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Jours tranquilles à Paris
30 janvier 2020

Affaire Barbarin : Le cardinal, poursuivi pour non-dénonciation d’agressions sexuelles sur mineurs, relaxé à Lyon

cardinal

NON DENONCIATION Le cardinal de Lyon, condamné en première instance à de la prison avec sursis, était poursuivi pour non-dénonciation d’agressions sexuelles sur mineurs

Le cardinal Barbarin a été relaxé par la cour d’appel de Lyon ce jeudi après-midi. Une décision conforme aux réquisitions du procureur de la République ayant demandé en novembre dernier que le prélat soit relaxé « des chefs de prévention » de non-dénonciation d’agressions sexuelles sur mineurs. Une heure après, les avocats des victimes ont annoncé qu’ils allaient se pourvoir en cassation.

En mars 2019, Philippe Barbarin, mis en cause par d’anciens scouts rassemblés au sein de La Parole libérée, avait été condamné à six mois de prison avec sursis par le tribunal correctionnel de Lyon avant de faire appel de cette décision, tout comme le parquet. L’an dernier, les juges avaient estimé que le cardinal aurait dû alerter la justice et la police des agissements du Père Preynat dès le mois de juillet 2014, lorsque Alexandre Hezez, l’une des victimes de l’ancien prêtre, l’a contacté pour lui en parler.

Or, le cardinal Barbarin ne l’a pas fait et le curé est resté en activité dans le diocèse de Lyon jusqu’en août 2015. Réduit à l’état laïc en juillet dernier après avoir été jugé par le tribunal ecclésiastique, Bernard Preynat a été jugé au mois de janvier par le tribunal correctionnel de Lyon pour des faits d’agressions sexuelles sur mineurs remontant aux années 1980 et 1990. Le parquet a requis à son encontre une peine «  pas inférieure à huit années de prison ». La décision sera rendue le 16 mars.

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30 novembre 2019

Affaire Barbarin : Décision mise en délibéré au 30 janvier dans le cadre de son procès en appel

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PROCES Le ministère a demandé que le cardinal soit relaxé des faits de non-dénonciation d'agressions sexuelles sur mineurs

La Cour d’appel de Lyon a mis en délibéré au 30 janvier le jugement du procès en appel du cardinal Philippe Barbarin, qui conteste en appel sa condamnation à six mois de prison avec sursis pour ne pas avoir dénoncé les abus sexuels d’un prêtre du diocèse.

« Je suis soulagé, je m’en remets à la décision de la justice », a commenté le prélat à sa sortie de l’audience. L’avocat général Joël Sollier, représentant du ministère public, a demandé la relaxe, s’inscrivant ainsi dans la continuité de la position adoptée par le parquet jusque-là dans cette affaire. En première instance, le parquet n’avait d’ailleurs requis aucune condamnation dans le dossier.

#barbarin ces réquisitions étaient attendues. Pour rappel, le parquet avait refusé de poursuivre le cardinal pour non-dénonciation en classant les plaintes des victimes. Il aurait été surprenant que le ministère public aille a son encontre aujourd'hui

— Caroline Girardon (@CaroGirardon) November 29, 2019

« La peine ne peut être symbolique »

Appelant le tribunal à une « décision raisonnée et sereine », Joël Sollier a estimé que la justice ne pouvait « faire du symbolique son principe d’action, ni son but ultime ». Elle doit distinguer le « cas individuel » de l’archevêque de Lyon des « fautes » commises par l’Eglise face à la pédophilie de certains de ses prêtres, a-t-il ajouté.

« La peine ne peut être symbolique » a-t-il lancé à l’adresse des juges de la cour, les avertissant sur « la tentation d’enfermer leur décision dans la sphère symbolique ».

Se défendant de vouloir « remettre en cause la légitimité de la démarche des parties civiles », l’avocat général a tenu à souligner l'« opposition dans le choix des voies de droit utilisées dans le cadre de cette procédure ». « Le système juridique ne peut être soumis à de telles torsions pour servir une cause, si juste soit-elle », a-t-il conclu avant de demander la relaxe.

Le père Preynat devant la justice

Le 7 mars, le tribunal correctionnel avait condamné le prélat à six mois de prison avec sursis à l’issue du procès en première instance bien que la vice-procureure Charlotte Trabut n’avait demandé aucune condamnation.

Dans cette affaire, le parquet de Lyon avait ouvert, en février 2016, une enquête pour non-dénonciation d’agressions sexuelles sur mineurs visant l’archevêque et d’autres membres du diocèse, mis en cause par des victimes du père Bernard Preynat. Défroqué en juillet, celui-ci doit être jugé au pénal en janvier.

L’enquête avait été classée sans suite le 1er août 2016 par le procureur de la République. Les plaignants avaient alors lancé une procédure de citation directe pour faire comparaître l’archevêque et cinq autres prévenus devant le tribunal. Seul le cardinal Barbarin avait été condamné.

Deux « silences » qui posent question

Les juges l’avaient déclaré coupable par deux fois : en 2010, quand Preynat lui avait avoué ses agissements et qu’il n’avait rien dit, ce silence-là tombant sous le coup de la prescription dont le délai est de trois ans. Puis en 2014, quand une victime du prêtre, Alexandre Hezez, l’avait informé des agressions et que le cardinal n’avait pas prévenu la justice, par souci de « préserver l’institution à laquelle il appartient », avait jugé le tribunal en le condamnant.

Mais selon l’avocat général, « il est difficile d’estimer que le cardinal Barbarin avait la volonté ou la conscience d’entraver la justice » ; en l’absence de cet élément intentionnel, il considère que l’infraction n’est pas établie à cette époque et qu’elle est prescrite pour tout ce qui précède.

29 novembre 2019

Philippe Barbarin : « J’ai fait tout ce que je croyais pouvoir faire »

Par Pascale Robert-Diar 

Le cardinal comparaît à son initiative devant la cour d’appel de Lyon pour contester sa condamnation, en mars, à six mois d’emprisonnement avec sursis pour « non-dénonciation d’agressions sexuelles sur mineurs ».

