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Jours tranquilles à Paris

6 janvier 2020

La lettre politique de Laurent Joffrin

Conflit : tout, rien ou quelque chose ?

Le compromis est dans l’air. Fâché mais conciliant, conciliant mais fâché, Laurent Berger a proposé hier soir une conférence consacrée à «l’équilibre du système» qui se tiendrait avant l’été. Ce matin, Bruno Le Maire a dit «banco», un porte-parole du gouvernement a déclaré qu’on «regarderait» et le Medef lui-même a précisé qu’il n’était pas «arc-bouté» sur la mesure d’âge. Dans ce scénario – hypothétique pour l’instant –, la pomme de discorde de l’âge pivot serait sortie du panier, tandis que la CFDT accepterait une cote mal taillée pour assurer le financement des retraites. Comme nous le disions dans une lettre précédente, le gouvernement voit là une porte de sortie. Le Premier ministre aime à rappeler qu’il s’est opposé à une augmentation «forte» des cotisations. Ce qui implique qu’une augmentation «faible» ou «plus faible» n’est pas écartée, mesure qui rendrait moins pressante la question de l’âge pivot.

Il est vrai qu’au fil des hésitations et des concessions, la réforme finissait par perdre sa cohérence. Emmanuel Macron avait écarté dans un premier temps les mesures d’âge. Elles sont sorties du chapeau de Matignon avant Noël. Il avait mis en garde contre les exceptions concédées à telle ou telle profession, qui aboutiraient de proche en proche à un jeu de dominos. Le gouvernement a néanmoins fait droit aux demandes des policiers, des militaires, des pilotes d’Air France, des danseurs et danseuses de l’Opéra. Il a même esquissé une solution à la SNCF, où une combinazione à l’italienne maintiendrait dans le nouveau système les avantages de l’ancien. Si bien que cette réforme «cathédrale», destinée à supprimer les régimes spéciaux et à laisser à chacun la liberté de partir quand il le souhaite, aboutissait à proroger les intérêts particuliers, tout en instaurant pour les autres un couperet uniforme à 64 ans. C’est-à-dire l’exact opposé des intentions initiales. On passait de la cathédrale à la bicoque.

Le mouvement ne s’arrêtera pas pour autant. Les syndicats plus fermes, ou plus radicaux, comptent sur la mobilisation de cette semaine pour faire plier le gouvernement. Sera-t-elle forte ? Mystère. Le taux de grévistes est tombé à environ 6% à la SNCF mais il reste élevé chez les conducteurs de la RATP et il peut remonter à la faveur des deux journées d’action prévues.

Comme souvent dans ces conflits, le sort hésite entre deux conceptions du syndicalisme. Si le retrait s’impose, comme le demandent la CGT, SUD et FO, avec les partis de gauche, on dira que la radicalité paie. Mais si la grève s’effiloche, tandis qu’un arrangement se conclut avec les centrales plus modérées, la CFDT verra sa stratégie validée. Dans ce cas, les uns auront tout exigé pour ne rien avoir. Les autres auront récusé le tout et le rien, pour obtenir quelque chose.

LAURENT JOFFRIN

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6 janvier 2020

Carlos Ghosn

carlos malle

carlosboite

6 janvier 2020

David Bailey

david bailey

David Bailey, né le 2 janvier 1938 à Leytonstone, est un photographe de mode et de portrait et un réalisateur de films publicitaires anglais. Il vit et travaille à Londres.

6 janvier 2020

«UNE ÎLE» : LAETITIA CASTA JOUE LES SIRÈNES DANS UNE SÉRIE D'ARTE

casta une ile

Laetitia Casta est la star d'«Une Ile» réalisée par Julien Trousselier sur un scénario d'Aurélien Molas («Crime Time»). Une mini-série fantastique à l'atmosphère étrange à voir les 9 et 16 janvier prochains.

