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Jours tranquilles à Paris

24 janvier 2020

La Birmanie sommée de prendre des mesures pour prévenir un génocide contre les Rohingya

Par Stéphanie Maupas, La Haye, correspondance - Le Monde

La Cour internationale de justice a accordé une série de mesures d’urgence requises par la Gambie, qui accuse la Birmanie d’avoir violé la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide.

Pour les juges de la Cour internationale de justice (CIJ), « il existe un risque réel et imminent qu’un préjudice irréparable soit causé » aux Rohingya. Dans une décision rendue jeudi 23 janvier, les magistrats de cette cour de l’Organisation des Nations unies (ONU) ordonnent à la Birmanie de prendre des mesures concrètes pour protéger ces populations musulmanes. Sans trancher dans le vif du débat, à savoir si la Birmanie a violé et viole encore la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, les juges n’ont néanmoins pas tergiversé, comme l’on pouvait s’y attendre de cette cour chargée de régler les conflits diplomatiques entre Etats.

Aucun conflit n’opposait jusque-là la Birmanie à la Gambie, dont les relations sont quasi inexistantes. Mais le petit pays d’Afrique de l’Ouest avait, au nom des cinquante-sept membres de l’Organisation de la coopération islamique (CIJ) et soutenu par les Pays-Bas et le Canada, saisi la cour en novembre pour violation de la Convention sur le génocide par la Birmanie. En sortant du palais de la Paix à La Haye, où siège la CIJ, le ministre de la justice gambien, Abubacarr Tambadou, a salué « une journée historique, non seulement pour le droit international et pour la communauté internationale, mais surtout pour les Rohingya ».

Prévenir toute atteinte

Car les juges ont ordonné à la Birmanie de prévenir tout crime contre les quelque six cent mille Rohingya qui se trouvent toujours sur son territoire. Des crimes qui pourraient être constitutifs d’un génocide s’ils étaient commis dans l’intention de détruire la minorité musulmane. Ils ordonnent donc au pouvoir birman de prévenir tout meurtre, toute atteinte grave à l’intégrité physique et mentale des membres de la minorité musulmane rohingya, d’empêcher « la soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction totale ou partielle », dont « les mesures visant à entraver les naissances ».

Dans un pays où le pouvoir civil reste confronté à la puissance de l’armée, les juges ont demandé au gouvernement « de veiller » à ce que ni l’armée ni des groupes armés qui lui seraient affiliés ne participent, « n’incitent directement et publiquement » et « ne se livrent à une tentative de génocide ». L’Etat devra aussi préserver les preuves d’éventuels crimes, pour de futurs procès. La cour, qui ne dispose pas de moyens coercitifs pour faire appliquer ses décisions, a néanmoins ordonné à la Birmanie de faire rapport dans les quatre mois, puis tous les six mois, afin de détailler les mesures prises pour protéger la population rohingya.

POUR LES MAGISTRATS, REFUSER À UNE COMMUNAUTÉ LE DROIT D’EXISTER « BOULEVERSE LA CONSCIENCE HUMAINE, INFLIGE UNE GRANDE PERTE À L’HUMANITÉ ».

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En sortant de la CIJ, la délégation birmane n’a fait aucun commentaire. Il faut dire que les juges ont rejeté un à un les arguments avancés par le Prix Nobel de la paix 1991 Aung San Suu Kyi. La dirigeante birmane était venue en personne à La Haye défendre son pays lors d’audiences organisées début décembre. Elle avait plaidé la complexité de la situation dans l’Etat de l’Arakan, et évoqué un conflit armé interne. Epinglant légèrement l’armée, Aung San Suu Kyi avait concédé des crimes de guerre, et affirmé que leurs auteurs devraient être jugés. Or, pour les juges, même si l’existence d’un tel conflit armé était avérée, cela ne pourrait justifier la violence et la gravité des crimes, ont-ils dit en substance, soulignant que depuis l’indépendance les Rohingya ont été déclarés apatrides et privés de leurs droits.

Les magistrats ont aussi rejeté les arguments d’Aung San Suu Kyi selon lesquels des initiatives en faveur de la réconciliation sont en cours. Des mesures pas « suffisantes en elles-mêmes pour écarter la possibilité que soient commis » des crimes irréparables, ont répondu les juges, qui ont sanctionné l’absence de « mesure concrète visant à reconnaître et à garantir le droit des Rohingya d’exister en tant que groupe protégé au titre de la Convention sur le génocide ».

Un avertissement

Les juges se sont fondés sur plusieurs missions d’enquête des Nations unies ainsi que sur des décisions de l’Assemblée générale, documents déposés par la Gambie. Alors que beaucoup s’interrogeaient sur l’initiative de Banjul, qui n’est pas directement impliqué dans le drame des Rohingya, les juges ont rappelé que la Convention sur le génocide obligeait les Etats – tous les Etats – à agir.

Selon ces juges, de dix-sept nationalités différentes, la Convention sur le génocide, adoptée après la seconde guerre mondiale et l’extermination des juifs, a été rédigée « dans un but humain et civilisateur ». Pour les magistrats, refuser à une communauté le droit d’exister « bouleverse la conscience humaine, inflige une grande perte à l’humanité » et est « contraire à la loi morale ainsi qu’à l’esprit des Nations unies ».

La décision doit désormais être transmise au Conseil de sécurité des Nations unies. Pour Grant Shubin, directeur juridique adjoint du Global Justice Center, « il n’est pas certain que le Conseil prenne des mesures, notamment en raison de l’opposition de la Chine », alliée de la Birmanie, « mais une telle décision constitue un avertissement pour la Birmanie, indiquant que la communauté internationale regarde ».

Quelques jours avant la décision de la cour, le président chinois, Xi Jinping, avait effectué une visite d’Etat en Birmanie, une première pour un dirigeant chinois depuis dix-neuf ans. Pour Parampreet Singh, de Human Rights Watch, « les gouvernements et les organisations des Nations unies devraient peser pour faire en sorte que l’ordonnance soit appliquée » avant que la CIJ se prononce sur la question de savoir si la Birmanie a commis un génocide. Question qui ne sera pas tranchée avant plusieurs années.

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24 janvier 2020

Une certaine culture du corps vue par la photographe Camille Vivier

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Comme dans la continuité d'une performance de bodybuilding, la photographe française Camille Vivier saisit avec tendresse la culturiste Sophie. Ensemble, elles se jouent des poses plastiques codifiées de cette pratique, tout en s'évadant dans un certain imaginaire ne révélant que mieux la personnalité surprenante de la muse de l'artiste.

