Par Laurent Telo, Grégoire Biseau - Le Monde
C’est l’histoire d’un malaise persistant que la crise sanitaire a transformé en franche hostilité. Amateur de théâtre et de littérature, le président Macron semblait vouloir incarner une ambition culturelle. Que les acteurs du secteur jugent incompréhensible.
A quelques mètres du canal Saint-Martin, à Paris, dans un deux-pièces sous les toits qui lui sert d’atelier, Mathieu Sapin regarde Emmanuel Macron, les yeux dans les yeux. Il est 15 h 53, ce lundi 8 juin. L’auteur de BD termine les dernières planches de son livre Comédie française. Il y sera question de politique, de courtisans, de Macron, mais aussi de Louis XIV et de Racine. Depuis qu’il a suivi la campagne de François Hollande, puis raconté le quotidien de l’Elysée dans Le Château, Mathieu Sapin est devenu, presque malgré lui, le dessinateur à l’œil affûté et décalé de la chronique du pouvoir sous la Ve République. Il a aussi croisé Macron à plusieurs reprises. « Les chefs d’Etat ont toujours besoin de draguer les artistes. Ils envient leur liberté, le fait qu’ils soient admirés alors qu’eux-mêmes sont souvent détestés. »
Mathieu Sapin en sait quelque chose. Le 3 mai 2017, à quelques minutes du débat de l’entre-deux-tours de la présidentielle, assis dans un coin de la loge, au milieu du premier cercle d’Emmanuel Macron, il sort son crayon et son carnet de croquis. Il pense dessiner incognito quand le candidat se tourne vers lui : « Ah ! mais vous savez que je suis en train de lire votre BD sur Depardieu. C’est super. » Le numéro de charme le laisse sans voix.
Le 6 mai 2020, il a évidemment regardé, comme beaucoup d’artistes traumatisés par la violence de la crise, l’intervention télévisée lyrique et un peu lunaire d’un Macron en bras de chemise qui demandait, après avoir annoncé une série de mesures de soutien, aux artistes de se « réinventer » et d’« enfourcher le tigre ». Sapin n’a rien compris. Il n’est pas le seul. Le secteur culturel a pris ce numéro comme un camouflet. « Quand on est face à un milieu hostile, on ne se met pas en scène. Sinon on prend le risque d’en sortir perdant », estime Sapin. Il ne sait pas s’il faut parler d’occasion manquée ou de rencontre impossible. Signe en tout cas du malaise, dimanche 14 juin, à l’occasion de son intervention télévisée, Emmanuel Macron n’a prononcé que deux fois le mot « culture », à chaque fois perdu au milieu d’une énumération.
Un casting prometteur
Et pourtant… « Voilà notre homme ! », s’extasiaient les « cultureux », après la campagne de 2017. Un président livresque qui citait Jean Giono ou André Gide. Un président, jeune et forcément connecté, qui a fait ses humanités en tant qu’assistant du philosophe Paul Ricœur. Un président dont l’épouse est une ancienne professeure de lettres. Une somme de vertus qui ravivait l’espoir, toujours douché depuis quarante ans, de revivre les fantasmatiques années 1980 de Jack Lang à la rue de Valois.
Stanislas Nordey, directeur du Théâtre national de Strasbourg, engagé à gauche depuis toujours, avait lu Révolution (novembre 2016), le livre manifeste du candidat Macron : « J’étais quand même agréablement surpris qu’il cite des écrivains. C’est tellement inhabituel dans la classe politique, à part peut-être Christiane Taubira. Mais j’en attendais aussi peu de chose… et certainement pas de grand soir. De toute façon, s’il devait y en avoir un, on l’aurait vu tout de suite… après son élection. »
Pourtant les premiers signes sont plutôt encourageants. Françoise Nyssen, nommée ministre de la culture, n’est pas une femme politique mais une éditrice respectée. Claudia Ferrazzi devient la conseillère culture et communication de l’Elysée. Certes, c’est une diplômée de l’ENA, où elle a rencontré Macron, mais c’est aussi une ancienne secrétaire générale de la Villa Médicis. Aujourd’hui, Claudia Ferrazzi habite dans un grand loft parisien aussi lumineux qu’une galerie d’art.