Prix de la Meilleure Série au Festival Séries Mania 2019, «Une Ile» raconte l'histoire d'une mystérieuse inconnue Théa (Laetitia Casta) qui va bouleverser la vie de Chloé (Noée Abita), une ado fragile en quête de ses origines, dans un village de Corse où la pêche est en pénurie et où se succèdent les meurtres d'hommes.

LE MYTHE DES SIRÈNES REVISITÉ

Divinités de la mer qui hypnotisent les navigateurs avec leurs chants enchanteurs chez Homère, créatures mi-femmes mi-oiseaux chez Ovide... «Une île» revisite le mythe des sirènes.

Laetitia Casta interprète une créature envoûtante qui sème le trouble. «Théa représente la nature qui se venge des blessures subies. C’est une guerrière dotée de pouvoirs. Elle arrive sur terre avec une mission, celle de sauver un monde magique et mystérieux. Elle s’en prend aux hommes qui polluent la mer en aspirant leur âme» explique l’actrice qui a fait de longues séances de cardio pour tenir longtemps sous l'eau.

Le personnage de Thea porte un message écologique mais aussi féministe. «Dans le sens où elle assume sa sexualité et son désir, aussi fortement qu’un homme. Elle utilise son corps comme une arme fatale».

6 janvier 2020

Kate Moss

kate19

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6 janvier 2020

En Australie, les feux tuent des millions d’animaux

australie kangourou

Un kangourou comme paralysé face aux feux de brousse, près de la ville de Nowra, en Nouvelle-Galles du Sud.

Dans le sud de l’Australie en proie aux flammes, vingt-trois personnes ont péri, des dizaines sont portées disparues, depuis début septembre. Les hommes souffrent comme jamais. Les animaux aussi.

Des images de kangourous comme paralysés à proximité des flammes, d’opossums et de wombats brûlés, de sauvetages in extremis, ont fait le tour du monde, via les réseaux sociaux. Le film d’un koala assoiffé, venu réclamer de l’eau à la gourde à une bande de cyclistes, près d’Adelaïde, a particulièrement été relayé, sur Twitter.

Un fonds de 6 millions de dollars

Selon une étude menée par des chercheurs de l’université de Sidney, 480 millions de mammifères, oiseaux et reptiles ont déjà été tués dans le seul État de Nouvelle-Galles du Sud. « La plupart ont probablement péri directement dans les feux. D’autres ont succombé plus tard à cause du manque de nourriture, d’abri ou de la prédation par les chats sauvages et les renards roux », expliquent-ils dans un communiqué.

Parmi les espèces endémiques les plus emblématiques du pays, ce sont les koalas, déjà fragilisés par une MST qui les rend infertiles, qui paient le plus lourd tribut. Ils sont très peu mobiles. En cas de danger, ils se réfugient dans les arbres. Or leurs préférés, les eucalyptus, gorgés d’huile, sont les premiers à brûler… 30 % d’une population estimée à 28 000 individus auraient déjà disparu, selon Sussan Ley, la ministre de l’Environnement.

Un fonds de 6 millions de dollars australiens (près de 4 millions d’euros) a été levé en urgence par le gouvernement pour protéger les animaux menacés. Mais le nombre de décès pourrait s’avérer sans précédent à l’échelle nationale, selon les chercheurs de Sydney. Leur estimation prend en compte les mammifères, les oiseaux et les reptiles, mais n’inclut pas les insectes ou les amphibiens…

Sydney a enregistré, hier, des températures records : 48,9 degrés relevés à Penrith, dans sa banlieue ouest. Hier soir, la ville la plus peuplée d’Australie (plus de cinq millions d’habitants) était menacée par des coupures de courant et un feu pouvant atteindre sa périphérie.

L’état d’urgence a été décrété dans tout le sud-est de l’île-continent et ordre a été donné à plus de 100 000 personnes d’évacuer dans trois États. Dès vendredi, les autoroutes reliant les villes du littoral à Sydney et d’autres grandes villes étaient engorgées par de longues files de voitures.