Le travail de Camille Vivier s'articule essentiellement autour de la représentation de la femme et de son corps. Une femme assumée et qui ne s'excuse jamais d'être là, présente au monde, non "offerte" à la photographe, mais plutôt dans un moment de partage actif - et non passif - avec celle-ci.

Il est alors presque logique que cette photographe française ait choisi de livrer, pour son deuxième livre sobrement intitulé Sophie (du prénom de son modèle), une véritable ode au corps de cette culturiste. Mais pas que : grâce à la douceur de son regard, c'est l'être tout entier de sa muse qu'elle célèbre. Mais le point de départ est bien le corps. Ce corps, sculpté par des heures de musculation qu'on imagine nombreuses et sûrement douloureuses. Ce corps impressionnant, qui étonne par ses muscles prononcés, et dont le côté de prime abord outrageux est encore souvent attribué, dans l'imaginaire collectif, au bodybuilder masculin.

Avec ce travail, Camille et Sophie dépassent ce cliché. Passés les premiers instants de découverte du plus évident, nous sommes ensuite rapidement saisis par la tendresse émanant du visage de Sophie, mais aussi par sa délicatesse et sa présence particulière. Sans compter le jeu des deux femmes autour du déguisement, comme pour mieux brouiller les pistes et montrer que le corps et la perception qu'en ont les autres ne sont qu'une simple question de point de vue, ou de volonté.

De la même manière que Sophie a musclé son corps pour mieux se le réapproprier, elle peut aussi décider de s'exhiber autrement, en devenant tour à tour Marilyn Monroe, une écolière anglaise, une héroïne de film noir pointant un revolver - rappelant ainsi Gena Rowlands dans un Cassavetes -, une catcheuse 80's aux faux airs de Wonderwoman... Et aussi, et surtout, jouer des codes de la virilité jusqu'au bout, en s'armant de cuir et de clous tel un Robert Mapplethorpe au féminin.

Sophie, de Camille Vivier, Art Paper Editions, 35€

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Lancement du livre fait le 29 novembre 2019 au BAL, Paris XVIIIe.

24 janvier 2020

Vincent Cassel et Tina Kunakey

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24 janvier 2020

Enquête : « Loïc, c’était notre pote, les victimes, c’étaient nos potes, et on n’a rien vu de tout ça »

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Enquête - « Loïc, c’était notre pote, les victimes, c’étaient nos potes, et on n’a rien vu de tout ça » : silence de plomb en pays breton

Par Henri Seckel, Nicolas Legendre, Rennes, correspondance

En octobre 2019, Loïc Le Cotillec, le jeune et talentueux chef d’orchestre du bagad d’Auray, dans le Morbihan, est mis en examen pour « viols aggravés ». L’information ne sortira dans « Le Monde » que le 14 janvier. Auparavant, ni la presse locale, ni le maire de la commune, ni les musiciens n’ont ébruité les faits.

Six cents personnes dans cette salle. Combien savent ? Le préfet du Morbihan et le député de la 2e circonscription sont excusés, mais toute la bonne société locale a pris place dans les gradins : élus, chefs d’entreprise, directeurs d’école, présidents d’association, gendarmes en uniforme. Dans une heure, on ira déguster du mousseux et des macarons à la framboise offerts par la municipalité. En attendant, le Tout-Auray qui a eu le privilège d’être invité à la salle Athéna, samedi 11 janvier, écoute sagement le maire de cette commune à mi-chemin entre Vannes et Lorient lui présenter ses meilleurs vœux.

Joseph Rochelle égrène les projets menés à bien en 2019 et ceux prévus pour 2020, la gare qui s’agrandit, les halles du centre-ville qu’on rénove. Bonne nouvelle : neuf bornes Wi-Fi publiques ont été déployées l’an dernier. Mauvaise nouvelle : les ruches installées dans le parc de Treulen ont été vandalisées et des dizaines de milliers d’abeilles vont mourir. « C’est un acte inqualifiable. » Le maire lit son texte. Encore une demi-heure avant le mousseux.

Belle allure, belle gueule

L’écran géant diffuse à présent un long clip qui rappelle, à coups de ralentis et de plans tournés au drone, les hauts faits sportifs et culturels qui ont animé la commune. Entre les treizièmes joutes nautiques du Loch et le soixante-quinzième anniversaire de la libération de la Bretagne, le film met à l’honneur la Kevrenn Alré, l’association de la ville qui chapeaute à la fois le bagad, le groupe de danse et une école de musique.

Pendant quelques secondes, on voit l’ensemble de musique bretonne, fierté d’Auray, défiler dans ses rues en costumes au son des bombardes. Il est emmené par son penn-soner – compositeur et chef d’orchestre –, un grand jeune homme, carrure de déménageur, belle allure, belle gueule : Loïc Le Cotillec. Les projecteurs se rallument pour le clou du spectacle : quarante musiciens sur scène dans un immense vacarme. Le bagad en chair, en os et en binious, mais sans son charismatique penn-soner.

Loïc Le Cotillec passe la soirée à 100 kilomètres de là, dans sa cellule de la prison de Vezin-le-Coquet, en banlieue de Rennes. Depuis le 25 octobre 2019, l’homme de 24 ans est en détention provisoire, et mis en examen pour « viols aggravés ». La prestation du bagad et du cercle de danse qui l’accompagne est époustouflante. Tonnerre d’applaudis­sements. Fin de la cérémonie. Mousseux à volonté.

Mutisme général

Quatorze mille habitants dans cette ville. Combien savent ce qui est arrivé au jeune prodige local, entré à la « Kevrenn » quand il avait 12 ans et nommé penn-soner quand il en avait 19 ? Ceux qui étaient au stade du Moustoir, à Lorient, le 2 août 2014, ont encore des frissons quand ils évoquent la performance magistrale de la Kevrenn Alré : premier con­cours comme penn-soner et première victoire pour Loïc Le Cotillec.

Auray aime son ensemble presque septuagénaire et plusieurs fois champion de Bretagne (et donc de France) des bagadoù ; la municipalité chouchoute ses musiciens en leur fournissant locaux et subventions ; la vie de la Kevrenn est fréquemment chroniquée dans les deux quotidiens régionaux et concurrents, Ouest-France et Le Télégramme. Si Loïc Le Cotillec avait été mis en examen pour viols aggravés et incarcéré, on peut imaginer que ça se saurait. De toute façon, dans une ville de 14 000 habitants, tout se sait, non ? Non, manifestement.

