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Jours tranquilles à Paris
25 octobre 2020

Traceurs GPS : les enfants en liberté trop surveillée ?

Par Maïté Darnault, correspondante à Lyon — Libération

enfant tracé

(Photo Steven Robinson Pictures. Getty Images. Montage Libération)

Pour se rassurer, un nombre croissant de parents sont tentés d’équiper leurs rejetons d’objets connectés, qui promettent davantage d’indépendance et de sécurité mais soulèvent des questions d’éthique et d’épanouissement.

Autonomie : du grec autos («soi-même») et nomos («la loi, la règle»). Soit se gouverner soi-même, en étant relié à un environnement plus vaste. Concrètement, quand Pim, 8 ans, ne maîtrise pas encore le grec ancien mais aspire à se passer d’escorte pour ses allers-retours quotidiens, comment repenser l’agenda familial, qui ressemble à une carte d’aiguilleur du ciel sous amphètes ? La vérité est moche comme un slip échoué à 10 centimètres du panier à linge sale : on en cause entre «mamans». C’est un fait, la charge mentale de l’autonomisation, qui sous-tend la sécurisation (fantasmée ou non) des enfants dans l’espace public, incombe en majorité aux mères. Et parmi les tuyaux que se refilent ces logisticiennes du périscolaire, il y a le traceur GPS. Mouchard ou outil éducatif ? Quand on découvre l’existence de ces objets connectés, on peut ricaner face à la danse du ventre marketing des développeurs qui les commercialisent. On tente aussi d’échapper à l’équipement (trop) précoce en smartphone, sésame ô combien culpabilisant vers l’hydre numérique. Juré craché, Pim n’aura pas son portable avant le collège (où c’est interdit depuis 2018), voire le lycée - pour les plus audacieux. Et on se désole de la marginalisation croissante des enfants dans l’espace public, qu’on tend à circonscrire à des espaces dédiés, comme les parcs.

La technologie peut-elle aider à lutter contre ce rétrécissement ? Il existe des boîtiers (à partir de 50 euros, plus un forfait mensuel autour de 5 euros), à placer dans un cartable, qui émettent un signal GPS permettant aux parents de localiser, via une application, l’enfant en temps réel.

Marie (1), 37 ans, habite un village de l’Ain. Cette psychomotricienne ne voit «pas l’intérêt pour des préados d’avoir un téléphone», mais souhaite que les plus âgés de ses quatre garçons puissent se rendre seuls à l’école. L’un, 11 ans, parcourt 2 km en trottinette avant et après son trajet en bus. Le second, 13 ans, a 10 km aller-retour à faire à vélo. A la rentrée, Marie les a équipés d’un boîtier GPS doté de boutons enclenchant un appel vers des numéros définis ou l’envoi de SMS préenregistrés. La balise peut aussi être paramétrée pour expédier des notifications quand l’enfant quitte et atteint un lieu précis, ou sort d’une zone donnée. «Je me suis interdit de mettre ces alertes, l’idée d’espionner ton petit est gênante et c’est anxiogène d’attendre de les recevoir», considère Marie, qui n’aime pas le terme de «traceur». «Je ne l’ai pas acheté dans cette optique, c’est plus : "Si tu tombes à vélo, tu te trompes de bus ou qu’il ne passe pas, tu peux me prévenir." Et c’est accompagné d’un discours : "Si tu as besoin de quelque chose, tu peux aussi demander à une dame dans la rue."»

«Une bouée de sauvetage»

Marie reconnaît que «si tu es anxieux, ça peut vite devenir une drogue, tu es toujours tenté de regarder où ils sont». Pour l’heure, elle considère que ça lui «ouvre des options» : «Maintenant, je les laisserai plus aller explorer la forêt à vélo pendant trois heures.» Même sentiment pour Claire, sa belle-sœur, la première de la famille à avoir franchi le pas : «Ça m’enlève le truc de devoir être tout le temps avec eux, ça me donne de la liberté, mais je suis consciente du risque de tomber dans l’abus, ça doit rester un outil de prévention.» Il y a deux ans, elle a acheté un boîtier pour sa fille, 8 ans aujourd’hui, qui traverse seule un parc en trottinette pour aller en classe.

Employée dans la finance, Claire vit en Suisse romande, à Lausanne, ville tranquille de 140 000 habitants. Le matin, elle vérifie à distance si sa fille est bien arrivée à l’école. A l’heure de la sortie, la fonction d’appel permet, selon elle, de «diminuer la panique» : «Ma fille est un peu anxieuse, le trottoir se vide vite le soir et si j’ai cinq minutes de retard, ça lui donne une action à faire, plutôt que de se mettre à pleurer, de perdre ses moyens, c’est comme une bouée de sauvetage.» Dont sa fille peut «décider», dit-elle, de se saisir : «Je ne peux pas l’appeler, c’est à elle de prendre l’initiative.» Si la quadra parle des «dangers de la rue» à ses enfants, elle n’en fait pas non plus une «obsession».

Céline (1), 34 ans, la sœur de Marie, est curieuse de l’expérience de ses neveux, mais reste «pas du tout à l’aise de donner tout petits, à [ses] enfants, l’habitude qu’on trace leurs données». Formatrice linguistique, elle vit à Grenoble (160 000 habitants), où la circulation l’inquiète plus que les «mauvaises rencontres». Son aîné, 10 ans, se déplace seul entre le conservatoire, la bibliothèque et le supermarché d’à côté. Le cadet, 8 ans, va chez l’orthophoniste en solo. «J’ai envie qu’ils aient plus d’autonomie et ils sont très demandeurs, mais on se limite à des trajets très courts, je n’ai pas encore trouvé la bonne solution», estime-t-elle. Elle envisage d’acheter un téléphone portable, sans Internet, pour le plus grand. Reste, dit-elle, un «certain jugement de la part des autres», voisins, parents d’élèves, pour qui «ça ne paraît pas normal de voir un enfant seul en ville» : «Il y a l’idée que tu lui fais courir un risque.» Or «accepter le risque» fonde le processus d’autonomisation, souligne Claire Balleys, sociologue de la communication et des médias à la Haute Ecole de travail social de Genève : «La confiance nécessite une mise en vulnérabilité. La géolocalisation peut transmettre un message problématique à l’enfant : si seuls ses parents peuvent l’aider, cela signifie que toutes les autres personnes, dans l’espace public, représentent un danger. Plus tard, les ados, pour se construire, ont besoin de parenthèses de sociabilité où ils sortent de leur rôle d’enfant.» Et le fait de les rappeler constamment à ce statut entrave leur pouvoir d’agir.

