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Jours tranquilles à Paris

20 septembre 2020

A ne pas manquer « Antoinette dans les Cévennes » : un vaudeville à dos d’âne

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C’est le grand bol d’air de la rentrée, la surprise d’une comédie populaire et décalée, à l’humour dérangeant, dont les rebondissements emmènent le spectateur bien au-delà du vaudeville annoncé.

Antoinette dans les Cévennes, de Caroline Vignal, nous conte l’épopée comique et pathétique d’une maîtresse d’école qui part à la recherche de son amant, le père d’une de ses élèves, homme marié qui passe ses vacances familiales dans les Cévennes au lieu de partir avec elle. N’écoutant que sa flamme, elle se lance sur les traces de Vladimir, à corps perdu, sur le GR70 qui relie Le Monastier-sur-Gazeille (Haute-Loire) à Saint-Jean-du-Gard (Gard), comme le fit en 1878 l’auteur écossais Robert Louis Stevenson, qui en tira l’ouvrage devenu culte, Voyage avec un âne dans les Cévennes (1879).

Le film tire sur les ressorts comiques jusqu’au point de rupture, envoyant son héroïne en zone périlleuse avant de la récupérer sur le terrain plus connu du burlesque, où Laure Calamy n’a plus à prouver qu’elle excelle. Clarisse Fabre

« Antoinette dans les Cévennes », film français de Caroline Vignal. Avec Laure Calamy, Benjamin Lavernhe, Olivia Côte, Marie Rivière (1 h 35).

Les Inrockuptibles

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20 septembre 2020

Miley Cyrus

20 septembre 2020

Miley Cyrus

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20 septembre 2020

Décryptages - Qu’est-ce que la 5G va changer pour les particuliers ?

Par Mathilde Damgé - Le Monde

La 5e génération de réseaux mobiles devrait permettre d’éviter la saturation dans des échanges de plus en plus gourmands en données, mais elle suscite aussi de nombreuses questions pratiques.

Où en est la 5G ? La seule partie visible, pour l’instant, ce sont les centaines de stations expérimentales qui sont apparues sur le territoire métropolitain. Mais le processus va s’accélérer d’ici à l’automne avec les enchères, qui doivent commencer le 29 septembre, pour une ouverture commerciale à partir de la fin de l’année ou au début de l’année 2021.

Cette technologie, permettant d’obtenir un meilleur débit et d’augmenter les performances des appareils connectés, suscite toutefois de nombreuses controverses. Si son utilité semble acquise pour les entreprises, les particuliers s’interrogent, et de nombreuses théories ou hypothèses fantaisistes fleurissent sur les réseaux sociaux. Le point sur six questions majeures pour le consommateur, et sur ce qui peut ou pas légitimement inquiéter le citoyen.

1. « Je ne peux pas refuser la 5G »

FAUX

Tant que vous utilisez un téléphone non compatible et que vous n’avez pas de forfait 5G, vous ne passerez pas par ce type de connexion très haut débit. Vous pourrez continuer d’utiliser les autres réseaux (Edge, 2G, 3G, 4G) selon votre type d’appareil, votre forfait, et le réseau disponible localement. « Les réseaux préexistants ne vont pas disparaître. Plusieurs flux vont se superposer », confirme l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep).

En revanche, il est possible que, dans quelques années, si la technologie est adoptée massivement, les appareils doivent être changés en fonction des usages : « La normalisation de la 5G rendra obsolètes la plupart de nos téléphones », prédisent Samuel Sauvage, président d’Halte à l’obsolescence programmée, et Yves Marry, délégué général de Lève les yeux, associations luttant respectivement pour la durée de vie des objets et la déconnexion.

Or, il est probable qu’à ce moment-là, les nouveaux téléphones sur le marché seront tous équipés pour utiliser la 5G. On pourra continuer d’utiliser les anciens réseaux, mais ceux-ci risquent de ne plus être adaptés aux besoins qui se seront développés entre-temps (vidéo en streaming, jeux en ligne, etc.) et que les consommateurs auront peut-être adoptés. C’est le cas de la 4G, aujourd’hui devenue la norme quel que soit le modèle de téléphone que l’on achète et qui est nécessaire pour visionner les vidéos partagées sur les messageries ou les réseaux sociaux.

2. « Ça ne servira à rien »

EXAGÉRÉ

Pour dénigrer l’intérêt de la 5G, Eric Piolle, le maire Europe Ecologie-Les Verts (EELV) de Grenoble, s’est exclamé, lors de l’émission du « Grand Jury RTL-LCI-Le Figaro » début juillet : « Grosso modo, la 5G, c’est pour permettre de regarder des films porno en HD, même quand vous êtes dans votre ascenseur. » Un résumé un peu court. En effet, la 5G permettra au consommateur de consulter en direct et en bonne définition des contenus assez lourds, comme des vidéos, et de jouer à des jeux vidéo diffusés depuis le cloud (technique d’externalisation de services sur des serveurs distants).

En outre, la 5G supportera un nombre très important de connexions simultanées et permettra, par exemple, de fournir en réseau tous les voyageurs et leurs nombreux objets connectés, sur un quai de gare. Elle pourrait permettre aussi le développement de la réalité virtuelle (jeux, films, documentaires immersifs, etc.). Au final, elle représente un bond moins important que celui entre la 2G et la 3G par exemple qui a permis d’ajouter Internet aux appels et aux SMS, ou entre la 3G et la 4G, qui a ajouté Internet « illimité » (permettant de lire des vidéos et d’utiliser des applications).