Mi-décembre, M Le magazine du Monde est informé de cette histoire par une source naviguant dans le milieu de la musique bretonne qui souhaite dénoncer le mutisme général. « Il y a des victimes qui enragent de voir ce silence si bien cimenté et si bien organisé », nous écrit-on. Après l’officialisation du départ de Loïc Le Cotillec, Ouest-France s’en était tenu à une brève dépourvue de détails, et Le Télégramme s’était contenté d’annoncer le « départ précipité » du jeune homme sans en donner la raison, préférant dresser le portrait de son remplaçant, Fabrice Lothodé, l’ancien penn-soner revenu en catastrophe pour préparer la première manche du championnat, le 16 février, à Brest.

Lettre de démission

Il a fallu demander des nouvelles de Loïc Le Cotillec au procureur de la République de Rennes, qui a immédiatement confirmé qu’« une information judiciaire a été ouverte visant cette personne qui a été mise en examen pour viol aggravé au préjudice de trois victimes et harcèlement ». Les faits auraient été commis entre mai et septembre 2019. « Pour l’une d’entre elles, il a été notamment retenu la circonstance aggravante “par personne ayant autorité” », précise le magistrat, qui ajoute que « trois autres noms de victimes potentielles ont été évoqués lors de l’enquête préliminaire, mais elles n’ont pas donné suite aux convocations de l’enquêteur ou ne souhaitent pas déposer plainte ». Nous n’en apprendrons pas plus.

Les victimes potentielles appartiendraient à au moins une des trois institutions musicales que fréquentait Loïc Le Cotillec. Nous n’en apprendrons pas davantage auprès de Damien Moulin, président de la Kevrenn Alré depuis novembre 2017, joint par téléphone : « Je ferai une réaction le jour où vous sortirez votre article. Je peux juste vous dire qu’on a pris les mesures nécessaires dès qu’on a été informés. J’ai mis fin à la collaboration de M. Le Cotillec, je suis allé faire une déposition à la gendarmerie, et l’association a porté plainte contre lui. »

Nous en apprendrons encore moins du côté du Pont supérieur, prestigieuse école de musique de Rennes où étudiait Loïc Le Cotillec. « L’ensemble des informations est entre les mains de la justice, nous répond la directrice, Catherine Lefaix-Chauvel. Vous comprendrez que les étudiants souhaitent poursuivre leurs études en toute sérénité. »

Enfin, nous n’apprendrons strictement rien auprès de Sonerion, la fédération des ­bagadoù du Morbihan, ni de Sonerion 35, celle d’Ille-et-Vilaine, au sein de laquelle Loïc Le Cotillec donnait quelques heures de cours depuis trois ans : ces deux structures ignoraient tout jusqu’à notre coup de fil. « Les bras m’en tombent, je n’ai eu aucun appel de personne, je ne sais pas quoi dire, j’hallucine un peu », a réagi Leslie Le Gal, la directrice de la première. « C’est vous qui me l’apprenez », nous a dit Bob Haslé, le président de la seconde, qui avait bien reçu une lettre de démission, sans le moindre motif, alors que Loïc Le Cotillec était déjà en prison. Et qui s’empresse de préciser qu’il n’avait « jamais eu de problème » avec le jeune homme ni remarqué « aucun comportement suspect ». Vraiment, Loïc était « une personne charmante, prête à rendre service. Combien de fois des gens m’ont loué ses qualités pédagogiques ! » Dans l’entourage professionnel et musical, on ne comprend pas. « Cette histoire, c’est tout sauf Loïc. »

« VOUS SAVEZ, ICI, C’EST UNE TERRE DÉMOCRATE-CHRÉTIENNE, IL FAUT QUE CE SOIT PAISIBLE. » ALAIN LAMARRE, LIBRAIRE À AURAY

Nous accostons le mercredi 8 janvier dans la calme cité médiévale d’Auray. « Auray a un bon chic de bonne petite vieille ville », décrit Flaubert dans Par les champs et par les grèves, après avoir fait escale ici lors d’une traversée de l’ouest de la France en 1847. Ravissante chapelle du XVIIe siècle en guise d’office du tourisme. Maisons du Moyen Age et joli pont à piles triangulaires au port de Saint-Goustan. « Savez-vous pourquoi Loïc Le Cotillec a dû quitter si brusquement le bagad ? » A l’office du tourisme, on ne sait pas. A L’Armoric, bistro phare de Saint-Goustan, on ne sait pas. A L’Antre de Coupe (le coiffeur), on ne sait pas. « Diver­gences sur le plan artistique », croient savoir les uns. « Projets personnels à Rennes », supposent les autres. « Aucune idée », répond la majorité. Auray ne sait pas et, manifestement, ne cherche pas à savoir.

S’aventurer chez les bouquinistes

Alain Lamarre, le libraire du centre-ville (celui qui nous a parlé de Flaubert), nous met au parfum : « Vous savez, ici, c’est une terre démocrate-chrétienne, il faut que ce soit paisible. » Il évoque « une espèce de discrétion morbihannaise ». Puis il lâche trois mots : « Pas de vagues », en traçant devant lui, avec ses deux mains à l’horizontale, la surface d’une mer d’huile imaginaire. Il est l’un de nos rares interlocuteurs à savoir que Loïc Le Cotillec « aurait fait quelque chose qu’il n’aurait pas dû faire ». Sa femme est une ancienne de la Kevrenn, et elle avait mis le sujet au menu du dîner du réveillon.

Il faut s’aventurer chez les bouquinistes, où l’on trouve toujours plus que ce qu’on était venu dénicher. Au Livre Penseur, par exemple, un peu à l’écart du centre-ville, formidable fatras dont on se demande comment il n’a pas encore enseveli sa sympathique propriétaire. On y entre à tout hasard, en quête d’un hypothétique ouvrage sur l’histoire de la Kevrenn Alré, on en ressort avec le numéro de téléphone d’une ancienne gloire de l’association, qui accepte très vite de nous recevoir chez elle. L’homme qui nous ouvre la porte a le sourire, c’est toujours un plaisir pour lui de causer musique et d’évoquer le passé de la Kevrenn. Le café est servi, la discussion s’engage, passionnante, pendant un quart d’heure.

