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Jours tranquilles à Paris

12 mai 2020

Deuxième vague ???

deuxieme vague

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12 mai 2020

Entretien - Crise alimentaire : « C’est l’occasion ou jamais de réorienter notre système vers un développement plus durable »

Par Mathilde Gérard

Nommé rapporteur spécial des Nations unies pour l’extrême pauvreté et les droits de l’homme, le professeur belge Olivier De Schutter analyse les ressorts de la crise alimentaire qui sévit en marge de la pandémie de Covid-19.

Olivier De Schutter, coprésident du Panel international d’experts sur les systèmes alimentaires durables (IPES-Food), a été nommé, le 1er mai, rapporteur spécial des Nations unies pour l’extrême pauvreté et les droits de l’homme. Il analyse l’impact de la pandémie de Covid-19 sur l’accès à l’alimentation.

On a vu, ces dernières semaines, des catégories de population perdre leurs revenus et basculer dans la faim. Peut-on parler d’une nouvelle crise alimentaire mondiale ?

Oui. Le paradoxe est que nous sommes dans une situation extrêmement périlleuse alors même que la production mondiale de céréales et les stocks alimentaires sont à un niveau excellent. Les récoltes 2019-2020 ont atteint des records. Mais à moyen terme, on court le risque que l’approvisionnement soit mis en danger, et ce pour plusieurs raisons.

Il y a d’abord les restrictions à la liberté de circuler de la main-d’œuvre agricole. Beaucoup de pays de l’ouest de l’Europe dépendent d’une main-d’œuvre saisonnière migrante, venant notamment de Roumanie, de Bulgarie ou de Pologne. Avec la fermeture des frontières, le pire est peut-être encore à venir du point de vue de la qualité et de la suffisance de l’approvisionnement et de la production.

LE DÉVELOPPEMENT D’UN SECTEUR DE LA CHARITÉ ALIMENTAIRE N’EST PAS UN SUBSTITUT À DES SYSTÈMES DE PROTECTION SOCIALE QUI PROTÈGENT VRAIMENT.

La deuxième difficulté, c’est que dès lors que les écoles sont fermées, et tout le secteur de la restauration est en coma artificiel, beaucoup de producteurs voient s’interrompre les possibilités d’écouler leurs produits et les stocks s’accumulent. Les petits producteurs sont les premières victimes. En trente ans, on a vu disparaître les deux tiers des exploitations agricoles dans des pays comme la France ou la Belgique. Ce sont les plus petites qui disparaissent d’abord car elles sont les moins compétitives et moins aptes à réaliser des économies d’échelle. Aujourd’hui, c’est un secteur qui éprouve les plus grandes difficultés.

La troisième source d’inquiétude, ce sont les restrictions aux exportations annoncées par quelques pays, comme la Russie, l’Ukraine et le Kazakhstan pour le blé, ou le Vietnam pour le riz. Ce sont une dizaine de pays tout au plus, et les restrictions sont relativement modestes. Mais c’est inquiétant si ça se prolonge. Le risque est qu’on retombe dans ce qu’on a vécu en 2008 [lors des émeutes de la faim dans une trentaine de pays] avec des réactions de panique sur les marchés, une multiplication des restrictions aux exportations et une spéculation à la hausse sur les prix. On n’en est pas là, d’autant que le pétrole étant à un niveau historiquement bas, on n’a pas encore assisté à une augmentation massive des prix des denrées agricoles, mais ce n’est pas un scénario à exclure.

Comment expliquer la multiplication des files d’attente pour les banques alimentaires dans les grandes villes européennes ou américaines ?

Il est dramatique que dans certains pays, les banques alimentaires soient devenues une partie intégrante du paysage de la protection sociale. C’est inacceptable et scandaleux que des gouvernements s’en remettent au secteur bénévole, à la charité publique, parce que des familles en grande pauvreté ne parviennent pas à se nourrir décemment. L’alimentation est la partie du budget des ménages sur laquelle on rabote le plus vite, parce qu’on a la possibilité de se nourrir pour moins cher ou de faire la queue pour recevoir un panier alimentaire. Mais le développement d’un secteur de la charité alimentaire n’est pas un substitut à des systèmes de protection sociale qui protègent vraiment.

Pensez-vous que les systèmes de production agroalimentaire sont à même de résister à la crise ?