De fait, ce ne sont pas les usagers des téléphones mobiles qui vont le plus profiter de la 5G, ce sont surtout les entreprises qui lorgnent ses possibles usages (dont profiteront les particuliers par ricochet) : pilotage automatique dans certaines industries, voitures autonomes, chirurgie à distance, villes connectées, etc. Un progrès technologique que ses défenseurs qualifient de « rupture » et ses contempteurs de « fuite en avant ».

3. « Il faudra un nouveau téléphone »

VRAI

C’est l’une des principales critiques contre la 5G : elle nous pousse à une plus grande consommation de données, mais aussi des terminaux permettant de les recevoir. En effet, pour bénéficier de ce très haut débit, il est nécessaire de s’équiper de nouveaux appareils.

Toutefois, la 5G ne sera pas pleinement opérationnelle tout de suite car il faudra attendre que les premiers équipements soient mis en service, et ils ne couvriront pas tout le territoire. De plus, pour qu’un réel bond en qualité de réseau soit réalisé, les opérateurs devront utiliser plusieurs bandes de fréquence, et pas seulement celle des 3,5 GHz ouverte au début. En particulier, explique l’Arcep, la bande des 26 GHz devrait, « grâce à ses largeurs importantes, permettre des débits inégalés et des usages inédits ». Or les attributions de fréquences dans cette bande ne sont pas attendues avant quelques années.

Arcep

« Les services 5G qui révolutionneront l’industrie n’arriveront pas en France avant 2023 », a admis, devant le Sénat, Olivier Roussat, président de Bouygues Telecom, le 10 juin. Par ailleurs, le cycle de vie des téléphones portables étant court (les appareils sont renouvelés en moyenne tous les deux ans), il est plus prudent d’attendre que la technologie soit complètement déployée pour investir dans de nouveaux équipements.

4. « Le prix des forfaits va augmenter »

PROBABLE

Difficile d’anticiper le comportement commercial des opérateurs téléphoniques, mais les milliards d’euros qu’ils devront débourser lors des enchères pour obtenir les fréquences 5G risquent de se répercuter sur les prix des forfaits. D’ailleurs, d’après les premiers tarifs proposés aux particuliers qui veulent prendre de l’avance (entre 40 et 70 euros par mois, hors promotion), la hausse est conséquente par rapport aux offres actuelles en 4G.

La majorité des offres existantes en 5G permettent de « subventionner » l’achat d’un téléphone compatible, le rendant moins cher mais liant l’utilisateur à un opérateur pour plusieurs mois. Finalement, selon l’association de consommateurs UFC-Que choisir, « ces forfaits destinés aux très gros utilisateurs sont assez chers ».

5. « Campagne et petites villes seront encore les dernières servies »

UN PEU VRAI

En 2018, les opérateurs ont signé un accord avec l’Etat où ils s’engagent à être présents dans des zones peu peuplées, donc peu rentables, en échange d’une réattribution sans enchères des fréquences et du gel des redevances associées à leur exploitation. Mais, en réalité, il y a encore des zones où le déploiement du réseau est insuffisant : les opérateurs ont ainsi été rappelés à l’ordre afin de généraliser la couverture mobile de qualité pour l’ensemble des Français (passage de tous les sites 2G/3G en 4G, obligation de « bonne » couverture des zones rurales, desserte de 55 000 kilomètres d’axes routiers, etc.).

Cette inégalité dans les territoires face à l’accès au réseau devrait se confirmer avec la 5G, du moins au début, puisque les antennes ne seront pas déployées partout dès le lancement des offres, et que certains opérateurs commencent déjà à renâcler.

Ainsi, Martin Bouygues, patron du groupe éponyme, après avoir échoué à renégocier l’accord avec l’Etat, a menacé à demi-mot de ne plus combler ces zones blanches : « Il doit être clair que, s’il venait à l’idée des pouvoirs publics après les enchères de demander un effort supplémentaire pour la couverture des territoires (…), notre réponse sera réservée », a-t-il déclaré au Sénat, le 10 juin.

6. « Il y a un risque d’espionnage du téléphone »

PEU PROBABLE

Ce qui est certain, c’est que la 5G représente un saut vers l’hyperconnectivité, de nombreux appareils et réseaux étant connectés les uns avec les autres. « Cela pose la question de la collecte des données », reconnaissait, en janvier, Sébastien Soriano, le président de l’Arcep.

« L’une des responsabilités de l’Arcep est de veiller à ce que les échanges de communication entre les personnes soient bien protégés. Il y a des obligations qui s’imposent aux opérateurs concernant l’utilisation des données. (…) Pour être honnête, c’est un sujet que nous avons jusqu’à présent peu investi. Nous allons donc ouvrir le capot. Il ne s’agit pas de préjuger de ce que font les opérateurs ou d’être dans la suspicion, mais de garantir ce qui se passe et, le cas échéant, d’agir s’il y a des dérives », avançait le gendarme des télécoms.

