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Jours tranquilles à Paris

30 septembre 2019

Voici Miss Bretagne

miss bretagne

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30 septembre 2019

"Deux moi” : l'ère Tinder vue par Cédric Klapisch

deux moi

Habile dans le portrait qu'il dresse des trentenaires d'aujourd'hui, Deux moi s'égare dans une philosophie de comptoir un peu niaise quand il s'agit d'ausculter les mœurs amoureuses de la génération Y.

Mélanie et Rémy ont la trentaine, vivent à quelques mètres l'un de l'autre, mais ne se connaissent pas. En plus de partager leur petit coin de 18ème, cerné par les rails de la Gare du Nord et l'ombre tutélaire du Sacré Coeur qui surplombe leurs immeubles mitoyens, ces jeunes Parisiens, l'une d'origine, l'autre d'adoption, traversent tous deux un épisode dépressif pour le moins plombant. Elle ne parvient pas à se remettre d'une rupture amoureuse, et étouffe son chagrin dans un sommeil de plomb, lui ne trouve plus le sommeil, et enquille les insomnies. Tous deux trimballent leur spleen vaporeux dans les rames bondées du métro, à la pharmacie du quartier, chez l'épicier du coin, ou sur leur lieu de travail ; l'une dans l'institut de recherche où elle est laborantine, l'autre dans la multinationale (Farfast, pendant fictif d'Amazon) où il est conseiller clientèle. Deux célibataires cafardeux sujets à la solitude des grandes villes, deux âmes esseulées qui se croisent mais jamais ne se trouvent.

Dans Paris

Après un détour bourguignon pour son film viticole Ce qui nous lie, Cédric Klapisch revient à ses premiers amours, et donc à Paris (dont il s'est souvent fait le sociologue) pour proposer un portrait ultra-contemporain de la capitale française à travers l'auscultation des amours modernes (et connectés) de sa (relative) jeunesse. De son précédent film, le cinéaste a conservé les deux acteurs principaux, Ana Girardot et François Civil, qui signent tous deux une partition solide. Pour ce qui est de la chronique douce-amère du quotidien de deux trentenaires parisiens rongés par la solitude, Deux moi touche plutôt juste, à commencer par le portrait qu'il brosse de leur habitat : le nord de Paris et ses artères bigarrés, avec son éternel épicier reubeu (Simon Abkarian, qui aura un rôle pivot), ses "salons de massage thaïlandais tenus par des Chinois" ou ses "salons de coiffure antillais tenus par des Maliens". Flirtant avec la caricature - indémodable Klapisch's touch - le film parvient néanmoins à restituer avec justesse ce Paris-là, des passages incessants de trains qui font trembler les murs des deux-pièces des protagonistes, à la ritournelle entêtante du métro parisien et son va-et-vient de passagers qu'égraine chaque station. Ecrin tantôt morose, tantôt solaire à la routine cahoteuse de deux anonymes en mal d'amour.

Amours 2.0

Hélas, en filmant le quotidien croisé, et en forme de miroir, de ces deux potentiels amoureux qui s'ignorent, Klapisch emprisonne son film dans un dispositif qui tire vers le système. D'abord ludique, le chassé-croisé entre Mélanie et Rémy, qui empruntent les mêmes itinéraires, partagent les mêmes banquettes de métro et s'aperçoivent sans se voir, devient artificiel à trop jouer avec l'attente et la frustration du spectateur. "Comme ils iraient bien ensemble ces deux-là !" nous souffle lourdement Klapisch, non sans un clin d'œil connivent, à chaque rencontre avortée. S'il occasionne de belles idées de cinéma – la fumée de cigarette de Mélanie qui infiltre, comme un fantôme insaisissable, l'appartement de Rémy par fenêtres interposées – le procédé s'assèche à mesure que sa résolution devient (beaucoup trop) prévisible. Si l'on ne déflorera pas sa conclusion, le film se borne à une morale amoureuse réductrice, et une réflexion simpliste sur les amours modernes, qui semble n'entendre aucune contradiction.

Comme il veut prendre le pouls de l'époque, Klapisch s'attaque bien évidemment aux nouvelles manières de trouver l'amour – le fameux amour 2.0 – à commencer par les applis de rencontre, symbole s'il en est des nouvelles mœurs de la génération Y. Si Rémy n'est pas vraiment digital native (après tout, c'est un provincial tout juste descendu de sa montagne savoyarde), et que son expérience des réseaux sociaux se réduira à une inscription sur Facebook (en 2019 vraiment ?), Mélanie se met elle aux applis de dating pour tenter d'oublier son ex. Bien aidée par ses deux copines, qui lui créent son profil entre deux commandes de sushi sur Deliveroo (tu le sens le pouls de l'époque ?), elle découvre alors le monde interlope de Tinder, Happn et consorts, et commence à swiper à gauche et à droite sur son smartphone, à la recherche du mec idéal. Hélas, son expérience se soldera par un date mutique avec un énergumène pas vraiment loquace, et une nuit fiévreuse et alcoolisée – à la terminaison vomitive – avec un brave type, néanmoins incapable de se rappeler du prénom de sa dulcinée d'un soir après leurs ébats nocturnes.

