Par Raphaëlle Besse Desmoulières
Dans une lettre aux partenaires sociaux, Edouard Philippe propose de retirer cette mesure controversée du projet de loi. Syndicats et patronat ont jusqu’à fin avril pour identifier une solution alternative afin d’équilibrer les comptes d’ici à 2027.
Le gouvernement fait un geste envers les syndicats dits réformistes. Dans un courrier adressé, samedi 11 janvier, aux partenaires sociaux, le premier ministre, Edouard Philippe, se dit « disposé à retirer » l’âge pivot fixé à 64 ans en 2027 du projet de loi sur la réforme des retraites. L’objectif d’une telle mesure est de faire travailler les actifs plus longtemps afin de remettre les comptes dans le vert. Le texte envoyé au Conseil d’Etat permet de régler ce paramètre pour qu’il entre en vigueur dès 2022 à 62 ans et quatre mois et atteigne progressivement 64 ans en 2027. Une disposition rejetée par l’ensemble des syndicats et dont la CFDT a fait sa ligne rouge.
L’ex-maire du Havre propose désormais que soit mise en place une « conférence sur l’équilibre et le financement du système de retraite », à laquelle les partenaires sociaux sont invités à participer. Elle aura pour mission d’arrêter les « mesures permettant d’atteindre l’équilibre financier en 2027, en s’inscrivant dans le cadre des projections du Conseil d’orientations des retraites ». En novembre 2019, cette instance avait évalué que le déficit du système se situerait entre 7,9 et 17,2 milliards d’euros en 2025.
Un « âge d’équilibre » sera bien créé dans le futur système
La conférence, précise M. Philippe dans sa lettre, devra remettre « ses conclusions d’ici la fin du mois d’avril 2020 », c’est-à-dire « avant le vote du projet de loi en seconde lecture ». Si les participants à cette conférence parviennent à s’entendre d’ici là, comme l’« espère » le premier ministre, « le Parlement pourra en tenir compte lors de la seconde lecture et le gouvernement prendra une ordonnance transcrivant cet accord dans la loi ». Dans l’hypothèse où ce ne serait pas le cas, l’exécutif, « éclairé par les travaux de la conférence », « prendra par ordonnance les mesures nécessaires pour atteindre l’équilibre en 2027 et financer les nouvelles mesures de progrès social ». « Je veux être parfaitement clair sur ce point : je prendrai mes responsabilités », insiste M. Philippe.
Ce dernier trace également la feuille de route qu’il donne à la conférence. « Les mesures destinées à rétablir l’équilibre ne devront entraîner ni baisse des pensions pour préserver le pouvoir d’achat des retraités ni hausse du coût du travail pour garantir la compétitivité de notre économie », insiste-t-il. Si la conférence rassemble « un nombre suffisant de partenaires sociaux », M. Philippe procédera « dès mardi à une saisine rectificative du projet de loi actuellement soumis au Conseil d’Etat » et recommandera qu’elle se réunisse d’ici « la fin du mois de janvier ».
Le premier ministre réaffirme par ailleurs que le futur système comportera un « âge d’équilibre ». Ce dispositif « constituera un des leviers de pilotage collectif du système dans la durée ». Concrètement, les départs avant l’âge pivot donneront droit à une pension frappée d’un malus, et ceux après cette borne donneront à l’inverse droit à une retraite majorée.
La CFDT et l’UNSA saluent l’annonce
La CFDT a « salué » dans un communiqué « le retrait de l’âge pivot du projet de loi sur les retraites » qu’elle dit avoir « obtenu ». La centrale de Laurent Berger, favorable à la retraite par points mais fermement opposée à un âge pivot à 64 ans assorti de bonus-malus, salue un « retrait qui marque la volonté de compromis ». « Le gouvernement a fait un geste, et nul ne peut le contester », a réagi Laurent Berger dans les colonnes du Journal du dimanche. « Mais ce retrait n’est pas un chèque en blanc. Pour la CFDT, le retrait de l’âge pivot est une victoire, mais c’est aussi une part de risque. Maintenant, le travail commence et il va falloir poursuivre notre action pour faire valoir nos propositions et revendications. On a perdu un temps précieux depuis un mois », regrette-t-il.
L’UNSA approuve également cette « avancée majeure » et assure que « les échanges peuvent enfin démarrer ». Le syndicat assure qu’il « apportera ses solutions » pour obtenir « l’équilibre financier, dès 2027 et à long terme, de notre régime de retraites ».
La CGT constate pour sa part « le maintien du projet de loi en l’état » et se dit « plus que jamais déterminée à obtenir le retrait de ce texte et à améliorer le système actuel », soulignant les « propositions concrètes faites depuis plusieurs mois ».
