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Jours tranquilles à Paris

31 mars 2020

Le seul livre sur les premiers clichés de Jacques-Henri Lartigue, pris lorsqu’il était enfant et adolescent.

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Jacques Henri Lartigue (1894-1986) est âgé de 8 ans à peine lorsque son père lui offre son premier appareil photo. Rapidement, l’enfant commence à photographier sa vie de famille exubérante et joyeuse, le beau monde du tout-Paris, les débuts de l’aviation ou encore de trépidantes courses automobiles. Ses premiers clichés témoignent déjà de son sens du cadrage, de son attrait pour le geste en mouvement et la vitesse. Lartigue documente minutieusement sa vie, ses clichés dans des chroniques écrites qu’il poursuivra soixante-dix ans durant. Cet ouvrage, rassemblant ses premières photographies, ses extraits de journaux intimes et albums, dresse le portrait d’un témoin fin de siècle devenu l’un des photographes les plus célèbres du XXe siècle.

Louise Baring est l’auteure de plusieurs livres sur la photographie, dont Martine Franck (2007), Norman Parkinson: A Very British Glamour (2009), Emmy Andriesse Hidden Lens (2013) et Dora Maar: Paris in the Time of Man Ray, Jean Cocteau, and Picasso (2017).

Lartigue, l’enfance d’un photographe

Louise Baring

192 pages

http://www.editionsdelamartiniere.fr/

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31 mars 2020

Coronavirus : une entreprise bretonne lance son test sérologique rapide

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Le test commercialisé par NG Biotech est « tout-en-un » et à usage unique : il intègre un auto-piqueur et un collecteur de sang capillaire.

Un dépistage au coronavirus avec une seule goutte de sang et le résultat connu en 15 minutes : des entreprises du monde entier se sont lancées dans la course pour élaborer un test sérologique rapide. Parmi elles, NG Biotech, à Guipry (35), qui annonce la commercialisation de son kit.

Solidarité coronavirus Bretagne

Comment savoir si l’on a été contaminé par le coronavirus, dans le passé, avec peu ou pas de symptômes ? Et que l’on est, de fait, immunisé, du moins pour un temps  ? Les tests PCR, qui sont utilisés aujourd’hui en France, ne le permettent pas : grâce à un écouvillon enfoncé dans le nez, ils indiquent si un malade est infecté au moment où on les réalise… C’est là qu’interviennent les tests sérologiques : ils visent à détecter les anticorps pour déterminer, après coup, si un individu a été en contact avec le virus et s’il dispose des défenses immunitaires adéquates.

Dans la très complexe opération de déconfinement qui attend la France à un horizon encore inconnu, ces tests sanguins s’annoncent primordiaux : ils permettront d’affiner le nombre total de personnes contaminées, dont les cas asymptomatiques. De connaître les zones où le virus rôde encore. De laisser des gens aller travailler, sans craindre pour leur santé. Bémol toutefois, ils n’indiqueront pas si une personne est encore contagieuse. Là, des examens cliniques seront nécessaires.

Concurrence chinoise et américaine

Ce titanesque marché des tests sérologiques s’ouvre et des entreprises du monde entier sont dans les starting-blocks : l’américain Abbott, le finlandais Mobidiag, le chinois Innovita. En France, l’alsacien Biosynex est aussi prêt à dégainer. Face à eux, une petite société bretonne de 40 salariés créée en 2012, basée à Guipry, à mi-chemin entre Rennes et Redon. NG Biotech, spécialisée dans les tests de diagnostic rapide, lance officiellement son produit ce mardi. Sans complexe. « Nous sommes les seuls à présenter un outil tout intégré, on a poussé la facilité d’utilisation à l’extrême », assure le Dr Alain Calvo, directeur du développement. Le test intègre un auto-piqueur et un collecteur de sang et permet de connaître l’évolution de la maladie, de sa phase active à celle de guérison, grâce aux types d’anticorps détectés.

Passé par plusieurs étapes d’évaluation, des urgences de l’AP-HP jusqu’à l’Institut Pasteur, il garantirait, selon Alain Calvo, « une fiabilité de 100 % ». Le marquage de la norme CE en poche, NG Biotech a ses entrées au ministère de la Santé et « a déjà reçu une première commande pour un acteur public ». Mais ne souhaite pas communiquer son nom.