« Coupez votre truc »

On évoque alors Loïc Le Cotillec. Le sourire s’estompe. Un court silence. Il reprend une gorgée de café. « Coupez votre truc. » On éteint le Dictaphone. « Je me suis éloigné de l’association, mais cette affaire est arrivée jusqu’à mes oreilles, explique-t-il. Ça fait du mal à tout le monde. En plus, le papa de Loïc est maire d’une commune voisine [Saint-Philibert], ça fout une merde terrible. » On explique que la Kevrenn refuse de nous recevoir, et qu’on aimerait comprendre pourquoi la nouvelle n’a pas été diffusée. « La situation est malsaine, poursuit notre homme. Il faudrait qu’ils parlent, plutôt que de garder ça pour eux, ça va leur retomber dessus. Auray est une petite ville, il s’est passé quelque chose de grave. C’est dérangeant que l’on ne puisse pas savoir. »

« ON NOUS A DIT LES CHOSES SANS NOUS LES DIRE. JE NE SAIS PAS QUI SONT LES VICTIMES, ET JE NE VEUX PAS LE SAVOIR. » UNE MUSICIENNE DE LA KEVRENN ALRÉ

A Auray, la brume du golfe du Mor­bi­han ne s’est toujours pas levée. Un comptoir du centre-ville nous apprend qu’une musicienne de la Kevrenn travaille dans un commerce voisin. Cette dernière explique qu’à l’intérieur même du bagad l’information est restée parcellaire : « On nous a dit les choses sans nous les dire. Je ne sais pas qui sont les victimes, et je ne veux pas le savoir. » Elle précise qu’elle tient à son anonymat. Dans la soirée, l’écran du téléphone s’éclaire : « Damien Moulin (bagad) ». Le président de la Kevrenn. « Je sais que vous avez vu une de nos instrumentistes aujourd’hui. » On est poliment mais instamment prié de laisser ses musiciens tranquilles, et de ne pas venir rôder autour du local où l’ensemble répète.

L’association ne s’exprimera que si la presse évoque les faits. « C’est déjà assez compliqué à gérer comme ça, on ne voit pas l’intérêt d’aller crier ça sur tous les toits », déclare-t-il, en nous renvoyant vers l’avocat de l’association, qui, après une négociation de plusieurs jours, nous transmettra le communiqué envoyé par la direction aux 250 membres de la Kevrenn Alré quelques jours après la découverte des faits. Où l’on constate qu’il était mentionné « un comportement pénalement répréhensible » et « des faits d’une extrême gravité », mais jamais de « viols » ni d’« agressions sexuelles ». Ni le mot victimes.

« Il n’y avait pas encore eu de plaintes déposées à l’époque, il fallait respecter la présomption d’innocence, explique Me Henry Ermeneux, qui conteste tout sentiment de malaise. Je comprends l’impression que l’on pourrait avoir de l’extérieur, mais la Kevrenn n’a vraiment rien à se reprocher, elle a fait tout ce qui était à faire vis-à-vis de l’institution judiciaire. Pour autant, on n’a pas envie que ça jase dans tout Auray, dans tout le Morbihan, dans toute la Bretagne. » Il nous confirme qu’en plus de défendre les intérêts de l’association il est l’avocat d’une des plaignantes victimes de viol et membre de la Kevrenn. Il n’y voit aucun conflit d’intérêts. Depuis trois mois, à l’image de la chouette qui lui sert d’emblème, la Kevrenn Alré vole en silence à travers les turbulences.

Homme vrai et un peu sombre

Le lendemain, l’écran du téléphone s’allume à nouveau : c’est notre ancienne gloire de la Kevrenn rencontrée la veille qui a deux choses à nous dire. Il réclame d’abord que son nom n’apparaisse pas, puis prononce celui d’un homme qui pourra sans doute nous renseigner. « Il a suivi cette histoire de près. Allez sonner chez lui. Vous verrez, c’est un homme vrai, et un peu sombre. » A l’adresse indiquée, un homme vrai et un peu sombre nous ouvre la porte. Trois minutes plus tard, le café servi, une discussion confuse s’engage avec ce retraité dont on ignore toujours qui il est.

« J’ai vu mon fils arriver à la maison en pleurs un jour, fin septembre. » Son fils joue dans le bagad. Les pleurs, c’est parce que le président de l’association venait de lui apprendre les faits reprochés à son pote Loïc. On n’a pas eu le temps de toucher à notre tasse que le fils en question rentre du boulot. Notre ancienne gloire nous a envoyé au bon endroit, mais on craint que le jeune homme ne nous mette à la porte. Il s’assoit avec nous. Trois mois après le cataclysme, l’atmosphère est « très bonne » au sein du bagad, assure Erwan, qui ne s’appelle pas Erwan, mais qu’on appellera Erwan puisqu’il ne souhaite pas, lui non plus, que son nom soit publié.

« LOÏC, C’ÉTAIT NOTRE POTE, LES VICTIMES, C’ÉTAIENT NOS POTES, ET ON N’A RIEN VU DE TOUT ÇA. » UN MEMBRE DU BAGAD KEVRENN ALRÉ

« Loïc, c’était notre pote, les victimes, c’étaient nos potes, et on n’a rien vu de tout ça », raconte-t-il. Le choc a été rude. « Je faisais n’importe quoi au boulot, alors je me suis mis en arrêt pendant une semaine. Le week-end suivant, on jouait à la salle Athéna, quinze jours après, on avait un gros fest-noz. Forcément les gens venaient nous demander : “Il est pas là, Loïc ? — Bah…” En plus, on jouait la musique qu’il avait composée… Mais on a tourné la page sur notre pote, sur cette période, sur cette musique. Maintenant, on fonce, c’est la meilleure thérapie pour nous. »

Au bout de quelques minutes, on comprend que la page n’a pas du tout été tournée : « Rien que d’en reparler là, d’un coup, ça fait remonter plein de trucs qu’on essaie de jarter en ce moment. Les victimes ont porté plainte, et elles ont toutes dit : ‘‘Maintenant, on ne veut plus en entendre parler.’’ » Au bout d’une petite heure de conversation, à fleur de peau : « Bon, allez, ça suffit, stop. » Une demi-heure après, ­téléphone, « Damien Moulin (bagad) » : « Je sais que vous avez vu un des musiciens… »

Disparition soudaine

Le bureau du maire est situé au-dessus des halles, qui seront rénovées en 2020, si l’on a bien compris les vœux deux jours plus tôt, et c’est avant de filer à ceux de son homologue de Plouharnel que Joseph Rochelle nous reçoit. Elu en 2018, ce petit homme svelte à lunettes vient d’Ille-et-Vilaine – « mais ma femme est d’Auray » – et se présente comme « l’un des rares défenseurs de la culture bretonne dans ce conseil municipal », ayant notamment mis fin à une anomalie : avant lui, Auray n’accueillait aucun fest-noz.

