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Jours tranquilles à Paris

9 mars 2019

Victime d’une panne électrique historique, la situation du Venezuela s’assombrit encore

Par Marie Delcas, Bogota, correspondante - Le Monde

Le pouvoir chaviste a immédiatement dénoncé un sabotage tandis que le leader de l’opposition déplorait une tragédie et réitérait son appel aux forces armées. Sans avions, ni pompes à essence, ni banques, ni écoles, le pays est largement paralysé.

Au rouge depuis des mois, le Venezuela a sombré dans le noir. Le pays affronte depuis jeudi 7 mars 16 h 54, la plus grande panne d’électricité de son histoire. Vingt et un de ses vingt-trois Etats ont été touchés. Vendredi 8 mars au soir, le courant n’était que partiellement rétabli dans ce pays de 31 millions d’habitants. Les hôpitaux ont vécu des heures dramatiques.

Comme à l’accoutumée, le gouvernement a immédiatement dénoncé un sabotage. « La guerre électrique annoncée et dirigée par l’impérialisme américain contre notre peuple sera vaincue », a écrit, sur son compte Twitter, le président chaviste Nicolas Maduro.

Mais les experts de l’opposition attribuent de leur côté les défaillances électriques du pays – pourtant immensément riche en ressources énergétiques – au manque d’entretien des installations, au déficit d’investissements et à l’incurie de Caracas.

Le jeune leader de l’opposition et président autoproclamé, Juan Guaido, qui depuis un mois tente de contraindre Nicolas Maduro à la démission, a dénoncé « une tragédie ». Rentré au pays lundi après une brève tournée en Amérique latine, il a une fois encore appelé ses compatriotes à manifester massivement samedi 9 mars.

Reconnu par une cinquantaine de pays à travers le monde, Juan Guaido juge illégitime le deuxième mandat de « l’usurpateur » Maduro. « La fin de l’obscurité viendra avec la fin de l’usurpation », a-t-il ajouté, rappelant que le pouvoir avait, en 2009, déclaré « l’état d’urgence électrique » et annoncé un programme d’investissements sans précédent. « Ils ont investi 100 milliards de dollars [89 milliards d’euros], sans résultats. Ce sont des corrompus », s’est-il indigné à Caracas.

« Guerre électrique »

Sans télévision, ni Internet, ni téléphone portable, les Vénézuéliens ignoraient largement, vendredi soir, que leur pays venait d’être condamné par le tribunal d’arbitrage de la Banque mondiale à payer 8,7 milliards de dollars à la compagnie CoconucoPhilips.

Cette entreprise américaine avait été expropriée en 2007 par Hugo Chavez, le charismatique prédécesseur de Nicolas Maduro. Le Venezuela dispose des plus grandes réserves mondiales de pétrole brut mais, ruiné et endetté, il est incapable de freiner le déclin de sa production d’hydrocarbures. Les réserves internationales du pays s’élèvent aujourd’hui à 8,8 milliards de dollars, soit le montant de la somme à payer.

Selon le ministre vénézuélien de la communication Jorge Rodriguez, la panne est partie du système électronique du Guri, le barrage qui fournit plus de 70 % de l’électricité du pays. Il a accusé Washington et Juan Guaido de l’avoir provoquée. En dénonçant « une nouvelle attaque de la guerre électrique pour créer le chaos et déstabiliser un pays en paix », le ministre de l’énergie électrique Luis Motta affirmait de son côté, jeudi soir, que le courant serait rétabli dans les trois heures.

Mais, sans avions, ni pompes à essence, ni banques, ni écoles, le pays restait largement paralysé vendredi. A Caracas, les rues étaient vides. Le métro a cessé de fonctionner et l’immense majorité des bus sont restés au garage. Le gouvernement a décrété la fermeture des établissements éducatifs et des administrations publiques « pour faciliter le travail afin de rétablir la distribution d’électricité dans le pays ».

« Des centaines de tonnes d’aliments vont pourrir »

« Si cela dure, je vais devoir jeter tout ce qu’il y a dans mon congélateur », déplorait Julia, cadre à Caracas. Pour faire face aux pénuries d’aliments et tenter de déjouer l’hyperinflation, les Vénézuéliens qui en ont les moyens ont accumulé des réserves. Placards et congélateurs sont pleins. « Ce sont des centaines de tonnes d’aliments qui vont pourrir », pronostique Julia, en larmes. Elle est terrée chez elle depuis plus de 24 heures, par peur des voleurs et des pilleurs.

