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Jours tranquilles à Paris
29 octobre 2019

Pourquoi Virginia Woolf n'a-t-elle jamais reçu le prix Nobel ?

Par Pauline Bock

L'immense autrice n'a jamais obtenu le prestigieux prix littéraire, remis chaque année en Suède. Afin de pallier cette injustice, et de façon à rendre hommage à cette pionnière, la maison internationale des littératures Passa Porta lui a décerné le 1er octobre, à Bruxelles, le “Prix Noble”.

L’Académie du Nobel de Littérature reconnaît elle-même son erreur : en 1938, le plus grand prix littéraire aurait dû récompenser le génie de Virginia Woolf. Le travail de l’immense autrice moderniste anglaise - qui, entre 1925 et 1931, avait déjà publié quatre chefs-d’œuvre de fiction (Mrs Dalloway, Vers le Phare, Orlando et Les Vagues), ainsi que son essai féministe Une chambre à soi - fut ignoré par les académiciens suédois, qui donnèrent le prix à l’Américaine Pearl Buck.

Woolf disparaîtra trois ans plus tard, en 1941, et ne recevra donc jamais le Nobel. Le site de l’Académie souligne, en guise d’excuses, que le comité des années 1930 avait récompensé nombre d’auteurs “médiocres”, l’omission de Woolf au profit de Buck étant un frappant exemple de “négligence”. Dans un article de 1984 titré "Le scandale du prix Nobel", le New York Times s’indignait : “Comment peut-on défendre un jury qui préfère l’art de Pearl Buck (1938) à celui, disons, de Virginia Woolf ?”

Woolf n’est pas seule au panthéon des écrivains injustement snobés par le Nobel : Kafka, Orwell, Joyce, Proust et bien d’autres furent également rejetés. Mais alors que son œuvre est plus que jamais lue, relue, interprétée, et inspire de nouvelles générations d’écrivain.e.s et de féministes, peut-être est-il temps de saluer à nouveau cette pionnière, qui fut l’une des premières femmes à connaître le succès littéraire en publiant sous son vrai nom. C’est ce qu'a choisi de faire la maison internationale des littératures Passa Porta, à Bruxelles, qui décerne depuis sept ans le "Prix Noble" aux auteurs n’ayant jamais reçu la glorieuse accolade suédoise. Et après Franz Kafka (Prix Noble 2008) ou encore Marguerite Yourcenar (2017), l’honneur revient cette année à Virginia Woolf.

Une écrivaine qui en inspire d’autres

“Virginia représente tant de choses, pour tant de gens. Nous voulions la mettre en avant, tout en faisant entrer les lecteurs en contact avec son œuvre”,explique lors de la remise du prix Ilke Froyen, la directrice de Passa Porta. Ecrivain.e.s français.e.s, belges et britanniques y étaient convié.e.s le 1er octobre afin de lire et de partager autour des textes de Woolf. A l'occasion de cette soirée, la performeuse australienne Caroline Daish, récite par cœur Orlando, tandis que l’auteur Sulaiman Addonia raconte comment Mrs Dalloway l’a aidé à surmonter ses traumatismes d’une enfance passée dans un camp de réfugiés. La librairie de Passa Porta a même invité des dizaines de lecteur.rice.s à créer une "Woolfothèque", où il était possible de se filmer dans un “lieu à soi”, pour y décrire leur propre engouement pour l’autrice.

Dans la littérature, “Virginia Woolf tient une place essentielle, parce qu’elle ouvre la voie”, explique Emmanuelle Favier, autrice française venue présenter son deuxième roman, Virginia (éd. Albin Michel), qui évoque l’enfance et l’adolescence de celle qui deviendra Virginia Woolf. L’identification des femmes - lectrices et écrivaines - envers cette figure littéraire est très forte grâce à, dit-elle, “l’autorisation” qu’introduit l’œuvre de Woolf : “Elle a une place de guide, de grande sœur, qui dit : ‘Si moi, jeune femme du tournant du XIXe siècle, j’ai pu le faire, alors toi aussi.’.”