Réservé aux professionnels de la santé

Dès mardi, sera-t-il possible d’acheter le produit en pharmacie ? Non, répond Alain Calvo : « Notre stratégie est claire, on veut donner très rapidement ce type de test au corps médical français pour qu’il dispose d’un nouvel outil », précise-t-il. L’auto-test par des personnes lambda « est encore trop prématuré ».

Installée à Guipry, entre Rennes et Redon, la société NG Biotech compte pour l’heure une quarantaine de salariés. Elle espère doubler son effectif dans les prochaines semaines.

Installée à Guipry, entre Rennes et Redon, la société NG Biotech compte pour l’heure une quarantaine de salariés. Elle espère doubler son effectif dans les prochaines semaines. (DR)

NG Biotech voit grand : d’une production de 50 000 à 70 000 tests en avril, elle espère atteindre le million en juillet. Pour cela, une quarantaine de personnes vont être embauchées et les murs de l’entreprise devront être poussés. Le but : continuer à produire en Bretagne. Et Alain Calvo de tacler ses futurs concurrents : « Je ne suis pas sûr que les entreprises qui vont arriver sur le marché hexagonal auront une capacité de production sur le seul sol français… »

https://www.lci.fr/sante/video-coronavirus-qu-est-ce-qu-un-test-serologique-2149541.html?type=content&share=true

31 mars 2020

PAPER - Olivier Rousteing

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31 mars 2020

Le sexting, rituel risqué de la vie amoureuse des jeunes

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Par Joséphine Lebard

L’envoi de photos ou textos à caractère sexuel est largement répandu chez les jeunes. Une nouvelle pratique de l’intime déroutante pour les autres générations. Et à utiliser avec précaution.

Isabel Espanol

La période de confinement qui a débuté mardi 17 mars sera-t-elle l’âge d’or du « sexting » ? La pratique, en tout cas, est bien installée chez une partie de la jeunesse. « L’envoi de messages textes, photos ou vidéos à caractère sexuellement explicite et suggestif envoyés ou reçus par le biais des nouvelles technologies. » Telle est la définition que donne du « sexting » – contraction des termes anglo-saxons « sex » et « texting » – Justine Bastin, psychologue clinicienne et auteure d’un mémoire sur le sujet (Le Sexting chez les jeunes. Quelles réalités ?, Liège, 2020). Par SMS, sur Snapchat ou Instagram… Les « sextos » désignent ces mots ou images qui viennent ainsi titiller l’œil et la libido des destinataires, parmi lesquels bon nombre de milléniaux.

Technologie et sexualité

Peu d’études existent en France sur ce sujet. En 2017, Michelle Drouin, enseignante-chercheuse à l’université de l’Indiana (Etats-Unis), a mené une étude sur le sexting auprès d’étudiants de son établissement (« Le sexting est-il bon pour les relations amoureuses ? Cela dépend »). Sur son échantillon d’étudiants âgés en moyenne de 19,7 ans, 62 % disaient avoir envoyé ou reçu une « photo sexuellement explicite ». « Cela fait partie de la sexualité du XXIe siècle », reconnaît la psychologue, spécialiste, notamment, des rapports entre technologie et sexualité.

« LES SEXTOS SERVENT MOINS À RAVIVER LA FLAMME QU’À MAINTENIR LE LIEN », MARGOT, ÉTUDIANTE EN PSYCHOLOGIE

Cette pratique est parfois incomprise par d’autres générations. Elisabeth Mercier, professeure au département de sociologie de l’université de Laval, autrice d’un article sur le partage d’images intimes chez les jeunes, souligne que, de tout temps, l’émergence de nouvelles pratiques sexuelles a suscité un phénomène de « panique morale ». « Avant le sexting, il y a eu les Polaroïd coquins, avant encore, la correspondance érotique… » Bref, en mots ou en images, exprimer à l’autre ses désirs sexuels n’a fondamentalement rien de révolutionnaire.

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« On peut enjoliver »

Les étudiants, ainsi que certains chercheurs, en soulignent les aspects positifs. « Les sextos peuvent permettre de nourrir une relation à distance », reconnaît Michelle Drouin. Margot (les prénoms ont été modifiés), étudiante en licence de psychologie, âgée de 20 ans, raconte : « Je suis dans le Rhône, mon copain dans le Loiret, nous ne nous voyons qu’une à deux fois par mois. Les sextos servent moins à raviver la flamme qu’à maintenir le lien », explique la jeune femme. « Le sexting peut renforcer la capacité à être intimes », confirme la psychologue Justine Bastin.