Celle qui jusqu’ici ne s’est jamais exprimée depuis son départ de l’Elysée, en novembre 2019, parle toujours aussi bien le macronisme avec un accent italien chantant. « La culture était, avec l’éducation, un socle important du programme présidentiel. Avec trois piliers : l’émancipation grâce à l’accessibilité à la culture, l’équité territoriale, la souveraineté et le dialogue entre les cultures. Alors, c’est sûr, ce n’est pas aussi spectaculaire que la pyramide du Louvre, mais tellement fondamental si on veut réfléchir à un autre projet de société. »
De nombreux projets avortés
Deux ans plus tard, le bilan est aussi maigrichon que la réfection d’un château presque en ruine, celui de Villers-Cotterêts, future cité de la francophonie, que des bibliothèques incitées à ouvrir le dimanche ou que le retour des chorales à l’école. Sans parler du Pass culture qui devait incarner à lui seul l’ambition culturelle du quinquennat. Cette application qui permet aux jeunes de 18 ans de pouvoir consommer jusqu’à 500 euros de biens ou de spectacles culturels, testée dans 17 départements, a disparu des radars nationaux. Deux coups d’éclat, tout de même : la restitution des œuvres africaines et un combat européen sur les droits d’auteur gagné de haute lutte. « Est-ce que tout a fonctionné ? s’interroge Claudia Ferrazzi. Certainement pas, mais je me refuse à dire que ça n’a pas existé. On aurait dû peut-être prévoir des moments de discours programmatique sur la culture. »
« NYSSEN ARRIVE AVEC LA FRAÎCHEUR DE LA SOCIÉTÉ CIVILE MAIS ELLE N’A PAS LES CODES. ELLE SE FAIT BROYER. » JEAN-MARC DUMONTET
En tout cas, l’incarnation de cette politique, elle, est illisible. A défaut de grande figure culturelle, les soutiens « people » de la campagne sont devenus incontournables : son grand copain Jean-Marc Dumontet, propriétaire de théâtres privés, devient l’organisateur en chef des sorties du couple Macron, Stéphane Bern est nommé à la tête de la Mission patrimoine. Puis Macron essaie, en vain, d’envoyer l’écrivain Philippe Besson au consulat de France à Los Angeles… Et, quand il faut choisir un responsable en chef de l’immense chantier de Notre-Dame, il nomme un général de l’armée. Le milieu de la culture se crispe.
« Mais le président n’oppose pas culture exigeante et culture populaire ! », s’emporte Claudia Ferrazzi, qui nous dresse une longue liste de rencontres pas forcément médiatisées avec des artistes plus pointus les uns que les autres. Pour la panthéonisation, prévue en novembre 2020, de l’écrivain et poète Maurice Genevoix, Macron passe commande à un couple inédit : le compositeur de musique contemporaine Pascal Dusapin et le plasticien allemand Anselm Kiefer. Du très haut de gamme. « Il a toujours eu des relations avec les différents secteurs de la culture, confirme Marc Schwartz, PDG de la Monnaie de Paris, ancien directeur de cabinet de Françoise Nyssen et “référent culture” du candidat Macron. Il a besoin de se nourrir de ces contacts directs. »
Le fiasco Nyssen
Dans cette improbable tranche napolitaine, entre Johnny Hallyday et Line Renaud, on trouve le peintre Pierre Soulages ou l’écrivain Pierre Michon. Cette référence de la littérature contemporaine a déjeuné deux fois avec Macron. On était curieux de savoir ce que ces deux-là avaient à se dire : « Au départ, j’étais stressé, raconte l’écrivain. Je ne savais pas trop quoi dire. Parler de Stendhal ou de Bonaparte, dont je partage l’admiration avec lui, ça ne mange pas de pain. Et, à un moment, on se lève et je dis : “Quelles belles pompes d’énarques. Vous ne voulez pas les échanger avec les miennes ?” “Pourquoi dites-vous ça ?”, répond le président. Quelque chose s’est décoincé. Et j’ai commencé à parler normalement. Il m’a demandé un texte sur ce que je pense de la France. On a aussi parlé des Francs parce que j’avais lu le bouquin de Patrick Boucheron sur Saint Ambroise qui en parlait. Macron était fasciné. Il a pris des notes. Ça prouve qu’il sait entendre. En lui, il y a quelqu’un qui sait aller à l’école où qu’il soit. »
Entre Michon et Johnny, faut-il choisir ? « On ne peut pas comprendre la déception du monde culturel à l’égard d’Emmanuel Macron sans prendre en compte les attentes qu’il a suscitées au début de son quinquennat, puis l’empilement de réformes peu cohérentes portées par des ministres politiquement faibles », analyse Vincent Martigny, professeur de science politique à l’université de Nice et spécialiste des questions culturelles.