Par ailleurs, les craintes concernant les risques d’espionnage par des entreprises étrangères ont, elles, fini par déboucher sur une quasi-interdiction de fait du territoire : à la suite de l’annonce de restrictions concernant Huawei, Bouygues Telecom (qui, comme SFR, a recours aux technologies du chinois) a annoncé qu’il allait démonter, d’ici à 2028, toutes les antennes du fabricant installées dans les zones fortement peuplées.

Une fois ces craintes d’espionnage éteintes, les opérateurs et les autorités devront encore apporter des réponses claires à celles sur une dangerosité supposée des ondes. Dans un rapport préliminaire, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a conclu à « un manque important voire à une absence de données scientifiques sur les effets biologiques et sanitaires potentiels liés aux fréquences autour de 3,5 GHz ». Le rapport définitif de l’Anses ne devrait être rendu qu’en 2021, ce qui suscite des critiques autour de la précipitation du lancement, y compris au sein du gouvernement : le ministre de la santé, Olivier Véran, et son homologue de la transition écologique, Elisabeth Borne, ont écrit au premier ministre pour lui demander d’attendre l’évaluation sanitaire avant de finaliser l’attribution des fréquences.

20 septembre 2020

L’histoire d’Emily Ratajkowski révèle un profond problème dans le milieu du mannequinat

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Par Mymy Haegel 

Emily Ratajkowski, alias Emrata, a publié un passionnant essai évoquant le sexisme dans le milieu du mannequinat — un problème qui dépasse, malheureusement, ses expériences personnelles.

La tête haute, le regard fier, et en arrière-plan son corps morcelé de mille façons : c’est ainsi qu’Emily Ratajkowski illustre son essai Buying Myself Back publié dans The Cut, dans lequel elle évoque plusieurs expériences articulées autour de son impossibilité à avoir le contrôle sur sa propre image.

Au-delà de ce paradoxe —une femme devenue riche et célèbre grâce à son apparence, confiée aux mains d’autres gens, principalement des hommes—, son récit révèle, en filigrane, un problème de sexisme tenace dans le milieu du mannequinat.

Emily Ratajkowski, nouvelle victime du sexisme dans le milieu du mannequinat

Dans ce texte, Emily Ratajkowski revient sur différents moments de sa vie. La fois où un artiste contemporain vendait des peintures de ses photos Instagram à elle pour des dizaines de milliers de dollars. La fois où un paparazzi lui a fait un procès parce qu’elle avait partagé une photo d’elle qu’il avait prise. Et surtout son expérience avec le photographe Jonathan Leder, qui l’a shootée nue alors qu’elle avait 21 ans, l’a pénétrée sans son consentement, et a exploité ses clichés une fois qu’« Emrata » est devenue superstar, les diffusant sans son accord dans des expos à succès.

Rien de nouveau, malheureusement, dans le milieu du mannequinat…

Quelques exemples : après des années à être LE photographe américain en vue, Terry Richardson a été accusé à plusieurs reprises d’agressions sexuelles et de chantage (« si je peux te baiser, je te promets un shooting pour Vogue »). Plus près de nous, et plus récemment, le photographe et street artist français Wilfrid A., connu pour ses tags « L’amour court les rues », a fait l’objet de plus d’une vingtaine de plaintes pour viols et agressions sexuelles — dont certaines déposées par des mineures. Il faisait venir ses victimes chez lui pour être prises en photo, jouant sur sa notoriété.

Comment rendre plus sain un milieu qui exploite depuis si longtemps les corps féminins, notamment ceux des jeunes femmes ? Comment mieux protéger les mannequins et leur permettre de (re)prendre le contrôle de leur image ? Des questions épineuses qui résonnent avec l’évolution de la société.

Le milieu du mannequinat est-il particulièrement sexiste ?

Le mouvement #MeToo, né dans l’industrie du cinéma aux États-Unis, a résonné depuis bien au-delà des frontières d’Hollywood, car le problème est loin de se limiter à une seule enclave professionnelle. C’est bien pour ça qu’on parle de violence systémique : elle s’inscrit dans un système très large et ne se résume pas à des cas particuliers.

L’historienne de l’art Françoise Monnin répond, pour madmoiZelle, à la question « Est-il correct de dire qu’historiquement, les hommes ont été en charge du marché de l’art et ont exploité pour leur profit les corps féminins ? ».

L’art et son marché sont l’image de la société dans laquelle ils s’épanouissent. […] Aussi longtemps que les femmes ne furent pas admises dans les écoles d’art, ne dirigèrent pas de galeries d’art, n’enseignèrent pas l’histoire de l’art et ne l’écrivirent pas, il en est allé ainsi, comme cela fut le cas dans l’ensemble des professions.

La situation a changé progressivement au XXe siècle, après deux guerres mondiales. Avant cela, à de très rares exceptions, les seuls rôles dévolus à la femme dans le monde de l’art furent ceux de modèle, de muse et plus rarement de mécène.

Au sujet des artistes qui abusent des femmes leur servant de modèles, Françoise Monnin rappelle, là encore, que ce n’est pas spécifique à un milieu.

Selon le contexte historique et géographique, la société réagit plus ou moins vigoureusement [aux abus sexuels, NDLR]. Elle a globalement, jusqu’à fort récemment, eu plutôt tendance à minimiser et même à étouffer de tels scandales.

Mais attention à ne pas tomber dans la caricature : les abus de pouvoir existent dans TOUS les milieux influents.