Félix, 23 ans, en licence d’administration économique et sociale, a également commencé à pratiquer le sexting en raison de son éloignement géographique avec sa petite amie de l’époque. Redevenu célibataire, il y trouve d’autres avantages. « Il y a évidemment un côté narcissique, estime-t-il. Avec le sexto, on peut enjoliver, raconter ce qu’on veut. Il n’y a pas les mouvements maladroits qui existent lors d’un rapport physique. On envoie des photos qui nous mettent en valeur. Et puis c’est plaisant quand la fille répond, qu’elle dit qu’elle te trouve beau. Pour être honnête, il y a des filles avec qui j’ai préféré sexter que coucher… »

Jules, étudiant lui aussi, y voit un moyen de « prendre la température » et de faire tomber quelques complexes physiques avant de se retrouver entre les draps. « Cela permet de se découvrir et d’anticiper », résume-t-il. Et si la pratique laisse circonspects certains de leurs aînés, grand bien leur fasse : « On avance avec notre temps, balaie Jeanne, 23 ans, étudiante en licence de psychologie. Pouvoir exprimer sa sexualité, s’exciter mutuellement, je trouve ça plutôt bien. J’envisage les sextos comme une forme de préliminaires. »

« Sous la pression »

Les étudiants interrogés soulignent néanmoins que cette pratique ne peut s’accomplir qu’avec des partenaires de confiance. Ce que corrobore l’étude de Michelle Drouin : les étudiants pratiquant le sexting dans le cadre d’une relation suivie sont 69 % à y trouver des conséquences positives, contre 42 % pour ceux qui le pratiquent avec des partenaires occasionnels.

« ÇA, TU NE LE FAIS PLUS, TU ES VRAIMENT UN ENFOIRÉ… », FÉLIX, ÉTUDIANT EN LICENCE D’ADMINISTRATION ÉCONOMIQUE ET SOCIALE

Car plane sur le sexting l’ombre de certaines de ses conséquences moins joyeuses. Dans son étude de 2017, Michelle Drouin relève que 52 % de son échantillon déclarait avoir ressenti « un malaise » à la suite d’un échange de sextos. En outre, 23 % déclaraient en nourrir des regrets ou de l’inquiétude. Il y a ces photos ou vidéos de pénis reçues sans qu’on les ait sollicitées, l’insistance d’un partenaire à réclamer des clichés qu’on n’a pas forcément envie d’envoyer… Envoyer des sextos « sous la pression » de quelqu’un « a été le cas pour 1/5e de mon échantillon », raconte Michelle Drouin. Sans parler de ces photos intimes dévoilées sans le consentement de l’expéditeur.

Jules comme Félix admettent avoir, à l’occasion, montré des photos de leurs conquêtes dénudées à leurs copains… « Un moment de partage », argue Jules, qui reconnaît ne pas penser, dans ces moments-là, à ce que pourrait dire l’intéressée de voir ses photos intimes dévoilées. « Mais c’est rare qu’elle soit identifiable. Et à partir du moment où cela ne se sait pas… », justifie-t-il. Félix non plus n’a pas pensé à la personne en question, mais plutôt à lui-même : « Après avoir montré la photo, quand je reprenais mon téléphone de la main de mes copains, je me disais : “ça, tu ne le fais plus, tu es vraiment un enfoiré” . » Jeanne, elle, se souvient d’amis garçons lui montrant des photos conservées dans leur téléphone, « un peu en mode collection ».

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« Revenge porn »

Le sexto peut aussi être diffusé plus largement, notamment sur les réseaux sociaux, et utilisé dans une optique de vengeance personnelle : c’est le fameux « revenge porn ». « Et du “revenge porn” découle directement ce qu’on appelle le “slut-shaming”, explique Justine Bastin, c’est-à-dire le fait de juger une femme négativement sur ce qu’on a perçu de son activité sexuelle, et en s’appuyant sur des stéréotypes de genre. »

