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Jours tranquilles à Paris

11 décembre 2019

Retraites : la semaine de tous les dangers pour l’exécutif

Par Cédric Pietralunga, Alexandre Lemarié, Olivier Faye

Après deux ans de concertation, et alors qu’un mouvement social d’ampleur paralyse une partie des transports en France, Edouard Philippe va dévoiler, mercredi, le contenu de la réforme.

Au basket, on appelle cela le « money time ». Ce moment où le match peut basculer d’un côté ou de l’autre. Après deux ans d’une concertation débutée à l’automne 2017, et alors qu’un mouvement social d’ampleur paralyse une partie des transports en France, l’exécutif va dévoiler, mercredi 11 décembre, le contenu de sa réforme des retraites. Un moment que les acteurs de la Macronie s’accordent à considérer comme crucial pour la poursuite du mandat du chef de l’Etat, qui a fait de ce projet sa « mère des batailles ».

Signe de la tension grandissante, les ministres ont défilé tout le week-end à Matignon, où les équipes du premier ministre commençaient à plancher sur le discours qu’Edouard Philippe doit prononcer au Conseil économique, social et environnemental (CESE). « Mercredi, j’expliquerai, avec beaucoup de détails, le dispositif qu’on veut construire. Et je continuerai ensuite à l’expliquer », a assuré le chef du gouvernement au JDD. Dimanche soir, M. Macron réunissait à son tour, à l’Elysée, les principaux ministres en charge de la réforme, avant de recevoir, lundi midi, les dirigeants de la majorité.

Les derniers arbitrages, assure-t-on, se prendront entre le président de la République et son premier ministre. Seront-ils sensibles au niveau des nouvelles manifestations prévues mardi, à l’appel de plusieurs syndicats ? « Il n’y a ni indifférence ni mise sous pression », élude un conseiller, pour qui l’essentiel est de parvenir à raccrocher « les gens raisonnables à la SNCF et à la RATP » en leur proposant une « transition plus lente » vers le nouveau régime universel. Certains, à l’image du délégué général de La République en marche (LRM) Stanislas Guerini, plaident pour la « clause du grand frère ». En clair, que la réforme s’applique à partir de la génération 1973 – et pas 1963, comme prévu initialement.

« Le dialogue social reprend des couleurs »

Pour convaincre ces « raisonnables », l’exécutif a choisi de prendre à partie la CGT, dont le secrétaire général, Philippe Martinez, assure vouloir tenir la mobilisation « jusqu’au retrait » du projet. « Je pense [que la CGT] défend plus ses troupes que les Français », a ainsi critiqué, dimanche, sur France 3, le ministre de l’économie, Bruno Le Maire. « Je ne pense pas que ce soit avec la CGT qu’on trouvera le chemin de la sortie de ce conflit », a abondé sur RTL Elisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire, préférant conforter la CFDT ou l’UNSA, deux syndicats clés pour parvenir à faire passer la réforme. Au sein de l’exécutif, on se réjouit d’avoir repris langue avec les syndicats réformistes après les avoir snobés au début du quinquennat. « Le dialogue social reprend des couleurs ! », assure-t-on à l’Elysée.

Cette opposition avec la CGT désole pourtant certains soutiens du chef de l’Etat. « La France est un pays qui ne sait pas négocier. L’épreuve est compliquée pour tout le monde, CGT comme gouvernement, soupire l’écologiste Daniel Cohn-Bendit. Cela me rappelle cette scène dans la Fureur de vivre, avec James Dean. Deux voitures foncent vers un ravin et on se demande lequel va sauter le premier de sa voiture… » Et l’ancien leader de Mai-68 de faire cette suggestion à Emmanuel Macron : « Repousser la réforme d’un an », et convoquer une convention citoyenne sur les retraites, sur le modèle de celle sur le climat, pour mieux faire « comprendre » la nécessité de la réforme.

D’autres, à l’inverse, plaident pour que l’exécutif tienne bon. Alors que le premier ministre a laissé entendre qu’il pourrait faire des concessions sur les temps de transition avant de supprimer les régimes spéciaux, le député LRM du Rhône Bruno Bonnel l’exhorte à ne pas fléchir. « Il faut tenir face à la pression d’une opinion inquiète et manipulée par les “fake news”. Tout mouvement sera interprété comme une reculade ou un mensonge », prévient-il, convenant que « ce n’est pas simple comme équation ». « J’appelle l’exécutif à rester courageux. Il ne faut pas faire une réformette mais mener la refondation du système qu’on a promise aux Français », abonde sa collègue de Paris, Olivia Grégoire.

La bataille de l’opinion

L’évolution de l’opinion publique en faveur du mouvement social a en tout cas de quoi inquiéter le gouvernement. Selon un sondage IFOP pour le JDD, 53 % des Français soutiennent ou expriment de la sympathie envers la mobilisation. Une hausse de sept points en une semaine. « C’est beaucoup », convient-on au sein du pouvoir, même si certains veulent croire que la situation ne se cristallisera qu’à partir du discours du premier ministre, mercredi. « Il ne faut pas perdre le soutien de notre cœur électoral, ne pas montrer de signe de fragilité », estime un macroniste.

