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Jours tranquilles à Paris
2 octobre 2020

Coronavirus : Paris risque de basculer en alerte maximale lundi.

Les autorités françaises pourraient placer Paris en alerte Covid-19 “maximale” dès lundi, a annoncé le ministre de la Santé Olivier Véran, cité par la BBC. Les taux d’infection dans la capitale et sa banlieue sont en hausse et une décision sur l’imposition de nouvelles restrictions sera prise dimanche, a-t-il prévenu. À Paris, une “fermeture totale des bars” pourrait être nécessaire, a-t-il ajouté. “La France, l’un des nombreux pays européens qui connaissent une augmentation des cas”, note la chaîne britannique, “a enregistré plus de 13 000 infections jeudi.”

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1 octobre 2020

Tenues au lycée : quand le « crop top » s’invite à la table des discussions familiales

crop top

Par Mattea Battaglia - Le Monde

Les lycéennes revendiquent de pouvoir s’habiller comme elles le veulent. L’éducation nationale en appelle au respect du règlement intérieur. Qu’en disent les parents, propulsés au rang d’arbitres ?

Et le « crop top » créa la discorde. Sur les réseaux sociaux où, depuis quinze jours, des milliers de jeunes filles dénoncent, à coups de vidéo, de pétition et de hashtag, une « norme » vestimentaire qu’elles jugent « sexiste » et « rétrograde ». Dans les lycées, aussi, où le port du tee-shirt court (littéralement, « crop top » veut dire tee-shirt coupé en anglais) a ressuscité des débats – et des sanctions – que l’on pensait dépassés. Et dans bon nombre de foyers, les parents, propulsés au rang d’arbitres, s’interrogent : doivent-ils soutenir la cause de leurs ados qui mêlent, en un même combat, restrictions vestimentaires et violences de genre ? Ou celle de l’institution qui en appelle au respect du règlement intérieur ?

« Le sujet s’invite tous les soirs à la table du dîner », raconte Yves Pichon, papa de deux lycéennes de 15 et 17 ans. Des jeunes filles qui ne sont pas « militantes », précise ce cadre dans la région grassoise, mais que le « sexisme ordinaire » révolte. « Ce que mes ados ressentent violemment, c’est le traitement différent réservé aux filles dans cette affaire de tenue vestimentaire… La sexualisation – presque la pénalisation – de leur corps, elles vivent déjà cela dans la rue ; alors, que cela puisse rebondir dans l’enceinte du lycée, ça les désole… »

Le 21 septembre, le ministre de l’éducation, Jean-Michel Blanquer, n’a pas calmé la polémique en affirmant qu’il fallait « venir à l’école habillé d’une façon républicaine ». « L’école n’est pas un lieu comme un autre », a réaffirmé le ministre de l’éducation sur Franceinfo, vendredi 25 septembre. Tout en précisant que l’impératif de tenue correcte s’appliquait aussi aux garçons.

Ce même 25 septembre, c’est un sondage réalisé par l’IFOP pour Marianne qui a relancé la controverse, pas seulement parce qu’il met en lumière une position majoritairement conservatrice des Français sur la question : en se concentrant exclusivement sur « ce qu’est une tenue correcte pour une fille au lycée », en usant de pictogrammes censés illustrer l’« absence de soutien-gorge » ou un « décolleté plongeant », l’hebdomadaire s’est attiré, sur les réseaux sociaux, les foudres d’une large frange de la communauté éducative.

« Rester cohérent »

Fils d’enseignants, frère d’un directeur d’école, Yves Pichon n’aurait « jamais pensé » remettre en question, qui plus est en famille, l’ordre scolaire. Et puis il a vu ses filles grandir. « Mon aînée a servi d’“exemple”, il y a deux ans. Elle s’est fait humilier à l’entrée de l’établissement parce qu’elle portait un short. Ma fille cadette m’a fait rire en me décrivant une principale court vêtue expliquant que les filles ne pouvaient pas être en jupe ni en robe. »

A plusieurs reprises, il sollicite le lycée – un établissement public – et demande à comprendre ce qu’est une tenue scolaire « correcte ». On ne lui répond pas. « Le règlement intérieur est flou, ces questions sont laissées à l’appréciation du chef d’établissement, observe-t-il. Quand on est parent, il faut rester cohérent. Moi je soutiens mes filles à 100 %. »

« ON VA INTERDIRE LA JUPE AU-DESSUS DU GENOU POUR LES FILLES, MAIS PAS LE BERMUDA POUR LES GARÇONS. MA FILLE S’EN INDIGNE, ET JE NE PEUX QUE LA COMPRENDRE… », DIDIER RIFF, PÈRE DE DEUX ADOLESCENTS

Didier Riff, chef d’entreprise en Bourgogne et père de deux adolescents – un fils de 17 ans, une fille de 15 ans – invoque lui aussi la « cohérence » mais pour légitimer une autre position : « En cours, je veux que mes enfants respectent le dress code. Pas question que le lycée me contacte pour me dire qu’ils l’ont contourné ! » L’établissement en question relève du privé ; « on n’y transige pas avec les règles, et, moi, je suis plutôt légaliste », confie-t-il.

Cela n’empêche pas ce père de famille de regretter, lui aussi, un « traitement différencié du problème » : « On va interdire la jupe au-dessus du genou pour les filles, mais pas le bermuda pour les garçons. Ma fille s’en indigne, et je ne peux que la comprendre… » Reste que la « priorité » ne lui semble pas d’accompagner ses enfants dans ce « combat-là ». « Ce ne serait pas leur rendre service, estime-t-il. Ils découvriront, plus tard, un monde professionnel bien plus conservateur que ne l’est le monde de l’école. Un monde où on ne débat pas de tout. »

« Code vestimentaire “républicain” »

Comme Yves Pichon et Didier Riff, les pères ont été nombreux à répondre à notre appel à témoignages lancé sur Lemonde.fr, dans le sillage de la mobilisation lycéenne #lundi14septembre #balancetonbahut. Sans doute parce que notre lectorat est en grande partie masculin. « Sans doute aussi parce que les hommes continuent à prendre plus facilement la parole que les femmes », observe Jean-Paul Frappa. Jeune retraité et « vieux papa », comme il se définit lui-même, cet ancien analyste installé dans l’Essonne se plaît à accompagner sa fille de 14 ans, encore collégienne, dans ses « premiers pas de féministe ».

A ses yeux, elle en a besoin. « Il y a comme deux camps qui s’affrontent, d’un côté ceux favorables à un code vestimentaire “républicain” [référence aux propos du ministre Blanquer], de l’autre, ceux qui en appellent à la liberté de choix. Mais je ne crois pas que le problème se pose pas ainsi, souligne-t-il. Pour moi, tout ce qui est autorisé dans la rue – une tenue qui reste décente – devrait aussi l’être à l’école. A ne pas l’accepter, on fait le lit de tous ceux qui pensent que les filles aguichent les garçons. N’est-ce pas justement contre cette idée qu’il nous faut lutter ? »

Un combat qui se mène autant dans le cadre familial qu’en milieu scolaire : depuis bientôt vingt ans, des séquences de sensibilisation à la sexualité, au consentement et à l’égalité entre filles et garçons sont prévues à tous les niveaux de la scolarité. En théorie, du moins. « Je ne suis pas sûr que ma fille en ait vraiment vu la couleur », souffle Jean-Paul Frappa.

« Savoir composer »

Lutter contre les stéréotypes et les violences de genre : sur le principe, tous les parents qui ont accepté de témoigner en font une priorité. Mais, dans la « vraie vie », il faut « aussi savoir composer », témoigne Laurence (elle a requis l’anonymat), maman de trois enfants dont deux filles de 19 et 16 ans qu’elle élève en Ile-de-France. « Nos discussions en famille démontrent une différence d’approche générationnelle, avance-t-elle. Là où nous, parents, quadras ou quinquagénaires, voyons indécence et sexualisation, nos enfants considèrent le crop top ou l’absence de soutien-gorge comme normal. Elles ne voient pas le problème à s’habiller comme elles le souhaitent et estiment que ce sont les autres qui sexualisent, par leur regard. Pas elles. »

« LÀ OÙ NOUS, PARENTS, QUADRAS OU QUINQUAGÉNAIRES, VOYONS INDÉCENCE ET SEXUALISATION, NOS ENFANTS CONSIDÈRENT LE CROP TOP OU L’ABSENCE DE SOUTIEN-GORGE COMME NORMAL », NOTE LAURENCE

Dans le lycée de sa cadette, un établissement catholique, la moindre « bretelle visible » est prohibée, regrette Laurence, « et clairement parce que ça excite les garçons ». C’est dit, assumé… « Difficile de faire de la pédagogie autour de ça, regrette cette maman. Si les hommes sexualisent leurs tenues, mes filles considèrent que ce sont les hommes qui ont un problème. Se mêlent à ça leur féminisme naissant, l’héritage de #metoo, l’écho des nouveaux médias… Leurs arguments, je les entends. Et elles commencent à me faire changer d’avis. »

Beaucoup de parents confient se sentir « tiraillés » entre l’idée que des « codes » doivent être acquis et une forme d’« autorité » admise, et la fierté de voir leurs enfants s’émanciper. Peu se sentent capables d’aller « au front » avec le lycée. Les sanctions, les exclusions pour ce motif sont un « épiphénomène », tempère-t-on parmi les proviseurs. Spécialiste du droit de l’éducation, l’avocate Valérie Piau accompagne une quinzaine d’affaires de ce type chaque année. « J’ai reçu un peu plus d’appels de parents en cette rentrée », confirme-t-elle. Mais rien qui ne laisse penser à une « explosion ».