Faute de connexion à Internet, les distributeurs automatiques ne délivraient plus de liquide et les transactions électroniques ont été suspendues. Dans un pays où l’inflation quotidienne dépasse 3,5 % personne ne conserve chez soi d’argent liquide.

Sur les réseaux sociaux, circulaient les images de bébés en couveuses et de patients comateux maintenus en vie par des respirateurs manuels. « Tous les établissements hospitaliers ne disposent pas de groupes électrogènes, raconte un médecin de Caracas. Et ceux qui existent sont souvent hors service faute d’entretien. » Plusieurs hôpitaux ont été contraints de fermer les portes de leur service d’urgences. « Ma mère vient de mourir devant la porte de l’hôpital », écrit une internaute.

Médecin et député d’opposition, José Manuel Olivares assure que, entre le 1er novembre 2018 et le 28 février, les pannes d’électricité causé la mort de 79 personnes en milieu hospitalier.

Chroniques en province depuis cinq ans, les coupures et les rationnements de courant sont restés plus rares à Caracas. Le pouvoir sait que sa survie se joue dans la capitale. En 2013, Nicolas Maduro avait par ailleurs annoncé la militarisation des installations électriques.

Un ministre chaviste inculpé par les Etats-Unis

A Caracas Juan Guaido a également réitéré son appel aux forces armées de son pays. « Que vous faut-il de plus ?, a-t-il lancé aux militaires. Personne ne vous demande de vous soulever, seulement de respecter la Constitution. »

Mercredi, Washington avait annoncé que 77 Vénézuéliens proches du gouvernement de Nicolas Maduro – fonctionnaires ou parents - seraient privés de visa pour entrer sur le territoire américain.

Vendredi, le ministre vénézuélien de l’industrie et de la production nationale Tareck El Aissimi a été formellement inculpé par la justice américaine pour n’avoir pas respecté les sanctions qui lui avaient été imposées en février 2017.

A cette date, M. El Aissimi avait été inclus sur la liste dite Clinton – elle recense les personnes et les sociétés suspectes de liens avec le trafic de drogue – en raison de « son rôle important dans le trafic international de narcotiques ». M. El Aissimi, 42 ans, qui a été député, gouverneur de l’Etat d’Aragua, plusieurs fois ministres est un des piliers du pouvoir chaviste.

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9 mars 2019

Extrait d'un shooting

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9 mars 2019

Carlos Ghosn en tenue d’ouvrier à sa sortie de prison : Un de ses avocats avoue son erreur

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MARDI GRAS L’accoutrement était censé passer inaperçu aux yeux des médias : c’est raté

C’était une sorte d’incongruité au cœur de l’évènement. Quand Carlos Ghosn est sorti de prison, mercredi, il était en tenue d’ouvrier. Filmé et photographié sous divers angles et en gros plan avec une casquette bleue, un uniforme d’ouvrier de voirie, des lunettes et un masque de protection blanc, l’ancien PDG de Renault-Nissan a malgré lui été la risée des médias. « C’était un échec », avoue un de ses avocats.

Takashi Takano explique sur son blog avoir imaginé ce scénario et cet accoutrement saugrenu pour tenter de déjouer l’attention des journalistes massés devant la prison, et ainsi éviter qu’ils ne suivent l’ex-détenu jusqu’à son nouveau lieu de résidence.

"Plan d'amateur"

« C’est moi qui ai planifié et mis au point ce déguisement », écrit-il. « A cause de ce plan d’amateur, la réputation que M. Ghosn a bâtie tout au long de sa vie se retrouve ternie », regrette-t-il. Le stratagème n’a, en effet, trompé personne, alors que l’attendaient une foule de journalistes qui avaient déployé des moyens impressionnants, hélicoptères, grue et même échafaudage pour prendre le premier cliché de Carlos Ghosn depuis son arrestation surprise le 19 novembre.

Carlos Ghosn a été libéré mercredi sous caution, après plus de cent jours de détention à Tokyo sur des accusations de malversations financières. Carlos Ghosn a notamment interdiction de quitter, même brièvement, le Japon, n’a pas accès à internet et ses allées et venues sont filmées par des caméras de surveillance. En cas de violation de ces règles, « il devra revenir à la dure vie de la prison », a prévenu Takashi Takano.