Marion Séclin, qui a commencé à poser il y a douze ans, rejoint les propos de l’experte : le mannequinat n’est pas plus inégalitaire que le reste de la société.

Ce n’est pas un milieu plus sexiste qu’un autre, il est à l’image du monde dans lequel on vit. C’est comme dans l’audiovisuel : les hommes ont les postes qui leur permettent de te mettre en lumière, et de façon insidieuse ils attendent que tu ne sois rien sans eux, un peu comme les réalisateurs qui ne veulent pas de comédiennes trop intelligentes…

Le photographe aime diriger, jouer un rôle un peu paternaliste. C’est propre aux métiers artistiques. Ces hommes, souvent, ont besoin que tu sois la matière première et eux le sculpteur.

Marion Séclin continue en analysant la façon dont le mannequinat s’inscrit dans un monde patriarcal — fait par et pour les hommes.

Ce sont principalement des hommes qui se font de l’argent sur le corps des femmes. Quand je bosse pour des marques (et non pour des photos artistiques), les shootings sont toujours dans une forme de male gaze, pensés par rapport au regard masculin. Même quand c’est une femme derrière l’appareil. Car c’est le male gaze qui engrange du bénéfice.

Cependant, ça non plus, ce n’est pas propre au milieu du mannequinat : on vit dans un monde de mecs. Si ce n’était pas le cas, mes photos seraient différentes, mais le reste de mon existence aussi. Je ne peux pas isoler mon activité professionnelle du fait que le patriarcat existe dans tous les pans de ma vie.

Dans la vraie vie des mannequins

Il y a dans l’essai d’Emily Ratajkowski un peu de la réalité cachée du mannequinat, celle qu’on ne voit pas sur les photos. L’histoire d’une jeune femme qui monte dans un bus pour aller chez un photographe qu’elle ne connaît pas, seule, qui se retrouve nue sur son lit — ou peut-être celui de sa fille, elle n’est pas sûre.

Marion Séclin raconte une histoire similaire, à l’issue bien moins tragique.

Mes premières photos, c’était du nu, avec un homme photographe, chez lui. J’avais dix-sept ans.

Heureusement, il était très pro, il n’y avait pas une once d’excitation dans notre interaction. La seule remarque qu’il a faite sur mon intimité, c’est quand il m’a prévenue que le cordon de mon tampon dépassait et qu’il vaudrait mieux que je le décale.

Contrairement à Emily Ratajkowski, Marion Séclin n’a pas subi de violences sexuelles dans le cadre de son travail. Mais elle a été dégradée, on lui a parlé de façon irrespectueuse, elle s’est retrouvée seule à tenter de protester face à des situations anormales. Elle ne nie pas qu’il y a de GROS changements à faire dans le milieu du mannequinat.

Quand les mannequins se détachent de leur propre corps

Il y a, dans l’essai d’Emily Ratajkowski, un rapport à son propre corps franchement déstabilisant, qui ressemble, dans certaines descriptions, à la sidération frappant parfois les victimes de viol. Cette impression de se voir d’en-dehors, comme si on était à l’extérieur de soi. « Emrata » écrit :

Au moment où je me suis déshabillée, quelque chose en moi s’est dissocié. J’ai commencé à flotter en-dehors de mon corps, je me suis regardée monter sur le lit. J’ai cambré mon dos et mis en avant mes lèvres, en me concentrant sur ce à quoi je devais ressembler à travers l’objectif. Le flash était si puissant et j’avais bu tant de vin que des taches noires énormes s’étendaient, flottaient devant mes yeux.

Un sentiment partagé par Marion Séclin.

Pour survivre, j’ai dû apprendre à considérer mon enveloppe comme un accessoire, apprendre à ne pas avoir de pudeur. Il faut se désensibiliser, se détacher de son propre corps.

Ce corps, alors, n’appartient plus à la femme qui l’habite ; il devient la propriété du photographe et du public, de tous ces yeux affamés qui se posent sur la peau nue.

« Emrata » a vu ses photos exploitées sans son accord, a publiquement exprimé le fait qu’elle ne souhaitait pas que les gens se rendent aux diverses expositions les mettant en scène. Peine perdue. Les galeries n’ont pas désempli, la foule de curieux et curieuses se déversant jusque dans la rue. Un aperçu :

Poser nue et être une victime, équation impossible dans un monde empoisonné par la culture du viol

L’essai d’Emily Ratajkowski est passé entre les mains de professionnels du journalisme qui ont accompli un travail de fact checking indispensable. Ils ont donc contacté Jonathan Leder pour avoir son opinion sur les accusations perpétrées à son encontre. Il répond :

Vous savez de qui on parle, hein ? On parle de la meuf qui était nue dans Treats! magazine, et qui se trémoussait à poil dans le clip de Robin Thicke [Blurred Lines, NDLR]. Vous pensez vraiment que quiconque va croire qu’elle est une victime ?

Rhétorique classique de la culture du viol : une femme à l’aise avec son corps et sa sexualité ne peut pas être victime de violences sexuelles. Elle « ne demande que ça », après tout. Poser nue et avoir l’audace de vouloir consentir avant d’être pénétrée ? Quelle idée !

Heureusement, BEAUCOUP de gens croient aujourd’hui Emily Ratajkowski. Grâce au travail accompli depuis des décennies par les féministes, les mentalités changent peu à peu et le grand public intègre l’idée que rien n’empêche une femme d’être victime de violences sexuelles : ni sa personnalité, ni ses vêtements, ni son travail, ni sa sexualité.