Sans compter que le milieu de la culture, à gauche, rejette en bloc beaucoup de mesures du gouvernement : sa politique migratoire, fiscale, sa réforme des retraites… Le mandat de Françoise Nyssen, très mal à l’aise dans son costume de ministre, est un fiasco à lui tout seul. Jean-Marc Dumontet décrypte : « Nyssen arrive avec la fraîcheur de la société civile mais elle n’a pas les codes. Elle se fait broyer. Le président veut aller vite sur l’économie et le social et la culture ne semble pas la priorité. Une petite musique s’installe : en fait, Macron ne s’intéresse pas à la culture. Ce qui est faux. »
Communication de crise
Le remplacement de Claudia Ferrazzi, partie monter son entreprise, par Rima Abdul-Malak en décembre 2019, est l’occasion d’un nouveau départ. Cette Franco-libanaise de 41 ans, débarquée à Lyon à l’âge de 10 ans, attrape le virus du théâtre grâce à un professeur de français « déjanté ». Elle sera secrétaire générale de l’association Clowns sans frontières, puis la conseillère culture de Bertrand Delanoë à la Mairie de Paris, avant de devenir attachée culturelle à New York. Un autre style souffle sur l’Elysée. Plus direct, plus engagé.
Stanislas Nordey confirme : « Elle est devenue un relais très réactif. Ça a changé beaucoup de choses. » Le monde culturel croit y voir un signal. Jack Lang, qui reste un bon thermomètre du milieu, est dithyrambique. « Rima est une personnalité remarquable qui a une connaissance intime et fine de la vie culturelle. Sa présence, c’est un signe, et un test. » La culture française a, enfin, l’impression d’être un peu entendue sinon comprise.
Enfin… jusqu’au déclenchement de la crise sanitaire, et ce 30 avril 2020. Dans une tribune publiée sur Lemonde.fr dans Le Monde daté 2 mai, un collectif assez représentatif du cinéma français et du spectacle vivant, allant de Jeanne Balibar à Omar Sy, en passant par Jean Dujardin, tire la sonnette d’alarme pour un secteur à genoux et à boulets rouges sur un ministre jugé « fantomatique ». L’effet de souffle est immédiat. Alors que Rima Abdul-Malak travaillait depuis plusieurs jours à l’organisation d’une table ronde avec les acteurs de la culture, la voilà obligée d’ajuster son dispositif.
Elle compose un savant cocktail d’une quinzaine de noms. Des signataires – Stanislas Nordey, les actrices Norah Krief et Sandrine Kiberlain, les réalisateurs Olivier Nakache et Éric Toledano, la chorégraphe Mathilde Monnier – et des non-signataires. Macron exige la présence de Catherine Ringer, la moitié des Rita Mitsouko. La plupart n’ont jamais échangé un mot avec le chef de l’Etat. Le plateau est de choix, le moment suffisamment dramatique : tout devait faire de ce 6 mai, une occasion en or. Celle de restaurer un lien, pour le moins abîmé, avec un milieu traumatisé. Et, pour mettre toutes les chances de son côté, Macron s’est laissé convaincre par son ministre de la culture de débourser un milliard d’euros pour permettre aux intermittents de continuer à toucher leur indemnité pendant un an.
Un secteur très remonté
Le 6 mai, en direct sur les chaînes d’info, pendant vingt-cinq minutes, Macron, en bras de chemise, échevelé comme jamais, hésite entre lectures de fiches, annonces de mesures, banalités creuses et envolées lyriques. A ses côtés, Franck Riester, mutique, prend des notes tel un collégien appliqué. L’impression générale est aussi catastrophique qu’unanime : désinvolture, mépris, dilettantisme… Bref, à côté de la plaque et du moment.
Pascal Rogard, directeur général de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) et lobbyiste culturel influent depuis quarante ans, résume le sentiment général : « Ça faisait vraiment improvisation débraillée. Sans grand plan, sans grande vision… D’accord, il y a eu quelques annonces importantes, comme le maintien des droits pour les intermittents. Mais son histoire de renvoyer les créateurs se réinventer sur les plages et puis sa décision de rouvrir uniquement le Puy du Fou… À la SACD, qui regroupe beaucoup de catégories d’auteurs, ça a vraiment choqué. Les gens de la culture veulent du respect. Sarkozy, Hollande ou Chirac n’auraient jamais fait ça. »
Dans l’après-midi, la grande prêtresse du Théâtre du Soleil, Ariane Mnouchkine, appelle, furieuse, la conseillère culture du chef de l’Etat. La performance d’Emmanuel Macron et sa définition du génie français (« de l’inventivité et du bon sens ») ne l’ont pas calmée. Rima Abdul-Malak prend le temps de lui rappeler la grande victoire de la journée : l’année blanche pour les intermittents, que le secteur revendiquait sans trop oser y croire.
