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Jours tranquilles à Paris
18 mars 2019

« Gilets jaunes » : après les violences de samedi, la stratégie policière critiquée

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Par Nicolas Chapuis - Le Monde

Plusieurs voix s’élèvent dans les rangs des policiers pour critiquer les choix de la Préfecture de police de Paris. Le gouvernement reconnaît des « dysfonctionnements ».

La scène a des tristes airs de déjà-vu. L’avenue des Champs-Elysées s’est à nouveau éveillée, dimanche 17 mars, marquée par les stigmates d’un samedi de violences urbaines. Les nombreuses dégradations sur les magasins de la célèbre artère, ainsi que les traces de départ de feu, témoignaient de la rugosité des affrontements, tout au long de l’acte XVIII du mouvement des « gilets jaunes », entre d’un côté une foule de manifestants venue en découdre, et de l’autre des forces de l’ordre dont l’organisation stratégique fait aujourd’hui débat.

Ce sont des rangs même de la police que les critiques les plus virulentes sont montées, au long du week-end. « L’opérationnalisation du maintien de l’ordre a été un échec hier », estime Yves Lefebvre, le patron du syndicat Unité SGP-Police-FO, première organisation au ministère de l’intérieur, qui pointe la responsabilité de la Préfecture de police de Paris, responsable du dispositif. Dimanche soir, le gouvernement a admis des « dysfonctionnements » dans le dispositif de sécurité et annoncé un renforcement à venir de la doctrine.

« Ils ont fait le choix de la résilience, pour éviter les blessés, au détriment de l’intervention : ça donne une situation catastrophique sur le plan matériel, abonde Philippe Capon, secrétaire général de l’Unsa Police, le troisième syndicat de gardiens de la paix. Est-ce qu’on a eu des blessés graves ? Non. Mais est ce pour autant un maintien de l’ordre réussi ? La réponse est non. » 42 personnes ont été blessées parmi les manifestants, 17 au sein des forces de l’ordre, ainsi qu’un sapeur-pompier.

Les troupes chargées de sécuriser la zone ont-elles été trop passives face aux nombreux pillages de magasin et aux actes de vandalisme perpétrés dans le quartier des Champs-Elysées ? « Le dispositif était adapté et conséquent, avec une stratégie habituelle de réactivité, afin de procéder à des interpellations », assure une source policière au sein de la préfecture de police de Paris. 250 personnes ont été placées en garde à vue, dont 21 mineurs. Un chiffre en nette hausse par rapport aux précédents rassemblements de « gilets jaunes », mais en deçà des pics atteints le 1er décembre (412 interpellations) et le 8 décembre (plus d’un millier).

1 500 Black blocs sur les Champs-Elysées

Ces derniers jours, plusieurs alertes avaient été émises par les services de renseignement territoriaux tant sur la forte affluence attendue, que sur le niveau de violence potentiel. 41 unités de forces mobiles (CRS, gendarmes mobiles, et compagnies d’intervention) avaient été mobilisées, ainsi que 51 détachements d’action rapide (DAR), ces unités chargées de se mouvoir prestement afin d’interpeller les casseurs.

Aucune déclaration n’avait été effectuée pour la manifestation sur les Champs-Elysées, compliquant le travail des autorités. Par ailleurs, la préfecture de police devait gérer la marche sur le climat, place de l’Opéra, avec plus de 36 000 personnes selon la préfecture et des rassemblements divers, dont un contre les violences policières, et un autre, organisé par les forains, au départ de la porte de Vincennes.

Mais la grande majorité des troupes étaient engagées aux Champs-Elysées, face à des manifestants relevant davantage des Black blocs que des « gilets jaunes » traditionnels. Selon le ministère de l’intérieur, ils étaient au nombre de 1 500 venus se joindre à une foule au profil composite.

La stratégie en question

« Ils sont très organisés, ils savent se mouvoir, ils ont des codes de progression tactique, explique une source policière, spécialisée dans le maintien de l’ordre. Une fois leur méfait commis, ils s’évanouissent dans la nature, tout ça n’est pas improvisé. Il y a d’ailleurs une part très symbolique dans leurs destructions, qui sont connotées. Ils s’en prennent beaucoup aux symboles des valeurs bourgeoises. » Le Fouquet’s, célèbre restaurant de l’avenue, où Nicolas Sarkozy avait fêté sa victoire à l’élection présidentielle en 2007, en a d’ailleurs fait les frais, en étant dévasté par les flammes.

Au-delà du choix de réduire au maximum les engagements avec les manifestants, c’est l’ensemble de la stratégie qui est à nouveau interrogée. Un dispositif avait été mis en place autour de l’Elysée, de la place Beauvau, du rond-point des Champs-Elysées et des principales ambassades du quartier, avec douze compagnies de CRS mobilisées. Quelques manifestants ont d’ailleurs tenté de pénétrer dans le périmètre avant de renoncer devant les moyens déployés.

« Le jour où on lâche du lest là-dessus, ils s’engouffreront dans la brèche, leur objectif depuis le début c’est d’aller à l’Elysée », explique une source policière à la préfecture de police, pour justifier le maintien d’un fort contingent sur cette zone.

Seuls les escadrons de gendarmes mobiles et les troupes de la préfecture étaient engagés directement face aux manifestants. « En mobilisant les CRS uniquement sur la partie statique, on s’est privé d’une force de frappe, estime Philippe Capon, lui-même ancien CRS. La préfecture s’estime la seule sachante, mais hier sa stratégie a échoué. »

Le choix de la répartition des unités fait débat. « On a eu affaire à des groupes hyper mobiles, on a été d’entrée de jeu dans une situation de guérilla, d’émeute urbaine, pas de maintien de l’ordre, assure Yves Lefebvre. On aurait été beaucoup plus opérationnel avec les CRS. Les gendarmes mobiles sont plus difficiles à manœuvrer. »

Le gouvernement admet des « dysfonctionnements »

Plusieurs voix s’élèvent également au sein de la police nationale pour que les directions des gendarmes mobiles et des CRS, qui fournissent le gros des troupes, soient associées à la conception du dispositif en amont, qui est dessiné par la Direction de l’ordre public et de la circulation de la préfecture de police de Paris.