Ils sont nombreux à avoir relayé l’accusation portée par « Emrata » envers Jonathan Leder, sans remettre en question la possibilité de l’agression d’une mannequin dans le cadre de son travail.

Comment améliorer le monde du mannequinat ?

Est-il possible de rendre le milieu du mannequinat plus sain ? Marion Séclin a quelques conseils pour les jeunes femmes qui se lancent. Elle refuse de leur enjoindre de « se méfier », et veut plutôt leur donner des outils.

Évoluer en étant méfiante, ça m’a fait rater beaucoup d’expériences et d’opportunités. Dire aux femmes de se méfier, c’est dire qu’elles ont un contrôle sur ces violences, alors que ce n’est pas le cas.

Ce que j’ai envie de dire aux jeunes mannequins, c’est : quand quelque chose ne te convient pas, quand tu ne te sens pas bien, tu te barres. Tu dis « non », et tu te barres. Les photographes savent que les meufs restent quoiqu’il arrive, qu’elles ont peur. Il faut que la peur change de camp, que tout le monde sache qu’une mannequin maltraitée va se barrer et donc planter le tournage.

Car c’est ça qui retient la parole, souvent — même pas la peur de parler ou d’être susceptible, mais la peur d’être celle qui a planté le tournage, qui a fait perdre une journée à toute l’équipe. C’est le mantra : « il ne faut pas planter le tournage ».

Plante le tournage. Jusqu’à ce qu’ils apprennent.

Mais c’est surtout aux photographes que Marion Séclin a quelques conseils à donner.

Je conseillerais aux photographes de prendre enfin conscience du monde dans lequel les femmes vivent. Je leur conseille de se représenter le PIRE des connards et de se dire « C’est ça que la mannequin en face de moi a peur que je sois ». Un peu d’empathie, d’humanité.

Je leur conseillerais de ne pas considérer les mannequins comme leurs filles, de ne pas entretenir ce rapport paternaliste aussi bizarre que fréquent dans le milieu. De ne pas partir du principe qu’ils sont les seuls capables de retranscrire leur image.

Car les photos, ça se fait à deux. Il n’y a pas un génie qui a l’œil et un objet passif qui est la femme. Il faut se comprendre pour tirer le meilleur du duo.

Et puis ils pourraient parler, aussi. Il n’y a pas que les photographes qui posent problème, ce sont parfois les coiffeurs, maquilleurs, acteurs, techniciens qui sont irrespectueux, et personne ne leur dit rien. Une mannequin qui proteste a plus à perdre qu’un photographe qui reprend ses collègues.

Pourquoi personne ne dit rien ? Parce qu’« on va pas planter le tournage quand même ». Eh bien non, on ne va pas le planter, on va juste INTERVENIR. Il suffit souvent d’une voix pour que la situation s’arrête. Il suffit d’un peu de courage.

En attendant la parité dans le milieu (« Je n’ai pas peur de dire non quand je suis photographiée par une femme », confie Marion Séclin), ces précieux conseils pourraient faire avancer les choses dans le bon sens. Afin qu’un jour, plus aucune jeune femme ne vive ce qu’Emily Ratajkowski a vécu, gardant le silence pendant sept longues années avant d’oser, enfin, s’exprimer.

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20 septembre 2020

A la manière de Keith Haring

 

 

20 septembre 2020

Exposition : le monde intérieur du peintre Victor Brauner

brauner

Par Philippe Dagen

Le Musée d’art moderne de Paris consacre une rétrospective à l’œuvre de l’artiste surréaliste peuplée de créatures extravagantes.

Victor Brauner (1903-1966) figure dans toutes les histoires du mouvement surréaliste, auquel il a participé de 1933 à sa mort. André Breton (1896-1966) lui a dédié plusieurs textes parmi ses plus puissants. Grâce aux nombreux dons de sa veuve à des musées français, toutes les périodes de son œuvre y sont largement présentes.

Pour autant, la rétrospective au Musée d’art moderne de Paris est la première dans une institution de la capitale depuis 1972. Et, pour autant encore, jusqu’aux années 1950, Brauner vécut chichement. Il ne dut d’avoir une dernière décennie moins inconfortable qu’aux achats réguliers de deux des sœurs Schlumberger, Dominique de Ménil et Anne Gruner Schlumberger, et à l’action du galeriste Alexandre Iolas. Jusque-là, il avait dû parfois faire appel à l’aide de ses amis. La comparaison avec Max Ernst (1891-1976) ou Joan Miro (1893-1983) est sans équivoque : leur notoriété a été, de leur vivant et depuis, infiniment plus vite et largement établie que celle de Brauner. Pourquoi ?

La question se pose d’autant plus que la rétrospective démontre la cohérence, la singularité et le pouvoir de captation de son œuvre. On voit mal comment, après l’avoir visitée, il serait possible de refuser à Brauner une importance au moins égale à celle qu’il est habituel de reconnaître à Yves Tanguy (1900-1955) ou René Magritte (1898-1967). On serait même enclin à penser que Brauner, à l’inverse de ces deux peintres, ne se satisfait à aucun moment de se répéter et prend toute sa vie bien plus de risques – des risques de toutes sortes, à commencer par les plus immédiats.