Parce qu’elle s’est penchée sur leur condition, et particulièrement sur ce qui permet aux femmes d’écrire - “500 livres de rente et un lieu à soi”, selon la traduction récente de Marie Darrieussecq -, c’est surtout les femmes qui la citent comme inspiration. Pourtant, précise Sulaiman Addonia, cette autrice jamais reconnue par le Nobel est à l’origine de l’œuvre d’autres personnes qui, elles, ont reçu ce prix - comme par exemple Gabriel Garcia Marquez, qui la citait comme l’une de ses principales sources d’inspiration pour le “monologue intérieur” de ses romans. Il avait même déclaré qu’elle était, à ce titre, “meilleure que James Joyce”. “L’attrait de Virginia Woolf a transcendé toutes les frontières”, note Sulaiman Addonia.

Celle qui écrivait “Je suis à moi-même totalement inconnue” ne se limitait pas à l’image mélancolique que l’on garde d’elle, souligne Emmanuelle Favier : “On parle beaucoup de sa folie, de son suicide, mais c’est son humour qui m’a frappée dans ses journaux. Elle était très drôle.” Geneviève Brisac, autrice française qui a longuement travaillé sur Woolf, souhaite “défendre l’écrivaine difficile, géniale, dont les livres sont complexes, puissants, paradoxaux”, face au mythe du personnage romantique, à la fois réducteur et sexiste. Elle soupire, amusée : “A la première ligne de Mrs Dalloway, qui va acheter les fleurs elle-même, il y a déjà mille hommes qui abandonnent ! Alors qu’il y a une telle pertinence.”

L’ambivalence du succès et des cérémonies “stupides”

Virginia Woolf n’a jamais eu le Nobel, mais comment aurait-elle réagi si elle l’avait reçu ? “Woolf se sentait aliénée par les rituels formels du monde littéraire, même lorsque ce monde la couronnait”, explique Virginia Nicholson, sa petite-nièce, elle-même autrice et historienne des femmes, présente à Bruxelles pour recevoir le prix en son nom.

Elle raconte qu'en 1928, Woolf déclinera le prix Femina - Vie heureuse pour Vers le Phare, assimilant ce cérémonial à un “concours canin” et à “un événement d’une terne et stupide horreur”. Elle écrira même en 1933 : “C’est une chose très laide, une cérémonie. Je les hais de plus en plus.” Virginia Nicholson rapporte qu'en outre, son aïeule refusera en 1935 sa nomination par le Premier ministre britannique pour l’ordre des compagnons d’honneur, puis, en 1939, un diplôme honoraire de l’université de Liverpool.

L'année suivante, elle rejettera la demande de la bibliothèque de Londres de rejoindre leur comité d’administration - et ce, en y prenant “un certain plaisir”, note sa descendante dans un sourire. Virginia Woolf, explique-t-elle, avait un rapport très ambivalent au succès : “Elle savourait sa gloire et la sécurité financière qu’elle lui apportait, mais elle portait une attention maladive à la moindre mauvaise critique. Son identité était très fragile, elle avait un fort syndrome de l’imposteur. Les critiques représentaient pour elle un ‘certificat de raison’, et lorsqu’elles étaient massacrantes - c’est souvent arrivé -, c’est son identité tout entière qui se trouvait compromise.”

La notoriété de Woolf a connu des“éclipses”, assure Geneviève Brisac : avant le succès du film The Hours (2002), inspiré de Mrs Dalloway, la France avait largement oublié Virginia Woolf, et le roman n’était même plus édité. Les journaux de Woolf ne sont toujours pas entièrement traduits en français, note Emmanuelle Favier. “Aujourd’hui, on est dans un moment où les femmes peuvent s’exprimer, écrire, être lues, mais c’est extraordinairement cyclique”, observe Geneviève Brisac. “C’est déjà arrivé et elles ont été oubliées. Rien ne dit qu’elles ne seront pas à nouveau oubliées, le combat des femmes est sujet à des retours de vague.”