Beaucoup de pays prennent conscience qu’ils doivent produire des denrées plus diverses pour satisfaire leurs besoins de consommation interne et que la dépendance aux importations à flux tendu créent un risque. On entend des appels de plus en plus nombreux à une reconquête non pas d’une autarcie, mais d’une diversification et reterritorialisation de l’agriculture pour que chaque pays puisse satisfaire davantage ses propres besoins.

On se rend compte qu’il faut cesser de vouloir à tout prix l’efficience et aller vers plus de résilience. L’efficience, c’est l’uniformisation, la spécialisation, les grandes monocultures où les machines remplacent les hommes et les femmes et où on produit en masse. La résilience, c’est une production beaucoup plus diversifiée, et des circuits courts de commercialisation. On est en train de prendre conscience de la fragilité des systèmes de production mondialisés sur lesquels on reposait et qui ont été encouragés depuis soixante ans.

Y voyez-vous un signal d’alarme pour mieux intégrer la santé, et donc l’alimentation, dans les politiques publiques ?

On est à un moment charnière, avec un vrai combat politique qui se profile. D’un côté, de nombreuses voix se font entendre pour dire : les préoccupations environnementales n’ont pas leur place dans un contexte où on doit répondre à une crise économique majeure et inédite depuis 1929, donc repoussons à plus tard nos ambitions environnementales, et n’imposons pas de nouvelles contraintes aux entreprises. Et on a une autre approche disant : c’est l’occasion ou jamais de réorienter notre système économique vers un développement plus durable.

Si on prend l’ensemble des aides que les Etats membres de l’UE vont donner aux entreprises, les prêts de la banque européenne d’investissement, et le plan de relance européen, on a là 4 200 milliards d’euros qui, dans les mois qui viennent, vont être injectés dans l’économie réelle. C’est un quart du PIB européen, c’est énorme. Il faut utiliser ces montants astronomiques pour aller vers un verdissement de l’économie et soutenir les secteurs qui peuvent préparer la transition écologique.

Il est difficile pour les politiques de réagir à la fois au court terme – éviter que l’économie ne s’écroule, parce que les faillites d’entreprises vont se multiplier – et le long terme – préparer pour dans dix ou quinze ans la trajectoire vers une société bas carbone et des émissions nettes zéro carbone à l’horizon 2050. Mais c’est le moment ou jamais de faire preuve d’une capacité de vision.

12 mai 2020

Szymon Brodziak

brodziak33

12 mai 2020

Coronavirus : le confinement a eu un fort impact sur la mobilité en France

Par Paul Benkimoun

Une étude de l’Institut Pierre-Louis d’épidémiologie et de santé publique montre que la diminution des déplacements a été plus marquée là où l’épidémie était la plus forte.

Le confinement auquel la France a été soumise depuis le 17 mars a globalement réduit la mobilité de la population de 65 %, mais avec des disparités entre les 13 régions métropolitaines. La diminution des déplacements a été plus marquée là où l’épidémie était la plus forte, indique une modélisation de chercheurs de l’Institut Pierre-Louis d’épidémiologie et de santé publique (Iplesp, Inserm, Sorbonne Université) mise en ligne lundi 11 mai. L’« exode » des Parisiens vers la Normandie ou la façade atlantique ne paraît pas avoir essaimé le virus dans ces régions, confinées elles aussi ; mais avec le début du déconfinement, les retours pourraient intensifier la circulation du virus.

Les modélisations des déplacements de population, s’appuyant sur des données de téléphonie mobile anonymisées d’Orange, permettent de savoir comment les individus se comportent lors d’un confinement. De telles études ont été menées lors de l’épidémie d’Ebola en Sierra Leone en 2015, et dans le contexte de l’actuelle pandémie de Covid-19 en Allemagne, en Belgique, en Espagne, aux Etats-Unis, en Inde, en Italie, en Pologne ou au Royaume-Uni. La modélisation de l’équipe Inserm dirigée par Vittoria Colizza est la première à documenter la situation en France.