ENTRE 1903 ET 1914, LA FAMILLE DE BRAUNER, QUI EST ROUMAINE, DOIT S’EXILER DEUX FOIS EN RAISON DE L’ANTISÉMITISME

Entre 1903 et 1914, sa famille, qui est roumaine, doit s’exiler deux fois en raison de l’antisémitisme : en 1907 à Hambourg et en 1912 à Vienne. Si, dans les années 1920, Brauner participe aux activités des groupes modernistes qui se créent à Bucarest, en 1930, la situation politique le contraint à partir pour Paris, où il est déjà allé en 1925. La pauvreté le force à revenir en Roumanie en 1935, où il combat le fascisme et l’antisémitisme de la Garde de fer et collabore avec le Parti communiste clandestin. En 1938, le danger étant trop grand, il doit revenir en France, définitivement cette fois.

Deux ans plus tard commencent l’Occupation, le régime de Vichy et la persécution des juifs. Réfugié en zone dite « libre », faute de secours financiers, Brauner ne parvient pas à émigrer aux Etats-Unis, à la différence de Breton, Ernst ou Masson (1896-1987). Assigné à résidence en avril 1941 dans les Pyrénées-Orientales, il rejoint Marseille, puis se cache à l’été 1942 avec sa compagne, Jacqueline Abraham, dans un village des Hautes-Alpes. Ils y demeurent clandestins jusqu’à la Libération et reviennent enfin à Paris en avril 1945. Hasard de l’immobilier : son atelier rue Perrel, dans le 14e, était quelques décennies plus tôt celui du Douanier Rousseau (1844-1910).

Individu moustachu et ventripotent

Voilà pour les éléments biographiques. On les rappelle d’autant plus qu’ils ne se voient qu’exceptionnellement dans son œuvre. La part politique n’y domine qu’au début des années 1930, quand apparaît Monsieur K. En cet individu moustachu et ventripotent qui se montre volontiers dans le plus simple appareil s’incarnent des passions triviales : l’autorité martiale, la gloriole narcissique, la bonne chère et l’assouvissement sexuel.

Brauner détaille la suite de ses métamorphoses physiques et sociales dans des toiles découpées comme des planches de bande dessinée puis l’exalte dans un diptyque aussi monumental que ce triste colosse, Force de concentration de Monsieur K. C’est la représentation la plus explicite de la collaboration entre partis fascistes et bourgeoisie dans l’entre-deux-guerres : tout ce que Brauner déteste et redoute légitimement.

Avant et après cette brève période, la résistance de Brauner au monde dans lequel il passe se manifeste de la façon la plus simple et intransigeante : son art est, exclusivement, fondé sur ce que l’on appelle, de manière vague, la vie intérieure, celle des fantasmes, désirs, phobies, angoisses et autres émotions et pulsions. Brauner les rend visibles et donc sensibles. Sans doute sont-ce cette simplicité et cette intransigeance qui ont tenu et tiennent encore à distance tant de regards. Brauner n’explique pas, n’adoucit pas, ne transige pas, ne procède pas par allusions. Il tend à la plus grande clarté, qui peut déconcerter et heurter.

SON ART EST, EXCLUSIVEMENT, FONDÉ SUR CE QUE L’ON APPELLE, DE MANIÈRE VAGUE, LA VIE INTÉRIEURE

Exemple précoce : Sur les lieux, toile de 1930, alors qu’il n’a pas encore rejoint le groupe surréaliste. Dans un espace illimité défini par des nuances du noir au gris fer flotte un rectangle très mince et rouillé, planté de trois arbres schématiques et habité par cinq mannequins humains, dont un pétrifié comme un mort de Pompéi et un autre à tête d’oiseau. C’est une vision d’abandon ou de mort, froidement formulée, douée de la capacité de conviction propre aux rêves.

Exemple vingt-cinq ans plus tard, en 1955, dans un autre registre : Femme et oiseau, huile et cire sur bois. Un petit œil-soleil vert et rouge observe la femme spectrale sur le dos de sa monture ailée. Brauner se consacre alors à l’inventaire d’un imaginaire animal dans lequel la mouette, la vache et le chat les plus ordinaires côtoient la tortue marine, le grand-duc et le singe ithyphallique (en érection). Dans sa mémoire, l’exotique et le quotidien, les contes pour enfants et les mythes océaniens et amérindiens se rencontrent. On peut y voir des apparitions drolatiques, des figures totémiques ou des symboles aux sens nombreux. Brauner ne donne aucune indication. Il laisse libre d’interpréter, mais donne l’impulsion.

Cauchemars mécaniques

La question de la vraisemblance ne se pose pas pour lui et il dessine avec précision les créatures les plus extravagantes. Plus tard, il les découpe : des planches en forme d’avion ou d’automobile à deux seins pointus. Dans ces véhicules nichent des hommes à corps d’enfants dont le profil évoque parfois celui de l’artiste. L’Automoma de 1965 n’a rien de commun avec Sur les lieux : ni la technique, ni le style, ni le chromatisme. Mais ils ont en commun la netteté tranchante des lignes et la résolution avec laquelle l’artiste donne forme à ses mythologies, sans souci d’être compris. Il est mû par une nécessité si forte qu’elle le rend indifférent à toute considération extérieure.