Disputes matinales

« Ma fille de 18 ans s’habille avec attention, en suivant à la fois les modes et ses goûts », raconte Louise (elle a aussi requis l’anonymat), enseignante en Occitanie. Ni crop top ni minijupe pour cette jeune fille : plutôt des tenues de soirée, des dos nus, confie sa maman. « Elle est belle et je le lui dis. Je lui fais confiance, ça aussi je le lui répète. Mais est-ce une tenue appropriée pour autant ? J’avoue être un peu perdue… »

Dans la famille, les disputes matinales étaient fréquentes l’an dernier – quand l’adolescente, désormais étudiante en droit, était encore au lycée. « Il m’est arrivé de lui demander de se changer, rapporte Louise. Pour l’éviter, elle s’arrangeait pour être systématiquement en retard le matin… » Des tensions s’expriment aussi au sein de la fratrie. « Quand son frère de 20 ans juge ses tenues provocantes, elle s’insurge contre le manque d’éducation des garçons. Il me semble que la coquetterie initiale se transforme en acte politique. Et plus son père et moi lui conseillons la prudence, plus elle affiche sa féminité. Nous le comprenons, mais craignons aussi pour sa sécurité. Surtout maintenant qu’elle s’apprête à quitter le nid. »

Une « sécurité » que l’école se doit d’assurer, fait valoir Guillaume Boudoux, père de deux filles scolarisées à Valenciennes (Nord). « Ce qui se joue aujourd’hui va bien au-delà d’une simple question vestimentaire, de 15 centimètres de nudité au-dessus de la ceinture ou au-dessus du genou, soutient ce cadre dans le nord de la France. Face à la poussée d’hormones des garçons, pour contrer leurs remarques ou leurs débordements, nos filles n’auraient qu’à se comporter de façon “normale”, autrement dit à se tenir, à se couvrir… C’est le message qu’on leur adresse en 2020. Et elles, avec tous les moyens qui sont les leurs, s’en indignent d’autant plus fort. »

1 octobre 2020

Les associations saluent la fin des animaux sauvages dans les cirques et delphinariums

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Photo : Jacques Snap. Lion dans un petit cirque itinérant en été de passage à Erdeven.

Par Mathilde Gérard - Le Monde

La ministre de la transition écologique, Barbara Pompili, a annoncé mardi la fin progressive des spectacles itinérants mettant en scène fauves, primates ou cétacés, ainsi que l’interdiction, sous cinq ans, des élevages de visons.

« Fauves, éléphants, singes, dauphins ou visons : il est temps d’ouvrir une nouvelle ère dans notre rapport à ces animaux. » La ministre de la transition écologique, Barbara Pompili, a annoncé, mardi 29 septembre, une série de mesures sur la faune sauvage détenue en captivité : fin progressive des animaux sauvages dans les cirques itinérants et des spectacles avec orques et dauphins et, interdiction, d’ici cinq ans, des élevages de visons d’Amérique pour leur fourrure.

Ces annonces, dont le cadre formel – arrêté, décret ou loi – n’a pas été précisé, interviennent plus d’un an après des consultations sur ces sujets avec les associations et professionnels concernés, lancées au printemps 2019 sous l’égide du ministre alors chargé de la transition écologique, François de Rugy. Tandis que les conclusions du gouvernement étaient attendues à l’automne 2019, sa successeure, Elisabeth Borne, n’avait pas tranché ce dossier épineux. C’est finalement la nouvelle occupante de l’hôtel de Roquelaure, Barbara Pompili, qui a arbitré en faveur de la fin de l’activité des delphinariums et d’une transition vers des spectacles sans animaux pour les cirques.

« C’est un grand jour, une avancée historique. Cette décision acte le fait que nous avons actuellement la dernière génération d’animaux sauvages détenue dans les cirques itinérants », s’est félicitée Amandine Sanvisens, présidente de l’association Paris Animaux Zoopolis, qui a participé à la concertation en 2019. Les organisations de défense des animaux, de PETA à la Fondation Droit animal, en passant par L214, se sont unanimement réjouies de ces annonces. L’association One Voice, pour qui les mesures « vont dans le bon sens », s’inquiète toutefois du manque de précisions sur les modalités et le calendrier prévus. « Ces annonces arrivent après plus d’un an d’attente. Ce ne serait pas inquiétant si elles n’étaient pas si floues », a indiqué dans un communiqué sa présidente, Muriel Arnal.

« Couteau dans le dos »

« On nous plante un couteau dans le dos, a pour sa part réagi William Kerwich, directeur de cirque et président du Syndicat des animaux de cirque et de spectacle. Notre profession est déjà très affaiblie par la crise sanitaire. On nous parle d’un accompagnement sur cinq ans, mais c’est aujourd’hui que nous avons besoin d’aide, pour nos professionnels et pour subvenir aux besoins des animaux. » Le directeur du Marineland d’Antibes (Alpes-Maritimes) a lui aussi dénoncé une décision « injuste et injustifiée », tandis que le parc Astérix a indiqué « prendre acte de ces déclarations ».

La ministre a fixé un horizon à deux ans pour la fin de l’activité des quatre orques et sept à dix ans pour les dauphins répartis dans les différents parcs d’attraction français. Concernant les cirques, la ministre, qui a rencontré les professionnels vendredi 25 septembre, leur a donné « une fourchette » mais n’a pas souhaité communiquer de date butoir. « Mettre une date ne résout pas tous les problèmes, je préfère mettre en place un processus pour que ça arrive le plus vite possible », a justifié Barbara Pompili. Selon M. Kerwich, la ministre leur a fait part d’un horizon à cinq ans.

Sous pression des associations, qui militent sur ces sujets depuis des dizaines d’année, et d’une opinion publique de plus en plus sensible à la cause animale, le gouvernement a présenté ces mesures quelques jours avant l’examen à l’Assemblée nationale d’une proposition de loi sur la condition animale portée par le député Cédric Villani (Groupe Ecologie, démocratie et solidarité, EDS). Un projet de référendum d’initiative partagée, lancé au début de l’été par des associations et des chefs d’entreprise, a par ailleurs réuni à ce jour 770 000 signatures et le soutien de 141 parlementaires (180 signatures d’élus seront nécessaires pour enclencher le processus). Parmi les six propositions contenues dans le projet, figurent l’interdiction des élevages pour la fourrure, et celle des spectacles avec animaux sauvages dans les cirques.

« Tout le monde bougeait sur ces questions, sauf le gouvernement qui n’arrivait pas à prendre des décisions et enchaînait depuis trois ans concertations et groupes d’études », a réagi le député EDS Matthieu Orphelin, relevant la proximité de ces annonces avec l’examen en commission des affaires économiques, jeudi 1er octobre, du texte porté par son groupe parlementaire. « On les a forcés à sortir de l’inaction et on assume de les avoir forcés à bouger. »

Quelques centaines d’animaux concernés

Selon les chiffres du ministère, les mesures annoncées affecteront 80 cirques itinérants en France, pour environ 250 animaux – il n’existe toutefois pas de recensement précis par espèces des animaux concernés, pourtant demandé par les associations –, trois parcs delphinariums et quatre élevages de visons encore en activité.