Tout en étant capable, en même temps, de se montrer suffisamment ouvert pour apaiser les tensions. « Il y aura évidemment des aménagements, confie un proche de M. Macron. Le but, ce n’est pas de déclarer la guerre. C’est que cette réforme passe. »

Pour gagner la bataille de l’opinion, jugée « cruciale », les macronistes entendent jouer sur la distinction entre secteurs public et privé. « Le plus important est de réussir à prouver aux gens du privé que cette réforme, qui consiste à revenir sur des avantages dont bénéficient des salariés du public, vise à sauver leurs retraites », estime un pilier de la majorité. Une autre priorité pour la majorité est d’éviter que la mobilisation ne s’élargisse à d’autres revendications sociales. Pas gagné : selon un sondage Elabe, 43 % des Français estiment que la grève actuelle est d’abord une mobilisation globale contre la politique du chef de l’Etat, avant d’être une opposition à la réforme des retraites. Jeudi, dans les nombreux cortèges à travers la France, c’est à Emmanuel Macron que la rue a demandé des comptes, comme au plus fort de la crise des « gilets jaunes ».

Afin d’embarquer avec lui la CFDT ou l’UNSA, le gouvernement semble prêt à une concession majeure : ne pas introduire de mesures d’économies dans le projet de loi, alors que le chef de l’Etat répétait souhaiter un système « à l’équilibre » au moment de sa mise en place, prévue en 2025. « Ne soyons pas dogmatiques. Ne nous enfermons pas nécessairement dans un calendrier au mois ou à l’année près, a estimé, dimanche, Bruno Le Maire. Le système doit être à l’équilibre. A quel moment ? Est-ce qu’il faut prendre une année de plus ? Deux années de plus ? Je ne suis pas forcément pour 2025. Je suis ouvert à cela. » « Il faut accomplir la réforme structurelle promise par le candidat Macron et, en aucun cas, venir la perturber avec des dispositions paramétriques », approuve le député LRM des Deux-Sèvres, Guillaume Chiche.

En attendant la fin du match, la tête de l’Etat joue la sérénité. « Cette semaine n’est pas une semaine comme les autres, mais elle n’est pas cruciale non plus. On ne met pas notre tête sur le billot », estime un conseiller. Il n’empêche, le moindre tir raté coûtera cher au tableau d’affichage à la fin du match.

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11 décembre 2019

Un jour de grève vu par Balkany....

balkany teletravail

11 décembre 2019

Extrait d'un shooting. Photo : Jacques Snap

shoot 20 (16)

11 décembre 2019

Pierre Soulages fête ses cent ans : retour sur 80 ans de création du père de l'outrenoir

soulages

Pierre Soulages, un des plus grands artistes vivants, fêtera ses cent ans à Noël. Retour sur 80 ans de création, des brous de noix à Conques à l'outrenoir.

Pierre Soulages va fêter son centième anniversaire le 24 décembre. A l'approche des cent ans, le père de l'"outrenoir" travaille toujours. Trois des œuvres qui sont exposées dans l'exposition hommage du Louvre, qui débute le 11 décembre, ont été peintes en 2019. Retour sur plus de 80 ans de carrière du plus grand artiste français vivant.

"Enfant, je préférais tremper mes pinceaux dans l'encre noire plutôt que d'employer des couleurs. On m'a raconté que je faisais de grands traits noirs sur le papier, j'aurais répondu que je faisais de la neige", racontait Pierre Soulages en 2009, lors de la rétrospective organisée par Centre Pompidou pour ses 90 ans. Il rendait ainsi le blanc du papier plus blanc en mettant du noir.

Pierre Soulages a toujours aimé le noir : "Ce fut la couleur de mes vêtements dès que j'ai pu les choisir. Ma mère était outrée. Elle me disait : 'Tu veux déjà porter mon deuil ?'", racontait-il à l'AFP en février dernier. Et c'est en noir qu'il s'est marié en 1942 avec Colette, dont il partage la vie depuis 77 ans. En 1979, Pierre Soulages a commencé à ne mettre que du noir sur ses toiles, inventant ce qu'il a appelé l'"outrenoir", un autre "champ mental que le noir".

Le choc de Conques

Pierre Soulages est né en 1919 à Rodez, dans l'Aveyron. Son père, un carrossier qui fabrique des charrettes, meurt alors qu'il n'a que sept ans. Il est élevé par sa mère et sa sœur, plus âgée que lui. Enfant, il s'évade en fréquentant les artisans de son quartier. Il en gardera un goût pour les outils, utilisant des pinceaux de peintre en bâtiment ou fabriquant lui-même ses instruments.

Lors d'un voyage de classe, il visite l'abbatiale romane de Conques (dont il créera les vitraux, des années plus tard), un choc esthétique qui décidera de sa carrière : "C'est (…) là, je peux le dire, que tout jeune j'ai décidé que l'art serait la chose la plus importante de ma vie", disait-il dans un entretien à la Bibliothèque nationale de France en 2001.

Il peint régulièrement à partir de 1934 et monte à 18 ans à Paris pour préparer le concours de l'école des Beaux-Arts. Il est admis mais il trouve l'enseignement médiocre et décide de retourner à Rodez.

La période de la guerre est mouvementée : il est mobilisé en juin 1940, démobilisé début 1941, il étudie à l'Ecole des Beaux-Arts de Montpellier, puis travaille dans un vignoble sous une fausse identité pour échapper au travail obligatoire en Allemagne.

Soulages, ce n'est pas que le noir

La carrière de peintre de Pierre Soulages commence réellement quand il s'installe à Courbevoie, en banlieue parisienne, avec Colette, en 1946. D'emblée, ses œuvres sont abstraites. Il combine d'épaisses lignes verticales, horizontales, obliques, comme des idéogrammes. Il peint sur papier avec du brou de noix, sur des verres cassés avec du goudron.