L’œuvre de Virginia Woolf n’a plus besoin de prix. Figure du féminisme, pilier du modernisme, mythe littéraire, elle est aujourd’hui plus influente que jamais. “Elle est partout maintenant”, s’exclame Virginia Nicholson. “Sur des mugs, des poupées… J’ai dû mettre mon veto quand on a voulu faire une Barbie à son effigie !”

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29 octobre 2019

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29 octobre 2019

Enquête - Histoires de voiles, des femmes témoignent

Par Cécile Chambraud, Louise Couvelaire

Qu’il s’agisse du fruit d’un cheminement spirituel, d’un acte militant, d’un geste hérité de la tradition, d’une affirmation identitaire et/ou d’une pression sociale, le port du foulard islamique est, en France, un sujet polémique récurrent.

Maheen en a un tiroir plein. Un jaune, un rose, un blanc, un avec des perles, un à paillettes… Elle a 25 ans, des escarpins noirs à talons hauts aux pieds et un voile sur la tête. Elle ne l’enlève que pour aller travailler. La jeune femme est institutrice dans une école publique, à Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne), où elle est née et habite toujours. Ces derniers temps, elle n’a qu’une peur : que des parents d’élèves la croisent en dehors de l’école avec son foulard. « Vu le climat, ils pourraient ne pas apprécier et faire en sorte que je sois écartée de l’enseignement. »

Depuis plusieurs semaines, le voile est une nouvelle fois au cœur des débats : entre l’appel d’Emmanuel Macron pour une « société de vigilance », l’injonction d’un élu Rassemblement national (RN) à une mère accompagnatrice de retirer son voile jusqu’aux paroles du ministre de l’éducation nationale Jean-Michel Blanquer estimant que le voile n’était « souhaitable dans la société ».

La preuve d’une intégration ratée

Qu’il s’agisse du fruit d’un cheminement spirituel, d’un acte militant, d’un geste hérité de la tradition, d’une affirmation identitaire et/ou d’une pression sociale, le port du voile est, en France, un sujet polémique récurrent et un signe visible de religiosité que nombre de Français sans lien avec la culture musulmane ont du mal à comprendre. Et à accepter.

Puisqu’il est un instrument d’oppression de la femme dans certains pays, certains y voient l’importation d’un symbole de l’inégalité de l’homme et de la femme, la marque d’une vision rétrograde, conservatrice, voire dangereuse de la société. Et, surtout, la preuve d’une intégration jugée ratée.

Elles s’appellent Maheen, Latifa, Fati, Nawel, Mina, Asma ou encore Ouatania. Elles ont entre 23 ans et 64 ans, elles sont issues de la bourgeoisie, de la classe moyenne ou d’un quartier populaire. Toutes sont Françaises. Aucune n’est militante provoile. Qu’elles le portent en turban, en drapé, à la mode égyptienne ou indienne, qu’il soit noir ou coloré, elles ont, un jour, décidé de se couvrir la tête. Par choix, disent-elles. Sans contrainte, assurent-elles. En complément du jeûne et des cinq prières quotidiennes que la plupart disent observer.

« ON NOUS PREND POUR (…) DES ANALPHABÈTES, DES IGNORANTES, SANS ÉDUCATION, SANS CERVEAU, FORCÉMENT INSTRUMENTALISÉES. » LATIFA

Maheen fait partie de ces femmes à qui « on ne parle jamais ». Nombreuses sont celles qui craignent de s’exprimer aussi. La plupart ont peur pour leur emploi, ou pour leurs enfants, et demandent à ce que seuls leurs prénoms soient publiés.