« #METOO M’A FAIT UN PEU RÉFLÉCHIR », FÉLIX

A l’aune de ces stéréotypes puissants, garçons et filles ne sont pas jugés à la même enseigne. Comme le résume Jeanne, « la fille qui envoie des sextos va être considérée comme une chaudière », là où le garçon « va passer pour un conquistador ». « 80 % des mecs que je connais vont se vanter de sexter », confirme Félix. Ce que corrobore Elisabeth Mercier : « On estime que, chez les garçons, le sexting n’a pas la même implication, car, contrairement aux filles, leur “réputation” n’est pas en jeu. »

Elle souligne d’ailleurs qu’au Canada les campagnes de prévention sur les pratiques à risque du sexting sont le plus souvent adressées à un public féminin, considéré comme plus « à risque », en raison de ces stéréotypes culturels, et qui doit donc se responsabiliser sur le sujet. Elle se remémore l’histoire d’une jeune fille dont la photo en soutien-gorge avait été divulguée par le récipiendaire. « Elle avait été humiliée, alors que le garçon avait ensuite tranquillement continué à distribuer des photos de son pénis. »

Face au sexting, on enjoint aux filles de « se protéger », de « faire attention ». Côté garçons, certains prennent conscience de cette inégalité. Félix a ainsi vu son comportement évoluer : « #metoo m’a fait un peu réfléchir, admet-il. Le mouvement et toute la réflexion qu’il y a autour m’ont fait prendre conscience que je pouvais être parfois un peu intrusif dans mes envois. Qu’un sexto pouvait vite sombrer dans l’exhibitionnisme. Mais, comme pour le harcèlement sexuel, ce n’est pas aux filles de faire attention. Pour moi, il faudrait autant informer le receveur que l’envoyeur. » C’est bien là le sujet pour Elisabeth Mercier. Pour elle, « plutôt que de le diaboliser, on devrait envisager le sexting comme un bon levier pour éduquer au consentement et à l’usage des médias numériques ». En posant cette pratique comme un danger, on ne s’attaque finalement pas au fond de la question. Jeanne ne dit pas autre chose : « Le problème, ce n’est pas le sexting en lui-même. C’est ce que les gens en font. »

31 mars 2020

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31 mars 2020

Melody Nelson (Jane Birkin) - photo : Tony Frank

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31 mars 2020

«Les mesures sanitaires font voler en éclats ce qui permet habituellement d’accepter la mort d’un proche»

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Par Chloé Pilorget-Rezzouk 

Après une période de déni, nous sommes en état de sidération, selon la philosophe Claire Marin, dont le travail porte sur le deuil et la maladie. Nous ne réaliserons que plus tard la violence de cette crise, et les séquelles qui nous affecteront tous et en particulier les soignants ou ceux qui auront perdu un proche.

Alors que le coronavirus a déjà fait des dizaines de milliers de morts dans le monde, un tiers de l’humanité est désormais confiné. En pleine pandémie, le rite funéraire se trouve bouleversé et place les proches endeuillés dans une position inédite (lire Libération de ce week-end). En France, les cérémonies sont limitées à une vingtaine de personnes, les visites en maison funéraire extrêmement restreintes et les dernières volontés pas toujours honorées… Pour les croyants, des rites propres au culte ne peuvent plus être pratiqués. La philosophe Claire Marin, auteure de l’essai Rupture(s) et ayant travaillé sur le deuil et la maladie, revient sur l’expérience de la perte dans ce contexte singulier et historique. Et sur l’impact des précautions sanitaires sur le chemin du deuil.

Beaucoup de proches de victimes du Covid-19 n’ont pas pu leur rendre visite en réanimation ni se recueillir auprès de leur corps après leur décès. En quoi ces conditions influent-elles sur l’épreuve de la disparition ?

La perte est encore plus désincarnée et distanciée. L’état des malades s’aggrave de manière tragique très rapidement, la mort survient en quelques heures. C’est tellement «furtif» qu’il peut y avoir une difficulté à réaliser la situation. On entend des témoignages : «Je n’ai même pas pu le voir, être à ses côtés, lui tenir la main, lui dire au revoir.» Cette violence-là, celle de ne pas pouvoir accompagner un proche dans ses dernières heures, est terrible.

Il y a aussi une souffrance à imaginer cette personne mourir seule…

On imagine bien le sentiment de solitude, d’abandon, voire d’une forme de rejet social, pouvant être éprouvé par le malade. Je pense à ce texte décrivant les derniers jours de Michel Foucault sur son lit d’hôpital. En pleine épidémie du sida, on lui avait interdit de lire les épreuves de son dernier livre parce qu’il ne devait y avoir aucun objet en contact entre les soignants et le malade. On retrouve un peu cette logique de quarantaine, certes normale, mais d’une violence absolue.

