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Jours tranquilles à Paris

5 avril 2020

Enquête : « Je suis comme un lion en cage » : confiné seul dans des petites surfaces, l’épreuve du feu

Par Jessica Gourdon

Chambre de bonnes, studettes, résidences étudiantes… Si beaucoup de jeunes sont rentrés chez leurs parents, ceux qui sont restés dans leur logement expérimentent une forme de solitude inédite.

Quand Valentin a appris qu’il allait devoir se confiner dans sa chambre de 15 m2, il en était presque amusé. « J’étais content de sortir du confinement, et voilà que je replonge dedans… » Ironie du calendrier, cet étudiant à Supaéro [Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace] était revenu la veille dans sa résidence toulousaine, après avoir été enfermé… pendant deux semaines dans une fausse base martienne, plantée au milieu d’un désert de l’Utah.

Cette expérimentation est proposée par la Mars Society à des groupes d’étudiants du monde entier, dans le cadre de recherches sur la vie sur la planète rouge. A sept dans 40 m2, avec une seule sortie par jour (« en combinaison »), un accès à Internet limité et des fenêtres fermées : pour la vie confinée, Valentin était rodé.

« Du coup, là, je le vis plutôt bien », commente le jeune homme de 21 ans, qui rêve d’être astronaute. Et ne pensait pas devoir appliquer si vite dans son quotidien les leçons de son expérience dans l’Utah : se fixer un planning, transcrire par écrit ses émotions, garder une activité physique quotidienne et des moments de détente, faire de la relaxation…

Alors que beaucoup d’étudiants sont revenus chez leurs parents pour le confinement, certains, pour des raisons variées – peur de les contaminer, relations difficiles, contraintes liées à un job ou à l’exiguïté du logement familial – sont amenés à vivre cette période dans de très petites surfaces, en solitaire. Dans les résidences d’étudiants par exemple, 40 % des jeunes sont restés, selon le Centre national des œuvres universitaires. Et contrairement à Valentin, beaucoup de ces jeunes adultes ne sont pas préparés à une telle épreuve.

Des logements conçus pour vivre à l’extérieur

Tout d’abord car les logements de petite taille sont avant tout conçus pour vivre à l’extérieur. Dans les résidences, les espaces collectifs (cuisines, cantines, salles de sport, foyers…) ont fermé ou sont en accès restreint, obligeant les locataires à se confiner dans des espaces non prévus pour y passer tout son temps.

« Dans les usages, les petits logements sont faits pour dormir, pour s’y réfugier après avoir passé la journée dehors. Ils sont un peu comme des cocons, des cabanes. Le salon, c’est le reste de la ville, ce sont les salles de cours, les cafés, les parcs », raconte Anja Hess, auteure du livre-enquête Les Habitants des chambres de bonnes à Paris (L’Harmattan, 2016).

Maximilien, qui vit dans un 18 m2 « pas lumineux » à Châtillon (Hauts-de-Seine), à côté de Paris, raconte qu’il avait l’habitude, après ses cours à l’école du Louvre, de voir des amis ou de travailler à la bibliothèque de Beaubourg jusqu’à 22 heures. Il passait rarement des soirées dans son studio, et le week-end, il était toujours dehors. « C’est franchement compliqué à vivre. Il y a des jours où je me sens comme un lion en cage. »

« A PART PASSER DE MA CHAISE AU LIT, JE NE PEUX PAS TELLEMENT FAIRE PLUS », RACONTE NADIA, LOCATAIRE D’UN 14 M2 À PARIS

Tous ceux que nous avons interrogés le disent : le plus difficile, dans ces petits espaces, est de séparer le travail des moments de détente. Quand Nadia, qui loue un 14 m2 à Paris, termine sa journée de stage derrière son ordinateur, elle reste au même endroit. « A part passer de ma chaise au lit, je ne peux pas tellement faire plus », raconte cette étudiante au Celsa.

« Le plus dur, c’est de rester concentré sur son travail quand on est en permanence dans le même espace », remarque Auxence, 22 ans, en master de cinéma à l’université de Lille, qui vit dans une chambre du Crous de 9 m2 à Villeneuve-d’Ascq. Il avait l’habitude de réviser en groupe à la bibliothèque. « Et là, franchement, j’ai du mal à travailler. Au quotidien, c’est assez horrible », commente l’étudiant, qui essaie tant bien que mal de boucler son mémoire sur les idoles yé-yé.

Cette restriction de l’espace peut avoir un effet anxiogène. « Elle atteint l’élan vital. Quand on vit dans un espace confiné, quand le corps est contraint, c’est comme si le champ des possibles de l’existence était refermé », estime Jeanine Chamond, professeure émérite en psychologie, qui a notamment travaillé sur le corps des prisonniers.

« ÇA ME FAIT PENSER À UNE CELLULE DE PRISON. J’AI L’IMPRESSION DE DEVENIR UN PEU FOU. C’EST UNE ÉPREUVE », CONFIE JULIEN, ÉTUDIANT À PARIS

Un sentiment partagé par Julien, 24 ans, étudiant en master de lettres. A Paris, il loue une chambre de bonne de 9 m2 sur le boulevard Saint-Germain – 600 euros de loyer par mois, avec toilettes sur le palier. Au sixième étage de son immeuble haussmannien, il est le seul locataire à ne pas avoir plié bagage. Il ne quitte son perchoir que le dimanche, pour remplir les rayons du Monoprix Saint-Michel, où il travaille une demi-journée par semaine.