Il y a neuf mois, cinq prévenus dont Philippe Barbarin, cardinal de Lyon en exercice, un archevêque et un évêque étaient attraits devant le tribunal correctionnel de Lyon par l’association La Parole libérée pour « non-dénonciation d’agressions sexuelles sur mineurs. » L’enjeu, revendiqué par les plaignants, était de faire de cette audience le réceptacle d’un débat de société sur le silence coupable de l’Eglise face à la pédophilie.

Jeudi 28 novembre, devant la cour d’appel de Lyon, c’est un homme seul, cardinal « en retrait » de ses fonctions, qui comparaît à son initiative pour contester sa condamnation à six mois d’emprisonnement avec sursis. Et ce n’est plus tout à fait le même procès.

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« Pourquoi faites-vous appel ? », lui demande le président Eric Seguy. « J’utilise un droit que la justice française me donne », répond Philippe Barbarin. Avec la motivation du jugement qui l’a condamné le 7 mars, le cardinal dispose d’un atout : il sait sur quoi il doit se battre et sur quoi il peut céder. De cette feuille de route, il ne s’écarte pas, se montrant plus humble sur certains points et plus offensif sur d’autres.

Le souci d’éviter le « scandale public »

Ainsi de son entretien, en mars 2010, avec Bernard Preynat. Les plaignants soutiennent que dès cette date, Philippe Barbarin a eu conscience de la gravité des faits reprochés à l’ancien aumônier scout et n’a rien dit.

« J’entends des bruits, des rumeurs. Bernard Preynat me dit qu’il y a eu des trucs mais me certifie qu’il ne s’est plus rien passé depuis 1991.

– Les rumeurs, les trucs, c’était quoi ? Qu’il leur apprenait à tricher au Monopoly ? ironise l’un des avocats des plaignants, Me Jean Boudot.

– Ce n’était pas clair. Personne ne m’a rien dit. Ni les parents, ni les autres prêtres qui savaient. Moi, je suis là depuis 2002, je ne vais pas refaire l’histoire avant 1991 ! »

Il reconnaît toutefois : « Je m’en veux de ne pas lui avoir posé de questions plus précises. Je n’ai pas eu le courage, à ce moment-là, de lui demander de nommer les faits. »

La concession ne présente pas grand risque. Si, dans son jugement du 7 mars, le tribunal avait suivi les parties civiles en estimant que le délit de non-dénonciation d’agressions sexuelles était bel et bien constitué à compter de mars 2010, il relevait que, concernant cette période, les faits sont prescrits.

L’enjeu du procès en appel porte bien davantage sur l’attitude de Philippe Barbarin en 2014, quand il reçoit les confidences d’Alexandre Hezez, et en 2015, quand ce dernier l’informe avoir connaissance d’autres victimes de l’ancien aumônier scout.

A l’appui de sa décision de condamnation, le tribunal avait en effet estimé que le souci d’éviter le « scandale public » avait été, pour lui, la « seule priorité qu’il convenait de servir. » Philippe Barbarin, indiquait le jugement, « a fait le choix en conscience » de ne pas transmettre au procureur les faits qui lui étaient rapportés, « pour préserver l’institution à laquelle il appartient » alors qu’il était « dans l’obligation de dénoncer ces faits. »

« Personne n’a bougé »

A la barre, Philippe Barbarin conteste vigoureusement cette interprétation. « Pourquoi attend-on de moi que je porte plainte, vingt ans après, alors que des paroissiens et des parents ne l’ont pas fait à l’époque ? C’est une question que l’on peut se poser. Personne n’a bougé. Aujourd’hui, je reçois des lettres de gens qui me demandent : “Mais pourquoi ça tombe sur vous ? Nous aussi, on savait et on n’a rien dit. On en parlait partout, à la boulangerie, à la boucherie.” Une quinzaine de familles au moins pourraient témoigner. Il y a même une victime qui m’a dit : “Je m’attaque à vous car je ne vais quand même pas attaquer mon père.” »

Alexandre Hezez, rappelle-t-il, lui avait précisé que les agressions sexuelles le concernant étaient prescrites. « Ni dans sa tête, ni dans la mienne, il n’y avait l’idée de porter plainte. Il m’a dit qu’il s’en voulait de ne pas l’avoir fait. »

Le cardinal poursuit : « Les consignes de l’Eglise [sur la dénonciation d’agressions sexuelles portées à sa connaissance] sont très claires pour des faits qui se passent dans le présent. Mais personne ne dit ce qu’il faut faire pour des faits qui se sont produits il y a vingt ans. »

« Considérez-vous que Rome est un supérieur auquel vous devez obéir ? lui demande la cour

– Je n’avais pas d’accès à la justice. Tandis qu’à Rome, j’en avais un. J’ai fait tout ce que je croyais pouvoir faire. »

« L’Eglise a changé, la société également »

Philippe Barbarin en dresse l’énumération : « J’ai parlé directement avec le pape, je lui ai demandé de recevoir les victimes ou de leur écrire, ce qui n’a pas été fait. J’ai obtenu la levée de la prescription canonique et j’ai donné la sanction maximale que je pouvais donner [contre Bernard Preynat].

Il dit surtout avoir encouragé Alexandre Hezez à trouver d’autres victimes susceptibles de porter plainte. Confronté au cardinal, celui-ci dément. « Je suis très embêté. C’est toujours difficile de penser qu’un évêque ment ou oublie. Mais Philippe Barbarin ne m’a jamais, jamais, demandé de trouver d’autres cas. On n’était pas du tout dans une démarche où lui s’occupait de Rome et moi de la justice. » Philippe Barbarin réaffirme, imperturbable : « Je lui ai dit : “On va en trouver d’autres.” » Il insiste : « J’ai fait tout ce que j’ai pu de l’endroit où j’étais. »

« Agiriez-vous différemment aujourd’hui ? lui demande le président de la cour.

– Evidemment.

– Vous avez donc changé ?

– L’Eglise a changé. La société également. »

Le réquisitoire de l’avocat général Joël Sollier est attendu ce vendredi matin. Comme en première instance, le parquet va requérir la relaxe de Philippe Barbarin.

24 novembre 2019

Une « fausse sécurité » : à Nagasaki, le pape dénonce le principe de la dissuasion nucléaire

Par Cécile Chambraud, Nagasaki, Japon, envoyée spéciale

pape japon

Le chef de l’Eglise catholique, sur le lieu même du bombardement atomique du 9 juin 1945, a confirmé l’évolution de la doctrine du Saint-Siège sur le sujet. « Un monde sans armes nucléaires est possible et nécessaire », a-t-il affirmé.