Quatre mois après le début du mouvement des « gilets jaunes », la persistance des dégradations hebdomadaires oblige les autorités à une réaction. « On voit des gens qui n’ont plus peur d’aller frapper des policiers ou des gendarmes », s’alarme une source policière haut placée. De nombreuses images montrent des grappes de manifestants s’en prendre à des fourgons des forces de l’ordre ou à des fonctionnaires isolés. Le sujet dépasse désormais la sphère policière. Une réunion d’urgence était organisée à Matignon, avec les ministres concernés, dimanche en fin d’après-midi.

Au terme de cette réunion, Matignon a admis des « dysfonctionnements » dans le dispositif de sécurité mis en place samedi à Paris et fait savoir qu’Edouard Philippe ferait des propositions pour l’adapter lundi :

« Notre dispositif avait été profondément adapté à la suite des événements du 1er décembre. L’analyse des événements d’hier met en évidence qu’il s’est révélé insuffisant dans son exécution pour contenir ces violences et éviter les agissements des casseurs. Il faut tirer toutes les conséquences de ces dysfonctionnements. Le premier ministre fera ses propositions d’adaptation au président de la République demain à 11 h 30 pour renforcer la doctrine et s’assurer à tout moment de la fermeté de son exécution. Les annonces seront faites dans les heures suivantes. »

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17 mars 2019

Sexualité : les enjeux de la première fois

Par Maïa Mazaurette - Le Monde

Cette étape est tout sauf un simple brouillon. Or sous prétexte de protéger les ados, nous leur savonnons la pente, explique la chroniqueuse de « La Matinale » Maïa Mazaurette.

LE SEXE SELON MAÏA

Depuis deux ans, les chiffres sur la consommation de pornographie des jeunes ont suscité toutes sortes d’angoisses – justifiées. On s’inquiète de l’influence du X lors des premiers émois, des attentes irréalistes, des déconvenues qui adviendront : la pornographie prépare mal à la « vraie » sexualité. Mais au-delà du porno, est-il possible d’être prêt lors de sa première expérience sexuelle ?

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Selon les sociologues Didier Le Gall et Charlotte Le Van, cette étape reste émotionnellement très investie, pour les filles comme pour les garçons. Elle marque l’entrée dans l’âge adulte. Le scénario idéal implique de « faire coïncider expérience amoureuse et expérience sexuelle… ce premier rapport n’est pas appréhendé comme un “aboutissement”, mais comme un “moment” particulier d’une histoire à deux. Aussi ne fait-il sens que s’il donne un devenir à la relation ». Dans l’ordre attendu des choses, les filles sont censées « être prêtes », tandis que les garçons doivent « assurer ».

Cela signifie en creux que les garçons disposent rarement de l’opportunité de se demander s’ils sont prêts. On estime qu’ils voudront se débarrasser de leur pucelage au plus vite, comme d’un fardeau embarrassant. La question devient logistique : non pas « est-ce que je veux », mais « est-ce que je peux ». Quant aux filles, elles font face à une équation étrange : faut-il attendre d’être prête, ou faire en sorte de l’être ? Et comment se préparer à un acte qui reste tabou ?

Leurs incompétences sont les nôtres

Même flou du côté de l’injonction à « assurer » : de quoi parle-t-on ? Assurer, c’est surtout se rassurer, c’est-à-dire ne pas perdre son érection au moment-clef. La performance attendue des garçons, et portée par la pression des pairs, est présentée comme une simple prouesse technique (soit la voie royale vers la débandade, quand on sait à quel point les érections sont émotionnelles). En plus, grâce à ce merveilleux sens des priorités, on peut « assurer » en faisant mal. Sur ce point, on aurait tort de blâmer les adolescents. Nous persistons en effet à leur enseigner que le premier rapport sera forcément douloureux : leurs incompétences sont les nôtres (sauf problème médical, si ça fait vraiment mal, c’est qu’on s’y prend mal).

Parlons donc de compétence. Outre-Manche, une équipe de chercheuses a opté pour une approche pragmatique de la question (London School of Hygiene and Tropical Medicine, 2019). Elles ont évalué la compétence sexuelle des adolescents lors de leur entrée dans la phase relationnelle de leur sexualité. Cette compétence combine quatre facteurs : compréhension du consentement, capacité décisionnelle (était-on ivre ?, sous pression des copains ?, fou amoureux ?), contraception, ressenti (se sent-on prêt/e ?).

Etonnant ? De fait, ce barème démontre un niveau d’exigence élevé : passer le test requiert des connaissances à la fois physiologiques (pas question de compter sur un quelconque instinct naturel) et éthiques (pas question d’improviser, pas question de se raccrocher à l’idée que « ça passe ou ça casse »).

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Revenons donc à nos doctoresses anglaises, qui ont appliqué leur barème à 3 000 jeunes hétérosexuels de 17 à 24 ans. Le résultat est sans appel : 44 % des garçons et 52 % des filles n’étaient pas compétents lors de leur premier rapport. Sans surprise, les filles de moins de 14 ans (au moment de leur première fois donc) constituent la catégorie la plus vulnérable : 30 % avaient moins envie que le garçon, 70 % estiment que ce n’était pas le bon moment, 30 % n’étaient pas en état de prendre cette décision (les filles de 15 ans font à peine de meilleurs scores). Quant aux garçons de moins de 14 ans, ils sont ceux qui se protègent le moins.

Il ne s’agit pas uniquement d’un jugement « autorisé » par des adultes ou des experts. 40 % des jeunes femmes, et un quart des jeunes hommes, auraient préféré attendre ! Sur le total de la cohorte, la seule bonne nouvelle est que neuf jeunes sur dix se protègent.

Un arrière-goût d’impuissance

Ces chiffres très médiocres nous laissent un arrière-goût d’impuissance : comment demander à des adolescents d’attendre, dans leur propre intérêt, sans passer pour les censeurs de service ? Comment appeler à la patience quand l’âge du consentement et celui du premier rapport établissent une norme qu’il convient au pire de respecter, au mieux de devancer ?

