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Jours tranquilles à Paris

27 septembre 2020

Un Blanc peut-il photographier un Noir ?

Par Michel Guerrin

Un artiste blanc peut-il encore photographier des Noirs ? Ou une autre communauté que la sienne ? Cette question, inimaginable il y a trois ans, se pose, surtout aux Etats-Unis, où les incidents se multiplient. Rien d’étonnant. En contact avec le réel, la photographie est au cœur du débat, pour le moins crispé, sur l’appropriation culturelle. Nous tenons un exemple passionnant à Paris, à la Fondation Cartier-Bresson, qui expose jusqu’au 18 octobre le photographe américain Gregory Halpern. Ce dernier est blanc. Il a photographié des Noirs en Guadeloupe. Ce postulat est devenu un problème. La façon dont l’exposition, excellente par ailleurs, y répond en est un autre.

Il faut partir de l’image qui ouvre l’accrochage. Dans la mer, près du bord, un homme noir tient dans les bras une femme blanche qui flotte dans la lumière. L’image est douce et dérangeante à la fois, car mystérieuse. Quelle est la relation entre eux ? Soumission ou égalité ? L’homme a-t-il sauvé la femme de la noyade ? Est-il son compagnon ? A son service ? On ne sait et c’est merveilleux.

Le texte général de présentation de l’exposition donne des pistes. Halpern, qui sait l’histoire de la Guadeloupe, « marquée par la colonisation et l’esclavage », entend évoquer les traces d’un passé douloureux, resté vivace. On nous dit que ses portraits de Guadeloupéens ne sont pas « le produit d’une appropriation, mais celui d’un échange ». Entendez : Halpern a photographié les habitants avec leur consentement. Certains ont même posé. On apprend aussi qu’il est juif et qu’il s’intéresse « à la recombinaison des cultures du monde ». Autant de précautions pour légitimer son travail et lui éviter les ennuis.

L’imaginaire devient slogan

Mais ça va plus loin. L’image du couple dans l’eau est accompagnée d’un autre texte. L’homme « pratique un massage par flottaison ». Il eût été plus direct, semble-t-il, d’écrire qu’il s’agit d’un kiné et de sa cliente, mais bon. Toujours est-il que l’on tombe sur ces derniers mots : « Cette photographie souligne la persistance de différences raciales, perpétuées par l’esclavage et le colonialisme. »

Autant dire qu’une image à lecture ouverte devient, avec ce texte, à lecture fermée. Le mystère tombe, l’imaginaire devient slogan. On dit au spectateur comment regarder, pour qu’il n’ait pas de mauvaises pensées. C’est contradictoire avec une œuvre dont la force repose sur l’ambiguïté, voire la fiction. Contradictoire avec ce que dit Halpern lui-même dans son livre Let the Sun Beheaded Be (Aperture/Fondation Hermès, 120 p., 45 €) quand, dans un entretien passionnant avec Stanley Wolukau-Wanambwa, il confie qu’il entend bousculer les certitudes du spectateur. Contradictoire enfin quand, dans le livre suscité, Clément Chéroux analyse la résonance surréaliste des images, mouvement qui repose pourtant sur l’énigme.

Mais tout cela n’est pas surprenant. Les textes ont été écrits par des Américains pour des visiteurs américains. L’exposition devait en effet débuter en juin dernier au Musée d’art moderne de San Francisco, avant que le Covid-19 n’oblige à inverser les lieux d’exposition. Il est donc rare et instructif de voir en France une exposition telle que l’Amérique la verra, en 2022, ce qui permet de prendre la mesure du fossé entre les deux pays concernant l’appropriation culturelle. Aucune exposition en France, pour l’instant, ne prendrait de telles précautions. Il faut par exemple aller voir à la galerie Nathalie Obadia (jusqu’au 14 novembre) les photographies remarquables de Luc Delahaye, réalisées au Sénégal. Avec des Sénégalais. Cette fois sans avertissement écrit ou lecture orientée dans la salle.