Bref, le maire adore la culture bretonne, il adore son bagad, et on est persuadé, en entrant dans son bureau, qu’il saura nous rencarder sur la disparition soudaine de Loïc Le Cotillec, d’autant plus qu’il connaît bien son père, François Le Cotillec, qu’il côtoie au moins à chaque réunion de l’intercommunalité. Le maire d’Auray pourrait-il ignorer ce qui est arrivé au fils du maire de Saint-Philibert, à dix minutes de là (par la D28) ? « J’ai effectivement vu que Loïc Le Cotillec était parti rapidement, mais je n’ai pas d’indication sur la nature de ce qui a motivé ce départ. Le bagad poursuit avec un autre penn-soner. J’espère qu’il sera bien classé lors du concours des bagadoù. »

On insiste. Comment donc, le maire de la ville, bretonnant notoire, lui-même danseur à ses heures, ne serait pas au courant ? Il marque un silence, et baisse d’un ton. « Il y a des bruits qui circulent. » Mais encore ? « Les ‘‘on-dit’’ parlent d’agressions sexuelles », poursuit Joseph Rochelle, qui « tombe de l’armoire » lorsqu’on prononce les mots « mis en examen », « viols aggravés », « détention provisoire ». Le voilà qui remonte vite dans l’armoire et s’y enferme à double tour : « La justice est indépendante, il n’y a aucune raison qu’en tant que maire de la ville je sois directement informé. Quelqu’un qui disparaît du jour au lendemain du poste de penn-soner, sans explication, sans rien, ce n’est pas normal. J’imaginais bien que, s’il y avait un tel silence, c’est que quelque chose n’allait pas. Mais je ne voulais pas en rajouter, je n’ai pas voulu intervenir de quelque manière que ce soit pour obtenir des renseignements. »

Il devait tout de même en savoir suffisamment puisque, nous glissera-t-il en nous raccompagnant vers la sortie, il a lui-même fait couper le clip diffusé lors de ses vœux : « Dans la première version, on voyait des gros plans de Loïc Le Cotillec tout le temps. J’ai dit ‘‘ah non !’’, et j’ai demandé au monteur de supprimer des passages. » Joseph Rochelle s’était ému quelques minutes plus tôt en apprenant que Le Monde s’apprêtait, dans un premier article purement factuel, à évoquer le sort de l’ancien penn-soner. « Pour moi, il est hors de question de médiatiser une affaire comme ça, je vois bien tout le dégât que ça peut faire. Au-delà du bagad, la médiatisation va ruiner des années d’efforts à Auray et entacher toute la culture bretonne. Moi, je défends la culture bretonne à fond. Et je pense qu’avec une affaire comme ça la Bretagne va souffrir. »

Maintenir sous silence ?

Le doute nous a alors saisis. A quel prix faut-il informer nos lecteurs, d’Auray ou d’ailleurs, sur ce qui s’est passé au cœur de cette petite ville ? Révéler cette affaire sera-t-il plus néfaste que de la maintenir sous silence ? Après tout, le bagad a congédié son penn-soner quand il a eu vent des faits ; Loïc Le Cotillec est entre quatre murs et les mains de la justice ; un procès aura lieu dans un an ou deux ; les victimes présumées ont porté plainte, et ne souhaitent manifestement pas s’exprimer.

D’un autre côté, révéler l’affaire en nommant clairement les choses serait peut-être de nature à encourager la parole d’éventuelles victimes qui, jusqu’alors, n’auraient pas osé se manifester de peur d’être celles qui briseront le silence ? « La question est légitime, je me la suis posée, répond Me Ermeneux. C’était pour moi la seule raison qui aurait pu justifier que la Kevrenn s’explique publiquement. Mais il s’avère que les enquêteurs peuvent identifier toutes les personnes concernées par cette affaire sans qu’on ait recours aux médias. »

LES MOTS DES PARENTS S’ENTREMÊLENT QUAND ILS ÉVOQUENT LEUR FILS. « C’EST QUELQU’UN D’INTELLIGENT, ET DE FORT ­GENTIL », DIT LE PÈRE.

La publication d’un premier article sur le site Internet du Monde est prévue mardi 14 janvier. Frédéric Birrien, l’avocat de Loïc Le Cotillec, nous propose de rencontrer ses parents avant, et prévient qu’il assistera à la conversation par l’intermédiaire d’un téléphone sur haut-parleur. En route pour Saint-Philibert. Le couple est évidemment défait. « Le monde est cruel, et vous, en tant que journaliste, vous l’êtes aussi. » Les habitants du pays d’Auray ne le sont pas. « Les gens ne jugent pas, ici », dit la mère. « Ici, les gens sont discrets, dit le maire, et on est très solidaires les uns les autres. Personne n’est venu nous en parler. »

Les mots des parents s’entremêlent quand ils évoquent leur fils. « C’est quelqu’un d’intelligent, et de fort ­gentil, dit le père.

— Il n’est pas méchant, dit-elle.

— Jamais on n’aurait pu penser que…

— Il a été plongé trop jeune dans un monde d’adultes. Il a commencé tôt la musique, très tôt, trop tôt.

— Il était doué, très doué.

— Il était discret, il ne nous disait rien. Si on avait su…

— Il composait tout lui-même. »

Tous deux évoquent la pression « énorme » liée au poste de penn-soner, et le quotidien surchargé de leur fils. « La musique, c’était sa vie. Il n’a pas eu de vacances ni de week-ends depuis sept ans », entre le bagad, les études et l’enseignement. Frédéric Birrien raccroche. Le père nous verse un verre de jus d’orange. « Loïc voulait arrêter la Kevrenn Alré depuis un an. Il avait l’impression de gâcher sa vie de jeune adulte, il avait envie de faire un break. »

Poème mélancolique

Certains proches avaient bien perçu chez lui une forme de mal-être. La suite qu’il avait composée pour son dernier concours de Brest, l’an passé, était ponctuée par le récit d’un poème mélancolique de Xavier Grall, Marais de Yeun Elez, décrivant un homme se laissant aspirer par cette lande que la légende locale désigne comme la porte de l’enfer. « Je partirai sans maudire rien, muet, inutile, sans paupières, dans l’inutilité des tourbes/Plaisirs mauvais qui me crucifient, c’est fini, je m’en vais aux marais, traînant ma plainte et ma légende. »

Après les parents, il reste à rencontrer les confrères de la presse locale, autant pour les prévenir que l’article du Monde va sortir que pour comprendre leur inexplicable mutisme sur l’affaire : moins de 200 mètres séparent leurs deux rédactions du local de la Kevrenn. En tendant l’oreille, on entendrait presque le son des bombardes qui s’échappe de la bâtisse mal isolée.

