La politique incendiaire de Bolsonaro en Amazonie
La multiplication des feux amazoniens est la face visible de la politique du président brésilien, analyse le journaliste du « Monde » Nicolas Bourcier.
Par Nicolas Bourcier
Analyse. Pour une fois, nous avons regardé la maison brûler. Dix-sept ans, presque jour pour jour, après la harangue de Jacques Chirac au IVe Sommet de la Terre à Johannesburg, en Afrique du Sud, où le président français avait appelé à ne pas regarder « ailleurs », le monde s’est soudainement pris de convulsions pour l’Amazonie. Les feux de forêt ont fait la « une » des journaux quasi quotidiennement depuis la mi-août. Les plus hauts responsables politiques de la planète se sont exprimés sur le sujet. Des aides ont été proposées. De l’argent aussi.
Qu’on en juge. Pour la seule journée du 2 septembre, 1 284 départs de feux ont été enregistrés rien qu’en Amazonie brésilienne. Ils s’élèvent à plus de 45 000 depuis le début de l’année. D’après les chiffres publiés la semaine dernière, le taux de déforestation au Brésil a augmenté en août de 222 % par rapport à la même période de 2018. Soit un stade de football de forêt rasé par minute. Près de 400 000 arbres par jour. Certes, ces chiffres vertigineux restent en deçà des pics de déboisement enregistrés au début des années 1990 et 2000, mais l’accélération de ces dernières semaines est plus que préoccupante. Peut-être parce que la planète n’a jamais eu autant besoin qu’aujourd’hui de ce poumon vert et de sa biodiversité.
Un homme a pourtant regardé ailleurs, Jair Bolsonaro, le président brésilien, élu haut la main en octobre 2018 et suivi dans un bel élan d’unanimité par l’ensemble de son gouvernement. Plusieurs fois, l’homme fort de Brasilia a affirmé que les statistiques étaient biaisées. Longtemps, cet adepte de la théorie du complot a soutenu que les incendies avaient été provoqués par les ONG, qu’il a accusées d’avoir elles-mêmes mis le feu à la forêt pour se venger d’avoir perdu leurs subventions publiques. Ce n’est que récemment qu’il a accepté une aide internationale, choisie et au compte-gouttes.
Changement de paradigme
Pour nous ôter le moindre doute sur le sujet, le ministre des affaires étrangères, Ernesto Araujo, vient d’affirmer que les images satellites ne faisaient pas la différence entre « un feu de campement » et un incendie, frappant encore un peu plus de stupeur et d’indignation la communauté scientifique. Le ministre de l’environnement, Ricardo Salles, ancien avocat des milieux d’affaires, a prévu, lui, de s’entretenir avec des responsables d’un think tank nord-américain climatosceptique, le Competitive Enterprise Institute, peu avant le sommet de l’ONU du 27 septembre où la question des feux amazoniens devrait occuper une place importante.
De fait, M. Bolsonaro n’a jamais caché que la forêt amazonienne était pour lui une ressource naturelle parfaitement exploitable. Député à l’aile la plus droitière de l’échiquier politique brésilien pendant plus de vingt-cinq ans, cet ex-capitaine a régulièrement soutenu l’idée d’une ouverture de ces terres aux intérêts commerciaux. Comme nombre de militaires, il a toujours considéré les inquiétudes internationales au sujet de l’Amazonie comme autant d’efforts déguisés des pays riches pour empêcher le développement du Brésil.
« Les petits fermiers, les exploitants agricoles, les industriels et les bandes de criminels qui brûlent la forêt savent que personne n’ira les arrêter », explique un responsable fédéral de l’environnement
Depuis son investiture le 1er janvier, il n’a pas dévié. Au contraire. « Il n’y a eu aucune mesure ni action répressive depuis son arrivée au pouvoir, et maintenant, c’est la forêt qui en paie le prix, explique un responsable fédéral de l’environnement du bassin amazonien. Les petits fermiers, les exploitants agricoles, les industriels et les bandes de criminels qui brûlent la forêt savent que personne n’ira les arrêter. » Et pour cause. Dès le premier jour de son mandat, M. Bolsonaro a placé sous la tutelle du ministère de l’agriculture – et non plus de la Fondation nationale de l’Indien (Funai), organisme public chapeauté par le ministère de la justice – la démarcation des terres attribuées aux peuples autochtones. Un ministère confié à Tereza Cristina da Costa, leader du groupe parlementaire « ruraliste », qui défend les intérêts de l’agrobusiness. Démoniaque changement de paradigme.
Le véritable marqueur est toutefois survenu à peine deux semaines plus tard, le 25 janvier. Ce jour-là, un barrage du géant minier brésilien Vale, dans le Minas Gerais, près de Brumadinho, cède, entraînant la mort de plus de 200 personnes et une centaine de disparus. Le tsunami de boue toxique contamine la rivière Paraopeba jusqu’au fleuve Sao Francisco. Près de 350 km de cours d’eau sont pollués ; la flore et les rives, souillées. Là encore, les images font le tour du monde. On en appelle aux dirigeants, on pousse à ce que les licences des barrages soient mieux contrôlées, à ce que la gestion des dommages devienne une priorité du gouvernement.
Peine perdue : M. Bolsonaro et ses équipes s’engageront à assouplir les règles d’attribution des licences de construction et d’exploration minière. Ils diminueront même drastiquement le nombre de procès-verbaux en matière d’infractions environnementales. Jamais autant d’atteintes à la loi n’auront été aussi peu verbalisées. A l’inverse, le gouvernement prendra pour cible le Fond Amazonie, principal financier, depuis 2008, des projets de préservation des écosystèmes et de lutte contre la déforestation. Il paralysera son action, accusant même, sans preuves, certains acteurs de la société civile d’irrégularités dans la gestion de l’institution.
La multiplication des feux amazoniens est bien la face visible de la politique incendiaire de M. Bolsonaro. D’autres sinistres suivront, tant le sentiment d’impunité semble s’être durablement installé sur le territoire. Intimidations, menaces, assassinats de caciques et de défenseurs de l’environnement, incursions dans les terres indiennes, où le défrichement a également augmenté. Bûcherons et fermiers, orpailleurs et hommes de main se sentent comme libérés par la parole présidentielle. La spirale est mortifère ; elle se déroule sous nos yeux.