Hormis les boîtiers GPS, on trouve en ligne des tas de vidéos vantant des montres connectées «débutantes», au design hypergenré (rose et rond pour les filles, bleu et plus carré pour les garçons), disponibles à partir de 40 euros. Elles proposent l’activation à distance par les parents d’un micro, captant les sons proches de l’enfant, sans que celui-ci en soit forcément informé. «Ces gadgets vont à l’encontre du projet parental éducatif, dont le but est de rendre l’enfant autonome, s’indigne la psychologue Sabine Duflo, spécialiste des usages numériques. Nous vivons certes dans une société anxiogène, mais les enfants doivent apprendre à se séparer sans être inquiets.»

Repères

Le plus beau cadeau pour Pim serait donc d’abord un accompagnement éclairé : faire le chemin une première fois ensemble, en prenant des repères, négatifs (ce passage piéton où les voitures ne s’arrêtent jamais), positifs (ce large trottoir protégé), en désignant des alliés (tels voisins, les commerçants du quartier). Et en prêtant une oreille attentive au retour d’expérience de l’enfant.

Benoît Grunemwald, expert en cybersécurité chez Eset France, pointe l’autre enjeu de ces objets connectés, lié à la collecte des données personnelles : «Il faut prendre conscience qu’un tiers va accéder à ces informations sur la position de l’enfant. Les parents doivent s’assurer de protéger leur compte avec une authentification de qualité et peuvent se demander où sont stockées les données, sur quel serveur, dans quel pays. Car on peut imaginer que le système se retourne contre leur intention première.» Le péril n’est pas nécessairement au coin de la rue, en somme.

(1)     Le prénom a été modifié.

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23 octobre 2020

Covid-19 : 38 nouveaux départements sous couvre-feu.

couvre feu nouvelle carte

Le Premier ministre Jean Castex a annoncé jeudi que l’extension de cette mesure sur le territoire français entrerait en vigueur samedi à minuit, pour les nouvelles zones concernées. Elle vise à faire face à une circulation du virus “extrêmement élevée”, avec 41 000 cas enregistrés ces dernières 24 heures, un niveau jamais vu. Au total, 46 millions de Français sont désormais concernés par ces restrictions de circulation, soit les deux tiers de la population, note le journal italien Il Fatto Quotidiano, qui remarque que de tous les pays européens, c’est la France qui est la plus touchée par une flambée de cas. L’Allemagne a toutefois enregistré près de 11 300 nouveaux cas en 24 heures, un record absolu pour ce pays salué pour sa bonne gestion de la première vague épidémique au printemps. “La situation est devenue globalement très grave”, a déclaré jeudi Lothar Wieler, président de l’institut de veille sanitaire Robert Koch.

23 octobre 2020

«La campagne, ce n’est pas que la France des maisons secondaires» - Libération

Sur les réseaux sociaux pendant le confinement du printemps, la campagne avait des airs d’eldorado. Nombreux sont les urbains qui se sont surpris à fantasmer de plier bagage pour une maison avec jardin dans un département rural et lointain. Mais derrière ces images se cachait une tout autre réalité. L’essayiste Salomé Berlioux a entrepris de recueillir le témoignage d’habitants de la France périphérique dans l’ouvrage Nos campagnes suspendues, publié le 7 octobre aux éditions de l’Observatoire.

Pourquoi est-il important de mettre en lumière ces «campagnes suspendues» ?

Dès les premières semaines du confinement, l’attention médiatique s’est focalisée sur les centres urbains. Certes, ils étaient les plus touchés par le virus. Mais quand on détournait le regard des villes, c’était la plupart du temps pour regarder les endroits où étaient allés se confiner leurs habitants. J’étais inquiète : la vision qu’on avait de la crise était lacunaire. Les habitants des milieux ruraux, des petites et moyennes villes étaient eux aussi en proie aux doutes et aux angoisses. Le confinement a également eu des conséquences sur leur quotidien. Pour moi, il était crucial de faire entendre leurs voix.

En quoi le récit d’un «confinement heureux à la campagne» diffère-t-il de la réalité ?

Penser que le confinement dans ces territoires était idyllique reviendrait à résumer la France périphérique à des maisons avec jardin, si possible au soleil. Mais ça, c’est la France des maisons secondaires, de La Baule à Noirmoutier. Dans les zones rurales comme dans les petites et moyennes villes, il y a des immeubles, des appartements, des logements sociaux, des maisons sans jardin. Alors certes, à la campagne comme dans les petites et moyennes villes, les habitants avaient sûrement moins peur de tomber malades. Mais ils se sont retrouvés eux aussi confinés, avec des problématiques propres à leur lieu de vie, des professions moins compatibles avec le télétravail et des enfants à gérer.

En quoi l’idée d’une «revanche des campagnes» vous semble-t-elle dangereuse ?