Sous une pluie tenace, dans le parc de la paix de Nagasaki, qui fait mémoire des 74 000 victimes de la seconde bombe atomique lancée sur le Japon le 9 août 1945, sur le lieu même de son explosion, le pape François s’est directement adressé aux gouvernants de la planète pour leur dire que le temps était venu de renoncer aux armes nucléaires et leur demander de construire une paix qui ne repose pas sur la possession de tels armements et la menace de s’en servir pour dissuader d’éventuels agresseurs.

« Un monde sans armes nucléaires est possible et nécessaire », a affirmé le chef de l’Eglise catholique. D’autant plus que selon lui, « ces armes ne nous défendent pas des menaces contre la sécurité nationale et internationale de notre temps ».

Au premier jour de sa visite au Japon, dimanche 24 novembre, le pontife jésuite a prononcé un message, bref et dense, qui explicite les raisons qui l’on conduit, depuis deux ans, à changer la doctrine du Saint-Siège sur cette question. Auparavant, en effet, s’ils déploraient les capacités dévastatrices de l’arme nucléaire et appelaient à un désarmement concerté, les papes, depuis 1945, avaient admis la dissuasion, comme un pis-aller, à condition qu’elle soit une étape sur la voie du désarmement.

En 2017, François a franchi un cap. Il a condamné la possession des armements nucléaires et l’Etat du Vatican, abandonnant sa posture habituelle d’observateur aux Nation unies, a signé le projet de traité sur leur interdiction (TIAN), comme 132 autres Etats (mais aucun Etat possesseur de la bombe ni leurs alliés, dont le Japon).

« Solidarité » et « coopération »

A Nagasaki, où les architectes de la dissuasion ne peuvent oublier que l’arme atomique fut un jour employée, François a d’abord prié devant le monument aux victimes après y avoir déposé une couronne de fleurs blanches. « Ce lieu nous rend davantage conscients de la souffrance et de l’horreur que nous, les êtres humains, nous sommes capables de nous infliger », a-t-il commencé. Puis il a énuméré les raisons qui le conduisent aujourd’hui à condamner la possession de tels armements.

Pour le pontife argentin, loin de favoriser la paix, la possession d’armes nucléaires et « d’autres armes de destruction massive » n’instaure qu’une « fausse sécurité » fondée sur la « crainte » et la « méfiance qui finit par envenimer les relations entre les peuples et empêcher tout dialogue ».

« La paix et la stabilité internationales sont incompatibles avec toute tentative de compter sur la peur de la destruction réciproque ou sur une menace d’anéantissement total », a-t-il affirmé, en demandant à ce que leur soient substituées la « solidarité » et « la coopération » entre des Etats conscients de leur « interdépendance ».

Le pape a ensuite appelé à « rompre la dynamique de méfiance qui prévaut actuellement » entre Etats « et qui fait courir le risque d’arriver au démantèlement de l’architecture internationale de contrôle des armes ».

« Confiance mutuelle »

De fait, les traités qui régulaient les deux principaux arsenaux, américain et russe, sont en train d’être remis en cause avec la sortie américaine du traité sur les forces nucléaires intermédiaires en Europe en août, l’échec probable de l’examen du traité de non-prolifération en 2020, les incertitudes sur le renouvellement du grand traité bilatéral New-START sur les armes stratégiques en 2021 et l’impasse du traité sur l’interdiction complète des essais.

« Nous assistons à une érosion du multilatéralisme d’autant plus grave si l’on considère le développement des nouvelles technologies des armes », a insisté François. Pour sa part, a-t-il ajouté, le Vatican ne se lassera pas « d’œuvrer et de soutenir avec une insistance persistante les principaux instruments juridiques internationaux de désarmement et de non-prolifération nucléaire, y compris le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires ».

« Notre réponse à la menace des armes nucléaires doit être collective et concertée, sur la base de la construction, ardue mais constante, d’une confiance mutuelle qui brise la dynamique de méfiance qui prévaut actuellement », a-t-il affirmé. « Il devient crucial de créer des instruments qui assurent la confiance et le développement mutuel, et de compter sur des leaders qui soient à la hauteur des circonstances », a-t-il ajouté.

A Hiroshima pour un discours sur la paix

François a enfin repris un parallèle déjà établi par ses prédécesseurs entre les moyens investis dans l’armement, qui seraient autant de ressources détournées du développement. Il y a ajouté une troisième composante, celle de la préservation de l’environnement et de la lutte contre le changement climatique. « L’argent de la course aux armements pourrait être utilisé pour le développement (…) et pour la protection de l’environnement naturel », a-t-il déclaré.

« Dans le monde d’aujourd’hui, où des millions d’enfants et de familles vivent dans des conditions inhumaines, l’argent dépensé et les fortunes gagnées dans la fabrication, la modernisation, l’entretien et la vente d’armes toujours plus destructrices sont un outrage continuel qui crie vers le ciel », a-t-il ajouté. Il devait se rendre à Hiroshima dans l’après-midi et y prononcer un discours sur la paix.

1 octobre 2019

Abus sexuels dans l’Eglise : la commission d’enquête relance son appel à témoigner

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Par Cécile Chambraud

Malgré de nombreux appels et courriers reçus, la commission présidée par Jean-Marc Sauvé estime que des victimes n’ont pas encore été en mesure de témoigner.

Eric Boone a été l’un des premiers à témoigner devant la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise (Ciase). Deux membres de cette commission, créée à la demande de l’épiscopat et de la Conférence des religieux et religieuses de France (Corref) pour faire la lumière sur les violences sexuelles commises par des clercs contre des mineurs et des personnes vulnérables depuis 1950, l’ont reçu au mois de juin.

Pendant deux heures, à 46 ans, ce théologien de formation leur a raconté les attouchements et agressions sexuelles subies d’un frère dominicain, Dominique Cerbelaud, lorsqu’il avait 13-14 ans, dans la région toulousaine. Ses parents l’avaient adressé à ce religieux, admiré, dans l’espoir qu’il aide leur fils après un camp scout où le jeune garçon avait été le témoin d’une agression sexuelle par un encadrant sur un jeune.