« Ce qui est difficile, c’est d’être contraint à l’immobilité. Je me sens enfermé, empêché de bouger, j’ai du mal à me concentrer… Ça me fait penser à une cellule de prison. J’ai l’impression de devenir un peu fou. C’est une épreuve, je me dis que j’attends la libération. » Une consolation pour ce Toulousain d’origine, il a découvert A La Recherche du temps perdu : sur son lit simple, Proust le transporte du côté de chez Swann, un œil sur le ciel de Paris.

« Ça n’allait pas, j’écoutais du Barbara »

Au-delà de l’espace restreint, le plus grand défi, pour ces jeunes, est d’affronter la solitude. Dans l’immeuble parisien où réside Nadia, il y a dix studios. Avec ses voisins, ce n’étaient parfois que de simples « bonjour », mais c’était une présence. Depuis le confinement, l’étudiante de 22 ans ne croise plus personne. « J’ai l’impression d’être la seule qui n’a pas réussi à fuir. »

Son appartement, un rez-de-chaussée dans le 15e arrondissement de Paris, donne sur une cour et sur l’entrée d’un parking. « Je vois un peu le ciel, mais je dois me pencher. » Au loin, les cloches d’une église ou le bruit des oiseaux l’apaisent, et donnent à son quotidien un air de normalité. « D’habitude je suis une personne enjouée. Mais là, je vois qu’au fil des jours je deviens irritable. Evidemment, cette situation joue sur le moral », dit-elle.

« C’est dur de se sentir seule et enfermée », reconnaît aussi Léa, 22 ans, depuis son studio de 18 m2 à Maurepas (Yvelines), qui donne sur une route nationale presque déserte. Cette étudiante en master de ressources humaines admet que son moral « fait des montagnes russes », mais tient bon. Tout comme Maximilien, qui a eu fin mars un « gros coup de blues » de deux jours : « Ça n’allait pas, j’écoutais du Barbara. » Les contacts par visio avec ses amis l’aident à retrouver le moral. « Mais plus les jours passent, plus on se rend compte que ça ne remplace pas les contacts humains », note-t-il.

Plus ou moins difficile selon chacun

Tous ne vivent pas mal cette situation. Certains s’en accommodent, comme Sophie, 20 ans, étudiante en webdesign. Dans sa résidence Campuséa de Bagnolet (Seine-Saint-Denis), elle a réorganisé sa vie avec efficacité. Après sa journée de stage en télétravail, elle fait de la broderie, suit des cours d’orthographe, joue à des jeux de société virtuels avec ses voisins qui n’ont pas déserté – une vingtaine parmi la centaine d’étudiants. « Je fais plus de sport que d’habitude, j’ai plus de temps pour moi, je fais des masques, j’ai la peau toute lisse. » Elle voit aussi son copain, locataire au septième étage. « Du coup, je le vis plutôt bien. »

En réalité, pour ces étudiants, la façon de vivre ce confinement dépend de leur ancrage dans leur vie et dans leur habitat, estime le sociologue Christophe Moreau, spécialiste des jeunes adultes. Il distingue plusieurs profils : ceux qui sont rentrés pour le confinement chez leurs parents, souvent les plus jeunes ; ceux qui ont investi leur nouvelle vie indépendante et leur logement, qui réussissent à entretenir des relations à distance et à s’organiser ; et enfin, ceux qui sont restés dans leur appartement mais manquent de ressources pour gérer leur emploi du temps, se préparer des repas équilibrés, ou pour qui la solitude est très déstabilisante.

C’est pour ces derniers que cette épreuve est la plus dure, selon Christophe Moreau :

« A cet âge, le groupe de pairs, c’est une bouée de sauvetage, c’est une façon de dépasser les traumatismes de l’adolescence, c’est plus qu’une source d’amusement. Le collectif joue un rôle de pacificateur d’émotions et de sécurisation identitaire. Quand il n’est pas là, cela peut être dramatique pour certains. »

Sans aller jusqu’à cette situation, ce confinement reste, dans tous les cas, une « épreuve de soi », résume Christine Bouvier-Müh, enseignante-chercheuse en philosophie à l’université catholique de Lyon. Une expérience inédite pour tout le monde, qui se vit mieux dans un espace plus grand mais laisse chacun affronter sa « solitude de sujet ». « L’essentiel est de garder le contact avec l’extérieur, de continuer à bouger, et de ne pas se laisser submerger par les nouvelles alarmantes ou par le travail », conseille-t-elle.

Après une demi-heure au téléphone où il nous a parlé de sa vie confinée, Maximilien est formel : dès que tout cela sera terminé, il ira passer une nuit ailleurs, pour voir « un autre ciel ». Et puis, il va résilier le bail de son 18 m2. Il cherchera un appartement plus grand, en colocation, pour la rentrée.

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5 avril 2020

Virginie Efira

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5 avril 2020

Faut-il généraliser le port du masque ? Le discours officiel commence à s’infléchir

Alors que l’Organisation mondiale de la santé veut limiter les masques aux soignants et aux malades, le gouvernement américain et l’Académie de médecine en France préconisent un recours plus large.

Faut-il généraliser le port du masque ? Depuis le début de l’épidémie, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et de nombreux gouvernements répètent que les masques doivent être uniquement utilisés par les soignants, les malades et leur entourage proche, en disant s’appuyer sur des données scientifiques. Mais le discours officiel a changé dans plusieurs pays cette semaine.

Quelles positions ont changé ?

La volte-face la plus spectaculaire est venue des Etats-Unis vendredi 3 avril : le président, Donald Trump, a annoncé que les autorités sanitaires conseillaient désormais aux Américains de se couvrir le visage lorsqu’ils sortent de chez eux. C’est « seulement une recommandation », a ajouté le président américain précisant qu’il ne le ferait sans doute pas lui-même. La veille, le maire de New York, Bill de Blasio, avait demandé aux habitants de se couvrir le visage à l’extérieur, avec un foulard si besoin.