Le gouvernement assure que les professionnels seront accompagnés à hauteur de 8 millions d’euros, pour assurer la reconversion des salariés concernés (soignants et dresseurs notamment) et trouver des solutions de refuge pour les animaux concernés. N’ayant connu que la captivité pour la plupart, ils ne peuvent être remis directement en liberté et des refuges et sanctuaires marins pour les cétacés sont à l’étude. Mais l’enveloppe d’aide annoncée paraît dérisoire à M. Kerwich : « La ministre est en train de se moquer de nous. Pourra-t-on organiser des spectacles à Noël ? Qui va s’occuper de nos animaux ? Comment vont faire nos soignants ? Les dresseurs doivent-ils s’improviser clowns ? Dès aujourd’hui, des grandes villes refusent de nous recevoir. On a besoin de réponses plus concrètes. »

Dans sa présentation, Barbara Pompili a appelé les quelque 400 collectivités qui ont pris des arrêtés ces dernières années contre l’installation de cirques itinérants avec animaux à ne pas fermer leurs portes. « On demande un énorme effort de transition à la profession. On doit plutôt les aider que les stigmatiser », a insisté la ministre.

27 septembre 2020

Débat sur la 5G : « Des amish aux Shadoks »

Par Stéphane Foucart - Le Monde

Partant de la petite phrase d’Emmanuel Macron sur le « modèle amish », destinée à stigmatiser les opposants à la 5G, Stéphane Foucart, journaliste au « Monde », s’interroge dans sa chronique sur notre rapport à l’innovation, généralement présentée comme un passage obligé.

Un peu moins de deux ans avant la présidentielle, Emmanuel Macron suit les pas de Nicolas Sarkozy. On se souvient de la sortie de l’ancien président, en mars 2010, au Salon de l’agriculture, qui déclarait alors que l’environnement, « ça commence à bien faire » ; M. Macron entend, lui aussi, fédérer la part la plus « écolo-sceptique » de l’opinion dans la perspective de la prochaine échéance électorale – en accord avec le virage droitier de ces derniers mois.

A une série de mesures controversées – création de la cellule Demeter, retour des néonicotinoïdes sur la betterave, maintien de la chasse sur des espèces menacées, etc. –, l’hôte de l’Elysée a donc ajouté une petite phrase sur le « modèle amish » et « le retour à la lampe à huile », qui, comme celle de M. Sarkozy, restera. Cette fois, la sortie ne brocarde pas les revendications des « écolos » sur l’agriculture : elle tourne en ridicule une demande de moratoire, formulée par quelques dizaines d’élus de gauche et écologistes, sur le développement de la 5G.

« On va expliquer, débattre, tordre le cou à toutes les fausses idées, a dit le président, devant un parterre d’entrepreneurs du high-tech. Mais oui, la France va prendre le tournant de la 5G… » Emmanuel Macron fait ici le pari d’un rapport stable et résolument enthousiaste d’une grande part de la population au progrès technique en général, et à celui des technologies de la communication en particulier.

Rapport intime à la technique

Cet enthousiasme existe certainement. Mais il n’est aujourd’hui ni aussi général ni aussi univoque qu’il y a quelques années. A la vérité, un gouffre existe désormais entre le discours public sur l’innovation et le rapport intime que les individus entretiennent avec la haute technologie, omniprésente, addictive et parfois aliénante.

Pour nombre de parents, la prolifération des terminaux connectés, des écrans, l’ubiquité des réseaux et leurs débits toujours plus élevés sont, aussi, une source d’inquiétude pour leurs enfants. L’enthousiasme pour la technologie se mâtine peu à peu d’une forme de méfiance et de fatigue.

Dans les foyers, l’arrivée de la 5G pourrait aussi signifier un devoir de vigilance accrue, afin d’éviter aux enfants une surconsommation encore plus délétère d’objets et de contenus qui ne peuvent souvent être contrôlés. Dans les années 1990, les pédiatres mettaient en garde les parents contre l’installation d’une télévision dans les chambres d’enfants. Désormais, chaque enfant a une télévision dans la poche.

A cette déliquescence – relative, mais réelle – du rapport intime à la technique s’ajoute la conscience de l’impact environnemental de son inflation. La Convention citoyenne pour le climat a d’ailleurs proposé l’instauration d’un moratoire sur la mise en place de la 5G « en attendant les résultats de [son] évaluation (…) sur la santé et le climat ». Il ne s’agissait pas de revenir à la lampe à huile ou à la bougie, mais d’éviter de donner carte blanche à une technologie sans avoir tous les éléments en main pour une décision éclairée.

A quoi s’ajoute un sentiment de décalage de plus en plus marqué entre la gravité des effets de la dérive climatique et de l’épuisement de la biodiversité, et les ressources considérables mobilisées par nos sociétés pour des objectifs perçus comme futiles, comme l’amélioration du débit des réseaux mobiles, la perspective d’interconnecter les objets du quotidien, de développer des véhicules autonomes, etc. Toutes choses qui finiront sans doute par se payer en gaz à effet de serre émis dans l’atmosphère, en surconsommation de terres rares et de métaux précieux, en pressions accrues sur l’environnement.

L’analogie avec le rasoir

Il n’y a pourtant aucun doute que la 5G sera déployée en France, quel que soit le rapport coût/bénéfices de sa généralisation. Dans les sociétés de croissance, l’innovation technique est inéluctable, indiscutable. Elle est à l’évidence une fin en soi, ce qui transparaît d’ailleurs dans la déclaration présidentielle. Pourquoi prendre le tournant de la 5G ? La première réponse, évidente, apportée par M. Macron a le mérite de la clarté : « Parce que c’est le tournant de l’innovation. »

Une analogie existe avec le rasoir mécanique, objet low-tech s’il en est. Dans les années 1970 fut ainsi inventé le rasoir à deux lames – progrès dont on ne mesure pas toujours l’importance. Pendant des milliers d’années (des nécessaires de rasage sont attestés de très longue date par l’archéologie), les hommes se sont débarrassé de leur pilosité faciale grâce à un objet à une lame – indépendamment du matériau dont celle-ci était tirée. Brusquement, vers la fin du XXe siècle, deux lames fixées sur le même support et espacées d’un peu plus de deux millimètres se sont mises à remplir le même office, avec une efficacité bien supérieure et un confort incontestablement accru pour l’utilisateur.

Pourquoi deux lames plutôt qu’une seule ? Les spots publicitaires de l’époque l’expliquèrent avec force infographies : la première lame avait pour fonction de soulever le poil, tandis que la seconde lame arrivait immédiatement derrière pour le couper. Nul ne sait si chacune des deux lames s’acquittait en effet de sa fonction, mais l’explication avait au moins le mérite de la logique.

Cependant, si la première lame a pour effet de soulever et la seconde de couper, que diable peuvent bien faire les troisième, quatrième et parfois cinquième lames progressivement ajoutées en enfilade à nos rasoirs ? Plus aucune explication n’est fournie, le fait d’innover en ajoutant de nouvelles lames à des lames qui ne servent déjà plus à grand-chose est une raison en soi. Rassurez-vous : nous ne sommes pas chez les amish, mais parfois chez les Shadoks.

26 septembre 2020

Enseignement du théâtre : le flou artistique

Par Cassandre Leray,

La liberté pédagogique laissée à l’enseignant, souvent enrichissante, peut ouvrir la porte à des abus dans un milieu où les élèves sont «habitués à la violence» pour progresser.

«Dans les écoles de théâtre, quand il y a de vrais problèmes, tout le monde ferme les yeux», soupire Sonia (1). Depuis plus de dix ans, elle enseigne dans un conservatoire. En France, un peu plus de 200 établissements forment les passionnés d’art dramatique à devenir comédiens. Les professeurs peuvent être acteurs, metteurs en scène, expérimentés ou débutants dans l’enseignement… En fonction de leur parcours, tous ont leur méthode : «On rencontre des gens, on retient des exercices qu’on réutilise par la suite dans nos cours…» décrit Damien, prof en conservatoire. Une liberté d’approche qui peut être enrichissante, à condition de respecter des «règles du jeu. L’élève n’est pas une marionnette entre nos mains», dit Sonia. Des «règles» qui demeurent toutefois tacites.

«Brèches»

Bien qu’il ne soit pas obligatoire pour enseigner, il existe un diplôme d’Etat de professeur de théâtre, visant à former des «artistes-pédagogues». Il s’obtient soit en validation d’acquis d’expériences, soit via une formation. Formation qui n’existe que depuis 2016 (alors que le diplôme, lui, a été créé en 2006) dispensée à ce jour dans trois établissements. Parmi eux, l’Ecole supérieure d’art dramatique de Paris. Comme l’explique Carole Bergen, responsable des études, quatre cents heures de cours théoriques et pratiques sont données, notamment «pour voir quels sont les devoirs d’un professeur : ne pas imposer, ne pas se poser en maître mais en guide». Pour autant, un tel diplôme ne met pas «à l’abri de toute dérive», concède-t-elle.

