Comment Emmanuel Macron a préparé son « grand oral »
Par Virginie Malingre
Le chef de l’Etat doit dévoiler jeudi ses annonces en réponse à la crise sociale lors d’une conférence de presse.
A l’agenda du président de la République, la journée du jeudi 25 avril indique un seul événement, à 18 heures : « Conférence de presse sur les conclusions du grand débat national. » Pour le reste, dit-on à l’Elysée, des « séances de travail » sont prévues pour préparer la rencontre entre Emmanuel Macron et les médias, au cours de laquelle le chef de l’Etat dévoilera les mesures qu’il a décidé de prendre à la suite du grand débat.
Tout son cabinet est mobilisé pour préparer cet exercice délicat, auquel se sont pliés tous ses prédécesseurs mais que le jeune président expérimentera pour la première fois. « Amenez vos sandwichs parce que ça va durer longtemps », a conseillé Daniel Cohn-Bendit aux journalistes, sur le ton de la boutade, lundi sur la chaîne LCI.
Emmanuel Macron sait que ses annonces et la présentation qu’il en fera seront cruciales pour les élections européennes mais aussi pour la suite de son quinquennat. Qu’elles se révèlent « déceptives », comme le craint une partie de son entourage, et il aura du mal à redonner une impulsion à son mandat, ralenti par une succession de crises depuis l’affaire Benalla en juillet 2018.
« Nous ne reprendrons pas le cours normal de nos vies », avait-il promis le 10 décembre 2018, après avoir présenté un plan de soutien du pouvoir d’achat de 10 milliards d’euros et le lancement du grand débat, destinés à apaiser la colère des « gilets jaunes ».
Le chef de l’Etat a beaucoup hésité sur la manière dont il devait faire connaître ses arbitrages aux Français. Finalement, il a choisi de présenter dans un « propos liminaire » les chantiers qui attendent l’exécutif pour « l’acte II du quinquennat » avant d’en détailler les tenants devant les journalistes, lors d’une conférence de presse qui doit durer au moins deux heures dans la salle des fêtes de l’Elysée.
Initialement, le président devait faire une allocution télévisée le 15 avril puis une conférence de presse trois jours plus tard. L’incendie qui a ravagé Notre-Dame de Paris, à l’heure où son visage devait apparaître sur les écrans de télévision, a chamboulé ses plans.
Fuites dans les médias
Jusqu’ici, Emmanuel Macron, désireux de se démarquer de François Hollande et de prendre ses distances avec la presse, avait refusé de se prêter à cet exercice. « Tu devais retenir les informations et entretenir le mystère », a d’ailleurs dit le président à Sibeth Ndiaye, son ancienne conseillère en communication nommée porte-parole du gouvernement. La scène s’est déroulée le 8 avril, lors de la cérémonie qu’il a organisée à l’Elysée pour remercier dix-sept conseillers élyséens ayant démissionné au cours des dernières semaines, comme le rapportent Les Echos, dans leur édition du 13 avril.
En attendant que cette dernière soit remplacée, tout comme Sylvain Fort et Ismaël Emelien, qui ont mis en œuvre la politique de communication d’Emmanuel Macron, Philippe Grangeon, son nouveau conseiller spécial, tente d’apaiser les relations entre le président et les médias, très tendues depuis le début du quinquennat.
Depuis son arrivée en février, la perspective de la fermeture de la salle de presse de l’Elysée, qui inquiétait beaucoup les agenciers accrédités au palais présidentiel, s’est d’ailleurs éloignée. Très attaché aux corps intermédiaires pour avoir notamment travaillé à la CFDT, ce marcheur de la première heure a eu à cœur de convaincre Emmanuel Macron de faire un geste envers les journalistes en organisant une conférence de presse.
Après l’incendie de Notre-Dame de Paris, le chef de l’Etat a de nouveau tergiversé. Les fuites dans les médias après sa vraie fausse « adresse aux Français » du 15 avril – elle a été enregistrée mais n’a jamais été diffusée – l’ont « passablement irrité », confie l’un de ses proches. Emmanuel Macron a décidé que l’annonce de ses mesures, attendues depuis des semaines, se ferait en fin d’après-midi, pour que le plus de Français possible aient l’occasion de s’y intéresser et que les JT puissent en rendre compte. « A 14 heures ou à 16 heures, les audiences sont plus faibles. Les médias sont le relais du président dans son face-à-face avec les Français », explique-t-on à l’Elysée.
Ces fuites qui ont tant agacé Emmanuel Macron lui ont cependant permis de tester les réactions aux annonces qu’il aurait dû faire le 15 avril. Et de reprendre sa copie, après en avoir une nouvelle fois discuté avec ses plus proches. Jeudi 18 avril, il a déjeuné avec le président du MoDem, François Bayrou. Samedi, avec celui de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand (La République en marche, LRM), avant de partir au Touquet (Pas-de-Calais) rejoindre son épouse et s’offrir un bain de foule.
Des orientations « enrichies »
Depuis, Emmanuel Macron reste en contact étroit avec ces proches, tout comme avec Philippe Grangeon et le premier ministre, Edouard Philippe, qu’il a vu mardi et avec lequel il devait de nouveau s’entretenir mercredi matin avant le conseil des ministres. Sans oublier Jean-Yves Le Drian, le ministre des affaires étrangères, et celui de l’intérieur, Christophe Castaner, qu’il a reçus mardi.
Faut-il y voir un signe ? Mercredi, en fin de journée, son dernier rendez-vous officiel avant la conférence de presse de jeudi a été pour Bruno Le Maire, chargé de l’économie et des finances, qui a eu à cœur ces dernières semaines de limiter les effets de la crise des « gilets jaunes » sur les finances publiques.
LE PRÉSIDENT, QUI S’EST NOTAMMENT VU REPROCHER DE NE PAS ASSEZ SE PRÉOCCUPER D’ENVIRONNEMENT ET D’ÉCOLOGIE, POURRAIT RECTIFIER LE TIR
Pour l’essentiel, que ce soit la suppression de l’ENA, la réindexation sur l’inflation des retraites de moins de 2 000 euros, la baisse de l’impôt sur le revenu des classes moyennes, la suppression de certaines niches fiscales, la restriction à vingt-quatre du nombre d’élèves par classe en maternelle, CP et CE1, le moratoire sur les fermetures d’écoles et d’hôpitaux ou encore « la nécessité de travailler davantage » pour financer la dépendance, les orientations qui étaient prévues le 15 avril devraient être confirmées. Mais elles seront « précisées et enrichies », avance l’un de ses proches.
Le président, qui s’est notamment vu reprocher de ne pas assez se préoccuper d’environnement et d’écologie, pourrait rectifier le tir. Il « se contente d’acheter la paix sociale (…) mais sans engager le début d’une politique de transition écologique et solidaire », a ainsi jugé son ancien ministre de la transition écologique, Nicolas Hulot, samedi, dans Libération.
Depuis quelques jours, au sein de la majorité, ils sont plusieurs à assurer que la copie de jeudi sera, de ce point de vue, plus satisfaisante. « J’attends des mesures complémentaires car, pour nous, dans la campagne européenne, c’est la première urgence, l’urgence climatique. Nous échangeons avec le président pour des mesures complémentaires », a déclaré, lundi, sur Europe 1, Pascal Canfin, l’ancien directeur général du WWF France, aujourd’hui numéro deux de la liste LRM pour le scrutin européen du 26 mai.