Au-delà de Conques, il a été impressionné par l'art pariétal, dans lequel il puise ses couleurs. Des couleurs sourdes, de l'ocre au noir en passant par le rouge ou des bruns plus ou moins intenses.

A partir de 1951, Soulages pratique aussi la gravure, sur plaques de cuivres. Ses estampes de petite taille utilisent toutes ces couleurs, en contraste avec le noir. Il réalise plus tard des lithographies où il utilise des couleurs plus vives et contrastées, rouge vermillon, jaune vif, bleu. Puis des sérigraphies (c'est une sérigraphie de Soulages qui est utilisée pour l'affiche du festival d'Avignon en 1996). Sur papier, il peint des gouaches où il introduit des bleus intenses et lumineux.

Dans ses peintures des années 1950 1970, il fait contraster des formes noires avec des fonds colorés, puis il fait apparaître les couleurs du fond en raclant le noir. Ou bien il fait contraster le noir avec le blanc.

L'outrenoir : le noir et la lumière

C'est en 1979 que Pierre Soulages invente l'"outrenoir" et ces toiles, pour lequel il est le plus connu, où il n'utilise que le noir. En 2009, lors de la rétrospective du Centre Pompidou, il expliquait à Hans-Ulrich Obrist que l'"outrenoir" est né alors qu'il était en train de "rater une toile. Un grand barbouillis noir". Malheureux, il est allé dormir. "Au réveil je suis allé voir la toile", racontait-il. "J'ai vu que ce n'était plus le noir qui faisait vivre la toile mais le reflet de la lumière sur les surfaces noires. Sur les zones striées, la lumière vibrait, et sur les zones plates tout était calme." Un nouvel espace s'ouvre, pour lui, devant la toile : "La lumière vient du tableau vers moi, je suis dans le tableau."

Il se met alors à jouer avec la matière de la peinture noire qu'il travaille avec des outils, créant du relief, la rendant luisante ou mate. Dessus, la lumière produit des changements de couleur.

D'une toile en trois panneaux (Peinture 222 x 449 cm, 30 septembre 1983) qu'il avait observée chez lui à Sète, près de la Méditerrannée, et qu'il présentait au Centre Pompidou en 2009, Pierre Soulages a dit : "Certains matins, elle est gris argent. A d'autres moments, captant les reflets d la mer, elle est bleue. A d'autres heures, elle prend des tons de brun cuivré (…). Un jour, je l'ai même vue verte : il y avait eu un orage et un coup de soleil sur les arbres qui ne sont pas loin de là."

Les vitraux de l'abbatiale de Conques, une commande publique, sont une des grandes œuvres de Pierre Soulages. Elles lui ont demandé sept ans de travail, entre 1987 et 1994. Pour les 104 verrières il a imaginé un verre particulier, créé avec le maître-verrier Jean-Dominique Fleury. Il utilise l'opacité et la transparence qu'il a réparties pour faire varier les intensités lumineuses en fonction de l'heure du jour : cela a donné des effets de couleurs inattendus. Des lignes fluides, obliques légèrement courbes, courent sur le verre.

Un autre lieu qu'il faut visiter absolument pour rencontre Soulages, c'est le musée qui lui est consacré dans sa ville natale et qui possède le plus important ensemble de ses oeuvres. Le musée Soulages de Rodez a ouvert ses portes en mai 2014. L'artiste en a accepté l'idée à condition qu'il soit ouvert à d'autres artistes. Il a fait une donation de 500 pièces au musée dont de nombreuses gravures, des gouaches, des encres, des brous de noix, des huiles sur toile et tous les travaux liés à la création des vitraux de Conques (notamment les cartons). Il y a ajouté quatorze peintures dont un Outrenoir de 1986.

Pour ses cent ans, le Louvre rend hommage à Pierre Soulages en exposant dans le Salon Carré une sélection d'une vingtaine d'œuvres couvrant toute sa carrière, prêtées par les grands musées du monde (du 11 décembre 2019 au 9 mars 2020). Le Centre Pompidou expose une sélection de 14 des 25 œuvres de l'artiste conservées dans sa collection, dont sept provenant du legs de Pierrette Bloch jamais encore montrées au Centre. Le musée Fabre de Montpellier, qui possède une collection importante de Soulages, lui rend aussi hommage avec un parcours enrichi de nouvelles oeuvres, dont des prêts.

10 décembre 2019

Iris Brosch (photographe)

iris brosh

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10 décembre 2019

Serge Gainsbourg

gains

gainsbourg birkin newton

gainsbourg

10 décembre 2019

Portrait - François Baroin, l’éternel présidentiable

Par Philippe Ridet

Président de l’Association des maires de France, premier magistrat de Troyes, membre du conseil stratégique des Républicains… François Baroin ne manque pas d’activités. Pourtant, à droite, nombreux sont ceux qui voudraient lui en proposer une autre : candidat à la présidentielle. L’intéressé louvoie.