En France, l’Académie de médecine a jugé vendredi qu’il fallait attribuer en priorité les masques FFP2 et chirurgicaux aux soignants, mais qu’un masque « grand public » devrait être rendu obligatoire pour les sorties pendant et après le confinement.

Le Directeur général de la santé, Jérôme Salomon, a infléchi sa position en annonçant la fabrication de masques « alternatifs », autres que médicaux : « Nous encourageons le grand public, s’il le souhaite, à porter (…) ces masques alternatifs qui sont en cours de production. » Une position qui reste optionnelle, comme il l’a rappelé samedi soir :

« Nous apprenons chaque jour de ce nouveau virus. Peut-être qu’un jour nous proposerons à tout le monde de porter un masque mais on n’en est pas là. Tout ça se discute avec les experts, avec le conseil scientifique et avec les experts de virologie. Avec toutes les agences nationales. »

En Allemagne, l’Institut Robert-Koch, l’établissement de référence en santé publique, a encouragé les citoyens à porter en public des masques faits maison. Il n’y a « pas encore de preuve scientifique » qu’ils limitent la propagation du virus, mais cela « semble plausible », a estimé son président.

En Italie, la Lombardie a décidé qu’à partir de dimanche, ceux qui sortiront devront se couvrir les voies respiratoires, avec des masques, ou à défaut des écharpes ou des foulards. Les supermarchés seront par ailleurs tenus de fournir des gants et du gel hydroalcoolique à leurs clients.

Le port du masque est obligatoire en République tchèque et en Slovénie, et l’Autriche l’a généralisé dans les supermarchés.

Il a également été imposé en Turquie.

Pourquoi un tel revirement ?

Jusqu’à présent, les autorités occidentales réservaient le port du masque aux personnels soignants et aux malades, ce qui étonnait beaucoup les pays asiatiques. Le directeur général du Centre chinois de contrôle et de préventions des maladies, George Gao, a averti dans un entretien publié le 27 mars que « la grande erreur aux Etats-Unis et en Europe est que la population ne porte pas de masque ».

Parmi les craintes principales figure l’hypothèse selon laquelle le coronavirus pourrait se transmettre par l’air expiré (les « aérosols » dans le jargon scientifique). Ce mode de transmission n’est pas encore scientifiquement prouvé, mais on suspecte que « le virus puisse se transmettre quand les gens ne font que parler, plutôt que seulement lorsqu’ils éternuent ou toussent », a déclaré vendredi sur Fox News le très respecté spécialiste américain Anthony Fauci, conseiller de Donald Trump.

S’il était confirmé, ce mode de transmission expliquerait la haute contagiosité du virus, également transmis par des patients sans symptômes.

L’OMS pourrait-elle changer d’avis ?

Jusqu’à présent, l’OMS s’en tient encore à sa position initiale, en craignant que l’usage généralisé du masque donne un « faux sentiment de sécurité » et fasse oublier les indispensables mesures barrières (distanciation sociale, lavage des mains…).

Toutefois, son patron, le docteur Tedros Adhanom Ghebreyesus, a concédé mercredi qu’elle continuait à « évaluer l’usage potentiel du masque de manière plus large ». « La pandémie évolue, les preuves et nos avis aussi », a-t-il glissé.

Une étude parue vendredi dans la revue Nature lui donnera du grain à moudre : elle conclut que le port de masques chirurgicaux réduit la quantité de coronavirus dans l’air expiré par des malades (l’expérience a été faite avec d’autres coronavirus que le SARS-CoV-2, responsable de l’épidémie actuelle).

Quelle efficacité des masques « alternatifs » ?

De nombreux pays, dont la France, font face à une pénurie de masques médicaux et chirurgicaux. Le personnel soignant, qui est prioritaire pour les utiliser, est parfois démuni dans certaines structures.

Pour éviter la ruée sur les masques médicaux, ce sont donc les masques faits maison ou fabriqués par l’industrie textile qui sont mis en avant. Des tutoriels de fabrication de masques artisanaux circulent largement sur Internet, parfois émanant d’hôpitaux ou de sociétés savantes.

Attention toutefois à bien avoir en tête que ces masques « alternatifs » ou « écrans antipostillons », comme les appelle le collectif français Stop-postillons (qui propose des modèles sur son site) n’ont pas un effet protecteur très efficace contre le coronavirus. Il est dangereux de les utiliser lorsqu’on est en contact étroit avec un malade.

La plupart ne sont pas dotés de filtres suffisants. En revanche, ils servent à ne pas contaminer les autres, dont à ralentir la propagation du virus. Porter un masque évite aussi de se toucher le visage avec les mains, qui peuvent être contaminées.

5 avril 2020

Extrait d'un shooting - photos : Jacques Snap

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5 avril 2020

Smartphones, applis… les défis du pistage massif pour lutter contre la pandémie

Par Martin Untersinger, David Larousserie

Chercheurs et politiques envisagent l’utilisation d’applications sur mobiles pour suivre les malades du Covid-19 et les personnes qu’ils ont pu infecter. Des pays ont franchi le pas. Le risque existe, en l’absence de garanties, d’aboutir à une surveillance de masse.

Après les masques et les tests, les téléphones mobiles pour lutter contre la pandémie de Covid-19 ? Le 26 mars, une vingtaine de chercheurs du monde entier ont mis en ligne un « manifeste » insistant sur l’utilité des données téléphoniques en temps d’épidémie pour « alerter », « lutter », « contrôler » ou « modéliser ».