Dans quelle mesure le contexte collectif, particulièrement anxiogène, pèse-t-il sur ce drame intime ?

On a eu beaucoup de mal à prendre conscience de la gravité du danger, à saisir que ce virus est une menace pour nous tous et non seulement pour les plus vulnérables, comme on a pu le dire au départ. Nous sommes dans un état de sidération. Cette sidération redouble la violence psychique du moment, et empêche même peut-être de vraiment «vivre» l’épreuve du deuil elle-même, la réalité de la disparition.

Faute de pouvoir le faire ces jours-ci, les familles se réuniront plus tard autour d’un hommage à leur défunt. Peut-on différer le processus de deuil ?

Je crois qu’il restera un manque ou une lacune. Après un traumatisme, il faut en parler ou agir autour rapidement, pour éviter qu’il ne «s’enkyste». Le risque, c’est que le délai de latence imposé par les mesures sanitaires laisse le traumatisme s’installer. Il y a des choses qu’on a besoin de faire, de partager, et les rituels de deuil servent justement à ça : réaliser la perte, dire au revoir. Des croyants ne peuvent plus accomplir les gestes rituels : les soins du corps, les veillées mortuaires, les chants… Dans certaines religions, le défunt doit être rapatrié dans le pays natal. Il n’en est plus question, ici. Avec ces précautions sanitaires, tout le cadre qui permet habituellement d’aider à accepter la mort d’un proche vole en éclats. Il faudra accompagner ceux qui vivent ces pertes inimaginables, absolument imprévisibles, inattendues. Tout comme il faudra soutenir les soignants qui, même s’ils sont accoutumés à la maladie et à la mort, vont être confrontés à des pertes massives, rapides, et parfois de jeunes gens.

D’autant plus s’ils sont amenés à faire un «tri» des malades, et commencent à être confrontés aux décès de collègues…

La plupart n’ont pas reçu de formation à la médecine de guerre ou de catastrophe. C’est une expérience qu’ils vont découvrir dans cette configuration inédite, où celui qui possède une forme de puissance devient en même temps vulnérable. D’habitude, il y a une asymétrie entre patients et soignants. Aujourd’hui, la menace et la vulnérabilité sont malheureusement partagées : patients et soignants occupent un terrain commun dans la peur pour soi, pour ses proches. De la même manière qu’il y a un tri des patients dans les régions les plus touchées, il va y avoir un sacrifice des soignants.

Que sortira-t-il de cette épreuve ?

Je crains - et je le comprends - le sentiment de colère et d’épuisement des soignants. Ils sont en première ligne et risquent de payer un lourd tribut. On ne peut s’empêcher de penser que si l’hôpital public n’avait pas été saigné ces dernières années, ces soignants auraient probablement pu exercer dans de meilleures conditions, avec des risques moindres. Il y aura évidemment de la tristesse, de l’angoisse, des formes de dépression sans doute assez disséminées. Mais cette colère sera partagée, je crois, par d’autres parties de la population. Celles qui ont ce sentiment de travailler sans protection, d’être très fragilisées par une situation professionnelle exposée. Il faudra gérer socialement et politiquement ces colères, parce qu’elles sont justes et légitimes. Enfin, les confinés seront aussi atteints : l’enfermement risque d’engendrer des souffrances psychiques extrêmement fortes.

D’aucuns sont partis dans leur résidence secondaire, d’autres ne respectent pas les règles du confinement… En quoi notre lien à autrui est-il bousculé ?

Là aussi, des lignes de fracture se créent, entre ceux restés dans une forme d’inconscience et de déni du danger, et les autres. L’invisibilité de la maladie produit des effets justement parce qu’elle n’est visible, pour l’instant, que pour les soignants dans les hôpitaux. Une partie de la population ne prendra la mesure de la situation qu’en étant plus directement touchée. La prise de conscience viendra trop tard. Nous n’avons pas tous le même rapport aux informations ni à un savoir pouvant donner l’impression d’émerger d’un pouvoir qu’on rejette. Et puis, la logique de la contamination nous est devenue très étrangère. Grâce à la vaccination, on a quand même été très préservés des maladies contagieuses. Bien connu dans le passé, ce savoir populaire, qui s’accompagnait de pratiques du quotidien essayant de mettre à l’abri, s’est perdu. Les gens ne désobéissent pas nécessairement par bravade ou stupidité.

