Illustration : la une de Libération
Par Yan Gauchard, Nantes, correspondant, Léa Sanchez
Le jeune animateur périscolaire de 24 ans avait trouvé dans les soirées techno un endroit où il pouvait s’extérioriser. Son corps a été repêché dans la Loire lundi.
Corps mince s’articulant au gré des sons, pull au motif américain et immuable sourire : dans la nuit du 21 au 22 juin, Steve Maia Caniço dansait sur le quai Wilson, à Nantes. Il participait à une soirée techno organisée à l’occasion de la Fête de la musique. Un moment qu’il n’aurait manqué pour rien au monde : la musique, c’était sa bulle, sa passion, son lâcher-prise.
« Je l’ai déjà vu pleurer parce qu’il était ému par une chanson », raconte Dorine, une des proches du jeune homme de 24 ans, dont le corps a été repéré dans la Loire, lundi 29 juillet, par le capitaine d’une navette fluviale. La fin de cinq semaines de recherches, depuis la dispersion controversée de la soirée à laquelle il participait par les forces de l’ordre – une dizaine de personnes étaient alors tombées dans la Loire.
Du théâtre à la « teuf »
Depuis plusieurs années, Steve Maia Caniço s’était glissé dans l’univers des soirées techno et des « free parties » – ces fêtes centrées sur la musique électronique et dont l’adresse est dissimulée aux non-initiés. « Il n’avait pas le permis, alors je l’emmenais les week-ends », indique Théo, « teufeur » lui aussi. L’ancien fan non avoué du chanteur Justin Bieber, qu’il écoutait durant son adolescence, y dansait sur les nouveaux genres de musique qu’il avait découverts, comme le hard style. De l’avis d’une proche, dans les « free parties », « il n’avait pas peur d’être jugé » : l’animateur périscolaire sortait alors « de sa coquille ».
« Il était très sensible, différent dans sa manière d’être. C’est peut-être pour ça qu’il était proche de beaucoup de filles. Les garçons, ça tacle beaucoup plus, et il n’aimait pas ça », estime Dorine. « C’est un peu contradictoire : Steve était très sociable mais du point de vue des sentiments amoureux, avec les filles, il se montrait timide », abonde Johanna Maia Caniço, la sœur de Steve.
Fils d’un maçon d’origine portugaise et d’une mère travaillant auprès de personnes en situation de handicap, il a longtemps été un enfant réservé : Gaëtan Ardouin, président de la compagnie de théâtre Jean Le Gallo, se rappelle du garçon brun et mince, d’une dizaine d’années, qui venait discrètement assister à ses premiers cours de théâtre. C’est sa mère, dit-il, qui l’avait inscrit là pour vaincre sa timidité. A ce moment, « il ne parlait pas beaucoup, il avait du mal à se lier à d’autres enfants », se souvient le metteur en scène. « C’était une vraie thérapie pour lui, ça lui a permis de s’extérioriser. »
« J’ai la cicatrice d’Harry Potter »
Steve Maia Caniço, aîné d’une fratrie de trois enfants, adore se glisser dans la peau des autres et, sur scène, se métamorphose – tant en jouant des rôles déjà écrits que dans l’improvisation. Ce fan de séries et des super-héros Marvel aime s’inventer des identités : « J’ai la cicatrice d’Harry Potter », se plaît-il à dire à sa sœur, à laquelle il jette les sorts du jeune sorcier avec une baguette magique fabriquée de ses mains.
Gwénola Cogrel, sa professeure de théâtre, tâche de faire jouer avec lui tous les enfants du groupe. La « pile électrique » qu’est Steve sort souvent de la trame établie. Médusés, ses camarades fixent alors leur enseignante d’un regard perdu. « Il avait une espèce de liberté qui pouvait être très déstabilisante pour les autres », explique la comédienne, qui évoque un acteur devenu « capable de passer de l’émotion au comique ».
A un moment, le jeune homme s’interroge : peut-il faire de sa passion son métier ? Il s’en ouvre à Gwénola Cogrel, envisage aussi de devenir régisseur son et lumière. Il se cherche, boucle un apprentissage. Il arrête finalement le théâtre en 2016. Il trouve des emplois par-ci par-là, travaillant notamment dans des grandes surfaces. « Il n’avait plus beaucoup de temps pour le théâtre, entre ses soirées et le début de ses activités professionnelles », explique une de ses camarades de théâtre. Steve trouve finalement sa voie dans l’animation périscolaire au sein de l’école publique Alexandre-Vincent, à Treillières, une commune de 9 000 habitants au nord de Nantes, où il résidait avec son père depuis quelques années.