Chaque abonné mobile, en sollicitant des antennes relais, donne en effet à son opérateur un aperçu de ses déplacements. Les « simples » listings d’appel, après anonymisation, peuvent ainsi permettre de savoir comment se déplacent des populations, où se trouvent des zones à forte densité, donc à risque, vérifier si des mesures de restriction de mobilité sont bien appliquées… Ces techniques ont déjà fait leurs preuves dans des situations de crise, notamment contre Ebola. Et le 3 avril, l’ONG Flowminder a publié un rapport préliminaire d’analyses des mobilités au Ghana, grâce à un accord avec Vodafone, permettant d’estimer le respect des restrictions imposées dans deux régions.

Les données des opérateurs peuvent aussi améliorer les modèles épidémiologiques. Ceux-ci considèrent classiquement que les populations sont homogènes, avec des individus ayant les mêmes chances de se contaminer les uns et les autres. La réalité est évidemment différente : les contacts sont plus nombreux à l’école que dans une entreprise, les adolescents sont plus « tactiles »… Les téléphones peuvent quantifier ces interactions dans différents lieux, voire diverses tranches d’âge. Ils peuvent aussi donner des indications sur leurs évolutions entre période normale et confinée. Un sujet sur lequel va travailler une équipe de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) en collaboration avec Orange.

Mais les téléphones peuvent parler plus précisément. Chercheurs et responsables politiques envisagent sérieusement l’utilisation des mobiles pour révolutionner le contact tracing, ou « suivi de contacts ». C’est-à-dire le pistage, grâce à des applications installées sur les smartphones, des malades et des personnes qu’ils sont susceptibles d’avoir infectés.

Censé garantir la protection des données personnelles

La Chine, Singapour ou la Corée du Sud ont déjà franchi le pas. Et de nombreux autres pays s’apprêtent à les imiter, comme le Royaume-Uni ou l’Allemagne. En Europe, le dispositif qui semble tenir la corde n’est pas exactement le même qu’en Chine. Plutôt que de savoir où s’est rendu un malade, l’idée est d’identifier qui cette personne a côtoyé. Et cela, sans nécessairement accéder à ses déplacements, mais en détectant les téléphones à proximité, grâce notamment à la technologie sans fil Bluetooth.

Le 1er avril, PEPP-PT, un consortium de chercheurs européens, a annoncé être sur le point de lancer une infrastructure informatique permettant aux autorités sanitaires de construire une telle application de suivi des patients. Tout le code informatique sera ouvert, et le modèle est censé garantir la protection des données personnelles. Il doit permettre, espèrent-ils, de faire fonctionner ensemble des applications de différents pays afin de s’adapter aux déplacements des populations. Les premières applications fondées sur ce protocole, dont les derniers tests sont en cours, pourraient arriver à la « mi-avril ». Plusieurs gouvernements suivraient de près leurs travaux.

Aux Etats-Unis, des chercheurs du Massachusetts Institute of Technology (MIT) développent une application similaire. Celle-ci fonctionnerait en deux phases. D’abord, il sera possible pour chaque utilisateur d’enregistrer, avec le GPS et le Bluetooth, ses déplacements et de les partager, ou non, avec une autorité de santé. Cette dernière pourrait, en agrégeant les informations reçues, diffuser les zones à risque auprès des utilisateurs. Les chercheurs assurent travailler sur des mécanismes cryptographiques rendant impossible pour l’autorité d’accéder aux données individuelles. Dans un second temps, les utilisateurs pourraient être avertis s’ils ont été en contact rapproché avec une personne malade. Cette équipe se targue, elle aussi, de collaborer avec de « nombreux gouvernements de par le monde » et d’avoir approché l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

« Choix entre le confinement et le suivi de contact par téléphone »

La confiance dans cette méthode de suivi des contacts s’appuie notamment sur une étude parue dans Science, le 31 mars, et réalisée par l’université d’Oxford. Les auteurs du rapport ont travaillé sur deux types d’actions censés calmer le moteur de l’épidémie (autrement appelé taux de reproduction, soit le nombre de personnes qu’une personne infectée peut contaminer) : l’efficacité à isoler les cas et la mise en quarantaine des personnes ayant été en contact avec un malade.

« La transmission, dans le cas du Covid-19, étant rapide et intervenant avant que des symptômes n’apparaissent, cela implique que l’épidémie ne peut être contenue par le seul isolement des malades symptomatiques », préviennent les chercheurs. D’où l’idée d’isoler aussi les contacts d’une personne contaminée.

Cette parade est ancienne et souvent utilisée en début d’épidémie pour la juguler et pour déterminer les paramètres-clés de la maladie. Mais la technique a ses limites, car elle demande de remplir des questionnaires et des enquêtes de terrain pour retracer les parcours et les interactions sociales.

Les chercheurs britanniques d’Oxford estiment qu’il faudrait le faire avec au moins 50 % d’efficacité, voire 80 %, pour faire décliner rapidement l’épidémie. Or cela est impossible avec les méthodes de suivi de contacts habituelles. Seule une application sur smartphone remplirait les critères de quantité et de rapidité. « Le choix réside entre confinement et ce suivi de contact par téléphone », résume Christophe Fraser, le responsable de l’équipe.

Nombreuses limites

Certains chercheurs estiment aussi que ces applications pourraient être utiles lors du déconfinement des populations pour éviter à cette occasion une flambée épidémique. « Plutôt que de mettre en quarantaine des populations entières, nous pourrions le faire seulement avec ceux pour qui c’est nécessaire. La seule façon de faire tout ça, c’est de manière numérique », a affirmé, lors de la présentation du projet PEPP-PT, Marcel Salathé, directeur du département d’épidémiologie numérique de l’Ecole fédérale polytechnique de Lausanne.