Finalement, cette épidémie ne vient-elle pas révéler de façon criante les inégalités sociales ?

Des différences sociales, et parfois même des égoïsmes - entre ceux qui agissent de manière individualiste ou, pire encore, qui essaient de faire du profit sur cette période de crise. Tout cela montre bien, y compris dans les récits des plus privilégiés, la méconnaissance respective des différentes franges de la population. J’imagine que ceux [comme Leïla Slimani ou Marie Darrieussecq dans le Monde ou le Point, ndlr] qui écrivent leurs journaux de confinement n’ont pas eu l’impression de le faire par provocation, mais il y a une forme d’inconscience, liée au fait que nous vivons sans nous mélanger, qui peut être ressentie comme une provocation ou une violence. En fait, on n’arrive pas à réaliser quelle est la vie des uns et des autres. Je le vois à mon échelle en tant qu’enseignante : on parle de «continuité pédagogique», mais des élèves n’ont tout simplement pas toujours d’ordinateur chez eux ni d’endroit où étudier. Depuis la fermeture des bibliothèques, ils n’ont plus d’espace où travailler. On est chacun dans des petits îlots, dans nos milieux sociaux respectifs, et c’est cette méconnaissance des uns et des autres qui apparaît là au grand jour.

Justement, peut-on espérer que notre regard change ?

L’expérience vécue par une frange de la population se généralise : c’est-à-dire voir ses interactions limitées, se sentir rejeté, vulnérable, craindre pour sa vie, ne pas réussir à se projeter dans l’avenir parce que tout est au conditionnel. Tout le monde découvre, avec un peu d’angoisse, ce que vivent au quotidien les malades et certaines personnes âgées. Peut-être peut-on espérer que cela amène à plus de considération, de compassion ou de sympathie pour ces gens que la société met toujours systématiquement à l’écart ? Ce serait une bonne surprise. Cet événement nous ramène à notre vulnérabilité, celle que nous essayons à tout prix de dissimuler dans notre société. Il vient nous rappeler que nous sommes des êtres vivants, des êtres biologiques soumis à des lois plus fortes que toutes celles dont on pensait qu’elles étaient supérieures. Les lois du capitalisme ne peuvent pas grand-chose contre la loi des épidémies. Enfin, je me demande quels seront les effets pour les plus jeunes : comment les enfants vont-ils grandir avec cette expérience de la menace ?

Le refus de cette vulnérabilité se loge jusque dans notre approche du confinement. Celui-ci doit devenir positif, rentable, entre télétravail efficace et accomplissement culturel…

Absolument. C’est très étrange parce que cela pourrait être l’occasion d’un ralentissement, mais on a l’impression qu’il faut rester dans un rythme actif, comme s’il ne fallait pas perdre le rythme de ce monde toujours en accélération, en urgence. Ce confinement pourrait être, au contraire, le moment de comprendre quelles sont les urgences de notre vie. J’ai le sentiment qu’il faut continuer à faire semblant. On ne se laisse pas aller, on continue à travailler, à faire du sport… De façon à nous détourner et à nous divertir, comme le disait très clairement Pascal, de cette angoisse de la mort qui est là, quand on est tout seul chez soi.

31 mars 2020

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31 mars 2020

Reportage : « Ils nous ont fait voter mais nous interdisent de célébrer nos défunts »

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Reportage : « Ils nous ont fait voter mais nous interdisent de célébrer nos défunts » : scènes d’enterrements au temps du coronavirus

Par Jacques Follorou, Joan Tilouine

Le soleil et une légère brise ont accompagné l’enterrement d’un géant de la musique, Manu Dibango, vendredi 27 mars. Il est mort du Covid-19 à Paris, trois jours plus tôt, à l’âge de 86 ans. Au bout d’une allée bordée de marronniers et de platanes du cimetière du Père Lachaise, vingt et une personnes – la famille et quelques proches – sont arrivées le visage couvert d’un masque, certaines avec des gants.

