Par Philippe Ridet
Président de l’Association des maires de France, premier magistrat de Troyes, membre du conseil stratégique des Républicains… François Baroin ne manque pas d’activités. Pourtant, à droite, nombreux sont ceux qui voudraient lui en proposer une autre : candidat à la présidentielle. L’intéressé louvoie.
On trouve tout sur Internet. Même des conseils pour ouvrir les huîtres. C’est de saison. D’abord, repérer le muscle qui ferme le coquillage, puis insérer la lame du couteau et la faire glisser jusqu’à ouverture complète du mollusque. Avec un peu d’adresse et d’entraînement, ça fonctionne. Sauf pour François Baroin… On a pourtant essayé, en le suivant du Parc des expositions de la porte de Versailles, à Paris, où s’est tenu le congrès de l’Association des maires de France (AMF), du 18 au 21 novembre, à son bureau de président de ladite association, jusqu’à Troyes, cette belle préfecture de l’Aube dont il est le maire depuis 1995.
A chaque fois, celui qui fut le plus jeune député de France, et qui se trimballa un ridicule surnom de magicien anglais jusqu’à un âge avancé, a opposé à notre curiosité une amabilité sincère, un franc sourire qui lui fait plisser les yeux, et quelques pirouettes exprimées d’une voix sourde et séduisante, patinée par des milliers de paquets de cigarettes blondes. Le reste ? Sa vie très privée, dont il ne parle jamais, avec sa compagne, l’actrice Michèle Laroque, l’ambition qu’on lui prête de devenir le prochain candidat des Républicains à la présidentielle de 2022, le chagrin provoqué par la disparition de Jacques Chirac, son tuteur et son guide en politique ? Nib de nib, nada, macache bono.
« ETUDIANT, IL ÉTAIT COMME ÇA, DÉCONTRACTÉ, COOLOS. MAIS IL BOSSAIT. C’EST UN FAUX GLANDEUR. » UN COPAIN DE FAC
En revanche, nous pouvons annoncer qu’il a repris le tennis après une longue interruption. Licencié du TC Dunois, le club de Dun-le-Palestel (Creuse), le village d’origine de sa mère, il vient d’enchaîner dix victoires d’affilée, ce qui lui permet d’être classé 15/5. C’est peut-être un détail pour vous, mais, pour lui, ça veut dire beaucoup. « C’est une vraie victoire sur moi-même, dit-il. J’avais l’épaule en vrac. »
On s’attendait à cette réserve. Voilà un quart de siècle que les médias butent sur le mystère Baroin, personnage affable mais cadenassé, que l’on n’ose pas secouer parce qu’il est plein de larmes. Son chagrin le protège de la curiosité des autres. Histoire connue, mais qu’il faut toutefois rappeler. Le 26 avril 1986 : sa sœur Véronique meurt, renversée par une voiture. Le 5 février 1987, le Learjet à bord duquel avait pris place son père, Michel, patron de la GMF (Garantie mutuelle des fonctionnaires), ancien grand flic des RG et de la DST, ancien sous-préfet de l’Aube et ancien grand maître du Grand Orient de France, s’écrase peu après son décollage de Brazzaville.
Jacques Chirac, dont Michel Baroin avait été le condisciple à Sciences Po, prend l’orphelin sous son aile. A sa biographe, Anne Fulda, auteure de François Baroin, le faux discret (éditions JC Lattès, 2012), il confie : « On était une famille. On était quatre et puis, pratiquement du jour au lendemain, on s’est retrouvés à deux. » Pourquoi en dire davantage ? Il sait que la douleur est encombrante. « Quand je monte dans un avion, lâche-t-il, j’ai l’impression d’entrer dans un cercueil. » On loue sa pudeur à défaut de partager sa peine.
Depuis 1993 et sa première élection de député de l’Aube (3e circonscription), l’interrogation s’est imposée aux journalistes. Le jeune homme est intrigant, mélange de force de caractère et de nonchalance. C’est, encore aujourd’hui, le style Baroin. Un copain de fac, à Assas : « Etudiant, il était comme ça, décontracté, coolos. Mais il bossait. C’est un faux glandeur. » « Baroin dents de lait ou dents de requin ? », se demande le magazine VSD en 1995, après sa nomination éphémère comme porte-parole du gouvernement Juppé. Il est alors le plus jeune ministre de la Ve République depuis François Mitterrand.