En juin, la Ciase a lancé un premier appel à témoignages. Deux mille deux cents appels, courriers et courriels lui sont déjà parvenus. Sept cents personnes ont accepté de répondre à un questionnaire détaillé. Certaines sont auditionnées directement par la commission. « Nous entendrons le plus possible de victimes parmi celles qui en feront la demande », assure Jean-Marc Sauvé, son président.

Un état de « sidération absolue »

En dépit de cet afflux, la Ciase estime que de nombreuses victimes n’ont pas encore été en mesure de témoigner. « Entendre l’appel n’est pas toujours suffisant pour se confier, constate M. Sauvé. Certaines sont murées dans le silence. » Pour « lever les freins et les inhibitions », la commission renouvelle aujourd’hui son appel à témoignages. Radios, télévisions, presse locale, réseaux sociaux, réseaux catholiques… Tous les canaux sont mobilisés.

Pour aider certains à franchir le pas, la commission voudrait rendre publics quelques témoignages, préalablement anonymisés. Elle estime que cela permet de faire comprendre non seulement ce qui s’est passé, mais aussi les conséquences que ces faits ont eues tout au long d’une vie. A terme, ces témoignages pourraient fournir la base d’« un mémorial de la parole des victimes » car « ils véhiculent un message qui comporte une part d’universel », indique M. Sauvé.

Pour une victime, il est difficile de se résoudre à divulguer une histoire aussi traumatisante. Cela ne peut se faire qu’au terme d’un cheminement où interviennent rencontres, réactions de l’entourage, force intérieure et circonstances. Comme d’autres, Eric Boone est parti d’un état de « sidération absolue ». A l’époque, pour « protéger [s]es parents », par honte, par sentiment de culpabilité, il n’a rien dit à sa famille. Ce silence a duré près de vingt ans.

A la différence d’autres, il n’a pas expérimenté d’amnésie traumatique. Au contraire, explique-t-il, aujourd’hui encore, « il n’y a pas une journée où je n’y pense pas, que ce soit par une image ou une phrase. C’est ça, le venin. On ne peut pas ne pas y penser ».

Sentiment de « culpabilité de n’avoir rien vu »

Il croit alors être le seul à avoir été violenté par le dominicain. Mais vers 2004, il apprend que d’autres portent des accusations semblables. C’est le début d’un long ébranlement qui conduira à son témoignage, des années plus tard. Après un appel d’une amie de la famille à ce sujet, il se confie à sa femme. Puis à ses parents, qui se retrouvent accablés d’un sentiment de « culpabilité de n’avoir rien vu, rien su » et « ne s’en sont jamais remis ». « Pour moi, leur réaction a été un déclencheur très fort », insiste-t-il.

Sur la plainte d’autres victimes (mineures et majeures, dont des femmes), un procès canonique (interne à l’Eglise) est ouvert en 2005 contre Dominique Cerbelaud. Comme c’est la règle, il est conduit dans le plus grand secret. Eric Boone témoigne au cours de la procédure. Il apprend le verdict en 2008 : le dominicain a été condamné à une suspension d’un an au moins de ministère, qu’il doit passer à l’étranger. « La peine me parait assez légère », euphémise-t-il. « L’Ordre [des dominicains] est puissant. Il a tout traité en interne et n’a guère pensé aux victimes », lui écrit Albert Rouet, l’archevêque de Poitiers.

A la même période, le trentenaire intègre le groupe des Dombes, prestigieuse assemblée œcuménique rassemblant tous les ans une quarantaine de théologiens chrétiens. Il y retrouve le dominicain, qui l’intercepte à son arrivée : « N’oublie pas deux choses : tu dois ta place ici à mon intervention. Et je nie en bloc ton témoignage. »

« Un abus spirituel et d’autorité »

Plusieurs années passent avant qu’en 2016, la création et l’activisme de La Parole libérée, l’association créée à Lyon par des victimes de l’ancien aumônier scout Bernard Preynat, « interrogent beaucoup » Eric Boone, notamment « sur la justesse de [s]on silence ». Le dernier grand déclencheur, même si « le travail faisait son chemin », c’est la « lettre au peuple de Dieu » du pape François, publiée le 20 août 2018.

Ce texte demande « la participation active de tous » pour « éradiquer la culture de l’abus ». « Ça m’a bouleversé, témoigne-t-il. Il nomme les différents abus – spirituel, de pouvoir, sexuel – et je me suis dit : c’est exactement ça. Le crime sexuel vient comme un aboutissement d’un abus spirituel et d’autorité. » Se précise pour lui le sentiment que « se taire, c’est devenir complice. » Il y puise « une détermination absolue ».

Mais il se heurte à une question : « Que faire, puisqu’il y a prescription ? » Il commence par informer le président du groupe des Dombes, qui exclut Dominique Cerbelaud. Puis il consulte Véronique Margron, une théologienne dominicaine qui préside la Corref. Il la connaît bien et elle est très investie contre les violences sexuelles. Elle fait aussitôt un signalement au procureur de la République de Toulouse et lui conseille d’écrire son témoignage. « Ça aussi, ça m’a libéré. » Puis il saisit la Ciase à peine constituée.

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« Une culture du silence protège le système »

En ce début 2019, les événements se bousculent. A la suite du signalement de Véronique Margron, il est entendu par un enquêteur et porte plainte. Il accède aux témoignages de l’enquête canonique et se rend compte de l’ampleur du désastre. Il croit comprendre que, chez les dominicains de Toulouse, « des frères étaient au courant depuis toujours et que personne n’a rien dit. Les provinciaux successifs savaient et n’ont rien fait, ils ont tout fait pour étouffer. Parmi ceux qui se taisaient, certains avaient leur rond de serviette à la maison ».

