Par Audrey Garric
196 pays, réunis du 2 au 13 décembre à Madrid, sont appelés à relever leurs ambitions climatiques, à commencer par les plus gros pollueurs dont l’Union européenne.
C’est un véritable tour de force auquel est parvenue l’Espagne : organiser une conférence des Nations unies sur le climat, la COP25, en seulement quatre semaines, là où les précédents hôtes disposaient d’une année de préparation. Une gageure pour réorienter 29 000 personnes de Santiago vers Madrid, après le désistement du Chili, secoué par une violente crise sociale. Mais c’est un exploit bien plus grand qui est attendu des 196 pays qui se réuniront dans la capitale espagnole du 2 au 13 décembre : accélérer la lutte contre la crise climatique, alors que les inondations, ouragans ou encore incendies se multiplient partout dans le monde.
Les Etats n’ont jamais été aussi loin du compte. Les émissions mondiales de gaz à effet de serre ont progressé de 1,5 % par an en moyenne au cours de la dernière décennie pour atteindre un record historique l’an dernier. Et aucun signal ne laisse présager un changement de trajectoire de ces rejets, majoritairement issus de la combustion des énergies fossiles. Même les engagements pris par les 197 signataires de l’accord de Paris pour enrayer le dérèglement climatique sont totalement insuffisants : ils mettent la planète sur une trajectoire de réchauffement de 3,2 °C d’ici à la fin du siècle, bien loin des 2 °C, et si possible 1,5 °C, prévus par le traité international conclu en 2015.
« Une COP de l’action »
« Il y a une dissonance sidérante entre la crise climatique et la réponse des Etats, qui sont à la traîne », s’indigne Laurence Tubiana, l’ancienne ambassadrice de la France lors de la COP21. Une incompréhension partagée par des centaines de milliers de jeunes qui ont encore défilé dans de nombreux pays, vendredi 29 novembre, inspirés par la jeune militante suédoise Greta Thunberg.
L’urgence est telle que, désormais, les délégués, les observateurs ou encore le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, n’ont plus qu’une expression à la bouche : « Relever l’ambition » – comprendre accroître les efforts que les pays sont prêts à consentir d’abord à court terme, c’est-à-dire en 2030, et ensuite à long terme, en 2050. D’ici à la fin 2020, les Etats doivent soumettre de nouveaux plans climatiques plus ambitieux (ce que l’on appelle les NDCs en anglais), comme le prévoit l’accord de Paris. La conférence de Madrid doit accélérer ce processus crucial, qui s’achèvera à la COP26 prévue en novembre 2020 à Glasgow (Royaume-Uni). « La COP25 est une COP de l’action », assure la présidente de la conférence, la ministre chilienne de l’environnement, Carolina Schmidt.
A moins d’un an de l’échéance, un seul pays a rendu sa copie : les îles Marshall. Soixante-huit Etats (Chili, Mexique, Argentine, Fidji, etc.) se sont engagés à rehausser leurs efforts avant la fin de l’année prochaine, mais ils ne représentent que 7 % des émissions de CO2. Manquent à l’appel les grandes puissances, celles du G20 notamment qui pèsent pour 80 % des émissions globales. « Aucune d’entre elles ne prend aujourd’hui ses responsabilités, regrette Lucile Dufour, responsable des négociations internationales au Réseau action climat. Pire, certains parlent déjà de ne pas relever leur ambition, comme le Japon.
L’absence d’Emmanuel Macron
Le multilatéralisme nécessaire à l’action climatique pâtit d’un contexte géopolitique défavorable. Il est mis à mal par les Etats-Unis, dont Donald Trump a engagé en novembre le retrait formel de l’accord de Paris. Mais aussi par le Brésil, dirigé par le président climatosceptique Jair Bolsonaro – qui a refusé d’accueillir la COP25 –, ou encore l’Australie, menée par le conservateur Scott Morrison, deux pays qui ont boudé, en septembre, le sommet spécial de l’ONU sur le climat.
Plus de quarante chefs d’Etat et de gouvernement assisteront à l’ouverture de la COP25 à Madrid lundi. La France sera représentée par le premier ministre Edouard Philippe, accompagné de la secrétaire d’Etat Brune Poirson. « Emmanuel Macron, déjà absent en Pologne lors de la COP24 en 2018, aurait dû se rendre à Madrid pour donner du poids à la voix française et contrecarrer les attaques contre l’accord de Paris », dénonce Clément Sénéchal, chargé de campagne Climat à Greenpeace France. « La mobilisation est générale au plus haut niveau de l’Etat », répond-on du côté de Matignon.