Une hypothèse. Les précautions qui enrobent l’exposition Halpern sont moins là pour informer le spectateur que pour protéger l’artiste. Ce dernier espère ainsi éviter l’œil du cyclone qui a frappé tant de photographes. Mais outre que ce n’est pas gagné, il est sur la défensive. Quand un artiste commence à se justifier de sa vertu, alors même qu’il n’a rien à prouver sur la question coloniale et ses effets durables, ce n’est jamais très bon.

Il est vrai qu’Halpern arrive en terrain chargé. Il arrive après des milliers de photographes blancs – ethnographes, explorateurs, reporters ou artistes –, bons ou mauvais, qui, depuis le XIXe siècle, monopolisent l’imagerie des pays du Sud. Et dans cette imagerie, il y a beaucoup de stéréotypes et caricatures – colonialistes, exotiques, touristiques, décoratifs, misérabilistes, réducteurs – qui visent surtout à alimenter le besoin en images de l’Occident, qui aime tant regarder l’autre pour se rassurer. Le film documentaire Stop Filming Us (2020), du Néerlandais Joris Postema, tout en étant très maladroit, interroge par exemple la représentation visuelle de la République démocratique du Congo par les photographes occidentaux comme congolais.

Un changement de regard passe par un développement massif du regard autochtone. Pas simple, pour de multiples raisons, économiques déjà, même s’il y a du mieux. Pour les Occidentaux, c’est plus compliqué. Un travail de collaboration avec les gens photographiés est une piste. Mais faut-il disqualifier, « effacer » par principe tout regard étranger qui évite le contact avec les gens ? Certains le demandent, ce qui a de quoi inquiéter. Il est vrai que la complexité est une valeur en baisse dans le vaste débat décolonial.

Prenons le photographe sud-africain David Goldblatt, mort en 2018 à l’âge de 87 ans. Sa position était atypique, presque un étranger dans son propre pays : un Blanc qui a documenté l’apartheid subi par les Noirs. Il a aussi photographié les blancs. Ce statut ambivalent – dedans, dehors –, dont il a beaucoup parlé, était sa force. Il lui a permis, outre son talent, et le fait d’avoir créé une école photo fréquentée par des noirs, de produire des images remarquables, pour beaucoup sans l’accord des gens. Et lui aussi commence à être dénoncé pour appropriation culturelle.

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27 septembre 2020

Bagad de Lann Bihoué

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bagad22Photos : Jacques Snap

 

27 septembre 2020

Arrestations - Turquie : vaste coup de filet dans les milieux prokurdes

COURRIER INTERNATIONAL (PARIS)

Ankara a émis vendredi des mandats d’arrêt contre 82 personnes soutenant la cause kurde, notamment plusieurs membres du Parti démocratique des peuples (HDP), deuxième parti d’opposition au parlement turc.

Ce nouvel exemple de “répression du HDP, qui prône la reconnaissance culturelle et une plus grande autonomie des Kurdes de Turquie”, selon le Washington Post, intervient dans le cadre d’une enquête sur les violentes manifestations de l’automne 2014, qui avaient fait 37 morts à travers le pays.

La population était descendue dans la rue pour protester contre le gouvernement, resté bras croisés face à la prise par l’État islamique de Kobadié, une ville syrienne à la population majoritairement kurde, située à un jet de pierre de la frontière turque.

“Ankara accuse les responsables du HDP d’avoir appelé la population à manifester”, alors que le HDP accuse au contraire “la police turque d’avoir provoqué les violences”, explique Al-Jazira.

Le parquet “n’a pas donné le détail des chefs d’accusation retenus pour chacune des 82 personnes visées, mais assure que les crimes et délits commis pendant les manifestations incluent meurtre, tentative de meurtre, vol, dégradations, pillages, destruction du drapeau turc et coups et blessures à l’encontre de 326 membres des forces de l’ordre et 435 citoyens”, rapporte le quotidien turc Hurriyet.