« Nous avons littéralement vu partir des dizaines de milliers de personnes », a témoigné le chef des pompiers de Nouvelle-Galles du Sud. Des milliers d’Australiens ont échoué dans des camps de fortune, comme réfugiés dans leur propre pays.

Le Premier ministre Scott Morrison, très critiqué sur sa gestion de la crise jusqu’à présent, a appelé 3 000 militaires réservistes à se déployer. Une mobilisation sans précédent.

6 janvier 2020

Greta Thunberg

greta11

6 janvier 2020

Actuellement au Centre Pompidou

« Folklore »

Folklore et modernité ? On les a longtemps crus ennemis jurés. Mais c’est oublier que Brancusi s’est initié au bois en bâtissant des églises en Roumanie, ou que Kandinsky a versé dans l’ethnographie avant de se lancer dans l’abstraction. A eux seuls, ces deux pionniers suffiraient à légitimer l’originale démonstration que Pompidou-Metz propose au printemps, à savoir une généalogie de l’influence exercée par les motifs et techniques folkloriques sur les différentes avant-gardes du XXe siècle, bien plus profonde qu’on ne pourrait le croire. Puisant dans les collections de traditions populaires du MuCEM de Marseille, le musée messin écrit une autre histoire de l’art, des aventures bretonnisantes de Gauguin aux envolées chamaniques de Joseph Beuys, jusqu’à nos contemporains Jeremy Deller et Pierre Huyghe, qui réinventent à leur manière cette passion vernaculaire. Une version revigorante du pop art ! E. Le.

Centre Pompidou-Metz, parvis des Droits-de-l’Homme, Metz. Du 21 mars au 21 septembre. Tous les jours, sauf mardi, de 10 heures à 18 heures.

6 janvier 2020

Plage paradisiaque

etoiles

6 janvier 2020

Christian Boltanski « Je ne crois pas beaucoup à la normalité »

JE NE SERAIS PAS ARRIVÉ LÀ SI…

« Le Monde » interroge une personnalité sur un moment décisif de son existence. Cette semaine, le plasticien revient sur son enfance totalement atypique

Jusqu’au 16 mars 2020, Christian Boltanski a les honneurs du Centre Pompidou. A 75 ans, l’artiste y a conçu une exposition intitulée « Faire son temps », qui permet de déambuler au cœur de son œuvre.

Je ne serais pas arrivé là si…

… « Arrivé » : je ne sais pas où on arrive… Mais si je suis là où j’en suis, c’est sans doute que j’étais incapable, quasiment malade, mentalement. J’ai quitté l’école vers 12-13 ans et, avant, je n’y allais pratiquement jamais, je m’enfuyais à chaque fois. Quand on m’y mettait, on me retrouvait quelques heures plus tard en train de hurler dans la rue. Mes pauvres parents ont essayé beaucoup d’écoles publiques et privées, ça n’a jamais marché. Alors ils ont accepté que je reste à la maison. Et un jour, dans cette maison, j’ai fait un petit dessin. Mon frère Luc m’a dit que c’était bien. C’était la première fois de ma vie que m’on disait que j’avais fait quelque chose de bien. Je me suis dit que c’était ma destinée. J’ai demandé à mes parents d’acheter des plaques de contreplaqué et de la peinture, et j’ai fait énormément de grands tableaux.

Aviez-vous un retard mental ?

Je n’étais pas totalement idiot, non, mais toujours un peu étrange. Je suis sorti pour la première fois seul dans la rue à 18 ans. Je passais mes journées à ne rien faire, peindre, compter les voitures qui passaient. De petites occupations maniaques. Il faut dire que ma famille était assez particulière. Pour en savoir plus, lisez le livre de mon neveu Christophe, La Cache (éd. Stock, 2015).

L’avez-vous lu, ce livre ?

Naturellement.