Si ces applications présentent sur le papier un grand intérêt épidémiologique, personne n’a jamais tenté d’en développer une pour un pays entier en seulement quelques jours. Jusqu’ici, seules des initiatives localisées, aux résultats certes prometteurs, ont été expérimentées. « Mes collègues et moi pensons qu’une solution électronique de suivi de contacts à grande échelle peut fonctionner si des efforts considérables sont entrepris pour adapter son fonctionnement aux processus sanitaires existants, et si elle est adaptée à ses utilisateurs », explique le docteur Lisa O. Danquah, de l’école de santé publique de l’Imperial College, à Londres.

Les limites à ce type d’applications sont nombreuses. D’abord, on ne sait pas tout sur le SARS-CoV-2 : pendant combien de temps un patient est-il asymptomatique et contagieux ? Sur les surfaces, à partir de quelle « quantité » de virus le risque de contamination apparaît-il ? Jusqu’à quelle distance et pendant combien de temps considère-t-on qu’il y a eu un contact à risque ?

« Ce n’est pas une baguette magique »

Du paramétrage du système dépendront le nombre de fausses alertes et le degré d’engorgement des lieux de dépistage. « Ces applications sont utiles, mais ce n’est pas une baguette magique. Cela peut faire parti d’un éventail de mesures. Il semble bien que les masques aient aussi un effet, par exemple, sur la propagation », rappelle Alain Barrat, physicien au Centre de physique théorique de Marseille, qui a travaillé avec des capteurs de courte portée dans des écoles et des hôpitaux pour recenser les interactions précises.

Il n’est pas non plus acquis que le Bluetooth soit capable d’évaluer finement la distance entre les individus. Les développeurs de l’application de Singapour expliquent que, pour un usage optimal, l’application doit être ouverte en permanence.

Par définition, ces applications ne fonctionneront que si elles sont installées par un nombre significatif d’individus. Le corollaire, comme le fait remarquer Michael Parker, professeur de bioéthique à l’université d’Oxford et coauteur de l’article de Science, est que les utilisateurs aient confiance dans le système.

Le concept de données anonymes est trompeur

Pour cela, il recommande la transparence du code informatique et son évaluation indépendante, la mise en place d’un conseil de surveillance avec participation de citoyens, le partage des connaissances avec d’autres pays… « Le fait que les gens restent libres de choisir et de ne pas installer l’application est aussi un garde-fou », ajoute-t-il. Un sondage réalisé les 26 et 27 mars par son équipe montre que 80 % des Français interrogés seraient prêts à installer une telle application. Une enquête qui a ses limites, les sondés s’étant prononcés uniquement sur l’application imaginée par les chercheurs, a priori peu gourmande en données personnelles.

Ce type de dispositif de suivi, à l’échelle d’une population entière, pose justement la question des informations personnelles et de leur utilisation par les Etats. Même si le dispositif ne repose pas sur la géolocalisation et que ces données restent sur le téléphone, d’autres informations pourraient, en effet, être collectées. Et la question de la sécurité du code de l’application – une faille permettrait à des pirates de s’emparer des données – est entièrement ouverte.

Quelle que soit la solution technique, ces dispositifs vont brasser des données très sensibles. Or, les scientifiques ont largement prouvé que le concept de données anonymes est trompeur. Certes, plusieurs experts estiment que ces applications ne sont pas condamnées à installer une surveillance de masse. Mais encore faut-il qu’elles fassent l’objet d’un développement informatique minutieux et vérifié, utilisent des algorithmes éprouvés. Le tout avec la mise en place de robustes garde-fous techniques et légaux. « Il est possible de développer une application entièrement fonctionnelle qui protège la vie privée. Il n’y a pas à faire un choix entre le contact tracing et la vie privée. Il peut y avoir un très bon équilibre entre les deux », assure Yves-Alexandre De Montjoye, expert reconnu qui dirige le Computational Privacy Group à l’Imperial College de Londres. A condition de s’en donner les moyens.

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5 avril 2020

Pandémie - Coronavirus : New York appelle à l’aide en se préparant au pire

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COURRIER INTERNATIONAL (PARIS)

L’État de New York, épicentre de la pandémie de Covid-19 aux États-Unis, a appelé à l’aide les personnels de santé de tout le pays, pour affronter le pic de contamination à venir, auquel les autorités admettent ne pas être préparées.

“Samedi a apporté son lot de chiffres alarmants pour (l’État de) New York, qui a enregistré 630 morts dus au Covid-19 depuis vendredi”, rapporte NPR. C’est le bilan quotidien le plus lourd jamais enregistré par l’État, qui déplore à ce jour 3 565 décès, pour plus de 113 000 cas. À l’échelle du pays, les seuils de 300 000 cas et 8 000 morts ont également été largement franchis samedi.

“New York continue à supplanter les autres États”, même si le New Jersey voisin “fait état d’une éruption de cas alarmante”, précise la radio publique.

Lors d’une conférence de presse, Andrew Cuomo, gouverneur de l’État de New York, a averti qu’il faudrait encore “plusieurs jours avant d’atteindre le pic de contaminations”, et que son État “n’était pas prêt” à y faire face, selon le New York Times.

Comme de nombreux autres États américains, New York manque de matériel et de personnel médical pour gérer l’afflux de malades, et pointe du doigt l’incurie du gouvernement fédéral et du président Donald Trump dans la gestion et la répartition des ressources.

Mais d’autres pays et États tendent la main à la mégapole de la côte est. Politico précise ainsi que “le gouvernement chinois va envoyer à New York 1 000 respirateurs artificiels, et que (l’État de) l’Oregon allait en acheminer 140 autres”.