Vingt des 82 accusés ont été arrêtés vendredi en Turquie – dont le maire HDP de Kars, Ayhan Bilgen. La plupart des autres seraient à l’étranger ou auraient rejoint la milice séparatiste du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), qualifiée de terroriste par Ankara, les États-Unis et l’Union européenne (UE).

Plus de 1 000 membres du HDP emprisonnés

Il s’agit du “plus grand coup de filet” dans les milieux prokurdes cette année, même si les arrestations de dirigeants du HDP ont été “une constante des cinq dernières années”, remarque El País. “Plus de 1 000 membres du parti sont actuellement sous les verrous”, précise le quotidien espagnol. Parmi eux, ses anciens leaders, Figen Yuksekdag et Selahattin Demirtas, également cités dans l’enquête sur les manifestations, mais déjà emprisonnés depuis 2016.

De nombreuses voix de l’opposition affirment d’ailleurs que les mandats d’arrêt lancés vendredi, pour des faits remontant à plus de six ans, n’avaient d’autre but que de maintenir ces deux leaders derrière les barreaux.

“Ils se focalisent sur les violentes manifestations des 6, 7, et 8 octobre 2014 dans le sud-est du pays, et essaient d’en attribuer la responsabilité à Demirtas et au HDP, comme si le parti avait pu prévoir les violences à venir”, dénonce ainsi Emma Sinclair-Webb, directrice du bureau turc de l’ONG Human Rights Watch, dans les colonnes d’Arab News.

Le procureur d’Ankara a par ailleurs indiqué que sept députés du HDP font partie des suspects et qu’un “récapitulatif des charges retenues contre eux sera envoyé au Parlement, afin de lever leur immunité”, rapporte Bloomberg.

26 septembre 2020

Davide Pappalettera - photographe

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26 septembre 2020

Sur Google, l’heure des recherches à « zéro clic »

google clic

Par Alexandre Piquard - Le Monde

Séances de cinéma, résultats de football, météo, Bourse… le moteur de recherche propose toujours plus de réponses directes aux internautes. Certains sites s’inquiètent de cette concurrence.

Si on tape « séances Tenet » dans Google, le moteur de recherche ne se fait pas prier : il affiche tout de suite une boîte avec les horaires du film de Christopher Nolan, aujourd’hui et les jours suivants, dans les cinémas des alentours – en effet, vertige du profilage, Google sait en général où on se trouve. En prime, une seconde boîte montre l’affiche du film, son casting, un court résumé de l’intrigue…

Si on préfère s’intéresser à « PSG-Nice », Google dégaine un cartouche résumant le dernier match entre les deux clubs de football : le score, les buts, la date du match retour… Et pour « météo Marseille » ? Un pavé donne la température, l’humidité, le vent et les prévisions pour la semaine. Pour « cours Bourse BNP Paribas » ? Un tableau résume l’évolution de l’action sur la journée ou même sur cinq ans, avec la capitalisation, etc.

Tout cela est visible en restant sur le célèbre moteur de recherche, sans avoir à cliquer sur un des liens vers des sites externes listés dans la page de résultats.

En effet, Google a lancé ces dernières années, sur certains thèmes, des boîtes de « réponses directes ». Et celles-ci sont placées en « position zéro » : un emplacement en or, au-dessus de la très convoitée position numéro un de la page de résultats. Au point que certains y voient une concurrence peu loyale.

« NOUS CONSTATONS UNE BAISSE DE 30 À 40 % DU TRAFIC VENANT DE GOOGLE SUR LES PAGES CALENDRIER ET CLASSEMENT DE LA LIGUE 1 », EMMANUEL ALIX, DIRECTEUR DU NUMÉRIQUE DE L’« EQUIPE »