Il assiste effaré à la diffusion du documentaire d’Arte sur les religieuses violées par des prêtres, à la sortie du film de François Ozon sur l’affaire Preynat, à la condamnation du cardinal Barbarin pour non-dénonciation d’atteintes sexuelles, à la mise en cause du nonce en France… « Je me suis dit : c’est un système qui produit et protège cela. Il y a une culture du silence qui protège le système. » Il décide de faire connaître l’affaire. Il la raconte à La Croix en juillet. « Je suis intimement convaincu qu’il y a d’autres victimes. C’est pour cela que je témoigne. »

Parallèlement à ce travail de sollicitation des témoignages, la Ciase prépare la suite. L’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) les analysera. La Maison des sciences de l’homme produira des monographies sur des congrégations et des diocèses déterminés afin de comprendre le contexte des abus et leur « traitement ». La liste des terrains choisis est en passe d’être bouclée. L’Ecole pratique des hautes études travaillera sur la dimension socio-historique par des plongées dans les archives. La chancellerie devrait demander aux parquets de faire un inventaire des faits dont ils ont eu connaissance. Pour les périodes plus anciennes, les archives nationales seront sollicitées, de même que des archives départementales ciblées.

Les diocèses et les congrégations avaient jusqu’au 30 septembre pour transmettre à la commission un état des lieux des clercs mis en cause. « Il y a dix jours, 19 diocèses, 26 congrégations féminines, 24 masculines l’avaient fait », informe M. Sauvé. Certaines recensions seraient nettement moins « documentées » que d’autres.

La commission commencera par les archives centrales de l’Eglise catholique, avant de cibler des archives particulières. Il n’est pas exclu que, pour certaines, se pose la question du secret pontifical, qui en barrerait l’accès. Une demande de dérogation a été transmise à la curie romaine. Mais l’Eglise catholique est-elle en mesure, aujourd’hui, d’opposer le secret à une commission qu’elle a suscitée pour faire la lumière sur ces faits qui la discréditent ?

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16 juin 2019

Notre-Dame : la première messe depuis l'incendie a été célébrée

Deux mois après l’incendie, Notre-Dame célèbre sa première messe en comité restreint

Assurant que la cathédrale était « toujours vivante », l’archevêque de Paris a célébré l’office devant une assemblée d’une trentaine de personnes, composée pour moitié de prêtres.

En aube mais avec un casque de chantier, l’archevêque de Paris Mgr Michel Aupetit a célébré samedi 15 juin la première messe à Notre-Dame depuis l’incendie qui a partiellement détruit la cathédrale il y a deux mois.

Assurant que la cathédrale était « toujours vivante », le prélat a commencé son office à 18 heures devant un comité restreint d’une trentaine de personnes, composé pour moitié de prêtres et réuni dans la chapelle située juste derrière le chœur. Cette chapelle de la Vierge abritait la Couronne d’épines, un des trésors de la cathédrale aux yeux des catholiques, sauvée des flammes la nuit du sinistre.

Dans son homélie, Mgr Aupetit a affirmé que Notre-Dame était avant tout un lieu de foi, alors que l’incendie qui a ravagé l’édifice le 15 avril avait soulevé une vague d’émotion bien au-delà de la seule communauté des croyants. « Cette cathédrale est un lieu de culte, c’est sa finalité propre et unique. Il n’y a pas de touristes à Notre-Dame », a-t-il déclaré dans un édifice encore profondément marqué par le sinistre.

« Avons-nous honte du Christ ? »

Au-dessus du chœur, interdit d’accès, des filets pendent, quelques pierres dans leur toile. Des gravats jonchent encore le sol mais les stalles sont intactes. La lumière de la fin d’après-midi baigne les pierres du pignon sud.

Affirmant que cette cathédrale « s’effondrerait » sans la présence du Christ, Mgr Aupetit a dénoncé « l’ignorance abyssale de nos contemporains » en matière de religion, qu’il a attribuée à « l’exclusion de la notion divine et du nom même de Dieu dans la sphère publique » au nom de la laïcité. « Avons-nous honte de la foi de nos ancêtres ? Avons-nous honte du Christ ? », a-t-il lancé.

Les communiants s’étaient retrouvés peu avant 18 heures dans le chemin de déambulation. Dans l’assistance, outre Mgr Aupetit et le recteur de Notre-Dame Mgr Patrick Chauvet, se trouvaient des chanoines, des bénévoles et des personnes travaillant sur le chantier et des employés du diocèse de Paris.

Le diocèse avait prévenu qu’il ne pouvait y avoir de fidèles à l’intérieur, « pour des raisons évidentes de sécurité ». L’office était toutefois retransmis en direct par la chaîne catholique KTO pour que les « chrétiens puissent y participer et communier ». La date de cette messe a été choisie en lien avec la fête de la Dédicace, qui commémore la consécration de l’autel de la cathédrale.

Aux alentours du parvis, encore fermé au public pour des raisons de nettoyage, de nombreux badauds et équipes de journalistes étaient présents. Depuis l’incendie, entre 60 et 150 ouvriers s’affairent sur le chantier, continuant d’évacuer les gravats et de stabiliser la structure. Le monument est toujours dans sa phase de consolidation. Le président Emmanuel Macron s’est engagé à ce que le monument soit rebâti d’ici à cinq ans.

chantier

cathédrale

Cathédrale Notre-Dame de Paris on Instagram: “15/06/19 Solennité de la Dédicace”

21 avril 2019

Le Pape François

pape

21 avril 2019

Portrait - Eric de Moulins-Beaufort face aux défis de l’Eglise

Par Cécile Chambraud

Le prochain président de la Conférence des évêques de France se montre déterminé dans le traitement des abus sexuels.

eric

C’est peut-être à ce jour-là que Mgr Eric de Moulins-Beaufort doit d’avoir été choisi par ses pairs, le 3 avril, pour succéder à Georges Pontier à la présidence de la Conférence des évêques de France (CEF), le 1er juillet. Une mission aride et complexe, au moment où l’Eglise catholique affronte comme une tourmente les révélations sur les violences sexuelles commises en son sein, même si l’émotion déclenchée par l’incendie de Notre-Dame de Paris l’a provisoirement fait passer au second plan.

En ce jour de septembre 2016, il est encore évêque auxiliaire et vicaire général de Paris. Son « patron », le cardinal André Vingt-Trois, l’a chargé des dossiers d’agressions sexuelles concernant des prêtres de la capitale, dossiers dont certains refont surface dans le sillage de l’affaire Bernard Preynat, à Lyon. Depuis le mois de mai, un cas en particulier place le diocèse sous tension, celui de Tony Anatrella. Ce prêtre, qui exerce aussi comme psychanalyste, fait référence dans les rangs catholiques, jusqu’au Vatican, sur la sexualité, en particulier sur l’homosexualité.