Parce que, plusieurs fois, vous avez dit : « Je ne lis pas », « J’ai beaucoup de mal à lire ». On vous a cru non seulement arriéré mental, mais quasi analphabète…

Ce n’est pas tout à fait vrai. J’ai de grands manques. Je n’ai jamais lu Balzac ni Zola. Je n’ai pas lu non plus les livres de ma mère, qui était romancière. Je ne veux pas porter un regard sur son travail. Mais j’ai beaucoup lu. Tout Proust, par exemple. Tout Perec et tout Modiano, aussi. Ce sont les deux écrivains contemporains dont je me sens le plus proche.

Et « La Cache », donc…

Oui. Grâce à mon neveu, cette histoire familiale va vivre encore quelque temps. Cela me touche, car mon activité principale est de lutter contre l’oubli, la disparition. Pas seulement celle de mon histoire. Toute histoire est singulière et pourrait être l’objet d’un livre. Après 60 ans, chacun pourrait même avoir son propre musée. On s’en amuse avec mon ami Jacques Roubaud. Avant 60 ans, on serait gardien du musée des autres. Après, directeur de son musée. Cela réduirait le chômage !

Votre histoire est très particulière…

A l’origine de l’œuvre de chaque artiste, il y a un trauma. Dans mon cas, c’est le fait que, entre 2 et 5 ans, j’aie entendu des récits effrayants de la Shoah. Je suis né en septembre 1944, dans les derniers soubresauts de la Libération, donc je n’ai pas subi la guerre. Mais tous les amis de mes parents étaient des survivants. Et mon père lui-même. Cela donnait l’idée que le monde est dangereux, que chacun n’a qu’une seule envie, celle de tuer son voisin.

Durant l’Occupation, votre père, un juif d’origine ukrainienne, vivait caché dans un minuscule réduit, sous le plancher de l’appartement. En sortait-il tout de même ?

C’est comme cela que j’ai été fabriqué !

Dans le catalogue de l’exposition, à Beaubourg, vous dites : « J’aurais dû être avorté. » Un mot d’une force incroyable…

Mes parents étaient en principe divorcés. Mon père était censé vivre loin de Paris. Un système de fausses lettres faisait croire qu’il envoyait des nouvelles de province. En plus, ma mère ne pouvait pas marcher. Elle avait une polio. Dans ces circonstances, tomber enceinte n’était pas la chose la plus raisonnable au monde.

Ont-ils pensé à l’avortement ?

Je n’en sais rien. Vous savez, ce que nous sommes est totalement lié au hasard, ou à la nécessité. Si nos parents avaient fait l’amour dix secondes plus tôt, nous serions différents.

Dans l’euphorie de la Libération, on vous prénomme Christian Liberté. Et pourtant, vous avez passé toute votre enfance reclus, soudé à votre famille…

Mon père, fils unique de migrants, avait tout fait pour devenir un bon Français et un grand médecin. Premier à l’école communale, converti au catholicisme… Sa mère lui avait dit : « Si tu ne t’engages pas, tu n’es plus mon fils. »Il s’est engagé, est revenu avec la Croix de guerre. Il a épousé une Corse catholique. Et soudain, avec l’Occupation, il n’avait plus le droit d’exercer la médecine, ni d’aller dans un jardin ou de prendre l’ascenseur. Son voisin avait menacé de le dénoncer. Lui qui pensait que la France était un refuge a été trahi. D’où cette idée d’un danger imprécis mais constant, qui nous a amenés, malgré la fin de la guerre, à nous méfier sans cesse, à sortir dehors toujours tous ensemble, à dormir tous dans la même pièce, les enfants au pied du lit parental, etc. Lorsque mon père partait travailler à l’hôpital Laennec, nous l’accompagnions avec ma mère, et nous l’attendions des heures dans la voiture.