Traqué par les médias, l’homme d’affaires franco-libanais-brésilien a d’abord été conduit au cabinet de Me Takano, d’où il est ressorti plusieurs heures plus tard dans un véhicule et une tenue (chemise blanche et veste noire) plus conformes à son ancien statut de PDG de la première alliance automobile au monde.

9 mars 2019

Monica Bellucci et Nicolas Lefebvre

9 mars 2019

A l’approche de la fin du grand débat, les « gilets jaunes » veulent un acte XVII « décisif »

L’objectif affiché du mois de mars est de renouer avec l’esprit des débuts, lorsque le mouvement avait rassemblé 282 000 personnes à travers la France le 17 novembre.

Manifestations en France, « sit-in » près de la Tour Eiffel et mobilisation des femmes : les « gilets jaunes » organisent un week-end de rassemblements pour leur acte XVII avant leur grande journée nationale du 16 mars, à l’occasion de la fin du grand débat national.

Après presque quatre mois d’existence, le mouvement est confronté à une lente décrue depuis plusieurs samedis. Le 2 mars, ils étaient 39 300 manifestants recensés en France par le ministère de l’intérieur, dont 4 000 à Paris.

Des chiffres officiels régulièrement contestés par les « gilets jaunes » qui professent une motivation sans faille, à une semaine de la fin de la consultation populaire mise en place par l’exécutif pour apporter des solutions politiques à cette vaste contestation sociale.

Un « sit-in » sur le Champs-de-Mars

« Acte décisif : nous ne bougerons pas » : le principal événement du week-end à Paris propose de camper et de faire un « sit-in » sur le Champ de Mars. Dès vendredi soir, une trentaine de manifestants ont tenté d’installer quelques structures près de la Tour Eiffel, mais ils ont rapidement été délogés par les forces de l’ordre.

« A défaut de l’annonce de vraies mesures, nous resterons sur place tout le week-end et au-delà si nécessaire », assure la page Facebook de l’événement, qui compte 1 400 participants déclarés et 6 000 « intéressés ».

Ce projet d’occupation du Champ de Mars a été largement relayé par les figures historiques des « gilets jaunes ». « Les 8, 9, 10 [mars], gros sit-in, grosse mobilisation », promettait ainsi Maxime Nicolle alias « Fly rider » dans une vidéo jeudi. « On dormira sur place. »

Ce rassemblement doit « installer nos ronds-points au cœur de la capitale, là où nous serons visibles de tous et entendus », arguait récemment de son côté Priscillia Ludosky lors dune conférence de presse. Des associations écologistes ont également été invitées à rejoindre la mobilisation.

Faire « converger les mobilisations »

L’acte XVII est également inspiré par la Journée internationale des droits des femmes. Samedi, les femmes « gilets jaunes » appellent à une manifestation déclarée dans Paris, à partir de 11 heures entre les Champs-Elysées et le parc du Luxembourg. Objectif : faire « converger toutes les mobilisations ».

Un « flashmob géant » (mobilisation éclair) au terminal 1 de l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle est également annoncé à la mi-journée, pour protester contre le projet de privatisation de la société Aéroports de Paris (ADP). Des manifestations sont également prévues à Lyon, Besançon, Strasbourg, Lille, Bordeaux, Montpellier, Avignon, à Quimper ou encore au Puy-en-Velay.

« Quelle trace » veulent laisser les « gilets jaunes » ?

Pour les « gilets jaunes », l’objectif affiché pour le mois de mars est de renouer avec l’esprit des débuts, lorsque le mouvement avait rassemblé 282 000 personnes à travers la France le 17 novembre 2018.

Prévu le 16 mars, l’acte XVIII du mouvement aura lieu le lendemain de la fin officielle du grand débat national. Les « gilets jaunes » espèrent rassembler ce jour-là « la France entière à Paris » pour lancer un « ultimatum » au gouvernement.