Quand j’entends les fantasmes de certains habitants de grandes métropoles qui auraient, pendant le confinement, et par la grâce du télétravail, réalisé leur erreur et rêveraient désormais de s’installer dans la Creuse ou le Morvan, les bras m’en tombent. Ces territoires ont des atouts, il ne faut pas non plus tomber dans le misérabilisme. Malgré tout, ils sont structurellement confinés parce qu’éloignés des centres de décision, confrontés à des enjeux de transport, de déserts médicaux, de recul des services publics… Des écoles ou des bureaux de poste ferment. Ont-ils conscience de la manière dont cela influence le quotidien ?

22 octobre 2020

HIKIKOMORIS

22 octobre 2020

De la prime pour l’emploi au revenu universel - Libération

Aux Etats-Unis, comme en France, la prime pour l’emploi n’a généralement pas d’effet décisif sur le marché du travail. Pour stimuler la demande, le revenu universel semble plus pertinent.

Aux Etats-Unis, le système de protection sociale est largement conditionné par le travail. L’assurance chômage est versée si l’on a travaillé suffisamment par le passé. La prime pour l’emploi («Earned Income Tax Credit» ou EITC), quant à elle, est perçue par les travailleurs à bas salaire. Pour les adultes pauvres sans enfants et sans travail, il n’y a presque rien : à peu près 500 dollars d’aides sociales par an (1).

La prime pour l’emploi est l’un des piliers de la redistribution vers les bas revenus aux Etats-Unis. Mais elle laisse de côté les plus pauvres, ceux qui n’ont pas d’emploi du tout, contrairement au revenu universel qui pourrait apporter une sécurité économique à tous, travailleurs comme chômeurs. Le problème est d’autant plus saillant avec la crise sanitaire du Covid-19 : pour un travailleur peu qualifié, il est encore plus compliqué aujourd’hui de trouver un job, même mal payé, et de pouvoir ainsi bénéficier de la prime pour l’emploi.

Certes, la prime pour l’emploi permet, en temps de crise, de maintenir la demande et la consommation, et ainsi d’éviter un effondrement encore plus profond de l’économie. Mais elle est le contraire d’un stabilisateur automatique qui apporterait davantage de revenus aux salariés durant une crise et de chômage - contrairement à l’assurance chômage, exemple clé d’un tel stabilisateur automatique. Ainsi, si les sommes totales allouées par l’Etat à la prime pour l’emploi ont tendance à diminuer pendant les récessions, c’est tout simplement parce que l’emploi baisse. C’est bête, mais il fallait y penser !

Reste que l’argument phare en faveur de la prime pour l’emploi aux Etats-Unis serait son effet incitatif à chercher du travail, à l’inverse des aides sociales qui auraient tendance à décourager les chômeurs. Jusqu’à récemment, le consensus des économistes estimait que la prime pour l’emploi augmentait la participation sur le marché du travail. Mais une nouvelle analyse de l’économiste Henrik Kleven montre que dans les faits, la prime n’a généralement pas eu d’effet sur l’emploi, même quand elle a été augmentée dans différents Etats américains (2). Et si une réforme de 1993 a eu des effets bénéfiques sur l’emploi ce fut davantage dû à une conjoncture exceptionnellement favorable sur le marché du travail, qu’à la fameuse prime. Des économistes sont arrivés aux mêmes conclusions concernant la France : la prime pour l’emploi n’a eu que des effets très modestes (3).

En réalité, pour stimuler le marché du travail, le revenu universel semble plus pertinent : il permet aux individus de consommer davantage, d’aller dans les magasins et aux restaurants. Ces commerces augmentent alors les heures de travail pour satisfaire la demande. Lors d’une expérience randomisée au Kenya, les commerces ont dû augmenter leur masse salariale pour faire face à la demande générée par le revenu universel (4).

Globalement, la prime pour l’emploi reste redistributive puisqu’elle bénéficie aux individus qui ont des revenus très modestes. Il n’y a donc pas lieu de s’en débarrasser s’il n’y a rien de mieux pour la remplacer. Mais elle ne peut pas justifier son existence par l’incitation au travail. Au mieux elle «récompense» ceux qui travaillent, indépendamment de toute incitation. La question est de savoir si ceux qui travaillent sont vraiment plus méritants que les autres, et s’ils devraient recevoir davantage d’aides que les chômeurs, alors qu’ils gagnent déjà plus d’argent grâce à leur emploi. L’hypothèse implicite du revenu universel est que tout le monde mérite également un revenu de base. La prime pour l’emploi veut avant tout récompenser le travail. C’est un choix de société.

(1) «Universal Basic Income in the US and Advanced Countries», Hilary W. Hoynes et Jesse Rothstein, 2019. (2) «The EITC and the Extensive Margin : A Reappraisal». (3) «Un bilan des études sur la prime pour l’emploi», Elena G. F. Stancanelli et Henri Sterdyniak, 2004. (4) «General Equilibrium Effects of Cash Transfers : Experimental Evidence From Kenya», Dennis Egger…, 2019.

Cette chronique est assurée en alternance par Anne-Laure Delatte, Ioana Marinescu, Bruno Amable et Pierre-Yves Geoffard.

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21 octobre 2020

Les réseaux sociaux appelés à la «responsabilité»

Par Fabien Leboucq - Libération

Marlène Schiappa, qui rencontrait les représentants des principales plateformes mardi, veut renforcer les liens avec les forces de l’ordre.

Une «bataille d’Etat» contre une «menace endogène» : Marlène Schiappa s’est montrée martiale mardi matin devant les représentants des entreprises de réseaux sociaux. La ministre déléguée à la Citoyenneté auprès du ministre de l’Intérieur considère le «cyber-islamisme», un quasi-néologisme qu’elle brandit depuis l’attentat de Conflans-Sainte-Honorine, comme un «enjeu de sécurité nationale». C’est ce qui l’a poussée à «convoquer» Twitter, Facebook (propriétaire d’Instagram), ou encore Google (propriétaire de YouTube). Les plateformes plus couramment utilisées par les ados, TikTok, Snapchat et Twitch, étaient aussi au rendez-vous, de même que le site de cagnotte le Pot commun, Wikipédia, ou encore Pinterest. Côté gouvernement, les cabinets des ministres de l’Intérieur, de la Justice et de l’Education nationale étaient représentés.

