamment afin de nous prémunir contre des tentatives de piratage dans le système informatique qui serait utilisé lors des votes », explique Bernhard Schwartlander, chef de cabinet à l’OMS.

Plus de 4,5 millions de cas et plus de 300 000 morts sont déjà à déplorer, selon les données de l’OMS. « La pandémie est toujours en phase d’expansion. Il y a une stabilisation en Europe de l’Ouest, mais la courbe est ascendante en Europe de l’Est ; elle est en expansion en Asie du Sud-Est et diminue dans la région Pacifique. La maladie est en hausse dans les Amériques : les pays d’Amérique sont de plus en plus touchés et les Etats-Unis constituent actuellement l’épicentre de la pandémie. Enfin, l’Afrique est de plus en plus atteinte », résume Ibrahima-Socé Fall, sous-directeur général chargé des interventions dans les situations d’urgence à l’OMS.

Un « appel à l’action »

L’OMS a déjà mis en place une aide matérielle à 135 pays à revenu faible ou intermédiaire dans le cadre d’un consortium rassemblant, outre les institutions du système onusien, des ONG, des donateurs et des agences de financement. Il négocie entre autres des achats d’équipements de protection personnelle, de tests diagnostiques et de produits médicaux.

Cela ne saurait suffire à permettre à tous les pays touchés d’avoir accès simultanément aux tests diagnostiques, aux médicaments et plus tard aux vaccins, à mesure qu’ils seront disponibles. Pour cela, les Etats membres de l’OMS doivent s’accorder sur cette question essentielle. « Le débat sur l’accès aux technologies et produits de santé est plus que jamais important. Cette pandémie nous apprend qu’à moins que tout le monde, partout, dispose des moyens de se maintenir en bonne santé, le virus reviendra et nous connaîtrons une deuxième, une troisième vague, met en garde Bernhard Schwartlander. C’est pour cela que nous lançons un “appel à l’action” pour l’accès aux outils médicaux afin qu’ils soient au plus vite disponibles. »

C’est l’un des axes majeurs d’une résolution qui sera proposée lors de la seconde journée de cette AMS. L’Union européenne en a pris l’initiative et l’Allemagne, la Finlande et la France en ont rédigé le premier jet fin mars. Début mai, une version était adoptée par l’UE et ses Etats membres, ainsi que par neuf autres pays, dont l’Australie, la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni. A présent, plus d’une centaine de pays sur les 194 Etats membres que compte l’OMS s’y sont ralliés et non des moindres : la Russie, l’Inde, neuf pays d’Amérique latine, le Japon, le Canada ou encore la Corée du Sud.

Accès universel, rapide et équitable

La résolution a fait l’objet de compromis. Elle « demande l’accès universel, rapide et équitable et la juste distribution de tous les produits et de toutes les technologies de santé essentiels de qualité, sûrs, efficaces et abordables, y compris les éléments qui les constituent et leurs précurseurs, nécessaires à la riposte contre la pandémie de Covid-19, en en faisant une priorité mondiale, et l’élimination urgente des obstacles injustifiés à cet accès dans le respect des dispositions des traités internationaux pertinents ». Le texte fait référence aux « flexibilités » prévues dans les accords de l’Organisation mondiale du commerce sur la propriété intellectuelle, qui autorisent la délivrance par les Etats de licences de production pour des produits de santé brevetés.

La résolution cite la notion de « bien public mondial » mais uniquement concernant le « rôle d’une vaccination à grande échelle » contre le Covid-19. Concernant la mise au point et la production des « produits de diagnostic, des traitements, des médicaments et des vaccins sûrs, efficaces, de qualité et abordables pour la riposte » au Covid-19, le texte rappelle les « mécanismes existants de mise en commun volontaire de brevets et d’octroi volontaire de licences de brevets pour faciliter un accès rapide, équitable et économiquement abordable à ces produits ».

Pour les rendre disponibles pour tous, partout en même temps, « tous les médicaments, tests de diagnostic, vaccins et autres produits de santé en lien avec la pandémie devraient être considérés comme des biens publics mondiaux, comme l’a clairement exprimé le secrétaire général des Nations unies le 24 avril dernier. La résolution aurait dû être plus ambitieuse », affirme German Velasquez, conseiller spécial sur la politique de santé au South Centre, une organisation intergouvernementale des pays en développement. « Cette crise doit aussi être l’occasion de réinventer l’OMS en la rendant plus forte et plus indépendante, dotée d’instruments pour faire appliquer ses résolutions », estime M. Velasquez.