On trouve tout sur Internet. Même des conseils pour ouvrir les huîtres. C’est de saison. D’abord, repérer le muscle qui ferme le coquillage, puis insérer la lame du couteau et la faire glisser jusqu’à ouverture complète du mollusque. Avec un peu d’adresse et d’entraînement, ça fonctionne. Sauf pour François Baroin… On a pourtant essayé, en le suivant du Parc des expositions de la porte de Versailles, à Paris, où s’est tenu le congrès de l’Association des maires de France (AMF), du 18 au 21 novembre, à son bureau de président de ladite association, jusqu’à Troyes, cette belle préfecture de l’Aube dont il est le maire depuis 1995.

A chaque fois, celui qui fut le plus jeune député de France, et qui se trimballa un ridicule surnom de magicien anglais jusqu’à un âge avancé, a opposé à notre curiosité une amabilité sincère, un franc sourire qui lui fait plisser les yeux, et quelques pirouettes exprimées d’une voix sourde et séduisante, patinée par des milliers de paquets de cigarettes blondes. Le reste ? Sa vie très privée, dont il ne parle jamais, avec sa compagne, l’actrice Michèle Laroque, l’ambition qu’on lui prête de devenir le prochain candidat des Républicains à la présidentielle de 2022, le chagrin provoqué par la disparition de Jacques Chirac, son tuteur et son guide en politique ? Nib de nib, nada, macache bono.

« ETUDIANT, IL ÉTAIT COMME ÇA, DÉCONTRACTÉ, COOLOS. MAIS IL BOSSAIT. C’EST UN FAUX GLANDEUR. » UN COPAIN DE FAC

En revanche, nous pouvons annoncer qu’il a repris le tennis après une longue interruption. Licencié du TC Dunois, le club de Dun-le-Palestel (Creuse), le village d’origine de sa mère, il vient d’enchaîner dix victoires d’affilée, ce qui lui permet d’être classé 15/5. C’est peut-être un détail pour vous, mais, pour lui, ça veut dire beaucoup. « C’est une vraie victoire sur moi-même, dit-il. J’avais l’épaule en vrac. »

On s’attendait à cette réserve. Voilà un quart de siècle que les médias butent sur le mystère Baroin, personnage affable mais cadenassé, que l’on n’ose pas secouer parce qu’il est plein de larmes. Son chagrin le protège de la curiosité des autres. Histoire connue, mais qu’il faut toutefois rappeler. Le 26 avril 1986 : sa sœur Véronique meurt, renversée par une voiture. Le 5 février 1987, le Learjet à bord duquel avait pris place son père, Michel, patron de la GMF (Garantie mutuelle des fonctionnaires), ancien grand flic des RG et de la DST, ancien sous-préfet de l’Aube et ancien grand maître du Grand Orient de France, s’écrase peu après son décollage de Brazzaville.

Jacques Chirac, dont Michel Baroin avait été le condisciple à Sciences Po, prend l’orphelin sous son aile. A sa biographe, Anne Fulda, auteure de François Baroin, le faux discret (éditions JC Lattès, 2012), il confie : « On était une famille. On était quatre et puis, pratiquement du jour au lendemain, on s’est retrouvés à deux. » Pourquoi en dire davantage ? Il sait que la douleur est encombrante. « Quand je monte dans un avion, lâche-t-il, j’ai l’impression d’entrer dans un cercueil. » On loue sa pudeur à défaut de partager sa peine.

Depuis 1993 et sa première élection de député de l’Aube (3e circonscription), l’interrogation s’est imposée aux journalistes. Le jeune homme est intrigant, mélange de force de caractère et de nonchalance. C’est, encore aujourd’hui, le style Baroin. Un copain de fac, à Assas : « Etudiant, il était comme ça, décontracté, coolos. Mais il bossait. C’est un faux glandeur. » « Baroin dents de lait ou dents de requin ? », se demande le magazine VSD en 1995, après sa nomination éphémère comme porte-parole du gouvernement Juppé. Il est alors le plus jeune ministre de la Ve République depuis François Mitterrand.

Neuf ans plus tard, alors qu’il est secrétaire général délégué de l’UMP après la démission contrainte d’Alain Juppé à la suite de sa condamnation, Le Figaro magazine se demande : « Qui est ce Harry Potter de la droite qui, à 38 ans, a de l’ambition et du temps devant lui ? » En 2007, Le Monde le présente aux côtés de Jean-François Copé, de Xavier Bertrand et de Renaud Dutreil comme un de ceux qui pourraient incarner l’avenir de la droite à l’horizon 2012 ou 2017. Mais le quotidien du soir se garde de départager ce quatuor de quadras. « L’énigme François Baroin », titre Le Figaro en 2012. En 2019, Le Journal du dimanche le présente comme « le réserviste de la République ». Réserviste ou planqué ?

« POURQUOI AURAIS-JE DÛ ENDOSSER L’HABIT DU TRAÎTRE ? » FRANÇOIS BAROIN

A chaque élection présidentielle, l’ancien député et sénateur de l’Aube fait partie du casting de la droite. Espoirs vite déçus. Les bonnes raisons, selon lui, ne manquent pas pour expliquer ses choix que d’aucuns appellent des « dérobades » : protéger l’unité de sa famille politique, respecter la parole donnée, la fidélité qu’il doit aux uns et aux autres. En 2004, il refuse de céder à la pression de Chirac qui voudrait l’envoyer à la conquête de la présidence de l’UMP contre Sarkozy, qu’il a toujours admiré même s’il a trahi la cause chiraquienne en 1995. « Un casse-pipe », juge-t-il.