«Etre prof dans ces écoles donne une liberté qu’on ne trouve nulle part ailleurs : il y a ce plaisir de former, mais aussi de déformer», estime Petra Van Brabandt, philosophe et membre d’EngagementArts, mouvement belge contre le sexisme dans les arts. Elle étudie notamment l’enseignement dans les écoles de théâtre. Selon elle, les «abus» fréquents sont en partie liés au fait que «la souffrance est une valeur très ancrée dans le théâtre et la danse, qui vient d’une tradition pédagogique plutôt ancienne, du XIXe siècle. Il y a cette conviction que quand on souffre, on s’élève artistiquement». Un problème accentué par le fait que de nombreux élèves ont été «habitués à la violence» au cours de leur formation, sans possibilité de «questionner ou interroger. La liberté de l’art est absolue. Il y a aussi la notion de génie artistique, de charisme : même quand il va dans la transgression, c’est perçu comme une transgression qui nous guide vers quelque chose. On ne le contredit pas».

Cette façon de faire, Damien en a lui aussi été témoin au cours de sa carrière. Adepte d’une pédagogie «bienveillante, sans chercher à faire mal aux élèves», il constate que bon nombre d’enseignants ne sont pas dans ce même état d’esprit : «Il y en a pour qui, pour être au plus près de la vérité, il faut réellement faire mal. Et ça peut laisser des séquelles.» Selon Petra Van Brabandt, «les remarques personnelles n’ont rien à voir avec la pédagogie du théâtre. C’est une façon, souvent, de se permettre des intrusions dans la vie privée des étudiants. Ça tourne autour de leur sexualité, leur orientation sexuelle, leur passé, leur personnalité». Des sujets qui peuvent rendre les élèves particulièrement «vulnérables», selon Sonia : «On peut vite arriver à des situations d’abus car on travaille sur des choses sensibles, sur les sentiments. Une personne mal intentionnée trouve facilement les brèches pour s’engouffrer.»

Autre problème fondamental pour la philosophe : l’émiettement de la notion de consentement. «La nudité, le toucher, faire sur scène des choses expérimentales… La pratique est plutôt de persuader, forcer et ridiculiser ceux qui ne veulent pas faire ce qui est attendu par leur prof.» De son côté, Damien l’admet, il n’est pas étonnant que «des comédiennes soient traumatisées face à des profs ou metteurs en scène qui ne peuvent pas s’empêcher de monter sur le plateau pour montrer. Il faut vérifier que la personne est consentante, prévenir et demander d’abord». S’il parle des «comédiennes», c’est que les femmes sont les premières victimes de ces méthodes, comme l’explique Petra Van Brabandt : «Les corps des femmes sont présentés comme des objets. Par exemple, les femmes passent beaucoup plus de temps horizontalement sur scène que les hommes. C’est une comparaison simpliste mais ça dit des choses.»

«Non-réponse»

Depuis deux ans, le ministère de la Culture a engagé un «gros travail sur la prévention des inégalités, avec un accent sur la responsabilité des établissements d’enseignement», souligne Agnès Saal, haute fonctionnaire à l’égalité, la diversité et la prévention des discriminations. En novembre 2017, il a été demandé aux 99 écoles supérieures de la culture relevant du ministère de se doter d’une «charte égalité», composée entre autres d’un volet sur les violences sexistes et sexuelles. Cette demande concerne 12 écoles publiques nationales de théâtre. Par la suite, une formation a été mise en place à l’automne 2019 pour tous les agents travaillant dans ces établissements, ainsi que les élèves qui le souhaitent.

Les conservatoires, bien plus nombreux, sont quant à eux gérés par les collectivités territoriales. Ils ne bénéficient donc pas de la mise en place de ces mesures. «Le ministère a une tutelle pédagogique seulement, et pas fonctionnelle. Là, on dépend vraiment de la volonté d’agir des collectivités. S’il y a un problème dans un établissement territorial, on n’a pas la capacité, ne serait-ce que juridique, d’agir», précise Agnès Saal. Il existe bien un schéma d’orientation pédagogique concernant l’enseignement initial du théâtre, mais le document publié en 2005 n’évoque à aucun moment la question des violences.

D’après Sonia, la principale question à soulever est celle des recrutements. «Si un professeur a des plaintes d’élèves dans son dossier, ça ne devrait pas passer inaperçu.» Et d’ajouter : «Ce n’est pas normal que les élèves qui témoignent ne se sentent pas écoutés. Si le prof est déplacé, c’est une non-réponse absolue. Il faut des enquêtes et des procédures administratives.» Pour Petra Van Brabandt, une chose est sûre : «Ce n’est pas la responsabilité des élèves, des opprimés, de changer les choses. C’est celle des écoles et des professeurs.»

(1)     Certains prénoms ont été modifiés.

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26 septembre 2020

Récits d’humiliations, harcèlement, agressions sexuelles… Scènes cruelles au conservatoire de Rennes

Par Cassandre Leray,

«Libération» a recueilli les témoignages d’anciens apprentis comédiens à Rennes qui dénoncent les méthodes de leur professeur, toujours en poste, décrites comme abusives et violentes. Malgré une procédure disciplinaire, celui-ci conteste toute faute pédagogique.

«J’ai pensé à arrêter le théâtre. J’allais en cours la boule au ventre, je comptais les jours avant la fin de l’année.» Jade (1) a 17 ans. Depuis qu’elle a quitté le conservatoire de Rennes (Ille-et-Vilaine), en juin 2019, elle tente de laisser derrière elle les souvenirs de la formation théâtrale qu’elle y suivait. Au cours de l’année scolaire 2018-2019, Jade et ses 13 camarades de cycle d’orientation professionnelle (COP) de théâtre affirment avoir enduré pendant plusieurs mois des violences physiques et psychologiques de la part de leur professeur. Des blessures provoquées par des exercices, des «hurlements», des «humiliations»… Avec le recul, ces apprentis comédiens parlent de «harcèlement moral», d’un climat de «terreur». Surtout, ils accusent leur professeur, V. (2). d’avoir agressé sexuellement deux élèves, dont Jade, alors âgée de 16 ans. Agissements que celui-ci conteste fermement à Libération par l’entremise de son avocat.

Deux membres de la promo ont quitté les cours avant la fin de l’année. Sur les 14 élèves, un seul s’est réinscrit au conservatoire. Malgré les nombreuses alertes des apprentis comédiens adressées à la direction du conservatoire et un signalement au procureur de la République, leur professeur enseignera à nouveau en COP au conservatoire de Rennes en cette rentrée 2020. Libération a pourtant recueilli une vingtaine de témoignages d’anciens élèves et collègues qui, dans un contexte pédagogique où une large autonomie est laissée à l’enseignant, accablent les méthodes de V., décrites comme violentes et abusives.

«Acharnement»

En septembre 2018, V. est désigné comme professeur de COP à Rennes. Ce quadra présente un profil et une expérience a priori intéressants : diplômé d’Etat en enseignement théâtral, il a été professeur dans les conservatoires de Dijon (Côte-d’Or) et Quimper (Finistère). Une dizaine d’années auparavant, il a déjà donné des cours à Rennes. Metteur en scène et comédien au CV modeste, il est alors aussi président de l’Association nationale des professeurs d’art dramatique - fonctions qu’il quittera en janvier 2020.

Une réputation controversée le précède pourtant. «D’anciens élèves nous avaient prévenus qu’il était agressif… Un prof nous avait dit de faire attention à nous», se remémore Chloé, 23 ans. Mais cela n’inquiète pas outre-mesure la promo 2018-2019, dont la jeune femme fait partie, qui s’apprête à passer la majorité de sa vingtaine d’heures de cours hebdomadaires avec V. Les 14 élèves ont entre 16 et 26 ans et rêvent tous depuis des années de mettre le théâtre au centre de leur vie.

Juliette, 21 ans, se souvient avoir été «prête à tout pour rentrer en COP». Etre admis n’est pas donné à tout le monde : un entretien, plusieurs journées de stage, une audition devant un jury… Il n’est pas rare d’essuyer plusieurs refus avant de trouver une place dans cette formation qui prépare les élèves aux concours d’entrée d’établissements très prestigieux, tel le Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris.

Les élèves de V. déchantent dès les premiers cours en septembre. Tous dépeignent un professeur qui les effraie tant qu’ils n’osent pas lui répondre. «Il sème la terreur, se souvient Sarah, 20 ans, il nous hurle dessus si on ne fait pas ce qu’il veut. Il parle à deux centimètres de notre visage en levant le doigt. Quelqu’un qui lui sort par les yeux, il l’humilie en disant devant tout le monde qu’il ne sera jamais acteur. Il aimait nous voir pleurer, trimer…» Deux mois seulement après le début des cours, un des étudiants quitte le conservatoire après avoir été régulièrement ciblé par V., au point que des élèves évoquent «un acharnement». Dans la lettre collective adressée au procureur de la République un an plus tard, la promo dénoncera une «violence sans égale» à son égard et parle «d’humiliation publique».