“Ce n’est pas rien et cela va faire une grande différence pour nous”, a assuré M. Cuomo. “Nous menons tous la même bataille et cette bataille, c’est d’arrêter la propagation du virus”. Le gouvernement fédéral a pour l’instant fourni environ 4 000 respirateurs.

New York reste cependant loin du compte, souligne Politico : les services du gouverneur “estiment qu’au pic de la pandémie, 37 000 respirateurs artificiels seront nécessaires” pour traiter les malades.

“Plusieurs mini-Katrina”

Côté personnel médical, les besoins sont encore plus grands, selon Bill de Blasio, le maire de New York. “Mon problème, à l’instant présent, c’est que je n’ai pas assez de docteurs et d’infirmières”, a-t-il déclaré sur la chaîne MSNBC. “J’ai besoin de 45 000 professionnels de santé opérationnels pour surmonter avril et mai”.

S’en prenant directement à la gestion de Donald Trump, il a déploré qu’il “n’y ait pas de mobilisation nationale” malgré “une situation de guerre”, observant que de nombreux personnels soignants d’États moins touchés pourraient venir soutenir leurs collègues à New York.

Faisant référence à l’ouragan qui avait dévasté la Nouvelle Orléans en 2005, il a averti que la situation allait s’apparenter à “plusieurs mini-Katrina, avec de multiples villes faisant face à la crise en même temps”.

M. Cuomo a précisé qu’il allait puiser dans le vivier des étudiants pour soulager les hôpitaux, explique le HuffPost. Le gouverneur “va permettre aux étudiants en médecine de l’État, qui devaient obtenir leur diplôme au printemps, de pouvoir exercer dès maintenant”, selon le site.

Quant à Donald Trump, qui a qualifié les critiques de M. Cuomo à son encontre de “peu élégantes”, il a promis qu’“un millier de personnels médicaux militaires seraient déployés à New York, pour prêter main-forte là où les besoins seront les plus importants”, selon The Hill. Pour le président, la ville est “le plus chaud de tous les points chauds”.

Lors de son point presse quotidien, M. Trump a promis une semaine difficile aux Américains, rapporte le Washington Post. “Ce sera probablement la plus difficile, entre l’actuelle et la suivante”, a-t-il dit. “Et malheureusement, il y aura beaucoup de morts”.

5 avril 2020

Extrait d'un shooting - Photos ; Jacques Snap

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5 avril 2020

Anaïs Nin, parfum de femme

Par Claire Devarrieux

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Anaïs Nin, vers 1930. (Photo Granger. Bridgeman Images)

Nouvelles de jeunesse inédites

Où est Anaïs Nin (1903-1977) dans votre bibliothèque ? Parions qu’elle n’est pas forcément rangée parmi les préférés, qu’elle n’a pas droit aux illustres compagnonnages et que Virginia Woolf n’est pas sa voisine. L’Intemporalité perdue et autres nouvelles, recueil inédit qu’on découvre - chance - dans une traduction d’Agnès Desarthe, pourrait inciter à revoir les classements. Ce sont seize textes de jeunesse antérieurs à 1930, d’intensité variable, mais tous ravissants.

«Efforts premiers»

Quand Anaïs Nin autorise leur publication, elle demande à ce qu’on précise qu’il s’agit d’«un livre destiné seulement aux amis». Il paraît posthume, l’année de sa mort. En 1976, elle a aussi donné son accord pour l’édition des histoires de cul rédigées en 1940 pour cent dollars et le seul usage d’un collectionneur qui avait d’abord contacté Henry Miller, l’amant essentiel dont elle est bientôt séparée. Par horreur de «la vulgarité», explique Miller, elle avait honte de ces histoires qu’elle avait pourtant su rendre élégantes. «J’ai finalement décidé de publier ces textes érotiques, parce qu’ils représentent les efforts premiers d’une femme pour parler d’un domaine qui avait été jusqu’alors réservé aux hommes», écrit-elle dans la présentation.

Anaïs Nin, avant de succomber à son cancer, a le temps de voir les épreuves de Vénus Erotica et des Petits Oiseaux. Egalement posthumes, traduits dans le monde entier, en France dès 1978, ce sont ses uniques best-sellers. Ils permettent à ses deux maris, car elle a épousé le premier sans divorcer du second, Rupert Pole (1919-2006) à Los Angeles, et Hugo Guiler (1898-1985) à New York, de vivre confortablement jusqu’à la fin de leurs jours. Guiler, ruiné, n’est plus banquier depuis longtemps lorsque, pour la première fois de sa vie, Anaïs Nin dans les années 70 se met à gagner de l’argent avec la publication de son Journal. Elle peut alors entretenir à son tour celui qu’elle n’a pas pu quitter : il n’a jamais cessé de subvenir à ses besoins, les siens et ceux de sa famille, sans oublier les amants qu’il aura fallu nourrir, loger, financer. «L’absolu me hante», son mantra, s’est toujours heurté à la réalité matérielle.