« On parle de nous à notre place, mais personne n’imagine qu’on puisse avoir quelque chose à dire, dénonce Latifa, 38 ans. On nous prend pour des cantinières, des femmes de ménage, des analphabètes, des ignorantes, sans éducation, sans cerveau, forcément instrumentalisées, incapables de réfléchir par nous-mêmes et de faire nos choix en toute liberté. » Latifa est ingénieur financier dans une entreprise du CAC 40 située à La Défense, dans les Hauts-de-Seine. « On n’est pas des assistées, on est capable de parler, martèle Zora, 40 ans, assistante maternelle à Lyon. C’est terriblement condescendant. » « Et très rabaissant, s’indigne Mina, une Toulousaine de 27 ans titulaire d’un master en informatique décisionnelle. Tout le monde a le droit de parler sur nous et sait ce qui est mieux pour nous, comme si on était des enfants. »

Invasion « insidieuse » du wahhabisme

Sont-elles libres ou contraintes ? Si la plupart disent ne pas connaître de femmes directement « forcées » à se voiler, quelques-unes évoquent sans s’y attarder l’existence d’une pression sociale en faveur du port du foulard, d’autres le cas de jeunes filles qui se couvrent la tête uniquement dans leur quartier « pour avoir la paix » et pouvoir sortir le soir en toute liberté. Asma, 45 ans, la mère de Maheen, très engagée dans la vie associative locale, appelle ça le phénomène des « mosquées de caves », apparu dans les années 1990.

A Lyon, Zora se souvient de l’arrivée du wahhabisme dans le quartier de son enfance, qu’elle ne veut pas nommer, il y a une trentaine d’années. Elle parle d’une « invasion progressive et insidieuse ». « Il y a d’abord eu des livres dans les librairies, décrit-elle, puis des tenues vestimentaires dans les magasins de vêtements, puis le noir est arrivé, il n’y avait alors plus d’autre choix, puis sont venus les discours insistant sur l’enfer et le paradis. » Aujourd’hui, avance-t-elle, dans un quartier populaire, les normes vont d’un extrême à l’autre : « On voit autant de filles habillées en ultra-moulant et décolleté que de filles voilées, dont beaucoup en ont fait un accessoire de mode. »

L’empreinte de cette offensive menée par les rigoristes peut se retrouver dans le discours religieux dominant et dans les formes de pratique, plus soucieuses d’orthodoxie qu’auparavant. « Cela a fait bouger le curseur, affirme le sociologue Omero Marongiu-Perria. Un musulman qui cherche aujourd’hui à s’informer sur la religion trouve sur le marché un discours d’inspiration salafiste et des infrastructures sur le terrain issues de la matrice frériste, même s’il ne s’en rend pas compte. »

« BEAUCOUP DE FEMMES ONT INTÉGRÉ L’IDÉE QUE SE VOILER EST OBLIGATOIRE ALORS QU’IL S’AGIT D’UNE PRESCRIPTION MINEURE. » FARID ABDELKRIM, COMÉDIEN

Farid Abdelkrim, comédien et ancien membre des Frères musulmans, partage cette analyse : « Beaucoup de femmes ont intégré l’idée que se voiler est obligatoire alors qu’il s’agit d’une prescription mineure. S’il est vrai qu’aujourd’hui le port du voile peut être un choix personnel, il n’en reste pas moins que ce choix s’inscrit dans un discours imaginé et fomenté par des hommes, puis repris par des femmes. » Repris, mais aussi réinventé parfois, libéré de ses attributs traditionalistes originels qui inquiètent la société française. C’est, du moins, ce que les femmes qui ont témoigné expriment et revendiquent lorsqu’elles évoquent les raisons qui les ont amenées à se voiler.

Bien souvent, porter le foulard est tout sauf le signe d’un conformisme familial. La mère et la sœur de Nawel, une commerçante parisienne de 40 ans voilée depuis treize ans, n’en portent pas. Ni les belles-sœurs de Mina, une Toulousaine de 27 ans, pas plus que les trois sœurs de Rania, infirmière parisienne de 23 ans.