Les comédiens redoutent aussi les «échauffements» imposés par V. Pendant une demi-heure, ou même dans certains cas plus d’une heure, ils doivent courir sur scène pieds nus, parfois jusqu’au sang, sauter sans s’arrêter… Lors d’un autre exercice, la classe a pour consigne de s’allonger sur le dos et de se déplacer uniquement à l’aide du bassin, en se frottant au sol. «Certains avaient des croûtes sur le coccyx. Et à force de le refaire, elles s’arrachaient et saignaient. On finissait avec des bleus, mais V. s’en fichait», lâche Romain, 23 ans.

«Cette façon de faire ne concerne pas que V. : certains profs persistent à penser que la brutalité est nécessaire car être acteur est un métier difficile, ou que s’immiscer dans la vie personnelle des élèves fait partie du processus», déplore un enseignant et ancien collègue. Pour lui, ces abus sont souvent provoqués par le fait qu’il n’y a «pas de règles pour enseigner le théâtre». Concrètement, les professeurs sont libres d’envisager leurs cours comme ils le souhaitent et de choisir les exercices et méthodes auxquels ils ont recours (lire page 17). Une absence de contours clairs du cadre pédagogique qui peut s’avérer propice à des dérives. «Sous prétexte d’être des artistes, certains s’autorisent tout, souligne le même professeur. Ce sont ces gens que l’on retrouve parfois dans les conservatoires. A la sortie des écoles, on récupère des élèves tétanisés de monter sur scène.» Longtemps, les apprentis comédiens du COP de Rennes s’autopersuadent que le comportement de V. est «peut-être normal.» «C’est du théâtre», admet Corentin, 20 ans. Jusqu’au point de non-retour, en novembre. Depuis plusieurs semaines, V. a axé le travail sur Titus Andronicus, de Shakespeare. Le texte raconte la sanglante vengeance de Tamora, reine des Goths, contre le général romain Titus qui a tué un de ses trois fils. Acte II, scène 3 : les deux fils de Tamora la rejoignent sur scène avec la fille de Titus, Lavinia, et son fiancé, qu’ils tuent. Ils sortent de scène en emportant Lavinia et la violent avant de lui couper les mains et la langue pour l’empêcher de les dénoncer.

«Salie»

Le 21 novembre, les comédiens à qui ce passage a été assigné répètent en costumes devant V. et le reste de la classe. Sur le plateau, Juliette dans le rôle de Lavinia, habillée d’une robe kaki soyeuse et d’un trench beige. A ses côtés, Jade, qui joue son fiancé, et Sarah dans le personnage de Tamora. Les deux agresseurs sont interprétés par Charles et Romain, tout de noir vêtus, cheveux plaqués en arrière. Les consignes de V. se font de plus en plus brutales : «Il demandait aux gars de vraiment me violenter. J’avais tellement mal que je m’étais acheté des genouillères», rembobine Juliette. Charles : «V. trouvait qu’on était trop passifs. Il est donc monté sur le plateau pour nous montrer comment faire», sans prévenir les deux jeunes femmes qui se trouvent allongées sur le plateau.

D’abord, V. fonce sur Juliette. «Je n’ai pas vu V. venir, et il s’est allongé sur moi, il m’a bloqué les poignets au sol. Il m’écrasait de tout son corps, plaqué contre moi. Je sentais son odeur, sa respiration, sa tête dans mon cou… Il a fini par me lâcher. Il ne voyait pas que c’était Juliette qui pleurait, et pas Lavinia.» Ensuite, V. se tourne vers Jade. «J’étais allongée sur le dos car je faisais le cadavre, je ne l’ai pas vu arriver. Il était debout et il a attrapé mes jambes pour simuler une pénétration. Il s’est tellement collé à moi que je sentais son sexe. Ensuite, il a lâché mes jambes puis m’a attrapé les épaules pour rapprocher mon visage de son pénis. Là, il a mimé une fellation en faisant des mouvements de va-et-vient», détaille la comédienne, alors âgée de 16 ans.

Silence dans la salle. Dans le texte, le viol que subit le personnage de Juliette n’a pas lieu sur scène et n’est que mentionné dans les dialogues. Et rien dans l’œuvre n’indique la moindre atteinte sexuelle sur son fiancé Bassianus, le personnage interprété par Jade. «Quand V. a vu la tête de tout le monde, il a dit : "C’est ça, Shakespeare !"» reprend la jeune fille. Les répétitions s’enchaînent malgré tout. «Je pleurais tout le temps parce que j’avais peur et que je me sentais salie», confie Juliette. Charles ne supporte pas plus la situation : «Quand il a fallu que je fasse à Jade ce que V. lui avait fait, c’était horrible. Je lui ai chuchoté à l’oreille que j’étais désolé.»

Cauchemars

Quelques semaines plus tard, V. se trouve à nouveau sur le plateau pour montrer aux comédiens ce qu’il attend d’eux. Juliette relate : «J’étais debout. V. s’est mis derrière moi. Il m’a pris les bras, les a bloqués dans mon dos. Il a commencé à descendre une main sur mes hanches, mes cuisses, mon ventre en me disant des choses salaces qui n’étaient pas dans le texte.» A plusieurs reprises durant la répétition, il répète les mêmes gestes. Clémence, 26 ans, y assiste depuis la salle : «Je ne pouvais plus regarder, je me suis levée et je suis sortie pleurer. A la fin du cours, avec l’accord de Juliette, j’ai dit à V. que ce n’était pas normal.» Le professeur ne remontera plus sur scène. «Mais c’était déjà beaucoup trop tard», souffle Juliette.

Pendant les vacances de Noël, plus personne ne veut revenir en cours. Pour Romain, le stress est tel qu’il vomit chaque matin. Jade, elle, fait des cauchemars «dans lesquels V. [la] viole». Anaïs craque et quitte le conservatoire en janvier. Mais les 12 élèves restants s’accrochent. Ils exposent leur mal-être à V. lors d’une réunion le 14 janvier 2019 qui aboutit à l’arrêt du travail sur Titus Andronicus. Mais «après la confrontation, ses efforts ont duré deux jours et c’est reparti de plus belle», selon Romain. Le 1er avril, c’en est trop. Ils alertent le secrétariat de direction. Deux groupes d’élèves sont reçus les jours suivants par le directeur du conservatoire, Maxime Leschiera, à qui ils font état de leur indignation.

A la rentrée des vacances de printemps, V. n’est plus là, remplacé par un prof issu d’un autre cycle. Interrogé par Libération, Maxime Leschiera explique avoir constaté la «persistance» de «difficultés relationnelles» et ainsi «pris la décision de permuter les groupes et les enseignants par mesure de précaution et pour assurer aux élèves un contexte de travail apaisé». «Ce n’était pas régler le problème, mais le déplacer ! martèle a posteriori Chloé. Ça montrait bien que le directeur ne nous prenait pas au sérieux.»

Maxime Leschiera avait pourtant été auditionné le 13 mars 2019 par le Sénat au sujet de la répression des infractions sexuelles sur mineurs, en tant que président de Conservatoires de France, une association de directeurs d’établissements d’enseignement artistique. A cette occasion, il avait déclaré : «Il faut éviter de prendre des mesures injustifiées si l’adulte n’est coupable de rien, et prendre au sérieux la rumeur dans les cas où il s’avère qu’elle est fondée.» A Libé, il assure qu’après sa rencontre avec les élèves au printemps, «aucun autre fait les concernant n’a été porté à la connaissance de la direction du conservatoire jusqu’à la réception du courrier du 1er octobre 2019. A aucun moment, les faits graves dénoncés n’avaient jusque-là été portés à notre connaissance». Plusieurs élèves se souviennent pourtant lui avoir, dès avril, tout relaté des aspects les plus choquants du travail sur Titus Andronicus.

«Sur ses gardes»

Au fil des semaines, les comédiens comprennent que V. redeviendra bien leur professeur à la rentrée 2019. Sur les 14 élèves de la promo, 13 décident donc de quitter le conservatoire de Rennes. Une partie d’entre eux parvient à trouver une autre formation. Mais pour certains, dont Juliette, la seule issue est l’arrêt total du théâtre : «Je ne sais même pas si j’arriverai à remonter sur un plateau un jour», admet la jeune femme, qui rêvait d’être comédienne depuis le lycée. Jade, qui a changé de conservatoire, est d’abord restée «sur [ses] gardes tout le temps» : «J’avais très peur. Mais j’ai vu que c’était un endroit bienveillant, et ça m’a fait du bien de voir qu’il est possible d’apprendre le théâtre autrement.» Un sentiment d’injustice ne quitte pas les élèves de la promo. En juin 2019, une partie des étudiants veut déposer une plainte collective. «Pour qu’il y ait une trace de ce qui s’était passé», justifie Jade. La police leur conseille d’écrire directement au procureur.