«Groupe de contact»

A écouter la ministre déléguée, les autorités font déjà tout leur possible - ou presque - sur le sujet. Ainsi, la plateforme Pharos reçoit 20 000 signalements d’internautes par mois, avance le ministère de l’Intérieur. Policiers et gendarmes annoncent avoir supprimé 3 000 «contenus terroristes» depuis le début de l’année. Deux axes gouvernementaux se dégagent afin d’accentuer une réponse essentiellement répressive. D’abord, Marlène Schiappa fait «appel à la responsabilité» des plateformes et promet de «lever les freins» en «renfor[çant] le lien» entre police, gendarmerie et réseaux sociaux. Cela passe par la réactivation du «groupe de contact per ma nent» mis en place par Bernard Cazeneuve en 2015 pour contrer la propagande de l’EI. Il se réunira la semaine prochaine. Suivant cette approche, la ministre déléguée voudrait voir s’«inverser la logique de signalement», pour que les plateformes soient incitées d’elles-mêmes à contacter les pouvoirs publics en cas de contenus problématiques. Au sortir de la réunion de mardi, les responsables de Facebook France ont fait montre de bonne volonté, s’assurant disposés à «dialoguer et renforcer encore plus la collaboration avec les autorités, dont nous soutenons les efforts de toutes les manières possibles». Et d’ajouter : «Nous avons massivement investi pour renforcer nos équipes et développer des technologies visant à éradiquer la haine sur nos plateformes et à bâtir un Internet plus sûr.»

Resucée

La deuxième jambe de la riposte gouvernementale sera législative. Elle pourrait prendre notamment la forme d’une resucée de la loi Avia. Ce texte «contre la haine en ligne» devait permettre d’imposer le retrait rapide de certains contenus «manifestement» illégaux par les plateformes, dans des délais particulièrement courts, sous peine de fortes amendes. Le cœur de la loi avait été censuré au mois de juin par le Conseil constitutionnel, qui y voyait des risques d’atteintes à la liberté d’expression et de communication «qui ne sont pas adaptées, nécessaires et proportionnées». La députée LREM porteuse du projet, Laetitia Avia, comme Marlène Schiappa, promettent d’inscrire une version aménagée du texte dans la loi contre le «séparatisme».

De son côté, le Premier ministre, Jean Castex, a évoqué mardi à l’Assemblée nationale la possible création d’un «délit de mise en danger par la publication de données personnelles», car «c’est bien parce qu’il a été désigné par les réseaux sociaux», assure-t-il, «que Samuel Paty a été assassiné».

21 octobre 2020

Noël en automne : les commerces anticipent cette période cruciale

Par Cécile Prudhomme - Le Monde

Redoutant une fin d’année particulièrement compliquée en raison de la crise liée au Covid-19, les magasins remplissent déjà leurs rayons de produits de fêtes.

Des grandes boîtes remplies de boules rouges, or ou argent scintillent à côté des guirlandes lumineuses et des rouleaux de papier cadeau… Dans les rayons de ce magasin Hema du 9e arrondissement de Paris, c’est déjà Noël, en ces premiers jours d’octobre. Comme dans les autres boutiques de la chaîne néerlandaise spécialisée dans les articles pour la maison, les décorations de sapin sont arrivées avec trois semaines d’avance.

Ne pas manquer les ventes liées à la période des fêtes est, cette année, encore plus crucial pour des commerçants touchés par la morosité de la consommation et déjà fragilisés, les années précédentes, par les mouvements sociaux. Et ce, alors qu’ils ne peuvent plus compter sur les touristes étrangers. « Depuis mars, les 15 % du chiffre d’affaires de la clientèle internationale ont disparu », a calculé Amandine De Souza, directrice du BHV Marais.

Les magasins de jouets – plus de la moitié des ventes annuelles sont réalisées entre octobre et décembre – ont donc pris les devants. « Nous avons renforcé nos équipes dès octobre et fait entrer les produits de bonne heure cette année », souligne Jacques Baudoz, président de JouéClub. Habituellement, la chaîne est approvisionnée en plusieurs cadences, en octobre, novembre et décembre. « Tout a été avancé d’un mois », ajoute-t-il.

« Rassurer les clients »

Que ce soit chez Little Extra, l’enseigne de petits objets tendance, ou à Du Bruit dans la cuisine, la chaîne d’articles de cuisine, les coffrets cadeaux sont déjà là. « Dans quelques jours, tous les produits de Noël seront en magasin, avec trois semaines d’avance sur une année normale », précise André Tordjman, président des deux circuits. Il a fait l’impasse sur l’opération promotionnelle du Black Friday et réduit au strict minimum les articles d’Halloween. « On s’est dit que, cette année, les gens n’allaient pas vouloir faire du repérage, comme ils le font d’habitude entre mi-octobre et début novembre, et qu’ils allaient beaucoup anticiper leurs achats de Noël pour éviter la cohue », explique M. Tordjman.

D’ailleurs, selon une étude d’Integral Ad Science, parue le 12 octobre, 59 % des consommateurs européens disent qu’ils commenceront leurs emplettes avant novembre. Philippe Gueydon, directeur général de King Jouet, le constate déjà avec « une hausse de 25 % du chiffre d’affaires sur les douze premiers jours d’octobre. On estime que la moitié vient des achats de Noël, car ce sont des gros paniers qui correspondent moins à des cadeaux d’anniversaire ». Même constat chez le discounter néerlandais Action, où les ventes des articles de Noël – mis en rayon fin août pour répondre à la demande des professionnels préparant la décoration de leur commerce – sont « en hausse par rapport à l’an passé ».