Ces incursions de Google ont des conséquences pour les sites leaders sur les territoires concernés. « Nous avons constaté une baisse de 30 % à 40 % du trafic venant de Google sur les pages calendrier et classement de la Ligue 1 de football, déplore Emmanuel Alix, directeur du numérique de L’Equipe. Google nous dit qu’il nous apporte de l’audience mais, là, il se comporte moins comme un moteur de recherche que comme un média. » Google a un accord global payant avec le fournisseur de statistiques sportives Opta, pour le football, le basket, le baseball… Mais le moteur propose aussi des contenus copiés gratuitement sur des sites, avec un lien : le classement du Tour de France, celui des joueurs ATP en tennis…

A La Chaîne météo, l’audience du site Web a baissé dans une fourchette de « 12 % à 25 % » depuis que le moteur de recherche propose sa boîte de prévisions : « L’évolution de Google prive une partie des sites de leur audience », dénonce Marc Feuillée, directeur général de la maison mère Groupe Figaro. Pour la météo, le moteur de recherche achète ses données au fournisseur américain Weather.com.

Chez Boursorama, on a senti un effet mais le directeur marketing, Xavier Prin, s’affiche stoïque : « L’offensive de Google n’a pas affecté l’audience générale de notre site, qui offre une information plus complète et en temps réel. Toutefois, nous avons suivi attentivement leur arrivée sur la verticale boursière, qui peut répondre aux internautes s’intéressant ponctuellement à la Bourse et se contentant d’une simple requête pour consulter un cours d’action ou de devise. »

Depuis 2015, Google a lancé des « réponses directes »

Allociné a lui subi « 10 % à 15 % » de baisse sur ses pages de séances de cinéma, mais a trouvé une parade originale : l’entreprise française est devenue le fournisseur de Google pour les horaires des films au niveau mondial… En effet, elle a noué un accord par l’intermédiaire de Box Office Pro, une filiale américaine rachetée en 2015 grâce à l’appui de sa maison mère Webedia. « Avec les grandes plates-formes numériques comme Google, nous souhaitons entrer en complémentarité, plutôt que de chercher un affrontement. Il n’y a pas d’autre choix, vu leur puissance », pense Cédric Siré, directeur général de Webedia.

Le cinéma, la météo, le sport ou la Bourse ne sont que des exemples : depuis 2015, Google a lancé des « réponses directes » pour la définition de mots du dictionnaire, la traduction, les paroles de chansons, la réservation d’hôtels, les annonces d’emploi ou la culture générale, de la mort d’Albert Einstein à la taille de la tour Eiffel… Celles-ci sont tirées de partenariats payants ou du Knowledge Graph, une encyclopédie interne compilant des milliards de faits. A cela s’ajoutent des réponses à des questions courantes, tirées d’articles du Web : « Pourquoi le ciel est bleu ? » « Comment calculer les indemnités kilométriques ? » Baptisées « extraits optimisés », elles sont accompagnées d’un lien. Enfin, il faut ajouter les boîtes copiées de l’encyclopédie à but non lucratif Wikipedia, que Google soutient avec des dons.

PLUS DE LA MOITIÉ DES RECHERCHES SUR GOOGLE NE GÉNÈRENT AUCUN CLIC SUR LES LIENS LISTÉS DANS LES RÉSULTATS, SELON L’ENTREPRISE DE RÉFÉRENCEMENT SPARKTORO

Désormais, plus de la moitié des recherches sur Google ne génèrent aucun clic sur les liens listés dans les résultats, selon les calculs menés en juin 2019 aux Etats-Unis par Rand Fishkin, PDG de l’entreprise de référencement SparkToro. Trois ans plus tôt, ce taux de recherches « zéro clic » n’était que de 43 %. Sur les écrans mobiles, plus petits, le taux monte à 61 %. Conséquence : entre 2016 et 2019, le nombre de clics envoyés par Google aux sites extérieurs aurait baissé de 20 % aux Etats-Unis, pour les recherches sur navigateurs, selon SparkToro. « Le moteur de recherche de tout le monde est devenu le concurrent de tout le monde », estime M. Fishkin dans un billet.