Neuf ans plus tard, alors qu’il est secrétaire général délégué de l’UMP après la démission contrainte d’Alain Juppé à la suite de sa condamnation, Le Figaro magazine se demande : « Qui est ce Harry Potter de la droite qui, à 38 ans, a de l’ambition et du temps devant lui ? » En 2007, Le Monde le présente aux côtés de Jean-François Copé, de Xavier Bertrand et de Renaud Dutreil comme un de ceux qui pourraient incarner l’avenir de la droite à l’horizon 2012 ou 2017. Mais le quotidien du soir se garde de départager ce quatuor de quadras. « L’énigme François Baroin », titre Le Figaro en 2012. En 2019, Le Journal du dimanche le présente comme « le réserviste de la République ». Réserviste ou planqué ?
« POURQUOI AURAIS-JE DÛ ENDOSSER L’HABIT DU TRAÎTRE ? » FRANÇOIS BAROIN
A chaque élection présidentielle, l’ancien député et sénateur de l’Aube fait partie du casting de la droite. Espoirs vite déçus. Les bonnes raisons, selon lui, ne manquent pas pour expliquer ses choix que d’aucuns appellent des « dérobades » : protéger l’unité de sa famille politique, respecter la parole donnée, la fidélité qu’il doit aux uns et aux autres. En 2004, il refuse de céder à la pression de Chirac qui voudrait l’envoyer à la conquête de la présidence de l’UMP contre Sarkozy, qu’il a toujours admiré même s’il a trahi la cause chiraquienne en 1995. « Un casse-pipe », juge-t-il.
En 2016, il renonce à se porter candidat à la primaire des Républicains, estimant que Sarkozy, qu’il soutient, mérite « un match retour contre François Hollande ». Quelques mois plus tard, nouveau refus d’obstacle. Il aurait pu achever François Fillon, plombé par les affaires, mais il laisse passer son heure. « Pourquoi aurais-je dû endosser l’habit du traître ? », questionne-t-il. Alors que nous traversions l’immense hall d’exposition où se tenait le congrès de l’AMF, nous croisons un élu local de droite, vieille connaissance personnelle. « Que fais-tu là ? », me demande-t-il.
– Un papier sur Baroin.
– Ah ! oui, Baroin, l’homme qui a dit “non”… »
Ancrage ancien
A deux ans et demi du rendez-vous de la présidentielle, l’éternelle « promesse de l’Aube » est de nouveau dans le paysage. Qui pour emmener la droite républicaine à la présidentielle ? Xavier Bertrand ou Valérie Pécresse, tous deux en marge du parti, ou Baroin, toujours fidèle et qui les domine dans les sondages ? Ses amis s’accordent à louer ses compétences acquises au porte-parolat, à l’outre-mer, à l’intérieur, au budget et aux finances. Ils insistent sur son ancrage ancien. Comme dit l’un d’eux dans une parodie involontaire d’une réclame des années 1950 : « Il possède encore le charme de la nouveauté allié à la solidité de l’expérience. » Reste juste une question à régler. En a-t-il vraiment envie ou bien cède-t-il à un autre désir que le sien en endossant un habit de possible candidat à la présidence de la République ?
Son copain de chasse et de jeunesse du temps des bébés Chirac, Renaud Muselier, président de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, analyse : « Aujourd’hui, notre génération n’a plus personne au-dessus d’elle, plus de chef. La responsabilité tombe sur nos épaules. François a stabilisé sa vie personnelle et professionnelle. Il est à la croisée des chemins. » Président du Sénat, Gérard Larcher enchaîne : « Il aime les gens. Il les écoute, il est profondément humain. Sera-t-il candidat ? Il reste maître de sa décision. Personne ne décidera pour lui. »
Copain de fusil, Christian Jacob
« Frère de lait en Chiraquie » et copain de fusil, Christian Jacob, devenu président des Républicains et qui l’a fait entrer au comité stratégique du parti, le verrait bien lui aussi à l’Elysée, mais il ajoute, prudent : « Je ne ferai pas de pari sur son choix. Mon père disait : « Dans un pari, il y a un menteur et un voleur. » » Son ami l’avocat Francis Szpiner : « Personne ne lui fera faire ce dont il n’a pas envie. Il est équilibré et pas influençable. Sa décision impactera nécessairement ses proches, mais il a le sens de l’Etat. »
Hervé Morin, président de la région Normandie et ancien ministre de la défense, anime la claque : « Il va remettre du lien dans une société déchirée et qui menace de faire sécession. Les Français ont l’intuition qu’Emmanuel Macron est un “fake”. » Julien Dray, qui tenta de le débaucher pour le compte du PS à la demande de François Mitterrand – qui lui aussi fréquentait Michel Baroin – à la fin des années 1980, renchérit : « Sa candidature aurait du sens. Il va tenter sa chance. C’est un homme de circonstances. Seul petit souci : il n’aime pas rendre des coups. » Bref, personne ne sait.