Enfin, le Medef a de son côté rappelé que l’impératif d’équilibre financier d’ici à 2027, défendu par M. Philippe, est un point que le syndicat patronal « a appelé de ses vœux », et s’est satisfait de la méthode employée par le premier ministre dans laquelle l’organisation dit vouloir « s’engager pleinement ».
Philippe défend un « compromis solide »
Dans un courrier adressé aux parlementaires de la majorité, Edouard Philippe a estimé qu’« il s’agit d’un vrai compromis, transparent et solide », et a précisé que « les partenaires sociaux acceptent que le futur système comporte un âge d’équilibre ».
M. Philippe, critiqué depuis le début du quinquennat pour sa rigidité, a justifié la suppression d’un âge pivot fixé à 64 ans en 2027 pour « donner toute sa chance au dialogue social » et « démontrer sa confiance dans les partenaires sociaux ». Le premier ministre a conclu en appelant les parlementaires à construire avec lui « sur la base de ce compromis (…) une belle réforme au Parlement », finissant sa lettre par « Haut les cœurs ! ».
Réforme des retraites en France - Abandon de l’âge pivot : “reculade majeure” ou “ruse” d’Édouard Philippe ?
COURRIER INTERNATIONAL (PARIS)
Au 38e jour de grève contre le projet de réforme des retraites, Édouard Philippe a annoncé samedi le retrait de sa proposition visant à instaurer un âge pivot à 64 ans. Pour une partie de la presse internationale, c’est une “reculade majeure” de l’exécutif. Pour d’autres, ce pourrait être une “ruse” pour diviser et affaiblir les syndicats.
“Le gouvernement français a opéré une reculade majeure dans sa bataille contre les syndicats sur la réforme du complexe système de retraites du pays, qui a entraîné des grèves nationales et le chaos dans les transports depuis plus d’un mois”, écrit The Guardian.
Plus modéré, Le Soir qualifie la lettre d’Édouard Philippe aux syndicats, dans laquelle il se déclare “disposé à retirer” l’âge pivot, de simple “geste” envers ses opposants, soulignant que “le gouvernement ne renoncera pas pour autant au principe d’un âge d’équilibre pour le futur système universel”.
C’est sur ce point qu’insiste également le Frankfurter Allgemeine Zeitung. Car si le Premier ministre français est prêt à renoncer provisoirement au fameux âge pivot, il demande en échange aux syndicats de s’asseoir à la table du gouvernement pour trouver avant avril la manière “d’ajuster le déficit du système de retraites d’ici 2027” – espérant les convaincre que le principe de l’âge d’équilibre est bel et bien la seule solution.
Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, premier syndicat de France, avait fait du retrait de l’âge pivot le préalable à toute négociation et la lettre d’Édouard Philippe “lui offre l’opportunité de crier victoire et de cesser de soutenir les grèves du secteur public”, observe le Financial Times. Mais elle “force le syndicat à faire le choix difficile d’une augmentation des cotisations pour les travailleurs et les entreprises, s’il ne souscrit pas à la nécessité d’augmenter l’âge de la retraite”.
“Main tendue”
El País s’interroge sur les conséquences de la volte-face du Premier ministre. “En reculant, M. Philippe pourrait renforcer l’aile dure des grévistes et des manifestants”, estime le quotidien. Mais son annonce “accentue également la division des syndicats à un moment où les grèves et les manifestations montrent des signes d’essoufflement. Elle pourrait aussi servir à persuader l’opinion publique, où les grévistes bénéficient de nombreux soutiens, de la bonne volonté du gouvernement”.
Le Corriere della Sera penche pour cette dernière hypothèse, assurant que “la main tendue” d’Édouard Philippe “a été saluée par la plupart comme une ruse du Premier ministre pour se montrer disposé à dialoguer”.
Pour le titre transalpin, la division des syndicats est désormais inévitable. “Laurent Berger, le chef du syndicat majoritaire et modéré de la CFDT, est le seul à exulter”, écrit le quotidien. “Et c’est pour cela qu’il est traité de traître par les autres (syndicats), les vrais architectes de la contestation”.
De l’autre côté de l’Atlantique, le New York Times estime “peu probable que les concessions du gouvernement mettent fin à la grève et aux manifestations” et semble considérer que la réforme est déjà un échec.
“Confronté à des semaines de grèves et de manifestations massives qui ont saigné l’économie, le gouvernement de M. Macron a été obligé d’offrir une série de concessions à plusieurs professions ces derniers jours – la police, les danseurs de l’Opéra de Paris, les infirmières, les hôtesses de l’air et les pilotes –, revenant précisément aux mêmes retraites sur mesure auxquelles la réforme voulait mettre fin”, observe le quotidien.