Car les adolescents sont piégés dans un double discours : en couchant trop tôt, ils prennent le risque de gâcher par leur immaturité la supposée magie du moment… mais en couchant trop tard, ils ont peur d’être moqués ou de rater le coche. Sur ce point spécifique, on peut les rassurer : parmi les jeunes encore vierges à 18 ans, les sept huitièmes environ ne le seront plus à 28 ans (Archives of Sexual behavior, 2014). Les virginités au long cours peuvent être subies (peur de décevoir, doutes sur son inaptitude ou sur ses exigences) ou choisies, pour des motifs religieux notamment. Et si l’on peut se permettre de dédramatiser : au Japon, 43 % des jeunes de 18-35 ans sont vierges.

Mais revenons à nos moutons made in France : comment faire « monter en compétence » nos adolescents ? Répondons avec la question qui fâche… en a-t-on envie ? Hors cadre familial, hors tabous, sur la planète Mars, évidemment ! Bien sûr ! Quel monstre venu tout droit de l’époque victorienne ne souhaiterait pas engager les jeunes générations sur un sentier de pétales de roses érotiques, direction le septième ciel ?

Sauf que dans le monde réel, bof. Nous considérons que cette étape n’est pas notre problème. Nous nous contentons parfaitement d’un premier rapport brouillon – tant que le sexe ne tourne pas au désastre absolu, nous considérons que nous avons fait notre boulot. Je me permets d’aller plus loin : nous ne voulons pas aider, nous ne voulons pas simplifier ce passage dans le monde de la sexualité. Car dans le domaine sexuel, le paternalisme n’est pas franchement bienveillant. Nous adorons nous moquer des adolescents, de leur prétendue obsession, de leurs idées reçues, de leurs maladresses. On trouve leurs expérimentations touchantes, leurs fiascos hilarants : une nostalgie moelleuse teintée de revanche grise. De fait, leurs complications présentes nous permettent de faire la paix avec notre passé – ou avec nos insatisfactions du moment. Si la sexualité est bancale quand on est dans la fleur de l’âge, c’est que la sexualité est toujours bancale… non ? (Non.)

Ajustons nos pudeurs

Cette réticence à aider possède des racines profondes. Premièrement, nous sommes allergiques à l’idée d’une compétence sexuelle : pour s’en convaincre, il suffit d’observer nos incessantes tergiversations lorsqu’il s’agit de définir le « bon coup » (sujet auquel nous avions consacré une chronique). On ne veut pas qu’il y ait de barème, parce que nous risquerions d’échouer. (Voyons plutôt le verre à moitié plein : s’il y avait un barème, nous pourrions le passer, et nous transmettre les informations pour le passer.)

Deuxièmement, les adolescents ne sont pas prêts parce que nous, adultes, ne sommes pas prêts non plus. Comment pourraient-ils se découvrir par étapes, sortir d’une vision dogmatique de la virginité (voir notre chronique), sans disposer ni d’espace physique, ni de temps ? Une exploration responsable demande une certaine logistique : des opportunités qui ne soient pas exceptionnelles (en autorisant une relation suivie, en n’espionnant pas, en n’ouvrant pas les portes fermées), un minimum de confort, des parents qui évitent d’interrompre les ébats ou qui se passent de plaisanteries graveleuses. Sous couvert de protéger nos ados, nous leur savonnons la pente.

Et pourtant. Les enjeux valent bien quelques ajustements de nos pudeurs intergénérationnelles… car cette étape est tout, sauf un simple brouillon. Une étude américaine de 2013 montre ainsi qu’une première expérience heureuse est corrélée à une meilleure satisfaction et une meilleure estime de soi, même plusieurs années plus tard. Et ça se comprend. Que l’on parle d’amour, de respect ou de confiance, un « bon » premier rapport place les standards relationnels à leur juste place : élevée, très élevée.

17 mars 2019

Vie de famille - Repasser, c’est dépassé

Par Maroussia Dubreuil

Fini le temps où l’on usait sa planche pour défroisser tee-shirts, draps et gants de toilette. Les nouvelles habitudes et les matières infroissables ont remisé le fer au placard. Aujourd’hui, le bonheur est dans le pli.

Sortir sa planche du placard, se pincer les doigts en la dépliant, attendre que son fer chauffe, repasser un par un ses vêtements, savoir manier la pattemouille… Depuis l’invention du fer à vapeur, en 1963, le repassage n’a pas connu sa révolution.

Calor a beau promettre « un équilibre parfait de confort et d’efficacité », Philips garantir « la perfection sans effort », Rowenta assurer une séance « super rapide », les Français rechignent à repasser. Alors que les fibres synthétiques réputées infroissables ont largement dépassé le coton ou le lin dans nos armoires, les ventes de fers ont chuté de 9 % en 2018 – une décroissance amorcée il y a dix ans, selon GfK, pour la revue ­professionnelle de la grande ­consommation LSA.

« Je repasse d’un côté, ça se froisse de l’autre, c’est sans fin !, se désole Hortense, comédienne de 37 ans, bien décidée à mettre le holà. Je ne repasse plus qu’occasionnellement. Je fais mes draps avant de louer mon appartement sur Airbnb et mes fringues pour les vendre sur Vinted. En clair, je repasse pour gagner de la thune. »

Pourtant, la jeune femme ne peut pas se permettre d’arriver mal fagotée aux castings. Aussi a-t-elle développé comme de nombreux Français l’art de l’étendage (ou de l’autorepassage). « Je mets mon uniforme sur la chaise comme si la chaise, c’était moi ! », se félicite ­Jérôme, livreur et père de famille, installé dans la campagne nantaise. Julie, son épouse, conseille quant à elle de faire sécher le linge « au chaud mais sous un parasol ».

