Par Olivier Faye - Le Monde
La tempête se déchaîne dans de nombreux pays musulmans depuis que le chef de l’Etat a répété dans son hommage au professeur d’histoire-géographie Samuel Paty, le 21 octobre, que la France ne renoncera pas aux caricatures du prophète Mahomet.
Il y a le front intérieur et le front extérieur. Deux jours après l’attentat contre Samuel Paty à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines), survenu le 16 octobre, une source haut placée à l’Elysée s’inquiétait de l’effet produit hors des frontières françaises par le projet de loi contre les séparatismes, présenté par Emmanuel Macron, deux semaines plus tôt. « Il faut construire un contre-discours face à ceux qui disent, notamment à l’étranger, que le propos du président de la République aux Mureaux est dirigé contre les musulmans », estime alors ce conseiller. Le sujet apparaît suffisamment sérieux pour atterrir ce jour-là sur la table du conseil de défense réuni à l’Elysée.
Mais cela n’a pas empêché la tempête d’éclater dans de nombreux pays musulmans. Surtout depuis que le chef de l’Etat a répété dans son hommage au professeur d’histoire-géographie, le 21 octobre, que la France ne renoncera pas aux caricatures du prophète Mahomet.
Grimé en diable dans la presse iranienne, Emmanuel Macron a vu son portrait foulé aux pieds lors de manifestations en Cisjordanie, son effigie brûlée au Bangladesh ; il a été la cible d’attaques virulentes de la part de nombreux dirigeants, du Pakistan à l’Indonésie. Un appel au boycottage des produits français – encouragé par le président turc, Recep Tayyip Erdogan – a aussi été lancé, mais finalement peu suivi, selon un diplomate.
Expliquer et défendre le modèle républicain français
S’il reste soutenu en bloc par l’Union européenne, cette vague de critiques marque un tournant pour le président de la République, qui voulait afficher à l’étranger l’image positive d’un héraut du progressisme et de la lutte pour le climat. Elle attise surtout la menace. L’ancien premier ministre malaisien, Mahathir Mohamad, a écrit sur Twitter que « les musulmans ont le droit d’être en colère et de tuer des millions de Français pour les massacres du passé », et critiqué l’attitude du président français, « très primitif » selon lui.
Pour tenter d’éteindre l’incendie – et répondre à ce que l’exécutif perçoit comme une campagne organisée contre la France et le président de la République –, le locataire de l’Elysée a accordé un long entretien, samedi 31 octobre, à la chaîne qatarie Al-Jazira. Un média choisi en raison de son audience – entre 35 millions et 40 millions de téléspectateurs –, mais aussi des messages émis récemment sur son antenne au sujet du président français.
« Beaucoup de choses fausses ont été dites », a déploré Emmanuel Macron, qui voulait apporter à travers cette interview « un message d’apaisement et de paix ». « Je comprends et respecte qu’on puisse être choqué par ces caricatures, mais je n’accepterai jamais qu’on puisse justifier une violence physique pour ces caricatures. Je défendrai toujours dans mon pays la liberté de dire, d’écrire, de penser, de dessiner », a assuré le chef de l’Etat, tout en rappelant que ces dessins ne sont pas « le projet ou l’émanation du gouvernement français ou du président de la République ».
Au-delà, Emmanuel Macron a tenté d’expliquer et de défendre le modèle républicain français, fondé sur la laïcité, « ce terme si compliqué qui donne lieu à tant de malentendus ». « Les sociétés anglo-saxonnes ont un multiculturalisme qui fait que les religions cohabitent », a-t-il rappelé avant de défendre « la beauté du modèle français », « qui est l’idée qu’au fond on peut avoir la même représentation du monde parce qu’on est citoyens d’un même pays ».