« Pas de monopoles pendant une pandémie »

L’ONG Knowledge Ecology International (KEI) a regretté, par la voix de son directeur James Love, un affaiblissement de la résolution par rapport à une version proposée par plusieurs pays, dont le Canada et le Botswana, qui faisait référence à des licences ouvertes. « Pas de monopoles pendant une pandémie, voilà ce que devrait être le message », résume James Love sur le site de son organisation.

Comme KEI, Ellen’t Hoen, directrice du centre de ressources Medicines Law & Policy s’est réjouie de l’annonce, le 15 mai, par le directeur général de l’OMS et les présidents du Costa Rica et du Chili, du lancement à la fin mai d’une plate-forme de mise en commun de connaissances et de propriété intellectuelle pour les produits de santé contre le Covid-19 existants ou nouveaux afin de fournir des biens publics mondiaux pour tous. Elle rappelait cependant dans la revue Nature Medicine, le 7 mai : « Il y a de quoi être légitimement préoccupé de voir l’industrie pharmaceutique chercher à protéger ses intérêts économiques dans cette crise au détriment de l’accès universel. »

La résolution proposée par l’Union européenne prie le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, de « continuer à collaborer étroitement avec l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE), l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et les pays » afin d’identifier la source du SARS-CoV-2. La résolution évoque à ce propos « des missions scientifiques et des missions de collaboration sur le terrain ». Une pierre dans le jardin de la Chine.

Les réseaux sociaux relayent des attaques contre Tedros Adhanom Ghebreyesus, accusé d’avoir asservi l’OMS à la Chine, et des appels à sa démission. L’AMS ne devrait cependant pas être le cadre d’une mise en cause alors que la pandémie continue de faire rage. Comme le demande la résolution promue par l’UE, la façon dont la direction de l’OMS a conduit la riposte au Covid-19 sera évaluée de manière impartiale et indépendante. Cela n’aura vraisemblablement lieu qu’une fois la pandémie maîtrisée. Il apparaîtrait en effet peu responsable d’ajouter une crise organisationnelle à la crise sanitaire mondiale. Sans compter qu’au vu de la manière dont bon nombre de gouvernements prêtent le flanc à la critique dans la gestion de l’épidémie en cours sur leur territoire, leur marge pour donner des leçons pourrait être étroite.

18 mai 2020

Kate Moss

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18 mai 2020

Remaniement, référendum, dissolution… Le casse-tête de Macron pour l’après

Par Cédric Pietralunga - Le Monde

Différents scénarios institutionnels agitent le sommet de l’Etat pour légitimer auprès des citoyens un éventuel changement de sa politique par le président de la République.

Depuis son arrivée à l’Elysée, il y a trois ans presque jour pour jour, Emmanuel Macron le répète à l’envi : il a été élu pour appliquer son programme. Un mantra destiné à le distinguer de ses prédécesseurs, accusés d’avoir peu ou prou renié leurs promesses, mais aussi à lui éviter les godilles de l’exercice du pouvoir. « En aucun cas, je ne changerai de politique, assurait encore le chef de l’Etat en septembre 2018. Je me suis engagé à procéder aux transformations que notre pays, depuis des décennies, avait évitées par le petit jeu du tic-tac de droite et de gauche ou par les lâchetés. (…) Notre priorité n’est pas de durer, mais de faire. »

Dix-huit mois plus tard, Emmanuel Macron doit le constater : le programme de 2017 est tout ou partie caduc, bousculé par l’épidémie due au coronavirus et ses conséquences. La réforme des retraites a été suspendue, celle des institutions est à l’arrêt, l’équilibre budgétaire n’est plus qu’un vœu pieux… Le chef de l’Etat l’a dit lors de ses dernières allocutions : il va changer. « Il nous faudra demain tirer les leçons du moment que nous traversons, a-t-il expliqué le 12 mars. Les prochaines semaines et les prochains mois nécessiteront des décisions de rupture. » « Beaucoup de certitudes, de convictions sont balayées. (…) Le jour d’après (…) ne sera pas un retour au jour d’avant », a-t-il ajouté le 16 mars, promettant de tirer « toutes les conséquences » de la crise du coronavirus.

Mais que se passe-t-il quand on change de programme en cours de mandat ? L’onction de l’élection précédente suffit-elle ? Faut-il légitimer par un autre moyen le virement de bord ? Depuis quelques semaines, ces questions agitent le pouvoir. « Si on sort de la crise par un virage keynésiano-environnemental, le président aura un problème de légitimité et devra repasser par le peuple », estime un proche du chef de l’Etat. Pour le moment, aucune décision n’a été prise. Mais Emmanuel Macron y travaille. « Le déconfinement étant engagé, le président va commencer à empoigner pleinement l’anticipation et se projeter sur l’après, y compris politique », assure l’Elysée.