Méthode DSK

Le « non-repassage » serait même salutaire pour notre santé. Dans son cabinet, la psychiatre Aurélia Schneider, auteure de La Charge mentale des femmes… Et celle des hommes (Larousse, 2018), conseille à ses clientes en burn-out – les femmes consultent ­davantage – de calculer au minimum leur investissement ménager : « Je leur demande par exemple de “saboter” la tâche du repassage : “Ne laissez pas croupir le linge dans votre machine à laver, vous réduirez ainsi votre temps de repassage.” »

Une solution plus écologique que la méthode DSK filmée dans une chambre d’hôtel, deux mois avant l’affaire du Sofitel. L’ex-patron du Fonds monétaire international (FMI) avait mis au point une technique qu’il pensait imparable : laisser couler l’eau chaude et suspendre ses costumes au-dessus de la baignoire.

« Le repassage fait partie du top 3 des tâches qu’on nous ­délègue le plus », assure François-Xavier Gérault, chef de marché entretien du domicile de la société de services O2 Care. Dans 25 % à 30 % des cas, ses intervenants ménage constatent chez les clients un matériel obsolète ou inadapté. « Comme la mini-table à repasser, évoque Jean-Louis Melois, salarié chez O2, à Angers. Je l’appelle “la table de Barbie”. » Un peu comme ce plan de travail dans la cuisine qui remplace souvent nos planches pour un petit coup vite fait.

« DANS LE TEMPS, LA ­MÉNAGÈRE ÉTAIT RECONNUE SOCIALEMENT. QUAND NOS ENFANTS ÉTAIENT CONVENABLEMENT REPASSÉS, CELA ­SIGNIFIAIT QU’ON ÉTAIT DES GENS BIEN. » SÉBASTIEN DUPONT, PSYCHOLOGUE

« Le repassage a toujours été la tâche domestique la plus ­contraignante avec le lavage de ­ vitres. Car, contrairement à la préparation des repas, l’obligation de le faire reste floue et ce n’est pas très personnalisable, explique ­Sébastien Dupont, psychologue et auteur de La Famille aujourd’hui (Sciences humaines, 2017). A cela s’ajoute l’évolution des mœurs. Dans le temps, la ­ménagère était reconnue socialement. Quand nos enfants étaient convenablement repassés, cela ­signifiait qu’on était des gens bien, tandis qu’on associait les mauvais garçons aux fripons. Cela a commencé à changer avec Mai 68, qui a prôné l’anticonformisme et l’authenticité des êtres. »

Aujourd’hui, les femmes ne se reconnaissent plus dans l’image d’une ménagère au panier à linge. « Elles ont bien compris qu’à leur mort, on n’allait pas ouvrir leurs placards pour montrer aux voisins à quel point elles avaient bien repassé leur linge, comme on le faisait dans la ­Bretagne profonde au XIXe siècle », ­rebondit Aurélia Schneider, en s’appuyant sur un exemple du ­sociologue Jean-Claude Kaufmann, auteur de La Trame conjugale. Analyse du couple par son linge (Nathan, 1992).

Assumer le style débraillé

« Le critère du “bien repassé” est devenu celui de la bonne marque, constate Sébastien Dupont. C’est plus cruel. » De fait, le jogging rétif au repassage est ­devenu le nouveau chic depuis que la star du hip-hop Kanye West a lancé sa collaboration avec Adidas, en 2015. Quant aux jeans, bruts, délavés ou rapiécés, Levi’s, Mother ou Joe’s, ils s’ajustent aisément à nos silhouettes.

Reste un point de crispation : la chemise pour homme. Il faut glisser le fer entre les boutons, enfiler les manches sur une jeannette et ­respecter les plis… Compter au moins six minutes pour les plus expérimentés. Pour conjurer le sort, certains assument un style débraillé.

« Il y a une forme de dandysme à ne pas repasser sa chemise, commente Marc Beaugé, ­rédacteur en chef de L’Etiquette et collaborateur de M, le magazine du Monde.C’est un grand truc d’Edouard Baer ! Il fait faire ses chemises sur mesure chez Charvet, place Vendôme, avec des cols souples sans triplure qu’il ne repasse pas particulièrement. Et puis, il y a les mecs à sensibilité écolo qui, eux, s’en foutent sincèrement, type Nicolas Hulot ou Cohn-Bendit. »

Dans sa boutique parisienne Jonas & Cie, le tailleur Jean-Claude Touboul se creuse la tête pour satisfaire l’obsession d’infroissabilité de son client le plus célèbre : « On propose à Emmanuel Macron un costume de la griffe anglaise Holland & Sherry avec un tissage pas trop mou, explique-t-il. C’est assez spectaculaire : après quatre heures de vol, le costume est froissé mais il suffit d’attendre cinq minutes un taxi pour qu’il se défroisse. »

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La « non-iron shirt  »

Quant aux cadres impec, ils rivalisent d’astuces pour s’éviter la corvée. Nombreux sont ceux qui ont essayé la « non-iron shirt » lancée en 1953 par la marque américaine Brooks Brothers, reprise récemment par le géant japonais Uniqlo. Mais elle gratte et favoriserait la dermatite.

« Et les chemises en polyester, n’en parlons pas, soupire Jean-Claude Touboul. C’est chaud l’été et froid l’hiver. » Si bien que bon nombre de chemises en coton sont « repassées » à la va-vite au défroisseur (ou steamer) sur roulettes ou portatif, qui projette de la vapeur à la verticale (+ 45 % de ventes en 2018, selon GfK). « Quand j’ai acheté mon appartement, je me suis juré d’entrer dans le repassage du XXIe siècle, confie Renaud, photographe trentenaire installé en banlieue parisienne, qui a déboursé 250 euros. Mais ça ne marche pas très bien sur les cotons épais, et mes vitres sont pleines de buée. »

Marc Hervez, trentenaire toujours tiré à quatre épingles, ­repasse tout, lui. Chemises, tee-shirts, sweats, pantalons, jeans… « Je n’y prends pas de plaisir mais je me sens obligé de le faire. Même quand je croise des gens avec des trucs froissés, je ne peux pas m’empêcher de leur faire la remarque. »