"Vraie relation"

Cette exploration drolatique des applis de rencontre est plutôt réjouissante, et rejoint à sa manière la myriade de fictions (surtout sériels) s'étant emparé du phénomène, comme l'excellente Master of None qui décryptait dans un épisode génial toute la méthodologie du dating moderne. Mais en surplombant son sujet à base d'axiomes ronflants, le film atteint la limite de son concept et s'égare dans une psychologie de comptoir simpliste et univoque. L'amour véritable, paraît-il, serait plus le fruit du hasard que de sa recherche désespérée. Un coup de foudre providentiel vaut mieux qu'un plan cul convenu à l'avance. Aux relations sans lendemain, il faut préférer l'amour, le vrai. Ces lieux communs, c'est la psy de Mélanie qui les enquille lorsque cette dernière lui confie ses déboires sentimentaux 2.0. Parce qu'ils traversent un épisode dépressif, Rémy et Mélanie vont tous deux voir des psys (Camille Cottin pour elle, François Berléand pour lui) qui deviendront peu à peu leurs confidents, et les instigateurs secrets (et ignorants) de leur potentielle rencontre. C'est donc à Camille Cottin qu'incombe la tâche de proférer quelques adages pénétrants du type "les réseaux sociaux ont tué les relations sociales", "il faut faire confiance à la vie" ou bien l'idée qu'il faille préférer les "vraies relations" à celles, forcément viciées, des applis de rencontre.

Il n'y aurait donc pas de bonnes ou de mauvaises relations, mais des vraies et des fausses. Et s'il est intéressant, voire nécessaire, de pointer du doigt les dérives qu'induisent ces nouvelles mœurs amoureuses et sexuelles, la manière qu'a Deux moi de les torpiller unilatéralement pourrait presque faire passer Klapisch pour un réac'. D'autant que toute sa "réflexion" est mise au service d'un récit un brin naïf, dont la philosophie générale et la morale simpliste pourraient être résumées par : "la technologie c'est mal, la vraie vie c'est mieux". Un tel sujet aurait pu s'embarrasser d'un peu plus de complexité. Et en étant un peu de mauvaise foi, on pourrait même soutenir que si Rémy s'était lui aussi mis sur une appli de dating, il aurait pu rencontrer plus tôt (ou tout court, puisqu'on a dit qu'on ne dévoilerait pas la fin) son insaisissable voisine. Mais leur amour aurait-il était véritable ?

30 septembre 2019

Serge Gainsbourg

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30 septembre 2019

Jean Michel Basquiat

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30 septembre 2019

Jacques Chirac

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30 septembre 2019

Reportage - Incendie à Rouen : « Une fumée bio ça n’existe pas », s’inquiètent les agriculteurs de la région

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Par Ariane Chemin, Rouen, correspondance, Gilles Triolier, Rouen, correspondance

Maïs noircis, ruches souillées… Certains font leurs analyses personnelles, d’autres s’en remettent à la préfecture, mais tous, maraîchers, éleveurs, apiculteurs, devinent qu’ils vont devoir payer ce nuage de suie qui s’est pourtant posé souvent très loin de Rouen

Le chiffon était blanc, il est ressorti noir. Vendredi 27 septembre, en fin d’après-midi, Patrick Berrubé enfile sa combinaison et son voile d’apiculteur et gagne son jardin de Quincampoix, petite commune périphérique de Rouen, en Seine-Maritime. Le voilà au pied de ses ruches, son passe-temps de retraité. Il passe un essuie-tout sur une des planches d’envol, là ou entrent et sortent les essaims. « S’il y a de la suie sur le chiffon, soupire-t-il, il y en a forcément dans la ruche, donc dans les abeilles. »

C’est un mail reçu quelques heures plus tôt qui a poussé M. Berrubé à mener cette triste expérience. Le Groupement de défense sanitaire apicole (GDSA) du département demande à ses adhérents de collecter des informations pour « aider à estimer les conséquences à craindre pour les colonies » d’abeilles après la « catastrophe industrielle » survenue dans la nuit du mercredi au jeudi 26 septembre. « L’étendue de la dispersion de fumées, gaz et suies est considérable et va bien au-delà des communes proches du sinistre », insiste l’association, qui voudrait « pouvoir estimer l’impact sur les ruches » de l’incendie de l’usine Lubrizol de Rouen.

L’apiculteur retourne le chiffon dans ses mains devant sa petite-fille – ce vendredi, comme hier, les écoles de la région rouennaise sont restées fermées. Cette passion familiale le tient depuis vingt ans. 70 000 abeilles butinent dans chacune de ses vingt ruches, qui produisent trente kilos de miel par an. Pour la première fois, il est perdu. « Quand on est apiculteur, on est toujours un peu écolo sur les bords. Ça va de pair. » Il réfléchit. « Quand on est apiculteur, ses abeilles, on y pense nuit et jour. Les miennes, par exemple, elles boivent. Or, toutes les feuilles du jardin sont noires. Elles butinent les plantes encore en fleur comme les asters et les mauves, qui elles aussi ont été polluées. »

« C’est la première fois que je vis une catastrophe »

Apiculteurs, maraîchers, éleveurs… Ils habitent à 10 ou 30 km de Rouen, se sont réveillés jeudi matin dans ou loin du panache de fumée, ont humé ou non l’odeur acre et entêtante venue de l’usine en feu. Vers 8 h 30 ou 9 heures, chacun a entendu tomber la pluie, plus précoce dans le nord de l’agglomération qu’à Rouen. Puis, oreille au poste ou nez sur l’ordinateur, dès l’averse calmée, ils sont sortis dans leurs jardins ou leurs champs, à la recherche des stigmates du fameux « nuage » de Lubrizol.

La ferme de Philippe Brument se trouve à Mont-Perreux, un hameau de Saint-Martin-du-Vivier, à 8 km de Rouen. Pas très loin du parking du magasin Leroy-Merlin d’Isneauville, l’un des deux lieux où ont été relevées « des traces d’oxyde d’azote » – 0,3 partie par million (ppm) – par l’agence de mesure de l’air (Atmo) normande, épaulée par un camion spécialisé de la direction générale de la sécurité civile. L’agriculteur est né ici, il y a quarante-sept ans. Il prévient : « C’est la première fois que je vis une catastrophe. »

Jeudi matin, il a commencé par nettoyer la cour de sa ferme, pour « enlever tout ce noir qui allait entrer dans la maison ». Puis s’en est allé arpenter les 26 hectares de son exploitation et inspecter son champ de maïs. Stupéfaction : dans le champ, un plant sur deux est recouvert de traces noires. Il accepte de faire la visite guidée. « Regardez celui-là comme il est beau », soupire Philippe Brument en montrant l’épi le plus maculé de son champ.