« Prendre son risque »

Sur le papier, le président dispose de plusieurs solutions institutionnelles. La plus évidente est la dissolution de l’Assemblée et de nouvelles élections législatives. Certains élus y voient l’occasion de renforcer la majorité, émoussée par les départs, et de donner une assise à l’acte III. Mais la plupart l’envisagent avec réticence. « Dans un moment où on appelle les partis à la responsabilité, ouvrir une période électorale, c’est figer le pays », estime un poids lourd de la majorité. « Il y a déjà quatre élections prévues d’ici à 2022 [le second tour des municipales, les départementales, les régionales et les sénatoriales]. Difficile d’en ajouter une autre à moins d’être en campagne permanente », met en garde Roland Lescure, député La République en marche (LRM) des Français de l’étranger.

« HORS COHABITATION, AUCUN PRÉSIDENT N’A JAMAIS ÉTÉ RÉÉLU SOUS LA VE RÉPUBLIQUE. IL NE FAUT PAS ÉCARTER CETTE SOLUTION », POINTE UN MINISTRE

Le précédent de 1997, qui avait vu Jacques Chirac perdre les élections législatives après avoir dissous l’Assemblée, l’obligeant à une cohabitation de cinq ans avec Lionel Jospin, est aussi dans les esprits. « Le souvenir de Villepin est un repoussoir, il y a un côté apprenti sorcier », reconnaît un proche du chef de l’Etat. D’autres, plus radicaux, y voient au contraire une opportunité pour 2022. « Aucun président n’a jamais été réélu sous la Ve République hors période de cohabitation. Il ne faut pas écarter cette solution », pointe un ministre, tout en reconnaissant qu’Emmanuel Macron n’est « pas d’un tempérament à cohabiter ». « Le président est capable de prendre son risque, c’est ce qui fait sa force », note Marie Lebec, députée (LRM) des Yvelines.

Plus classique, un remaniement du gouvernement est évoqué avec insistance. Pour l’aile gauche de la majorité, ce serait l’occasion de débarquer Edouard Philippe, jugé trop à droite. Mais à la condition de raconter une autre histoire. « Si on met Bruno Le Maire à Matignon, cela change quoi pour les Français ? », s’interroge un élu. « Un remaniement n’est qu’une demi-solution car il n’y a pas de légitimité du peuple. Ou alors il faudrait que le virage soit vraiment incarné », abonde un proche du locataire de l’Elysée. Les noms de Yannick Jadot et de Xavier Bertrand sont évoqués parmi d’autres. « Mais le président pourrait tout aussi bien faire tout son mandat avec Philippe, tout va dépendre du projet défini à la sortie de la crise », relativise un autre.

Le risque d’une « nouvelle vague dégagiste »

L’idée d’un gouvernement de coalition, réunissant des membres de chaque famille politique hors le Rassemblement national, est toujours portée par certains élus. « Notre pays mérite cela, estime Matthieu Orphelin, député (ex-LRM) de Maine-et-Loire. Se mettre d’accord sur un projet clair de coalition pour deux ans, quelque chose à l’allemande, permettrait de réembarquer les citoyens. Et cela n’empêcherait pas chacun de présenter ses options en 2022. » Daniel Cohn-Bendit, qui échange avec M. Macron, travaille à cette hypothèse. Mais l’idée semble difficile à mettre en œuvre tant les oppositions y sont hostiles.

Troisième solution, le référendum. Dès avant le Covid-19, Emmanuel Macron l’avait envisagé, pour que les Français s’expriment sur les propositions de la convention citoyenne pour le climat. L’idée prendrait d’autant plus de sens pour dessiner l’acte III. Le hic ? La Constitution ne permet pas de poser n’importe quelle question. « Il faut que cela porte sur un objet juridiquement ciblé. On ne peut pas faire approuver une politique générale », précise l’entourage de Richard Ferrand, président de l’Assemblée nationale. De même, impossible de poser des questions à plusieurs réponses, comme le font les Suisses lors des votations.

Mais c’est surtout la nature plébiscitaire du référendum qui fait hésiter le pouvoir. Depuis la démission du général de Gaulle en 1969, après une consultation où le « non » l’avait emporté, les politiques se méfient de cet objet. « Les Français ont pris l’habitude de répondre à une question qui ne leur était pas posée. Cela peut être le prétexte à une nouvelle vague dégagiste », craint un stratège de LRM, évoquant l’échec de Matteo Renzi, obligé de démissionner en 2016 après que les Italiens ont refusé de réduire le nombre de parlementaires, sujet pourtant consensuel.