Pour sa défense, Google rappelle que le « zéro clic » a des causes diverses, comme une requête mal formulée. « Et, depuis sa création, Google apporte chaque année davantage d’audience au Web », assure Danny Sullivan, chargé des relations extérieures pour le moteur de recherche. Une telle hausse en valeur absolue est possible malgré l’essor du « zéro clic » car l’audience globale de la plate-forme augmente (et que son application mobile n’est pas prise en compte par SparkToro). Toutefois, le géant du Web ne donne pas de chiffres.

Google conteste une méthodologie « trompeuse »

En outre, Google consacre désormais 41 % de la surface de la première page de ses résultats à ses contenus ou aux réponses directes, a calculé le média américain The Markup en juillet. Google conteste une méthodologie « trompeuse » mais ne fournit pas de contre-statistiques.

Enfin, la présence d’« extraits optimisés » ferait baisser d’un quart le taux de clics vers les liens listés dans les résultats de Google, selon la société de référencement Ahrefs. « Les extraits optimisés envoient pourtant beaucoup de trafic vers les éditeurs concernés, qui cherchent d’ailleurs à y figurer », rétorque M. Sullivan. En effet, le lien choisi par l’algorithme de Google comme « extrait optimisé » reçoit plus de clics que s’il était en 4e ou 5e position des résultats. Mais cela n’empêche pas une baisse des clics vers l’ensemble des sites extérieurs, pointe M. Feuillée. Pourquoi ne pas alors refuser d’apparaître dans les « extraits optimisés », comme le permet Google ? S’en priver serait une « perte de chance », argue le dirigeant du Figaro.

Google trahit-il sa promesse originelle ? Au tournant des années 2000, à l’époque des portails comme AOL ou Yahoo!, Google tranchait avec sa mise en page dépouillée : une liste de « liens bleus », classés par pertinence avec un principe nouveau, valorisant le nombre de pages qui pointent vers une source. « Nous voulons vous faire sortir de Google et vous amener au bon endroit le plus vite possible », résumait en 2004 le fondateur Larry Page, dans une interview au magazine Playboy. Il ajoutait même : « La plupart des portails montrent leur propre contenu au-dessus des liens vers le contenu hébergé ailleurs. Nous pensons que c’est un conflit d’intérêts. » Selon ses critiques, Google était alors une passerelle vers le Web ouvert mais, depuis, se rapproche d’un « jardin fermé ».

« NOUS VOULONS VOUS FAIRE SORTIR DE GOOGLE ET VOUS AMENER AU BON ENDROIT LE PLUS VITE POSSIBLE », RÉSUMAIT EN 2004 LE FONDATEUR LARRY PAGE, DANS LE MAGAZINE « PLAYBOY »

M. Sullivan rejette la comparaison : « Y a-t-il une autre entreprise qui envoie autant d’audience vers des sites Web extérieurs que Google ? C’est un drôle de jardin fermé. » Envoyer les internautes vers l’extérieur comme en 2004 n’aurait plus de sens quand Google peut leur fournir une réponse rapide, sur des « savoirs communs ». « C’est cohérent avec la philosophie de Google depuis ses débuts : organiser l’information du monde et la rendre accessible à tous, pas simplement organiser des liens et vous faire cliquer dessus », selon M. Sullivan, qui fait le parallèle avec l’horloge ou le service météo pré-installés sur les smartphones.

Et maintenant ? Google peut-il voir son évolution contestée ? En 2017, le moteur de recherche s’est vu infliger 2,42 milliards d’euros d’amende par la Commission européenne pour avoir accordé un traitement préférentiel à son comparateur de prix Google Shopping. Depuis, la Commission a ouvert une enquête préliminaire sur son service d’annonces d’emploi mais n’a pas reçu d’autres plaintes.

En février, quarante acteurs du voyage, dont Expedia ou TripAdvisor, ont toutefois écrit à Bruxelles pour protester contre le comparateur de séjours d’hôtels installé en position zéro en 2019. Google défend cette interface et son comparateur de vols, qui déplairaient aux « intermédiaires » mais pas aux hôtels ou aux compagnies. Pour toutes ces initiatives, le moteur met en avant la satisfaction des utilisateurs. Mais est-ce un argument suffisant si des concurrents sont affectés ? C’est l’un des débats en cours partout sur la régulation du numérique.