Curieuse enfance…

Extrêmement heureuse, en réalité. Il y a un bonheur de l’enfermement. Pour moi, tout cela était normal, et d’ailleurs je ne crois pas beaucoup à la normalité. Surtout, j’étais rempli d’amour, et mes parents m’ont laissé faire ce que je voulais. Ils ont accepté ma nullité et m’ont donné confiance. Chacun avec son propre regard, évidemment. Quand, à l’école, on me traitait de « petit rabbin », ma mère disait « bats-toi », tandis que mon père me conseillait de laisser tomber, parce que dans sa famille on savait le danger réel.

Y avait-il un trauma aussi du côté de votre mère ?

Elle venait d’une famille bourgeoise fauchée. Ses parents l’ont confiée à une amie riche, pour qu’elle ait une éducation meilleure et qu’elle reçoive un peu d’argent après la mort de cette dame. Ma mère a souffert d’être séparée de sa famille et d’être plus gâtée que ses sœurs. Sans doute est-ce pour cela qu’elle a pu épouser un juif. Parce qu’elle était déjà un peu déclassée.

Issu de ces deux lignées, vous sentiez-vous catholique, juif, ni l’un ni l’autre ?

Mon père, catholique, pratiquait à la manière d’un juif : il lisait énormément de livres pieux, mais, quand nous allions à l’église Saint-Sulpice, il restait prier dans la voiture. Il a même écrit au pape pour faire canoniser Max Jacob, un juif converti lui aussi. J’ai été baptisé, j’ai fait ma première communion. A présent, je me sens plus proche du bouddhisme ou du shintoïsme.

Après cette enfance très à part, l’art vous a-t-il sauvé ?

J’avais des difficultés avec le langage, mais m’exprimer par l’image était facile. Avec l’art, on dit son malheur, et il devient celui des autres. Cette mise à distance vous aide, vous soigne. Comme une psychanalyse naïve.

Et, grâce au premier encouragement de votre frère, vous êtes devenu artiste…

J’ai eu des petits gagne-pain, j’ai travaillé dans une galerie, et puis, en mai 1968, à 23 ans, j’ai fait ma première exposition. J’étais étrange, mais extrêmement actif. Ce même mois, j’ai proposé des affiches aux Beaux-Arts, toutes refusées ! Elles ne devaient pas être très bonnes.

Après plus de 200 tableaux, vous abandonnez la peinture vers 1969. Pourquoi ?

J’ai eu un désir de cinéma. J’ai fait quelques films assez courts, puis compris que ce n’était pas pour moi, notamment parce que je ne sais pas commander une équipe. J’ai découvert alors d’autres manières de travailler, hors de la peinture et du cinéma. Profondément, je crois que j’ai une nature de peintre expressionniste. Mais je suis né à l’art à l’époque du minimalisme et du conceptuel. Donc mon langage est celui-là. Souvent, je me présente encore comme peintre, par facilité. Disons que j’utilise des moyens visuels pour créer de petites paraboles. Elles posent des questions sans donner de réponse, dans une tradition à la fois hassidique et zen.

Avec des photos, de petits objets présentés sous des vitrines, vous avez commencé par refabriquer votre passé…

J’étais une sorte d’ethnologue de moi-même. Je cherchais à retrouver mon passé et le réinventais à la fois, avec des images des autres, dans lesquelles chacun pouvait se retrouver. Pour moi, l’art doit être universel. J’espère pouvoir toucher des gens très loin de moi, qui ne me connaissent pas et se demandent : comment sait-il ça de moi ? La première fois que j’ai exposé au Japon, on m’a ainsi dit que mon travail était très japonais, que je devais avoir un grand-père japonais. Le rêve, pour un artiste !

Aviez-vous du succès ?

J’ai été connu très jeune. Pour autant, les artistes comme moi ne vendaient rien, et nous en étions fiers. Les galeries n’étaient pas professionnelles, c’était un joyeux foutoir. J’ai toujours eu un travail à côté, comme prof aux Beaux-Arts de Bordeaux puis de Paris, pour assurer le nécessaire.

Quand la vraie reconnaissance, y compris commerciale, est-elle arrivée ?