L’ensilement, c’est-à-dire la conservation du fourrage dans un silo, était prévu dans dix jours, mais la préfecture de Seine-Maritime a demandé aux agriculteurs « de ne pas récolter leurs productions en l’attente de précisions ultérieures. » Du coup, Philippe Brument attend. « Que faire ? Si je mets les feuilles de maïs pleines d’hydrocarbure avec le reste en vrac dans le silo, qu’est-ce que ça va donner ? C’est stressant. » Il devine qu’il va payer ce nuage de suie qui s’est échappé de Rouen.

« La pluie a tout sali »

Ses maïs, coup de chance, Stéphane Donckele les avait ramassés une semaine plus tôt. « Tout est planifié trois semaines en avance. En une journée, on fait le stock de l’année pour les animaux. » L’exploitation du secrétaire général de la FNSEA du département compte 110 hectares de culture et 50 d’herbes, et produit lait et viande dans le village de Catenay, à 25 km de la capitale normande. « Pas dans le nuage en tant que tel, précise M. Donckele, mais la pluie a tout sali. On s’en est pris 20 minutes. Les flaques étaient toutes noires. On avait posé dehors des récipients transparents, pour faire des analyses. On voyait flotter des particules. »

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Le 26 septembre, ses bêtes se trouvaient au pâturage. Il ne les a pas confinées. « Techniquement impossible ! On avait prévu de rentrer les vaches le 20 octobre. Les bâtiments n’étaient pas aménagés, raconte Stéphane Donckele. Il faut une bonne journée de travail pour faire du propre et tout remettre en état, et le communiqué de la préfecture demandant de confiner les animaux est tombé à 16 heures… »

Aux éleveurs et agriculteurs de la zone, les autorités du département de Seine-Maritime recommandaient en effet, « dans les zones impactées par le panache de fumée », de « rentrer » les animaux et « de sécuriser leur abreuvement et leur alimentation en les plaçant sous abri ». Elles jugeaient aussi « nécessaire de faire pâturer des ruminants sur des pâtures saines, exemptes de dépôt de suie. » Au passage, la préfecture conseillait « de ne pas chercher à enlever les dépôts de suie et d’attendre les prochaines consignes préfectorales (…) pour les éliminer par une filière autorisée ». Trop tard, pour beaucoup.

Son principal client ne prendra pas sa production

A Saint-Aignan-sur-Ry, 25 km au nord-est de Rouen, Olivier Lainé exploite de 60 hectares en maraîchage en bio, dont une petite partie de fruits et de légumes de qualité. Responsable national de la commission climat-énergie de la Confédération paysanne, lui non plus ne se trouvait « pas dans la zone du panache » et n’a « pas vu de retombées, car je suis à 5 ou 6 km du passage du nuage », raconte-t-il.

Les soucis, pourtant, sont arrivés très vite. Son principal client, une chaîne de produits bios, l’a appelé pour lui dire qu’il ne prendrait pas sa production de haricots, de carottes et de courgettes, « par précaution ». Une grosse perte pour Olivier Lainé : ce petit maraîchage de niche est celui qui lui rapporte le plus. « Ils ont raison, approuve pourtant l’agriculteur. Pour l’instant, on ne sait rien. Quand on nous dit que rien n’est toxique avant même la publication des résultats scientifiques définitifs, je m’interroge aussi », ajoute le responsable de la Confédération paysanne.

« Une fumée bio, ça n’existe pas », soupire Philippe Brument devant ses maïs noircis. Vendredi matin, une poignée d’oiseaux ont été retrouvés morts sur les quais de Rouen, affirme le site Roueninfo photo à l’appui. Le préfet de la Seine-Maritime, Pierre-André Durand, indique ne pas avoir eu connaissance de tels événements ; le colonel Jean-Yves Lagalle (SDIS) ne pas avoir reçu de signalement lui non plus. Mais le chef des pompiers de Seine-Maritime a ajouté cette phrase en forme de parabole qui, chez les Rouennais et alentour, a agi comme un autre brouillard toxique : « Si un oiseau est passé dans le nuage de fumée, il y a de fortes chances pour qu’il soit mal en point. Si j’avais mis l’un de mes pompiers dans le panache, sans protection, il est évident qu’il serait au plus mal lui aussi. »

30 septembre 2019

Îlot Écosse à la Seine Musicale - vu hier

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Îlot Écosse

Le 29/09/2019 à 11h30

La Seine Musicale - Auditorium

1 Île Seguin 92100 Boulogne-Billancourt

DIMANCHE 29 SEPTEMBRE à 11h30 : Un Dimanche en Écosse

Programme :

Claude Debussy, Marche écossaise sur un thème populaire

Max Bruch, Schottische Fantasie

Maxwell Davies, An Orkney Wedding, with Sunrise

Avec leurs couleurs variées et leurs rythmes caractéristiques, les mélodies populaires ont enflammé l’imaginaire des compositeurs. Ce concert dominical est l’occasion de découvrir en famille les mélodies écossaises de Max Bruch et Claude Debussy. Un magnifique adieu au romantisme et une entrée de plain-pied dans la modernité.

Venez en famille à ce concert ouvert à tous, Simon Zaoui présentera chacune des œuvres pour que petits et grands découvrent avec plaisir le répertoire proposé par le Royal Scottish National Orchestra.