Amanda (le prénom a été modifié), 26 ans, a quant à elle une histoire familiale singulière. Enfant, à Lyon, elle allait à la messe le dimanche. Son père, d’origine syrienne, est musulman. Sa mère, française, est catholique. Ses deux sœurs ont choisi la religion maternelle. Elle, elle a choisi l’islam. Et le voile, à l’âge de 19 ans, qu’elle porte désormais en turban. « L’islam, c’est plus simple, plus accessible, on a une relation directe à Dieu, raconte la jeune femme, titulaire d’une licence en langues étrangères appliquées et d’un master en histoire. J’avais beaucoup de clichés en tête, notamment sur la place de la femme, mais en relisant le Coran, j’ai eu un déclic : la première femme du prophète était une businesswoman accomplie. » Elle a été élevée par sa mère et son père n’a eu aucun rôle direct dans son choix, précise-t-elle.

L’aboutissement d’un cheminement spirituel

La décision de se voiler est souvent décrite comme une forme d’aboutissement dans un cheminement spirituel très personnel. Certaines femmes étaient même auparavant résolument hostiles à cette pratique. Rania, l’infirmière parisienne, « détestait » le voile avant de l’adopter, à 19 ans. Elle ne « [comprenait] pas » pourquoi les femmes devaient se plier à cette discipline et pas les hommes. Elle a questionné les différentes traditions religieuses, y compris chrétiennes et juive, sur la « pudeur et la modestie » pour finalement y adhérer. « C’est ma façon à moi d’être pudique. Et aussi de manifester mon obéissance à Dieu. Pas à des hommes, hein ! », s’amuse-t-elle.

Cette quête personnelle prend parfois des détours surprenants. Nawel a été élevée dans une famille peu pratiquante. Au lycée et à l’université, elle se considère athée. Plus tard, ses recherches la mènent dans diverses directions. Elle fréquente même brièvement une loge maçonnique. « Une fois que j’ai décidé de remettre Dieu dans mon existence, je ne suis pas allée à l’islam directement, explique-t-elle. J’ai réfléchi, beaucoup lu, rencontré des gens ». « Je n’ai pas été “rappelée par mes origines” », soutient-elle.

C’est en rouvrant le Coran qu’elle a le déclic. Elle commence à prier, veut vite en faire plus : « arrive la question du voile », une « obligation en islam », selon elle. « Le voile est une question de pudeur, mais pour moi, c’est d’abord un acte d’adoration. » Elle n’a fréquenté aucune mosquée ni suivi aucune conférence, et dit se méfier de tous ceux qui prétendent vous expliquer « comment vivre et comment penser ».

La liberté de choix est aussi revendiquée par celles qui ont subi des pressions familiales. Maheen se souvient encore de la première fois où elle a décidé de porter le voile. C’était un dimanche soir, elle était en classe de seconde. Sa grand-mère et ses tantes avaient bien tenté de la persuader de le porter depuis plusieurs années.

« Jamais je ne l’aurais mis parce qu’elles me le demandaient !, lance la jeune femme. Personne n’a le droit de me dire ce que je dois faire. J’ai décidé de le porter lorsqu’elles ont cessé d’essayer de me l’imposer, parce que je le voulais, parce que j’y avais beaucoup réfléchi, que je trouvais les femmes qui le portaient tellement courageuses d’oser être elles-mêmes et que c’était pour moi une façon de me rapprocher de Dieu. »

Pour une autre génération, la tradition a sa part dans cette décision. Originaire du Maroc, Ouatania, 64 ans, aide-soignante à Gonesse (Val-d’Oise), ne s’est pas posée la question. Dans les pays du Maghreb, à partir d’un certain âge ou après avoir fait le pèlerinage à La Mecque, on met le voile, « c’est culturel, dit-elle, c’est comme ça ».