« Nous avons passé de bons moments avec toi. Quand nous faisions des tours de Kapla [un jeu de construction] », raconte, d’une écriture maladroite, un enfant dans le livre d’or que la mairie a mis à disposition de ses habitants depuis le 1er août.
« Détestation du conflit et des embrouilles »
Trois jours après la fête de la musique, le lundi 24 juin, alors qu’il ne s’est pas présenté à son poste, « tout flottait », explique Anne-Claire Le Portois Girin, mère d’un enfant de 7 ans scolarisé dans l’établissement. Les enfants, raconte-t-elle, étaient très attachés au jeune diplômé du brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur (BAFA).
Elle évoque un jeune homme qui « ne se droguait pas » et « buvait juste une bière de temps en temps ». Johanna Maia Caniço explique, elle, que la famille s’est « un peu inquiétée » des premiers pas de son frère en « free party » : « On sait très bien qu’il y a de la drogue qui peut circuler, mais Steve sait dire non et on avait une grande confiance dans les gens avec qui il sortait ». Dès que son frère rentrait de soirée, il lui passait les vidéos qu’il avait prises : « Il me montrait les images en me disant : “Devine combien il y a de kilos de sons ?” Et ça partait pour une heure de vidéo ».
Dans ces soirées, le fêtard s’est fait une bande de copains très fidèles, avec lesquels il partage sans arrêt les nouveaux sons qu’il a découverts via les réseaux sociaux. En restant toujours assez discret sur sa vie, sur son parcours. A de rares occasions, il s’est essayé au mixage : « Il n’arrivait pas à sortir les sons qu’il voulait et il a considéré que sa place était devant les enceintes », explique Anaïs, 24 ans. Il y sautait de toutes parts. « Quand il dansait, il ressemblait à un chef d’orchestre », ajoute Théo.
Tous ses amis mentionnent sa « joie de vivre », sa « détestation du conflit et des embrouilles » et son pacifisme – sa famille ne lui connaît aucun engagement politique et seulement une manifestation, en faveur des « free parties ». Ses proches soulignent sa générosité, aussi. « La musique lui suffit », résume Mathis, 21 ans et technicien de surface. Le soir de la Fête de la musique, Raphaël, 23 ans, l’a vu arriver un pack de bières à la main. « Il en a pris une, puis a tout distribué » à ses amis.
« Alors chantez, dansez »
Pendant cinq semaines, ses proches ont scruté la Loire, tentant d’apercevoir une trace du jeune animateur périscolaire qui ne savait pas nager. Ils ont aussi organisé plusieurs rassemblements, une grande chaîne humaine, et inondé Nantes d’affiches avec une seule question : « Où est Steve ? » Dans la ville, un imposant portrait de lui – bras croisés et sourire aux lèvres – se dessine désormais en nuances de gris sur un hangar, à deux pas de l’endroit où il a été vu pour la dernière fois. Un graff qui touche au cœur la famille du jeune homme : « Si vous voulez lui rendre hommage, alors chantez, dansez », confie Johanna Maia Caniço.
Une des dernières pièces de son grand frère avec son enseignante Gwenola Cogrel, en 2016, était une version revisitée de Littoral, une œuvre de l’auteur, comédien et metteur en scène Wajdi Mouawad. Elle relate l’expérience de Wilfrid, un jeune homme décidant d’aller enterrer son père dans son pays natal. Steve Maia Caniço y incarnait « le père du héros », se souvient Gwénola Cordrel. Un personnage « qui va hanter l’esprit de son fils » : « Steve était capable de beaucoup de sensibilité », explique sa professeure.
Dans une vidéo publiée sur le site de la troupe de théâtre, on voit le jeune acteur allongé, recouvert d’un drap mortuaire. Devant un héros sidéré, il se relève. Son « fils » n’arrive pas à y croire. « Mais tu n’es pas mort, hein ? », s’assure-t-il un peu plus tard. « Mais non, je ne suis pas mort », réplique Steve Maia Caniço.
Le week-end suivant la Fête de la musique, il devait aller au Defqon.1, un festival néerlandais de musiques électroniques, avec un couple d’amis. « Son ami a emmené sa place, c’est comme si Steve partait au festival », confie sa sœur.