Improvisation ratée
Un mois plus tard, dans son bureau du premier étage qui donne sur la cour de l’Elysée, la conseillère est fataliste : « Pourquoi ils critiquent la forme de l’intervention du président ? Parce que le fond est inattaquable. » Et de nous glisser un tableau Excel récapitulant l’ensemble des mesures de soutien pour le secteur : 3,5 milliards d’euros TTC. Un simple malentendu ? Un ex-conseiller du chef de l’Etat rebondit : « Emmanuel Macron n’a probablement pas pris la mesure de l’Etat d’angoisse dans lequel était la culture. Je comprends très bien que ça a pu être mal pris, mais il était juste en mode travail. Je l’ai vu des centaines de fois comme ça. »
« MACRON VOULAIT DÉMONTRER QU’IL CONNAISSAIT TOUS LES DOSSIERS CULTURELS, JUSQU’À PROPOSER AUX ARTISTES UNE AUTRE MANIÈRE DE TRAVAILLER. » JEAN-JACQUES AILLAGON
Tout le monde a cru voir une mise en scène alors que c’était, en réalité, une improvisation. Tellement improvisée que Franck Riester, lui-même, ignorait tout du dispositif de communication. La seule chose qui avait été calée était simple et claire : le président devait conclure les deux heures de table ronde par une intervention de cinq minutes retransmise en direct. Ensuite, Riester devait détailler les mesures depuis le perron de l’Elysée. Sauf que les cinq minutes se sont transformées en vingt-cinq minutes de one-man-show. Avec un effet déformant qui va clouer au pilori médiatique le ministre.
Rima Abdul-Malak : « Dire que Franck Riester a été humilié parce qu’il prenait des notes… C’est vraiment n’importe quoi. La réalité, c’est que les annonces du président résultent de propositions faites par le ministère de la culture. » D’ailleurs les participants de la table ronde n’ont pas eu la même perception. « Nous, on n’a pas du tout trouvé ça humiliant ou énervant, confirme Stanislas Nordey. Peut-être parce qu’on était dedans et que l’on discutait avec lui depuis deux heures… A la fin, il s’emballe un peu mais, pour moi, c’est plus de la maladresse. »
Un président un peu trop présent
Ce n’est pas la première fois. C’est même presque une marque de fabrique. Le simple contact d’artistes ou d’intellectuels électrise Macron. C’était le cas, fin janvier, lors de l’inauguration du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême, où celui-ci n’a pas résisté au plaisir d’un selfie avec le dessinateur Jul, qui présentait pourtant un tee-shirt dénonçant les violences policières. Ou encore un an auparavant, à l’occasion d’une table ronde organisée à l’Elysée avec une soixante d’intellectuels qu’il va étirer pendant plus de huit heures.
« Pour Macron, l’artiste se situe tout en haut de sa pyramide personnelle, analyse un ex-conseiller. Il ne faut pas oublier qu’il a des velléités littéraires, et donc une forme d’ambition artistique… » D’où peut-être cette difficulté à se tenir à la bonne distance. Ex-ministre de la culture de Jacques Chirac, Jean-Jacques Aillagon abonde : « Cette intervention du 6 mai est la démonstration de cet excès de captation de responsabilité directe du président à l’égard de tout et de rien. Il voulait démontrer qu’il connaissait tous les dossiers culturels, jusqu’à proposer aux artistes une autre manière de travailler. » Oui, mais Macron est tellement frustré… « Une fois, il m’a dit : “Je n’ai pas mon Jack Lang” », raconte Stéphane Bern.
Le Lang en question ne commente pas cette sentence irrévocable mais voudrait quand même « redonner une ambition, une vision d’ensemble, une perspective et des moyens à ce pauvre ministère progressivement dépenaillé, raboté, après trente ans d’indifférence de la plupart des présidents ». Sauf que la culture, c’est Macron. « Le chef de l’Etat a théorisé le fait qu’une politique culturelle n’était pas seulement définie par le ministère. Qu’il peut revenir au président de donner l’impulsion et de l’incarner », assure Sylvain Fort, ancienne plume du président.