Bras de fer

Aux Etats-Unis, le soupçon de favoritisme de ses services par Google.com pourrait faire l’objet d’une plainte spécifique des procureurs des Etats, après la présidentielle, selon le New York Times. Par ailleurs, la commission antitrust de la Chambre des représentants des Etats-Unis a interrogé la société sur le « zéro clic ».

En Europe, des médias – dont L’Equipe ou Le Figaro – ont fait voter en 2019 un « droit voisin » leur permettant de demander une rémunération pour les extraits de contenus. Mais sa mise en place a depuis tourné au bras de fer.

Plus largement, le Digital Services Act, projet européen de régulation des plates-formes, envisage des règles pour éviter que celles-ci favorisent leurs services. Google a déjà commencé à riposter auprès de Bruxelles : avec une « interdiction large et absolue des traitements inégaux », le moteur n’aurait pas pu lancer des « innovations bénéfiques » comme les boîtes avec des extraits de cartes de Google Maps. La bataille sera rude. Et longue. Les « extraits optimisés » fournissent souvent les réponses de Google dans un domaine d’avenir de la recherche : la commande vocale, sur smartphone ou enceinte connectée mais aussi en voiture.

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26 septembre 2020

Gif animé

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26 septembre 2020

Enseignement du théâtre : le flou artistique

Par Cassandre Leray,

La liberté pédagogique laissée à l’enseignant, souvent enrichissante, peut ouvrir la porte à des abus dans un milieu où les élèves sont «habitués à la violence» pour progresser.

«Dans les écoles de théâtre, quand il y a de vrais problèmes, tout le monde ferme les yeux», soupire Sonia (1). Depuis plus de dix ans, elle enseigne dans un conservatoire. En France, un peu plus de 200 établissements forment les passionnés d’art dramatique à devenir comédiens. Les professeurs peuvent être acteurs, metteurs en scène, expérimentés ou débutants dans l’enseignement… En fonction de leur parcours, tous ont leur méthode : «On rencontre des gens, on retient des exercices qu’on réutilise par la suite dans nos cours…» décrit Damien, prof en conservatoire. Une liberté d’approche qui peut être enrichissante, à condition de respecter des «règles du jeu. L’élève n’est pas une marionnette entre nos mains», dit Sonia. Des «règles» qui demeurent toutefois tacites.

«Brèches»

Bien qu’il ne soit pas obligatoire pour enseigner, il existe un diplôme d’Etat de professeur de théâtre, visant à former des «artistes-pédagogues». Il s’obtient soit en validation d’acquis d’expériences, soit via une formation. Formation qui n’existe que depuis 2016 (alors que le diplôme, lui, a été créé en 2006) dispensée à ce jour dans trois établissements. Parmi eux, l’Ecole supérieure d’art dramatique de Paris. Comme l’explique Carole Bergen, responsable des études, quatre cents heures de cours théoriques et pratiques sont données, notamment «pour voir quels sont les devoirs d’un professeur : ne pas imposer, ne pas se poser en maître mais en guide». Pour autant, un tel diplôme ne met pas «à l’abri de toute dérive», concède-t-elle.

«Etre prof dans ces écoles donne une liberté qu’on ne trouve nulle part ailleurs : il y a ce plaisir de former, mais aussi de déformer», estime Petra Van Brabandt, philosophe et membre d’EngagementArts, mouvement belge contre le sexisme dans les arts. Elle étudie notamment l’enseignement dans les écoles de théâtre. Selon elle, les «abus» fréquents sont en partie liés au fait que «la souffrance est une valeur très ancrée dans le théâtre et la danse, qui vient d’une tradition pédagogique plutôt ancienne, du XIXe siècle. Il y a cette conviction que quand on souffre, on s’élève artistiquement». Un problème accentué par le fait que de nombreux élèves ont été «habitués à la violence» au cours de leur formation, sans possibilité de «questionner ou interroger. La liberté de l’art est absolue. Il y a aussi la notion de génie artistique, de charisme : même quand il va dans la transgression, c’est perçu comme une transgression qui nous guide vers quelque chose. On ne le contredit pas».