Réunir le Congrès à Versailles ?

Reste une quatrième hypothèse, moins spectaculaire mais moins risquée : réunir les députés et les sénateurs en Congrès à Versailles, où le chef de l’Etat prononcerait un grand discours sur l’après. C’était la solution choisie par Nicolas Sarkozy en 2009, lors de la crise financière, et par François Hollande en 2015, après les attentats de Paris. Lors de son élection, Emmanuel Macron avait promis de se rendre chaque été devant les parlementaires, pour rendre compte de son action. Mais sa dernière visite remonte au 10 juillet 2018, celle prévue l’an dernier ayant été annulée à la suite du grand débat.

« RÉPONDRE À LA CRISE PAR UN MECCANO INSTITUTIONNEL, JE NE SUIS PAS SÛR QUE CE SOIT CE QUE LES FRANÇAIS ATTENDENT », MET EN GARDE UN MACRONISTE

Cette solution a l’avantage pour l’exécutif de rester en terrain connu et de gagner du temps. « Cela permettrait de dire où nous voulons aller, avant que les Français partent en vacances, tout en se donnant quelques mois pour les décisions », confie un soutien. Seul bémol : la Constitution ne permet pas au Parlement d’approuver par un vote un discours de politique générale du président. Seuls les sujets constitutionnels peuvent donner lieu à consultation. « Répondre à la crise par un meccano institutionnel, je ne suis pas sûr que ce soit ce que les Français attendent », met en garde un macroniste. « Une déclaration de politique générale du premier ministre suivie par un vote à l’Assemblée, serait déjà une première étape », avance Roland Lescure.

En l’absence de consensus sur l’outil institutionnel, certains préconisent de multiplier les débats au Parlement, en s’appuyant sur l’article 50-1 créé par la réforme constitutionnelle de 2008. Utilisé lors de la présentation du plan de déconfinement, il permet au gouvernement de faire une déclaration à l’Assemblée ou au Sénat, suivie d’un débat et éventuellement d’un vote, sans engager sa responsabilité. « C’est un format collectif qui permet de faire vivre le débat, d’associer davantage les oppositions, on est moins dans le vertical », énumère un conseiller, qui parie sur une prolifération de 50-1 dans les prochaines semaines. « On peut avoir des débats suivis d’un vote sur des sujets non législatifs, comme la rénovation énergétique des bâtiments, cela permettrait de créer du consensus », veut croire Roland Lescure.

A moins que le chef de l’Etat ne sorte de son chapeau une solution inédite, comme l’a été le grand débat au moment de la crise des « gilets jaunes ». « Cela avait été une façon pour le président de légitimer une évolution de sa politique, une réussite », se félicite l’Elysée. « On pourrait imaginer quatre ou cinq débats avec des citoyens, des élus, des associations… Un format plus resserré, pour se projeter sur l’après, où le président viendrait convaincre les Français », suggère Marie Lebec. « Le président aime penser “out of the box” [hors des sentiers battus], une autre solution pour se légitimer par le bas n’est pas à exclure », acquiesce un proche. Seule condition : se décider vite. Car le temps presse.

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18 mai 2020

Se promener à la plage.... bientôt...

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18 mai 2020

Côtes-d'Armor - Parc éolien briochin : les pêcheurs passent à l’action

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Ils avaient prévenu, en avril dernier. Ils passent à l’acte ce lundi matin. Rejoints par des associations de défense de l’environnement, les pêcheurs professionnels souhaitent perturber le début des prospections du futur parc éolien de la baie de Saint-Brieuc.

La matinée de ce lundi promet d’être agitée en baie de Saint-Brieuc. Un double appel à manifester, sur mer et à terre, a été lancé par les pêcheurs et des associations de l’environnement.

Leur objectif ? Perturber la campagne de sondage des fonds marins, qui vient de débuter, en préparation des travaux du futur parc éolien de la baie de Saint-Brieuc. Et attirer l’attention sur les travaux programmés sur la plage de Caroual, où est prévu l’atterrage des câbles électriques de 225 000 V.

Manifestations en mer et sur terre

Cette action coïncide en effet avec l’annonce du début des travaux de prospection et l’arrivée sur zone, depuis vendredi, du navire Geo Ocean IV, battant pavillon luxembourgeois et appartenant à la compagnie GEOxyz, basée à Aberdeen (Royaume-Uni). Une société spécialisée dans la prospection hydrographique, géophysique et géotechnique.

