Pour des prélats catholiques, la pandémie est un « prétexte » pour limiter les libertés
Par Cécile Chambraud
Plusieurs cardinaux, archevêques et évêques émérites ont signé et publié, jeudi, un texte stupéfiant lancé par l’ancien nonce apostolique Carlo Maria Vigano.
A la faveur de la pandémie de Covid-19, le complotisme se serait-il emparé de certains hauts responsables de l’Eglise catholique ? Plusieurs cardinaux, archevêques et évêques émérites ont signé un texte, fortement teinté de conspirationnisme, sur les politiques sanitaires déployées ces dernières semaines dans de nombreux pays. Présenté comme une pétition, il a été publié, jeudi 7 mai au soir, sur un site créé à cet effet. Cet « appel aux hommes de bonne volonté » accuse les Etats d’avoir pris « prétexte » de l’épidémie pour limiter « d’une manière disproportionnée et injustifiée [les] libertés fondamentales, y compris l’exercice de la liberté de culte », alors même que, selon eux, « les doutes croissent quant à l’effective contagiosité, à la dangerosité et à la résistance du virus ».
« Nous avons des raisons de croire (…) qu’il existe des pouvoirs fort intéressés à créer la panique parmi la population dans le seul but d’imposer de façon permanente des formes de limitation inacceptables de la liberté, de contrôle des personnes (…), prélude inquiétant à la création d’un gouvernement mondial hors de tout contrôle », affirme le texte. Les prélats signataires revendiquent la liberté de célébrer la messe à leur guise. « L’Etat n’a pas le droit de s’ingérer, pour quelque raison que ce soit, dans la souveraineté de l’Eglise » et donc d’interdire ou de limiter le culte public, affirment-ils.
« Choisir son camp : avec le Christ, ou contre le Christ »
Convaincus de « lutter contre un ennemi invisible » qui est bien davantage qu’un virus, ils appellent à « choisir son camp : avec le Christ, ou contre le Christ ». « Ne permettons pas que des siècles de civilisation chrétienne soient anéantis sous le prétexte d’un virus, en laissant s’établir une tyrannie technologique haineuse », affirment les auteurs. « Que la très Sainte Vierge, auxiliatrice des chrétiens, écrase la tête de l’ancien serpent, confonde et déroute les plans des enfants des ténèbres », concluent-ils.
La cheville ouvrière de ce texte stupéfiant n’est autre que l’archevêque Carlo Maria Vigano, l’ancien nonce apostolique qui avait appelé à la démission le pape François, en août 2018, l’accusant d’avoir couvert l’ancien cardinal américain Theodore McCarrick, défroqué depuis, sur fond d’accusations de harcèlement sexuel et d’agressions sexuelles sur mineurs. Vient ensuite le cardinal allemand Gerhard Müller, qui fut le préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi, l’organisme chargé de lutter contre les déviances, notamment doctrinales, dans l’Eglise catholique. Il a occupé cette fonction éminente de 2012 à 2017. L’évêque émérite de Hongkong Joseph Zen, grand pourfendeur de la politique de rapprochement avec Pékin conduite par le Vatican de François, est également signataire, tout comme d’autres représentants, clercs et laïques, de l’aile conservatrice.
Un imbroglio s’est ajouté vendredi concernant le cardinal guinéen Robert Sarah, préfet de congrégation chargée de la liturgie et figure des milieux conservateurs, présenté initialement comme signataire de la pétition. Mais, peu après sa publication, ce haut responsable a affirmé sur Twitter ne pas l’avoir signée. Plus précisément, il a indiqué avoir « demandé aux auteurs de la pétition (…) de ne pas [le] mentionner » car « un cardinal préfet de la curie romaine doit observer une certaine réserve en matière politique ». Il n’a d’ailleurs pas critiqué le contenu du texte dont il dit « partager à titre personnel certaines des interrogations ou inquiétudes qui sont soulevées en matière de restrictions des libertés fondamentales ». Mais vendredi, Carlo Maria Vigano a maintenu que le cardinal guinéen avait bien signé et qu’il lui pardonnait ce « grave tort contre la vérité » due à « la faiblesse humaine ».