En 2016, il renonce à se porter candidat à la primaire des Républicains, estimant que Sarkozy, qu’il soutient, mérite « un match retour contre François Hollande ». Quelques mois plus tard, nouveau refus d’obstacle. Il aurait pu achever François Fillon, plombé par les affaires, mais il laisse passer son heure. « Pourquoi aurais-je dû endosser l’habit du traître ? », questionne-t-il. Alors que nous traversions l’immense hall d’exposition où se tenait le congrès de l’AMF, nous croisons un élu local de droite, vieille connaissance personnelle. « Que fais-tu là ? », me demande-t-il.

– Un papier sur Baroin.

– Ah ! oui, Baroin, l’homme qui a dit “non”… »

baroin

Ancrage ancien

A deux ans et demi du rendez-vous de la présidentielle, l’éternelle « promesse de l’Aube » est de nouveau dans le paysage. Qui pour emmener la droite républicaine à la présidentielle ? Xavier Bertrand ou Valérie Pécresse, tous deux en marge du parti, ou Baroin, toujours fidèle et qui les domine dans les sondages ? Ses amis s’accordent à louer ses compétences acquises au porte-parolat, à l’outre-mer, à l’intérieur, au budget et aux finances. Ils insistent sur son ancrage ancien. Comme dit l’un d’eux dans une parodie involontaire d’une réclame des années 1950 : « Il possède encore le charme de la nouveauté allié à la solidité de l’expérience. » Reste juste une question à régler. En a-t-il vraiment envie ou bien cède-t-il à un autre désir que le sien en endossant un habit de possible candidat à la présidence de la République ?

Son copain de chasse et de jeunesse du temps des bébés Chirac, Renaud Muselier, président de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, analyse : « Aujourd’hui, notre génération n’a plus personne au-dessus d’elle, plus de chef. La responsabilité tombe sur nos épaules. François a stabilisé sa vie personnelle et professionnelle. Il est à la croisée des chemins. » Président du Sénat, Gérard Larcher enchaîne : « Il aime les gens. Il les écoute, il est profondément humain. Sera-t-il candidat ? Il reste maître de sa décision. Personne ne décidera pour lui. »

Copain de fusil, Christian Jacob

« Frère de lait en Chiraquie » et copain de fusil, Christian Jacob, devenu président des Républicains et qui l’a fait entrer au comité stratégique du parti, le verrait bien lui aussi à l’Elysée, mais il ajoute, prudent : « Je ne ferai pas de pari sur son choix. Mon père disait : « Dans un pari, il y a un menteur et un voleur. » » Son ami l’avocat Francis Szpiner : « Personne ne lui fera faire ce dont il n’a pas envie. Il est équilibré et pas influençable. Sa décision impactera nécessairement ses proches, mais il a le sens de l’Etat. »

Hervé Morin, président de la région Normandie et ancien ministre de la défense, anime la claque : « Il va remettre du lien dans une société déchirée et qui menace de faire sécession. Les Français ont l’intuition qu’Emmanuel Macron est un “fake”. » Julien Dray, qui tenta de le débaucher pour le compte du PS à la demande de François Mitterrand – qui lui aussi fréquentait Michel Baroin – à la fin des années 1980, renchérit : « Sa candidature aurait du sens. Il va tenter sa chance. C’est un homme de circonstances. Seul petit souci : il n’aime pas rendre des coups. » Bref, personne ne sait.

« J’AI ASSUMÉ DES DÉFAITES QUI N’ÉTAIENT PAS LES MIENNES. » FRANÇOIS BAROIN

Dans son bureau de l’AMF, dont les fenêtres s’ouvrent sur la Seine (mais il vaut mieux les tenir fermées, sinon on ne s’entend pas à cause de la circulation sur le quai d’Orsay), François Baroin a tenté de nous éclairer sur ses intentions sans rien en dévoiler. Il a l’habitude de cet exercice. Lors du premier rendez-vous, il nous a dit : « Pendant vingt-cinq ans, j’ai fait de la poloche matin, midi et soir. J’ai soutenu Sarko en 2017, puis je suis allé jusqu’au bout avec Fillon et avec nos candidats aux législatives. J’ai assumé des défaites qui n’étaient pas les miennes. Je voulais aller à la fin de ce cycle. J’ai pris du recul, mais je veux rendre à ma famille politique ce qu’elle m’a apporté. Si on accepte la dualité que Macron et Le Pen veulent installer, on finira un jour par accepter leur alternance. Je ne veux pas me sentir coupable de cette désertion. » Nous en avions déduit qu’il était candidat.

Second rendez-vous, une semaine plus tard, même endroit. « J’ai un rapport au temps qui n’est pas partagé par beaucoup de monde en politique. Je ne me suis jamais précipité. Je suis comme Chirac : je crois que nous sommes en sursis sur cette Terre. Les circonstances familiales font que je sais que tout peut s’arrêter en une seconde. Il faut que ce que j’entreprends soit utile et me corresponde. »

Autour de nous, le photographe et son assistant réglaient les lumières. Il a poursuivi : « Je sais bien qu’on me reproche de ne pas franchir le pas. Mais je suis libre. Je fais ce que je veux. Je ne dois rien à personne sauf à Chirac et aux Troyens. C’est à la fin de l’histoire que l’on sait si on a eu un destin ou pas. Ce sont les autres qui le diront. Ma liberté, c’est de me dire que je suis utile. Je suis moi-même dans toutes mes activités. A Troyes, j’ai pu inscrire mon travail dans la durée. C’est un travail de fond, de marathonien. » On en a donc déduit qu’il ne serait pas candidat.