« Quand Loïc est parti, on a su qu’il y avait des soupçons d’agressions sexuelles, explique le confrère du Télégramme, mais on n’a pas donné l’info parce qu’il n’y avait pas de plaintes. Comme on n’a jamais eu vent de plaintes par la suite, on s’est dit qu’ils avaient réglé ça en interne. » « Une information en chassant une autre, je n’ai pas relancé le truc, confesse la consœur de Ouest-France. De toute façon, dès qu’on touche à une entité locale, c’est difficile d’avoir des infos. »

Titre trompeur

Mardi 14 janvier au soir, Le Monde publie sur son site Internet : « Un virtuose de la musique bretonne mis en examen pour viols ». Une demi-heure plus tard, Le Télé­gramme embraye (sans nous citer) : « L’ancien penn-soner du bagad d’Auray mis en examen pour viol ». Le lendemain, l’info figure sur les affichettes des maisons de la presse alréennes. Le surlendemain, en une du Télé­gramme, ce titre trompeur : « Viols : “Tout le monde était au courant dans le milieu” ».

Ouest-France, fidèle à sa charte des faits divers (« dire sans nuire, montrer sans choquer »), se contente d’un feuillet discret en page 6. Pas de Loïc Le Cotillec dans le titre ni dans le chapeau. Il faut attendre le deuxième paragraphe pour lire le nom du penn-soner. France 3 Bretagne, France Bleu Morbihan et plusieurs médias nationaux ont repris l’info. En ville, les comptoirs s’étonnent, s’offusquent, s’exclament : « Tu te rends compte, le fils du maire de Saint-Philibert ! »

Ligne de défense

La Kevrenn publie enfin un communiqué, retraçant la chronologie – découverte des faits le 22 septembre, démission de Loïc Le Cotillec le 27 – et justifiant son silence : « Nous avons collectivement fait le choix, assumé, de rester discrets pour ne pas exposer les victimes, mais aussi pour permettre à l’enquête et à la justice de faire leur œuvre. » « Il n’y a pas eu d’omerta, c’est juste que les gens étaient hyper gênés, appuie Erwan, avec qui l’on était resté en contact. On était beaucoup à penser qu’il fallait en parler, mais on ne savait pas comment faire. Et puis on avait pris tellement cher en apprenant la nouvelle qu’à un moment ça nous avait fait du bien de ne plus en parler. »

« MAINTENANT QUE C’EST PASSÉ, JE NE DIRAIS PAS QUE VOUS NOUS AVEZ FAIT CHIER, C’EST JUSTE QUE ÇA A ÉTÉ BRUSQUE. » UN MEMBRE DE LA KEVRENN ALRÉ

L’avocat de Loïc Le Cotillec, lui, amorce une ligne de défense en déclarant dans la presse que les présumées victimes étaient des « petites amies ». Sur le quai de la gare d’Auray, la question reste la même que lorsqu’on y a posé le pied dix jours plus tôt : à partir de quand quitte-t-on le domaine du silence embarrassé et maladroit pour entrer dans celui de la rétention d’informations organisée ? Difficile d’affirmer que la Kevrenn Alré n’a rien à se reprocher dans la gestion de toute cette affaire. Difficile d’affirmer le contraire. On ne sait toujours pas comment l’information a fini par remonter à la surface fin septembre, cinq mois après le début des faits. D’ailleurs, on ne peut même pas certifier que toutes les plaignantes évoluent au sein de la Kevrenn.

On peut simplement constater qu’on a passé dix jours à Auray, que tout le monde savait qu’on était là, et qu’aucun proche des victimes n’est venu pointer la responsabilité de la Kevrenn. Avant de quitter la Bretagne, on a appelé une dernière fois Erwan : « Ça va bien aujourd’hui. On s’est réunis pour rédiger le communiqué qu’on a balancé sur Facebook. On était contents de tous se retrouver pour discuter des événements. Moi, ça me fait du bien d’en parler, c’est un soulagement que cette affaire soit sortie, finalement. Maintenant que c’est passé, je ne dirais pas que vous nous avez fait chier, c’est juste que ça a été brusque. Et finalement, le fait que vous ayez été là, c’est aussi une bonne chose pour la suite de l’enquête. Des langues commencent à se délier. Quelqu’un a envoyé un message à l’association disant qu’il connaissait une fille qui n’avait pas osé parler jusqu’à présent et qui allait le faire. »

24 janvier 2020

Extraits de différents shootings. Photos : Jacques Snap

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24 janvier 2020

États-Unis - Contre Trump, les drag-queens font de la résistance 4 MIN

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THE WASHINGTON POST (WASHINGTON)

De plus en plus visibles et acceptées par le grand public, les drag-queens ne cachent plus leur côté politique et leur préférence pour les démocrates.

Un murmure a parcouru l’assemblée du Lincoln Theater, non parce que la tête d’affiche, Sasha Velour (la gagnante de la saison 9 de l’émission de téléréalité RuPaul’s Drag Race), s’apprêtait à monter sur scène, mais parce qu’une femme à queue-de-cheval était en train de prendre place au balcon, et tous les regards se sont tournés vers elle.

“AOC !”, a crié quelqu’un depuis le parterre. Le public s’est alors levé pour applaudir la députée démocrate de New York, Alexandria Ocasio-Cortez, qui a exprimé ouvertement sur Twitter son intérêt pour la culture drag.

Des émeutes de Stonewall au Congrès

Deux jours plus tard à Washington, les talons des chaussures rouges bien lustrées de la drag-queen Pissi Myles résonnaient dans les couloirs du Longworth Building [l’un des bâtiments de la Chambre des représentants]. Pissi Myles était là en tant que journaliste et commentatrice de Happs (un site d’information en direct) pour suivre la procédure de destitution de Donald Trump, mais c’est elle qui a créé l’événement.