Au mois de mai 2016, la libération de la parole, favorisée par l’association fondée un peu plus tôt par des victimes du prêtre Bernard Preynat, a poussé d’anciens patients du thérapeute à témoigner auprès de plusieurs médias que, sous couvert de thérapie, Tony Anatrella les avait conduits à des attouchements, voire à des agressions sexuelles. Les témoins relancent des accusations déjà formulées dix ans plus tôt par trois hommes, mais classées sans suite par le parquet en 2007 et ignorées par le diocèse, qui y voit des « calomnies ».

Attention particulière pour les victimes

Cette fois, Eric de Moulins-Beaufort a obtenu du cardinal la création d’une commission chargée d’entendre les témoignages des plaignants qui le souhaitent, en vue d’une éventuelle procédure canonique. A sa tête, il reçoit un homme qui porte des accusations contre Tony Anatrella. Après une bonne heure d’audition, témoigne Me Nadia Debbache, l’avocate de cet homme, le représentant du diocèse s’était « tassé, presque voûté sur son siège, et son visage était décomposé par ce qu’il venait d’entendre ».

« Il est très difficile de se représenter ce dont il s’agit tant qu’on n’a pas rencontré et entendu les personnes victimes en les écoutant vraiment », a écrit le prélat dix-huit mois plus tard, dans un article pour la Nouvelle revue théologique, intitulé : « Que nous est-il arrivé ? De la sidération à l’action devant les abus sexuels dans l’Eglise ». Ce jour-là, plus intensément que certains autres évêques, Eric de Moulins-Beaufort a pu comprendre « ce dont il s’agit ».

Lorsque le travail de sa commission eut abouti à la sanction prise contre Tony Anatrella par le nouvel archevêque de Paris, Michel Aupetit, en juillet 2018, il en a informé personnellement chaque victime rencontrée, dans « une marque d’attention particulière que personne n’avait eue auparavant à leur égard », rapporte Me Debbache, selon qui le vicaire général a sans doute « beaucoup œuvré pour que cette “procédure” aboutisse à quelque chose dans l’intérêt des victimes ».

Relève générationnelle

Les évêques ont donc choisi pour les représenter un homme qui, confronté au défi le plus urgent qui est devant eux, « a eu du courage, a décidé qu’il fallait aller au bout et a contribué à ce qu’une prise de conscience se traduise en acte », résume l’un des autres évêques auxiliaires de Paris, Benoist de Sinety.

Ils ont aussi opté pour une relève générationnelle. Agé de 57 ans, Eric de Moulins-Beaufort est certes évêque depuis dix ans, mais il n’a été placé que très récemment à la tête d’un diocèse – il a pris ses fonctions d’archevêque de Reims en octobre 2018. Un gage de sécurité, au moment où de nombreux évêques s’interrogent avec appréhension sur les choix qu’ils ont pu faire par le passé.

A la présidence de la CEF, il espère parvenir à des décisions concrètes d’ici au mois de novembre sur au moins deux chantiers ouverts concernant la lutte contre la pédocriminalité et les violences sexuelles : la préservation de la mémoire des faits passés et le « geste financier » promis aux victimes par l’épiscopat. Les victimes, affirme-t-il, doivent être associées pour permettre de « co-construire » les décisions. Une posture à relever, tant les relations entre la CEF et les associations fondées par certaines victimes ont pu être compliquées. « La Parole libérée a rendu un immense service à nous comme à la société tout entière, en permettant à beaucoup de personnes de parler, ce qui est loin d’être simple, et en faisant comprendre que la vie n’efface pas ces traumatismes », fait valoir Mgr Moulins-Beaufort.

Son élection à la présidence de la CEF ramènera donc tous les mois avenue de Breteuil, dans le 7e arrondissement, cet enfant de l’Eglise parisienne qui, depuis octobre 2018 et pour la première fois, exerce son ministère hors de la capitale.

Après Sciences Po et des études d’économie, ce fils d’officier de carrière fut ordonné prêtre – « le premier dans la famille depuis au moins la Révolution » – par le cardinal Jean-Marie Lustiger, en 1991, rendant justice à une vocation éveillée à l’âge de 11 ans. Jugé « intellectuellement brillant » par ceux qui le côtoient, gros travailleur et petit dormeur, spécialiste du théologien jésuite Henri de Lubac, il a enseigné à la faculté Notre-Dame de l’Ecole cathédrale et a été directeur du séminaire de Paris. Il préside également la commission doctrinale de la CEF.

« Un curé de terrain »

Ce parcours n’en fait-il pas un homme de dossiers et de livres davantage qu’un prêtre de terrain ? « Il ne se laisse pas enfermer dans l’appareil. Il reste un pasteur. Lorsqu’il était curé de Saint-Paul-Saint-Louis [dans le Marais, de 2000 à 2005], il a été un curé de terrain. Il laissait l’église ouverte pour les sans-abri le 31 décembre », témoigne l’actuel curé de la paroisse, Pierre Vivarès, qui loue aussi « la précision de la pensée » de celui qui fut son tuteur d’étude au séminaire.

« IL N’A PAS D’EGO MAL PLACÉ ET IL EST BON SUR LE PLAN MANAGÉRIAL », AFFIRME KARINE DALLE, DÉLÉGUÉE DIOCÉSAINE À LA COMMUNICATION.

Eric de Moulins-Beaufort a ensuite été trois ans le secrétaire particulier d’André Vingt-Trois, le successeur du cardinal Lustiger, à Paris, avant d’être nommé évêque en 2008 par Benoît XVI. Il a alors servi comme auxiliaire pendant dix ans. « Il n’a pas d’ego mal placé et il est bon sur le plan managérial », affirme Karine Dalle, déléguée diocésaine à la communication, qui a dû affronter à ses côtés la crise Anatrella. « Il est très respectueux de l’institution. Il n’a pas cherché la lumière des caméras. C’est un serviteur de l’Eglise, comme on parle d’un serviteur de l’Etat », résume Benoist de Sinety.