Au-delà de la France, tous les regards sont tournés vers l’Union européenne (UE), troisième pollueur mondial après la Chine et les Etats-Unis, dont le Parlement a voté l’urgence climatique jeudi 28 novembre. « C’est désormais à l’Europe, hôte des COP24, COP25 et COP26, d’envoyer un signal fort au reste du monde pour créer un effet d’entraînement », estime Pierre Cannet, codirecteur des programmes au WWF France. L’entrée en fonction de la nouvelle Commission européenne, le 1er décembre, laisse entrevoir un signal d’espoir. Sa présidente, l’Allemande Ursula von der Leyen, a promis la neutralité carbone en 2050, et elle soutient une réduction des émissions des gaz à effet de serre de l’Union de 50 % à 55 % d’ici à 2030, contre 40 % aujourd’hui. Des objectifs qui figureront dans le « green deal européen » qu’elle présentera le 11 décembre, à la veille d’un conseil européen les 12 et 13 décembre – dans les derniers jours de la COP donc.
Dégâts irréversibles
Pour l’instant, vingt-quatre pays soutiennent la neutralité carbone et trois s’y opposent : la Pologne, la République tchèque et la Hongrie. L’équation est encore plus compliquée pour la relève de l’ambition en 2030, alors que seulement neuf Etats, dont la France, sont favorables à la baisse de 55 % des émissions. « Un volet sur la solidarité dans le “green deal” ainsi qu’un fonds de transition juste doté de 35 milliards d’euros, pourraient permettre de répondre aux enjeux de la transition dans les pays de l’Est, encore dépendants du charbon », précise Pierre Cannet.
Selon un document de travail de la Commission, consulté par Le Monde, le « green deal européen » comprendrait la « première loi européenne sur le climat » entérinant l’objectif de neutralité climatique en 2050, ainsi qu’un « plan complet » sur la manière dont la Commission européenne compte atteindre l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre d’au moins 50 %, si possible 55 %, d’ici à 2030. Cette publication interviendrait en octobre 2020, rendant très difficile son approbation par les Etats membres et le Parlement avant la COP26 de novembre.
Selon les observateurs, ce n’est qu’à la condition d’une avancée de l’Europe que la Chine pourrait décider de faire un pas elle aussi. Un sommet UE-Chine est prévu en septembre 2020 à Leipzig (Allemagne) au cours duquel Bruxelles espère pouvoir négocier un accord avec Pékin. Un dialogue que la France veut « pousser dans les mois qui viennent », indique Matignon.
« Il faut être réaliste, la plupart des Etats ne sont pas prêts à dire, à Madrid, ce qu’ils vont mettre sur la table pour augmenter leurs efforts, juge un spécialiste de longue date des négociations climatiques. Mais il peut y avoir le signal que tout est en préparation, afin de mettre la pression sur les grands émetteurs et leur dire : “C’est maintenant à votre tour”. »
Les délégués, eux, sont attendus sur deux chantiers majeurs. Il s’agit tout d’abord de finaliser les règles d’application de l’accord de Paris, dont l’article 6 avait été laissé en suspens à la COP24 en raison d’un blocage du Brésil. Ce point, compliqué et très controversé, concerne la définition de nouvelles règles pour les marchés carbone, c’est-à-dire les échanges d’émissions de CO2 qui permettent aux pays les moins pollueurs de revendre des quotas à ceux émettant plus. A la clé : éviter notamment les doubles comptages (par le pays vendeur et le pays acheteur) des réductions d’émissions, qui conduiraient à leur baisse artificielle.
Une plate-forme des solutions océaniques
Le second dossier concerne la notion de « pertes et préjudices », à savoir les dégâts irréversibles – pertes de vies humaines ou économiques – causés par les dérèglements du climat. Alors que ces effets sont en hausse, les pays les plus affectés souhaitent que l’organe de l’ONU qui régit la question – ce que l’on appelle le mécanisme de Varsovie – ait accès à un soutien financier. « Les pays développés ne veulent pas entendre parler de la création d’un nouveau fonds, alors que pour les plus vulnérables, cela ne peut pas passer par les fonds déjà existants sur l’adaptation », explique Alden Meyer, directeur de la stratégie de l’ONG américaine Union of Concerned Scientists.
Comme chaque année, une attention particulière sera accordée à la question des financements climat, le nerf de la guerre des discussions onusiennes. Les pays du Nord se sont engagés à mobiliser 100 milliards de dollars par an (90 milliards d’euros) d’ici à 2020 en faveur des pays du Sud pour les aider à faire face aux effets du changement climatique. Selon le dernier rapport de l’OCDE, ces financements sont en hausse, avec 71 milliards en 2017. « Une part trop faible va à l’adaptation au changement climatique, la majorité étant consacrée à la réduction des émissions », regrette Tosi Mpanu Mpanu, négociateur de la République démocratique du Congo.
Enfin, le Chili, doté de près de 6 500 kilomètres de côtes, veut faire de la COP25 une « COP bleue ». La présidence a ainsi décidé de lancer une plate-forme des solutions océaniques lors de la conférence, afin « d’encourager l’action en faveur de l’océan » – qui absorbe 25 % des émissions de CO2 – dans le cadre des nouveaux plans climatiques. Ces discussions pourraient mener à une déclaration politique sur la question à la fin de la COP.
Autant de dossiers sur la table de la présidence chilienne, mais aussi du gouvernement britannique qui sera présent en force à Madrid afin de préparer, déjà, la COP26.