Alors qu’ils rassemblent leurs témoignages, les rumeurs de ce qu’a subi la promo parviennent aux oreilles d’autres comédiens. Le 4 juillet, une quinzaine d’autres anciens élèves de V. écrivent à Maxime Leschiera. Ils dénoncent le recours à «la violence, à l’humiliation, à la menace et à des attitudes déplacées et tendancieuses» du professeur dont ils ont suivi les cours au même conservatoire une décennie plus tôt. Ils réclament une procédure disciplinaire à son encontre. Dans sa réponse quelques semaines plus tard, le directeur écrit que l’établissement travaille «à la préparation de l’année scolaire prochaine afin que les difficultés rencontrées l’année dernière ne se reproduisent pas. Nous serons évidemment extrêmement vigilants sur ce point».

«Manque de vigilance»

Dans les différents conservatoires où il est passé, V. a marqué de nombreux autres élèves par ses méthodes. Lucie, qui l’a eu comme enseignant à Rennes entre 2009 et 2011, se souvient de «crises de nerfs arbitraires qui faisaient régner une ambiance de terreur. Il pouvait lancer du mobilier à travers la salle. Il avait balancé un bouquin dans la tronche d’un élève. On avait entre 15 et 18 ans !» Des parents d’élèves avaient pris rendez-vous avec le directeur de l’époque pour signaler la situation : «On n’a pas attaqué bille en tête V., mais on a dit que dans ce que nous rapportaient nos enfants il y avait une forme de violence psychique et des exercices physiques démesurés», relate Amélie, la mère d’une ancienne élève.

Avant son retour à Rennes, V. enseigne au conservatoire de Dijon entre 2016 et 2018. Camille, 23 ans aujourd’hui, se souvient de ce jour où il est venu sur scène pour simuler une levrette sur elle : «Il a mis ses mains sur mes hanches et a mimé une sorte de mouvement. C’est fou comme c’est violent quand quelqu’un qui ne te demande pas touche ton corps.» Des gestes confirmés à Libération par un autre témoin de la scène. Blanche, qui était de la même promotion, fond en larmes en racontant qu’elle ne supportait plus les «réflexions humiliantes» et les exercices physiques épuisants de V. : «Je pleurais matins et soirs, ça m’a créé des troubles de l’alimentation, je vomissais de stress. J’ai fait une tentative de suicide. J’avais honte d’exister.»

Le prédécesseur de V. en COP à Rennes, qui a enseigné dans cette classe pendant quatorze ans avant de prendre sa retraite, n’avait pas compris le choix de son successeur : «Pour avoir travaillé avec lui, il a une façon de diriger intrusive qui peut être dérangeante, voire violente. Je pense qu’il y a eu un manque de vigilance. Cela pose question sur les processus de recrutement.»

Le 1er octobre 2019, les comédiens de la promotion 2018-2019 du COP de Rennes jouent leur dernière carte : tous, à l’exception d’un élève, signent une lettre de 17 pages accompagnée d’une annexe de 14 pages qui recense les témoignages issus de promotions plus anciennes et d’autres établissements.

Outre les humiliations, l’agressivité verbale et des accusations de violences physiques, ils y compilent des «remarques franchement inconvenantes, car personnelles, portant sur [eux], pas sur les personnages [qu’ils jouaient], telles que "j’avoue en tant qu’homme que ce que tu fais là, ça ne laisse pas indifférent", "c’est fou, même comme ça elle est jolie" , "ta scène, c’était chaud, c’était caliente", à l’adresse d’un garçon : "Montre un peu plus que t’es excité, regarde, elle a des jambes magnifiques"». Entre autres. La missive est adressée au procureur de la République de Rennes, au conservatoire, à la direction régionale des affaires culturelles (Drac) et à la mairie.

Malgré la description de faits pouvant relever de l’agression sexuelle, le parquet ne retient qu’un signalement pour harcèlement moral. Questionné par Libération sur cette décision, le procureur ne donnera pas suite. Une enquête est confiée à la sûreté départementale de Rennes le 21 octobre et plusieurs personnes sont auditionnées, dont le directeur du conservatoire et V. Sur les dix élèves de la promotion 2018-2019 interrogés par Libération, deux seulement affirment avoir été entendus. Le 22 juin 2020, la procédure est classée sans suite pour «infraction insuffisamment caractérisée».

Blâme

De son côté, la ville de Rennes commandite une enquête administrative à BLV, un cabinet privé de consulting en ressources humaines. Cette fois, une seule élève déclare avoir été interrogée. Ni Jade ni Juliette n’ont été contactées. V. est suspendu provisoirement par la ville puis cantonné à des fonctions ne comportant pas d’enseignement direct avec les élèves, avec l’injonction par son employeur de «remettre radicalement en question sa posture professionnelle et pédagogique». Le lien sera rétabli progressivement avec les élèves de la promotion en cours, mais «toujours en binôme avec un autre professeur», selon la municipalité. Le rapport restitué à la ville de Rennes le 17 décembre 2019 aboutira le 9 mars à un blâme de l’enseignant pour manquement «à ses obligations professionnelles de savoir être».

Selon la mairie, l’enquête n’a «pas permis de mettre en évidence des éléments de preuve formelle permettant d’établir la faute grave. Et ce d’autant plus que les élèves ont refusé de produire des témoignages individuels et ont souhaité rester anonymes». Pourtant tous étaient explicitement identifiés dans la lettre à l’origine de la procédure.

V. n’a répondu aux sollicitations de Libération que par la voix de son avocat. Selon ce dernier, l’enseignant conteste «le principe même d’une sanction» et a déposé un recours en annulation devant le tribunal administratif. Il dément en outre «avec la plus grande fermeté avoir commis quelque infraction pénale que ce soit» dans l’exercice de sa profession. Du côté de la Drac, on souligne que le conservatoire, bien que sous le contrôle pédagogique du ministère de la Culture, relève de la responsabilité de la ville de Rennes. Parmi les institutions destinataires du courrier dénonçant l’attitude du professeur, seul le conservatoire est resté mutique.

En janvier 2020, Maxime Leschiera a pris la direction du conservatoire de Bordeaux, remplacé par Hélène Sanglier. Les anciens étudiants affirment n’avoir plus jamais reçu de signe de la direction, tandis que la municipalité fait état de «réunions bilans» au début de l’été avec les élèves actuels, puis les enseignants, ayant «permis d’attester d’un déroulement satisfaisant des cours et d’une sérénité quant à la prochaine rentrée», avec la mise en place de mesure de sensibilisation et de prévention sur les agissements sexistes et le harcèlement sexuel. C’est par des amis restés au conservatoire que les anciens élèves de 2018-2019 ont appris que V. sera à nouveau professeur de COP au conservatoire de Rennes lors de la rentrée, lundi. A la mairie, on a toutefois spécifié à Libération que la nouvelle promotion «aura plusieurs professeurs […]. Les élèves ne seront pas seuls avec V.».

(1) Les prénoms des élèves ont tous été modifiés.

(2) L’initiale du professeur a été changée.

25 septembre 2020

Paris double ses subventions aux associations LGBT

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Par Denis Cosnard - Le Monde

La maire socialiste Anne Hidalgo veut également ouvrir enfin la Maison des cultures LGBT et le centre d’archives promis de longue date.

Anne Hidalgo l’avait promis durant la campagne des municipales : en cas de victoire, elle comptait bien prolonger le « coup de foudre entre Paris et les LGBTQI », selon ses termes prononcés juste avant le premier tour.

Réélue en juillet, la maire de Paris se prépare à passer à l’acte en faveur des homosexuels, bisexuels, transgenres, queers mais aussi intersexes. Au conseil municipal d’octobre, des subventions de 382 650 euros vont être attribuées à vingt-cinq associations LGBT, comme le Centre LGBT de Paris, l’Inter-LGBT qui organise la « marche des fiertés », Le Refuge, ou encore SOS Homophobie. D’autres projets avaient été votés dès juillet.

Au total, « nous doublons notre soutien financier, qui va passer d’environ 200 000 euros à 400 000 euros par an », annonce au Monde Jean-Luc Roméro-Michel, militant homosexuel historique et désormais adjoint d’Anne Hidalgo chargé des droits humains, de l’intégration et de la lutte contre les discriminations.