DE 1941 À 1945, BRAUNER TRAVAILLE AVEC DE LA CIRE DE BOUGIE FONDUE SUR BOIS ET DES MATÉRIAUX PAUVRES

Entre eux, il y a les cauchemars mécaniques de 1934 et leurs automates tubulaires ; les humains qui ont des cornes à la place des yeux ; et Congloméros, être composé de deux corps féminins et d’un masculin, et la suite des dessins anatomiques qui accompagne sa naissance en sculpture ; et la saisissante Cérémonie de 1947.

Entre-temps, surtout, il y a les tableaux-assemblages des années de guerre. De 1941 à 1945, Brauner ne peut s’approvisionner en couleurs et en toiles. Il travaille alors avec de la cire de bougie fondue sur bois et des matériaux pauvres – cailloux, ficelle, fil de fer. Son Image du réel incréé (1943) ou l’Homme idéal (1943) sont des œuvres essentielles de l’époque. On peut chercher à les décrypter comme des palimpsestes ésotériques en déchiffrant les inscriptions qui les parsèment. On peut aussi, plus directement, ressentir en soi-même l’horreur face à l’histoire que Brauner y a inscrite.

« Victor Brauner. Je suis le rêve. Je suis l’inspiration », Musée d’art moderne de Paris, 11, avenue du président Wilson, Paris 16e. Jusqu’au 10 janvier 2021, du mardi au dimanche de 10 heures à 18 heures, le jeudi jusqu’à 22 heures. Entrée de 7 € à 13 €.

20 septembre 2020

Journées du Patrimoine

 

 

20 septembre 2020

Vu des États-Unis - L’inéluctable transformation de Paris après l’épidemie

THE ATLANTIC (WASHINGTON)

La crise provoquée par le Covid-19 pousse plus que jamais la capitale française à se réinventer, écrit ce magazine américain. Pour enfin remédier aux inégalités criantes et devenir la ville du XXIe siècle qu’elle aspire à être.

La pandémie a durement touché Paris. Et plus encore ses banlieues. La capitale avait déjà misé son avenir sur le regroupement avec un ensemble de communes limitrophes pour former la métropole du Grand Paris, la ville durable du XXIe siècle. Mais le coronavirus a montré à quel point cette transformation était urgente.

En 2019, Paris a reçu plus de 38 millions de visiteurs. Cet été, les restrictions des déplacements internationaux ont fait chuter de 86 % le taux d’occupation des hôtels. Pendant la pandémie, l’activité économique du Grand Paris a baissé de 37 % par rapport à l’année précédente. En Île-de-France, 100 000 emplois ont été détruits depuis la mi-mars.

Le strict confinement mis en place de la mi-mars à la mi-mai à l’échelle nationale a eu pour effet de réduire le nombre de contaminations, d’hospitalisations et de morts. Mais, après son assouplissement, le virus a recommencé à circuler. Bien que le taux d’hospitalisation demeure gérable et la mortalité relativement basse, le nombre de nouveaux cas a enregistré une hausse préoccupante ces dernières semaines, en particulier dans la métropole parisienne.

Comme aux États-Unis, l’impact de l’épidémie n’est pas le même partout. Prenons par exemple le cas de la Seine-Saint-Denis, le département le plus pauvre de France, qui abrite la deuxième communauté de migrants. Dans ce département, qui constitue le plus gros réservoir de “travailleurs essentiels” d’Île-de-France, de nombreux habitants ont continué, pendant les deux mois de confinement, à prendre les transports en commun pour se rendre au travail. Et comme la Seine-Saint-Denis souffre par ailleurs d’un manque de médecins, du 1er mars au 1er avril dernier elle a enregistré une surmortalité de 134 % par rapport à l’année précédente – contre seulement 99 % à Paris.

Pas tous égaux devant le virus

Les habitants des banlieues sont parfaitement conscients qu’ils ont beaucoup plus souffert du confinement que leurs riches voisins de la capitale et qu’ils ont été bien plus maltraités par la police quand ils s’aventuraient dans la sphère publique que, par exemple, les Parisiens qui faisaient leur jogging près de l’Arc de Triomphe. Et ils en ont conçu de la frustration et de la colère. En juin, malgré l’interdiction des grands rassemblements, la mort de George Floyd aux États-Unis a fait descendre dans la rue des milliers de Français adhérant au mouvement Black Lives Matter et souhaitant dénoncer les violences et le racisme de la police française.

Malgré ces effets délétères de l’épidémie, nul n’évoque la disparition de Paris comme certains ont pu le faire pour New York. Au cours de ses deux mille ans d’histoire, la ville a survécu à d’innombrables fléaux. Rien que ces dernières années, elle a été victime d’attentats, d’inondations, de manifestations violentes et d’un incendie qui a failli détruire Notre-Dame. Conformément à sa devise – Fluctuat nec mergitur (“Il est battu par les flots, mais ne sombre pas”) –, Paris, capitale financière, culturelle et politique d’un pays très centralisé, est une ville éternelle.

Pourtant – et cela peut paraître surprenant pour les Américains –, les autorités françaises considèrent qu’elles doivent tirer parti de la pandémie. Elles sont prêtes à agir. Après le confinement, quand les Parisiens sont sortis de leur appartement ou sont rentrés de leur résidence secondaire, ils ont découvert 50 kilomètres de pistes cyclables temporaires, les “coronapistes”, délimitées en jaune vif et aménagées au-dessus des lignes surchargées du métro. Et les cafés et restaurants ont installé des tables dans des rues fermées aux automobiles, occupant d’anciennes places de parking pour pouvoir rouvrir avec un risque de contamination minimum.