Avocat, conseiller d’affaires, prof à HEC

La liberté de François Baroin, son emploi du temps en témoigne. Réservant désormais ses interventions publiques à l’élaboration d’une image d’homme politique les deux pieds dans le terroir et buriné par l’expérience, soit le contraire de celle du président de la République (« Les points faibles de Macron sont les points forts de Baroin », synthétise Christian Jacob), il a multiplié les activités. Sa semaine est découpée en tranches aussi fines qu’un jambon de Parme chez un charcutier italien.

Maire de Troyes en fin de semaine et le week-end, où il retrouve son bureau décoré des meubles de son père (table de travail, fauteuils, bibliothèque) lorsqu’il était président de la GMF, il est aussi avocat dans le cabinet de son ami Francis Szpiner, external senior advisor à la banque d’affaires britannique Barclays et professeur à HEC à raison de quelques heures par trimestre. A quoi s’ajoutent aussi la présidence de l’AMF qu’il compte conserver encore un peu, la chasse, la pêche dans la Creuse et le tennis bien sûr.

« François n’a jamais voulu dépendre de la politique, nous raconte Francis Szpiner. Très tôt, il m’a parlé de devenir avocat. Il savait qu’il ne pourrait pas revenir au journalisme après avoir été élu. Nous avons attendu qu’il n’ait plus de mandat parlementaire pour l’associer au sein du cabinet. »

Encore un politique reconverti dans le droit ? « Je peux vous dire que c’est un vrai avocat, s’enthousiasme le défenseur historique de Jacques Chirac. Demandez à Dupont-Moretti qui s’est retrouvé face à lui en décembre 2014 dans l’affaire du lynchage de l’A13 [un homme battu à mort par une bande des Mureaux en juin 2010]. Depuis, François a plaidé une demi-douzaine de fois devant la cour d’assises dans des dossiers lourds tels que des viols sur mineurs. [Il est le défenseur de l’association La Voix de l’enfant.] Il n’est pas venu vendre un carnet d’adresses. Il s’engage vraiment, mais a un grand avantage sur les médiocres : il donne l’impression de tout faire facilement. »

« MON PÈRE ME DISAIT TOUJOURS QU’IL FALLAIT “HISSER SON NIVEAU DE JEU”. C’EST CE QUE JE FAIS. » FRANÇOIS BAROIN

Toutes ces casquettes, dit-il, « élargissent [s]on champ de vision ». Il se sent lui-même où qu’il soit. « Mon père me disait toujours qu’il fallait “hisser son niveau de jeu”. C’est ce que je fais. » Que ce soit aux côtés d’Edgar Faure à la mission du bicentenaire de la Révolution, de Jean-Pierre Elkabbach, qui le recrute à Europe 1 en 1988 après l’avoir vu présenter le livre posthume de son géniteur (La Force de l’amour, Editions Odile Jacob, 1987) sur le plateau de l’émission de télévision « Apostrophes », de Jacques Chirac, qui lui mit le pied à l’étrier en politique, ou encore de Sarkozy, dont il fut le ministre après l’avoir affronté, Baroin observe, enregistre, décrypte.

« De tous les métiers, c’est le journalisme que j’ai préféré et particulièrement le portrait », affirme-t-il comme une évidence. Ajoutant des expériences aux expériences, le maire de Troyes semble toujours à la recherche de lui-même, de sa vérité profonde. Nicolas Sarkozy lui adresse un compliment rare, étrange et très elliptique dans son livre Passions (Editions de l’Observatoire, 2019) : « Il est intelligent, sympathique et fidèle. A n’en point douter, ces qualités en font un compagnon rare. » Mais un président de la République ?

« IL NE SORTIRA DE LA TRANCHÉE QUE SI LES BOMBES CESSENT DE PLEUVOIR. » UN AMI

Comme tous ceux qui savent que le bonheur est fragile, François Baroin connaît le prix du sien. Toutes ses activités l’étayent comme un édifice fragilisé par un tremblement de terre. « Il ne sortira de la tranchée que si les bombes cessent de pleuvoir », raconte un des amis avec qui il réfléchit à une éventuelle candidature. « Douze combats, douze victoires », se félicite le président de l’AMF quand il détaille ses trophées électoraux.

Alors faut-il prendre le risque d’une défaite ? « Déjà, quand on y pense tous les jours, ce n’est pas facile, alors… », a lâché Nicolas Sarkozy, qui a fait le deuil du bonheur durant sa campagne marathon conduite pendant tout le dernier mandat de Jacques Chirac. « A la chasse, le tir n’est jamais obligatoire », nous a confié Christian Jacob. Et, en politique, la dernière marche est-elle nécessairement un aboutissement ?