Sa planche est toujours sortie dans sa chambre, il a même essayé les sprays – « ça sent bon, c’est pas mal pour accélérer le travail, mais cela fait des gouttelettes par terre… C’est dangereux quand tu es en chaussettes. » Il a acheté un plieur de vêtements, « un truc en plastique à 8 euros avec des espèces de rabat. » Mais il attend avec impatience le lancement, prévu courant 2020, de la machine anglaise Effie, à 999 euros,la seule à pouvoir repasser un lot complet de douze vêtements en une seule fois. « Ça a l’air extraordinaire ! »

16 mars 2019

Marche du siècle: 45 000 manifestants pour le climat à Paris selon un comptage indépendant

Selon le comptage de l’institut Occurence réalisé pour le compte de plusieurs médias, 45 000 personnes ont participé à la Marche du siècle en faveur du climat à Paris, soit 3 fois plus que les Gilets jaunes dans toute la France à 14 heures.
Pour rappel, selon la préfecture de police, les participants à la Marche du siècle étaient 36 000 et selon les organisateurs ils étaient 107 000.
Il n’y a eu aucun incident contrairement aux scènes d’émeutes qui se poursuivent depuis 11 heures ce matin aux Champs-Elysées en lien avec l’acte XVIII des Gilets jaunes.

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16 mars 2019

Marcel #Campion lance un #blocage de #France en #mai, “un ultimatum à #Macron”

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16 mars 2019

ALERTE-Gilets jaunes-Paris: Les scènes d’émeutes et de pillages se poursuivent sur les Champs-Élysées

Plusieurs kiosques à journaux des Champs-Élysées ont été incendiés, ce matin et un autre à l’instant. 
Il y a quelques minutes, la toile de la terrasse du Fouquet’s est partie en flammes. La boutique du maroquinier de luxe Longchamp a également été léchée par les flammes. Un engin de chantier et des véhicules, notamment des scooters, sont en feu dans le quartier (angle Boetie). 
La boutique Disney est endommagée, la vitrine du Monoprix également.
Les boutiques Hugo Boss, Nespresso, Lacoste, Samsung, la bijouterie Bulgaria ont été pillées.
Plus grave encore, une banque a été ravagée par les flammes. L’incendie s’est propagé à l’immeuble, faisant 11 blessés légers dont 2 policiers. Les pompiers ont sauvé une femme et son bébé bloqués au 2e étage.

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16 mars 2019

ALERTE-Gilets jaunes-Paris: Barricade en feu place des Ternes, canon à eau sur les Champs-Élysées

A peine 11 heures et des affrontements opposent des Gilets jaunes (bien des Gilets jaunes et non des Black blocs) aux forces de l’ordres.
Gendarmes mobiles et CRS sont confrontés à des individus violents lors de véritables scènes d’émeutes.
Un engin lanceur d’eau (ELE) est entré en action dans le haut des Champs-Élysées.
Place des Ternes, une barricade est en feu.
Les forces de l’ordre harcelées par des tirs de projectiles divers répliquent à coups de grenades lacrymogènes instantanées de type GLI F4.
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CE QU'IL FAUT SAVOIR

Il y a quatre mois, le mouvement naissait. Alors que le grand débat national s'est achevé, les "gilets jaunes" misent, samedi 16 mars, sur un "regain de mobilisation" pour le 18e week-end de manifestations, intitulé L'ultimatum. L'épicentre se situe à Paris et des heurts ont d'ores et déjà éclaté, dans la matinée dans le secteur des Champs-Elysées. Suivez en direct la journée de mobilisation sur franceinfo.

 L'ultimatum, c'est ainsi que la manifestation de ce samedi est présentée. La date a été annoncée depuis quelques semaines comme une journée cruciale, et ce alors que le nombre de manifestants est en baisse constante ces dernières semaines. Selon les chiffres du ministère de l'Intérieur, sans cesse contestés par les "gilets jaunes", ils étaient 28 600 manifestants en France il y a une semaine, soit dix fois moins que les 282 000 du 17 novembre.

31 interpellations ont eu lieu au matin de la 18e journée de mobilisation des "gilets jaunes" à Paris, a appris franceinfo auprès de la préfecture de police de Paris. Les autorités précisent que "plusieurs rassemblements et cortèges non déclarés" sont en cours.

Rassemblement à Paris. Eric Drouet a invité les sympathisants à converger vers la capitale. "On attend les Toulousains avec impatience, les Bordelais, les Marseillais, les Rouennais...", évoquant même le renfort de sympathisants d'Italie, de Belgique, des Pays-Bas, de Pologne.

 Un important dispositif de sécurité. A Paris, la préfecture de police relève "un retour au principe de non-déclaration des manifestations", avec le "risque de cortèges 'sauvages'". Il y a, selon une source policière, "des indications que des éléments radicaux vont se mobiliser à Paris". Pour y faire face, le dispositif de sécurité a été revu à la hausse, comme nous vous l'expliquons dans cet article.

 D'autres actions en France. Des manifestations des "gilets jaunes" sont également prévues dans plusieurs autres villes, notamment à Bordeaux, Dijon, Caen et Montpellier.

 Plusieurs autres manifestations à Paris. Trois autres défilés sont organisés ce samedi dans la capitale. La Marche du siècle pour le climat, lancée par des associations écologistes ; une journée d'action des forains qui appellent les "gilets jaunes" à les rejoindre ; enfin, la Marche des solidarités, contre les violences policières et le "racisme d'Etat".

16 mars 2019

Parentologie : « Pourquoi la dame elle est toute nue ? »

Par Nicolas Santolaria

L’éducation est une science (moyennement) exacte. Cette semaine, Nicolas Santolaria s’interroge sur les images érotiques, voire pornographiques, qui s’étalent sur le Web, dans les kiosques et les espaces publics, à la vue de nos enfants plus si innocents.

Jadis, le catalogue de La Redoute (et plus particulièrement ses très instructives pages lingerie) fut un support d’émois érotiques clandestins pour nombre de jeunes gens. On le dévorait compulsivement à l’abri des regards avant de le ­remettre fébrilement à sa place, comme si de rien n’était.