« Il fallait envoyer un signe fort, pour rattraper le retard, explique le nouvel élu de Paris. A l’époque de la droite, il n’y avait pas un centime pour les associations LGBT. Les premières actions, les premières subventions sont arrivées avec Bertrand Delanoë à partir de 2001, et Anne Hidalgo a amplifié le mouvement. » A présent, Jean-Luc Roméro-Michel entend aller plus loin encore. « Paris n’est pas la ville qui donne le plus d’argent aux associations de ce type, loin de là », argumente-t-il.

La municipalité accusée de clientélisme

Ce grand coup de pouce aux LGBT risque de faire tousser certains, alors que la politique générale de la Ville en matière de subventions fait l’objet de critiques récurrentes. Mardi 22 septembre, les élus Les Républicains (LR) ont encore dénoncé de « petits arrangements entre amis ». « Au conseil de Paris, on nous fait maintenant voter sur des paquets agglomérant des dizaines d’associations, certaines à l’utilité publique incontestable, d’autres beaucoup moins, par exemple lorsqu’elles favorisent des replis communautaires, peste Nelly Garnier, une élue proche de Rachida Dati. Cette méthode est symptomatique de la politique de Paris envers les associations : toujours plus d’argent, distribué de façon toujours plus obscure. »

Les militants LGBT ne sont pas non plus tous tendres à l’égard de la mairie. Certains l’accusent de clientélisme, de double discours, ou encore de « pinkwashing ». Deux dossiers cristallisent le mécontentement.

Le premier concerne la création à Paris d’un centre d’archives LGBT. Vingt ans que le chantier est évoqué sans se concrétiser. Faut-il privilégier l’histoire récente, autour d’Act-Up et de la lutte contre le sida, ou remonter plus loin ? Choisir une approche militante ou plus scientifique ? Confier les clés aux associations ou aux institutions publiques, type Archives nationales ? Et où implanter le centre ? Autant de débats qui ont freiné le projet, et incité certains à monter des structures d’archivage indépendantes. « La Mairie câline les associations, mais veut tout contrôler, ce n’est pas acceptable », dénonce un militant.

Aujourd’hui, « la création de ce centre d’archives constitue une priorité, affirme Jean-Luc Roméro-Michel. Et comme il a une vocation nationale, son financement devra s’appuyer aussi sur l’Etat et la région. » Selon l’accord passé entre les socialistes, les communistes et les écologistes avant le second tour, les associations et les personnes concernées seront associées « d’une manière ou d’une autre » à la gestion du centre d’archives, par exemple en disposant de places au conseil d’administration.

Une mission pour déminer le terrain

Second dossier sur la table, l’ouverture d’une « Maison des cultures LGBT+ » au cœur du Marais, le principal quartier gay de la capitale. L’équipe d’Anne Hidalgo l’avait d’abord annoncée pour janvier 2020 « au plus tard », puis intégrée dans son programme électoral, sans plus fixer de date. Cette « maison », qui pourrait s’installer dans un local vacant rue Malher (4e arrondissement), aurait vocation à valoriser les cultures LGBT, leur donner plus de visibilité, notamment à travers des expositions.

Son articulation avec le futur centre d’archives, ainsi qu’avec le Centre LGBT Paris qui existe déjà, reste toutefois à affiner. « Faut-il vraiment mettre des moyens sur un énième lieu d’exposition, alors que tant d’associations actuelles sont dans la détresse ? », s’interroge Mariame Kane, la coprésidente du Centre LGBT Paris.

Devant ces difficultés, Anne Hidalgo s’apprête à confier une mission de quelques mois à un spécialiste du sujet, pour déminer le terrain. Ancien président de SOS Homophobie et artisan de la campagne de la candidate Hidalgo dans le monde homosexuel, Joël Deumier devra présenter des propositions concernant le futur centre des archives, la Maison des cultures LGBT et l’avenir du Centre LGBT Paris, aujourd’hui à l’étroit dans ses murs. En commençant par écouter toutes les associations concernées. Joël Deumier a bien en tête le problème : « L’histoire LGBT s’est en partie construite sur des luttes contre les pouvoirs publics, si bien qu’il y a parfois des incompréhensions, des dissensions à aplanir. »

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25 septembre 2020

Congés de paternité

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22 septembre 2020

Amnesty accuse Twitter de ne toujours pas en faire assez pour protéger les femmes

Par Nicolas Six - Le Monde

Constatant la lenteur des progrès de la modération, l’ONG demande au réseau social d’appliquer dix recommandations pour lutter contre les abus. Amnesty en contrôlera régulièrement l’application.

« Le PDG de Twitter Jack Dorsey doit traduire ses paroles en actes et montrer qu’il est sincère dans sa volonté de faire [du réseau social] un endroit plus sûr pour les femmes. » Dans un rapport publié mardi 22 septembre, Amnesty International déplore qu’en dépit des promesses répétées depuis plus de cinq ans, « Twitter n’en fait toujours pas assez pour protéger les femmes contre les violences et les abus en ligne ».

L’ONG a consacré cinq rapports depuis 2017 aux violences subies par les femmes sur le réseau social, étudiant la situation au Royaume-Uni, aux Etats-Unis, en Argentine et en Inde. Elle affirme aujourd’hui que les femmes n’ont vu aucune amélioration majeure et font toujours état des mêmes souffrances qui les poussent à s’autocensurer.

Pour circonscrire les frontières du problème, Amnesty reprend la définition du Comité pour l’élimination des discriminations envers les femmes des Nations unies : « La violence basée sur le genre est une violence qui est dirigée envers une femme parce qu’elle est une femme, ou qui touche les femmes de façon disproportionnée. » Amnesty en liste plusieurs manifestations, visibles sur Twitter :

« Les menaces directes ou indirectes de nature physique ou sexuelle, les abus ciblant un ou plusieurs aspects de l’identité d’une femme comme le racisme ou la transphobie, le harcèlement ciblé, les violations de vie privée, le partage d’images intimes sans consentement. »

L’organisation a décidé de surveiller les évolutions de l’entreprise à l’oiseau bleu concernant dix recommandations qu’elle lui a transmises au fil des années. Périodiquement, Amnesty évaluera les progrès du réseau social sur ces dix points en employant une signalétique composée de dix « feux tricolores ».

Améliorer la transparence

Le bilan de l’ONG n’est pas entièrement négatif : depuis ses premiers échanges avec Twitter en 2017, l’entreprise a progressé sur certains points. Par exemple, les personnes signalant un abus disposent désormais d’un espace où rédiger un court texte pour décrire leur problème. Mais Amnesty considère que le réseau social doit faire « beaucoup plus » : un point est au vert, trois sont au rouge et six à l’orange.

La principale requête d’Amnesty est l’amélioration de la transparence. L’ONG souhaiterait que Twitter publie des statistiques fines sur les violences subies par les femmes, classées par types d’abus, par région et par année. Une initiative qui permettrait « d’avoir une image plus précise de l’ampleur et de la nature du phénomène, et d’évaluer les progrès, explique au Monde Rasha Abdul Rahim, codirectrice d’Amnesty Tech. Ce n’est pas à la société civile de mesurer ce phénomène, c’est Twitter qui a l’expertise pour cela. »

Amnesty souligne aussi l’opacité du réseau social sur les moyens mis en œuvre pour appliquer sa politique de modération. Plusieurs questions restent en suspens : combien de salariés s’en chargent ? Quels sont leur organisation et leurs délais de réponse lorsqu’on leur signale un abus ? Comment fonctionne le système d’intelligence artificielle ? Ne souffre-t-il pas de biais ? Les modérateurs « reçoivent-ils une formation suffisamment bonne pour connaître les langages et les subtilités culturelles de tous les pays », comme le demande Rasha Abdul Rahim ?

La modération est une tâche complexe pour la plupart des réseaux sociaux. Si certains, comme Facebook, ont accepté ces dernières années de donner un peu plus d’informations sur leur fonctionnement, la culture du secret règne encore chez Twitter.

L’ONG aimerait aussi connaître le volume de cas traités par la « cour d’appel » de Twitter, qui donne un second avis en cas de contestation d’une décision de modération. Elle appelle l’entreprise à communiquer sur ces violences par des campagnes de communication globales et ciblées, mais aussi à mesurer le taux de satisfaction des personnes signalant un abus. « Cela permettrait notamment de détecter d’éventuelles différences d’efficacité entre les zones géographiques », souligne Rasha Abdul Rahim.