Cette façon de faire, Damien en a lui aussi été témoin au cours de sa carrière. Adepte d’une pédagogie «bienveillante, sans chercher à faire mal aux élèves», il constate que bon nombre d’enseignants ne sont pas dans ce même état d’esprit : «Il y en a pour qui, pour être au plus près de la vérité, il faut réellement faire mal. Et ça peut laisser des séquelles.» Selon Petra Van Brabandt, «les remarques personnelles n’ont rien à voir avec la pédagogie du théâtre. C’est une façon, souvent, de se permettre des intrusions dans la vie privée des étudiants. Ça tourne autour de leur sexualité, leur orientation sexuelle, leur passé, leur personnalité». Des sujets qui peuvent rendre les élèves particulièrement «vulnérables», selon Sonia : «On peut vite arriver à des situations d’abus car on travaille sur des choses sensibles, sur les sentiments. Une personne mal intentionnée trouve facilement les brèches pour s’engouffrer.»

Autre problème fondamental pour la philosophe : l’émiettement de la notion de consentement. «La nudité, le toucher, faire sur scène des choses expérimentales… La pratique est plutôt de persuader, forcer et ridiculiser ceux qui ne veulent pas faire ce qui est attendu par leur prof.» De son côté, Damien l’admet, il n’est pas étonnant que «des comédiennes soient traumatisées face à des profs ou metteurs en scène qui ne peuvent pas s’empêcher de monter sur le plateau pour montrer. Il faut vérifier que la personne est consentante, prévenir et demander d’abord». S’il parle des «comédiennes», c’est que les femmes sont les premières victimes de ces méthodes, comme l’explique Petra Van Brabandt : «Les corps des femmes sont présentés comme des objets. Par exemple, les femmes passent beaucoup plus de temps horizontalement sur scène que les hommes. C’est une comparaison simpliste mais ça dit des choses.»

«Non-réponse»

Depuis deux ans, le ministère de la Culture a engagé un «gros travail sur la prévention des inégalités, avec un accent sur la responsabilité des établissements d’enseignement», souligne Agnès Saal, haute fonctionnaire à l’égalité, la diversité et la prévention des discriminations. En novembre 2017, il a été demandé aux 99 écoles supérieures de la culture relevant du ministère de se doter d’une «charte égalité», composée entre autres d’un volet sur les violences sexistes et sexuelles. Cette demande concerne 12 écoles publiques nationales de théâtre. Par la suite, une formation a été mise en place à l’automne 2019 pour tous les agents travaillant dans ces établissements, ainsi que les élèves qui le souhaitent.

Les conservatoires, bien plus nombreux, sont quant à eux gérés par les collectivités territoriales. Ils ne bénéficient donc pas de la mise en place de ces mesures. «Le ministère a une tutelle pédagogique seulement, et pas fonctionnelle. Là, on dépend vraiment de la volonté d’agir des collectivités. S’il y a un problème dans un établissement territorial, on n’a pas la capacité, ne serait-ce que juridique, d’agir», précise Agnès Saal. Il existe bien un schéma d’orientation pédagogique concernant l’enseignement initial du théâtre, mais le document publié en 2005 n’évoque à aucun moment la question des violences.

D’après Sonia, la principale question à soulever est celle des recrutements. «Si un professeur a des plaintes d’élèves dans son dossier, ça ne devrait pas passer inaperçu.» Et d’ajouter : «Ce n’est pas normal que les élèves qui témoignent ne se sentent pas écoutés. Si le prof est déplacé, c’est une non-réponse absolue. Il faut des enquêtes et des procédures administratives.» Pour Petra Van Brabandt, une chose est sûre : «Ce n’est pas la responsabilité des élèves, des opprimés, de changer les choses. C’est celle des écoles et des professeurs.»