La cérémonie conduite par le pasteur Ernest Ewele, de l’église protestante franco-camerounaise, a duré une demi-heure, ponctuée de chants sur des titres du défunt dont Soma loba et Soul Makossa. Un écho aux hommages solennels, aux célébrations joyeuses et aux concerts en sa mémoire – le plus souvent virtuels –, qui se multiplient dans cette planète confinée.

« Les circonstances sont très difficiles mais l’essentiel, c’est d’être là », confie l’un de ses fils. Le saxophoniste et chef d’orchestre camerounais de génie avait souhaité une cérémonie dans l’intimité. Pour autant, les consignes gouvernementales imposées pour endiguer, en France, cette pandémie, ont fortement touché l’organisation même des obsèques. « Ce fut un problème de devoir choisir les gens autorisés à venir », glisse un neveu de l’artiste. En sortant, le pasteur se voit même reprocher par le personnel du cimetière, pour des raisons de sécurité sanitaire, la longueur de la cérémonie.

Que l’on soit connu ou anonyme, le Covid-19 bouleverse ce moment intime du deuil. Familles, personnels des pompes funèbres, des funérariums et même des cimetières ont dû en quelques jours s’adapter au risque sanitaire et aux consignes gouvernementales souvent fluctuantes. Le 14 mars au soir, le premier ministre, Edouard Philippe, a ainsi annoncé que les rassemblements dans les lieux de cultes et les cérémonies doivent être reportés. Puis, le nombre de personnes autorisées à y participer est finalement limité à cinq. Un chiffre qui passe à vingt quelques jours après.

Contrôler chaque passage de convoi funéraire

Devant la seule entrée encore ouverte du Père Lachaise, trois employés de la Ville de Paris montent la garde. Certains portent un masque, d’autres pas. Une collègue a contracté le Covid-19 la semaine précédente et près de 80 % du personnel a fait valoir son droit au retrait.

Alors, en dépit d’une vive inquiétude, les plus braves veillent au grain et appliquent les consignes. Liste des cérémonies prévues pour la journée à la main, il faut contrôler chaque passage de convoi funéraire et compter les endeuillés qui pénètrent dans le cimetière, mais aussi veiller à ce que l’enterrement ne s’éternise pas.

Au volant de leurs véhicules funéraires, les personnels des pompes funèbres ne cachent pas, pour la plupart, une forme de rancœur. Kamel, de l’entreprise Funecap, sort, avec trois collègues, d’un « enterrement Covid-19 » :

« On nous a oubliés. Pas assez de masques, pas de gants alors que l’on passe notre temps avec les morts du coronavirus. On va les chercher dans les hôpitaux, dans les morgues, on les amène dans les funérariums, dans les églises. On est devenus des pestiférés. Les patrons ou les funérariums nous disent : “vous êtes jeunes, c’est pas grave pour vous, de toute façon”. »

« Je devenais parano le soir en rentrant chez moi »

Depuis le début du confinement, la vie des employés des pompes funèbres s’apparente à celle des urgentistes au service de morts terrassés par le Covid-19 qu’ils récupèrent chaque jour. Le flux est tel que le terme de « salle cata » s’est banalisé dans la profession pour désigner ces salons de recueillement des funérariums où s’entassent maintenant les cercueils. Vendredi, « il y en avait une quarantaine rien qu’au funérarium de Nanterre, raconte Jonathan, 35 ans, maître de cérémonie dans une autre société funéraire. A ce rythme-là, tout cela va finir dans les énormes hangars de Rungis où avaient été rassemblés les morts de la canicule [de 2003] ».

Au volant de son corbillard Mercedes noir, Jonathan sillonne les routes quasi désertes d’Ile-de-France, épicentre de l’épidémie, effrayé par cette menace à laquelle nul n’était préparé. Alors, le week-end dernier, le jeune père de famille a bravé les interdictions de circuler pour déposer son épouse et leurs trois enfants chez des parents, à Nîmes. « J’ai expliqué aux gendarmes que je devenais parano le soir en rentrant chez moi. Ils ont compris et m’ont laissé passer », raconte-t-il. Une manière de les protéger de lui-même.