Président de l’Assemblée des départements de France et ancien ministre notamment des gouvernements Raffarin et Fillon, Dominique Bussereau concède : « La question de son bonheur, ça le rend sympathique, mais cela ne plaide pas pour son engagement. Il n’ira pas pour faire 15 % comme Rachida Dati à Paris. »

Député des Alpes-Maritimes, Eric Ciotti est un autre compagnon de chasse de François Baroin. « Il dit souvent : “Si je ne suis pas président, ma vie ne sera pas ratée pour autant.” En 2017, déjà, la question de sa candidature s’est posée comme une alternative à celle de Fillon. La majorité des parlementaires étaient pour. Il n’a pas voulu brusquer son destin. Pourtant, un appel de 200 sénateurs et députés pour une candidature Baroin, ça aurait eu de la gueule, non ? Un Wauquiez aurait foncé ! » « Est-ce qu’il a envie de se sortir les doigts ? », s’interroge, soudain inquiet, Hervé Morin. A Brice Hortefeux, l’ami de quarante ans de Nicolas Sarkozy, François Baroin a lâché : « Vous pouvez m’encourager, mais pas me pousser. » Nuance…

Un Chirac moins mécanique

Jeudi 28 novembre, François Baroin a appuyé sur le bouton qui déclenche les illuminations à Troyes. Il y avait des enfants partout. Il a serré des centaines de mains, fait des dizaines de selfies avec des jeunes filles, lancé des « Ça va ? » à quiconque le regardait, claqué des bises à qui mieux mieux. Ça sentait la pomme d’amour, la guimauve et le vin chaud. On a bien cru revoir le Jacques Chirac de 1994. Mais un Chirac moins mécanique peut-être, plus naturellement empathique, authentiquement sincère.

Auparavant, il avait présidé une table ronde dans le quartier des Marots. Au menu : pistes cyclables dangereuses, crottes de chiens qui collent aux roues des fauteuils roulants, poubelles pas assez nombreuses ou mal placées. Entouré de quelques-uns de ses adjoints, le maire prend des notes. Il détend l’assistance d’un bon mot, d’une blague.

A la fin, un habitant a dit : « Bon, c’est bien toutes ces promesses, mais serez-vous encore là pour les tenir dans les années qui viennent ? » François Baroin a pris le temps de répondre, sourire en coin : « Ce qui m’intéresse le plus, et de loin, c’est d’être maire. J’ai grandi dans cette ville. J’en connais les rues, les maisons. Les gens me sourient. Ce sourire emporte tout et toutes les supputations. » Bon sang, mais c’est bien sûr ! Tout devenait plus clair à présent. Oui, il allait se présenter. A Troyes pour commencer.

10 décembre 2019

James Bond

bond

10 décembre 2019

Marine Vacth

marinz33

9 décembre 2019

Le dialogue difficile sur la guerre en Ukraine passe par Paris

Par Piotr Smolar

Vladimir Poutine et son homologue ukrainien doivent se retrouver pour la première fois lundi à l’Elysée, en présence d’Emmanuel Macron et d’Angela Merkel.

Sortir d’une impasse ne signifie pas forcément trouver une issue. Ainsi se résume l’atmosphère paradoxale qui précède le sommet dit « au format Normandie », prévu lundi 9 décembre. Il doit réunir à l’Elysée le président russe, Vladimir Poutine, et son homologue ukrainien, Volodymyr Zelensky, sous la médiation de la chancelière allemande, Angela Merkel, et d’Emmanuel Macron.

La dernière réunion de ce genre, en octobre 2016 à Berlin, avait été un échec. « Chacune avec sa sensibilité, la France et l’Allemagne estiment qu’on n’avancera pas sur la sécurité européenne sans progrès sur la guerre en Ukraine, explique une source française. C’est le passage obligé. » Et le vrai « test » des intentions russes, après les ouvertures récentes de Paris, estime-t-on au Quai d’Orsay.

Mais au-delà de la photo de groupe attendue, le doute domine sur les marges de manœuvre pour résoudre le conflit lancinant dans l’est de l’Ukraine, qui a fait plus de 13 000 morts en cinq ans. L’élection spectaculaire de M. Zelensky en avril (avec 73 % des voix) a relancé un dialogue entre Kiev et Moscou. Mais les positions des protagonistes sur le volet politique divergent. Le rôle dual de la Russie, initiatrice de la guerre et médiatrice de façade avec les séparatistes, n’y est pas pour rien.

Dans un entretien au Monde le 3 décembre, le président ukrainien a appelé de ses vœux une inversion de la séquence prévue par les accords de Minsk (2015). Il a rejeté l’idée que les élections dans l’Est soient un préalable, avant toute reprise en main de la frontière orientale. Inadmissible pour la Russie, qui insiste sur le statut spécial prévu pour l’Est, avant tout vote. « C’est le séquençage de Minsk qui détermine le vainqueur et celui qui capitule », résume l’analyste russe Vladimir Frolov, ancien diplomate.

Arrivé au pouvoir dans un contexte difficile, Volodymyr Zelensky s’est illustré par son pragmatisme. Alors que le blocage politique était complet depuis trois ans avec Moscou, sous le président Petro Porochenko, le nouveau venu a rétabli le contact. Des gestes ont été consentis. Le désengagement militaire dans trois zones pilotes le long de la ligne de front de près de 450 km a été enfin réalisé de part et d’autre. Puis sont venus l’échange de 70 prisonniers début septembre, et le retour de trois navires de guerre ukrainiens à la mi-novembre, saisis un an plus tôt par la Russie.

Approche graduelle

Cette approche graduelle n’a pas d’alternative. Mais la normalisation dans l’Est et son retour sous l’autorité de Kiev restent hors de portée. Les diplomates français espèrent qu’un calendrier sera discuté, en vue d’élections. Réalistes, ils se penchent surtout sur de nouvelles zones potentielles de désengagement, un autre échange de prisonniers, le grand défi du déminage. Ces pas permettraient de transformer la guerre de basse intensité en conflit gelé. L’idée d’une force d’interposition est aussi débattue par les experts. Morne horizon, même s’il garantirait une baisse du nombre de victimes. A terme, il faudra aborder le problème des nombreux disparus et des 2 millions de déplacés.