Depuis cinq mois, Eric de Moulins-Beaufort est en pleine phase d’imprégnation d’une autre réalité de l’Eglise, celle d’un diocèse en grande partie rural, confronté à la raréfaction des prêtres, à la dispersion des fidèles et à une organisation devenue inadaptée.

« J’étais mûr pour voir la France autrement que de Paris, j’y aspirais », commente le lointain successeur de saint Rémi. « Il a très rapidement rencontré les gens. Il a vite montré qu’il était déterminé à prendre des décisions, sans se cacher derrière son petit doigt », indique Olivier Delalle, l’économe du diocèse.

Tempête de commentaires hostiles

L’ex-Parisien a troqué le vélo électrique contre la voiture pour pouvoir sillonner ce diocèse étendu. Sur 79 prêtres, seule une trentaine – les plus jeunes – est en pleine activité. Cette réalité rend obsolète le fonctionnement traditionnel, fondé principalement sur la paroisse – le diocèse en compte 76, pour 756 « clochers ». « Il faut prendre les choses tout à fait autrement. Nous devons davantage aller vers les gens, jusqu’à eux, bouger davantage, ne pas rester dans un centre. La crise des “gilets jaunes” aussi a fait ressortir cela », assure Eric de Moulins-Beaufort, qui en a rencontré une délégation.

Secouée comme rarement par les affaires de violences sexuelles, confrontée à une société toujours plus sécularisée, comment l’Eglise catholique doit-elle répondre à la grave crise de confiance qui la traverse ? « Nous sommes dans une phase d’émondage, de mise à l’épreuve, de transformations », note l’archevêque dans un article publié dans la dernière livraison de la Nouvelle revue théologique, mais écrit bien avant son élection. « L’Eglise peine à présenter son message d’une manière crédible » et « s’use de se déchirer entre “la combativité identitaire” des uns et “l’inquiétude dépressive des autres” », constate-t-il.

Eric de Moulins-Beaufort a eu affaire récemment à cette « combativité identitaire ». Après qu’il eut assisté, le 14 mars, à l’inauguration de la mosquée de Reims, où il a pris la parole, une tempête de commentaires hostiles allant jusqu’à le traiter d’« hérétique » s’est abattue sur sa page Facebook. Il y a répondu en se félicitant que les musulmans « puissent prier dans des lieux dignes », en France, comme « il faudrait qu[e les chrétiens] puissent le faire en Arabie saoudite ». « J’aimerais que les hommes catholiques inquiets de la présence de l’islam dans notre pays soient aussi assidus à la messe (…) que les hommes que j’ai vus à la mosquée un jeudi soir à l’heure de la prière », a-t-il ajouté. « EMB » est aussi un pince-sans-rire.

25 mars 2019

Enquête - Des catholiques atterrés veulent du changement

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Par Cécile Chambraud - Le Monde

L’idée que l’Eglise catholique traverse une crise profonde gagne du terrain parmi les catholiques engagés. Beaucoup expriment désormais la volonté d’agir pour changer l’institution.

Le refus par le pape François de la démission du cardinal Philippe Barbarin aura été le coup de grâce. En un mois, l’accumulation des informations liées à des scandales a laissé bien des catholiques groggy. Ils ont successivement appris que l’ancien cardinal américain Theodore McCarrick, accusé d’agression sexuelle sur un mineur, avait été défroqué ; la mise en cause du nonce dans une affaire d’atteinte sexuelle ; la sortie du film de François Ozon sur les victimes du père Preynat ; la publication du livre Sodoma sur l’homosexualité, pourtant peccamineuse aux yeux de l’Eglise, de nombre de ses hiérarques ; la diffusion d’un documentaire d’Arte montrant l’ampleur des viols de religieuses par des prêtres ; la condamnation à six ans de prison, en Australie, du cardinal George Pell, numéro trois du Vatican, pour agression sexuelle sur mineur.

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Déjà, l’été précédent, il avait fallu encaisser le décompte des enfants victimes de prêtre dans les diocèses de Pennsylvanie et d’Allemagne au cours des dernières décennies. « Accablement », « colère », « humiliation », « stupeur » : chacun cherche aujourd’hui à exprimer le sentiment qui domine après cette série.

Certes, des catholiques continuent de voir une volonté de nuire à leur Eglise derrière certaines révélations. Mais le réflexe obsidional cède de plus en plus souvent devant les faits. L’idée que l’Eglise catholique traverse une crise profonde gagne du terrain. Des comparaisons historiques sont tentées. On fait appel à l’époque pré-grégorienne, aux papes Borgia, au grand ébranlement de la Réforme.

Emerge la conviction que l’épreuve sera de longue durée. « J’ai clairement le sentiment que ce n’est pas moi qui verrai le renouveau de l’Eglise, explique l’essayiste et blogueur Erwan Le Morhedec, et peut être pas même mes enfants. Mais nous sommes à un moment historique que nous n’avons pas le droit de rater. » « L’Esprit mène l’Eglise vers la vérité tout entière, croit François Debelle, diacre à Marseille. Nous vivons une lame de fond qui va tout balayer, cette génération, ceux qui ont peur de se dévoiler, ceux qui continueront de se mettre en travers. » « Une perte de confiance dans la hiérarchie se répand », assure Guillaume de Prémare, délégué général de l’association Ichtus.

« On ne peut plus se cacher derrière son petit doigt »

Ces révélations sont douloureuses. « Avec ce martèlement des affaires, explique Erwan Le Morhedec, nos digues personnelles sont attaquées. » Certains sont touchés de près. « Plusieurs figures spirituelles qui m’ont conduit vers l’Eglise ont dérapé. Un prêtre qui m’a marqué a fait six ans de prison pour attouchements sexuels », témoigne Arnaud Bouthéon, un ancien de la Manif pour tous toujours très investi dans la vie chrétienne. François Debelle a jeté sa « colère » dans un glossaire de la pédophilie lorsqu’il a appris qu’un ami prêtre avait été condamné à de la prison pour viol d’enfant. A Versailles, avec d’autres mères de famille, Camille de Metz-Noblat, une fidèle qui a longtemps été « un pur produit clérical qui ne remettait pas en cause la hiérarchie », vient de fonder une association d’aide aux victimes d’abus, face à ce qu’elle estime être l’inertie du diocèse dans un cas qui l’a touché de près.