« Nous nous attendions à mettre en évidence une réduction de la mobilité, attestant de l’impact du confinement, mais nous n’avions aucune idée préalable de son ampleur, du degré d’hétérogénéité entre les régions ou des différences suivant le moment de la journée, souligne Eugenio Valdano, chercheur postdoctoral à l’Iplesp et l’un des deux auteurs principaux de l’étude. Nous n’anticipions pas la découverte d’une diminution significative de la mobilité au cours de la période de transition entre les premières annonces sur la fermeture des écoles, le 12 mars, et celles faites le 16 mars par Emmanuel Macron informant du début du confinement le lendemain à midi. »

La baisse du nombre de voyages a effectivement précédé de près d’une semaine l’entrée en vigueur des mesures les plus strictes, chutant de 60 millions à 20 millions de déplacements par jour. Ce qui témoigne d’une anticipation par une partie de la population des restrictions à venir, à la lumière de celles déjà mises en œuvre en Italie, en Espagne et en Autriche. L’analyse régionale pendant la période de transition retrouve des pics de circulation allant de Paris vers la Normandie et la Bretagne, ainsi qu’un trafic routier inhabituellement élevé dans le sens de la sortie à Paris et dans l’ouest de l’Ile-de-France. Il en va de même pour les déplacements dans les deux sens dans le Sud-Est, à proximité des Alpes.

Très forte chute aux heures de pointe

L’étude met en lumière des différences entre les régions pendant le confinement : l’Ile-de-France, Auvergne-Rhône-Alpes, le Grand-Est et Provence-Alpes-Côte d’Azur présentent une réduction du trafic interne supérieure à la moyenne. A l’inverse, la Bourgogne-Franche-Comté, le Centre-Val de Loire et la Normandie ont connu une baisse notablement moindre que la moyenne de 65 %. La diminution du trafic centrifuge a été particulièrement prononcée dans les Hauts-de-France, le Grand-Est et surtout en Ile-de-France, où elle a atteint 80 %. La Corse a connu une diminution comparable à celle de l’Ile-de-France.

Le trafic au départ des grandes villes a baissé plus fortement à Paris, Bordeaux et Nice (80 %) qu’à Strabourg et Lille (60 %). Le confinement a affecté par ailleurs les connexions entre les grandes villes : les flux se sont taris au départ de Bordeaux, Montpellier et Nantes vers Lyon, ou de Montpelllier vers Strasbourg.

Plus généralement, la réduction des déplacements a été plus marquée s’agissant des voyages de plus de 100 km. Un effet des mesures de restriction des voyages en train et en avion, ainsi que des déplacements liés aux loisirs. Si la diminution de l’ensemble des voyages n’a pas varié selon les classes d’âge (jeunes, adultes, seniors), elle a augmenté avec l’âge pour les déplacements de plus de 100 km. Elle a varié également selon le moment dans la journée, la plus forte chute (75 %) portant sur les voyages aux heures de pointe, en raison à la fois la fermeture des écoles et du recours au télétravail.

« Eclairer les choix futurs »

Devant les preuves croissantes du rôle majeur des transports en commun dans la propagation du virus, les auteurs de l’étude insistent sur le rôle accru des restrictions à la mobilité dans la lutte contre l’épidémie. Les chercheurs de l’Inserm observent plusieurs associations d’intensités diverses. La réduction des déplacements est le plus fortement associée à la tranche d’âge 25-59 ans, celle de la population la plus active. Elle est modérément influencée par le niveau socio-économique de la région, du fait que le télétravail est plus praticable pour les salaires élevés que pour les bas salaires, et que les couches les plus aisées peuvent davantage se permettre de ne pas travailler pour éviter les contacts.

L’importance de l’activité épidémique dans la région, ici reflétée par le nombre d’hospitalisations pour Covid-19, est corrélée à l’ampleur de la baisse de la mobilité la semaine suivante. La baisse de la mobilité régionale a été la plus soutenue dans les régions les plus touchées par le virus, avec une réduction de 1 % pour chaque dizaine de cas supplémentaires hospitalisés par tranche de 100 000 habitants.

« Si les différences entre les sources de données et les indicateurs choisis pour la mobilité ne permettent pas une comparaison chiffrée rigoureuse, les résultats de notre modélisation montrent un impact analogue à celui qui a été estimé en Italie, en Espagne et en Belgique, commente Eugenio Valdano. Notre étude nous permet de comprendre ce qui s’est passé pendant le confinement et peut aider à éclairer les choix qui seront faits dans un futur proche. »

« AU COURS DE LA SORTIE DU CONFINEMENT, ALORS QUE LA MOBILITÉ AUGMENTE, IL POURRAIT Y AVOIR DES ÉVÉNEMENTS ENTRAÎNANT UNE DIFFUSION DU VIRUS », MET EN GARDE EUGENIO VALDANO