Cette focalisation érotique sur un ouvrage de vente par correspondance était révélatrice du fait que le régime visuel d’alors se trouvait, sur le plan de la représentation du corps de l’autre, marqué par la pénurie. Dans ce monde de disette iconographique, la simple courbe d’un sein engoncé dans un soutien-gorge balconnet suffisait à alimenter durablement votre usine à fantasmes. Aujourd’hui, à l’inverse, nous vivons dans un univers de profusion, voire de surenchère.

A L’ÂGE OÙ VOUS REGARDIEZ CASIMIR GRIMPER SUR SON HARICOT MAGIQUE, VOTRE PETIT DERNIER EST PEUT-ÊTRE BOUCHE BÉE DEVANT UNE SCÈNE DE GANG-BANG.

Du clip Anaconda, de Nicki Minaj, avec son ambiance d’orgie tropicale, à la pub Gifi qui simule un cunnilingus, le corps sexualisé est partout, accessible jusque dans sa plus profonde intimité. Rien d’étonnant, alors, à ce que la danse en vogue dans l’école de mes fils se nomme le « sexe boule », une chorégraphie explicite où il s’agit de bouger érotiquement ses fesses. D’après un ­sondage OpinionWay datant de 2016, c’est en moyenne à l’âge de 11 ans que les enfants sont ­exposés pour la première fois au porno, moyenne qui laisse imaginer une imprégnation encore plus précoce chez nombre d’entre eux. Dans l’enquête EU Kids Online datant de 2012, 13 % des 9-10 ans déclaraient ainsi avoir vu des images sexuelles au cours des douze derniers mois, que ce soit en ligne ou hors ligne.

Bref, à l’âge où vous regardiez Casimir grimper sur son haricot magique, votre petit dernier est peut-être bouche bée devant une scène de gang-bang, tout ça parce que vous avez eu la faiblesse de croire que la tablette ferait une bonne baby-sitter.

Comportements abusifs chez les très jeunes enfants

Mais la sphère de l’imprimé n’est pas en reste. En 2018, la comédienne et mère de famille Florence Foresti s’énervait sur son compte ­Instagram contre les couvertures suggestives du magazine Hot Vidéo : « Est-ce qu’on est vraiment obligé de se taper ça tous les jours sur nos kiosques ? Pour mémoire, les enfants ont des yeux. Et un cerveau. »

Je vois tout à fait de quoi elle parle : les miens, d’enfants, semblent avoir développé un radar leur permettant de localiser le moindre bout de téton pointant dans la jungle de signes du décor urbain. Ces images qui ­marquent les jeunes esprits seraient assimilables, selon le psychiatre Didier Lauru, à des « abus sexuels psychiques ». Parfois assorties de ­scénarios de domination où la femme est avilie, de pareilles scènes peuvent – même si ça n’a rien de systématique – déclencher des comportements mimétiques extrêmes.

En Australie, une fillette de 6 ans a été violée par deux camarades de 7 ans qui venaient de regarder du X sur leur téléphone. Phénomène isolé ? A voir. Au travers de témoignages d’enseignants, un article publié en 2016 par The Guardian soulignait la montée en puissance de comportements sexualisés et souvent abusifs chez les très jeunes enfants, avec notamment des problématiques de harcèlement et d’agression sexuelle à l’école. Que votre petit dernier devienne l’inspirateur d’un hashtag #balancetonporcelet n’est donc pas totalement à exclure.

A cette pornographie de plus en plus accessible s’ajoute un érotisme diffus et omniprésent. Depuis quelque temps, je me suis aperçu que mes enfants potassaient assidûment les magazines que je laissais traîner – Les Inrocks, Grazia, Stylist. Ces publications n’ont rien de très sulfureux, et pourtant : certaines images qui paraissent banales à un cerveau adulte baignant de longue date dans un univers consumériste érotisé vont soudain faire un effet bœuf sur un jeune esprit en formation.

Fabrique industrielle du désir

Récemment, mon fils de 4 ans est même venu me voir en brandissant triomphalement un exemplaire de Vanity Fair avec, en couverture, une vieille photo vintage de Françoise Hardy dans une minijupe en métal signée Paco Rabanne. Caressant ces quelques centimètres carrés de peau nue avec envie, son regard gourmand semblait soudain avoir découvert l’Atlantide.

D’un côté, je me suis dit : bon, ce n’est pas si grave que cela, il s’informe. Après tout, moi aussi j’ai piqué La Redoute de mes parents (sans parler de leur encyclopédie de sexologie). Mais d’un autre côté, en y réfléchissant bien, ce qui me ­dérange dans ce cas, c’est que les enfants n’ont presque pas le choix. Où que se tourne leur ­regard, il baignera dans ces stimuli sexuels qui constituent le pétrole bas de gamme de la société marchande.

« Nos enfants sont des buvards. Ils ont intégré ces codes », résument Anne de ­Labouret et Christophe Butstraen dans leur ouvrage instructif Parlez du porno à vos enfants… avant qu’Internet ne le fasse (Thierry Souccar Editions, 192 p., 12 €), à paraître en mai.

Banalisée, cette fabrique industrielle du désir au travers des images place l’enfant dans un état d’excitation presque imposé. Mes fils se retrouvent ainsi à devoir gérer les mêmes préoccupations mammaires que Russ Meyer, le ­célèbre réalisateur de Mega Vixens, sans avoir la capacité ni de les assouvir ni de les sublimer.

Alors que je m’imaginais devoir aborder avec eux toutes ces questions au moment de l’adolescence duveteuse (« Vous savez, les gars, les bébés, ça ne naît pas dans les choux ! »), elles surgissent finalement bien plus tôt que prévu, non pas sous la forme d’une demande d’éclaircissement, mais sous les traits compulsifs d’une revendication crue.

« Pourquoi est-ce qu’on ne pourrait pas voir des seins ? ! Les grands, ils en regardent bien, non ? Est-ce que c’est mal ? », m’a récemment demandé mon fils de 7 ans. Comme j’étais lancé à 130 km/heure sur l’autoroute quand m’a été adressée cette requête et que je voyais soudain se dessiner devant moi un horizon de Père la ­morale, j’ai pris une grande respiration pour éviter l’embardée.