« J’AI ASSUMÉ DES DÉFAITES QUI N’ÉTAIENT PAS LES MIENNES. » FRANÇOIS BAROIN
Dans son bureau de l’AMF, dont les fenêtres s’ouvrent sur la Seine (mais il vaut mieux les tenir fermées, sinon on ne s’entend pas à cause de la circulation sur le quai d’Orsay), François Baroin a tenté de nous éclairer sur ses intentions sans rien en dévoiler. Il a l’habitude de cet exercice. Lors du premier rendez-vous, il nous a dit : « Pendant vingt-cinq ans, j’ai fait de la poloche matin, midi et soir. J’ai soutenu Sarko en 2017, puis je suis allé jusqu’au bout avec Fillon et avec nos candidats aux législatives. J’ai assumé des défaites qui n’étaient pas les miennes. Je voulais aller à la fin de ce cycle. J’ai pris du recul, mais je veux rendre à ma famille politique ce qu’elle m’a apporté. Si on accepte la dualité que Macron et Le Pen veulent installer, on finira un jour par accepter leur alternance. Je ne veux pas me sentir coupable de cette désertion. » Nous en avions déduit qu’il était candidat.
Second rendez-vous, une semaine plus tard, même endroit. « J’ai un rapport au temps qui n’est pas partagé par beaucoup de monde en politique. Je ne me suis jamais précipité. Je suis comme Chirac : je crois que nous sommes en sursis sur cette Terre. Les circonstances familiales font que je sais que tout peut s’arrêter en une seconde. Il faut que ce que j’entreprends soit utile et me corresponde. »
Autour de nous, le photographe et son assistant réglaient les lumières. Il a poursuivi : « Je sais bien qu’on me reproche de ne pas franchir le pas. Mais je suis libre. Je fais ce que je veux. Je ne dois rien à personne sauf à Chirac et aux Troyens. C’est à la fin de l’histoire que l’on sait si on a eu un destin ou pas. Ce sont les autres qui le diront. Ma liberté, c’est de me dire que je suis utile. Je suis moi-même dans toutes mes activités. A Troyes, j’ai pu inscrire mon travail dans la durée. C’est un travail de fond, de marathonien. » On en a donc déduit qu’il ne serait pas candidat.
Avocat, conseiller d’affaires, prof à HEC
La liberté de François Baroin, son emploi du temps en témoigne. Réservant désormais ses interventions publiques à l’élaboration d’une image d’homme politique les deux pieds dans le terroir et buriné par l’expérience, soit le contraire de celle du président de la République (« Les points faibles de Macron sont les points forts de Baroin », synthétise Christian Jacob), il a multiplié les activités. Sa semaine est découpée en tranches aussi fines qu’un jambon de Parme chez un charcutier italien.
Maire de Troyes en fin de semaine et le week-end, où il retrouve son bureau décoré des meubles de son père (table de travail, fauteuils, bibliothèque) lorsqu’il était président de la GMF, il est aussi avocat dans le cabinet de son ami Francis Szpiner, external senior advisor à la banque d’affaires britannique Barclays et professeur à HEC à raison de quelques heures par trimestre. A quoi s’ajoutent aussi la présidence de l’AMF qu’il compte conserver encore un peu, la chasse, la pêche dans la Creuse et le tennis bien sûr.
« François n’a jamais voulu dépendre de la politique, nous raconte Francis Szpiner. Très tôt, il m’a parlé de devenir avocat. Il savait qu’il ne pourrait pas revenir au journalisme après avoir été élu. Nous avons attendu qu’il n’ait plus de mandat parlementaire pour l’associer au sein du cabinet. »
Encore un politique reconverti dans le droit ? « Je peux vous dire que c’est un vrai avocat, s’enthousiasme le défenseur historique de Jacques Chirac. Demandez à Dupont-Moretti qui s’est retrouvé face à lui en décembre 2014 dans l’affaire du lynchage de l’A13 [un homme battu à mort par une bande des Mureaux en juin 2010]. Depuis, François a plaidé une demi-douzaine de fois devant la cour d’assises dans des dossiers lourds tels que des viols sur mineurs. [Il est le défenseur de l’association La Voix de l’enfant.] Il n’est pas venu vendre un carnet d’adresses. Il s’engage vraiment, mais a un grand avantage sur les médiocres : il donne l’impression de tout faire facilement. »
« MON PÈRE ME DISAIT TOUJOURS QU’IL FALLAIT “HISSER SON NIVEAU DE JEU”. C’EST CE QUE JE FAIS. » FRANÇOIS BAROIN
Toutes ces casquettes, dit-il, « élargissent [s]on champ de vision ». Il se sent lui-même où qu’il soit. « Mon père me disait toujours qu’il fallait “hisser son niveau de jeu”. C’est ce que je fais. » Que ce soit aux côtés d’Edgar Faure à la mission du bicentenaire de la Révolution, de Jean-Pierre Elkabbach, qui le recrute à Europe 1 en 1988 après l’avoir vu présenter le livre posthume de son géniteur (La Force de l’amour, Editions Odile Jacob, 1987) sur le plateau de l’émission de télévision « Apostrophes », de Jacques Chirac, qui lui mit le pied à l’étrier en politique, ou encore de Sarkozy, dont il fut le ministre après l’avoir affronté, Baroin observe, enregistre, décrypte.