A la génération suivante, cette tradition maghrébine s’est en quelque sorte réinventée. Zora, une assistante maternelle lyonnaise de 40 ans, témoigne de cette appropriation. « Ma mère, originaire d’Algérie, était analphabète, elle se voilait sans se poser de questions, parce qu’elle n’avait pas le choix. Moi, je suis née ici, je me bats pour le porter. » Contre l’avis de son père d’abord, ouvrier à la SNCF, et de sa mère, femme au foyer, qui n’ont pas compris sa décision. « Ils se sont battus pour s’intégrer, ils me répétaient que j’étais en France et que j’étais libre, mais pour moi, c’était une façon de me réapproprier ma féminité et de m’affirmer. »

L’affaire de Creil en 1989 : un déclencheur

De son côté, à Mulhouse, Lamia, 50 ans, mère au foyer, le porte façon terroir. Elle se couvre avec un béret. Elle a pris sa décision pendant ses études. Un souci de « pudeur » l’a emporté. « C’est un âge où l’on se cherche, dit-elle. En Algérie, je n’étais pas Algérienne, en France, je n’étais jamais comme il fallait. Qu’on le veuille ou non, quand on est musulman, on devient des personnages géopolitiques… C’était autour de 1989, lors de l’affaire du voile à Creil [Oise], quelle pression ! »

Pour toute une génération, l’affaire du collège de Creil, dont le principal avait exclu trois collégiennes qui refusaient d’ôter leur foulard, a constitué un déclencheur. Soum (le prénom a été modifié) s’en souvient comme si c’était hier. Elle avait à peine 15 ans. Elle venait d’étudier la Révolution française dans son collège de Pantin (Seine-Saint-Denis) et ne comprenait pas comment, au pays des droits de l’homme, on pouvait « interdire » à trois jeunes filles d’exercer leur foi. « J’ai décidé de faire comme elles et de porter le foulard », dit-elle. Comme un pied de nez à ceux qui, selon elle, bafouaient les libertés.

Un acte militant, aussi. A l’époque, l’Union des organisations islamiques en France (UOIF), proche des Frères musulmans, structure une partie du terrain associatif musulman et, rappelle le sociologue Omero Marongiu-Perria, refuse de chercher « un terrain d’entente avec l’Etat » sur la question du voile, « envoie au front les jeunes filles et récolte les bénéfices derrière avec le discours victimaire ». « Cette affaire a attisé un fort sentiment identitaire au sein de la communauté, il fallait se positionner pour ou contre, ça a creusé un fossé entre “eux et nous” », commente Fati (le prénom a été modifié), la grande sœur de Soum, qui, comme sa cadette, porte le foulard en turban, pour ne pas être associée à la « catégorie femmes voilées », trop polémique à leur goût.

« MA MÈRE M’A DIT : TU TE METS AU BAN DE LA SOCIÉTÉ. » NAWEL

Au sein d’une même famille, les ressorts qui mènent au voile peuvent varier d’une sœur à l’autre. Le foulard n’était pas le choix de Fati. « Je l’ai porté à 17 ans pour des raisons assez simplistes et naïves, c’était un prolongement naturel pour obéir à une injonction de mon père, très conservateur », explique-t-elle. A l’époque, elle vit mal le poids de cette tradition et souffre de « problèmes identitaires ». « Puis, le voile a fini par devenir un choix spirituel », affirme-t-elle. A tel point qu’elle a refusé de passer un examen sans lui. Ironie de l’histoire, c’est son père qui l’a finalement convaincue de l’enlever.

Contrairement à Soum et à Fati, la décision de porter le voile est souvent désapprouvée par les parents. Pour les femmes les plus jeunes du moins. Et sans doute aussi pour les plus diplômées. Le jour où, à 19 ans, Mina annonce qu’elle va se couvrir, sa mère, elle-même voilée, se braque. « Elle ne m’a plus parlé dans les jours qui ont suivi. Elle avait peur que je subisse des discriminations. » La mère de Nawel, qui n’est pas voilée, a été « très choquée » lorsque sa fille s’est couverte. « Elle m’a dit : tu te mets au ban de la société. »

Une crainte partagée par les parents de Latifa, l’ingénieure de La Défense. Elle avait 21 ans lorsqu’elle a choisi de porter le voile. Elle a attendu pour le faire de quitter le domicile familial. Motif ? Ses parents étaient convaincus qu’elle se « coupait l’herbe sous le pied ». « Ils étaient aussi très inquiets pour mon intégrité physique », ajoute-t-elle.