Tirer parti de la pandémie

La maire de Paris, Anne Hidalgo, s’est engagée depuis un certain temps à débarrasser la ville de ses véhicules et à réduire la pollution atmosphérique, qui chaque année tue 6 600 habitants, la majorité dans les banlieues. En juin, elle a été réélue haut la main sur un programme visant à accélérer la transition écologique de la ville. Elle a notamment promis de pérenniser certaines des mesures prises pendant le confinement et de reverdir Paris en créant des forêts urbaines. Tous les véhicules diesel seront interdits d’ici à 2024. Il est également prévu de transformer le périphérique en un boulevard végétalisé sur lequel la circulation sera réduite et des voies réservées aux véhicules propres, pour permettre aux cyclistes et aux piétons de le traverser. L’idée n’est pas seulement d’éliminer une voie rapide disgracieuse et source de pollution de la métropole postcarbone de demain, mais aussi de faire tomber une importante barrière matérielle et psychologique au regroupement de la capitale et de ses banlieues au sein de la métropole du Grand Paris. Une barrière qui doit disparaître le plus tôt possible.

Le concept de métropole est né des violentes émeutes qui ont éclaté en 2005, après l’électrocution accidentelle de deux jeunes issus des minorités qui fuyaient la police dans leur banlieue de Clichy-sous-Bois. En 2009, Nicolas Sarkozy, alors président, a chargé des équipes d’architectes de concevoir un projet de “Grand Paris” pour améliorer la qualité de la vie dans les banlieues, mettre la métropole en conformité avec les exigences du protocole de Kyoto en matière d’émissions de CO2 et faire de la capitale française une ville de classe mondiale. Le projet de la métropole du Grand Paris a été officiellement signé en janvier 2016, quelques mois après les attentats de 2015. Le nouveau réseau de transports en commun de la métropole, le Grand Paris Express, dont l’entrée en service est prévue pour 2030, est en cours de construction. Ce sera le plus grand réseau d’Europe, avec 200 kilomètres de lignes automatiques où les trains se succéderont toutes les 2 ou 3 minutes pour relier 68 gares conçues par des cabinets d’architecture. Ces gares seront décorées d’œuvres commandées à de grands artistes contemporains et entourées de nouveaux ensembles immobiliers, d’espaces verts, de campus universitaires et de complexes de bureaux et de loisirs. En 2017, le président Emmanuel Macron a déclaré que l’absence d’accès aux transports publics “assign[ait] à résidence” les habitants des banlieues. Le Grand Paris Express est supposé les libérer.

Un autre projet visant à améliorer la vie dans les banlieues est celui des Jeux olympiques de 2024. La plupart des infrastructures sportives seront construites à Saint-Denis. Lorsque j’ai visité le futur site olympique au mois d’août, l’échelle des changements à venir était manifeste, mais la manière dont ces changements allaient profiter aux habitants dont les logements et les commerces étaient sur le point d’être rasés l’était beaucoup moins. La municipalité de Paris a assuré que les Jeux apporteraient des logements, des emplois et une gare flambant neuve sur le Grand Paris Express. Un grand nombre d’habitants, qui n’ont pas eu leur mot à dire sur ce projet et dont les problèmes ont été ignorés pendant des décennies, sont sceptiques.

Paris mythique

Le Paris mythique que l’on connaît est le fruit d’une métamorphose radicale de la capitale après l’épidémie de choléra qui l’a frappé en 1832 et a tué 19 000 habitants en six mois. À l’époque comme aujourd’hui, les Parisiens les plus riches s’étaient réfugiés dans leurs résidences secondaires. Les pauvres, eux, mouraient dans les rues souillées par les eaux usées. La rumeur a circulé que la maladie était un complot contre le peuple, qui, comme Victor Hugo l’a immortalisé dans Les Misérables, s’est révolté en dressant des barricades pour empêcher les soldats d’accéder aux quartiers insurgés. Napoléon III a réagi en chargeant le baron Haussmann de faire de Paris une capitale moderne, à l’abri des épidémies et des rébellions. Les quartiers pauvres, souvent embouteillés, ont été démolis pour aménager de larges avenues par lesquelles l’air et les soldats pourraient circuler librement à travers la ville. Un réseau d’égouts souterrain a été créé et les pauvres ont été refoulés à la périphérie de la ville. Près de cent soixante-dix ans après l’expulsion de ces derniers, la métropole du Grand Paris est censé les ramener dans son giron.

En tant qu’Américain vivant dans cette métropole du Grand Paris – à Pantin, plus exactement –, j’ai du mal à comprendre le chaos qui règne aujourd’hui aux États-Unis. La France est loin d’être un pays parfait et égalitaire, mais je me sens chanceux d’habiter un endroit où les autorités politiques et les citoyens auxquels ils doivent rendre des comptes profitent de la terrible pandémie en cours pour mettre en place les changements radicaux qui seront nécessaires pour faire face aux bouleversements à venir.

Mira Kamdar

Source

The Atlantic

WASHINGTON http://www.theatlantic.com

19 septembre 2020

Bettina Rheims

bettina30

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