Le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, s’est demandé, vendredi à Marseille, « quelle trace » voulaient laisser les « gilets jaunes » : « celle de la revendication ou celle de la violence ? » Interrogé sur la possible manifestation à Paris samedi, il a rappelé que le Champ de Mars était « un lieu public » :

« S’ils veulent s’y asseoir en sérénité, ils peuvent le faire, mais le mieux est qu’ils déclarent leur intention plutôt que de le faire sur les réseaux sociaux. Rien n’interdit les manifestations mais il y a des règles assez simples qui consistent juste à les déclarer. »

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9 mars 2019

Gisèle Bündchen

gisele33

9 mars 2019

Les giboulées de Mars...

9 mars 2019

Emily Ratajkowski

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9 mars 2019

Reportage - A l’église de la Madeleine, saint Johnny, 13e apôtre

Par Pascale Krémer - Le Monde

Depuis la mort du chanteur, tous les 9 du mois, l’église de la Madeleine, à Paris, fait salle comble. Bikers et fans y reprennent les standards de l’idole rendus catho-compatibles. Les pères Horaist et Jaffré livrent les secrets de ce petit « miracle ».

Combien sont-ils, alignés sur des chaises en bois, dans cette monumentale église bondée ? Le sacristain a l’œil : « 850 personnes. » Pensez ! Ni à Noël ni à Pâques la messe à la Madeleine, à Paris, ne fait nef comble à ce point. Le miracle, c’est Johnny Hallyday qui l’accomplit. Il le réitère même tous les 9 du mois depuis ses obsèques, en décembre 2017, avec l’aide providentielle du curé de la paroisse, d’un missionnaire breton auteur de chansons, de l’organiste et d’un chantre à voix de stentor.

Pour pénétrer backstage, explorer les coulisses du miracle, ce samedi 9 février, il faut arriver dès l’ouverture de l’édifice aux allures de temple grec, dans le 8e arrondissement parisien. Remonter prestement l’allée centrale pour retenir une place au pied des marches en marbre qui montent vers l’autel. C’est là que, trois heures avant la célébration de mi-journée, les fans toujours endeuillés se retrouvent, exhibent pour la millième fois leurs reliques, le billet du concert grenoblois de 1975 ou la photo dédicacée sous pochette plastique, puis installent de grands portraits du rockeur devant lesquels ils ­sacrifient au rituel du selfie.

« JOHNNY, IL NE CROYAIT PAS À ÇA, MÊME S’IL RESPECTAIT. IL CROYAIT AUX BÉCANES ET À LA BAGARRE ! ON NE PENSAIT PAS QU’ON VIENDRAIT DANS UNE ÉGLISE LUI RENDRE HOMMAGE… » JOËLLE ET MANU

Le cuir des blousons a vieilli, les catogans ont viré au gris. Ils sont proches en âge de feu leur idole septuagénaire mais pas plus que lui grenouilles de bénitier. « Johnny, il ne croyait pas à ça, même s’il respectait. Il croyait aux bécanes et à la bagarre ! Franchement, on ne pensait pas qu’on viendrait dans une église lui rendre hommage… Mais on le suit. » Dixit « Joëlle et Manu », fratrie sexagénaire portant tous les stigmates de la passion hallydienne – clous, cuir, bijoux, tatouages. Leur voisin de travée, Laurent Lefort, un agent de sécurité en longue maladie « sauvé » par Johnny (« Sans lui, à l’hôpital, je me serais laissé dépérir »), se souvient même qu’en 1970 le boss « était passé proche de l’excommunication avec sa chanson Jésus-Christ ».

Tintement de cloche. Silence. Chant puis lecture de saint Paul aux Hébreux. Pas de doute, c’est bien une messe. Sauf que la bande-son est signée Johnny. Les paroles, elles, ont été revues et corrigées par la sainte Eglise catholique. Sur l’air du Requiem pour un fou, l’assemblée chante « Seigneur mon Dieu, je viens vers toi ». Sur celui du Pénitentier, « Oui le seigneur est mon berger/Rien ne saurait me manquer ». Et ainsi de suite jusqu’au grand finale, le Que je t’aime dispensé par un ténor. « Quand l’ange entre chez toi/Et te dit : Réjouis-toi !/Voici tu enfan­teras/Le Christ roi des rois ». Des bras oscillent en rythme, des larmes coulent. Pas vraiment le Stade de France, mais une drôle de célébration, tout de même.