Ce n’est pas souvent, en effet, qu’une drag-queen de 2 mètres de haut (talons compris) et en perruque entre en se pavanant dans un bâtiment officiel du Capitole. Ce jour-là, elle a aimanté à la fois les regards et alimenté l’analyse politique.

En fait, depuis les émeutes de Stonewall, à New York, en 1969, où les drag-queens et les femmes transgenres étaient au premier rang des militants et militantes du mouvement pour les droits des homosexuels, politique et travestissement ont toujours été mêlés. Et alors que la culture drag jouit aujourd’hui d’une popularité croissante, les drag-queens sont en passe de devenir les parfaits repoussoirs au président Donald Trump dans la course à la Maison-Blanche pour 2020.

“Ce que les gens en général ne savent pas, c’est que dans la communauté queer, les drag-queens sont considérées comme des sortes de leaders, comme des porte-parole”, affirme Pissi Myles. Elles “sont les premières à dégainer leur épée”.

Rebellion contre la norme

S’habiller de manière extravagante comme le sexe opposé a pendant longtemps été une manière de s’affirmer politiquement, un acte de rébellion contre les normes sociales, une forme d’art pour faire mieux entendre la voix des communautés privées de droits. Des efforts ont été faits pour rendre ce lien [avec le politique] moins déguisé à la faveur de l’attrait qu’exerce désormais la culture drag sur le grand public (un public qui considère le phénomène comme un simple divertissement).

Ainsi, la présidente démocrate de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, a fait une apparition dans Drag Race, et l’émission a organisé des défis politiques pour ses candidats qui ont dû participer à un faux débat présidentiel et à une comédie musicale sur le thème de Trump. Par ailleurs, DragCon, le grand Salon organisé pour les fans de l’émission, a accueilli des débats sur “l’art de la résistance” ou “le drag dans l’Amérique de Trump”.

À Los Angeles, en avril dernier, Maebe A. Girl est sans doute devenue la première drag-queen à exercer des fonctions officielles après son élection au conseil de quartier de Silver Lake (en 1962, José Sarria a été la première drag-queen à se présenter à des élections à San Francisco).

L’artiste à l’identité sexuelle floue, connue pour ses imitations satiriques de Melania Trump, notamment, a par ailleurs annoncé son intention de se porter candidate au siège de député du 28e district de Californie au Congrès de Washington. Quant aux Sœurs de la perpétuelle indulgence, un groupe de sœurs drag, elles sont très actives sur le plan politique depuis leur création en 1979.

“Changer les mentalités”

“Personne n’attire autant l’attention qu’une drag-queen. Mais il s’agit de canaliser cette attention vers des causes importantes”, insiste Sasha Velour.

“La communauté queer, en particulier la communauté drag, comprend de nombreuses personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté”, et “beaucoup de Noirs et de Browns [les citoyens ni noirs ni blancs], précise-t-elle. “Je pense et j’espère que la popularité du drag et les histoires et récits de ces gens-là vont changer les mentalités.”

Pissi Myles n’avait jamais couvert d’événements avant de travailler pour le site Happs. Elle a été recrutée par l’un des collaborateurs de la société qui a pensé qu’elle apporterait un plus pour leurs reportages qui ciblent les jeunes. Elle n’aurait pas pensé susciter autant d’attention.

“Quand je suis descendue de voiture, vingt caméras se sont tournées vers moi”, raconte-t-elle, et la police du Capitole l’a fait passer trois fois au détecteur de métaux. Qu’une drag-queen ait été envoyée pour couvrir un événement sans réellement de rapport avec la politique LGBTQ mérite d’être souligné.

“Pour notre public, c’est quelqu’un d’atypique, un personnage théâtral”, observe David Neuman, le cofondateur de Happs, qui est en discussion avec Pissi Myles pour qu’elle assure la couverture d’autres événements en 2020.

Retour de bâton conservateur

Cependant, ce n’est pas sans difficultés que la culture drag affirme sa présence dans le microcosme politique.

Drag-Queen Story Hour, un programme national qui encourage les drag-queens à faire la lecture aux enfants dans les bibliothèques, a suscité des protestations dans tout le pays. Pour ses initiateurs, c’est un moyen d’enseigner aux enfants les valeurs d’empathie et d’inclusion, mais Fox News a affirmé que le programme visait à “endoctriner les enfants et les expose inutilement à la sexualité”. Certains groupes conservateurs ont intenté des poursuites contre les bibliothèques qui ont organisé ce genre d’animations.

Après que Sacha Velour a posté une vidéo prise avec Ocasio-Cortez sur Twitter, le commentateur politique gay conservateur Dave Rubin l’a retweetée, accompagnée de la légende suivante : “Votre futur ticket démocrate pour la présidentielle de 2024, mesdames, messieurs et autres.” Ce à quoi un utilisateur de Twitter a répondu : “Si elle gagne en 2024, ce grand machin rose sera notre juge à la Cour suprême.” Sacha Velour s’est approprié l’expression en changeant son nom sur Twitter en “Pink Tall Person”.

“Ces gens se sentent menacés par un peu de maquillage et par du théâtre… voilà un exemple parfait de personnes qui laissent la peur gouverner leur vie s’insurge-t-elle. Ils doivent être incapables de penser de façon rationnelle s’ils ont si peur de ce magnifique rouge à lèvres et d’un simple corset, enfin, de beaucoup de corsets…”

Maura Judkis

Source : The Washington Post

WASHINGTON http://www.washingtonpost.com

Le grand quotidien de la capitale américaine et l’un des titres les plus influents de la presse mondiale. Traditionnellement au centre droit, The Washington Post doit sa réputation à son légendaire travail d’enquête dans l’affaire du Watergate, qui entraîna la chute du président Nixon au début des années 1970. Il se distingue aussi par sa couverture très pointue de la vie politique américaine, ses analyses etses reportages.

24 janvier 2020

CIRCULATION(S) au Cent Quatre - save the date

circulation

24 janvier 2020

Qu’elles étaient belles, les Années Folles

années folles

DIE WELT (BERLIN)

1920-1929 – Europe. Cent ans plus tard, l’explosion d’énergie vitale qui a suivi la fin de la Première Guerre mondiale nous fascine toujours autant. Et il est tentant d’établir des parallèles.