La première opération conjointe des manifestants est donc lancée pour ce lundi matin. Sur mer, tout d’abord, « les comités des pêches des Côtes-d’Armor et d’Ille-et-Vilaine avec l’appui du Comité régional des pêches appellent tous les pêcheurs professionnels à se rendre sur zone pour 10 h, et à se positionner aux abords du navire (à plus de 500 m) pour une manifestation pacifique permettant de montrer notre opposition à la réalisation de ces études et empêchant le navire d’évoluer sur zone ».

Et l’action en mer doit être soutenue depuis la terre, avec un appel au rassemblement lancé dimanche matin par plusieurs associations de défense de l’environnement, dont l’association Gardez les caps. Lesquelles appellent de leur côté à un « rendez-vous citoyen », à la plage de Caroual - dont la partie Nord est fermée par arrêté préfectoral - à partir de 9 h 30.

Le Geo Ocean IV sous haute surveillance

Positionné depuis vendredi dans le nord de la baie de Saint-Brieuc, le Geo Ocean IV se trouvait dimanche sous bonne surveillance. La Marine nationale a en effet dépêché le bâtiment de soutien et d’assistance hauturier (BSAH) Rhône à proximité. Basée à Brest, cette unité de 3 000 t, pour 70 m de long, est capable de mettre en œuvre des engins sous-marins téléopérés.

Par ailleurs, le patrouilleur de la gendarmerie maritime Géranium était également observable sur zone dimanche, à quelques nautiques au sud du Geo Ocean IV. Un bâtiment de 32 m avec une vingtaine de personnels à bord, capables d’assurer des missions de police des pêches.

« En pleine saison de pêche »

Depuis de longues années vent debout face au projet porté par Ailes Marines, des pêcheurs répétaient le 21 avril dernier leur « opposition à tout forage tant que des experts en bioacoustique marine n’auront pas apporté d’éléments scientifiques permettant d’avoir des réponses sur les effets du bruit liés à ces opérations de forage et d’ensouillage sur les espèces d’intérêt halieutique ».

Les pêcheurs relèvent aussi que « cette campagne intervient en pleine saison de pêche aux bulots et aux seiches », comme le soulignait dimanche un professionnel basé à Erquy, joint par téléphone. Le tout dans un contexte de filière fortement impactée localement par la crise du coronavirus.

18 mai 2020

Jean Paul Gaultier

jpgaultier

18 mai 2020

Your naked body is not a crime. from Roman Ansari on Vimeo.

18 mai 2020

Reportage - Sans festival, Cannes et sa Croisette fantôme

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Par Laurent Carpentier, Cannes, envoyé spécial - Le Monde

Promenade à l’ombre des palaces et du Palais des festivals désertés, faute de 73e édition de la plus célèbre des manifestations cinématographiques.

Scène 1. Extérieur jour. Sur les marches du Palais des festivals, à Cannes, Simon Courtois, 25 ans, acteur pour l’état civil, bibi rose sur la tête et moustache cachée sous son masque protecteur, prend la pose devant l’objectif de sa cousine Juliette. « C’est fou ce que l’escalier a l’air petit sans le tapis rouge », remarque le jeune homme, amusé. Un journaliste de l’Agence France-Presse en quête d’image symbolique se précipite sur l’aubaine : « Vous pouvez me la refaire ? » Nous sommes le mardi 12 mai, date d’ouverture de la 73e édition – d’ores et déjà historique – du plus célèbre des festivals de cinéma. Le Cannes qui n’aura pas lieu.

Jamais notre génération n’a connu ça. Si on oublie ses débuts chaotiques – la guerre interrompant le projet de 1939, les éditions de 1948 et de 1950 repoussées faute de budget –, c’est la première fois que le Festival de Cannes est annulé. Et en ne s’ouvrant pas, ouvre une page blanche. Jusqu’au dernier moment, Thierry Frémaux et Pierre Lescure, le tandem qui le dirige, a voulu y croire. La ville, confinée, a pleuré en silence. Et puis, ce mardi, après un lundi moche et froid, enhardis par le ciel bleu, les Cannois sont ressortis. Deux Audrey Tautou, quelques Javier Bardem, une Hanna Schygulla et trois Brigitte Bardot (une jeune, une adulte et une très vieille)… Il suffit que le soleil revienne, et la Croisette redevient la Croisette.