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Bouche-à-oreille

De bout en bout, deux rockeurs se tiennent stoïques en contrebas du chœur, à l’emplacement qui fut celui du cercueil lors des obsèques. L’un d’eux, jeune sosie à banane, s’en va sur les côtés dispenser « la paix du Christ » à quelques paroissiens, telle une star flattant son public.

« On a bricolé au fur et à mesure, assume le curé de la paroisse, le père Bruno Horaist. Ça fait un peu “saint Johnny”, je sais. Tout le monde se fiche de moi… » Au calme, l’ecclésiastique non dénué d’humour remonte le fil des derniers mois, plutôt surprenants. A commencer par la messe d’enterrement de la star, le 9 décembre 2017. « Quand les portes s’entrebâillent, se souvient le père Horaist, on découvre cette foule phénoménale ! C’est le rush pour entrer et ne plus rien voir du tout, simplement photographier des gerbes de fleurs. Je me suis dit que ce n’était pas juste. » Il ouvre un premier registre. Suivi de 43 autres, couverts de cœurs.

Qu’est-ce qu’un prêtre aurait de plus à offrir ? Une messe ! Il songe au format du midi pour cadres pressés. Une célébration d’une demi-heure, le 9 janvier. « Je me suis dit qu’il y aurait bien une vingtaine de personnes… Ils sont venus à 200 ! Les mois suivants, on est très vite monté à 700, 900 personnes, 1 000 au premier anniversaire de sa mort, le 9 décembre 2018. » Le bouche-à-oreille fonctionne à plein tube : il se dit que la messe du 9 à la Madeleine aurait quelque chose en elle de Tennessee. Car le père Horaist forme avec le père Jaffré un duo de sexagénaires détonnant.

« ON A TOUJOURS “APPRIVOISÉ” DES MÉLODIES POPULAIRES POUR LA LITURGIE. A L’ÉPOQUE BAROQUE, BACH LE FAISAIT AVEC DES COMPOSITEURS ITALIENS. » MICHEL GEOFFROY, TITULAIRE DE L’ORGUE DE CHŒUR

Le premier, ordonné jeu­ne, curé de la Madeleine depuis six ans, porte la veste de complet et une parole finement distanciée avec l’aisance que lui confèrent ses origines bourgeoises. « Je n’étais pas du tout fan de Johnny et je chante faux comme une casserole. » Le second, Jean-Yves Jaffré, frêle d’apparence dans son gros pull de laine, a été élevé au sein d’une famille de négociants en pommes de terre comptant neuf enfants. Avant d’être prêtre, il fut électricien. « J’ai gardé la ­devise : “Que la lumière soit !” »

Bavard, extraverti, lyrique, mystique, ce missionnaire de Saint-Vincent-de-Paul accompagne, en chansons, nuits de prières et retraites bibliques. Il met en musique des psaumes et adapte à la mode chrétienne des chansons populaires, celles de Johnny en tête. Car, croit-il, cet « écorché vif assoiffé d’amour vrai », dont il tente en priant « d’accélérer la sortie du purgatoire », interprétait des tubes qui étaient autant de « prières implicites ». « Il y a peu de paroles à changer pour passer du corps au cœur, de l’amour humain à l’amour de Marie, pour substituer Dieu à la bien-aimée. »

En avril 2018, le père Jaffré débarque à la Madeleine avec sa guitare, son ampli et son Que je t’aime aux couplets célébrant « le mystère du rosaire ». Et le père ­Horaist « dit oui, pour faire plaisir, comme à beaucoup de choses ». De mois en mois, le répertoire de Johnny colore d’une ambiance « Memphis » la célébration. Les groupies rappliquent. Habituellement plus féru de musique sacrée du XIXe siècle, le titulaire de l’orgue de chœur, Michel Geoffroy, prête main-forte sans barguigner, réharmonise les mélodies, adap­te les paroles « un peu hardies ». Rien de dérangeant, à ses yeux. « On a toujours “apprivoisé” des mélodies populaires pour la liturgie. A l’époque baroque, Bach le faisait avec des compositeurs italiens. »

Michael François, 42 ans, « chantre en l’église de la Madeleine », se prend au jeu. Yeux bleus sur tenue noire, le ténor trouve « décalé mais amusant » d’interpréter des chants liturgiques remastérisés à la Johnny. « Au fur et à mesure que le temps passe, je me lâche, vocalement. La musique est là pour nous porter vers Dieu. Pourquoi serait-il contre ça ? » A la fin de la messe, ces dames viennent le complimenter. Il esquive les demandes d’autographe.