Les modifications de comportement dans la période de transition qui a précédé le confinement montrent, selon le chercheur, que le choix du moment où des annonces sont faites est important car il modifie les dynamiques sociales. Le déplacement massif d’habitants de Paris et de l’Ile-de France vers la Normandie et la façade atlantique n’a pas engendré de foyers épidémiques dans ces régions, en raison du confinement dur qui régnait sur tout le territoire. « Au cours de la sortie du confinement, si les mesures de distanciation sociale ne sont pas bien appliquées alors que la mobilité augmente, il pourrait y avoir des événements entraînant une diffusion du virus et de nouvelles chaînes de transmission », met en garde Eugenio Valdano.

12 mai 2020

Vannes et sa femme

breatagne33

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12 mai 2020

Inégalités : un déconfinement qui se lève tôt

Par Laurent Joffrin - Libération

Des travailleurs qui se pressent dans les transports aux aurores, au risque de se contaminer, quand les cadres télétravaillent à l’abri : un constat à peine exagéré qui interroge une nouvelle fois les disparités de revenus rapportées à l’utilité sociale.

Première info de ce premier jour de déconfinement : à 7 heures, les rames de RER et de métro étaient bondées en Ile-de-France ; à 8 h 30, elles étaient vides. A 7 heures les prolos, à 8 h 30, les bobos ? Nous sommes tous égaux devant le déconfinement ; mais, de toute évidence, certains le sont plus que d’autres. On croit que la France est divisée par la géographie sanitaire, qui distingue les régions à risque et les régions moins touchées. Erreur : elle est surtout coupée en deux dans le sens horizontal, entre celles et ceux qui doivent impérativement se rendre à leur travail - plutôt en bas - et les autres, qui peuvent continuer à s’adonner aux joies et aux tracas du télétravail - plutôt en haut. On perçoit rétrospectivement la force du slogan inventé naguère par Nicolas Sarkozy : parler à «la France qui se lève tôt». La formule reçoit une nouvelle illustration. Ceux qui se lèvent tôt emplissent les transports en commun, serrés comme des sardines malgré les règles de distanciation sociale : sans avoir le choix, ils doivent courir le risque de la contamination à l’extérieur (ils le font, d’ailleurs, dans certains secteurs comme l’alimentation ou les services publics de l’énergie, depuis le début du confinement). Les autres, dont les fonctions, les tâches, le travail, leur permet de rester chez eux ou de circuler à des heures plus creuses, restent à l’abri du virus. Bien sûr, il faut nuancer. Dominés exposés à la contagion d’un côté, dominants protégés de l’autre ? Non. Beaucoup de petits patrons, ou même de grands, sont sur le pont, à leur poste de travail, enserrés comme les autres par les masques et les gestes barrières. Les chefs de chantier sont à pied d’œuvre, comme les ouvriers ; les propriétaires de salons de coiffure ou de magasins de vêtements accueillent les clients, comme leurs employés. De même que les mandarins des hôpitaux, tels des généraux d’Empire, étaient à la tête de leurs troupes au plus fort du combat contre le virus, courant les mêmes risques que leurs subordonnés. Ils ne disaient pas «En avant !» mais «Suivez-moi !» La rhétorique des «dominants et des dominés», confuse à souhait, oublie que les responsables, souvent, assument leurs responsabilités.

Non, plutôt qu’une vitupération supplémentaire contre «les élites», au parfum poujadiste délétère, cette triviale constatation - les travailleurs manuels vont travailler, les autres se protègent en travaillant à distance - met en cause, plus profondément, la légitimité des hiérarchies de prestige et de revenu qui organisent les sociétés modernes. Il est logique de rémunérer davantage ceux qui ont des compétences plus pointues, qui savent organiser le travail des autres, qui prennent les risques d’entreprise ou développent des innovations utiles. Mais à l’heure du danger, on s’aperçoit qu’ils ne peuvent rien faire sans ceux qu’ils dirigent. On constate que les travailleurs au contact des réalités matérielles sont la base réelle de la société, autant que ceux qui maîtrisent les abstractions, intellectuelles ou managériales.