Fatima, une habitante de Gonesse de 50 ans, bénévole au Secours catholique coiffée d’un voile noir, a vu sa fille faire le choix de se voiler à 14 ans. Contre l’avis de son père. « Mon mari pensait qu’elle était beaucoup trop jeune et que ça risquait de lui faire du tort », raconte-t-elle. L’adolescente n’a pas plié.

« QUAND NOUS SOMMES ARRIVÉS EN FRANCE, DU PAKISTAN, (…) JE ME SUIS AFFIRMÉE EN NE METTANT PAS LE VOILE. [AUJOURD’HUI], MA FILLE S’AFFIRME EN LE METTANT. » ASMA

A Champigny-sur-Marne, la mère de Maheen, Asma, n’a jamais caché ses cheveux. « J’ai été surprise du choix de ma fille mais je le respecte, dit-elle. Pour ma génération, dans nos pays d’origine, c’était très différent, nous n’avions pas le choix, c’était effectivement un instrument de soumission. Quand nous sommes arrivés en France, du Pakistan, j’avais 3 ans, ma mère sortait peu, elle ne travaillait pas, on ne voyait pas les femmes dans les rues. Je me suis affirmée en ne mettant pas le voile, ma fille s’affirme en le mettant. »

Pour Maheen, c’est justement parce qu’elle est née en France qu’elle s’autorise à le porter. Pour elle comme pour Latifa, c’est aussi une façon de relever la tête et de s’affranchir de ce qui a pesé sur les trajectoires « souvent tragiques et douloureuses » de leurs aînées, qui ont, aux yeux des jeunes générations, « baissé la tête » et « rasé les murs » pour s’intégrer.

« Nos mères ou nos grands-mères n’étaient pas Françaises, elles ne savaient pas forcément pourquoi elles portaient le voile. Moi, je suis née ici, c’est mon pays ici, j’ai le choix et le droit d’être qui je suis », plaide la jeune femme.

Revendication identitaire pour les uns, affirmation de soi pour elles. « Personne n’imagine, que dans certains cas, le voile puisse aussi être un signe d’intégration, avance Latifa. Pourtant, cela signifie qu’on sort des quartiers. » Et qu’importe ce qu’ont vécu les générations précédentes et ce que les femmes endurent dans d’autres pays, « comparer leur situation avec la nôtre est hors sujet », juge l’ingénieure. Et Zora de conclure : « Ici, nous sommes en France, ici, nous avons le choix, arrêtons les amalgames et le soupçon et faites-nous confiance. »

29 octobre 2019

David Lynch

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28 octobre 2019

Amélie Nothomb figure parmi les finalistes du prix Goncourt

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Dimanche 27 octobre, le jury du Goncourt a annoncé le nom des quatre auteurs en lice pour le prix 2019. Dans la liste, trois hommes et une femme bien connue du grand public, puisqu'il s'agit d'Amélie Nothomb, dont le roman Soif, qui relate les derniers jours de Jésus à la première personne, caracole en tête des ventes depuis sa sortie. C'est la troisième fois que la romancière belge se retrouve dans la sélection du prestigieux prix littéraire, attribué il y a cent ans à Marcel Proust pour À l'ombre des jeunes filles en fleurs.

Les autres finalistes sont Jean-Luc Coatalem pour La part du fils, une histoire familiale avec la Seconde Guerre mondiale en toile de fond, Jean-Paul Dubois pour Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon qui retrace l'amitié de deux individus en prison, et enfin Olivier Rolin avec Extérieur monde, un récit de voyages, qualifié comme « le roman de [la] vie [de l'auteur]» par Pierre Assouline, membre du jury.

Il faudra toutefois attendre le 4 novembre pour connaître le nom du successeur de Nicolas Mathieu, lauréat en 2018 pour Leurs enfants après eux.

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28 octobre 2019

Street Art

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28 octobre 2019

Sharon Tate

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28 octobre 2019

Prise de courant et USB pour recharger téléphone, PC portable etc.. dans TGV

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28 octobre 2019

Isabelle Huppert

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28 octobre 2019

Ellen von Unwerth

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