Un bataillon de paroissiens mobilisé

Le père Horaist canalise le tout tant bien que mal. Les grands portraits du rockeur posés aux côtés de l’autel, durant la première année, ont redescendu la volée de marches. Un bataillon de paroissiens est mobilisé pour accom­pagner chaque entrant, glisser un explicite « Vous venez pour la messe ? », puis un feuillet pour suivre. « Comme chaque mois, nous sommes heureux de nous retrouver en mémoire de Johnny mais aussi en présence du Seigneur », débute ensuite le curé. « On doit les aider à passer de l’idolâtrie à l’adoration, pense Jean-Yves Jaffré. Ils aimaient Johnny, maintenant ils apprennent à remercier celui qui l’a créé. » Le missionnaire rend grâce à son « nouveau pote au ciel » : « Un peu malgré nous, il nous ouvre les portes d’une nouvelle évangélisation. » « Johnny est un treizième apôtre qui mène au Christ des gens qui n’y viendraient pas », renchérit William Beaux d’Albenas, paroissien retraité au look de gentleman-farmer.

Plus sobre, Bruno Horaist qualifie Johnny de « bon médiateur ». Mais poursuit : « Le pape nous a demandé d’aller aux périphéries. Avec les fans, c’est la périphérie qui vient à la Madeleine. Ils redécouvrent la puissance d’une parole d’espérance, le fait que le rassemblement à l’église a du bon. On est dans notre rôle. Les gens crèvent de solitude. Ici, c’est un rond-point couvert. » S’attardant en discussions après le chant de sortie, Jean-Paul Periolat, retraité de la SNCF venu de Valence, donne raison au curé de la paroisse : « Je trouve quelque chose à côtoyer tous ces gens… Je fais les ronds-points, aussi, à Valence. On se parle de ce qui se passe dans la vie, sans distinction de classes. Il y a même une pharmacienne ! C’est comme dans le temps, dans les cafés… »

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Un euro la carte Johnny, cinq le dépliant

Le rond-point de la Madeleine ne sera pas évacué de sitôt. Les messes des 9 mars, 9 avril, 9 mai sont annoncées. L’affluence ne se dément pas bien que cela cancane un brin, dans les rangs. Pour la quête, le curé a suggéré de jeter au moins 5 euros par tête dans les paniers d’osier. « Ça fait du pognon, un millier de personnes à 5 euros », grincent Manu et Joëlle. Sur le tourniquet des cartes souvenirs, sainte Thérèse et Jean Paul II frayent avec l’interprète de J’en parlerai au diable. Un euro la carte Johnny, cinq pour le dépliant des funérailles. « On ne fait pas d’argent », sourit le curé dont la paroisse est « un gouffre ». « Les frais de chauffage, d’électricité, les heures sup des sacristains, les douze agents de sécurité à prévoir lorsque ceux qui viennent de l’autre bout de la France sont déçus de ne pas entrer… » Lui qui s’est bien involontairement converti en Bruno Coquatrix de la Madeleine a reçu une poignée d’e-mails peu charitables. Il désacraliserait l’Eglise. Ferait preuve d’opportunisme. « Je suis dans une dimension d’humanité, je ne veux pas fourguer le catéchisme !, se défend-il. Mais si une chanson ou une prière ouvre une vie qui ne s’enferme pas dans la mort, c’est tant mieux. »

Au diocèse de Paris, « rien ne heurte » : « L’église est ouverte à tous, et ces fans ont besoin d’un lieu de recueillement. » Accessoirement, on signale que la messe a été retransmise sur la chaîne KTO. « Ceux qui ne vont jamais à l’église peuvent se rendre compte que le culte a énormément évolué. » Bénédiction pour l’image. « Enfin une cérémonie proche des gens, adaptée à eux, et pas du rabâchage ! », s’enthousiasme le « prêtre des loubards » Guy Gilbert, venu concélébrer la messe. L’idée d’un CD du tout-Johnny catho-compatible cheminerait même, si ce n’était ce délicat problème de droits artistiques. « Il faut attendre que leurs affaires de famille soient un peu réglées, regrette le père ­Jaffré. D’ailleurs, on prie pour ça. »

9 mars 2019

Dalai Lama

dalai

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