FACE À LA CRAINTE QUE CERTAINS CONSOMMATEURS AIENT PEUR DE FAIRE LA QUEUE, LE CHOCOLATIER JEFF DE BRUGES A ACCÉLÉRÉ LA MISE EN PLACE DES VENTES SUR INTERNET

Toutefois, certains achats de fête comme les denrées alimentaires ne peuvent être anticipés. « Nous réalisons plus de 35 % de notre chiffre d’affaires en décembre, et plus particulièrement les dix jours précédant le réveillon, note Philippe Jambon, président fondateur du chocolatier Jeff de Bruges. Dans nos petits magasins, il y a des files d’attente tous les ans. Mais cette année, nous craignons que certains consommateurs aient peur de faire la queue. »

La chaîne a donc accéléré la mise en place des ventes sur Internet. Résultat : les 480 magasins, dont 320 sont franchisés, proposeront le « click & collect » (les internautes viennent récupérer leurs achats dans le magasin) et la livraison à domicile pour « rassurer les clients alors que, dans le chocolat, on n’avait jusqu’à présent pas besoin de tous ces services », précise M. Jambon. « Le confinement nous est tombé dessus, trois semaines avant Pâques. On avait déjà la marchandise et aucune possibilité de s’en sortir ; 23 % du chiffre d’affaires de l’année étaient partis en fumée en quinze jours », se souvient-il.

Test en mode accéléré du « click and collect »

D’autres craignent que des mesures plus draconiennes empêchent les Français de se rendre dans leurs boutiques. Les 543 magasins d’Action dans l’Hexagone avaient été contraints de fermer leurs portes pendant le confinement, car ils n’étaient pas considérés comme des commerces essentiels, « alors que l’on vend de la nourriture pour animaux, des produits d’hygiène… », regrette Wouter de Backer, directeur général de l’enseigne en France.

Jusque-là réticente à se convertir à la vente en ligne non rentable, selon elle, pour des produits à 2 euros en moyenne, la marque teste en mode accéléré le « click & collect ». Après Nancy en juin, Bordeaux et Lyon (fin octobre), mais aussi Paris (en novembre) expérimenteront le dispositif, qui sera bien utile « en cas de reconfinement local ou de forte affluence », souligne M. de Backer. Dans l’hypothèse d’une aggravation de la situation sanitaire, Philippe Gueydon, lui, a déjà prévu d’utiliser ponctuellement ses 240 magasins pour livrer les clients dans un rayon de 15 à 20 kilomètres.

Emblématique des fins d’année, le calendrier de La Poste est également perturbé. Christophe Rault, PDG d’Oberthur, qui détient près de 40 % de ce marché, constate « une forte chute de nos commandes de calendriers de la part des postiers ». Eux aussi redoutent « un reconfinement local ou que les gens ne leur ouvrent pas leur porte ».

20 octobre 2020

Sexualité : ne laissons pas la deuxième vague jeter un froid

Par Maïa Mazaurette - Le Monde

Pas question pour les célibataires de faire ceinture, explique Maïa Mazaurette, chroniqueuse de « La Matinale » : plus que jamais, les applis de rencontres permettent de dépasser les restrictions.

LE SEXE SELON MAÏA

Et c’est reparti pour un tour ! Ce mercredi, Jupiter a annoncé à 20 millions de Français(es) résidant en zone rouge, la fin de leurs escapades sexuelles, pour quatre semaines au moins (hop, un cycle menstruel).

Exagération ? Pas vraiment : après la fermeture partielle des lieux de sociabilité sexuelle (saunas, boîtes échangistes) et des lieux de rencontres (bars, discothèques, salles de sport), nous voilà romantiquement contraints. Impossible d’organiser ses rendez-vous en extérieur à cause des masques (et accessoirement, à cause des températures). Impossible de proposer un théâtre, un cinéma ou même un restaurant : entre le temps de transport et les horaires de bureau à rallonge, le timing sera trop juste.

Dans ces conditions, les célibataires sont-ils contraints de faire ceinture ? Par chance, il restera toujours les rencontres au travail : 53 % des hommes et 30 % des femmes ont déjà fantasmé sur quelqu’un au boulot, et 35 % sont déjà passés à l’acte – plutôt des cadres (42 %) que des ouvriers (29 %, selon les chiffres de l’IFOP 2018). Les placards à fournitures et autres réserves à photocopieuses vont-elles connaître un regain d’activité ? Ce n’est pas impossible… en revanche, les télétravailleurs et télétravailleuses n’auront pas d’autre choix que de flirter sur Zoom.

Mais plus que jamais, ce sont les applis de rencontres qui tirent parti des vagues successives de virus. Pour rappel, un Français sur quatre a déjà tenté sa chance sur ce genre de plates-formes, contre un Français sur dix en 2006 (Observatoire de la rencontre en ligne, IFOP). Ces chiffres de 2018 datent déjà de l’ancien monde – souvenez-vous de cette époque antédiluvienne, nous avions encore des visages, et à 21 h 15, on avait encore une chance d’embrasser un bel inconnu dans une soirée.

Depuis l’année dernière, le trafic des applications a augmenté de 30 % à 40 % – au point qu’on peut parler d’une ruée vers le swipe. Tinder, le leader du marché chez les jeunes, rapporte une augmentation de 50 % du nombre de messages échangés depuis que le Covid-19 est venu bouleverser nos vies : si on ne peut plus faire confiance au hasard, il reste toujours l’algorithme et le rendez-vous en vidéoconférence.