Durée : 1h sans entracte

Distribution :

James Ehnes, violon

Royal Scottish National Orchestra

Thomas Søndergård, direction

Simon Zaoui, présentation

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30 septembre 2019

Chez Dior, un défilé en forme de manifeste écologique

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À l’Hippodrome de Longchamp, la directrice artistique Maria Grazia Chiuri puise dans la généalogie Dior pour un show en écho aux préoccupations environnementales de l’époque.

Tandis qu’au siège des Nations unies, à New York, les grands de ce monde prêtent l’oreille à Greta Thurnberg et s’efforcent de faire baisser la température, une autre foule traverse un Bois de Boulogne détrempé par la pluie. Sa destination ?  L’Hippodrome de Longchamp, où, sous une immense boîte de bois brut, se croisent Bianca Jagger et Karlie Kloss, Natalia Vodianova et Monica Bellucci. Plus la cohorte habituelle d’influenceuses, célébrités, clientes et journalistes, bref, la grande caravane de la mode venue assister, en ce premier vrai jour d’automne, au défilé Dior printemps-été 2020.

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Le décor, immédiatement, donne le ton. Chataîgners, oliviers, sapins, chênes et bouleaux ont poussé dans une forêt de Brocéliande magique, mais placée sous le signe de la durabilité.  À chaque arbre est attachée une étiquette tatouée du hashtag #PlantingForTheFuture. Dior a pris les devants : les arbres ne sont pas plantés dans le sol, mais posés sur ce dernier, prêts à repartir l’événement terminé. On apprendra par la suite qu’il s’agit d’une collaboration avec le collectif Coloco, spécialisé dans les paysages et les jardins contemporains. La nature : c’est le grand thème de ce show réunissant plusieurs centaines d’invités autour de la figure de Catherine Dior (1917-2008), sœur de Christian Dior, horticultrice de talent qui inspira le parfum Miss Dior – et dont on sait moins qu’elle fut aussi résistante et déportée.

C’est, comme chaque saison, le mannequin britannique Ruth Bell qui ouvre le défilé. La nature et la naturalité, voilà les maîtres-mots de cette collection où chacune des 90 silhouettes est comme une invitation à sauter par la fenêtre pour quitter la ville et retrouver le gazon, les parterres feuillus ou tapissés d’aiguilles de pins. Les passages romantiques se teintent d’accents scientifiques, voire encyclopédiques, à l’image de ces grandes robes fluides ou brodées évoquant autant une nature morte qu’un herbier. Monte Verità, communauté utopique (et végétalienne) fondée en Suisse au début du XXe siècle, inspire une série de silhouettes aux dégradés de couleurs subtils, tandis que les robes courtes évoquent les tenues de jardiniers. Le travail de crochet, en overall ou sur une brassière entre-aperçue, les ceintures de corde, une stupéfiante robe de paille blonde, l’espadrille hybridée avec la tong évoquent les heure chaudes de l’été, un quinze août parmi les champs de blés. Ici et là, les tye & dye ajoutent une note tropicale, tandis que les inspirations camouflage font écho aux bottes d’exploratrices ou de cheffes scout, sanglées au mollet mais délicatement ajourées, dans une palette de kakis et de noirs aussi militaires qu’outdoor.

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L’accessoire, ou plutôt les accessoires, sont particulièrement soignés, qu’il s’agisse des sacs, cabas, des bijoux en métal ou perles de pierres de couleurs, des chapeaux tressés imaginés par le chapelier Stephen Jones. Toile de Jouy, pied-de-poule, ligne tailleur Bar, motif Dior Oblique viennent ancrer ce défilé « expérientiel »  dans la grammaire de la maison, à laquelle appartiennent également les longues robes de dentelles, vestes à franges, casquettes de marins à la main verte… Et ces résilles légères comme des toiles d’araignées sur lesquelles fleurissent pavots et dahlias, au son de Rufus Wainwright chantant « nothing’s gonna change my world ». Ce qui, bien loin de New York, ne manquait pas d’un certain charme militant. Paraît-il même que les planches de la grande boîte, une fois démontées, seront offertes à des étudiants d’écoles d’art. On vous disait : durabilité…

Fashion Week de Paris 2019 : Chez Dior, un défilé en forme de manifeste écologique

Adrien Dirand

29 septembre 2019

Hommage National pour Jacques Chirac aux Invalides

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29 septembre 2019

Galerie Azzedine Alaïa

REPORTAGE  Malgré le décès, en 2017, du créateur franco-tunisien, le 18 rue de la Verrerie, à Paris, reste un lieu plein de vie. L’immeuble où il vivait et travaillait abrite toujours les ateliers de la maison. Et deviendra bientôt un musée qui montrera l’immense collection de vêtements qu’il avait accumulés.

Une ambulance est venue chercher Azzedine Alaïa, chez lui, en novembre 2017, pour l’emmener à l’hôpital Lariboisière, à Paris. Les jours ont filé, les médecins ont soigné, mais rien n’y a fait. Celui qui avait habillé Arletty et Greta Garbo n’est jamais revenu caresser Didine, le vieux saint-bernard, ni découper le poulet dans la grande cuisine. Pourtant, bientôt deux ans après le décès du couturier, le 18 novembre 2017, à 82 ans, aucun de ceux qui ont travaillé et vécu auprès de lui et qui s’affairent encore entre les murs de cet îlot niché derrière le BHV ne dira que monsieur Alaïa a quitté les lieux. Il est là, il ne faut pas chercher à comprendre.