Assis sur un muret, Modou le Sénégalais – 57 ans et un nombre qu’il ne peut calculer de festivals derrière lui – observe ce ballet avec satisfaction, même s’il ne mise pas trop sur les fausses Bardot pour écouler sa cargaison de fausses Gucci. Il préférerait qu’il pleuve pour troquer sa cargaison étalée de lunettes et de chapeaux contre les parapluies qu’il porte dans son sac à dos. « Quand il pleut, on vend sans problème », sourit-il en connaisseur.

Christian et Marinette, 74 et 72 ans, descendent de voiture le temps de se prendre en photo devant les portes fermées du Carlton : « C’est la première fois que j’ose venir jusque sous le porche de l’hôtel », constate Anne, venue de Grasse et collée au tourniquet de l’entrée qui ouvre sur le hall désespérément vide. « Habituellement, il y a tant de monde, des voituriers, des concierges, des maîtres d’hôtel… Je me dis : je n’ai pas le droit, ce n’est pas mon monde. On va me dire : “Madame qu’est-ce que vous faites, vous gênez !” »

ERIC ACETO, ANCIEN DIRECTEUR DES OPÉRATIONS DU CARLTON : « AUX ETATS-UNIS, ILS NE SAVENT PAS OÙ EST LA FRANCE, MAIS ILS CONNAISSENT CANNES »

Plus encore que l’annulation de la programmation, ce sont peut-être ces grands palaces hermétiquement fermés, sacrifiés sur l’autel du Covid-19 (le Majestic, le Gray d’Albion, le Miramar, le Martinez…), qui créent ce sentiment étrange et fascinant de festival fantôme. Ecrasant sa cigarette, Eric Aceto montre l’œil-de-bœuf au dernier étage du Carlton : « La suite Grace Kelly, inaugurée en 2010 par le prince Albert. » Aujourd’hui à la retraite, l’ancien directeur des opérations de l’hôtel aux 343 chambres (« 40 ans de costume », comme il dit) observe la façade inerte. D’ordinaire, 250 personnes travaillent ici, 700 lorsque le festival bat son plein. « Aux Etats-Unis, ils ne savent pas où est la France, mais ils connaissent Cannes », dit-il fièrement.

Les anciens des palaces ont grandi dans le terreau des légendes qu’on se raconte entre initiés. Clint Eastwood en train de se faire coiffer, ses deux Yorkshire sur les genoux : « Ça casse le mythe du macho », rappelle l’un. Michael Jackson s’habillant en femme et sortant du Carlton avec une poussette pour se balader incognito, raconte un autre – « Mais ça, c’était pour le Midem… », le Marché international du disque et de l’édition musicale. On s’apostrophe sur le boulevard, ici et là, d’un joyeux « Alors tu viens faire le tapis rouge ? » pendant que des tractopelles s’activent à remodeler des plages laissées en jachère.

Dynasties

Le lendemain, changement de décor. Fondu enchaîné sur un ciel gris et les palmes des grands arbres agités par le mistral. « Le succès d’un festival, c’est 50 % la sélection, 50 % la météo », affirmait, dit-on, Pierre Viot, qui présida le Festival de Cannes de 1984 à 2000. Avec l’annulation, il restait la météo. Las, le ski nautique qui, la veille, traversait la baie, est rentré au bercail.

cinema

L’arrière-grand-père de Gilles Traverso, Auguste, a pris en photo la première tentative de festival en 1939 avec Louis Lumière. Le père, Henri, avait 16 ans après la guerre, lorsque la famille lui a donné mission, un appareil autour du cou, de couvrir l’événement. Il a fait ça jusqu’en 1983, lorsque le festival a quitté ses anciens quartiers pour emménager au Palais nouvellement construit. Et, avec lui, l’arrivée en masse des télévisions, la guerre des flashs, les photographes devenant eux-mêmes acteurs de cette pièce rocambolesque et costumée qui se rejoue chaque année. « Ce n’est plus mon époque », avait conclu Henri Traverso en raccrochant.

« JE N’AI JAMAIS PU AVOIR UNE PLACE », BOUDE, UN SOURIRE EN COIN, GÉRARD PENON, 76 ANS, « SEPTIÈME GÉNÉRATION DE FORAINS »

Cannes est peuplée de ces dynasties qui se transmettent le flambeau d’une gloire à chaque fois effleurée, les « stars » repartant le plus souvent au bout de quelques heures sans un regard en arrière. Gilles Traverso lui-même a commencé en 1977, capturant sur la plage avec son Rolleiflex les poses d’une montagne de muscles, Arnold Schwarzenegger, héros inconnu d’un documentaire, Pumping Iron (Arnold le magnifique). Quarante-quatre éditions plus tard, le photographe est toujours là, mais pour la première fois exposé au vide. Vertige.