« De tous les métiers, c’est le journalisme que j’ai préféré et particulièrement le portrait », affirme-t-il comme une évidence. Ajoutant des expériences aux expériences, le maire de Troyes semble toujours à la recherche de lui-même, de sa vérité profonde. Nicolas Sarkozy lui adresse un compliment rare, étrange et très elliptique dans son livre Passions (Editions de l’Observatoire, 2019) : « Il est intelligent, sympathique et fidèle. A n’en point douter, ces qualités en font un compagnon rare. » Mais un président de la République ?
« IL NE SORTIRA DE LA TRANCHÉE QUE SI LES BOMBES CESSENT DE PLEUVOIR. » UN AMI
Comme tous ceux qui savent que le bonheur est fragile, François Baroin connaît le prix du sien. Toutes ses activités l’étayent comme un édifice fragilisé par un tremblement de terre. « Il ne sortira de la tranchée que si les bombes cessent de pleuvoir », raconte un des amis avec qui il réfléchit à une éventuelle candidature. « Douze combats, douze victoires », se félicite le président de l’AMF quand il détaille ses trophées électoraux.
Alors faut-il prendre le risque d’une défaite ? « Déjà, quand on y pense tous les jours, ce n’est pas facile, alors… », a lâché Nicolas Sarkozy, qui a fait le deuil du bonheur durant sa campagne marathon conduite pendant tout le dernier mandat de Jacques Chirac. « A la chasse, le tir n’est jamais obligatoire », nous a confié Christian Jacob. Et, en politique, la dernière marche est-elle nécessairement un aboutissement ?
Président de l’Assemblée des départements de France et ancien ministre notamment des gouvernements Raffarin et Fillon, Dominique Bussereau concède : « La question de son bonheur, ça le rend sympathique, mais cela ne plaide pas pour son engagement. Il n’ira pas pour faire 15 % comme Rachida Dati à Paris. »
Député des Alpes-Maritimes, Eric Ciotti est un autre compagnon de chasse de François Baroin. « Il dit souvent : “Si je ne suis pas président, ma vie ne sera pas ratée pour autant.” En 2017, déjà, la question de sa candidature s’est posée comme une alternative à celle de Fillon. La majorité des parlementaires étaient pour. Il n’a pas voulu brusquer son destin. Pourtant, un appel de 200 sénateurs et députés pour une candidature Baroin, ça aurait eu de la gueule, non ? Un Wauquiez aurait foncé ! » « Est-ce qu’il a envie de se sortir les doigts ? », s’interroge, soudain inquiet, Hervé Morin. A Brice Hortefeux, l’ami de quarante ans de Nicolas Sarkozy, François Baroin a lâché : « Vous pouvez m’encourager, mais pas me pousser. » Nuance…
Un Chirac moins mécanique
Jeudi 28 novembre, François Baroin a appuyé sur le bouton qui déclenche les illuminations à Troyes. Il y avait des enfants partout. Il a serré des centaines de mains, fait des dizaines de selfies avec des jeunes filles, lancé des « Ça va ? » à quiconque le regardait, claqué des bises à qui mieux mieux. Ça sentait la pomme d’amour, la guimauve et le vin chaud. On a bien cru revoir le Jacques Chirac de 1994. Mais un Chirac moins mécanique peut-être, plus naturellement empathique, authentiquement sincère.
Auparavant, il avait présidé une table ronde dans le quartier des Marots. Au menu : pistes cyclables dangereuses, crottes de chiens qui collent aux roues des fauteuils roulants, poubelles pas assez nombreuses ou mal placées. Entouré de quelques-uns de ses adjoints, le maire prend des notes. Il détend l’assistance d’un bon mot, d’une blague.
A la fin, un habitant a dit : « Bon, c’est bien toutes ces promesses, mais serez-vous encore là pour les tenir dans les années qui viennent ? » François Baroin a pris le temps de répondre, sourire en coin : « Ce qui m’intéresse le plus, et de loin, c’est d’être maire. J’ai grandi dans cette ville. J’en connais les rues, les maisons. Les gens me sourient. Ce sourire emporte tout et toutes les supputations. » Bon sang, mais c’est bien sûr ! Tout devenait plus clair à présent. Oui, il allait se présenter. A Troyes pour commencer.