Désirs de possession et velléités d’exclusivité

En revanche, en ces temps d’anxiété (ou carrément de grosse déprime), la bagatelle passe au second plan : selon l’enquête IFOP publiée lors du déconfinement, 82 % des hommes et 96 % des femmes célibataires cherchent une relation stable. Et attention, pas d’infidélité dans l’air ni d’élans polyamoureux ! D’après un sondage OpinionWay/Happn paru ce mardi, 75 % des Français aspirent au couple exclusif, contre 7 % qui rêvent de couple libre (mais seulement 3 % sont effectivement dans cette configuration)… et 11 % aspirent à rester célibataires pour toujours (qu’ils soient bénis par le Saint Covid !). Ces désirs de possession et autres velléités d’exclusivité dessinent le portrait de relations un chouïa frileuses : quand tout s’effondre, on colmate les murs de sa maison et on ferme bien les portes.

Autre nouvelle guère réjouissante, c’est un certain pessimisme qui guide notre recherche de l’âme sœur : 80 % des Français trouvent que l’époque ne se prête pas au romantisme – un chiffre qui monte à 88 % chez les plus de 50 ans. (Bon, rassurons-nous : les deux tiers d’entre nous se trouvent romantiques – les jeunes, plus que les vieux.)

Ce retour au couple comme assurance sexuelle, affective et psychologique, on le retrouve également à l’international. C’est ce qui ressort de l’enquête annuelle du groupe Match.com (qui possède les plus gros sites de rencontres), publiée la semaine dernière. Les deux tiers des célibataires disent vouloir prendre plus de temps pour découvrir leurs partenaires potentiels, en faisant preuve de plus d’honnêteté.

Leur liste d’exigences s’est considérablement réduite : quand les lendemains promettent de déchanter, on cherche quelqu’un, à n’importe quel prix. On révise par exemple ses standards à la baisse : 59 % des répondants disent étendre le champ habituel de leurs recherches. 61 % des moins de 25 ans et 49 % des 25-35 ans disent se concentrer moins qu’avant sur l’apparence physique. Est-ce le retour de la beauté intérieure ? On demande à « voir ».

Plus de politique, plus de logistique

La lourdeur des enjeux se ressent en outre dans la politisation des rencontres : 76 % des célibataires américains pensent qu’il est crucial de partager le même camp politique, soit une augmentation de 25 % en trois ans. La moitié des répondants ne pourraient pas coucher avec l’ennemi : le clivage entre démocrates et républicains est donc, aussi, un clivage romantique. Reposez en paix, réconciliations sur l’oreiller ! Le mouvement Black Lives Matter aussi marque les préférences : en 2010, 75 % des Américains disaient privilégier des partenaires de leur couleur de peau. Aujourd’hui, c’est à peine 20 %.

Plus de sentiments, plus de politique… le tableau serait incomplet si on n’y ajoutait pas un surplus de pesanteurs logistiques. Côté pile, les personnes les moins disposées aux rencontres physiques sont les femmes de la génération baby-boom : 68 % ne se disent « pas du tout prêtes » à retourner faire des rencontres en physique. En revanche, les premiers rendez-vous en vidéo ont su convaincre : parmi celles et ceux qui ont expérimenté les joies de la visioconférence romantique, 56 % ont ressenti de l’alchimie (comme quoi, les ondes magiques passent parfaitement par le Wi-Fi… qu’est-ce que ce sera en 5G !). 59 % des tourtereaux ont trouvé que les conversations étaient plus profondes qu’en rendez-vous physique. Et la moitié sont même tombés amoureux.

Ce succès « à l’usage » des sites de rencontres ressort aussi des statistiques françaises : un tiers d’entre nous trouvent que les applis facilitent les approches (encore heureux, remarquez…). Et pour les deux tiers des Français, cette modalité amoureuse est désormais banalisée (OpinionWay/Happn, 2020).

Restent alors les incontournables recommandations : à mon humble avis, le Top 3 des applis de rencontres est Bumble (appli féministe couteau-suisse où les femmes font le premier pas, qui sert aussi à trouver des amis ou des contacts professionnels), Tinder (absolument incontournable, de par sa masse considérable d’utilisateurs et de fonctionnalités)… et Instagram (oui, nous sommes en 2020, on se drague aussi en dehors des applications dédiées).

Je ne peux pas garantir que vous y trouverez quelqu’un chez qui rester dormir entre 21 heures et 6 heures du matin, en causant de politique et d’exclusivité… mais dans le cas contraire, n’oubliez pas, il vous reste toujours les collègues. Ou le célibat.

19 octobre 2020

Le vélo-cargo, petite reine des pros

velo cargo20

Par Pascale Krémer - Le Monde

Artisans, commerçants, soignants, livreurs sont de plus en plus nombreux à enfourcher leur vélo de travail. Relégués au musée par le tout-auto, biporteurs et triporteurs sont remis en selle par l’évolution des villes.

Dans son « cheminement », il y a d’abord eu le boycott des supermarchés, « de tous ces trucs emballés avec cinquante ingrédients ». Ensuite, le vélo. « Enfin, quand il fait beau, faut être honnête. » Et depuis que la terre est trop basse pour son dos, le choix de jardiniers bannissant la chimie et circulant eux aussi à vélo. Sylvie Leys, professeure d’anglais à la retraite, tee-shirt à grosses fleurs, sabots à petites fleurs, a confié l’entretien du charmant jardin niché derrière sa maison de ville, en plein cœur d’Angers (Maine-et-Loire), à des paysagistes dont le véhicule utilitaire stationne sous ses fenêtres, sur le trottoir, sans gêner les passants : deux bicyclettes électriques équipées de longues remorques en bois.

Comme d’un puits sans fond, les jardiniers en extraient outils et plantes. Noria silencieuse qui enchante la sexagénaire : « Le vélo se justifie tout à fait, en ville, pour ne pas encombrer l’espace de camionnettes. Le livreur de matelas, l’autre fois, est arrivé en râlant, après avoir cherché à se garer. Là, ils sont charmants et ils sont à l’heure. » Eddie Pineau, Matthieu Courbet et Vincent Chevalier, les trois compères fondateurs de la société coopérative Sicle, savourent le propos et le changement de mentalité. Des paysagistes en vélo-cargo ? Bien peu réaliste aux yeux des banques, il y a encore quatre ans.