Cette fois, ça y est, elles ont commencé, les années vingt. En Allemagne, celles que l’on surnommait “die Goldenen Zwanziger”, les “années vingt dorées”, se parent d’une aura particulière, presque magique.

Avec ses théâtres, ses revues, ses maisons d’édition et ses dancings, Berlin était devenue une métropole de la culture mondiale. En 1924, en Europe centrale et occidentale, les gens se remettaient peu à peu des pertes et des horreurs de la Première Guerre mondiale. Les jeunes, surtout, se sont lancés à corps perdu dans les plaisirs de la vie nocturne, ils adoptaient des tenues provocantes, les filles se coiffaient à la garçonne et dansaient le charleston. Ils copiaient les stars de cinéma qui, dans les salles obscures, devenaient déjà des idoles planétaires.

À en juger par l’avènement de nouveaux mouvements à la frange extrême de la droite, mais aussi par le retour surprenant d’idées cryptocommunistes, nous serions donc bel et bien à l’aube de nouvelles années vingt, radicalisme politique, haine mutuelle et désespoir culturel inclus. Et, avec le changement climatique, les migrations, la numérisation et la résurrection du nationalisme, ne sommes-nous pas à la veille de bouleversements qui risquent de détruire notre bien-être tant apprécié ainsi que nos certitudes, exactement comme dans les Années folles ?

Une génération perdue

Ces parallèles sont-ils justifiés ? L’histoire, en réalité, ne se répète pas, elle se réinvente sans cesse. Et nos tentatives pour expliquer l’avenir en nous appuyant sur les événements du passé nous poussent surtout à vouloir répondre avec les méthodes d’hier aux défis de demain.

La situation de départ est bien différente. En 1920, des millions d’Européens avaient perdu des êtres chers, mais aussi leurs moyens de subsistance. Dans les rues, mutilés de guerre et malades végétaient. En Allemagne, du fait des épidémies et des infections, la mortalité infantile avait atteint le chiffre effroyable de 14 %. Dans toute l’Europe, les frontières se redessinaient, sans que les nouveaux États soient parvenus à la stabilité, en proie à des hivers de famine, à l’hyperinflation et à un chômage monstrueux.

En voulant rattacher ses angoisses aux catastrophes de l’époque, nos générations geignardes nées dans l’aisance se leurrent. Car, à l’exception d’une infime élite de nobles et d’industriels, les gens des années vingt ne pouvaient même pas rêver de la Sécurité sociale, du système de santé, de l’emploi et des libertés et droits individuels que nous connaissons aujourd’hui. Pour la plupart des représentants des classes inférieures qui souffraient de la faim, tout ce qui nous rend la vie supportable et l’améliore jour après jour était inaccessible, voire n’avait pas encore été découvert : la pénicilline, l’anesthésie, la contraception, les aides sociales, la voiture, les voyages sur de longues distances.

Quiconque est aujourd’hui persuadé de danser le charleston au bord d’un volcan, exactement comme nos arrière-grands-parents, se trompe lourdement. À l’époque, des millions de gens avaient tant perdu, matériellement et en matière de certitudes, qu’ils avaient effectivement le sentiment de ne plus risquer grand-chose, et ils brûlaient de jouir des petits plaisirs de la vie nocturne. L’avenir leur semblait flou, pour ne pas dire compromis. D’ailleurs, la fin est très vite arrivée, avec le krach boursier, Hitler et la Seconde Guerre mondiale.

Ironie du sort, ce sont justement les grandes avancées technologiques et industrielles, synonymes dans les années vingt de davantage de libertés individuelles et d’une vie meilleure – l’électrification des foyers et la production d’automobiles à la chaîne – qui sont aujourd’hui soupçonnées d’être les pires menaces pour notre avenir. Après 1920, inventeurs et médecins, ingénieurs et techniciens ont œuvré à améliorer les conditions de vie, tandis que politiques et militaires, eux, s’employaient à les ruiner. Et pourtant, c’est à cette foi de l’époque en la technologie et en la possibilité de parvenir à un bonheur simple pour tous que nous devons notre bien-être actuel.

L’époque exerce parfois sur nous un charme morbide

Et il ne faut pas oublier l’avènement des marchés. Toutes les innovations de ces années à vrai dire plaquées or – du voyage en avion au cinéma, de l’ampoule électrique à l’anesthésie, de la confection à la musique populaire – étaient le produit d’entreprises privées et capitalisées en Bourse. Seuls les moyens de destruction de l’industrie militaire étaient toujours subventionnés par les États. Et les sociétés qui appliquaient ce genre de doctrine économique, les nationaux-socialistes et les internationaux socialistes, se sont ensemble lancées dans la guerre en 1939 pour diffuser leurs idéologies sanguinaires.

Par conséquent, s’il est une leçon que nous devrions tirer de ces années vingt, c’est que l’on ne peut pas faire confiance à la haine nationaliste et à la toute-puissance de l’État. Tout ce qui rend si fascinante cette culture du désespoir qui s’est exprimée de 1924 à 1928 était le fait de rébellions individuelles, d’initiatives privées, et d’un optimisme envers et contre tout. Il suffit de se replonger dans les œuvres géniales de la littérature berlinoise et viennoise de ces années-là, dans les superbes romans féminins de Vicki Baum, Irmgard Keun ou Gina Kaus, dans les récits mélancoliques de survivants comme Joseph Roth ou Hans Fallada pour s’émerveiller de la force vitale de l’époque.

Laquelle exerce sur nous un autre charme, plus morbide, celui des dangers de l’idéologie et de la guerre, qui ont fini par engloutir la culture allemande, et le bien-être de l’Europe. Des maux certes éternels, mais qui ne sont pas aussi immédiats pour nous qu’ils l’étaient durant les Années folles.

Dirk Schümer

Source : Die Welt

BERLIN http://www.welt.de

“Le Monde”, porte-drapeau des éditions Springer, est une sorte de Figaro à l’allemande. Très complet dans le domaine économique, il est aussi lu pour ses pages concernant le tourisme et l’immobilier.

Notamment avec sa rubrique d’analyse, nommée Arrière-plan, le journal se revendique conservateur. Il est quotidiennement distribué dans plus de 130 pays. Depuis 1948 paraît l’édition dominicale, Welt am Sonntag, qui fait partie des médias allemands les plus repris.

24 janvier 2020

Vu sur internet - j'aime bien cette série de photos

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