Au milieu des années 1980. Après une phase un peu moins forte, de 1978 à 1984, j’ai eu une période plus intéressante. La mort de mes parents à cette époque a profondément transformé mon travail. Quand on perd son père, on devient son père, on sait qu’on sera le prochain à mourir. J’ai alors fait face à des questions mystiques, tout en recourant à des moyens plus pauvres, des ombres, des petites images qui tenaient dans un carton. Une sorte de légèreté mystique, avec une forte dimension religieuse. J’ai conçu de petites chapelles, des autels, des reliquaires, en hommage à des morts anonymes… C’est à ce moment-là, peut-être que parce que mon travail était meilleur, que deux Américaines ont organisé une tournée à New York, Chicago, Los Angeles, à laquelle ont succédé des expositions un peu partout en Europe. Je me suis mis à vendre. Une troisième période a commencé quand j’ai commencé à être vieux, autour du non-objet.

C’est votre travail actuel, de plus en plus dématérialisé ?

Oui. Avec l’idée que les œuvres peuvent être détruites, et refaites, comme on rejoue une partition musicale. Par exemple, Personnes, la pièce créée en 2010 au Grand-Palais, à Paris, dans laquelle une grue puise au hasard dans des milliers de vêtements abandonnés, a été interprétée à Milan, à New York, au Japon et en Chine. Sans qu’on transporte quoi que ce soit. Pour moi, c’est à Milan qu’elle a été la plus réussie : les visiteurs avançaient dans un labyrinthe et se retrouvaient soudain face au tas de vêtements, sans pouvoir reculer. Maintenant, les gens ne sont plus devant, mais à l’intérieur de mes œuvres, ils en font partie. Ils s’y perdent. C’est aussi une façon de travailler sur l’éphémère, puisque l’œuvre disparaît ensuite…

« Je cherche en même temps l’éternel et l’éphémère », comme l’écrivait Perec ?

C’est exactement cela. A présent, je vais même plus loin. J’essaie de créer des mythes et légendes, sans support matériel. Par exemple avec les 75 000 battements de cœur enregistrés et conservés sur l’île de Teshima. Les gens y viennent comme en pèlerinage. J’espère qu’après moi je serai oublié, mais ils viendront encore écouter le cœur de leur grand-mère. Il y a aussi cet homme, en Tasmanie, qui a acheté ma vie en viager…

Peut-on acheter la vie de quelqu’un ?

C’est la question-clé. Lui me paye chaque mois pour que trois caméras puissent filmer tout ce qui se passe dans cet atelier. Il a ainsi des milliers d’heures de moi, stockées dans des DVD qu’il n’a évidemment pas le temps de regarder. Il paye quelqu’un pour les visionner. C’est mon œuvre ultime, on m’y voit vieillir. En même temps, cet homme n’a rien de moi…

En Patagonie, vous vous êtes aussi lancé dans une étonnante aventure…

J’y ai installé d’énormes trompes, qui permettent en principe de dialoguer avec les baleines. Là-bas, on dit qu’elles connaissent le début des temps. Naturellement, elles ne m’ont pas répondu, et les trompes vont se casser dans six mois. Mais un jour, j’imagine que des Indiens viendront et se souviendront du fou qui est venu poser la question aux baleines. Les mythes peuvent durer plus que les œuvres.

Vous mettez, un peu partout dans le monde, des clochettes, qui évoquent les morts qui nous entourent. Qui sont vos fantômes ?

J’ai le culte des ancêtres. De même que vous avez les yeux d’une grand-mère et le nez d’un arrière-grand-oncle, votre esprit est plein d’éléments qui vous ont été donnés. Nous sommes un puzzle de nos ancêtres. Entre un rabbin ukrainien et un berger corse, cela doit faire en ce qui me concerne un mélange très bizarre !

Christian Boltanski. Faire son temps. Exposition au Centre Pompidou, Paris 4e. Tous les jours, sauf le mardi. Jusqu’au 16 mars

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