Music-hall

Au temps de l’Intemporalité perdue, Anaïs Nin est la jeune épouse de Hugh, dit Hugo, dont le salaire à la National City Bank permet à la mère d’Anaïs Nin et à ses deux fils de les rejoindre à Paris où ils se sont installés en 1924, un an après leur mariage. Le couple vit à Montparnasse avant d’emménager à Louveciennes, dans les Yvelines. Le recueil de nouvelles a pour décors quelques scènes de music-hall («Le sentiment tzigane») où l’auteure exploite son goût pour la danse espagnole, des cafés parce qu’il faut souligner l’ambiance française, mais les personnages évoluent surtout dans des intérieurs raffinés. Les héroïnes existent et gouvernent par la séduction, comme l’auteure. Et comme toutes les figures féminines qui peuplent ses fictions, elles souffrent d’un décalage, elles ne sont pas ce qu’elles paraissent, elles se débattent contre l’écran de leur charme. Aucune n’est méchante. La différence, c’est l’humour. Il ne sera pas la vertu première de l’œuvre à venir. Il est absent du Journal, que ce soit dans les volumes que Nin a elle-même rédigés à partir de son journal intime, et qui ressemblent plutôt à des Mémoires, ni plus ni moins mensongers que l’autobiographie de Simone de Beauvoir, ou dans le journal non expurgé, publié après la mort d’Anaïs Nin. L’ironie y est amère quand elle se manifeste.

Pas la moindre amertume, plutôt de l’insolence, dans «Alchimie», la visite d’admirateurs au domicile d’un grand romancier, reçus par l’épouse qui révèle des secrets de fabrication peu reluisants. Dans «La peur de Nice», au Grand Hôtel, Lyndall se moque des clients, de la quantité de serveurs et des mets si sophistiqués que rien n’a de goût. Mais elle se moque aussi d’elle-même quand un accorte homme d’affaires, Brenan, par ailleurs voisin de balcon, s’approche : «Présentations. Pas le moindre changement dans les yeux de l’homme. On eût dit qu’il n’avait pas remarqué le visage de Lyndall, unique en son genre […]. Le mari de Lyndall lui-même sembla fâché de l’indifférence qu’il manifestait.»

«La peur de Nice» repose sur une ébauche de flirt, quand Brenan dresse le portrait de la femme parfaite, en quoi naturellement Lyndall se reconnaît. Ce que recherchent les hommes, ce que recherchent les femmes : c’est le grand sujet d’Anaïs Nin. Il est déjà présent dans ces nouvelles. Les hommes ont en tête un rêve de femme, un idéal que les femmes, chez Nin, se doivent de pulvériser, quitte à tout perdre («L’idéaliste»). Les femmes croient au changement et veulent entraîner leur partenaire dans cette direction : «Vous vivez de miracles et moi je m’efforce d’inspirer une pitié chronique», dit le Russe né place de Clichy dans «Le Russe qui ne croyait pas aux miracles et pourquoi». Dans «Fiancés par l’esprit», une femme est amoureuse d’un homosexuel, comme Anaïs Nin de son cousin Eduardo. Cet homme préférerait aimer les femmes. Dialogue : «C’est drôle, dit-il, tu ne me demandes pas de t’aimer à cent pour cent. Toutes les femmes me demandent de les aimer à cent pour cent. - Une demande qui manque singulièrement d’imagination. Une femme viendra qui n’exigera pas d’être aimée à cent pour cent. - Qui est-elle ? - C’est une femme dans la dernière nouvelle que j’ai écrite, mon personnage de femme ultramoderne, très préoccupée par ses propres visions et son œuvre. - Ah, dit-il. Mais c’est la femme dont je ne veux pas.»

Cet homme préférerait une paysanne : «Un homme supérieur peut m’inspirer un amour harmonieux, mais je suis incapable d’aimer une femme qui me séduit intellectuellement.» Elle est prête à céder, à se soumettre, à s’effacer, jusqu’à un certain point : «De façon inattendue, elle se rendit compte que sa tyrannie n’était pas celle de celui qui aime, mais celle de celui qui est incapable d’aimer. Elle comprit qu’il voulait se sentir fort en la rendant faible.» Une fine analyse des rapports de force apparaît dans plusieurs nouvelles, dont «Une fête gâchée». Une inconnue, magistralement belle, apparaît sans être invitée dans la réception très smart de Mrs Stellam. Laquelle se trouve percée à jour : «Toutes ses actions ne visaient qu’une fin unique : dominer, blesser, pour le plaisir exaltant de ressentir l’infinité de son emprise sur les autres. Dans les yeux de l’inconnue, elle lisait à présent tout cela, elle se voyait elle-même, entière et réelle, et, grâce à elle, elle observait tout cela sans crainte, directement, silencieusement.»

Double tranchant

Des flirts, mais pas encore de passions. Anaïs Nin reste allusive dans ces premières nouvelles : désir, baisers, pas de sexe. Nous sommes en deçà de 1930, c’est l’année suivante qu’elle rencontre Henry Miller, séduit son psychanalyste, René Allendy, et quelques autres. Dire qu’elle est fidèle à son mari serait cependant exagéré. «Fidélité» commence par la visite d’Alban chez Aline. Il est dramaturge, elle écrit. Il préfère aux cafés les boulangeries où «personne ne parle de l’inconscient avec la sensation aiguë d’être à la pointe de la mode». Puis, comme Anaïs Nin aime qu’on adresse des compliments à double tranchant aux personnages qui lui ressemblent, il dit : «C’est drôle comme vous écoutez. […] Vous devriez être la femme d’un écrivain.» Après la visite d’un autre soupirant, trop entreprenant, le «grand et jeune mari» rentre à la maison et Aline se jette à son cou. «Ma chère petite épouse honnête et fidèle, dit-il.»