Il y a un côté Coney Island dans la désuétude de ce décor aux ors jaunis. Le festival ? « Je n’ai jamais pu avoir une place », boude, un sourire en coin, Gérard Penon, 76 ans, « septième génération de forains », occupé à nettoyer le « Croisette 2000 », son manège. Des années qu’il est là – et son oncle avant lui –, à regarder, les soirs de projection, s’agglutiner à quelques mètres de là smokings et robes tralala en route pour le grand barnum des adultes, lui qui gère celui des enfants.

Le forain a chargé son aide, Amine, de « désinfecter » au Kärcher les petits véhicules. Le jeune Algérien lève la tête. Il aimerait que la presse française parle plus et mieux du Hirak, le mouvement qui secoue son pays. Pour un peu, il nous rejouerait le coup de Godard et de ses amis qui, en 1968, avaient interrompu la manifestation cannoise. « Sauf qu’à l’époque, c’était le contraire d’aujourd’hui : il fallait vider des gens qui ne voulaient pas partir », s’amuse au bout du fil Gilles Jacob, 89 ans, ancien président du festival, qui couvrait l’événement comme journaliste pour Les Nouvelles littéraires.

Immense paquebot

Le Palais des festivals. Scène intérieure. Combien de fois sommes-nous entrés ici, montrant patte blanche selon un cérémonial bien huilé et des hiérarchies dûment établies, y compris entre journalistes : laissez-passer blanc pour les vedettes, rose ou rose à point doré pour les gradés, bleu et jaune pour les fantassins ? Un monde hiérarchisé. En être ou n’en être pas. Et des journées passées à courir après une projection, une interview, une invitation. « Pour voir des films coréens sous-titrés en anglais ? Non, merci », s’exclame Charlotte, la coiffeuse de la rue Notre-Dame, qui n’en fut jamais.

Hormis la cinquantaine de sans-abri que la municipalité a confinés dans un coin de l’immense paquebot, ils sont à peine une dizaine de salariés à occuper les lieux ces jours-ci. Les fantômes des 125 000 festivaliers attendus hantent les marbres silencieux. Couloirs vides, escalators immobiles, le labyrinthe du Palais est plongé dans une semi-obscurité. « C’est 50 % de notre chiffre d’affaires qui s’est envolé », s’inquiète Didier Boidin, le directeur, qui a laissé ses smokings et ses nœuds papillons dans le sac à naphtaline. Un trou de plus de 20 millions d’euros dans ses comptes cette année. Et au-delà, pour la ville inquiète de la crise à venir, quelque 185 millions d’euros de retombées économiques envolées.

LE CAUCHEMAR DE FABRICE IMBERT, CHEF DU POSTE SÉCURITÉ, C’EST LA STAR BLOQUÉE À L’ENTRÉE DES ARTISTES PARCE QU’IL NE L’A PAS RECONNUE

Sans crier gare, nous débouchons sur la grande scène, héros d’un film qu’on n’a pas tourné présenté dans un festival qui n’a pas lieu. Notre quart d’heure de célébrité anonyme face à 2 500 spectateurs invisibles. Fabrice Imbert, le chef du poste sécurité et son collègue Clément Gomis, nous observent avec indulgence. Vingt-quatre ans de carrière pour l’un, dix-sept pour l’autre : nous ne sommes pas les premiers hurluberlus qu’ils rencontrent.

Le cauchemar de Fabrice Imbert, c’est la star bloquée à l’entrée des artistes parce qu’il ne l’a pas reconnue. Danny Glover par exemple (« Pourtant le héros de L’Arme fatale, merde ! ») venu en 2005 pour défendre Manderlay, de Lars von Trier, qui débarque un jour en tongs et lunettes de soleil. Sa terreur, ce sont ces moments où la foule devient si hystérique que, telle une vague, elle emporte tout. Comme cette fois où, devant accompagner Johnny Depp jusqu’à un yacht amarré à proximité, ils sont assiégés par les fans qui veulent tirer les cheveux de l’acteur, et lui qui le saisit par la ceinture pour l’extraire… « Et dans tout ça, le mec, Johnny Depp, il reste extra, gentil comme tout. »

Rien de tout ça cette année. Juste de grands murs vides à surveiller, et sur la mer où d’ordinaire la fête bat son plein dans les navires de luxe loués pour l’occasion, une armada de yachts esseulés, uniquement habités ici et là par quelque équipage occupé à soigner ces joyaux désespérément immaculés.