« Il reste des choses à faire », reconnaît Twitter

Amnesty souhaite enfin que les femmes victimes de ces violences reçoivent un kit d’aide et d’information ciblé sur le type d’abus qu’elles ont subi, ainsi que des conseils sur les outils numériques pouvant les aider à s’en protéger.

« Il reste des choses à faire », reconnaît Twitter, dans une longue réaction publiée par Amnesty à la fin de son rapport. L’entreprise concède par exemple devoir progresser sur « la formation des modérateurs de contenus haineux, particulièrement quand ces derniers s’attaquent à l’identité » des utilisateurs. Mais elle conteste par ailleurs une partie des évaluations de l’ONG, qui, dit-elle, « ne rend pas compte de son travail de manière juste ou complète », et questionne la pertinence ou la faisabilité de certaines des recommandations.

L’entreprise s’interroge par exemple sur la façon de fournir une aide aux personnes ayant subi des violences, sous la forme de « liens et de ressources » : « bien que nous soutenions l’esprit de cette mesure, la façon donc nous pourrions la réaliser à grande échelle à travers l’ensemble de nos règles n’est pas claire ». Le réseau social pointe la difficulté, pour chaque cas spécifique, de choisir parmi les « centaines de partenaires et d’organisations » qui pourraient apporter leur aide à l’usager.

La firme affirme par ailleurs avoir fait des progrès qui n’apparaissent pas dans le rapport, sur les outils de filtrage des contenus offensants proposés aux utilisateurs, ou encore sur ses méthodes de détection automatique :

« Par le passé, nos actions étaient largement basées sur le signalement [par les utilisateurs] de contenus qui violaient les règles de Twitter (…). Parmi les Tweet que nous supprimons, nous en détectons aujourd’hui un sur deux de manière proactive, contre un sur cinq en 2018. »

L’entreprise ajoute qu’elle travaille toujours à améliorer sa plate-forme : « Nous testons actuellement des solutions visant à avertir les utilisateurs en ajoutant un niveau de friction lorsqu’ils postent des contenus potentiellement blessants. »

21 septembre 2020

Chronique - « Papa, tu regardes trop les écrans ! »

Par Nicolas Santolaria - Le Monde

Sermonner son enfant pour qu’il décroche de la tablette, alors qu’on est soi-même scotché à son smartphone ? Une incohérence pédagogique largement répandue. Nicolas Santolaria décrypte cette schizophrénie du parent connecté.

J’ai récemment participé à une rencontre avec l’institutrice de l’un de mes fils, où un détail m’a frappé. Alors que l’enseignante tentait de présenter son programme en articulant difficilement derrière son masque chirurgical (« On ne fera pas beaucoup de sorties scolaires cette année, mais on va se lancer dans des défis écologiques »), la moitié des parents présents avaient, à un instant ou un autre, le nez collé sur leur smartphone.

Je ne jette ici la pierre à personne, car j’ai moi-même consulté mes mails en douce durant cette réunion, en tentant vaguement de dissimuler mon appareil dans le casier de la petite table où j’étais installé, au dernier rang.

D’une certaine manière, le constat de cette addiction de masse m’a rassuré : il m’a apporté la confirmation que je n’étais pas le seul à gratifier mes enfants d’une éducation totalement incohérente, où chaque précepte affirmé avec l’emphase d’un militant luddite – « Arrêtez de regarder les écrans, c’est très dangereux ! » – est suivi d’une attitude totalement contradictoire, baignée dans un halo de lumière bleutée – « Mmmmouais poussin, Papa va venir te faire un bisou, mais avant il doit envoyer un dernier message de la plus haute importance au service après-vente d’Ikea… » (et terminer cet épisode de BoJack Horseman, mais ça, chut, il ne faut pas le dire).

« Avez-vous déjà parlé à votre enfant aujourd’hui ? »

En 2017, une campagne de sensibilisation allemande articulée autour du slogan suivant – « Avez-vous déjà parlé à votre enfant aujourd’hui ? » – soulignait à sa manière l’étrange schizophrénie du parent connecté. En effet, en Poméranie comme ici, nous craignons tous plus ou moins que l’omniprésence des écrans ne perturbe le développement cognitif de notre progéniture, sans nous apercevoir que nous sommes les premiers à en faire un usage immodéré. D’après une étude internationale menée en 2015 par AVG Technologies, 54 % des enfants trouvent que leurs parents se laissent distraire trop souvent par leur portable, 36 % le consultant même pendant les conversations.

À FORCE D’ÊTRE QUOTIDIENNEMENT RENVOYÉS AU FAIT QU’ILS SONT MOINS ATTRAYANTS QU’UN FIL TWITTER, 32 % DES ENFANTS SE SENTENT SANS IMPORTANCE.

Une étude de la Boston University School of Medicine a notamment montré que l’usage des technologies mobiles par les mamans durant les repas (pourquoi cette étude ne porte-t-elle que sur les mamans, la science ne le dit pas) réduisait de 20 % les interactions verbales avec l’enfant, et de 39 % les interactions non verbales. Problématique, cette présence-absence débouche sur une attention dégradée aux autres, qui menace l’écologie relationnelle de la famille. A force d’être quotidiennement renvoyés au fait qu’ils sont moins attrayants qu’un fil Twitter, 32 % des enfants se sentent sans importance (étude AVG technologies).

« Papa, tu regardes trop les écrans ! », me répètent régulièrement mes fils, inversant totalement la relation éducative. Cela produit-il un effet quelconque sur mon cerveau anesthésié ? Oui, je peux éventuellement soulever une paupière et grommeler un truc désagréable. D’après une étude menée dans une quinzaine de fast-foods par des chercheurs du Boston Medical Center, les parents interrompus dans leur tango cognitif avec leur smartphone sont plus enclins à répondre de manière agressive à leurs chers bambins. Si votre père vous balance un « Finis tes nuggets fissa ou je te supprime le cadeau de ton Happy Meal ! », c’est donc que vous l’avez bien cherché.

Forme d’abandon parental

Face à ces constats divers mais congruents, il apparaît que, aveugles à notre propre addiction aux doudous numériques, nous sommes en réalité extrêmement mal placés pour dire à nos enfants d’arrêter de regarder les Pyjamasques sur la tablette. C’est comme si un fumeur de crack concupiscent vous invitait à y aller mollo sur la cigarette électronique.

Dans son blog, le psychiatre Serge Tisseron avance même que cette incohérence éducative, qui se résume par la maxime « fais ce que je dis, ne fais pas ce que je fais », pourrait être une des causes des comportements problématiques rencontrés chez les plus jeunes, et ce pour plusieurs raisons : là où l’imitation motrice conduit les petits à reproduire les attitudes des grands, l’attention conjointe les fait s’intéresser à ce qui semble nous captiver.

COMMENT RETOMBER SUR VOS PATTES DE PÉDAGOGUE RESPECTÉ APRÈS CES MULTIPLES FLAGRANT DÉLITS DE NON-EXEMPLARITÉ ?

A cela s’ajoute une explication d’ordre affectif : « Si l’enfant ne trouve pas ce regard recherché, s’il ne trouve des échanges à la mesure de ses attentes, le risque est grand qu’il se scotche aux écrans comme un refuge contre une forme d’abandon parental en grande partie inconscient », écrit le psychiatre.

Attitude endémique, cette incohérence éducative est loin de se cantonner à la sphère technologique. Quel papa n’a pas, un jour, invité ses enfants à « débarrasser la table, parce que c’est important de participer », exhortation ânonnée depuis le fin fond du canapé ? « Arrêtez avec la grenadine, le sucre c’est très mauvais ! », peut marteler le même individu dans un autre contexte, tout en attaquant son troisième Spritz. Sans parler des douches interminables du patriarche décroissant qui, après avoir dilapidé l’équivalent d’une piscine olympique, encourage sans vergogne ses descendants à « économiser l’eau ».

Mais s’il y a bien un domaine où cette incohérence s’exprime à plein régime, c’est celui de la politesse. Coincé sur l’autoroute du Soleil, vous qui, quelques instants plus tôt, expliquiez d’une voix douce qu’on ne disait pas « tronche » mais « visage », vous mettez soudain à hurler les pires insanités : « Putain de bordel de chiotte, mais qu’est-ce qu’elles foutent là toutes ces bagnoles !!! Pourquoi j’ai pris cet itinéraire de merde, moi ? ! »

Comment, alors, retomber sur vos pattes de pédagogue respecté après ces multiples flagrant délits de non-exemplarité ? En expliquant simplement que cohérence et vérité ne sont pas la même chose et que les règles ne font pas tout. Edictées par des autorités ô combien faillibles, elles sont faites pour être pondérées en fonction des contextes.

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