Au regard de cette réalité, les inégalités de revenu sont-elles aussi légitimes que le sous-entend le discours des «premiers de cordée» ? Dans cette situation de pandémie, ceux qui gagnent le moins sont ceux qui prennent le plus de risques. N’est-il pas temps d’interroger, une nouvelle fois, mais concrètement cette fois, à la lumière de la crise, les écarts de revenu, parfois abyssaux, qui séparent dirigeants et dirigés, manuels et intellectuels, cadres et ouvriers ? Quand on entend les ministres du gouvernement Philippe expliquer qu’on ne saurait imposer plus les plus favorisés au risque de les décourager, on se demande s’ils ont compris le sens de la crise que nous traversons.

N’est-il pas temps, aussi, d’encourager ceux qui n’ont d’autre choix que d’être plus courageux que les autres face au virus, même si leur position sociale est moindre ? Ou, à tout le moins et dans l’immédiat, de leur garantir la gratuité des masques - qui finissent par coûter cher -, la stabilité de leur maigre revenu, une protection contre le chômage qui menace, une prime de risque qui traduirait leur exposition supérieure au virus ? Bref, de corriger par une action sociale - socialiste ? - les inégalités fonctionnelles qui naissent spontanément de la division du travail.

12 mai 2020

David Bellemere - photographe

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12 mai 2020

Cannes 2020, l’annulation impossible

Par Philippe Ridet - Le Monde

Le Festival, qui aurait dû être lancé ce 12 mai, a été fauché par le coronavirus. Ses dirigeants ont voulu y croire jusqu’au bout. Les films sélectionnés pourront se prévaloir d’un label.

Début mai frisquet sur Paris… Ce jour-là, Pierre Lescure a posté sur Twitter une de ces chansons américaines empreintes de mélancolie qu’il affectionne : Rider in the Rain, de Randy Newman. Auparavant, il avait relayé la photo d’une femme aux jambes interminables ainsi légendée : « Vivement qu’on reprenne la route… » Envie d’ailleurs ? Dans son village natal de Tullins (Isère), 520 kilomètres au sud-est, où le confinement l’a saisi comme un coup de gel, Thierry Frémaux, sent grossir la « boule au ventre ». C’est toujours comme ça avant le Festival. Il devrait déjà être là-bas, à Cannes.

Cette année, la boule s’est encore alourdie : « C’est un manque physique et sentimental. Pour nous, organisateurs, et pour tous les festivaliers. Cannes, c’était aussi le début de l’été, la descente vers la mer… » Toujours plus au sud, la Méditerranée, l’azur… David Lisnard pourrait la toucher tant elle est proche de son bureau de premier élu (LR) de la cité azuréenne, qui devait accueillir le plus grand événement de la planète cinéma du 12 au 23 mai. « Jamais, dit-il au téléphone, la ville n’a été si belle et si triste… En plus, il fait un temps superbe ! »

PIERRE LESCURE, PRÉSIDENT DU FESTIVAL : « QUAND ON RÉALISE LE POTENTIEL DE CANNES SUR L’ENSEMBLE DE LA FILIÈRE, ON NE PEUT PAS SE CONTENTER D’ENJAMBER L’ÉDITION 2020 ET SE DIRE : RENDEZ-VOUS EN 2021 »

Lescure, Frémaux, Lisnard. Les incontournables. Le premier, 74 ans, ancien journaliste, cofondateur puis PDG de Canal+, préside le Festival de Cannes depuis 2014 et aimerait bien rempiler pour un nouveau mandat de trois ans. Le second, 59 ans, délégué général, monte et descend les marches du palais depuis des décennies. Le troisième, 51 ans, enfant du pays, dirige la ville depuis 2014. Il a été réélu haut la main en mars 2020, avec un score soviétique : 88 % des voix. En temps normal, ils s’appellent plusieurs fois par jour, surtout les deux premiers. « La fréquence de nos appels a doublé, raconte Lescure. On se parle de tout, d’une interview qu’on a lue, d’un film qu’on a vu, du message de soutien d’un réalisateur. »

Dès la fin janvier, tous ont suivi l’évolution de la pandémie. Rue Charlot, dans le centre de la capitale où le Festival a installé son antenne parisienne, le coronavirus nourrit les conversations, les espoirs, les coups de blues. Sur le site du Monde, le 12 mars, Thierry Frémaux manifeste officiellement son optimisme. « Ceux qui sont inquiets, déclare-t-il, sont ceux qui regardent mai avec les yeux de mars. Le Festival est dans deux mois. » Arc-bouté sur le calendrier, il soutient que la Sélection officielle sera dévoilée le 16 avril. Deux jours plus tard, le 14 mars, le site de l’hebdomadaire Le Point publie une information selon laquelle le Festival sera annulé. « Fake news totale ! », démentent Lescure et Frémaux en pétard. « Une décision concertée » sera prise entre le 15 et le 20 avril, annoncent-ils.