D’ailleurs, pourquoi celui qui toute sa vie fut réfractaire aux injonctions qu’il jugeait absurdes – comme le fait de défiler à date et heure fixes pendant la Fashion Week (« Je défilerai quand je serai prêt ! ») – obéirait-il aux règles fixées par la mort ? « C’était l’année dernière. Azzedine se tenait là où nous sommes, dans mon appartement, raconte son compagnon de toujours, le peintre allemand Christoph von Weyhe, à peine étonné par cette apparition. Il était habillé d’un burnous de soie beige entièrement brodé. Il ressemblait à un prince, lui qui ne portait jamais d’habit tunisien. Il a montré du doigt Didine, qui était allongé sur le sol frais en béton, et m’a dit : « Je suis venu voir s’il va bien… » » Mais c’est à Christoph qu’il a fait ce plaisir.

Entretenir le culte

Dans la mythologie de la mode, comme dans celle de Paris, les lieux de création tiennent une place importante. Ces ateliers, ces bureaux ou ces salons aux allures d’églises désacralisées permettent aux convertis de la première heure et aux propriétaires de noms illustres devenus des marques de regretter le génie disparu, la fin d’une époque et d’entretenir le culte. Chanel a le 31, rue Cambon, où d’heureux élus visitent encore l’appartement de Gabrielle décoré de paravents de Coromandel et de livres reliés. Dior a le 30, avenue Montaigne, que Christian avait choisi pour y installer sa maison de couture dès 1946. Saint Laurent a le 5, avenue Marceau, qui hébergea les ateliers, le studio d’Yves et le bureau de Pierre Bergé, et abrite aujourd’hui la Fondation et le musée. Azzedine Alaïa a donc le 18, rue de la Verrerie, dans le 4e arrondissement parisien, à deux pas de l’Hôtel de Ville. En janvier, la Mairie de Paris a fait poser une plaque commémorative au-dessus du numéro : fixée à 3 mètres du sol, on ne la voit qu’à condition de vraiment chercher le 18. Mais c’est une parabole amusante, et qui lui rend justice, que d’enfin lever les yeux pour voir Alaïa.

Depuis que des expositions de mode, de design ou de photographie sont programmées dans la galerie, accessible au public depuis 2013, et que la librairie (ouverte fin 2018) s’est dotée, en février, d’un café, les badauds franchissent facilement la grande porte cochère du 18, plus souvent ouverte que par le passé. S’asseoir à l’une des tables installées dans la cour, sous la verrière, reste un petit privilège tant le who’s who est ici une affaire d’initiés : on verra bien sûr passer des couturières en blouse blanche quittant les ateliers de la marque, qui a survécu à son créateur et qui évolue depuis 2007 dans le giron du groupe Richemont, les bras chargés de vêtements sous housse.

Trois suites uniques

On verra madame Catherine, grande prêtresse de la boutique à laquelle les clientes accèdent par le 7 de la rue de Moussy ; Carla Sozzani, éditrice et propriétaire de 10 Corso Como, magasin multimarque milanais de renom, amie d’Alaïa pendant trente-huit ans et sa précieuse conseillère de 1999 à 2017 ; Benjamin Sarfati, le comptable de l’Association Azzedine Alaïa ; Patrice Bernard-Brunel (alias « Pipelette »), qui gère l’hôtel confidentiel 3Rooms (où séjourne régulièrement la journaliste mode du New York Times Vanessa Friedman). On apercevra aussi les deux Maria, qui s’occupent de la cuisine ; Antonella et Guevork, aux manettes de la librairie, ou encore Caroline Fabre-Bazin, directrice du studio qui, après avoir travaillé pendant dix-sept ans pour Yohji Yamamoto, a trouvé un autre guide en la personne d’Alaïa. Elle fut son bras droit à partir de la fin de 2002 et connaît la maison – où elle travaille toujours – comme sa poche.

Le visiteur patient verra-t-il peut-être enfin Christoph von Weyhe s’attarder un instant dans la lumière du jour, suivi ou précédé de l’impressionnant Didine. Un peu comme dans une pièce de boulevard, les portes s’ouvrent et se ferment, mais les protagonistes sont mieux habillés et le décor est d’une beauté singulière. Tandis que les façades s’écaillent un peu, le goût sûr d’Alaïa en matière d’art et de design saute aux yeux, où qu’on les pose : une peinture noire habille les portes et la structure métallique de la verrière ; des tableaux de Christoph von Weyhe rendent encore plus chaleureuse la boutique conçue comme un loft indémodable ; un Sein en bronze signé César trône dans la cour ; un portrait d’Alaïa par son ami Julian Schnabel illumine la librairie aux rayonnages garnis d’une sélection pointue d’ouvrages, sans parler des trois suites uniques de l’Hôtel 3Rooms, toutes meublées de chaises Marc Newson et Arne Jacobsen, de luminaires Serge Mouille, d’un canapé Osvaldo Borsani, de tables et fauteuils Jean Prouvé… En ces murs, le luxe est d’une absolue sobriété. Modeste et sûr de lui, comme le fut le maître des lieux.

« Dès que j’ai mis un pied ici, j’ai su que rien ne pourrait m’arriver, car, comme un chef de famille, il me tirait vers le haut. » Caroline Fabre-Bazin

C’est un drôle d’endroit, aussi rassurant qu’une maison de famille et plus mystérieux qu’un labyrinthe. En résumé : plusieurs bâtisses, une grande cour centrale, des ateliers de confection sur trois étages, une galerie pour les défilés et pour les expositions, une librairie, un café, un hôtel et une cave voûtée gigantesque qui avait été, entre autres facéties, transformée en boîte de nuit pour le mariage du top-modèle Stephanie Seymour. Caroline Fabre-Bazin explique qu’ici elle se sent protégée de tout. « C’était évidemment beaucoup dû à la présence de monsieur Alaïa, mais il en reste quelque chose. Dès que j’ai mis un pied ici, j’ai su que rien ne pourrait m’arriver, car, comme un chef de famille, il me tirait vers le haut. Il était protecteur et possessif, il pouvait parfois me faire pleurer, mais il m’appelait toujours pour savoir si j’étais bien rentrée. »