« Une ville décor »

« Déjà, au naturel, c’est une ville assez fantomatique », témoigne Sébastien Weber. Le jeune homme est assis sur les escaliers du marché Forville où traînent quelques zonards célestes. « Une ville-dortoir, avec des vagues de gens très différents qui affluent au fil des salons – immobilier, yachting, cinéma… Et entre ces vagues, une population de vieux, de riches et aussi de très pauvres qui habitent une ville décor. »

Sébastien Weber est acteur, étudiant à l’Ecole régionale d’acteurs de Cannes (ERAC), un cursus réputé qu’Athena Amara, 21 ans, a rejoint cette année. Après deux mois de confinement, l’absence de festival accentue le vide, constate-t-elle de son accent chantant d’Alès, dans le Gard : « La foule festivalière, ses imprévus, tout ça manque. Avec ses couleurs qui sentent l’été, le bleu, le grenat, c’est une ville qui attend d’être filmée. La première fois que je suis venue ici, c’était en 2015, j’avais 16 ans, des robes de soirée et des paillettes dans les yeux. Et puis quand je me suis installée ici en septembre, hors festival, la première chose que je me suis dit, c’est : “Mais ils sont où, les cinémas, dans la ville du cinéma ?” »

Qu’on dise ça, cela agace Laetitia Mazeran, la directrice d’exploitation du cinéma Les Arcades. Certes, il y a eu la fermeture des Ambassades et puis du Star. Mais il reste les huit salles de L’Olympia, et ses trois salles à elle, où elle programme des films d’art et d’essai. Sans compter le multiplexe que le petit réseau indépendant des Arcades doit ouvrir prochainement dans le quartier de La Bocca. Prévu pour juin, il a été stoppé dans son élan. Partie remise. Pour montrer que le cinéma reste debout malgré la crise, Les Arcades, souffle-t-on à la mairie, auraient même lancé l’idée d’un drive-in cinéma sur un parking de la ville. En attendant « le monde d’après », Laetitia Mazeran fait tourner les projecteurs une fois par semaine, histoire que tout reste en état de marche. Sur l’écran de la salle 1, défile ainsi en boucle la bande-annonce du prochain James Bond, qui était prévu mercredi 8 avril et est repoussé aux calendes grecques : Mourir peut attendre.

Le vent continue de souffler, chassant les nuages. Square Mistral, face à la baie, les joueurs de pétanque ont repris leurs habitudes. Les enfants crient dans les allées. La présidente du Film Club de Cannes est en grande discussion avec un couple d’adhérents. « La seule chose bien avec l’annulation, concède-t-elle, c’est qu’on va s’éviter le blues qui suit toujours le festival, quand arrive juin et qu’on se dit : “Il n’y a plus que la plage”. »

Ancienne prof d’histoire et chef d’établissement à Antibes, Anne Majri fut candidate de la gauche aux municipales de 2014 dans cette ville de 75 000 habitants résolument à droite. Une défaite annoncée. Cette année encore, le maire, David Lisnard, vient d’être réélu avec 88 % des voix : ses amis politiques vantent sa culture, ses ennemis, son efficacité. Ce qui est sûr, c’est que l’homme aime les caméras. Il en a mis partout. Plus de 500 points de surveillance, « le réseau le plus dense de France ». De quoi faire des longs-métrages. La semaine passée, sur les écrans de la police, on a même vu un sanglier se balader sur la Croisette.

LE PREMIER WEEK-END DU FESTIVAL EST TRADITIONNELLEMENT SON ACMÉ

Extérieur nuit. Fondu au noir. Le premier week-end du festival est traditionnellement son acmé. En temps normal, on devrait être là à traquer le regard méfiant d’un Bruno Dumont venu défendre Par un demi-clair matin, ou la silhouette dégingandée d’un Bill Murray, héros parmi d’autres de The French Dispatch, de Wes Anderson. Tous ces films qu’on ne verra pas, enfin pas tout de suite : Tre Piani, de Nanni Moretti, Benedetta, de Paul Verhoeven… Là, on se demande juste comment on pourrait étancher notre soif et nourrir notre ivresse.

Arrêt sur image. Musique. Sous la pâleur d’un réverbère, apparaît une femme au visage timide et délicat, chinoise, port élégant, manteau épais, chapeau enfoncé, et une valise qu’elle tire délicatement. Vedette égarée ? Cannes ou le festival des spectres ? Elle ne parle pas anglais, à peine quelques mots de français. « Mon nom : Audrey. » Comme Tautou ? Et son nom chinois ? « Compliqué. Peut-être travail, restaurant ? » Sous le ballet des mouettes, la passagère de la nuit disparaît comme elle est apparue. La vie est un cinéma en plein air.

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