« Une relation passionnelle »

Aveuglement ? Refus du réel ? Le mot « annulation » n’est jamais prononcé alors que tout porte à croire à cette issue. « Je ne me suis pas obstiné, je n’ai pas nié la réalité, comme je me l’entends reprocher ici ou là, plaide le délégué général. Tant qu’on ne nous a pas dit que c’était impossible, il n’y avait pas de raison d’abandonner. Le conseil d’administration était d’accord. »

Alors que le gouvernement interdit les rassemblements de plus de 1 000 personnes, les organisateurs cherchent à s’adapter. Toutes les hypothèses sont envisagées : réduction de la capacité d’accueil du palais, où ont lieu les projections avec montée des marches, en condamnant l’accès au balcon, port du masque… Mais, rapidement, d’autres interrogations se font jour : qui pourra voyager ? Qui voudra prendre des risques ? « Ensuite, on a envisagé un report en juillet, car septembre n’était pas possible, reprend Frémaux. Pas possible ? Alors on s’est dit :  “OK, on va faire autrement.” Avec ce virus, il faut envisager le pire, et aussi faire comme si tout allait s’arranger. Nous sommes lucides et combatifs. »

Le délégué général prend le pouls des responsables d’autres événements phares de l’été : Olivier Py, le directeur du Festival d’Avignon, ou Christian Prudhomme, le patron du Tour de France. Eux aussi sont inquiets même si personne ne le dit ouvertement. Bientôt, Py n’aura pas d’autre choix que de jeter l’éponge. Prudhomme dispose de plus de souplesse dans le calendrier. « Les cyclistes professionnels voulaient que le Tour ait lieu. C’est leur vitrine, comme Cannes l’est pour les professionnels du cinéma », explique Frémaux. A Cannes, pourtant, les annulations ont déjà commencé, laissant entrevoir l’inéluctable. Le 29 février, avant même le confinement, le Mipim, le salon immobilier le plus important du secteur, est reporté, puis supprimé. Déjà, Lisnard parle d’une « catastrophe économique ».

Faire comme si tout était normal alors que rien ne l’est déjà plus. Il faut tenter de se garder des marges de manœuvre, éviter les déclarations définitives, entretenir le flou sans passer pour des filous. Les films continuent d’arriver au comité de sélection. L’année 2019 a été exceptionnelle, marquée notamment par la Palme d’or attribuée à Parasite, du Coréen Bong Joon-ho, récompensé d’un Oscar quelques mois plus tard. De nouveau, le Festival a donné le « la » au marché mondial.

On le disait dépassé, assiégé par les plates-formes, qui considèrent son modèle obsolète, replié comme dans un fortin sur son esthétique de projections en salle sur grand écran. Renoncer à ce leadership retrouvé ? « Le triomphe de 2019 a constitué une pression supplémentaire, reconnaît Lescure. Quand on réalise le potentiel de Cannes sur l’ensemble de la filière, on ne peut pas se contenter d’enjamber l’édition 2020 et se dire : rendez-vous en 2021. Nous savons quelle dynamique le Festival produit pour l’ensemble des films sélectionnés. Leur audience est décuplée. Annuler ? Mais, alors, qu’allait-il advenir des films ? »

DAVID LISNARD, MAIRE DE CANNES : « LE PALAIS, C’EST NOTRE USINE MICHELIN. AUJOURD’HUI, IL EST TOTALEMENT À L’ARRÊT. ON METTRA DES ANNÉES À SE RELEVER »

Cet atermoiement provoque d’autres interrogations, des doutes. En campant dans l’ambiguïté, les organisateurs ne témoignent-ils pas de leur crainte de voir la manifestation cannoise supplantée par Venise, Berlin ou Toronto, au calendrier plus favorable ? A Venise le patron de la Biennale qui chapeaute la Mostra s’impatiente. Depuis le Lido, Antonio Barbera, son directeur, hisse un drapeau blanc préventif : « Ce n’est pas le moment de se tirer dans les pattes. Tout le monde doit être solidaire. »

Alors que les sections parallèles (Semaine de la critique, Quinzaine des réalisateurs, etc.) renoncent à leur manifestation, pourquoi ne pas, à l’image du Festival de Nyon (Suisse) ou de celui de Sydney, opter pour une compétition numérique ? Diplomatiquement, Frémaux repousse, dès le 7 avril, cette hypothèse dans le magazine américain Variety, la bible des professionnels du cinéma.