La bataille des nominations
C’est évidemment vrai des nominations. Les candidats ont compris qu’il fallait prendre rendez-vous rue du Faubourg-Saint-Honoré plutôt que rue de Valois. Pour trouver un successeur à Stéphane Lissner à l’Opéra de Paris, Franck Riester avait composé un jury pour soumettre une short list à l’Elysée. Sauf que seul le nom du patron de l’Opéra-Comique sort du chapeau du jury. Alors, l’hyperprésident a dit : « Ce n’est pas ce que j’ai demandé. » Il a tout repris depuis le début, il a reçu lui-même les candidats et choisi l’Allemand Alexander Neef.
« Beaucoup de nominations sont toujours remontées à l’Elysée, assure l’universitaire Vincent Martigny, mais, là, ça a pris des proportions incroyables. Sous Lang, la politique était coconstruite avec les acteurs du secteur. Cette ultraprésidence au contact d’un milieu aussi complexe empêche de penser une politique culturelle partagée. Et, avec ces “faits du prince”, Macron prend le risque de cristalliser les mécontents. »
« IL FAUT UN MINISTRE DE COMBAT ET DE CAMPAGNE. QUI DOIT GAGNER SES ARBITRAGES CONTRE BERCY, SURTOUT EN PÉRIODE DE CRISE, AVEC UN SECTEUR TOUCHÉ DE MANIÈRE INOUÏ. »
AURORE BERGÉ
Stéphane Bern nous raconte ses coupe-files : « Pour l’opération “On redécouvre notre patrimoine” de cet été, j’ai passé un coup de fil au président pour que ça se fasse. Tout ce qui m’intéresse, c’est de sauver le patrimoine, pas d’être ministre. C’est pour ça que je n’ai pas ma langue dans ma poche. Lors des réunions auxquelles j’ai pu assister, les représentants du ministère ne mouftaient jamais. C’est fascinant. Ils attendent docilement les décisions de l’Elysée. »
Et, quand le milieu du cinéma apprend la nomination à la tête du Centre national du cinéma de Dominique Boutonnat, le candidat (et participant actif à sa campagne) du président suspecté de soutenir une approche trop consumériste du secteur, c’est une bronca quasi générale, mais qui ne dissuade pas le chef de l’Etat.
« Lors de l’accession de Macron à la présidence, il y a eu une forme d’improvisation assez séduisante, conclut le compositeur Jean-Michel Jarre. Mais qui devient une faiblesse quand on ne trouve pas les bonnes personnes, même si c’est bourré de bonnes intentions. » Jarre échange régulièrement avec Macron. Il a délaissé un instant ses claviers pour imaginer au téléphone avec nous la création d’un collège culturel autour du président, avec des membres de la société civile. « Avec Lang. Comme ça, Macron aurait son Lang ! »
Un ministre sur la sellette ?
A quelques semaines d’un remaniement très probable, nous sommes invités à déjeuner au ministère de la culture. Franck Riester a tombé la veste mais surtout pas retroussé les manches de sa chemise. Pour dissiper cette incompréhension tenace qui perdure entre Macron et la culture, il a une idée toute simple. « Je l’ai dit plusieurs fois au président : “Il faut trouver un moment fort, solennel, durant lequel il puisse expliciter sa vision culturelle.” C’est vrai que ça a pu manquer… »
La veille, devant l’Assemblée, nous avions discuté avec la députée LRM Aurore Bergé, rapporteuse du projet de la loi sur l’audiovisuel et chargée d’une mission sur l’émancipation et l’inclusion culturelle. Elle a aussi une énorme envie qu’elle sous-entend à peine : devenir ministre de la culture. Et pense avoir tout compris de ce qu’attendait le président : « Il faut un ministre de combat et de campagne. Qui doit gagner ses arbitrages contre Bercy, surtout en période de crise, avec un secteur touché de manière inouïe. » Elle n’est pas la seule à postuler. Tout le milieu culturel est en ébullition.
En plein déjeuner, Franck Riester se lève de table pour aller chercher ses lunettes. Il tente de démontrer qu’il est d’une sérénité sans faille, qu’il n’est surtout pas cette silhouette fragile de figurant déjà condamné. « Je suis très calme dans un milieu qui parle et qui se parle beaucoup. » Il a probablement entendu que plusieurs signataires de la tribune faisaient maintenant passer des messages à l’Elysée pour défendre son maintien. « Plutôt Riester qu’encore un(e) nouveau (elle) ministre ! », nous confirme Stanislas Nordey. Riester chausse ses lunettes pour nous montrer un SMS envoyé par Jack Lang comme un signe irréfutable d’optimisme. Dans l’élan, il s’apprête à nous en lire un second. Du président lui-même. Mais il se reprend : « Non. Le SMS est trop beau. »