Fidèle, Anaïs Nin ne l’est qu’à son enfance, à celle qui rêvait, à 17 ans, qu’on lui offre des roses rouges, mais d’abord à la petite fille qui pleurait en écoutant sa mère chanter, et qui découvrit les livres dans la bibliothèque de son père («La chanson dans le jardin»). L’absence et le retour du père, un pianiste qui abandonna sa femme et ses trois enfants quand Anaïs avait 11 ans, inspire probablement «Un sol glissant», où les rôles sont inversés, c’est la mère qui est partie et réapparaît. Dans la vie, Anaïs Nin voulait ressembler à son père, un esthète, plutôt qu’à sa mère, terre à terre et résignée. La mère, fille de l’ambassadeur du Danemark à Cuba, était d’un milieu aisé, le père était un Don Juan sans le sou qui fit un second mariage avantageux pendant que les siens, à New York, vivaient, plutôt mal, de la charité de la famille de sa femme. On peut lire, dans Journal de l’amour (non expurgé) dans quelles circonstances Anaïs Nin coucha avec lui.

Le père est central pour les livres à venir, notamment «Un hiver d’artifice», dans le recueil du même nom qui connut plusieurs versions (avant et après la guerre). L’héroïne revoit «son véritable Dieu» d’antan. Elle lui parle de son œuvre, et des histoires qu’elle écrivait enfant, abandon, tempêtes, dangers : «Il y avait aussi une autre histoire, celle du bateau ancré dans un jardin. Et tout à coup je descendais un fleuve et je tournais pendant vingt  ans sur l’océan sans jamais pouvoir aborder.» C’est l’histoire qui figure en tête de l’Intemporalité perdue et autres nouvelles, et lui donne son titre. Un jeune couple, calqué sur Anaïs et Hugo Guiler, se rend chez les inénarrables Farinole. Private jokes, rires obligatoires : une corvée. Il y a un bateau dans le jardin, l’héroïne y passe la nuit et entreprend un long voyage. Parfois, sur la rive, elle aperçoit son mari, prend des nouvelles. «Et toi, quel est ton but ? cria-t-il. Quelque chose de grand, répondit-elle en s’éloignant.»

En 1930, Anaïs Nin, qui n’a encore publié qu’un essai sur DH Lawrence, est à la tête de vingt-six nouvelles. Elle les envoie à des agents, à Janet Flanner, la correspondante du New Yorker à Paris, à Sylvia Beach, l’éditrice de Joyce et libraire de Shakespeare and Company. Personne ne la lit. Deux éditeurs lui font des avances, mais pas celles auxquelles Anaïs Nin pensait. Les nouvelles ne sortiront plus des tiroirs que pour être lues à ses amis et amants.

Soixante ans plus tard, dans les années 90, qu’en pensent les biographes ? Deirdre Bair : «Pour la plupart il s’agit de textes vides de sens […].» Noël Riley Fitch : «Les textes pèchent par leur sentimentalisme excessif et des personnages trop flous.» Bon.

Anaïs Nin ne devient célèbre qu’à 63 ans, quand paraît le premier volume du Journal. On connaissait seulement son existence, on subodorait sa teneur glamour, Paris d’avant-guerre, June et Henry Miller. Journal d’Anaïs Nin, 1953 : «Les éditeurs ne veulent pas me publier, les libraires ne veulent pas vendre mes livres, les critiques ne veulent pas de moi. Je suis exclue des anthologies et tombe dans l’oubli. J’ai dû payer l’impression d’Une espionne dans la maison de l’amour.»

«Orgie de mots»

La Maison de l’inceste, poème en prose d’inspiration surréaliste (1936), la Cloche de verre (1944), les Cités intérieures (cinq romans entre 1946 et 1958) : rien de marche. Anaïs Nin vogue contre l’air du temps. Fille de fasciste, amoureuse d’un communiste en 1936, l’engagement politique lui fait horreur : «Ils se trompent tous, ceux qui pensent vivre et mourir pour des idées.» Féministe, elle refuse de considérer les hommes comme des ennemis. La littérature américaine de son temps la consterne. Elle déteste la sobriété à la Hemingway. Kerouac l’intéresse mais elle lui reproche de ne pas être un conteur. Justine (1957) de son ami Lawrence Durrell la comble : «Quel banquet, une orgie de mots et de couleurs, un déchaînement des sens.»

C’est grâce à Lawrence Durrell qu’elle rencontre au printemps 1959 celui qui va être le «premier révélateur et défenseur» de son œuvre en France (dixit son premier éditeur chez Stock, André Bay, dans la postface de la Séduction du Minotaure). Le jeune Jean Fanchette, poète et médecin né à l’île Maurice, lance à Paris la revue Two Cities, dont elle sera bientôt la correspondante aux Etats-Unis. Outre des textes de Miller et Durrell, la revue publie bien sûr des nouvelles d’Anaïs Nin, précédées d’un article qui bouleverse l’intéressée, tant elle est «proche de la perfection». Jean Fanchette note : «L’art d’Anaïs Nin, c’est d’avoir su nommer et expliquer cette chimie du corps et de l’âme […].» Quoi de meilleur à savourer, écrit Anaïs Nin à Anna Kavan, qu’«une louange exacte» ?

Anaïs Nin

L'Intemporalité perdue et autres nouvelles Préface de Capucine Motte. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Agnès Desarthe. Nil, 234 pp., 18 € (ebook :12,99 €).

5 avril 2020

Big Brother

big brother

5 avril 2020

Man Ray photographe de mode au musée du Luxembourg

man ray

Man Ray a travaillé pour des grands noms de la mode, Paul Poiret, Elsa Schiaparelli, Madeleine Vionnet, Coco Chanel. Ses images étaient publiées dans Harper's Bazaar, Vanity Fair, Vogue, Vu. C'est un aspect peu connu de l'artiste surréaliste, qui a pourtant mis au service de la photographie de mode toute son inventivité, contribuant à la révolutionner avec ses jeux d'ombre, ses recadrages, ses solarisations. Après le musée Cantini de Marseille à l'automne, le musée du Luxembourg nous le fait découvrir. Du 9 avril au 26 juillet 2020.

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