« Une vraie efficacité »

La SCOP, aujourd’hui, est forte de six salariés, d’un chiffre d’affaires annuel (300 000 euros) en bonne croissance et de clients (300 depuis le début) qui affluent sans se faire prier, d’emblée séduits par leurs vertus écologiques. « En nous voyant circuler, les gens lèvent le pouce ou baissent la vitre de leur voiture pour parler, sourit Matthieu Courbet. C’est gratifiant, ça donne envie de continuer. » Qu’ils aient, des années durant, parcouru à vélo le monde (comme Eddie Pineau) ou plus modestement les bords de la Loire, les trois ex-camarades d’école de paysagistes n’ont jamais intégré la camionnette diesel à leurs projets d’avenir.

« LES ARTISANS EN TRIPORTEUR, CELA REMONTE AU DÉBUT DU XXE SIÈCLE ET CELA A DURÉ JUSQU’AUX ANNÉES 1950, QUAND LE TOUT-VOITURE A ÉJECTÉ LA BICYCLETTE DE L’ESPACE PUBLIC. »

Fabriquées sur mesure, en bois local, pour charrier 150 kg, se glisser entre les potelets des pistes cyclables, transbahuter petits arbres ou longues débroussailleuses, les remorques leur ont permis de se lancer à peu de frais, en pleine ville, tout près de la gare. Impasse faite sur le gros hangar. Dans un rayon de 10 km, soit une demi-heure à vélo, l’entretien des jardins est rentable : pas de problèmes de circulation, ni d’accès aux rues piétonnes, ni de recherche de place pour se garer, ni de paiement du stationnement… « Au-delà du plaisir de pédaler, il y a une vraie efficacité pour toucher une clientèle urbaine », résume M. Pineau.

Constat de plus en plus partagé. En 2012, un plombier à deux-roues (Zeplombier) montait une petite association locale, à Nantes : Les Boîtes à vélo (BAV). Sept années plus tard, l’association s’est muée en fédération nationale présente dans sept villes, et bientôt quinze. Deux cents adhérents travaillent au guidon d’un biporteur ou triporteur, à assistance électrique le plus souvent, équipé d’une grosse caisse à l’avant, d’une remorque à l’arrière, ou des deux à la fois. « L’entreprise à vélo » ne date pas d’hier, insiste Mathieu Eymin, paysagiste en région parisienne et président des BAV : « Les artisans en triporteur, cela remonte au début du XXe siècle et cela a duré jusqu’aux années 1950, quand le tout-voiture a éjecté la bicyclette de l’espace public. »

Au début du nouveau millénaire, les coursiers new-yorkais ont ressorti du garage le vélo de travail, rebaptisé « vélo-cargo » (cargo bike). En France, il colonise peu à peu les pistes cyclables, depuis une dizaine d’années. Au guidon, des artisans (du réparateur de vélos au déménageur), des commerçants ambulants, professionnels du soin et de l’esthétique (médecins urgentistes, kinésithérapeutes, ostéopathes, coiffeuses, masseuses…) ou encore de la collecte des biodéchets. Quelques vélos-taxis, et des livreurs. Beaucoup de livreurs. Souvent organisés en coopérative, comme Olvo à Paris, Tout en vélo à Grenoble, Les Coursiers à Nantes, Bordeaux et Saint-Etienne.

Adaptation rationnelle

Le temps est venu de la « vélogistique », du « cycloplombier » et du « food bike » (alternative au food truck), selon le vocabulaire né avec le phénomène. Le vélo-cargo est un véhicule utilitaire non polluant, nimbant celui qui l’utilise d’une aura écolo-branchée, pouvant transporter des charges lourdes et encombrantes jusqu’au cœur des centres-villes dont l’accès aux véhicules thermiques tend à se réduire alors même que croissent pistes cyclables et besoins de livraisons, sous l’effet du e-commerce.

CÔTÉ LIVRAISONS, POUR QUE LE VÉLO UTILITAIRE VAILLE SOLUTION À L’ÉTERNEL CASSE-TÊTE DU DERNIER KILOMÈTRE, MANQUENT ENCORE, EN PLEIN CENTRE-VILLE, LES ESPACES DE STOCKAGE À PARTIR DESQUELS RAYONNER.

Bref, pas une excentricité, le vélo de fret, mais une adaptation rationnelle à l’évolution des villes. La preuve ? De grandes sociétés y viennent, comme Ikea ou DHL-Express France. Chronopost, qui en utilise une flopée pour ses livraisons « 100 % propres » dans Paris, depuis 2019, prévoit un déploiement similaire dans onze grandes villes. « Les ébénistes ne se déplacent plus pour un abattant de secrétaire alors que moi, à vélo, oui, ajoute Philippe Gentil, porte-parole des BAV. On récupère des marchés qui ne sont plus exploités. » Car trop peu rentables. Quand on peut se faufiler à deux-roues, les petites interventions s’enchaînent rapidement. Leur coût baisse pour les clients.

Encore faut-il « réinventer son métier, pour que tout tienne dans un vélo-cargo », admet M. Eymin. Eddie Pineau, à Angers, avoue n’avoir pas pris conscience dès le départ de toutes les implications de son choix cycliste. Elles vont bien au-delà d’un outillage minimisant le poids et l’encombrement. « Pour limiter les imports et les exports de matériaux, poursuit le trentenaire, nous taillons moins sévèrement, nous conservons une majorité de végétaux, en les mettant en valeur, nous amendons grâce au compost plutôt que d’ajouter de la terre, nous débitons en copeaux, broyons ou compostons sur place et nous laissons des zones non tondues, en prairie fleurie, qui sont autant de refuges pour les insectes. » Un brin éloigné du jardin à la française… Alors, un dialogue nourri s’impose avec les clients, aussi sensibles à l’avenir de la planète qu’à leur impeccable carré de pelouse.