« J’AI EU SEULEMENT TROIS MASQUES DEPUIS LE DÉBUT DU CONFINEMENT », DÉPLORE WILFRIED, UN EMPLOYÉ DES POMPES FUNÈBRES

Chacun se débrouille pour limiter les risques. Certains se résignent à remplir en catimini leurs bouteilles de gel hydroalcoolique dans les hôpitaux. D’autres, plus nombreux, se mettent en arrêt. « A 20 heures, les Français applaudissent les médecins, les aides soignants, les pharmaciens, les caissiers de supermarché… Nous, on n’existe pas », soupire Kamel. « J’ai eu seulement trois masques depuis le début du confinement. On commence même à manquer de housses et de cercueils », déplore Wilfried, un autre employé de la société Funecap.

Leurs complaintes ont fini par être entendues. Vendredi soir, le ministère de l’intérieur Christophe Castaner a décidé d’inscrire les opérateurs funéraires sur la liste des bénéficiaires prioritaires de matériel de protection.

Toutefois, cette bonne nouvelle se conjugue à une décision qui renforce leur inquiétude. Le 24 mars, le Haut Conseil de la santé publique a indiqué que les familles peuvent demander aux services funéraires à voir une dernière fois le visage de leur proche décédé « avant la fermeture définitive du cercueil ». Pour les pompes funèbres, le risque est inacceptable. « Si on me force à le faire, je me mets en arrêt », répètent, en boucle, les personnels funéraires qui défilent devant l’entrée du Père Lachaise.

« Ne pas avoir pu lui dire au revoir »

L’avis du Haut Conseil, saisi par la direction générale de la santé, vise à faciliter un peu le deuil des familles. Ces dernières sont, par exemple, interdites de visites dans les Ehpad (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes), depuis plus d’un mois.

Jeudi, au cimetière du Montparnasse, dont la lourde porte en fer est refermée après le passage de convois funéraires, à la différence de celle du Père Lachaise, c’est en effet le regret exprimé par la famille d’Irène Augenblick. Cette femme de 77 ans s’est éteinte le 18 mars du Covid-19 dans l’Ehpad du château de Chambourcy, dans les Yvelines.

Cinq personnes assistent à son enterrement, dont le prêtre orthodoxe. Il y a son frère et sa nièce accompagnés de deux amis. Le reste de la famille est resté en Suisse et dans l’avis de décès, a sollicité des dons pour soutenir la « recherche du vaccin contre le Covid-19 ». Au même moment, une messe était donnée, en sa mémoire, à l’église russe de Genève.

« Ce qui est dur, c’est ne pas avoir pu lui dire au revoir. La seule fois où on la “retrouve”, c’est quand le fourgon arrive pour l’enterrement, dit sa nièce. Autrement, à cinq, c’est aussi émouvant qu’à cent. Enfin, ce qui est gênant, c’est que faute de test Covid-19, sa mort n’a pas été prise en compte dans le bilan officiel. »

« On aurait dû être une centaine »

Un sentiment partagé au Père Lachaise. Laurent et son frère, tout deux âgés d’une vingtaine d’années, petits-enfants d’une dame morte à 84 ans, et leur jeune oncle sortent à pied du plus grand cimetière parisien, particulièrement frustrés. Laurent relève :

« On aurait dû être une centaine, c’est dur pour la famille. Aucune des sept sœurs de ma grand-mère, ni son fils, notre père, n’ont pu se joindre. On fera une autre cérémonie dans quarante-neuf jours comme le prévoit notre rite bouddhiste, mais cela ne remplacera jamais cette journée. »

Son oncle, encore sous l’émotion, ne mâche pas ses mots. « Ils nous font voter [aux élections municipales] et ils nous interdisent de célébrer le départ de nos proches conformément à nos rites, se plaint-il. Normalement, on défile devant le corps du défunt. Là, seules trois ou quatre personnes ont été autorisées à venir à l’hôpital pour la voir une dernière fois alors qu’elle n’est pas morte du Covid-19. Et puis, au crématorium, ils ont expédié ça en deux minutes, c’est un manque de respect. »

Néanmoins, au cimetière du Montparnasse ou au Père Lachaise, nulle acrimonie entre les familles, les salariés des pompes funèbres ou les personnels des cimetières. Unis par la douleur de ce moment si particulier, chacun s’efforce de prendre sur soi et de s’adapter aux contraintes. « La mort et les consignes gouvernementales ne font pas forcément bon ménage, on essaie tous de faire au mieux. La mort n’est pas un moment comme tous les autres », lâche, philosophe, le pasteur ayant officié pour l’inhumation de son ami Manu Dibango.

31 mars 2020

Virginie Efira et Omar Sy

cirginie55

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