Cette brune en grande jupe noire repense souvent au patriarche qui ne dormait que trois ou quatre heures par nuit et n’en finissait pas de mettre au point ses patronages, de vérifier les colis que la maison envoyait aux clients, de scruter les commandes des grands magasins américains Saks et Barneys pour au matin dire aux acheteurs qu’elles n’étaient pas cohérentes. « Dans 8 000 mètres carrés, il allait et venait partout, de jour comme de nuit, ce petit monsieur », poursuit Caroline Fabre-Bazin. Il aimait surtout passer des heures dans son atelier personnel qui lui servait de studio. « Il y a des patrons partout, car Azzedine commençait beaucoup de choses et ne les finissait pas, raconte Carla Sozzani. Pour ses ateliers aujourd’hui, c’est formidable. Une mine d’inspirations, de directions à suivre. »

Salle de bains avec mur végétal

Il y a aussi l’appartement privé de monsieur Alaïa (inaccessible, car sous scellé pour cause d’inventaire post mortem), dont on saura juste qu’il abrite une bibliothèque signée Charlotte Perriand, une tête copte qui intéresserait le Louvre et une salle de bains ornée d’un mur végétal réalisé par Patrick Blanc, car « Azzedine aimait prendre son bain dans la verdure ». L’appartement de Christoph von Weyhe est mitoyen. Organisé en duplex, il abrite à l’étage l’atelier du peintre, qui baigne dans une lumière douce et une sérénité totale. Azzedine venait y rôder seul, le dimanche, pour se faire une idée de ce que peignait son compagnon, parmi les chevalets, les livres bien rangés, dont un calendrier de la noblesse suédoise de 1896 où figure l’arrière-grand-mère de l’artiste, un lit de repos signé Jean Prouvé, l’armoire où dorment sous clé les gouaches et un dessin de Basquiat…

Cela fera soixante ans cette année que Christoph von Weyhe a rencontré Azzedine Alaïa, le dimanche 13 décembre 1959, au 95, avenue Victor-Hugo, dans le 16e arrondissement, chez Nicole de Blégiers. La comtesse hébergeait ce jeune homme diplômé de l’Institut supérieur des beaux-arts de Tunis qu’elle avait vu pour la première fois couché sur le sol de la cuisine d’une de ses amies pour laquelle il faisait la couture et le ménage, s’occupait des enfants et des repas. Elle n’avait pas trouvé normal qu’un homme dorme par terre, et lui avait offert un lit dans sa chambre de bonne. Ce dimanche de décembre, au moment de quitter le repaire sous les toits pour aller faire un tour, le grand Christoph aux cheveux blonds était resté interdit devant le manteau d’Azzedine, entièrement doublé de vison. Il n’en avait jamais vu de semblable. Le jeune homme bien né de Hambourg demandera un peu plus tard à l’étonnant Alaïa : « Est-ce que vous permettez que je vous téléphone ? »

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Quartier juif et gay

Après la chambre de bonne de l’avenue Victor-Hugo, il y aura le 7e arrondissement et la rue de Bellechasse, puis, en 1984, la rue du Parc-Royal, dans le 3e. À cette époque, Azzedine Alaïa connaît un succès incroyable avec ses robes sexy, et reçoit deux « Oscars » de la mode, en 1985 à Paris, des mains de son amie Grace Jones. Si bien que l’hôtel particulier qu’il loue dans le Marais devient vite trop petit. Quand il apprend, en 1987, que le BHV vend un immeuble où logeaient ses employés et qui abritait des ateliers, à l’angle des rues de la Verrerie et de Moussy, il saute sur l’occasion, malgré le gigantisme des lieux.

Il reste donc dans le Marais, ce quartier juif et gay, anciennement ouvrier, qui n’attire alors ni les créateurs ni les marques de mode. En grattant les murs de cette nouvelle maison enfin à la mesure de ses rêves, il tombera sur de vieilles cartes fluviales, qui seront restaurées par les Monuments historiques. Et, derrière le fronton du bâtiment construit en 1896 par Xavier-François Ruel, fondateur du BHV, sur une fresque avec deux allégories féminines en conversation : Industrie et Savoir.

Les habitués comparent l’endroit à un riad au cœur de la médina, d’autres à l’irréductible village d’Astérix, qui résiste obstinément. Avec aujourd’hui, en matriarche d’une élégance rare, Carla Sozzani. Elle aura joué un rôle important dans la vie professionnelle et personnelle d’Alaïa, qu’elle a rencontré un peu avant 1980. Elle s’y tient encore avec une loyauté et une amitié intactes. Certains disent qu’elle est la seule personne sur terre avec laquelle Azzedine Alaïa, qui la surnommait « Sorella » (« sœur »), ne s’est jamais fâché. « Disons qu’on savait quand s’arrêter. On a eu très peur de se perdre, je crois. » Pendant plus de trente ans, quand elle était (souvent) à Paris, elle quittait son appartement de la place des Vosges pour passer la fin de la soirée rue de la Verrerie ou pour y dîner. Il l’appelait, ne disait ni « bonjour » ni « comment ça va ? ». Il demandait juste : « Qu’est-ce que tu veux manger ce soir ? »