Côté livraisons, pour que le vélo utilitaire vaille solution à l’éternel casse-tête du dernier kilomètre, manquent encore, en plein centre-ville, les espaces de stockage à partir desquels rayonner, comme il en existe aux Pays-Bas, en Belgique, en Allemagne. La Mairie de Paris a identifié 62 implantations possibles, dans son dernier plan d’urbanisme. Le livreur coopératif Olvo vient d’inaugurer un premier site de 1 000 m2, dans le 18e arrondissement. Autre piste : le bâteau-entrepôt (de la société Fluidis) qui charge au port de Genevilliers avant d’effectuer quatre escales dans Paris, libérant à chaque fois une flottille de tricycles-cargos chargés de colis. La petite reine n’a pas fini de trimer.

19 octobre 2020

Controverse - Faut-il faire entrer le télétravail dans la loi ?

DIE TAGESZEITUNG (BERLIN)

Contrairement à la chancelière Angela Merkel, le ministre du Travail allemand, Hubertus Heil, juge utile d’inscrire dans la loi le droit à vingt-quatre jours par an d’activité en distanciel. Le quotidien berlinois Die Tageszeitung s’est emparé du débat.

OUI

Il permet de gagner un temps précieux

Le salut, c’est le télétravail. Du moins le droit au télétravail. On ne parle pas là d’une obligation, qui serait une quasi-assignation à résidence prononcée par l’employeur. Le droit de travailler depuis chez soi, en déplacement ou n’importe où au moins quelques jours par mois est un bon moyen de concilier travail et vie de famille – ou vie privée.

Bien sûr, avec le coronavirus, les crèches fermées et l’école à la maison, travailler chez soi ne représentait qu’un double fardeau – surtout pour les femmes. Mais en temps normal, quand les enfants sont pris en charge dans la journée, il permet aux parents de respirer : au lieu de faire deux trajets, l’un vers la crèche et l’autre vers le lieu de travail, on n’en fait qu’un seul. À la pause de midi, on peut tranquillement préparer le dîner et accessoirement faire tourner au moins deux machines à laver – toutes choses qui sinon empiètent sur le temps précieux passé avec les enfants, une fois que tout le monde est rentré stressé et éreinté à la maison. Cette histoire de temps précieux vaut naturellement aussi pour ceux qui n’ont pas d’enfants. Eux aussi ont une vie privée le soir.

C’est justement dans les grandes métropoles, dans les grandes villes, que les trajets sont longs et éprouvants nerveusement – et que les loyers ne cessent d’augmenter depuis des années. On les paie en grinçant des dents pour ne pas avoir à se taper des trajets encore plus longs en s’installant en banlieue. Une normalisation du travail à distance permettrait à davantage de gens de s’installer à la périphérie des villes voire à la campagne – s’ils le souhaitaient.

Pour les réunions importantes, les processus créatifs ou tout ce qui nécessite d’être présent, on peut toujours aller au bureau. Pour être juste, même si le phénomène est plutôt injuste, il faut bien dire que pas plus de la moitié des emplois se prêtent au télétravail. Les infirmiers, les coiffeurs, les boulangers et tous ceux qui doivent se rendre sur leur lieu de travail souffriraient tout de même moins de l’engorgement des transports, le marché immobilier serait peut-être moins tendu et il n’est pas exclu qu’ils puissent mieux profiter de leur partenaire si il ou elle est moins épuisé.e.

– Ariana Lemme –

NON

C’est une plongée dans l’isolement

Non, le Homeoffice [terme employé couramment en allemand pour désigner le télétravail] présente trop d’inconvénients. Il existe un mot allemand pour Homeoffice, c’est Telearbeit. Homeoffice, ça fait actuel, on s’imagine faire son jogging sur la plage à Majorque ou aux Canaries avant d’envoyer quelques données depuis un appartement AirBnB avec vue sur la mer – le rêve néolibéral de la classe moyenne numérique. Telearbeit, en revanche, ça fait technique, bureaucratique, avec un petit côté années 1970. Fernarbeit [travail à distance] fait encore plus allemand. Pourtant le travail n’est pas si loin, il est même tellement près que la frontière entre travail et vie privée, entre travail et non-travail, se brouille encore plus.

Le travail à distance est actuellement un privilège. Cinquante pour cent de la population active au maximum pourrait passer au télétravail. Car on ne peut pas ramasser les poubelles à distance ni s’occuper des personnes âgées en ligne. Ces gens-là devront continuer à s’exposer aux contacts sociaux. Il ne faut pas oublier que nous devons le basculement vers le numérique, le recours au télétravail, à la pandémie. En pleine pandémie, les contacts sociaux sont un danger.

Or le projet de loi sur le travail mobile est pensé pour l’après-coronavirus, si tant est qu’il y ait un après. Et là, le télétravail n’est pas une bonne idée. Car il n’a rien de social : bien sûr, il peut soulager les parents, surtout les parents isolés, faire baisser les loyers des bureaux et accessoirement profiter à l’environnement, mais il conduira à un contrôle accru de la vie privée, une extension du travail (quand on travaille chez soi, on prend moins de congés maladie), une privatisation accrue des frais, un renforcement de l’isolement, une atomisation grandissante. Sans oublier une exclusion de certains processus et décisions qui ont lieu ou qui sont prises en entreprise. On ne peut pas tout résoudre par Zoom.

Et puis, le coronavirus est toujours là. Et il accentue des tendances qui étaient déjà engagées. Au lieu de proclamer #staythefuckathome [#restezàlamaisonbordel], il serait temps de miser sur #returntooffice [#retournezaubureau].

– René Hamann –

Ariane Lemme et René Hamann

Source

Die Tageszeitung

BERLIN http://www.taz.de

 

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