15 mars 2019

Portrait - Greta Thunberg : « Les gens dont dépend notre futur ne semblent pas prendre la question du climat au sérieux »

greta

Par Anne-Françoise Hivert, envoyée spéciale à Stockholm

Commencée le 20 août devant le Parlement suédois, la grève scolaire de la jeune Suédoise a inspiré des dizaines de milliers de jeunes dans le monde.

Comme chaque vendredi, elle arrive un peu après 8 heures devant le Parlement suédois. Pantalon molletonné rose, imperméable jaune poussin, ses cheveux blonds sagement tressés – comme sur les affiches accompagnées du slogan « Make the world Greta again », brandies désormais par les ados dans le monde entier. Le 8 mars, Journée internationale de lutte pour les droits des femmes, les lecteurs de deux journaux suédois ont élu « femme de l’année » cette adolescente de 16 ans, à l’origine du mouvement international de grève scolaire pour le climat du 15 mars, devenue l’icône d’une génération.

Depuis le début de son action, le 20 août, trois semaines avant les élections législatives en Suède, l’objectif de Greta Thunberg n’a pas changé : « Je me suis assise devant le Parlement, en me disant que j’allais essayer d’attirer l’attention sur le climat. Je ne pouvais pas imaginer ce que ça allait devenir. Le fait qu’une enfant accuse les adultes de ne rien faire pour garantir son avenir a réveillé les consciences. »

Depuis, la jeune fille a beaucoup voyagé. Fin novembre, Greta Thunberg a participé à la COP24 à Katowice, en Pologne. Elle en est rentrée déprimée : « J’ai réalisé à quel point les gens dont dépend notre futur ne semblent pas prendre la question au sérieux. Peut-être qu’il y a eu des avancées. Mais ce qui est important, ce sont les émissions [de gaz à effet de serre], or elles continuent d’augmenter. »

« Il faut que ça vienne d’en bas »

Le 22 février, Greta Thunberg était à Paris, où elle a été reçue par Emmanuel Macron. « Nous avons parlé de stratégies, de ce que nous voulions accomplir, dit-elle avec sa placidité habituelle. Je ne sais pas s’il m’a entendue. De toute façon, il ne peut pas faire grand-chose. C’est juste un individu, même s’il a une très grosse responsabilité. Le problème est qu’on ne remporte pas des élections en proposant une politique climatique radicale. Il faut que ça vienne d’en bas. »

En Allemagne, début mars, l’adolescente a été interpellée par le secrétaire général de la CDU, Paul Ziemiak, qui lui reprochait de ne pas aborder les conséquences de la transition écologique « sur l’emploi, la sécurité d’approvisionnement et l’économie ». De plus en plus souvent, on exige d’elle des solutions. La jeune fille botte en touche : « Ce n’est pas mon travail de dire ce qu’il faut faire. Je suis une enfant. Même les scientifiques ont peur de faire des propositions qui seraient jugées trop radicales. Alors comment pourrais-je me prononcer ? »

Etrangement, en Suède, le mouvement a tardé à décoller – même si des grèves scolaires sont annoncées dans plus de la moitié des 270 communes du royaume, le 15 mars. « Dans ma classe, certains élèves sont contents qu’il fasse plus chaud », regrette la jeune fille. A mesure que la mobilisation a pris de l’ampleur à l’étranger, des critiques ont émergé, accusant ses parents de l’avoir manipulée ou bien faisant état d’intérêts financiers supposés derrière son action. « Je savais que je susciterais de la haine, répond Greta. Car apparemment, on ne peut plus rien faire aujourd’hui sans avoir un projet caché. »

Son père, Svante Thunberg, ancien acteur, qui l’accompagne dans tous ses déplacements, raconte que lui et sa femme, la chanteuse lyrique Malena Ernman, l’ont mise en garde : « Nous lui avons dit qu’il fallait qu’elle aille à l’école, qu’on ne la soutiendrait pas. Nous étions convaincus qu’elle allait renoncer. »

« Energie dingue »

Six mois plus tard, il s’émerveille de la transformation de sa fille. Il y a quatre ans, Greta Thunberg a arrêté de jouer du piano, puis de parler et de manger, plongeant dans une dépression dont la crise climatique a été un élément déclencheur. « En fait, elle souffrait d’un immense sentiment de solitude et d’exclusion », confie son père. Les médecins ont fini par diagnostiquer le syndrome d’Asperger, un trouble du spectre autistique.

La guérison est passée par un changement de vie radical de la famille. Fin des voyages en avion pour la mère, véganisme pour le père. « A mesure que nous avons commencé à agir, son angoisse s’est atténuée, raconte-t-il. Aujourd’hui, elle va bien et elle a une énergie dingue, ce qui donne énormément d’espoir sur ce qu’il est possible d’accomplir. »

Greta Thunberg assure qu’elle rêve de pouvoir abandonner sa grève. Mais qu’elle continuera jusqu’à ce que les émissions de CO2 dans l’atmosphère diminuent. Et qu’on s’éloigne du point de bascule d’« où il ne sera plus possible de revenir ».

15 mars 2019

Partout dans le monde, les jeunes en grève scolaire pour le climat

Par Audrey Garric

Dans plus de 100 pays et 1 600 villes, des étudiants, lycéens et parfois collégiens vont sécher les cours pour alerter les dirigeants sur l’urgence climatique.

Ils n’ont plus confiance dans les responsables politiques mais croient encore en leur propre pouvoir de changer la donne. Vendredi 15 mars, dans plus de 100 pays et au moins 1 600 villes du monde, de l’Argentine à l’Iran, en passant par le Bangladesh, la Chine ou le Nigeria, les jeunes sont appelés à massivement faire grève pour le climat. Suivant l’initiative de l’adolescente suédoise Greta Thunberg, égérie de la lutte contre le changement climatique, des étudiants, lycéens et parfois collégiens s’apprêtent à sécher les cours pour alerter les dirigeants de la planète sur l’urgence climatique.