Dîners épiques

Car, même s’il en avait un peu assez qu’on dise qu’il faisait bien la cuisine et coupait le poulet (« On me prend pour la boniche ou quoi ? »), Alaïa a organisé, au 18, rue de la Verrerie, des dîners épiques où le Tout-Paris se retrouvait autour de la table : des artistes de renommée internationale (Rihanna, Shakira, Tina Turner…), des journalistes (Anne-Marie Périer, Laurence Benaïm…), des créateurs (Nicolas Ghesquière…), des mannequins, photographes et stylistes, figures de la mode (Farida Khelfa, Carlyne Cerf de Dudzeele, Jean-Paul Goude…), des critiques d’art et commissaires d’exposition (Jean-Louis Froment, Donatien Grau), des directeurs de musée (Fabrice Hergott), des galeristes (Didier Krzentowski), des danseuses (Blanca Li), des pianistes (Jeff Cohen), des actrices (Monica Bellucci), tous les plus grands top-modèles américains des années 1990 (qui ont appris quelques mots de français avec lui, car il refusait de faire l’effort de parler anglais), des designers (Marc Newson, Martin Szekely…), les amis de passage à Paris, les employés de la maison, ses chiens…

« Azzedine avait beau concevoir les plus belles robes du monde, il les faisait défiler dans l’entrée de l’appartement. » Sylvie Grumbach

Les agapes se sont d’abord déroulées dans une petite cuisine, qui obligeait Carla Sozzani à faire la vaisselle dans la baignoire après le départ des convives. L’accord conclu avec Prada en 2000, dans lequel Carla Sozzani a joué un rôle déterminant, a apporté un souffle d’air financier qui a autorisé quelques travaux de rénovation. La cuisine a donc changé de place et de taille.

« Avant, Azzedine avait beau concevoir les plus belles robes du monde, il les faisait défiler dans l’entrée de l’appartement, se souvient Sylvie Grumbach, à la tête de l’agence de presse 2e Bureau. Sa table de travail était dans sa chambre. Naomi [Campbell, fille de cœur du couturier, qu’elle a toujours appelé « papa »] dormait dans la salle de bains et tous les tissus étaient dans la salle à manger. Rue de la Verrerie, tout a pris une autre dimension. On peut dîner à 250 sous la verrière et la table de la grande cuisine est faite pour 25 personnes, mais on pouvait être 50 et ça tenait quand même. » Des tablées invraisemblables, des repas bien arrosés, des soirées joyeuses à condition de ne pas prononcer les noms honnis de Karl Lagerfeld ou d’Anna Wintour, tous deux copieusement détestés. Et qui se terminaient souvent quand tout le monde était parti par un « Reste, on va parler un peu ».

« Entre 1995 et 2000, les dîners n’étaient pas réguliers et il n’y avait pas beaucoup de monde, précise l’historien de la mode Olivier Saillard, entré dans la galaxie Alaïa en 1995. Ils sont devenus une institution après 2000, quand Azzedine a repris une nervosité créative, notamment avec cette collection de 1993 et ces robes en mousseline incroyables. C’est comme s’il s’était mis à faire du Alaïa mais mieux qu’Alaïa. Tout s’est alors accéléré. Les deux dernières années, il y avait un dîner chaque soir ! Sans les porter aux nues, ces moments où tout le monde était mélangé, où ne comptaient ni la fonction, ni l’âge, ni l’origine, étaient comme un concentré du meilleur de la mixité et de la liberté qui avaient existé dans les années 1980. »

Cela devait aussi rappeler à Alaïa les soirs de fête, à la fin des années 1950, dans le salon que tenait Louise de Vilmorin, où il avait rencontré Cocteau, Miró et Malraux. Avec une rare vivacité, sans nostalgie ni concession à une mode quelconque, et parce qu’il était l’expression sincère d’une grande générosité, c’était comme si ce mélange que réussissait à produire Alaïa n’existait plus que là, entre ces murs et sous son autorité. Carla Sozzani et Olivier Saillard maintiennent la tradition. Ils dressent désormais la table dans la cour, plutôt que dans la cuisine, en pensant que cela lui aurait plu.

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Méandre d’escaliers et d’étages

A eux, désormais, de mettre en œuvre ce qu’Azzedine Alaïa voulait ou ce qu’il aurait apprécié. Non sans une certaine pression. « Azzedine ? C’était très simple avec lui : il ne fallait pas le décevoir », pointe Carla en sous-entendant qu’il n’est pas question de le chiffonner maintenant qu’il est parti. Dès 2007, l’Association Azzedine Alaïa a été créée afin de protéger le travail et la collection d’art du styliste. Une procédure est en cours pour que l’association devienne une fondation, que le 18, rue de la Verrerie devienne un musée et que soient poursuivies et développées ses activités d’intérêt public. Les ministères concernés (affaires étrangères et culture) ont donné leur accord. Reste au Conseil d’Etat à se prononcer. La décision ne devrait plus tarder.

Car, aussi précieusement que les souvenirs, le 18 rue de la Verrerie couve un trésor dont on n’a pas le droit de dire où il se situe précisément dans ce méandre d’escaliers, de bâtiments, d’ascenseurs, d’étages en rénovation : l’une des plus grandes collections de mode du xxe siècle. « Il y a, en France, les collections de Galliera, celles des Arts décoratifs et, ensuite, les archives d’Alaïa. C’est un fonds privé, unique au monde, composé de 12 000 à 15 000 pièces », explique Olivier Saillard, désigné par le couturier lui-même comme futur directeur de la fondation devant organiser et veiller à la conservation de ces archives exceptionnelles.

Chefs-d’œuvre de tissu

Cette collection comprend environ 300 pièces signées Adrian, le costumier d’Hollywood mort en 1959, alors que les musées français n’en comptent pas une seule ; du Madame Grès, du Vionnet, du Christian Dior, du Comme des garçons, du Martin Margiela, du Junya Watanabe… et quelque 200 pièces de Cristóbal Balenciaga, qu’il admirait tant. Quand Balenciaga a fermé sa maison, en 1968, Mademoiselle Renée, la directrice, a appelé Alaïa, alors couturier de génie qui travaillait pour quelques clientes prestigieuses, pour qu’il vienne récupérer des tissus. Il a acheté les robes et n’a pu envisager une seule seconde de tailler dedans pour en utiliser la soie. Aujourd’hui, une partie du 18, rue de la Verrerie abrite tout ce qu’il a acheté, sur cinq étages complets.