(1)     Certains prénoms ont été modifiés.

26 septembre 2020

Milo Moiré

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26 septembre 2020

Coulisses et falbalas pour les adieux de Jean Paul Gaultier

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FRANCE 5

SAMEDI 26 - 22 H 25

DOCUMENTAIRE

La fin de son activité dans le domaine du prêt-à-porter, en 2014, avait été un premier électrochoc. C’était sans savoir que, six ans plus tard, Jean Paul Gaultier déciderait qu’il cessait aussi son travail de haute couture, lancé en 1997 : la marque perdurerait, mais menée par la Japonaise Chitose Abe.

L’événement était marqué par un dernier défilé fleuve, donné au Théâtre du Châtelet devant une marée de veuves et de veufs joyeux, en janvier 2020 : « Un défilé qui a rendu dingue le monde de la mode », dit Loïc Prigent, l’auteur du bien nommé documentaire Jean Paul Gaultier se défile !, proposé par France 5.

Mis en scène par la chorégraphe Blanca Li, le « show » devait présenter deux cent quarante tenues au long de deux cents passages organisés en seize tableaux, dont le premier, funèbre, s’inspirait de la scène des veuves au cimetière du film mythique Qui êtes-vous, Polly Maggoo ? (1966), de William Klein. Mais après le noir strict, place à une dégelée de couleurs et de formes bigarrées, certaines remixées à partir des signes iconiques de la maison (les seins coniques, les robes-cages, les corsets, les tissus « tatoués », etc.), popularisés par les nombreuses vedettes qu’elle a habillées – comme Madonna ou Mylène Farmer.

Diversité des corps

Pas d’apparition de la madone ; en revanche, Mylène Farmer était bien là, comme la chanteuse Catherine Ringer, familière de l’univers du créateur, et tant d’autres encore, sur scène et dans la salle : Rossy de Palma, Amanda Lear, ses mannequins fétiches – les grands noms actuels du métier et les anciens, revenus pour l’occasion, dont un « avec 25 kilos de plus », plaisante sans méchanceté le turbulent sexagénaire.

Car l’univers du couturier a toujours accueilli la diversité des corps et l’indéfinition des genres : les garçons (comme Tanel, muse et collaborateur historique) portent des jupes et sont entourés par les non-binaires, les trans, les représentants de la scène voguing parisienne, les drag-queens du RuPaul’s Drag Race, les filles androgynes ou pulpeuses, etc. « Ça fait du bien de voir que tous les physiques sont possibles sur un podium parce que tous les physiques sont beaux », commente Prigent, très dans la consensualité de l’époque.

Mais le Breton ne perd pas son ton persifleur, avec ces phrases mitraillettes qui n’appartiennent qu’à lui. A propos d’Amanda Lear : « On voit sa culotte : ce n’est pas un incident de garde-robe, c’est un style de vie. » Plus tard, ce sera une Marianne à la tenue pas trop républicaine – selon les canons tout juste promus par le ministre de l’éducation nationale…

On pourra compléter le visionnage de ce documentaire joliment foutraque, à l’image de l’artiste portraituré par une vidéo de la chaîne YouTube du documentariste : Loïc Prigent y détaille, robes sous la main, les techniques, tours de passe-passe, envers et revers, textures, cambrures et chamarrures de Jean Paul Gaultier, toujours sympathique, accueillant et rieur.

Mais, derrière cette aimable et ludique façade, les grands du métier ont toujours su reconnaître l’assurance de la technique, mise au service d’un vestiaire « aux placards sans fond ». De sorte qu’il est permis de dire que Gaultier restera comme l’un des génies les plus singuliers, au style pourtant pluriel, de la mode contemporaine.

Jean Paul Gaultier se défile !, documentaire de Loïc Prigent (Fr., 2020, 52 min).

26 septembre 2020

Fanny Müller

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