« La situation à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui est unique. Nous sommes la dernière génération à avoir une chance réaliste de prévenir une catastrophe climatique », prévient Linus Steinmetz, l’un des porte-parole du mouvement « Fridays for Future ». L’élève de 15 ans, qui vient de Göttingen en Allemagne, en veut pour preuve le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) qui appelle à diviser par deux les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 pour éviter des conséquences désastreuses. « Nous avons moins de douze ans pour effectuer les changements nécessaires, mais nous en avons les moyens », veut-il croire.

« Le futur des enfants »

« Je ne veux pas vivre dans un monde avec un réchauffement de plus de 3 °C où l’on doit sortir avec des masques anti-pollution, et assister à des migrations de masse et des extinctions d’espèces. Déjà chez moi, la fonte des glaciers s’est fortement aggravée », s’inquiète Loukina Tille, lycéenne suisse de 17 ans, qui se joindra à la marche organisée à Lausanne vendredi.

A Vienne, en Autriche, les jeunes défileront dans le centre-ville avec des arrêts devant les ministères de l’environnement, des transports et de l’éducation. « La prise de conscience des hommes politiques n’est pas suffisante : s’ils se couchaient le soir avec les mêmes craintes que mes amis et moi, ils feraient tout ce qu’il faut pour arrêter la crise climatique », estime l’étudiant Maximilian Fuchslueger. A Vancouver (Canada), la marche sera suivie d’un rassemblement avec des conférenciers et des artistes. A Gérone (Espagne), elle clôt une semaine d’actions (défilé à vélo, pont illuminé de vert, etc.).

Partout, les jeunes font la même demande à leurs gouvernements : respecter l’accord de Paris, adopté en 2015, qui prévoit de limiter le réchauffement climatique bien en deçà de 2 °C, si possible 1,5 °C. A quoi ils ajoutent des requêtes spécifiques selon les pays : en Argentine, la déclaration d’un état d’urgence climatique ; en Australie, l’arrêt du projet de mine de charbon Carmichael à proximité de la Grande Barrière de corail ; en Autriche, l’amélioration de l’éducation sur le changement climatique ou au Royaume-Uni, l’intégration des jeunes dans l’élaboration des politiques sur le climat.

Si le 15 mars doit marquer un point d’orgue de leur mobilisation, une partie de ces élèves manifeste déjà depuis plusieurs mois. Des marches rassemblent des milliers – parfois des dizaines de milliers – de jeunes chaque semaine depuis novembre 2018 en Australie, et décembre en Suisse, en Belgique et en Allemagne.

Tous prennent pour exemple Greta Thunberg, 16 ans, qui a entamé une grève scolaire devant le Parlement de Stockholm le 20 août 2018. Le combat solitaire de la Suédoise aux longues nattes s’est transformé en élan mondial de la jeunesse après son poignant discours à la conférence mondiale sur le climat (COP24) à Katowice (Pologne) en décembre, où elle accusait les dirigeants de « voler le futur des enfants devant leurs yeux », puis lors du Forum de Davos (Suisse) en janvier où elle a lancé aux participants : « Je veux que vous commenciez à paniquer. »

Désobéissance civile

En France, les étudiants sont entrés dans la danse le 15 février, lançant une mobilisation hebdomadaire restée timide. Ils comptent se rattraper vendredi 15 mars, avec des actions dans près de deux cents villes. A Paris, les jeunes mèneront une opération de désobéissance civile le matin, avant une marche entre la place du Panthéon et les Invalides l’après-midi. Des manifestations sont prévues à Lille, Lyon, Marseille ; un pique-nique avec débat sera organisé sur la thématique des transports à Sophia-Antipolis (Alpes-Maritimes), une chaîne humaine autour d’un lycée à Angers, un rassemblement sur la place Stanislas à Nancy…

Des débats sur les enjeux climatiques seront également organisés dans les lycées entre 16 heures et 18 heures, à la demande du ministre de l’éducation nationale Jean-Michel Blanquer. Une annonce tardive vécue comme une « façon d’étouffer la contestation, d’empêcher les jeunes d’exercer leur citoyenneté et de faire passer leur message », regrette Claire Renauld, de Youth For Climate France.

Tentative de récupération ou non, Ange Ansour ne se formalise pas. Cette initiatrice d’un collectif de professeurs, Les Enseignants pour la planète, estime que « tous les élèves ne seront pas dans la rue vendredi et que toutes les actions sont bonnes pour les sensibiliser largement à une situation gravissime ». Si certains professeurs défileront aux côtés de leurs élèves, d’autres organiseront des échanges, des ateliers ou des projections de films.

En France comme à l’étranger, tous voient le 15 mars comme un « départ » et non une « arrivée » et assurent qu’ils continueront à se mobiliser mois après mois. En Belgique, ils espèrent peser sur les élections législatives de mai, au Canada sur les élections fédérales d’octobre, en France sur les européennes de mai. « Nous voulons maintenir la pression pour que les citoyens boycottent les listes qui n’ont pas de programme pour l’écologie », assure Claire Renauld.

« Capacité rhétorique »

Ces jeunes ont-ils une chance de faire bouger les lignes ? « Ils contribuent au débat politique avec sérieux, efficacité et une forte capacité rhétorique, juge Sébastien Treyer, directeur général de l’Institut du développement durable et des relations internationales. Même si la grève hebdomadaire s’essoufflait, ces futurs électeurs se structurent en réseaux et auront certainement envie de peser sur l’offre politique de demain. »

Alors qu’ils sont soutenus par plusieurs milliers de scientifiques dans le monde et par les maires de neuf villes (Paris, Milan, Sydney, Austin, Philadelphie, Portland, Oslo, Barcelone et Montréal), leur mobilisation s’inscrit aussi dans un large mouvement citoyen pour le climat, avec des vastes manifestations, comme celle prévue samedi 16 mars. « Les recours en justice des ONG, les manifestations et les jeunes : ces forces se consolident les unes les autres », relève Sébastien Treyer.

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