« C’était un conservateur de beauté, pas un flambeur. Un collectionneur qui voulait davantage protéger que posséder, précise Carla Sozzani. Dans les salles des ventes, il se battait contre les musées, les institutions et d’autres bien plus riches que lui. Et il achetait tout ce qu’il pouvait, qu’il en ait les moyens ou pas. » Comme pour sauver ces chefs-d’œuvre de tissu de la dispersion et de l’oubli, il a constitué, souvent à l’insu de son entourage, une collection hors norme dont personne n’a eu à s’inquiéter jusque-là puisqu’il décidait seul. Les sacs arrivaient et montaient directement chez lui. Il doit en rester quelques-uns qui n’ont, encore aujourd’hui, jamais été ouverts… Il répétait souvent en riant : « Quand je mourrai, vous l’aurez dans le baba ! » Il a laissé à Christoph, Carla, Caroline et Olivier le soin de valoriser et de partager avec le public ce qu’il a discrètement accumulé pendant des années. « Je n’aurai jamais assez de vie, sourit Carla Sozzani. Je me sens parfois comme un moine copiste qui sait qu’il partira sans avoir fini. Il y a une certaine beauté là-dedans. Heureusement, Olivier [Saillard] a vingt ans et deux jours de moins que moi… C’est parfait. »

Le virus de la collection contamine Azzedine Alaïa en 1965. Le couturier sort un jour avec de l’argent pour acheter un matelas. En passant devant la vitrine d’un antiquaire, il aperçoit la fameuse tête copte. Il rentrera chez lui sans matelas. Depuis lors, il ne s’est plus jamais arrêté. Quand les problèmes s’accumulaient, il prenait la tête copte dans ses bras… « Il partait seul ou avec le chauffeur, le comptable, « Pipelette » ou moi, enfin jamais avec les mêmes, se souvient Carla Sozzani. Parfois, il disait qu’il avait mal au genou et qu’il fallait qu’il aille chez le kiné. On se regardait tous en s’interrogeant : « Mais il n’y est pas déjà allé deux fois cette semaine ? » En fait, il se rendait en salle des ventes. »

Cartons empilés jusqu’au plafond

Ce Tunisien d’origine et de cœur s’était fait un devoir de préserver ce qu’il considérait souvent comme le patrimoine de la France, lui qui avait vécu l’obtention de la nationalité française comme l’une des plus grandes reconnaissances de sa vie. Mais ce n’est pas tout. En plus de ce musée de la mode personnel en cours d’inventaire, le maître de la maille a gardé au fil de ses cinquante et une années de création chacune des pièces qu’il a conçues et faites de ses mains… Soit 22 000 vêtements qui attendent patiemment dans des boîtes.

En se frayant un chemin parmi les tours de cartons empilés jusqu’au plafond qui, menaçant pour certaines de s’effondrer, forment un dédale aux parois branlantes, Carla Sozzani regarde les photos collées sur chacune des boîtes et qui indiquent ce qu’elles renferment. Mention est faite du modèle et de la saison, bien sûr, mais aussi de la taille : uniquement du 36. « Ah ! ça, il savait comment vous faire maigrir ! rit-elle encore. Si vous grossissiez, il pouvait vous conseiller d’aller acheter une gaine chez Cadolle ou disait que vous étiez prête pour le Salon de l’agriculture. » L’élégante Milanaise qui chuchote de sa belle voix éraillée, en roulant les « r » et les maillons de son sautoir entre ses longs doigts, laisse partir loin ses pensées sur la mer de cartons qui s’étale devant elle. « C’est émouvant quand même. Il a tout gardé. »

Azzedine Alaïa, un couturier à l’écart des systèmes de mode

Un jour prochain, donc, on visitera non pas un « musée de marque » mais un haut lieu de vie et de travail acharné où, déjà, un mur vitré a été érigé pour sauvegarder le bureau d’Azzedine Alaïa, resté intact, avec seulement des draps posés sur les meubles. Chacun pourra approcher et appréhender l’œuvre hors du commun autant que l’esprit exigeant et subtil d’Azzedine Alaïa, qui continue d’habiter les lieux. Même si l’homme est enterré en Tunisie, dans le village immaculé de Sidi Bou Saïd, où le bleu des portes se mêle à celui de la Méditerranée, et dont l’une des maisons, le Dar Alaïa, accueille des expositions.

Même si les cinq chats qui se baladaient rue de la Verrerie ont trouvé refuge ailleurs, auprès des amis. Même si l’on n’entend plus les chants d’Oum Kalthoum à tue-tête dans l’atelier et si la grande télévision ne diffuse plus en boucle les documentaires animaliers. Même si Caroline ne sursaute plus à chaque bruit, craignant que le couturier blagueur caché derrière un rideau ne menace de lui couper les cheveux avec ses grands ciseaux. Et même si les lumières sont éteintes désormais autour de la table de travail du maître, il a laissé un héritage inestimable et d’utilité publique. « Il passait toutes ses nuits, seul, à faire ses patrons. Il en éprouvait une joie parfaite, se souvient Carla Sozzani. Moi, le jour, j’étais la pom-pom girl. Je lui répétais qu’il était le meilleur et qu’il n’y avait personne comme lui, pour une seule et unique raison : je le pensais. » Quand le musée sera ouvert, d’autres ne pourront que le penser aussi.

Caroline Rousseau

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