Témoignages - Face au confinement, ils fuient à la campagne : « On savait qu’il fallait faire vite »
Par Cécile Bouanchaud
Alors que les déplacements s’apprêtaient à être drastiquement réduits en France pour lutter contre le coronavirus, de nombreuses personnes ont décidé se mettre au vert, malgré les recommandations sanitaires.
Partir le plus vite possible. Alors que la possibilité d’un confinement total de la population française se précisait ces derniers jours, des milliers de personnes ont quitté Paris et les grandes villes. Dès dimanche 15 mars, alors que le gouvernement venait d’ordonner la réduction des transports de longue distance pour éviter la propagation de l’épidémie de Covid-19, les trajets de train en provenance de la capitale et à destination de plus petites villes étaient pris d’assaut.
Sans attendre l’annonce par Emmanuel Macron, lundi soir, d’un confinement généralisé pour au moins quinze jours sur l’ensemble du territoire, Théo a pris le train pour s’isoler « dans un village vendéen de neuf habitants », où la famille de sa compagne possède une maison.
Pour sonder cette France sur le départ, Le Monde a lancé un appel à témoignages, qui a recueilli une soixantaine de réponses.
Des hommes et des femmes, généralement âgés de 18 à 40 ans, ayant fait le choix de quitter les grandes agglomérations, en faisant fi des recommandations du premier ministre Edouard Philippe de ne pas utiliser les transports en commun. Ils ferment les yeux sur les alertes lancées par les médecins, inquiets du risque de propagation du virus en cas de départs massifs vers des régions moins touchées par l’épidémie.
« Le choix était vite fait »
C’est notamment le cas des îles, comme Belle-Ile, au large du Morbihan. En vingt-quatre heures, la péninsule a vu arriver des dizaines de continentaux inquiets. Les personnels de la compagnie maritime confirment une augmentation du nombre de passagers, avec une centaine de personnes en moyenne par ferry, principalement des résidents secondaires. Claire, elle, a eu le dernier bateau de 19 h 30, en partance de Quiberon, dimanche soir. « On savait qu’il fallait faire vite », commente la jeune femme de 27 ans, partie dans l’après-midi de Paris, avec son compagnon et trois amis.
La succession d’annonces faites par les membres de l’exécutif durant la semaine écoulée a fini d’alimenter une angoisse latente. « Il y a eu une prise de conscience en très peu de temps. On a fini par réaliser que l’épidémie était bien présente », commente Claire, qui connaît peu de choses de cette île aux allures de carte postale, où elle va s’installer « pour une durée indéterminée ».
Ce dont elle est persuadée, c’est qu’elle y sera « mieux qu’à Paris, où l’ambiance est oppressante ». Comme elle, les personnes ayant répondu à notre appel à témoignages opposent « les cages à poule parisiennes » aux « grands espaces » des zones rurales. « Entre être à la campagne ou enfermé dans un studio, le choix était vite fait », résume Théo, qui s’apprête à vivre confiné avec son amoureuse depuis deux mois.
« Ce n’est pas la peur du virus qui nous a décidés de partir mais la crainte du confinement », confie Thomas, 36 ans, parti de Clichy avec sa femme, direction l’Eure. « Nous habitons un trois-pièces et venons d’avoir notre troisième enfant », précise le cadre administratif, évoquant la difficulté de télétravailler dans une telle configuration.
Clara, 25 ans, 20 m2 ; Pierre, 30 ans, 35 m2 ; Guilhem, 18 ans, 12 m2… Tous ont fait le choix du « repli stratégique ». Si la Bretagne et la Normandie apparaissent comme des destinations privilégiées, les départs se font à travers toute la France.
Cas de conscience
Pour partir, il faut en avoir les moyens. Lundi, de nombreux trains étaient supprimés ou complets, quand les trajets restants avoisinaient la centaine d’euros. Thomas, qui a pris la route de la Bretagne avec sa femme et leurs deux filles, a contacté cinq agences de location de voitures, avant de parvenir à trouver un utilitaire. « Six de mes clients m’ont appelé pour me demander de préparer leur villa, témoigne pour sa part un majordome, sous couvert d’anonymat. Une famille parisienne expatriée à Londres doit arriver cette nuit » au Cap-Ferret (Gironde).
Partir est aussi le choix des « inconséquents », estiment certains internautes qui se sont résignés à rester. Noémie, 36 ans, décrit « un vrai cas de conscience », craignant « de propager le virus, dont je suis peut-être porteuse, et de le transmettre à ma mère de 65 ans ». Pour la même raison, Bertrand, 27 ans, n’ira pas à Nantes, mais à Toulon, chez son petit frère.
D’autres, généralement étudiants, n’ont pas hésité à rejoindre leurs parents, évoquant par exemple « un environnement confortable en cette période très incertaine au climat anxiogène ». Majoritairement conscients des risques qu’ils font encourir aux personnes plus âgées, les internautes contactés assurent avoir pris leurs précautions durant le voyage, puis une fois sur place.
La compagne de Théo a trouvé des masques de protection au débotté. Thomas, lui, assure qu’il respectera « l’absence de contact avec toute autre personne ». Et Egan, adepte des théories de l’effondrement, prévoit « de rester confiner entre jeunes, c’est moins dangereux pour les autres, plus sympathique pour nous ».
Alors que le gouvernement se laisse la possibilité de prolonger les mesures au-delà de quinze jours, certains se disent prêts à tenir dans la durée, évoquant un programme chargé : « Sport, création du potager, réhabilitation du poulailler, pêche, balades à vélo et à cheval, grand ménage, mais aussi télétravail », liste Mathieu, 28 ans, en route vers le domicile de ses parents, dans la campagne tourangelle. Théo, lui, a emporté quelques livres de Virginie Despentes et mise sur ses abonnements Netflix et Canal+.
A l’instar d’autres internautes, l’idée de quitter Paris trottait dans la tête de Claire depuis un moment. Essayant de voir le côté positif de cette crise, la jeune femme en recherche d’emploi conclut : « Ce sera peut-être l’occasion d’un nouveau départ. »