Mais, en privé, il s’agace : « Je ne sais pas ce que c’est, un festival virtuel ! Les films en libre-service pour les accrédités ? Qui l’acceptera ? Etymologiquement, un festival, c’est une fête. C’est physique. C’est une projection publique. Après quoi, tout commence. » Lescure ironise : « Et pourquoi pas un salon de l’eBook pendant qu’on y est ! » Plus sérieusement, il reprend : « Thierry, David et moi, nous avons une relation passionnelle avec le Festival. Cannes, c’est le plus grand du monde. Celui qui a le plus de retentissement. Chaque festival à son identité, mais seul Cannes est Cannes. C’est un truc énorme qui vous oblige et vous émeut. C’est un monument mondial. »

L’amour du cinéma. Il ne faudrait pas chercher ailleurs les raisons qui ont conduit Frémaux et Lescure à ne jamais prononcer le mot « annulation ». « Cannes, ce ne sont pas que la montée des marches et les paillettes, analyse le directeur délégué. Le glamour, c’est ce qui compte le moins. On reste pour aider le cinéma. »

Avec le soutien de l’Elysée, manifesté par la conseillère culturelle d’Emmanuel Macron, Rima Abdul-Malak, une solution se fait jour, vacillante comme la flamme d’un cierge. Le 14 avril, un communiqué officiel prend acte de l’impossibilité d’organiser la manifestation sous « sa forme actuelle ». Et ajoute, sibyllin, qu’il doit « continuer à étudier l’ensemble des éventualités permettant d’accompagner l’année cinéma en faisant exister les films de Cannes 2020 d’une manière ou d’une autre. »

Ni annulé, ni tronqué, ni virtuel, mais vaporisé… Le 73e Festival de Cannes devient une marque, un label dont pourront se prévaloir les films sélectionnés et qui accepteront de le porter. Leur liste est en cours d’élaboration, leur nombre n’est pas fixé. On en saura plus en juin, consent à dire Thierry Frémaux. Cette distinction pourrait, dans le meilleur des scénarios, provoquer le désir de voir les films quand les salles rouvriront et, par conséquent, enclencher un cercle vertueux… « Il faut improviser. Cela va être compliqué de faire redémarrer l’industrie », estime, non sans inquiétude, Pierre Lescure.

Cannes 2020 existera, au moins comme un millésime, mais sans palmarès. Une sorte de fantôme. Le Palais des festivals restera désert. A quelques jours du 12 mai, David Lisnard se désolait. « Le palais, disait-il, c’est notre usine Michelin. Aujourd’hui, il est totalement à l’arrêt. On mettra des années à se relever. Comme tous les Cannois, j’aimais quand le Festival repliait bagage, mais j’adorais quand il débarquait… Cette excitation… C’était notre fierté commune. Plus de soixante-dix ans d’efforts collectifs fichus par terre. » Et si en plus il fait beau…

12 mai 2020

Coronavirus

corona

12 mai 2020

Conseil Constitutionnel

En France, des dispositions sur le traçage et l’isolement des malades censurées par le Conseil Constitutionnel. Les Sages ont validé lundi la loi prorogeant jusqu’au 10 juillet l’état d’urgence sanitaire et organisant le déconfinement. Le gouvernement attendait cette décision pour que le texte puisse entrer en vigueur. Ils ont en revanche estimé que les mesures d’isolement des personnes entrant sur le territoire national sans intervention d’un juge judiciaire étaient “privatives de liberté”. En matière de “traçage”, le Conseil Constitutionnel a aussi émis des restrictions sur le champ des personnes susceptibles d’avoir accès aux données de nature médicale, sans le consentement de l’intéressé. La France est loin d’être le seul pays en Europe où le traçage fait débat. En Belgique, “les informations fournies lors d’une interview réalisée par un agent de call center seront stockées dans une base de données sécurisée de l’institut de santé Sciensano. Mais comment s’assurer que ces données ne seront pas plus tard utilisées pour faire du profilage de citoyen ou encore pour gérer des enjeux de sécurité ?”, s’interroge la RTBF.

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