Au-delà de la consternation, commence à s’exprimer la volonté d’agir pour changer. Car l’idée que quelque chose, dans la configuration organisationnelle et doctrinale de l’Eglise, a contribué au désastre commence à infuser. Erwan Le Morhedec l’a résumé ainsi dans une chronique publiée par La Vie, le 14 mars : « Il n’est plus possible de laisser perdurer le système ecclésial actuel. (…) La révolte qui habite les cœurs et les entrailles des fidèles de toutes sensibilités ne peut pas rester lettre morte. » « On ne peut pas simplement se dire qu’on va passer à autre chose. On ne sait plus ce qui tient debout aujourd’hui », plaide l’essayiste. « Les révélations sont telles qu’on ne peut plus se cacher derrière son petit doigt », dit François Mandil, délégué national des Scouts et guides de France.

La difficulté, c’est que l’Eglise n’a pas la culture du débat. Sa structure verticale, qui met à part et en haut les hommes ordonnés (évêques et prêtres essentiellement), ne la favorise pas. Risquer une critique, formuler une proposition de réforme, c’est encourir le reproche de menacer la « communion » ecclésiale. Pourtant, les catholiques qui expriment l’urgence d’une réforme le font bien de l’intérieur. « Je ne suis pas dans la confrontation, je veux être dans une démarche ecclésiale, insiste Erwan Le Morhedec. Mais le sentiment qu’il n’est pas possible d’attendre que le mouvement vienne des évêques est largement partagé. » « On ne se parle pas, regrette Arnaud Bouthéon. Les évêques sont perdus, les prêtres sont perdus, les laïcs sont perdus et on ne se rencontre pas. » Les canaux du dialogue sont à inventer.

« Créer des lieux de dialogue »

« Que faire ? Il y a à l’évidence une réflexion profonde à mener sur le rapport au pouvoir, au service. La position du prêtre au-dessus de tout ne va pas pouvoir tenir », affirme François Mandil. « S’il vous plaît les chrétiens, cessez de nous appeler mon père, appellation infantilisante et de nous mettre ainsi nous, les prêtres, sur un piédestal », a conjuré sur Facebook Frédéric Ozanne, prêtre, « aumônier scout et salarié du bâtiment ». Mais certains ne croient pas à une véritable remise en cause. « La structure fondamentale du pouvoir ne bougera pas, prédit Guillaume de Prémare. Le pouvoir est lié au sacerdoce, aux évêques comme successeurs des apôtres. » François Debelle propose de séparer le pouvoir temporel de la paroisse, confié à un « président » laïc, du pouvoir spirituel du prêtre.

« Ce qui manque, pour moi, ce sont les contre-pouvoirs. Un ecclésiastique n’a de compte à rendre à personne. Et pour instaurer des contrepoids, il faut créer une culture de la discussion franche, des lieux de dialogue », estime Monique Baujard, une ancienne directrice (laïque) du service famille et société de la Conférence des évêques de France. Pour elle, l’Eglise doit penser autrement son organisation : « Aujourd’hui, les évêques organisent leur diocèse en fonction des prêtres disponibles. Il faudrait plutôt réfléchir en fonction des besoins des communautés. Se demander : de quoi les catholiques ont-ils besoin pour vivre leur foi dans une société où ils sont minoritaires ? Ce n’est pas seulement de prêtres. » D’ailleurs, « a-t-on besoin d’autant de diocèses, d’administration territoriale lorsqu’on est en terrain missionnaire, comme aujourd’hui ? », interroge Arnaud Bouthéon.

La place des laïcs à des postes de décision à tous les niveaux est réclamée par beaucoup. Celle des femmes aussi, même si la plupart ne veulent pas ouvrir, à ce stade, la question du sacerdoce pour elles. Il y a quelques jours, l’archevêque de Poitiers, Pascal Wintzer, a provoqué un certain émoi en évoquant favorablement la possibilité d’ordonner prêtres des hommes mariés – une hypothèse d’ailleurs à l’étude au Vatican. « Il y a trois ans, ça n’aurait pas été possible », observe François Mandil. La question de « la solitude des prêtres » est fréquemment évoquée.pedo23

« La quête de sens demeure »

Véronique Margron a entamé pour sa part un travail de fond. Dans un livre à paraître le 28 mars, Un moment de vérité (Albin Michel, 192 pages, 18 euros), cette dominicaine qui préside la conférence des religieux de France dissèque, dans « la façon dont est organisée, pensée l’institution catholique », ce qui, selon elle, a favorisé « ce scandale, ce désastre » à la « dimension collective ». « C’est une bonne partie de notre théologie qu’il faut reprendre, écrit-elle. Nous devons à nouveau réfléchir sur la conception de la paternité de Dieu, le sens des sacrements et spécialement la place du célébrant, la question de l’Eglise mère. »

« Comment notre discours sur la sexualité a-t-il pu amoindrir notre lucidité, notre conscience face à ces crimes, s’interroge-t-elle dans son bureau de provinciale des dominicaines. Nous avons tellement lié l’ordre du bien et du mal à celui du permis/pas permis que nous avons induit une collusion spirituelle entre, par exemple, les relations sexuelles préconjugales et les violences sexuelles sur des enfants. » Un afflux de nouveaux témoignages lui sont parvenus après la diffusion du documentaire d’Arte sur les religieuses violées.

Certains s’impliquent. François Debelle veut constituer un site Internet qui soit un « centre de ressources » pour lutter contre la pédophilie. L’association de Camille de Metz-Noblat est entrée en contact avec d’autres associations de victimes. D’autres font appel à un concept théorisé par Benoît XVI pour affronter la sécularisation, celui d’une Eglise retournée à l’état de « minorité créative » capable de façonner l’avenir. Fondateur d’Anuncio, un mouvement de laïcs qui se consacre à l’évangélisation, Raphaël Cornu-Thénard est convaincu que le salut de l’Eglise ne se trouve pas « au niveau organisationnel », mais dans un retour à « une vie mystique », tendue vers « l’union à Dieu ». « La quête de sens demeure. Si l’Eglise n’est pas uniquement orientée vers l’union à Dieu, alors on est dans la préservation des murs », affirme-t-il.

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Et aussi les viols de religieuses !

20 mars 2019

Le pape François critiqué...

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