« La situation reste très mauvaise sur le terrain, explique Ioulia Shukan, chercheuse à l’université Paris-Nanterre, familière du Donbass. Beaucoup d’usines ont fermé, le chômage explose. On constate des difficultés de déplacement sur la ligne de front dans un rayon de 50 km, ainsi que des tirs réguliers, quotidiens, pour des raisons surtout tactiques, en des points de tension. » La réduction de ces incidents constitue une priorité, et même un préalable au reste.

Pour ce qui concerne l’agenda politique, en revanche, Mathieu Boulègue, expert au cercle de réflexion Chatham House à Londres, met en garde contre un excès d’optimisme. « On a du mal à accepter qu’il faut progresser par petits pas dans l’est de l’Ukraine, avec une approche humaine, avant de se lancer dans des considérations politico-électorales, dit-il. On a interprété de façon trop positive les gestes récents de la Russie, comme les premières libérations de prisonniers ou le retour des navires de guerre, totalement inutilisables car saccagés. Cela ne leur coûte rien politiquement. La vraie bonne volonté consisterait à favoriser un désarmement dans le Donbass. »

Or, les quelque 40 000 séparatistes armés et leur parrain russe ne veulent rien entendre avant que le statut spécial du Donbass – soit une large autonomie – ne soit garanti. Ils souhaitent aussi une amnistie, inacceptable pour l’opinion publique ukrainienne si elle couvrait les crimes de guerre. De son côté, Kiev voudrait la tenue d’élections libres, ce qui nécessiterait une maîtrise sécuritaire dans les deux provinces de Louhansk et Donetsk, ainsi que le contrôle de la frontière, porte battante aux mains de la Russie, par laquelle hommes et armes peuvent transiter.

Malgré la grande ampleur de sa victoire, confirmée aux législatives, M. Zelensky se trouve dans une position délicate. Une partie de l’opinion rejette tout compromis sur le Donbass. Le jeune chef de l’Etat a besoin d’engranger des victoires au moins symboliques avec Moscou, pour imprimer sa marque. La deuxième difficulté est l’isolement de l’Ukraine. Sa transformation en sujet de polémique aux Etats-Unis, dans le cadre de la procédure d’impeachment lancée contre M. Trump, montre aussi, en creux, l’indifférence de l’administration américaine à son égard.

Pour Washington, l’Ukraine est devenue secondaire. Allié traditionnel de Kiev, le Royaume-Uni, lui, se consume dans le Brexit. Quant à M. Macron, il a noué une bonne relation personnelle avec M. Zelensky, mais sa grille de lecture géopolitique, dessinée dans l’entretien à The Economist début novembre, montre les priorités du président. Il n’insiste pas sur l’annexion de la Crimée et ses implications en termes de droit international.

Ouverture française

M. Macron veut « repenser la relation stratégique avec la Russie sans naïveté aucune ». Il reconnaît qu’il s’engage là sur « un axe » qui ne devrait pas donner « des résultats dans les dix-huit ou vingt-quatre mois ». Le 4 décembre à Londres, lors du sommet de l’OTAN, le président français a souligné que Moscou était à la fois « une menace », en référence à ses activités cyber, à l’Ukraine et aux conflits gelés, et « un partenaire », ce qui reste à démontrer.

A Moscou, cette ouverture française a suscité un contentement, mais les priorités ne changent pas. L’idée d’un retour de l’Etat ukrainien dans le Donbass priverait la Russie d’un instrument de déstabilisation de son voisin. Au contraire, elle distribue des passeports aux habitants locaux. Cette capacité de nuisance importe davantage, dans une lecture géopolitique privilégiée par le Kremlin, que son coût financier. M. Zelensky prétend incarner une rupture, solidifier l’Etat de droit et libérer le secteur privé. Les puissants réseaux oligarchiques et la corruption constituent des obstacles immenses. Mais à long terme, une réussite ukrainienne offrirait à la Russie un miroir peu flatteur.

Vladislav Sourkov, conseiller de Vladimir Poutine, a la main sur le dossier ukrainien. L’un de ses proches, l’analyste politique Alexeï Tchesnakov, appelle le président Zelensky à la clarté. « Les élections sont une condition pour que l’Ukraine reprenne sa frontière, pas l’inverse, dit-il. S’il veut abandonner les accords de Minsk, il doit le dire. La France et l’Allemagne, qui ont une position assez pragmatique, perdraient alors la face, et la Russie s’adresserait aux pays européens pour se plaindre des sanctions qui la visent. » La France, au contraire, veut espérer qu’une levée partielle des sanctions représente pour Moscou une motivation pour agir. « Poutine a une fenêtre de tir à exploiter et il n’en aura pas beaucoup », veut-on croire au Quai d’Orsay.

Les gestes de bonne volonté que pourrait consentir Vladimir Poutine ne concernent que la situation militaire et humanitaire. « Poutine se montrerait accommodant si Zelensky proposait de normaliser certains aspects de la relation bilatérale, par exemple la réouverture des vols directs entre Moscou et Kiev, dit l’analyste Vladimir Frolov. Il pourrait même lever certaines sanctions économiques et individuelles mutuelles, et des interdictions d’entrée sur le territoire. Cela aiderait Macron à vendre l’illusion que sa nouvelle approche envers la Russie fonctionne. »

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