Une manière de répondre, aussi, aux critiques d’une partie de la presse américaine. Le Washington Post a ainsi dépeint une France plus soucieuse de « réformer l’islam » que de « combattre le racisme systémique » sur son sol − rhétorique dont le chef de l’Etat s’est agacé lors du dernier conseil des ministres. « Pour lui, il n’y a pas de projet commun dans le multiculturalisme, c’est une juxtaposition de communautés, le contraire de ce qu’on défend », souligne un membre du gouvernement.
« La laïcité n’a jamais tué personne »
Signe de cette fracture, l’exécutif déplore la faiblesse du soutien exprimé par le premier ministre canadien, Justin Trudeau, suite aux attaques de Conflans et de Nice. Ce dernier a estimé que la liberté d’expression n’est « pas sans limites » et ne doit pas « blesser de façon arbitraire et inutile ». « Il semble que nous ayons des exigences qui soient plus importantes que celles de M. Trudeau », grince un interlocuteur régulier d’Emmanuel Macron.
« Ce n’est pas simplement l’opposition des modèles communautaristes ou non-communautaristes, relativise François Heisbourg, conseiller spécial à la Fondation pour la recherche stratégique. Les débats français n’intéressent les Etats-Unis que dans la mesure où ils peuvent servir de miroir à leurs propres débats, en l’occurrence ceux sur Black Lives Matter [« les vies noires comptent »]. »
De la même manière, l’interview d’Emmanuel Macron à Al-Jazira ne s’adressait pas seulement au public étranger, mais aussi aux Français, dont il affirme vouloir défendre la « souveraineté » de leur modèle. « La laïcité n’a jamais tué personne », a-t-il martelé.
Certains voudraient remettre en cause l’égalité entre les femmes et les hommes au nom d’une religion ? « Pas chez nous », a répété à deux reprises le chef de l’Etat : « Les gens qui croient ça, qu’ils aillent le faire ailleurs, pas sur le sol français ». Ou comment se poser en protecteur à l’heure où, pour reprendre les termes d’un proche, « la France est attaquée comme jamais, ici et à l’étranger ».
Olivier Faye
Les Emirats arabes unis soutiennent Macron face aux critiques. Les Emirats arabes unis ont pris la défense du président français dans la polémique qui a enflé ces derniers jours dans le monde musulman à son encontre, au sujet des caricatures du prophète Mahomet. Dans un entretien paru lundi 2 novembre dans le quotidien allemand Die Welt, le ministre émirati des affaires étrangères Anwar Gargash a rejeté l’idée selon laquelle Emmanuel Macron aurait exprimé un message d’exclusion des musulmans. « Il faut écouter ce que Macron dans son discours a vraiment dit, il ne veut pas de ghettoïsation des musulmans en Occident et il a tout à fait raison », a-t-il déclaré. Les musulmans doivent mieux s’intégrer, et l’Etat français est en droit de chercher des moyens d’y parvenir tout en luttant contre le radicalisme et l’enfermement communautaire, a ajouté le chef de la diplomatie. Les protestations anti-françaises dans certains pays musulmans ont éclaté en réaction aux déclarations d’Emmanuel Macron défendant le droit à la caricature au nom de la liberté d’expression. Il réagissait à la décapitation le 16 octobre par un islamiste d’un enseignant français qui avait montré à ses élèves des caricatures du prophète de l’islam, en plein procès de l’attentat de 2015 contre Charlie Hebdo. Pour le ministre émirati, la controverse est surtout le résultat d’une récupération politique orchestrée par le chef de l’Etat turc Recep Tayyip Erdogan. « En tant que musulman, je me sens offensé par certaines caricatures », précise M. Gargash. « Mais en tant que personne réfléchie, je vois les politiques qui sont menées autour de ce sujet. Avec ses attaques contre la France, Erdogan manipule une question religieuse à des fins politiques », dénonce-t-il. Selon M. Gargash, les propos du président français ont été sortis de leur contexte. « Dès que Erdogan voit une faille ou une faiblesse, il l’utilise pour accroître son influence. C’est seulement lorsqu’on lui montre la ligne rouge qu’il se montre prêt à négocier », a ajouté M. Gargasch.